séquence4
Transcription
séquence4
4 SÉQUENCE L’autobiographie, quels enjeux ? SÉQUENCE SÉANCE 1 Pourquoi se raconter ? Révéler ses sentiments Lutter contre l’oubli . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112 Construire son image pour la postérité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114 SÉANCE 2 Le projet autobiographique. Que raconter ? Comment raconter ? Le dialogue avec l’enfance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120 Réécrire le passé Dit-on la vérité ? SÉANCE 3 L’expression de soi L’écrivain se prend comme personnage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Poésie et autobiographie : l’âme mise à nue 123 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128 LECTURE D’IMAGE Se représenter par la peinture PARCOURS D’ÉCRIT Raconter un souvenir d’enfance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130 CAP SUR LE BREVET Texte : Romain Gary, La Promesse de l’aube . Méthode : lire et analyser le sujet de rédaction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132 133 BILAN DE SÉQUENCE Synthèse : le pacte autobiographique Lectures coups de cœur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134 135 106 Séquence 4 - L’autobiographie, quels enjeux? ▲ Marie Claire, octobre 2002. PISTE Pour faire votre autoportrait photographique, avec quel objet choisiriez-vous de vous représenter ? Comment cadreriez-vous la photographie ? Prenez la photographie et écrivez quelques lignes de commentaire pour expliquer vos choix. S SÉ AA NCC E É N E 1 Pourquoi se raconter ? Texte 1 Marjane Satrapi (Née en 1969) Auteur de bandes dessinées. D’origine iranienne, elle grandit à Téhéran où elle étudie au lycée français, avant de venir en France. Les trois volumes de Persepolis retracent son histoire et celle de sa famille. Pour commencer Évoquez un souvenir de votre année de sixième : pour quelles raisons l’avez-vous conservé en mémoire ? I. Parler de soi 1. a. Quel est le cadrage utilisé dans les cases de la bande dessinée ? Que met-il en évidence ? b. Que peut-on dire du rapport entre le texte et l’image ? 2. Qui sont les personnages représentés ? Quels indices II. Des souvenirs privilégiés vous permettent d’identifier l’auteur comme personnage de la bande dessinée ? cipaux ? Dans quel pays vivent-ils respectivement ? Dans quelles circonstances particulières se situent ces deux souvenirs ? Quels mots qualifient cette situation ? 3. Grammaire. Identifiez les temps utilisés dans les réci- 108 tatifs supérieurs et inférieurs : à quels indices de temps sont-ils associés? Quelles époques différentes cette bande dessinée confronte-t-elle ? Séquence 4 - L’autobiographie, quels enjeux? 4. Quelle est la nationalité des deux personnages prin- ▲ Révéler ses sentiments Marjane Satrapi, Persepolis, tome 3, L’Association, 2002. 5. Dans la première planche, que demande la mère à sa 7. Dans chacune des planches, quelle personne fait les fille? Quelle relation cherche à instaurer la mère à travers cette demande et le choix des mots ? frais de cette réconciliation ? Comment ces personnes sont-elles rendues antipathiques ? 6. Comment réagit la fille? Comment ses sentiments sontils traduits dans les gestes et dans le dessin ? Comparez maintenant avec les récitatifs : quelles explications donnent-ils ? À quelle forme est le verbe « on se pardonne » ? Justifiez son emploi. Pour conclure 8. Que représentent ces souvenirs pour l’auteur ? 9. Que nous apprennent-ils sur elle ? Pourquoi peuvent-ils aussi concerner le lecteur ? Pourquoi se raconter? 109 SS SÉÉÉAAA NNN CCCEEE 1 Pourquoi se raconter ? La mort du chef de l’État, le maréchal Tito, en 1980, et l’appauvrissement économique ont entraîné le réveil des nationalismes en Yougoslavie. Entre 1991 et 2000 des guerres civiles meurtrières disloquent l’ancien état fédéral de Yougoslavie. Texte 2 Lundi 30 mars 1992 ‘ Zlata Filipovic (née en 1980) Jeune bosniaque vivant à Sarajevo. Quand éclate la guerre, elle tient depuis quelques temps déjà son journal. 1. On peut traduire Asfaltina par « fille de ˇ l’asphalte », Sefika par ˇ « la vieille fille », Sevala par « le grand cheval », Pidzameta par « la fille ˇ en pyjama » et Hikmeta par « sagesse ». 5 Dis donc, mon Journal, tu sais à quoi j’ai pensé ? Anne Frank avait bien appelé son Journal Kitty, pourquoi je ne te trouverais pas un nom? Voyons voir… ˇ ASFALTINA PIDZAMETA 1 ˇ SEFIKA HIKMETA ˇ SEVALA MIMMY ou alors autre chose ?