1 Idéologie et Sentiment dans le Polyamour.i Ronald de Sousa [http

Transcription

1 Idéologie et Sentiment dans le Polyamour.i Ronald de Sousa [http
Idéologie et Sentiment dans le Polyamour.i
Ronald de Sousa [http://www.chass.utoronto.ca/~sousa]
Université de Toronto
Communication présentée au Congrès de l’IPSA, Montréal, 19-24 juillet 2014
Session RC06 Political Sociology
Panel : La politique saisie aux frontières de la sphère privée et de la sphère publique
Palais des Congrès Salle 522a
Mercredi 23 juillet 13h-14h45
Le slogan qui dit que le privé est aussi politique est souvent cité pour justifier une intervention de
l'État dans des cas de traitement abusif chez un couple ou au sein d'une famille. Il attire aussi
l'attention sur le fait que les relations intimes comprennent toujours une dimension de pouvoir,
où la non-interférence qui parait protéger le droit à la vie privée cache trop facilement les abus.
L'état fondamentalement inégal du mariage traditionnel dans les pays libéraux modernes ayant
choqué la conscience féministe, le problème se pose de savoir comment améliorer la situation de
ceux qui sont les victimes de ces institutions, sans créer de nouvelles victimes par des
interventions intempestives de l'État. Les libres choix que font les individus dans le domaine de
la vie privée doivent être respectés dans la mesure où ils sont compatibles entre eux. Or, dans le
domaine de l'amour, l'idéologie traditionnelle rend la chose à peu près impossible --d'où le cri de
coeur de Baudelaire:
Maudit soit à jamais le rêveur inutile
Qui voulut le premier dans sa stupidité,
S'éprenant d'un problème insoluble et stérile
Aux choses de l'amour mêler l'honnêteté!
1
La présente communication a pour but de soulever cette question dans le cas précis de
ceux qui rejettent la monogamie, avec ses tentations souvent irrésistibles d' « infidélité »
interprétée comme se rapportant spécifiquement à l'infraction de la règle dictée par l'idéal
monogame. Les contraintes auxquelles sont soumises les relations sexuelles, qui dans la plupart
des sociétés accablent surtout les femmes, ont en tout temps donné lieu à des rebellions
individuels. Souvent les rebelles ont accepté de se considérer eux-mêmes comme des criminels.
De nos jours, cependant, le mouvement polyamoriste revendique au contraire le droit et la raison
dans leur refus des règles traditionnelles. Ceux qui revendiquent ce terme (que l'on peut par
ailleurs critiquer comme étant un barbarisme impardonnable) proclament leur droit de choisir de
former des alliances sentimentales et sexuelles de types divers avec plusieurs partenaires à la
fois, dans un esprit d'ouverture et de loyauté que rend plus facile le fait d'avoir renoncé au
mensonge protecteur des susceptibilités jalouses. Souvent, mais malheureusement pas toujours,
cette ouverture de cœur et d'esprit désarme la jalousie par la simple prise de conscience du fait
qu'on peut aimer Paul sans cesser d'aimer Paule. Parmi les indices les plus révélateurs si l'on veut
comprendre l'essence d'une idéologie, figure l'absurdité de certaines de leurs principes,
particulièrement lorsqu'ils sont proclamés par d'augustes philosophes de premier rang. Pourquoi?
C'est parce que si un grand philosophe se permet un argument ridicule, c'est qu'il tient fermement
à la conclusion que cet argument est censé soutenir, à tel point que la qualité de l'argument en
question ne le préoccupe guère. L'absurdité ou la faiblesse notoire de l'argument en question
nous révèle donc plus clairement qu'autre chose ce qui est considéré comme de la plus grande
importance pour qui le propose.
