Hypothermie accidentelle. L`état de mort apparante

Transcription

Hypothermie accidentelle. L`état de mort apparante
CABINET
Forum Med Suisse 2006;6:939–944
939
Hypothermie accidentelle
L’état de mort apparente
Robert Sieber
Quintessence
쎲 On observe des hypothermies accidentelles tout au long de l’année, et elles
ne sont pas limitées géographiquement.
쎲 L’hypothermie accidentelle est un événement rare, souvent méconnu, avec
un taux de mortalité élevé. Toutefois, il existe un groupe de patients qui n’est
pas clairement identifiable au départ mais qui a un excellent pronostic, à condition de disposer de modalités thérapeutiques prêtes à l’avance et de collaborateurs formés à cet effet.
쎲 La réanimation cardiopulmonaire d’un patient en hypothermie se différencie des autres types de réanimation par la mise en œuvre adéquate d’une
défibrillation et de médicaments adaptés.
쎲 Le risque d’induire des troubles du rythme est généralement surestimé et ne
justifie nullement de renoncer à mettre en œuvre des mesures thérapeutiques
invasives lorsqu’elles sont indiquées.
쎲 Les différentes techniques passives de réchauffement peuvent aussi être utilisées par paliers dans les petits services d’urgence. Pour pouvoir faire profiter
un patient d’une circulation extracorporelle (CEC), les modalités de transfert
doivent être préalablement établies
쎲 Le maintien d’une hypothermie thérapeutique à la fin de la phase de réchauffement est un nouveau concept, mais celui-ci n’a pas encore été analysé par des
études spécifiques.
쎲 Seul un patient réchauffé peut être déclaré mort, mais il existe toutefois des
critères spécifiques qui ne justifient pas un réchauffement.
쎲 Les critères d’arrêt de la réanimation méritent une attention toute particulière.
Summary
Accidental hypothermia (transient death)
쎲 Accidental hypothermias occur throughout the year and are not confined
to particular geographical areas.
쎲 Accidental hypothermia is a frequently overlooked, rare occurrence with
high mortality. However, the patients, although initially not a clearly identifiable group, have an excellent prognosis. The precondition for this is a well
prepared therapeutic setup and trained personnel.
쎲 The distinctive features of cardiopulmonary resuscitation in the hypothermic patient are adapted use of defibrillation and drugs.
쎲 The risk of induced arrhythmias is usually overestimated and on no account
justifies withholding indicated invasive measures.
쎲 Various passive rewarming techniques are also possible stepwise in smaller
emergency departments. Connection of the patient to extracorporeal circulation (ECC) requires a fixed transfer routine.
쎲 Maintenance of therapeutic hypothermia at the end of the rewarming phase
is a new concept which has not, however, been investigated in specific studies.
쎲 Only a rewarmed patient may be declared dead, unless specific criteria are
present which do not justify rewarming.
쎲 The criteria for interruption of resuscitation require particular attention.
Introduction
La prévalence des cas d’hypothermie n’est pas
clairement définie. Dans une série suisse de
grande taille, on a identifié 234 cas d’hypothermie durant la période allant de 1980 à 1987 [1].
Aux Etats-Unis, près de 700 personnes, la moitié étant âgée de plus de 65 ans, décèdent annuellement des conséquences d’une hypothermie [2].
Bien que l’hypothermie accidentelle soit le plus
souvent associée à des accidents de montagne ou
de baignade, un nombre considérable de patients subissent une hypothermie en plaine et
en zone urbaine. Chez le sujet jeune, le tableau
clinique est souvent lié à une intoxication. En
revanche, chez la personne âgée, des circonstances socioéconomiques difficiles et des polymorbidités jouent un rôle causal [3].
Il n’existe aucun consensus absolu pour la démarche à suivre au cours de cette situation particulière de réanimation. Le présent article s’appuie notamment sur les directives de l’ILCOR
(International Liaison Committee on Resuscitation) en tenant compte de la révision en 2005 de
la directive de l’American Heart Association et
des recommandations de l’ICAR (International
Commission for Alpine Rescue) [4, 5]. Nous présenterons aussi des réflexions destinées au médecin sur place ainsi que sur la poursuite des
soins au service des urgences. Tout service des
urgences devrait avoir un concept de prise en
charge des patients en hypothermie. A cet égard,
il faut citer également la préparation précoce
d’un accès à l’infrastructure la plus proche permettant de réaliser un pontage pour une circulation extracorporelle (CEC) (agrément de transfert
vers une infrastructure permettant une CEC). On
n’abordera pas ici le problème des mesures thérapeutiques supplémentaires chez des patients
polytraumatisés.