… Je cherche, je cherche… J’ai choisi ! Tu vas t’appeler… MIMMY 10 Allez, on commence. […] Lundi 29 juin 1992 Dear Mimmy, J’EN AI MARRE DES CANONNADES! ET DES OBUS QUI TOMBENT! ET DES MORTS! ET DU DÉSESPOIR! ET DE LA FAIM! ET DU MALHEUR! ET DE LA PEUR! 5 10 15 Ma vie, c’est ça ! On ne peut pas reprocher de vivre à une écolière innocente de onze ans ! Une écolière qui n’a plus d’école, plus aucune joie, plus aucune émotion d’écolière. Une enfant qui ne joue plus, qui reste sans amies, sans soleil, sans oiseaux, sans nature, sans fruits, sans chocolat, sans bonbons, avec juste un peu de lait en poudre. Une enfant qui, en un mot, n’a plus d’enfance. Une enfant de la guerre. Maintenant, je réalise vraiment que je suis dans la guerre, que je suis le témoin d’une guerre sale et répugnante. Moi et aussi les milliers d’autres enfants de cette ville qui se détruit, pleure, se lamente, espère un secours qui ne viendra pas. Mon Dieu, est-ce que cela va cesser un jour, est-ce que je vais pouvoir redevenir écolière, redevenir une enfant contente d’être une enfant ? J’ai entendu dire que l’enfance est la plus belle période de la vie. J’étais contente de vivre mon enfance, mais cette sale guerre m’a tout pris. Mais pourquoi?! Je suis triste. J’ai envie de pleurer. Je pleure. Ta Zlata. ‘ Zlata Filipovic, Le Journal de Zlata (1993), traduit du serbo-croate par A. Cappon, Robert Laffont/Fixot, 1993. ▲ Antoine Gyori, Enfant dans une rue de Sarajevo, janvier 1993. 110 Séquence 4 - L’autobiographie, quels enjeux? I. Une écriture sur le vif Étudier la langue 1. Grammaire. Relevez les indices qui ancrent ce texte ★ ★ dans la situation d’énonciation : à quel genre appartient ce texte ? ★ 2. Quel est le destinataire de ces textes ? Comment estil nommé et désigné successivement? Comment s’explique son choix final ? À quel écrit vous fait penser la disposition du texte? Quel type de phrase confirme votre réponse? 3. Dans l’extrait du 30 mars, que montrent les points de suspension et la répétition de « je cherche » ? Trouvez un autre exemple dans l’extrait du 29 juin qui souligne l’instantanéité de l’écriture. II. L’expression d’une révolte ➔ ➔ ➔ ➔ ➔ Énoncé ancré, énoncé coupé, p. 384. Les indices d’énonciation, p. 380. Les types de phrase, p. 330. Les procédés de mise en relief, p. 370. Le vocabulaire des sentiments, p. 412. Vocabulaire 9. Quels éléments composent le mot « autobiographie »? Que signifient-ils? Proposez d’autres mots comportant les mêmes éléments puis inventez-en d’autres assortis de définitions. Par exemple, que serait une « autobibliographie »? 4. Grammaire. Quelle phrase est mise en évidence typographiquement dans le deuxième extrait ? Quel type de phrase identifiez-vous? Comparez avec les autres phrases du même type dans le premier extrait : quel sentiment expriment-elles respectivement ? Quelle construction donne de la force à la phrase du deuxième extrait ? 5. Grammaire. a. L. 6-9 de l’extrait 2. Comment Zlata se désigne-t-elle ? Comment sont construites ces phrases ? Quel effet produit la répétition de cette construction ? b. Quelle forme de phrase domine dans ce même passage ? De quoi la guerre a-t-elle privé Zlata ? c. Comment la guerre est-elle désignée? Quelle différence faites-vous entre une « guerre sale » et une « sale guerre » ? Orthographe 10. Après « sans », mettez-vous le singulier ou le pluriel? « Aucun » et « nul » peuvent-ils se mettre au pluriel? Dans quels cas? Donnez des exemples. ★ 6. Vocabulaire. Relevez les verbes qui expriment l’émo- Écriture 11. Reprenez un des souvenirs évoqués dans la BD pages 108-109 et transformez-le en récit dans lequel vous introduirez les réflexions de l’adulte sur l’adolescente. Vous commencerez par « Je me souviens que… » et vous terminerez par « Aujourd’hui ce souvenir m’est cher. » tion. Quel en est le sujet grammatical à la ligne 14 ? Quelle figure de style reconnaissez-vous ici ? Pour conclure 7. Quelle différence faites-vous entre une autobiographie et un journal ? 8. Quelle fonction Zlata assigne-t-elle à son journal ? À retenir L’autobiographie est un récit rétrospectif dans lequel l’auteur-narrateur donne son point de vue sur son propre passé. L’enfance et l’adolescence constituent souvent le point de départ des autobiographies. La mémoire sélectionne des souvenirs que l’écriture transforme en épisodes révélateurs des sentiments de l’auteur. ● Le journal est une forme d’autobiographie au quotidien. Les sentiments exprimés y sont pris sur le vif. Le choix de la typographie, les tournures d’insistance participent à leur mise en évidence. ● Pourquoi se raconter? 