Quand il s'agit de l'amour et de tous les préjugés, les interdits, la panique morale (2004)
les contradictions qui l'entourent, il n'est pas difficile de trouver de tels indices. Au lieu de devoir
les chercher parmi les écrit d'un philosophe en particulier, on peut le trouver à peu près partout
dans la culture dominante de notre société, allant des magazines de commérage sur les célébrités
aux sermons de morale des politiciens conservateurs (avant qu'ils se fassent prendre à violer
2
eux-mêmes leur principes, comme il arrive souvent). Il est plus difficile, par contre, d'en faire le
diagnostic. L'idéologie qui me concerne aujourd'hui, c'est ce que j'appellerai le Monogamisme:
c’est-à-dire l'idéal qui unit en un seul paquet, proposé comme faisant partie intégrale de toute vie
« normale » dans l'occident, une relation sanctionnée par le mariage qui exigerait l'exclusivité
sexuelle et sentimentale d'un couple (de préférence hétérosexuel, mais dans certains pays aux
idées avancées on est d'accord de tergiverser sur cette condition, pourvu que toutes les autres
soient remplies de manière entièrement traditionnelle). L'absurdité en question est révélée avec
une perspicacité caractéristique par G.B Shaw, lorsqu'il résume ainsi l'essentiel du contrat de
mariage (que personne, bien entendu, ne lit jamais):
When two people are under the influence of the most violent, most insane, most delusive,
and most transient of passions, they are required to swear that they will remain in that
excited, abnormal, and exhausting condition continuously until death do them part. (G.B
Shaw Getting Married).
Ce qu'a si bien saisi le dramaturge, on peut maintenant mieux le comprendre à l'aide de la
science, et en particulier de ce que la science nous apprend sur ce qu'on nomme parfois « amour
fou », « amour-passion », ou (pour me servir du néologisme créé par Dorothy Tennov) la
« limérance » [j'invente une version française qui me semble répondre aux exigences de
l'euphonie aussi bien que celles de la sémantique]. Ce diagnostic, dû en grande partie à Helen
Fisher (1998; 2004) consiste à montrer que dans un sens générique, l'amour comprend au moins
trois syndromes qui diffèrent systématiquement entre eux: le désir sexuel; la limérance, et
l'attachement. Ces trois « syndromes » (la connotation médicale n'est pas nécessairement de
trop!) diffèrent sur quatre plans indépendants: (i) le type d'amour vécu dont il s'agit, du point de
vue phénoménologique; (ii) la tâche spécifique, du point de vue biologique et évolutionnaire, à
laquelle le syndrome semble particulièrement utile, en tant que stratégie partielle au service de la
3
tâche fondamentale de reproduction; (iii) l'activité biochimique spécifique des
neurotransmetteurs impliqués; et surtout (iv) la durée caractéristique du syndrome.
Ainsi (1) le désir sexuel est celui qui nous amène à (i) désirer l'accouplement avec « à
peu près n'importe quel partenaire en principe »; (ii) il programme cet accouplement dans
l'immédiat; (iii) les neurotransmetteurs principalement impliqués sont les androgènes et
estrogènes; et (iv) sa durée typique ne dépasse pas quelques heures.
2. La Limérance (i) se présente comme l'amour passion, obsessionnel, intense,
romantique. Elle est vécue comme une préoccupation obsessionnelle et exclusive avec une seule
personne, une anxiété chronique engendré par la question de si son amour est partagé; et
(généralement, sinon dans tous les cas) une inhibition compète de tout désir qui s'adresse à une
autre personne. (ii) Sa fonction est de concentrer l'attention sur un ou une partenaire sur une
période dédiée à la tâche de la procréation sous son aspect le plus élémentaire. « … afin de
conserver, écrit Fisher (2004, xiv) de précieuses ressources d'énergie et de temps. » (iii) Elle
aussi a ses caractéristiques biochimiques dans le corps et le cerveau, comprenant notamment un
rôle important pour les catécholamines (norépinéphrine, dopamine), and (iv) sa durée se mesure
typiquement en mois plutôt qu'en années, jusqu'á un maximum de trois ou rarement quatre ans.
(3). L' Attachement (i) n'est pas nécessairement vécu comme sexuel, mais il engendre
une douleur particulièrement intense lors de sa perte, soit-par une séparation intentionnelle ou
accidentelle, soit par la mort. (ii) Du point de vue évolutionnaire, l'attachement a pour fonction
de « permettre à nos ancêtres de vivre avec sa partenaire au moins assez longtemps pour élever
un enfant à maturité » (Fisher 2004, 79). Cependant ses mécanismes sont en partie empruntés à
ceux qui assurent l'attachement d'un enfant à ceux qui s'en occupent. C'est du moins ce que
suggèrent les travaux de Bartels and Zeki (2004). Ceux-ci ont comparé ce qui se passe dans le
cerveau d'une mère et dans celui d'une femme amoureuse, mais ayant dépassé le stade de la
limérance. (iii) Aussi ses neurotransmetteurs propres sont l'oxytocine et la vasopressine: des
substances qui ont maintes fonctions, mais dont on a pu confirmer qu'elles jouent un rôle
4
important dans l'accouplement chez certaines autres espèces. Par ailleurs, il semble que
l'attachement soit géré par un certain circuit neural que Jaak Panksepp a baptisé « circuit
panique » (Panksepp 1998; 2005). (iv) Contrairement aux deux autres syndromes, la durée
caractéristique de l'attachement ne connaît aucun terme qui puisse être considéré comme un
maximum « normal ».