Etude de cas: 1re partie
Il s’agit d’un homme âgé de 36 ans qui a été
retrouvé à l’aube, inconscient, et en hypothermie, sans que l’on puisse préciser depuis combien de temps. Le patient gisait dans un ruisseau et était recouvert d’eau jusqu’au cou. La
réanimation a été entreprise immédiatement
par une équipe d’ambulanciers devant une
Vous trouverez les questions à choix multiple concernant cet article à la page 931 ou sur internet sous www.smf-cme.ch.
CABINET
bradypnée (3/min) et une absence de pouls
palpable. Le patient a été intubé par le médecin de la REGA arrivé sur les lieux. Absence
de résultat suite à l’utilisation d’adrénaline
(2 mg/intratrachéal, 1 mg/iv.) ainsi que d’atropine 3 mg (iv.). A ce moment-là, la température
centrale mesurée au niveau de l’œsophage était
de 18 °C. Suspicion d’une toxicomanie dans
l’anamnèse (drogues, médicaments).
Diagnostic de l’hypothermie
L’hypothermie se définit par une température
centrale inférieure à 35 °C. La mesure de la température centrale se fait le plus souvent par voie
rectale ou par voie œsophagienne à l’aide d’une
sonde. Les sondes font partie des moniteurs de
surveillance courants ou sont des thermomètres
spéciaux comme par exemple DataTherm™.
L’existence d’une hypothermie légère passe souvent inaperçue car elle n’est pas recherchée systématiquement et les symptômes ne sont pas
spécifiques. Devant le tableau clinique, l’importance de l’hypothermie est le plus souvent sousévaluée. Un résumé succinct de la clinique figure
au tableau 1 p.
La classification de l’hypothermie en fonction
de son importance, de légère à grave, n’est pas
établie de façon uniforme [4–9]. Il est décisif pour
le choix de la procédure thérapeutique de se référer non pas à la classification par stade, mais
à la présence d’une activité cardiorespiratoire ou
d’une température inférieure à 30 °C [4].
Physiopathologie
Pour les différents aspects physiopathologiques,
nous renvoyons à la littérature et en particulier
aux travaux d’Epstein [9], Kempainen [8] et
Danzel [6].
Tableau 1. Evaluation de l’hypothermie.
Paramètre
<35–32 °C
Froid et livide
Signes non spécifiques et toujours présents
<32–30 °C
<30 °C
Frissons
Importants
En diminution
Absents
Fréquence respiratoire
2
4
44 – Nulle
Fréquence cardiaque
2
4
44 – Asystolie
Rythme
Sinusal
Arythmie
sinusale/atriale
Arythmie
ventriculaire
Pression artérielle
2 – Normal
4
44 – Nulle
Etat de conscience
Normal – Léthargie
Confusion – Euphorie
Coma
Pupilles
Normales
Normales – Dilatées
Fixes dilatées
Réflexes
Normaux
4
44 – Aréflexie
ECG
Normal
Ondes J*
Ondes J* + QT2**
* «ondes J» ou «ondes d’Osborn» sont de petites susdénivellations qui surgissent
directement après le complexe QRS, notamment dans les dérivations précordiales.
** De plus, tous les intervalles (RR, PR, QRS, ST) augmentent continuellement [17, 18]
Forum Med Suisse 2006;6:939–944
940
Etude de cas: 2e partie
Au service des urgences, asystolie persistante,
poursuite de la RCP; pas de médicaments. Les
taux sanguins de glucose, électrolytes, hémoglobine étaient dans les limites de la norme.
Hormis la présence de zones bleues marmoréennes sur les zones de pression au niveau
des genoux, absence de lésions. Poursuite du
processus de réchauffement à l’aide de perfusions chaudes (41 °C/Level1™), de lavages
de la vessie (42 °C/four à micro-ondes) et d’une
couverture chauffante (46 °C/Therma care™).
Confirmation, par le chirurgien cardiaque
appelé sur place, de l’indication à un réchauffement sanguin extracorporel à l’aide d’un
pontage fémoro-fémoral (Biomedicus™). Remontée de la température centrale à 20 °C.