111 SS SÉÉÉAAA NNN CCCEEE 1 Pourquoi se raconter ? Lutter contre l’oubli ▲ Mary Cassatt (1845-1926), La Partie de bateau, 1894, huile sur toile, 0,90 x 1,17, Washington, National Gallery. T Albert Cohen (1895-1981) Écrivain suisse d’expression française. Son chef-d’œuvre est le roman Belle du Seigneur (1968). 5 10 15 20 andis qu’un chien hurle dans la nuit, un pauvre chien, mon frère, qui se lamente et dit mon mal, je me souviens insatiablement. C’est moi, bébé, et elle me poudre avec du talc, puis elle me fourre, pour rire, dans une hutte faite de trois oreillers et la jeune mère et son bébé rient beaucoup. Elle est morte. Maintenant, c’est moi à dix ans, je suis malade, et elle me veille toute la nuit, à la lumière de la veilleuse surmontée d’une petite théière où l’infusion reste au chaud, lumière de la veilleuse, lumière de Maman qui somnole auprès de moi, les pieds sur la chaufferette, et moi je gémis pour qu’elle m’embrasse. Maintenant, c’est quelques jours plus tard, je suis convalescent et elle m’a apporté un fouet de réglisse que je lui ai demandé d’aller m’acheter et comme elle a vite couru, docile, toujours prête. Elle est auprès de mon lit, et elle coud tout en respirant sagement, sentencieusement. Moi, je suis parfaitement heureux. Je fais claquer le fouet de réglisse et puis je mange à minuscules coups de dents un PetitBeurre en commençant par les dentelures qui sont plus brunes et c’est meilleur, et puis je joue avec son alliance qu’elle m’a prêtée et que je fais tourner sur une assiette. Bons sourires de Maman rassurante, indulgences de Maman. Elle est morte. Maintenant, je suis guéri et elle me fait, avec des restants de pâte à gâteau, des petits bonshommes qu’elle fera frire pour moi. Elle est morte. Maintenant, c’est la foire. Elle me donne deux sous, je les mets dans le ventre de l’ours en carton et, chic, un chou à la crème sort du ventre ! « Maman, regarde-moi le manger, c’est meilleur quand tu me regardes. » Elle est morte. Albert Cohen, Le Livre de ma mère, Éditions Gallimard, 1954. 112 Séquence 4 - L’autobiographie, quels enjeux? Pour commencer Pour conclure Quel événement de la vie d’Albert Cohen est à l’origine de ce texte ? 8. Pourquoi Albert Cohen écrit-il cette autobiographie ? Sur quel personnage est-elle centrée ? 9. Quels sentiments cherche-t-il à susciter ? I. La ronde des souvenirs 1. À quel moment de la journée Albert Cohen écrit-il ? Relevez les passages qui se réfèrent au moment de l’écriture. 2. Quel mot répété signale le surgissement d’un nouveau souvenir ? Dans quel ordre sont-ils évoqués ? Étudier la langue ➔ L’adverbe, p. 318. ➔ La désignation, p. 404. 3. a. Ces souvenirs surgissent-ils d’eux-mêmes ou sontils convoqués ? Relevez un verbe et un adverbe qui justifient votre réponse. b. Grammaire. Que signifie l’adverbe « insatiablement »? Quelle tonalité donne-t-il à tout le passage ? 10. a. Comment sont formés les adverbes insatiablement, II. Un chant d’amour b. Formez les adverbes à partir de savant, ardent, gentil, ★ Orthographe sagement, sentencieusement? 4. Qui sont les deux personnages évoqués dans ces sou- gai. venirs ? 5. Faites un relevé des souvenirs évoqués. Quels sentiments font-ils revivre ? Quelle phrase clôt chaque évocation ? À quelle réalité et à quel sentiment ramène-t-elle le narrateur ? Quelle comparaison vous l’indique ? ★ ★ 6. Comment l’enfant se comporte-t-il vis-à-vis de sa mère? Comment réagit-elle ? 7. Grammaire. Relevez les expressions qui désignent la mère : quel portrait le narrateur en fait-il ? Exprime-t-il le point de vue de l’enfant ou celui de l’adulte ? ★ Écriture 11. C’est l’hiver, vous êtes triste. Pour vous consoler, vous invoquez des souvenirs de l’été. Comme dans le texte, vous signalerez le surgissement d’un nouveau souvenir par une expression que vous répéterez, vous terminerez chaque évocation par une phrase qui vous rend au présent (le vent froid hurle à mes oreilles, le froid pénètre mon âme…). Vous veillerez dans l’évocation de l’été à rendre compte des sensations agréables et des sentiments associés à cette saison. À retenir Certaines autobiographies ne sont pas centrées seulement sur l’auteur-narrateur ; elles évoquent d’autres personnes (groupes de personnes, famille, quartier…) que l’autobiographie fait revivre. Les personnes évoquées deviennent les personnages du récit. Pourquoi se raconter? 