Hommage à Jean Henri Fabre, un grand poète naturaliste solitaire

Transcription

Hommage à Jean Henri Fabre, un grand poète naturaliste solitaire
PARLONS SCIENCES – MUSEUM DE TOULOUSE
http://www.museum.toulouse.fr/explorer
Hommage à Jean Henri Fabre, un grand poète naturaliste solitaire et
autodidacte, lou fadou d’insectes
Jean-Henri Casimir Fabre est né le 21 décembre 1823 à SaintLéons du Lévezou dans le Rouergue (aujourd’hui Aveyron).
Homme de science autodidacte, c’est aussi un grand humaniste et
un insatiable pédagogue. Ecrivain passionné par la nature, il est
fasciné par les insectes dont il a méticuleusement décrit les
comportements dans ses « Souvenirs entomologiques ». Les
rééditions successives des dix séries qui composent cette œuvre,
leur traduction en une quinzaine de langues et les hommages
réitérés qui lui ont été rendus en France comme à l’étranger
témoignent de la gloire de cet homme offrant sa vie à la nature.
Le centième anniversaire de sa mort- il s’éteint à 91 ans, le 11
octobre 1915, à Sérignan-du-Comtat (Vaucluse)- est une belle
occasion d’en donner une brève biographie et de partager notre
admiration.
Portrait de Jean-Henri Fabre. Domaine public via https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Henri_Fabre
Un autodidacte de génie, un travailleur inlassable
Très tôt, Jean-Henri Fabre s’intéresse « à la bête et à la plante », mais il ne s’y consacrera à
plein temps qu’à 47 ans. A 19 ans, nanti de son brevet supérieur, il est nommé instituteur à l’école
primaire annexe du collège de Carpentras, traduit Homère et écrit ses premiers poèmes. A 21 ans, il
épouse Marie-Césarine Villard, institutrice au même collège. Ils auront 7 enfants, dont une seule,
Aglaé, survivra à son père. Il est pionnier d’une école « hors les murs » basée sur l’observation
de la nature. Tout en enseignant, il cumule les diplômes : en 1844, il est bachelier ès-lettres et, en
1846, bachelier ès-mathématiques, puis licencié ès-mathématiques et ès-physiques en 1847 et 1848.
Ainsi bardé de diplômes, il est nommé en janvier 1949 professeur de physique au Lycée Fesch
d’Ajaccio. Avec le botaniste avignonnais Esprit Requien (1788-1851) et le zoologiste
montpelliérain Alfred Moquin-Tandon (1804-1863), il découvre la richesse de la faune et de la
flore corse. Ce dernier le pousse à quitter les mathématiques, à la gloire desquelles il compose en
1852 Arithmos, un poème de 222 vers, et à endosser sa peau d’entomologiste : « Laissez là vos
mathématiques, me disait-il ; personne ne prendra intérêt à vos formules. Venez à la bête, à la
plante ; et si vous avez, comme il me le semble, quelque ardeur dans les veines, vous trouverez qui
vous écoutera. […] Une expédition fut faite dans le centre de l'île, au monte Renoso, qui m'était
déjà familier. Moquin-Tandon jubilait. De mon côté, bien mieux que l'Immortelle des frimas, sa
parole, sa verve m'attiraient, me gagnaient. En descendant de la froide cime, ma résolution était
prise : les mathématiques seraient abandonnées. » (Souvenirs entomologiques, Mon école, sixième
série, 1899) ».
Il quitte la Corse en janvier 1853 et s’installe à Avignon où il est nommé professeur
répétiteur de physique et chimie au lycée impérial. Il y reste 18 ans. Son nouveau poste ne
l’empêche pas de se remettre aux études et d’obtenir en 1854 sa licence de sciences naturelles, puis,
PARLONS SCIENCES – MUSEUM DE TOULOUSE
http://www.museum.toulouse.fr/explorer
en 1855, son doctorat. Son sujet principal porte sur les myriapodes : Recherche sur l'anatomie des
organes reproducteurs et sur le développement des myriapodes.
A cette occasion, il s’intéresse passionnément aux travaux que le médecin naturaliste JeanMarie Léon Dufour (1780-1865) avait entrepris sur une
grosse guêpe fouisseuse, le Cerceris (photo Cerceris
bupresticida cc by sa nc http://www.galerie-insecte.org/ . Il a
trouvé sa voie ! Les recherches de Fabre sur cette guêpe
chasseresse sont publiées en 1855 dans les Annales de
sciences naturelles : Observations sur les mœurs des
Cerceris et sur la cause de la longue conservation des
Coléoptères dont ils approvisionnent leurs larves. Il les
décrit plus tard dans la première série de ses Souvenirs
entomologiques qui paraît en 1879 1.