Globalement, ces profils différents rendent facile à comprendre certains faits de la vie
courante--spécifiquement la difficulté légendaire de la vie de couple cependant jugée normale,
sinon obligatoire. Étant donné ces différences -- notamment dans leur durée normale--il ne
devrait pas être surprenant qu'il soit difficile d'accorder les trois syndromes au long terme dans
une vie. Chaque syndrome est caractérisé par certains aspects qui le rendent incompatible avec
les autres. Ainsi seul l'attachement peut être consolidé par l'historique d'une vie commune. Mais
l'attachement n'a en lui-même rien d'exclusif. En effet aucun parent de plusieurs enfants n'aurait
l'idée de plaider l'impossibilité d'aimer le deuxième sous prétexte qu'on en aime déjà un. Le désir
sexuel et lui aussi typiquement non-exclusif. Seule la limérance est vécue dans l'exclusivité.
Il est donc paradoxal que lorsque le désir sexuel s'unit à l'attachement, alors que les deux
syndromes sont l'un comme l'autre typiquement non-exclusifs, la condition qui en résulte adopte
un impératif qui n'est plausible que pour la limérance, dont la durée absolue est
extraordinairement courte. On peut donc admettre, comme le dit par exemple Goldie que
« l'amour peut survivre à la phase amour-passion » (Goldie 2010), mais cette possibilité joue sur
l'ambiguïté du mot. Cette affirmation risque de n'être vraie que lorsque l’on confond
l'attachement qui peut survivre à la limérance avec celle-ci, ainsi qu'avec le désir sexuel qui peut
durer ou ne pas durer.
Voilà donc la première des absurdités qui caractérisent l'idéologie monogamiste: il
suffirait de reconnaître la nature temporaire et largement illusoire de la phase limérante, pour
constater que les tâches importantes de la procréation et de l'éducation coopérative des enfants ne
nécessitent nullement que l'imposition de conditions qui ne semblent naturelles que dans une
5
phase très particulière de l'amour. C'est d'ailleurs ce que la plupart des civilisations ont
tacitement admis dans la mesure où certaines libertés étaient accordées par l'usage. Cette
reconnaissance a cependant presque toujours été radicalement boiteuse par le fait du sexisme
presque universel dans l'histoire, qui a fait que les libertés en question n'ont généralement été
concédées qu'aux hommes et non aux femmes.
Il serait logique de reconnaître l'iniquité du « double standard », et d'étendre la liberté
sexuelle dans deux dimensions différentes. Il s'agirait d'une part, dans la dimension normative,
de normaliser la liberté plutôt que s'en tenir à une tolérance hypocrite. Par ailleurs, il s'agirait de
cesser d'imposer un double standard qui remonte, curieusement, à des préjugés sur la sexualité
féminine -- inassouvissable, dangereuse -- qui n'ont fait que se calquer en filigrane dans la
conception de la femme « modeste » qui, elle, date plutôt de l'ère victorienne.
L'idéologie monogamiste courante dans les pays libéraux modernes emprunte donc à la
phase limérante un impératif qui lui appartient exclusivement, à savoir, celui d'une exclusivité
sexuelle (et sentimentale), dont cet état relativement passager donne fortement l'illusion qu'il sera
facile à se conformer à une contrainte qui ne semble pas en être une.
Il est pourtant certain que d'autres facteurs, de nature sociale et politique, contribuent à la
normalisation des conceptions qui entraineraient que la monogamie soit ce que veut la nature
même de l'homme -- et de la femme. Rien n'est plus culturellement relatif que la notion de
Nature. Mais les circonstances motivantes proviennent surtout des arrangements sur le transfert
de la propriété par le mariage, à l'anxiété de la paternité, et peut-être même, si l'on en croit
certaines analyses, à la convoitise de l'église qui héritait plus souvent de couples sans issues sous
un régime monogamiste. Il en résulte un réseau de lois, de règlements, et d'institutions qui
privilégient le couple marié par rapport au célibataire. (Que l'on pense, par exemple, à toutes les
offres spéciales de vacances à prix réduit qui sont proposées aux couples et aux familles (Card
1996). Même parmi ceux qui veulent tenir compte de la variété et de la polyvalence du désir
sexuel, la plupart—les « échangistes », en particulier – le font de telle façon que le but principal
6
de cette liberté sexuelle supplémentaire vise à resserrer les liens du couple monogame. Dans ce
but, les échangistes s'astreignent à des contraintes qui limitent fortement le champ de leur liberté
réelle. Sont prescrites, par exemple, les circonstances exactes dans lesquelles les participants ont
le droit de s'adonner à leurs désirs -- seulement en présence du ou de la partenaire privilégié(e),
ou seulement s'il y a échange simultané, ou seulement si tout attachement sentimental est exclu a
priori, etc. Ces conditions diluent considérablement l'idéal de liberté individuelle, ainsi que la
reconnaissance du fait fondamental de l'imprévisibilité et du caractère incontrôlable du désir et
des sentiments.