113 SS SÉÉÉAAA NNN CCCEEE 1 Pourquoi se raconter ? Construire son image pour la postérité Le 25 juillet 1830, le roi Charles X promulgua cinq ordonnance dont l’une suspendait la liberté de la presse, ce qui provoqua trois journées d’émeutes (les Trois Glorieuses). Au lendemain de ces journées, Chateaubriand se promène dans Paris 1 avant de se rendre à la Chambre des pairs … François René de Chateaubriand (1768-1848) Écrivain et homme politique français. Il est l’auteur d’une vaste autobiographie, Mémoires d’outre-tombe, commencée en 1809 et poursuivie jusqu’à sa mort. T 5 1. Assemblée législative siégeant au palais du Luxembourg. 2. Octroyée par Louis XVIII en 1814, elle institua le régime de la monarchie constitutionnelle, qui dura jusqu’à la révolution de 1848. 10 15 3. Secrétaire particulier de Chateaubriand. ▲ Portrait de Chateaubriand, XIXe siècle, gravure. out à coup je me sens pressé ; un cri part : « Vive le défenseur de la liberté de la presse! » Mes cheveux m’avaient fait reconnaître. Aussitôt des jeunes gens me saisissent et me disent : « Où allez-vous? nous allons vous porter. » Je ne savais que répondre; je remerciais; je me débattais; je suppliais de me laisser aller. L’heure de la réunion à la Chambre des pairs n’était pas encore arrivée. Les jeunes gens ne cessaient de crier : « Où allez-vous ? où allez-vous ? » Je répondis au hasard : « Eh bien, au Palais-Royal! » Aussitôt j’y suis conduit aux cris de : Vive la Charte2 ! vive la liberté de la presse ! vive Chateaubriand ! Dans la cour des Fontaines, M. Barba, le libraire, sortit de sa maison et vint m’embrasser. Nous arrivons au Palais-Royal; on me bouscule dans un café sous la galerie de bois. Je mourais de chaud. Je réitère à mains jointes ma demande en rémission de ma gloire : point ; toute cette jeunesse refuse de me lâcher. Il y avait dans la foule un homme en veste à manches retroussées, à mains noires, à figure sinistre, aux yeux ardents, tel que j’en avais tant vu au commencement de la révolution : il essayait continuellement de s’approcher de moi, et les jeunes gens le repoussaient toujours. Je n’ai su ni son nom ni ce qu’il me voulait. Il fallut me résoudre à dire enfin que j’allais à la Chambre des pairs. Nous quittâmes le café, les acclamations recommencèrent. Dans la cour du Louvre, diverses espèces de cris se firent entendre : on disait : « Aux 20 Tuileries! aux Tuileries! », les autres : « Vive le premier consul! » et semblaient vouloir me faire l’héritier de Bonaparte républicain. Hyacinthe3, qui m’accompagnait, recevait sa part des poignées de main et des embrassades. Nous traversâmes le pont des Arts et nous prîmes la rue de Seine. On accourait sur notre passage ; on se mettait aux fenêtres. Je 25 souffrais de tant d’honneurs, car on m’arrachait les bras. Un des jeunes gens qui me poussaient par derrière passa tout à coup sa tête entre mes jambes et m’enleva sur ses épaules. Nouvelles acclamations ; on criait aux spectateurs dans la rue et aux fenêtres : « À bas les chapeaux! vive la Charte! » et moi je répliquais : « Oui, 30 messieurs, vive la Charte ! mais vive le Roi ! » On ne répétait pas ce cri, mais il ne provoquait aucune colère. Et voilà comme la partie était perdue ! Tout pouvait encore s’arranger, mais il ne fallait présenter au peuple que des hommes populaires : 35 dans les révolutions, un nom fait plus qu’une armée. Je suppliai tant mes jeunes amis qu’ils me mirent enfin à terre. François René de Chateaubriand, Mémoires d’outretombe (1809-1848), III, livre XXXIII, chapitre 9. Pour commencer Que signifie l’expression « Mémoires d’outre-tombe » ? Qu’en déduisez-vous sur les intentions de Chateaubriand? I. Un récit sur le vif 1. Pour quelle raison Chateaubriand est-il porté en triomphe ? Quelle fonction politique occupe-t-il ? ★ 2. Grammaire. Quels sont les temps de base de ce récit ? Donnez des exemples. 3. a. Grammaire. Quel temps apparaît ligne 3 ? À quel adverbe est-il associé ? b. Quelle est la valeur de ce temps ? Quel effet produit son emploi ? Cherchez d’autres exemples dans le texte. 4. a. Comment la foule se manifeste-t-elle ? Relevez tous ★ les mots qui constituent ce champ lexical . b. Grammaire. Sous quelle forme sont rapportés les propos tenus par la foule ? c. Grammaire. (l. 17-20) À quelle catégorie grammaticale précise appartiennent les mots « on » et « autres » ? Réécrivez la phrase « diverses espèces de cris se firent entendre » en commençant par « on ». Sur quoi la construction du texte met-elle l’accent ? d. Que mettent en évidence ces procédés d’écriture ? 