Ces publications entomologiques qui reflètent
une
capacité
d’observation
remarquable
du
comportement des hyménoptères lui valent une
reconnaissance nationale et internationale, en particulier celle de Charles Darwin, avec lequel il
entretiendra une correspondance suivie et qui le qualifie d’ « inimitable observateur ». Fabre restera
néanmoins toute sa vie très méfiant envers la théorie de l’évolution : « L’insecte aurait-il acquis son
savoir-faire, petit à petit, d’une génération à la suivante, par une longue suite d’essais fortuits, de
tâtonnements aveugles ? Un tel ordre naitrait-il du chaos, une telle prévision du hasard ;[…] ou
bien est-il régi par une Intelligence ? […]Plus je vois, plus j’observe et plus cette Intelligence
rayonne derrière le mystère des choses. Je sais bien qu’on ne manquera pas de me traiter
d’abominable cause-finalier. Très peu m’en soucie : l’un des signes d’avoir raison dans l’avenir,
n’est-ce pas d’être démodé dans le présent ? » (deuxième série des Souvenirs, les Odynères). De
manière plus générale, il n’aime pas les nouvelles théories. L’exemple du magnétisme, qui pourrait
selon une hypothèse de Darwin permettre aux pigeons de s’orienter, l’illustre bien : « j’ai médiocre
confiance dans notre physique lorsqu’elle prétend expliquer la vie ». (Souvenirs entomologiques,
deuxième série, les chalicodomes, 1882).
Un pédagogue hors pair
cc by-sa D. Morello
Il publie son premier manuel scolaire en 1862 (Leçons élémentaires de chimie agricole),
puis plusieurs livres destinés à la jeunesse : La Terre, (1865), Le Ciel (1866) et Histoire de la bûche
(1867). De 1861 à 1870, pas moins de 18 ouvrages scolaires sont édités et certains seront, vu leur
succès, réimprimés 4 fois ! (pour une biographie plus complète et la liste intégrale des ouvrages voir
PARLONS SCIENCES – MUSEUM DE TOULOUSE
http://www.museum.toulouse.fr/explorer
2 et 3
). Ses jeunes enfants constituent un public et des collaborateurs de choix pour l’aider dans ses
expériences et mettre en forme ses idées. Encouragé par la loi Duruy du 10 juillet 1867 pour la
démocratisation de l'enseignement laïque, il donne aussi des cours du soir pour adultes au Musée
d’Histoire naturelle d’Avignon (musée Requien) dont il est nommé conservateur en 1866. Ils ont un
franc succès mais après avoir enseigné la sexualité des fleurs à des jeunes filles dont l’instruction
était la prérogative des religieuses, Fabre est victime d’une terrible cabale. « Les jours de leçon,
c’était fête, les jours de botanique surtout… j’enseignais à ces jeunes personnes ce que sont l’air et
l’eau, d’où proviennent l’éclair, le tonnerre, la foudre… comment germe une graine et comment
s’épanouit une fleur, toutes choses éminemment abominables aux yeux de certains, dont la flasque
paupière cligne devant le jour. Il fallait au plus vite éteindre la petite lampe, il fallait se débarrasser
de l’importun qui s’efforçait de la maintenir allumée… » (Souvenirs entomologiques, deuxième
série, histoire de mes chats, 1882). Chassé de sa maison par ses propriétaires, il quitte Avignon et,
dénoncé par certains conservateurs comme subversif et dangereux, il démissionne de son poste au
lycée en 1870 4.
Orange et la mort de Jules
Ainsi libéré de l’enseignement, Fabre s’installe avec sa femme et ses 5 enfants à Orange
(La Vinarde) où il reste 9 ans. Durant cette période, il se consacre aux observations entomologiques
et botaniques et à la vulgarisation de ses connaissances scientifiques et de ses travaux. Il rédige de
nombreux manuels scolaires dans de multiples domaines : arithmétique, physique, botanique,
zoologie, cosmographie… Son fils Jules, en qui il voyait son successeur et pour lequel il avait écrit
plusieurs ouvrages (La plante, Leçons à mon fils sur la botanique, 1875), meurt à l’âge de 16 ans le
14 septembre 1877, laissant son père inconsolable et gravement malade. Il lui dédicace la deuxième
série de ses Souvenirs entomologiques 5.