Réanimation
Avant l’arrivée à l’hôpital
Pour le médecin urgentiste se posent deux questions: d’une part, qu’est-ce qui doit être entrepris
sur place? Et d’autre part, vers quel service diriger le patient? En présence de plusieurs patients
se pose en outre l’aspect du triage. La prise en
compte de l’exposition personnelle aux risques
lors de l’intervention (sauvetage en montagne)
fait également partie de ces réflexions [5].
Le premier bilan réalisé chez le patient en hypothermie sert à établir les besoins en réanimation.
La recherche d’une bradypnée/bradycardie justifie une évaluation «ABC» soigneuse pendant au
moins une minute.
La réanimation est également entreprise dans
les cas douteux comportant une insuffisance respiratoire ou une absence de circulation, et ceci
d’autant plus que la température corporelle centrale précise n’est pas connue et qu’elle ne sera
relevée qu’au cours de la réanimation. Ventilation et compression thoracique seront mises en
œuvre en fonction des directives publiées fin
2005 comme pour un patient normotherme [4].
Les recommandations visant à manipuler le
moins possible le patient sont le plus souvent
bien loin de la réalité d’une situation de sauvetage. Il faut toutefois d’autant plus prendre garde
à l’induction de troubles du rythme ou d’une
asystolie.
Le début de la réanimation peut d’autre part être
soumis aux contraintes logistiques rencontrées
sur le terrain. Seule une telle situation peut justifier un retard [5].
La confirmation d’une asphyxie mortelle après
une noyade ou un ensevelissement est extrêmement difficile. Seul un médecin urgentiste expérimenté est en mesure d’arrêter une réanimation
à ce moment-là déjà [4, 5].
Pour ce qui est des mesures de réanimation sur
place, il faut empêcher, de façon logique, une
CABINET
perte de chaleur supplémentaire pendant le sauvetage et le transport du patient.
L’équipement spécifique du service de sauvetage
est à disposition. La mesure de base la plus importante est l’enveloppement chaud et intégral
comportant des sachets chimiques chauffants
comme par exemple une couverture de survie
Heat Wave™. L’enlèvement des vêtements
mouillés n’est utile que pour un temps de transport prolongé (>1⁄2 h) et dans un environnement
protégé. De même, la perfusion doit immédiatement être chauffée (par exemple «save and
warm™», «Lavatherm®»). Sur le terrain, on ne
doit dans aucun cas perdre du temps à chercher
un accès veineux (max. 5–10’). Evoquons
aussi comme alternative la mise en place d’une
aiguille intra-osseuse (par exemple «Bone Injection Gun™»).
Le patient en hypothermie qui présente un arrêt
circulatoire ou une hypothermie grave (<30 °C)
doit si possible être immédiatement transféré
dans un centre disposant d’une infrastructure de
CEC. Si la circulation est encore maintenue, l’hôpital cible doit disposer au moins d’un service de
soins intensifs.
Voies respiratoires et ventilation (A + B)
Conformément au premier palier, la liberté
des voies respiratoires doit être assurée et la
respiration soutenue par une administration
d’oxygène en fonction de la situation. La colonne
cervicale doit être stabilisée si un traumatisme
n’est pas exclu.
Comme dans d’autres situations de réanimation,
l’indication à une intubation est donnée par la
perte du réflexe de protection ou par le danger
d’aspiration. Le facteur température joue aussi
un rôle lors de la mise en place de la médication
d’induction dont l’efficacité baisse rapidement
au-dessous de 30 °C. Aussi certains auteurs recommandent de renoncer aux myorelaxants et
de se limiter uniquement à une sédation à dose
réduite.
L’oxymétrie de pouls ne livre aucune donnée
fiable, la surveillance globale de l’efficacité de
la ventilation dépend en premier lieu de la gazométrie.
Circulation et déficit (C + D)
L’efficacité de la défibrillation chez les patients
en hypothermie est une autre question sujette
à controverse. La littérature théorique donne
la plupart du temps une température limite de
28 à 30 °C. Toutefois, des études de cas signalent
que la réussite d’une défibrillation est également
possible avec des températures plus basses.
Une tentative unique est ainsi justifiée à partir de
26 °C. Dans ce cas, une décharge unique est appliquée en monophasique à 360 J, en biphasique
à 200 J ou selon la recommandation du fabricant. Dans le cas où cette manœuvre reste vaine,
il faut attendre le réchauffement jusqu’à 30 °C.