5. Grammaire. (l. 2-3) Quelle est la fonction de « me »? Repérez les autres verbes de mouvement : quels en sont les sujets et compléments ? Quel est l’intérêt de cette construction ? II. Une mise en scène 9. Repérez l’unique portrait : quelle impression s’en dégage ? Que suggère ainsi Chateaubriand ? 10. Quel régime politique défendent les jeunes gens? Que soutient en retour Chateaubriand? Cette opposition créet-elle un antagonisme ? Quelle conclusion en tire Chateaubriand ? Quelle valeur a ce présent ? Pour conclure 11. Quelle image l’auteur donne-t-il de lui-même dans ce récit ? Étudier la langue ➔ ➔ ➔ ➔ Les compléments essentiels, p. 322. Les pronoms, p. 380. La valeur des temps, p. 388. La parole rapportée, p. 408. Vocabulaire 12. L. 13-17. Proposez des expressions synonymes pour ces mots du texte : « une figure sinistre », « des yeux ardents », « se résoudre à ». 13. Quel préfixe reconnaissez-vous dans « acclamations » et « accourir »? Sous quelle autre forme pouvez-vous le trouver? Complétez ces mots en veillant à l’orthographe et proposez ensuite d’autres exemples : …ranger, …location, …signer, …prêter. 6. D’après Chateaubriand, quel détail caractéristique a permis de l’identifier ? Qu’en déduisez-vous de la notoriété de l’auteur ? 7. a. Quels inconforts physiques Chateaubriand subit-il ? b. Quel est le double sens de « Je souffrais de tant d’honneurs » (l. 24-25) ? 8. Chateaubriand donne-t-il l’impression de se prêter au jeu ou de résister ? À quel vocabulaire appartiennent les expressions « réitère à mains jointes », « rémission », « suppliais » ? À quoi est comparé implicitement le cortège ? Écriture 14. Choisissez un personnage historique pour lequel vous éprouvez de l’intérêt ou de la sympathie, rédigez une courte biographie de sa vie puis utilisez-la pour écrire un extrait de ses pseudo-Mémoires qui correspondent à un événement historique marquant. Les mémoires donneront une vision favorable du personnage et insisteront sur l’importance historique de l’événement. À retenir Les Mémoires appartiennent au genre de l’autobiographie. La publication de Mémoires suppose la notoriété de leur auteur et la mise en perspective d’événements dont il a été l’acteur mais qui appartiennent à l’Histoire. ● L’auteur de Mémoires crée une image de lui-même pour la postérité. Les Mémoires sont des écrits précieux pour les historiens qui les confrontent avec d’autres sources. ● Pourquoi se raconter? 115 Le projet autobiographique Que raconter ? Comment ? S SÉ AA NCC E É N E 2 Le dialogue avec l’enfance D 5 10 ▲ Jeunes gens dans le train, 1945. 15 Charles Juliet (né en 1934) Écrivain français. Élevé dans un pensionnat de l’école militaire d’Aix-en-Provence. Auteur de plusieurs recueils de poèmes, il signe également des récits autobiographiques comme L’Année de l’éveil (1989). Il rédige depuis 1950 un Journal en partie publié. 20 25 30 35 40 116 Séquence 4 - L’autobiographie, quels enjeux? ans deux jours tu auras quinze ans. L’avant-veille de la rentrée, tu rends visite au père de la montagne qui est maintenant un paysan et possède quelques vaches. Lors des trois années précédentes, tu as parcouru à pied ces douze kilo5 mètres. […] Tu n’oses entrer dans la grange. Car si tu frappes à la lourde porte de bois, ils ne peuvent t’entendre. Or il te répugne de pénétrer dans cette maison sans pouvoir t’annoncer. Aussi tu restes un long moment avec ta main sur le loquet avant de 10 trouver le courage de pousser la porte. Tu es là debout au milieu de la cuisine, bras ballants, dansant d’un pied sur l’autre. Tu penses à celle qui a vécu là et qui, après en être partie, n’y est jamais revenue. Tu voudrais déguerpir mais tu t’imposes de rester quelques minutes. Le père constate que tu as grandi et te demande si tu travailles bien à ton école. Tu profites de ce qu’il mentionne celle-ci pour expliquer qu’à la caserne vos chambres ne sont pas chauffées, que l’année dernière, tu as touché un pull en fil, à manches courtes, que tu as souffert du froid, et justement… tu venais demander s’il serait possible qu’on t’achète un pull. La femme qui est là répond d’une voix sèche qu’il ne faut pas y penser, qu’ils n’ont pas d’argent à gaspiller. Tu sautes sur ton vélo et te mets à pédaler avec rage, les yeux brouillés de larmes. Comme tu t’engages dans la descente, tu décides que tu ne te serviras pas des freins. Si tu te tues, ce sera la preuve que tu ne méritais pas de vivre. […] Tu descends singulièrement vite. Parvenu à l’endroit qui décidera du verdict, couché sur ton vélo, tu traverses la route