Chez ceux qui se déclarent plutôt polyamoristes, par contre, il y a moins de règlements et
conventions destinés à éviter le danger émotionnel. On admet que celui-ci peut survenir en
conséquence du fait que faire l'amour, c'est parfois faire surgir, précisément, l'amour. Pour les
polyamoristes, la possibilité est admise d'emblée — du moins dans certains cas — que le nœud
original soit élargi ou même rompu. Les polyamoristes acceptent donc typiquement de faire face
au phénomène de « l'énergie de la nouvelle relation », (NRE, « new relationship energy »), qui
peut perturber les préférences quotidiennes d'un partenaire. Cette expression (faut-il parler
d'euphémisme?) désigne l'éventualité que l'autre tombe sous l'emprise d'une nouvelle passion,
qui pour un certain temps ressemblera peut-être à la limérance. La réaction idéale, dans l'optique
du polyamour, est que l'on soit, sans se forcer, tout simplement heureux de la joie de l'autre. Plus
généralement, la polyamoriste s'efforcera d'éliminer les « conditions en petites lettres » qui
formulent des réserves modifiant profondément les engagements banals de l'amour. Ces
modifications précisent, par exemple, que si l'amoureuse veut avant tout le bonheur de l'objet
aimé, il ne faut surtout pas que ce bonheur soit causé par quelqu'un d'autre. En fait, le qualificatif
détruit totalement le principe, puisque c'est finalement sa propre satisfaction et non celle de
l'objet aimé qui est visé par ce « souhait de bonheur » .
Une impasse comparable se présente sous la forme du don du libre arbitre accordé à l'être
humain par Dieu: il nous fait ce don, mais gare à celui qui n'en fera pas bon usage! Il sera voué à
7
l'enfer pour l'éternité. Le respect de la liberté fondamentale et de l'autonomie Kantienne de l'objet
aimé et taillé sur le même modèle: je t'aime en tant qu'être humain dont je ne saurais abréger la
liberté foncière, mais gare à toi si tu choisis autre chose que ce que je voudrais que tu choisisses!
Ou comme le dit (ou le chante) si bien Carmen: Je t'aime, et si je t'aime, prends garde à toi!
On pourrait multiplier les exemples de principes qui sont impliqués par la relation
amoureuse, et qui contiennent en annexe une petite condition supplémentaire, comme la clef du
cabinet secret de Barbe Bleue, qui voue la plus grande partie des membres d'un couple
traditionnel à un châtiment cruel. Voilà, en bref, le grief que veulent porter les polyamoristes
contre le monogamisme. Afin de diminuer l'hypocrisie liée à l'idéologie conventionnelle, les
polyamoristes mettent avant tout l'accent sur certains faits psychologiques, d'une part, et sur
certaines valeurs, d'autre part.
Les faits en question tiennent surtout à l'impossibilité de faire honnêtement -- même en
toute « sincérité », le genre de promesse qui se fait à tous les mariages traditionnels. On peut,
bien sûr, tenir une promesse de comportement; par contre, on ne peut tenir une promesse comme
celle qui garantirait la continuation d'un sentiment spontané. (Ce qui n'équivaut nullement à nier
que l'on puisse faire des efforts d'attention qui, dans toutes circonstances favorables,
prolongeraient sans doute un attachement fondé sur la base d'une amitié solide.)
Quant aux valeurs, il s'agit d'attirer l'attention sur l'arbitraire étonnant du principe qui
valorise l'exclusivité sexuelle (comme d'ailleurs celui, moins couru aujourd'hui, qui valorise la
virginité. Il s'agit là en fait de deux sortes de préjugés assez proches l'un de l'autres par leur
aspect fétichiste, puisqu'aucune valeur réelle qui ne soit pas le renfort apporté au narcissisme
possessif ne e rattache à l'une pas plus que l'autre qualité naguère surtout prisées chez les jeunes
filles et les femmes.