Forum Med Suisse 2006;6:939–944
941
Le traitement volumique est réalisé le plus souvent de façon automatique par l’administration
généreuse de perfusions chaudes. La perfusion
de base comportera un soluté de NaCl à 0,9%
avec adjonction de glucose selon les besoins. Le
Ringer-lactate est contre-indiqué en raison du
danger d’hyperkaliémie et de la limitation du
métabolisme hépatique avec possibilité d’accumulation de lactane. Les besoins volumiques
peuvent atteindre plusieurs litres au cours du
traitement et sont souvent sous-estimés par rapport au développement possible d’une rhabdomyolyse et d’un syndrome de fuite capillaire. Pour
ce qui concerne la vitesse de l’apport, on doit tenir
compte de la chute initiale de la fonction myocardique. C’est pourquoi il est utile de mettre en
place précocement une mesure de la pression
veineuse centrale (PVC) dans le service des
urgences. On s’efforcera d’atteindre une pression
veineuse centrale de 10 à 12 cm. La nécessité
de recourir à une voie veineuse centrale résulte
aussi souvent de l’impossibilité de mettre en place
un accès veineux périphérique. Le cathéter urinaire permet également d’évaluer la situation
circulatoire.
L’utilisation de médicaments chez des patients en
hypothermie est comparable à un phénomène de
«boîte noire». Nous n’avons aucune représentation claire de la pharmacocinétique ni de la
pharmacodynamique des médicaments en situation d’hypothermie. On peut évoquer notamment
le danger d’une accumulation puis d’une libération retardée des médicaments pendant le réchauffement. Nous mettons aussi en garde contre
les effets arythmogènes des substances cardioactives. Pour ces raisons, nous ne pouvons que
déconseiller l’utilisation de médicaments au-dessous de 30 °C [4]. Entre 30 et 32 °C, l’intervalle
entre les doses sera prolongé. L’utilisation de faibles doses de catécholamines peut néanmoins être
indiquée au cours du traitement [7]. L’utilisation
d’antibiotiques peut être envisagée en cas de
suspicion d’un processus septique concomitant.
Les stéroïdes n’ont qu’une seule indication: en
traitement substitutif, comme par exemple dans
l’insuffisance surrénalienne.
Paramètres sanguins et diagnostics
Le potassium et le glucose comptent parmi les
quelques paramètres sanguins qui doivent être
contrôlés régulièrement dans le cadre de l’activité métabolique croissante. Ce contrôle se fait
de la façon la plus simple qui soit, par l’analyse
des gaz du sang veineux. La kaliémie initiale a
une signification importante dans le cadre de la
détermination d’un pronostic défavorable. Après
un refroidissement rapide, une hyperglycémie
initiale est fréquente, mais elle se corrige pendant le réchauffement chez les sujets non diabétiques sans instauration d’insuline. En revanche,
après un refroidissement lent, les patients présentent plutôt une hypoglycémie.
CABINET
La correction des modifications du pH, des troubles de la coagulation et d’autres détails de chimie de laboratoire n’est aucunement prioritaire.
Le diagnostic de routine des paramètres sanguins sert toutefois de valeur de base. L’apport
selon les besoins en oxygène, volume liquidien,
glucose et chaleur sont les meilleures conditions
pour la restauration spontanée et continue de
l’homéostasie et par là aussi, de l’équilibre acidobasique ainsi que de la correction des troubles
de la coagulation.
Les diagnostics chirurgicaux et internistes supplémentaires ne doivent pas être négligés. La priorité
de ces diagnostics dépend du contexte, de la clinique et de la stabilité cardiopulmonaire du patient.
Les options de réchauffement
(tableau 2 p)
Réchauffement sans circulation extracorporelle
Pour les patients en hypothermie avec conservation de la fonction circulatoire, les paliers 1 et/ou
2 des mesures thérapeutiques (méthodes de réchauffement) et des perfusions chaudes constituent un traitement efficace sans avoir à recourir à des équipements supplémentaires onéreux.
L’efficacité du «réchauffement conservateur»
conséquent est étayée, de telle sorte qu’en cas
d’accès impossible à une technique de pontage,
l’intensification de ces mesures est parfaitement
fondée [3, 10–12].
Tableau 2. Méthodes de réchauffement.