pour couper le virage, mais à la sortie, alors que ta vitesse est excessive, tu poursuis tout droit et montes le long du rocher. Le pneu avant éclate, tu es sévèrement secoué, et mains crispées sur les poignées du guidon, tombant à la renverse, tu vois soudain ton vélo au-dessus de toi avec ses roues qui tournent lentement contre le ciel. Vision fort brève qui n’a duré que le temps de ta chute, mais qui s’est gravée en toi, et qui, plus tard, a souvent resurgi. […] Tu expliques à ta famille que tu as voulu imiter les coureurs du Tour de France qui dévalent les cols à tombeau ouvert et tu les rassures en déclarant que tu ne t’aviseras pas de recommencer. Le lendemain, quand tu pars pour ton école avec ta valise en bois, tes brodequins désormais trop petits et qui t’obligent à marcher les pieds en dedans, tu es mal en point, mais tu n’y attaches aucune importance. Tu as l’inestimable satisfaction de te dire que le destin a prouvé qu’il t’accordait le droit de vivre. Charles Juliet, Lambeaux, P.O.L., 1995. Pour commencer Pour conclure Ce texte est-il une autobiographie ? Qu’est-ce qui crée le doute ? 11. Pourquoi ce souvenir est-il fondamental pour le narrateur ? 12. Quels procédés d’écriture contribuent à la mise à I. Des choix d’écriture ★ 1. Quel âge a le narrateur dans l’extrait ? À votre avis, à qui rend-il visite ? Qui sont « la femme qui est là » et « celle qui a vécu là et qui, après en être partie, n’y est jamais revenue » ? 2. Grammaire. Réécrivez le premier paragraphe en remplaçant « tu » par « je » : quelle version vous paraît la plus habituelle ? Quel effet produit ce choix ? Qui est précisément ce « tu » ? En quoi est-il différent du « je » ? 3. Grammaire. Réécrivez de « Tu es là debout » jusqu’à « ton école » en employant le passé simple. Quelles différences voyez-vous entre les deux énoncés ? ★ distance ? Pourquoi est-elle nécessaire pour le narrateur et peut-être aussi pour le lecteur ? Étudier la langue ➔ Les indices d’énonciation, p. 380. ➔ La valeur des temps, p. 388. ➔ La parole rapportée, p. 408. Orthographe 4. Grammaire. Comment est rapporté le dialogue entre le père et le fils? Réécrivez le passage en rapportant directement les paroles : le choix de l’auteur atténue-t-il ou renforce-t-il la violence des propos ? 5. Quelle phrase souligne l’importance de ce souvenir ? 13. Réécrivez la phrase « Tu es là… sur l’autre. » (l. 11-12) en remplaçant « tu » par « vous » : comment avez-vous orthographié « dansant »? Comparez avec « ballants » et rappelez les accords du participe présent. Quel changement de temps vous l’indique ? II. Un souvenir douloureux 6. Quel type d’école fréquente le personnage ? Relevez les informations qui rendent compte de ses conditions de vie. Oral 14. Longtemps désertés, les internats connaissent épreuve? Quels gestes restituent le malaise du narrateur? aujourd’hui un regain de popularité. Quelle est la vie d’un interne ? En avez-vous déjà fait l’expérience ? Quelles peuvent être les difficultés de la vie d’un interne ? Pour quelles raisons opte-t-on pour l’internat ? 8. Quelle demande venait faire le narrateur ? Qui exprime 15. Jouez la scène évoquée dans ce souvenir, vous 7. Quels éléments soulignent que cette visite est une le refus ? 9. a. Quels comportements marquent le désespoir de l’adolescent ? b. Pourquoi l’expression « à tombeau ouvert » est-elle en italiques ? pouvez amplifier les dialogues. Le jeu devra rendre compte de l’indifférence du père, de l’hostilité de la bellemère, de la rage et du désespoir de l’adolescent. 10. En définitive, est-ce l’espoir ou le désespoir qui l’emporte dans ce souvenir ? Justifiez votre réponse en citant le texte. À retenir Enfance et adolescence sont des moments privilégiés dans une autobiographie. Les choix d’écriture (choix des pronoms, choix des temps, choix des façons de rapporter les dialogues…) rendent compte de la volonté d’implication ou de distanciation du narrateur vis-à-vis de ses souvenirs. ● ● Le projet autobiographique. Que raconter? Comment? 117 SS SÉÉÉAAA NNN CCCEEE 21 Le projet autobiographique. Que raconter ? Comment ? Réécrire du passé Miracle Texte intégral L Paul Fournel (né en 1947) Écrivain français. Passionné de vélo, il est l’auteur de nombreux recueils de nouvelles et des romans. 