L’ « Harmas », un laboratoire d’entomologie vivante en plein champ
En 1879, il s’installe à la
sortie de Sérignan-du-Comtat, à 8
km d’Orange, dans une belle
propriété
qu’il
nomme
l’ « Harmas » (en provençal,
terre en friche) : « … un coin de
terre abandonné, stérile, brûlé
par le soleil, favorable aux
chardons et aux hyménoptères.
Là, sans crainte d’être troublé
par les passants, je pourrai
interroger l’ammophile et le
sphex »
(Souvenirs
entomologiques, deuxième série,
1882). A 56 ans, l’ « Homère des
insectes », comme l’a surnommé
Victor Hugo, réalise ainsi son
rêve. Il peut tout à loisir observer
cigales, grands paons de nuit,
scarabées, abeilles, pompiles,
bembex, chalicodomes et autres
PARLONS SCIENCES – MUSEUM DE TOULOUSE
http://www.museum.toulouse.fr/explorer
insectes qui peupleront ses Souvenirs. Il n’oublie pas la botanique et peint des aquarelles, en
particulier 700 aquarelles de champignons aussi précises que délicates. La publication, le 13 août,
de la première série des Souvenirs entomologiques constitue un autre événement remarquable de
l’année 1879. Entre expériences menées avec l’aide de ses deux jardiniers successifs, Favier et
Marius Guigues, observations dans sa propriété ou sur le terrain, rédactions d’ouvrages scolaires et
autres (les Inventeurs et leurs inventions, Petites Filles), Fabre ne chôme pas. Sa femme meurt en
1885. Malgré ce malheur, la troisième série des Souvenirs paraît en 1886. Un an plus tard, à 62 ans,
il épouse sa jeune bonne Marie Josèphe Daudel, sa cadette de 41 ans, avec laquelle il a 3 enfants. Il
reprend ainsi, en leur faisant l’école, son premier métier, celui d’instituteur. Il continue également la
rédaction d’ouvrages scolaires et rédige, dans ce havre de paix où il restera jusqu’à la fin de ses
jours, les 9 autres tomes des Souvenirs entomologiques. Ils seront peu à peu traduits en anglais, en
italien, en espagnol, en japonais…
Photo femelle scarabée sacrée, JH Fabre, « souvenirs entomologiques », 5ème série
Des rencontres marquantes
Solitaire et autodidacte,
Fabre côtoiera ou correspondra
néanmoins avec de nombreux
personnages marquants. Parmi
eux, citons Léon Dufour dont la
lecture de l’article « Histoire
naturelle des animaux articulés »
(Castelnau, Blanchard et Lucas)
dix ans avant sa thèse avait
déclenché
sa
passion
d’entomologiste. Louis Pasteur
(1822-1895) qui le consulte en
1865 pour enrayer une épidémie
de pébrine qui affecte les vers à
soie. Isidore Geoffroy SaintHilaire (1835-1919), zoologiste et professeur au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris, est
membre du jury de sa thèse en 1855. Les botanistes Esprit Requien (1788-1851) du Musée
d’Avignon, Théodore Delacour (1831-1920), responsable des cultures aux Etablissements
Vilmorin et Bernard Verlot (1836-1897), responsable technique de l’école de botanique du
Muséum d’Histoire naturelle de Paris. Avec Delacour et Verlot, Fabre entreprend en 1865 une
mémorable ascension du mont Ventoux - pour lui la 24ème ! – qu’il décrira dans la première série des
Souvenirs entomologiques.
Le philosophe économiste anglais John Stuart Mill (18061873), défenseur de la cause de l’émancipation des femmes,
devient son fidèle ami et l’aide financièrement dans les périodes
difficiles. Victor Duruy (1811-1894), ministre de l’instruction
publique, le fait chevalier de la légion d’honneur en 1868 et le
présente à Napoléon III. Joseph Roumanille (1818-1891), fidèle
élève des cours du soir de Fabre à Avignon, est fondateur du
Félibrige, un mouvement littéraire provençal. Il publie avec sa
femme, Rose Anaïs Gras (1841-1920), la poésie provençale de
Fabre : Oubreto prouvençalo dou Felibre di Tavan. Roumanille
présente à Fabre son élève, le poète Frédéric Mistral (1830-
PARLONS SCIENCES – MUSEUM DE TOULOUSE
http://www.museum.toulouse.fr/explorer
1914), également membre fondateur du Félibrige, qui tentera vainement en 1904 avec Maurice
Maeterlinck de faire obtenir à Fabre le prix Nobel de littérature.
Photos : Mont Ventoux cc by-sa Eric Huybrechts et portrait de John Stuart Mill, London Stereoscopic
Company - Hulton Archive. Domaine public.