Options
Efficacité**
Palier 1
Externe passive
Augmentation de la température de la pièce [>25 °C]
Déshabiller et sécher, couvertures chaudes,
couverture de survie isolante
0,5 °C/h 2
Isolation de la tête et du cou
Palier 2
Externe active
Enveloppements chauds du tronc (sans contact cutané!)
?
Système de réchauffement par ventilation d’air chaud
(Bair Hugger®) [41–46 °C]
1–2,5 °C/h 2
Palier 3
Interne active
Perfusions chaudes de NaCl (Level1™/ dispositif de
réchauffement des solutés sanguins) [41–45 °C]
1–2 °C/h 2
Ventilation par air chaud et humide [42 °C]***
1–2 °C/h 2
Lavages de la vessie et / ou de l’estomac
(cathéter de lavage à 2 voies)
2 °C/h 2
Lavage du péritoine, de la plèvre (2 drainages à droite)
2–3 °C/h 2
Réchauffement du sang par voie extracorporelle
*
Pontage fémoro-fémoral
7–12 °C/h 2
Hémodialyse / hémofiltration
2–3 °C/h 2
Les différentes méthodes sont combinables par palier selon la gravité de l’état
du patient.
** Les données d’efficacité sont variables dans la littérature et ne doivent être
comprises que comme des valeurs indicatives.
*** Uniquement possible avec des respirateurs équipés.
Forum Med Suisse 2006;6:939–944
942
Dans un service d’urgence instruit, des mesures
externes passives peuvent immédiatement être
administrées, à savoir couverture chauffante,
isolation thermique, et perfusions chaudes
(42–44 °C). Les perfusions peuvent sans problème être réchauffées dans un four à microondes; autre possibilité: une petite réserve de
perfusions peut être placée en permanence dans
une armoire chauffante (42–44 °C; changer les
solutés de perfusion tous les mois).
Une couverture chauffante ventilée (par exemple
Bair Hugger®) est également particulièrement
simple à utiliser et efficace. Outre l’apport de chaleur, il faut empêcher toute perte supplémentaire.
On peut, dès la phase de préparation, utiliser une
couverture chauffante pour réchauffer le lit et la
pièce. Au cours de la première heure, le réglage de
la température sera à la puissance maximale (46 °C),
tandis que 41 °C seront suffisants par la suite.
Des lavages de vessie et d’estomac sont faciles à
mettre en œuvre à l’aide d’un dispositif de lavage
d’estomac, mais leur efficacité est limitée. Le
lavage de la plèvre et du péritoine sont plus efficaces. Ces manœuvres ne sont actuellement
justifiées que devant une hypothermie grave et
lorsque l’accès à un réchauffement extracorporel n’est pas réalisable. Il faut toujours choisir
des solutés sans potassium.
Réchauffement par circulation extracorporelle
Lorsqu’un patient en hypothermie est réanimé,
il faut toujours, si possible, mettre en œuvre une
méthode de réchauffement invasive. Ceci peut
aussi être envisagé pour des patients très froids
(<30 °C) dont la fonction circulatoire est maintenue ou restaurée.
Après le sauvetage, le patient est «métaboliquement placé sur de la glace» pendant une période
courte, mais critique. Ce temps sera utilisé pour
organiser le transport. Les modalités de transfert
vers un lieu permettant une circulation extracorporelle doivent être préparées à l’avance dans le
cadre d’un protocole interne.
Le réchauffement du sang par voie extracorporelle
peut techniquement être réalisé de différentes façons. Nous ne donnerons pas ici de détails techniques. Un élément décisif est que la technique choisie soit instaurée sans retard. La mise en place
d’une circulation extracorporelle laisse imaginer
une intervention lourde. Le patient peut toutefois
être relié à une machine sans trop de moyens à
l’aide de la plupart des canules fémoro-fémorales.
La taille des appareils actuels permet de ne pas faire
dépendre cette procédure des infrastructures fixes.
Selon l’appareil utilisé, le sang peut aussi être oxygéné. Il existe également des options sophistiquées de correction électrolytique et d’équilibrage
acidobasique. En cas de contre-indication à une
héparinisation systémique, comme par exemple
chez un patient polytraumatisé, la mise en place
d’une circulation extracorporelle peut être proposée avec un système de sondes héparinées.