5 10 15 20 25 e vélo commence toujours par un miracle. Pendant des jours on tremble, on hésite, on se dit que jamais on ne se libérera de cette main qui nous guide sous la selle. Mon père et ma mère se relayaient pour me tenir et, sans doute, tel ou tel de mes cousins, celui ou celle dont j’avais hérité le petit vélo. Celui ou celle qui était en charge de mon miracle. On avait ôté les stabilisateurs de la roue arrière et j’empruntais le pré, devant notre baraque, dans le sens de sa pente douce, pour profiter de l’élan. Je cherchais le point magique qui fait tenir debout un attelage qui devrait normalement être couché et je prenais des gamelles (déjà) et je remontais. Et puis, un matin, je n’ai plus entendu le bruit de la course derrière moi, plus le souffle rythmé dans mon dos. Le miracle avait eu lieu. Je faisais du vélo. J’aurais voulu ne plus jamais mettre pied à terre de peur que le miracle ne se reproduise plus. J’exultais. Je fis le tour de la maison, me prouvant ainsi que j’étais capable de prendre quatre virages à droite (pendant quelques semaines j’ai préféré tourner à droite). Je n’avais plus peur de rien. Je passais en bolide le long du bouquet d’orties qui me faisait d’ordinaire si peur et je parcourais sans panique le chemin de longue solitude derrière la maison, pour revenir devant, triomphant mais encore incapable de lever le bras en signe de victoire. De ce miracle, je ne me suis jamais remis. Savoir nager ne m’a pas autrement ému et il n’y a guère que savoir lire qui ait égalé en intensité mon savoir-pédaler. À quelques mois d’intervalle j’appris donc, dans cet ordre, à faire du vélo et à lire. Au Noël de mes cinq ans j’étais un homme fait : je savais mon travail et mon loisir. Paul Fournel, Besoin de vélo, coll. « Points », Éditions du Seuil, 2002. Pour commencer 2. a. Vocabulaire. Quel mot souligne le caractère excep- Écrivez rapidement la liste des trois premiers souvenirs d’enfance qui vous viennent à l’esprit : lesquels avez-vous en commun ? I. Un récit d’enfance tionnel de ce souvenir ? Quelles sensations et quels sentiments y sont associés ? Justifiez par un relevé précis du vocabulaire. b. À quel niveau de langage appartient « gamelles » ? Pourquoi a-t-il été préféré à « chutes » ? 1. Grammaire. Quel souvenir Fournel évoque-t-il? Quel 3. Grammaire. Quelle phrase décrit le caractère marquant âge a-t-il à ce moment-là? À quel endroit du texte commence le récit de ce souvenir? Quels indices grammaticaux vous le montrent? 118 Séquence 4 - L’autobiographie, quels enjeux? ★ du souvenir ? Comment est-elle construite ? De l’image au texte. Quels sentiments exprimés par Paul Fournel retrouvet-on dans ce tableau ? Kitty Arden (fin du XXe siècle), Hertley Wertley, pastel, collection privée. ▲ II. Un regard sur soi 4. À quoi correspondent les passages entre parenthèses ? Quelle époque évoquent-ils ? Relevez dans le cinquième paragraphe un autre exemple. Étudier la langue ➔ Les procédés de mise en relief, p. 370. ➔ La valeur des temps, p. 388. ➔ Le vocabulaire des sentiments, p. 412. 5. Quel autre « miracle » Fournel évoque-t-il ? Pourquoi sont-ils associés ? 6. Grammaire. Qui désigne le « on » du premier paragraphe? Quels adverbes confirment cette interprétation? Pour conclure 7. Quel regard l’adulte porte-t-il sur son passé ? Écriture 8. Racontez à votre tour un apprentissage extraordinaire qui vous a fait franchir une étape. Vous restituerez les émotions, les sensations et le langage de l’enfant auxquels vous mêlerez les commentaires distanciés de l’adolescent que vous êtes aujourd’hui. À retenir L’autobiographie suppose un va-et-vient entre le passé et le présent. Le regard et les commentaires de l’adulte se superposent au vécu de l’enfant, donnant un nouveau sens au souvenir. Choix des temps, niveaux de langage, ponctuation contribuent à rendre ce double niveau perceptible. Le projet autobiographique. Que raconter? Comment? 119 SS SÉÉÉAAA NNN CCCEEE 21 Le projet autobiographique. Que raconter ? Comment ? Dit-on la vérité ? John William Waterhouse (1849-1917), Écho et Narcisse, 1903, huile sur toile, 1,07 x 2,36, Liverpool, Walker Art Gallery. ▲ J Texte 1 Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) Écrivain et philosophe français. Après avoir collaboré à l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, il signe plusieurs textes importants comme Du contrat social (1762). Il est également l’auteur de textes autobiographiques publiés après sa mort (Les Confessions). 