Pour contrer le genre d'argument dont je viens de résumer brièvement l'essentiel, on
entend presque inévitablement une allusion à la force incontournable de la jalousie. De fait, dans
l'illogique de la position traditionnelle, ceux qui défendent l'idéologie monogamiste ne
8
remarquent pas que la jalousie est exacerbée par la conviction (parfois correcte chez les
monogames, mais non chez les polyamoristes) que faire l'amour avec un nouveau partenaire c'est
cesser d'aimer le dernier. Une fois admis le fait que le plaisir sexuel peut être partagé sans
endommager ni même modifier les intentions de long cours dont sont tissés une vie commune -que ce soit entre deux personnes, ou entre un plus grand nombre de partenaires qui pourraient
former des associations plus spécifiques sur la base d'intérêts communs différents--la jalousie
perd son dard. Dans un contexte polyamoriste, toute satisfaction que ressent la personne que
j'aime m'est source de plaisir, et le plaisir que j''y prend, à son tour, non seulement renforce celui
qu'elle trouve avec d'autres mais aussi approfondit ce que nous -- fussions-nous deux, ou trois, ou
quatre --éprouvons lorsque nous partageons les richesses de nos vies individuelles. Par ailleurs,
le côté « irrésistible » de la jalousie est souvent mythique. et provient du sentiment que les autres
approuvent de notre jalousie, et que nous y avons droit. En raison des conventions sociales qui ne
sont plus ce qu'elles étaient, les occidentaux sont devenus très rares qui éprouvent le besoin de
tuer un enfant désobéissant. De même, lorsque les rages jalouses ne sont plus approuvées par le
commun des membres d'une société donnée, on peut s'attendre à voir diminuer leur fréquence
aussi bien que leur intensité.
S'il est vrai que les habitudes et les expectatives de la plupart des gens ne sont guère
susceptibles d'être modifiées par le simple fait qu'il semble y avoir de bonnes raisons de le faire
(ou que les raisons de persister dans la voie présentes sont de mauvaises raisons), il est bon aussi
de se souvenir que dans l'histoire des moeurs, les bonnes raisons ont tout de même parfois eu
raison des mauvaises. Il n'y a pas très longtemps qu'il semblaient entièrement naturel à presque
tous nos ancêtres que l'esclavage était une institution décrétée normale par la nature même;
encore bien plus récemment, il ne se trouvait que de très rares voix pour s'élever contre la quasi
servitude des femmes, ou contre la conviction que les femmes n'était pas dotées des capacités
nécessaires pour leur permettre d'accéder à la plupart des domaines importants de l'activité
humaines. Faire des études allait contre la destinée féminine; et on trouvait sans peine toutes
9
sortes de raisons d'aspect scientifiques pour le prouver. Plus récemment encore, qui aurait prédit,
il y a un demi-siècle, que le mariage homosexuel serait reconnu dans une douzaine d'états y
compris certains pays de forte tradition catholique? On peut donc espérer que la lutte pour une
réforme de notre idéologie de l'amour et de la sexualité pourrait elle aussi aboutir à une attitude
plus réaliste quant aux désirs que les êtres humains sont susceptibles de ressentir.
10
References
Bartels, Andreas, and Semir Zeki. 2004. “The Neural Correlates of Maternal and Romantic Love.
“ Neuroimage 21:1155–66.
Card, Claudia. 1996. “Against Marriage and Motherhood. “ Hypatia 11:1–22.
Fisher, Helen. 1998. “Lust, Attraction and Attachment in Mammalian Reproduction” Human
Nature 9(1): 23–52.
Fisher, Helen. 2004. Why We Love: The Nature and Chemistry of Romantic Love. New York:
Henry Holt.
Goldie, Peter. 2010. “Love for a Reason.” Emotions Review 2(1): 61–67.
Ogien, Ruwen. 2004. La Panique Morale. Paris: Bernard Grasset.
Panksepp, Jaak. 1998. Affective Neuroscience: The Foundations of Human and Animal
Emotions. New York; Oxford: Oxford University Press.
Panksepp, J. 2005. “Why Does Separation Distress Hurt? Comment on MacDonald and Leary
(2005).” Psychological Bulletin 131(2): 224–30.
11