CABINET
Forum Med Suisse 2006;6:939–944
943
Patient en hypothermie
Oui
Réanimation cardiopulmonaire (ACLS)
Non
Non
Arrêt cardiocirculatoire
Rythme de perfusion
Non
Assurer les voies respiratoires, ventilation suffisante
Oui
Oui
Intubation, ventilation
– Thorax gelé
– Lésions graves
– Sang thrombosé
– K+ >12 mmol/
– Ordre du patient (DNAR)
Oui
Non
Continuer la REA
Décision médecin-chef
Oui
T° centrale <30 °C
Oui
ECC accessible
Non
Non
Oui
Réchauffement avec CEC
Réchauffement sans CEC
Patient déclaré mort
Maintien de l’hypothermie
thérapeutique (32–34 °C)
Figure 1
Algorithme: Hypothermie accidentelle (adapté selon Koller R et al. [10])
Augmentation de la température
La vitesse à laquelle l’augmentation «idéale» de
la température doit être faite n’est pas clairement
définie. Avec des mesures conservatrices, il faut
atteindre une vitesse d’au moins 1–1,5° C/h. La
technique du pontage exige d’appliquer les
règles de la chirurgie cardiaque. On ignore si la
diminution de la mortalité dépend d’une augmentation très rapide de la température. Il est
décisif de viser à obtenir une augmentation
régulière et continue.
Coma hypothermique
L’arrêt prématuré du réchauffement d’un patient
toujours inconscient n’a pas fait l’objet à ce jour
de larges discussions. Dans le cadre de ce nouveau concept, le patient est gardé en hypothermie pendant 24 heures (32–34 °C), en analogie
avec l’hypothermie post-réanimation dans d’autres situations [4, 15]. Il n’existe aucune étude
spécifique à ce sujet, mais il n’y a aucune raison
évidente pouvant empêcher ce concept d’être utilisé dans l’hypothermie accidentelle.
Etude de cas: 3e partie
La circulation a été réchauffée à 36 °C en 90 minutes. Une fibrillation ventriculaire survenue
à 30 °C a été convertie en rythme sinusal à l’aide
d’une défibrillation exécutée à deux reprises
et ce, quatre heures après le début de la
réanimation. Traitement sans complications
ultérieures d’un syndrome de détresse respiratoire et d’une rhabdomyolyse (CK max.
61 760 mmol/l) avec aponévrotomie de la
jambe droite. Le patient a pu être extubé au
bout de 48 heures et n’a présenté aucun déficit neurologique en dehors d’une amnésie
passagère. Le patient a quitté l’hôpital au bout
de 28 jours sans troubles neurologiques et en
bon état général.
Pronostic
Une hypothermie jusqu’à 32 °C n’est pas associée
à une morbidité ou une mortalité accrue. Malgré
un traitement optimal, une mortalité élevée
(53–80%) persiste cependant pour les hypothermies accidentelles graves (<28 °C). Pour les cas intermédiaires, cette mortalité peut atteindre 20%
[1, 2, 14]. Des facteurs comme l’âge (>65 ans), la
CABINET
Tableau 3. Critères d’arrêt de la réanimation.
Thorax gelé et réanimation cardiovasculaire impossible
Thromboses diffuses intravasculaires
Lésions ou blessures associées graves, limitant les mesures de réanimation
(comme par exemple lésions du SNC)
Technique de réchauffement correcte (60 min. au moins) sans augmentation résultante
de la température
Température centrale >35 °C sans restauration de la fonction circulatoire
Hyperkaliémie >12 mmol/l
Présence d’un ordre DNAR / Do Not Attempt Rescucitation (Ne pas réanimer)
de la part du patient
Recherche d’une décision clinique avec étude des éléments «pour et contre» présents
par un médecin-chef de service
présence de polymorbidités ou de polytraumatismes sont associés négativement au pronostic.
Plus le processus de refroidissement est lent et
prolongé, plus le danger de lésions neurologiques limitantes est grand. Les victimes des accidents de montagne ont, en dépit d’un refroidissement généralement rapide, plus de risques
d’avoir un pronostic aggravé par des blessures
ou une asphyxie (avalanche/noyade). Il faut insister sur le fait que lorsque le diagnostic d’hypothermie est posé, il manque le plus souvent
beaucoup d’informations supplémentaires importantes pour estimer le pronostic. Un grand
nombre d’études de cas traités avec succès mon-
Forum Med Suisse 2006;6:939–944
944
tre que, dans chaque cas, le pronostic doit être
considéré comme ouvert jusqu’à l’apparition de
signes explicites de décès.