Un hommage tardif
Fabre reste actif jusqu’à sa mort. La publication de ses manuels scolaires fait peu à peu place
aux Souvenirs entomologiques dont le succès va grandissant. Les 3 dernières séries sont publiées en
1903, 1905 et 1907, tandis que la première série est traduite en anglais en 1901 et éditée à
l’étranger. Avec son plus jeune fils Paul-Henri, il compose un recueil de morceaux extraits des
Souvenirs entomologiques, qui est publié par son fidèle imprimeur Charles Delagrave (1842-1934)
en 1910 sous le titre La vie des insectes, illustré des photographies de Paul. Le docteur GeorgesVictor Legros (1862-1940), son fervent admirateur et premier biographe, s’occupe par la suite des
dernières éditions (Mœurs des insectes, La vie de J.-H. Fabre, naturaliste, par un disciple…). Il
contribue à la reconnaissance tardive de Fabre en organisant le 3 avril 1910 un jubilé scientifique
auquel de nombreuses célébrités françaises accourent.
A l’apogée de sa gloire mondiale, Fabre reçoit le 14 octobre 1913 le président de la
République Raymond Poincaré qui lui rend un hommage national : « Ce n'est pas seulement par
la patience de vos recherches et la consciencieuse exactitude de vos observations que vous avez
donné à l'entomologie et à la science en général une gloire nouvelle. Vous avez mis dans les êtres
les plus humbles une attention si passionnée, une pénétration si ardente, un enthousiasme si
bienveillant et si compréhensible, que, dans les plus petites choses, vous avez fait voir de très
grandes, et qu’à chaque pas de votre œuvre, nous éprouvons la sensation de nous pencher sur
l’Infini. » .
Malgréuneexistencesouventaustèreetdesdifficultésmatériellesrécurrentesliées
«auxmisèresduprofessorat6»,Fabreaconsacrélaplusgrandepartiedesavieàobserveret
expérimenterpourétudierlecomportementdesanimaux,mettantenœuvre,enhommede
sciences accompli, une réelle démarche scientifique et pédagogique. Il demeure un siècle
aprèssamort,uneréférenceenmatièred’observationdumondedesinsectes. Loind’être
surannée, son œuvre incite à s’accroupir au bord du chemin et plonger dans le fascinant
microcosmedesinsectes.
“Etpuis,meschersinsectes,sivousnepouvezconvaincrecesbravesgensparcequevousn'avez
paslepoidsdel'ennuyeux,jeleurdiraiàmontour:«Vouséventrezlabêteetmoijel'étudie
vivante;vousenfaitesunobjetd'horreuretdepitié,etmoijelafaisaimer;voustravaillezdans
unatelierdetortureetdedépècement,j'observesouslecielbleu,auchantdescigales;vous
soumettezauxréactifslacelluleetleprotoplasme,j'étudiel'instinctdanssesmanifestationsles
plusélevées;vousscrutezlamort,jescrutelavie»(Souvenirsentomologiques,deuxièmesérie,
1882).
Article rédigé par Dominique Morello (Chercheuse CNRS, mise à disposition au Muséum),
publié le 3 septembre 2015 sur http://www.museum.toulouse.fr/explorer.
1. http://www.e-fabre.com/e-texts/souvenirs_entomologiques/cerceris_bupresticide.htm
2. Jean-Henri Fabre : petite biographie d’un grand naturaliste, Yves Cambefort Ed Delagrave, 2002
3. https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Henri_Fabre
PARLONS SCIENCES – MUSEUM DE TOULOUSE
http://www.museum.toulouse.fr/explorer
4. Anne Marie Slézec, directrice de l’Harmas http://www.museum-paca.org/7810_HARMAS-DEFABRE-DP.pdf 2006
5. « À mon fils Jules, Cher enfant, mon collaborateur si passionné pour l’insecte, mon aide si
perspicace pour la plante, à ton intention j’avais commencé ce travail : en ton souvenir, je l’ai
poursuivi, et je le poursuivrai dans l’amertume de mon deuil. Ah ! Que la mort est odieuse quand
elle fauche la fleur dans tout l’éclat de son épanouissement ! Ta mère et tes sœurs apportent sur ta
pierre des couronnes cueillies dans le rustique parterre qui faisait tes délices. À ces couronnes
fanées par le soleil d’un jour, j’ai joint ce livre qui, je l’espère, aura un lendemain. Il me semble
ainsi continuer nos études communes, fortifié que je suis par mon indomptable foi dans le réveil de
l’au-delà ».
6. Souvenirs entomologiques, première série
Télécharger la bibliographie Jean-Henri Fabre disponible à la bilbiothèque Cartailhac en format
.pdf.