Arrêt de la réanimation (tableau 3 p)
Lors d’une discussion sur l’arrêt de la réanimation, on doit toujours garder à l’esprit la possibilité d’un bon pronostic à long terme. Il
n’existe toutefois ni modèle simple ni score fiable pour estimer ce pronostic de façon précise.
La plupart du temps, les informations figurant
dans le tableau 3 seront manquantes ou incomplètes, et la situation clinique est peu claire
au début. Dans ce cas, la réanimation doit être
poursuivie jusqu’à ce que la température du patient atteigne au moins 34 °C ou jusqu’à ce que
des éléments en faveur d’un pronostic désespéré
soient présents (blessures, paramètres sanguins)
[5, 8, 15, 16]. La décision d’arrêter la réanimation incombe à un médecin chef expérimenté. «Personne n’est mort avant d’être chaud et
mort».
Remerciements
Je tiens à remercier bien cordialement mes
collègues, les docteurs B. Durrer, PD., J. Osterwalder et P. Savary, pour leur examen critique
du manuscrit et leurs précieuses suggestions.
Références
Dr Robert Sieber
Pronto Soccorso
Ospedale Regionale di Lugano
Via Tesserete 46
CH-6903 Lugano
[email protected]
1 Locher Th, Walporth BH, Pfluger D, Althaus U. Akzidentelle
Hypothermie in der Schweiz 1980–87. Schweiz Med
Wochenschr 1991;121:1020–8.
2 CDC. Hypothermia – related deaths – Philadelphia 2001 and
US 1999. MMWR 2003;52:86–7.
3 Poncini M, Stricker H, Senn V. Sindrome da assideramento
fra le mure domestiche. Tribuna Medica Ticinese 2004;69:
129–31.
4 American Heart Association guideline for cardiopulmonary
resuscitation and emergency cardiovascular care part 10.4:
Hypothermia. Circulation 2005;112(IV):136–8.
5 Durrer B, Brugger H, Syme D. The medical on site treatment of hypothermia. High Alt Med Biol 2003;4:99–103.
6 Danzel DF, Pozos RS. Accidental hypothermia. N Engl J Med
1994;331:1756–60.
7 Larach MG. Accidental hypothermia. Lancet 1995;345:
493–8.
8 Kempainen RR, Brunette DD. The evaluation and management of accidental hypothermia. Respir Care 2004;49:
192–205.
9 Epstein E, Anna K. Accidental hypothermia. BMJ 2006;332:
706–9.
10 Koller R, Schnider W, Neidhart P. Deep accidental hypothermia and cardiac arest – rewarming with forced air. Acta
Anesthesiol Scand 1997;41:1359–64.
11 Steel MT, Nelson MJ, Sessler DI, Frank L. Forced air speeds
rewarming in accidental hypothermia. Ann Emerg Med
1996;27:493–8.
12 Roggero E, Stricker H, Biegger P. Akzidentelle schwere Hypothermie mit kardiopulmonalem Stillstand: prolongierte
Reanimation ohne extrakorporellen Kreislauf. Schweiz Med
Wochenschr 1992;122:162–4.
13 Walpoth BH, Walpoth-Aslan BN, Mattle HP, Radovan BP,
Schroth G, Schaeffler L et al. Outcome of survivors of accidental deep hypothermia and circulatory arrest treated
with extracorporeal blood warming. N Engl J Med 1997;
337:1500–5.
14 Nolan JP. Morley PT, Vanden Hoek TL, Hickey RW. Therapeutic hypotermia after cardiac arrest: an advisory statement by the Advanced Life Support Task Force for the International Liaison Committee on Resucitation. Circulation
2003;108:118–21 und Resucitation 2003;57:231–5.
15 Mair P, et al. Prognostic markers in patients with severe accidental hypothermia and cardiocirculatory arrest. Resucitation 1994;27:47–54.
16 Hauty MG, Esrig BC, Hill JH, Long WB. Prognostic factors
in severe accidental hypothermia: experience from Mt.
Hood tragedy. J Trauma 1987;27:1107–12.
17 Maeder M, Schoch OD, Amman P, Rickli H. EKG bei Hypothermie. Schweiz Med Forum 2003;35:831–2.
18 www.anaesthetist.com/icu/organs/heart/ecg/index.htm