5 10 15 20 e forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple et dont l’exécution n’aura point d’imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme ce sera moi. Moi seul. Je sens mon cœur et je connais les hommes. Je ne suis fait comme aucun de ceux que j’ai vus ; j’ose croire n’être fait comme aucun de ceux qui existent. Si je ne vaux pas mieux, au moins je suis autre. Si la nature a bien ou mal fait de briser le moule dans lequel elle m’a jeté, c’est ce dont on ne peut juger qu’après m’avoir lu. Que la trompette du Jugement dernier sonne quand elle voudra; je viendrai, ce livre à la main, me présenter devant le souverain juge. Je dirai hautement : Voilà ce que j’ai fait, ce que j’ai pensé, ce que je fus. J’ai dit le bien et le mal avec la même franchise. Je n’ai rien tu de mauvais, rien ajouté de bon, et s’il m’est arrivé d’employer quelque ornement indifférent, ce n’a jamais été que pour remplir un vide occasionné par mon défaut de mémoire ; j’ai pu supposer vrai ce que je savais avoir pu l’être, jamais ce que je savais être faux. Je me suis montré tel que je fus, méprisable et vil quand je l’ai été, bon, généreux, sublime, quand je l’ai été : j’ai dévoilé mon intérieur tel que tu l’as vu toi-même. Être éternel, rassemble autour de moi l’innombrable foule de mes semblables ; qu’ils écoutent mes confessions, qu’ils gémissent de mes indignités, qu’ils rougissent de mes misères. Que chacun d’eux découvre à son tour son cœur aux pieds de ton trône avec la même sincérité ; et puis qu’un seul te dise, s’il l’ose : Je fus meilleur que cet homme-là. Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions (1782-1789). 120 Séquence 4 - L’autobiographie, quels enjeux? L Texte 2 Groucho Marx (1895-1977) Un des quatre Marx Brothers avec Chico, Harpo et Zeppo. Ensemble, ils furent les vedettes d’une série de films à succès : Monnaie de singe (1931), Soupe au canard (1933), Une nuit à l’opéra (1935), etc. 5 10 15 1. Après sa mort. 2. Ce qui remplace quelque chose ou quelqu’un en moins bien. 20 a vérité, c’est qu’il n’y a souvent pas grande vérité dans les autobiographies. Quatre-vingt-dix pour cent d’entre elles sont à quatre-vingt-dix pour cent fictives. […] Comment diable voulez-vous qu’une autobiographie destinée à des millions de lecteurs soit autre chose qu’une suite de demi-vérités bricolées ? Les pensées intimes qui s’infiltrent dans le cerveau de l’être humain restent enfouies dans ses profondeurs et n’émergent jamais. Aussi loin que je puisse me rappeler, la plupart des événements que je relate ici sont exacts ; mais pour autant, vous ne me connaissez pas mieux maintenant que lorsque vous avez commencé de lire ce récit sans queue ni tête. Sans doute n’y perdez-vous pas grand-chose, et je ne peux que vous en féliciter. Mais ce que je veux dire, c’est que vous n’avez pas la moindre idée de ce qui se passe en mon for intérieur. Souvenez-vous : « Tout homme est un jardin secret. » (Ce n’est peutêtre pas la citation exacte, mais je n’ai pas le temps de m’y attarder. J’attends mon kiné à trois heures et d’ailleurs, je suis à court de papier.) Je suppose qu’il est possible d’écrire ses mémoires avec une parfaite sincérité ; mais si l’on veut jouer la sécurité, il vaut mieux les publier post mortem1. Je crois bien, pour ma part, que je pourrais écrire un livre qui ferait du bruit si je voulais livrer mes pensées profondes sur la vie en général et moi en particulier. Mais que m’apporterait un ouvrage posthume ? Même s’il devenait un bestseller et que le Reader’s Digest en publie plus tard des extraits, ça ne me ferait ni chaud ni froid. Tant qu’on n’aura pas trouvé le moyen de jouir d’un succès posthume, il faudra vous contenter d’un ersatz2 de Groucho. Vous feriez mieux de lire le dictionnaire ou de biner vos plates-bandes. Groucho Marx, Mémoires capitales, Éditions du Seuil, 1985. Pour commencer II. Des projets différents ? Pourquoi Rousseau et Groucho Marx ont-ils écrit ces textes ? 5. Que se proposent de raconter respectivement les deux auteurs ? Quelle limite posent-ils à leur projet ? 6. Quel est le sens du titre « Confessions » ? I. L’engagement vis-à-vis du lecteur 1. Grammaire. À qui s’adresse Rousseau ? Quel pronom et quels noms représentent cet interlocuteur ? De quel engagement est-il le garant ? Relevez dans le texte les termes liés à cet interlocuteur : à quel champ lexical appartiennent-ils ? ★ 2. Grammaire. Qui désigne « vous » dans le texte de Groucho Marx ? Relevez les adresses à ce « vous » : quel conseil donne l’auteur ? Quel ton emploie-t-il ? 3. Les événements rapportés dans les autobiographies sont-ils exacts ? Relevez les termes de modalisation : quelles précautions prennent les auteurs ? 4. Les auteurs s’engagent-ils à la vérité ou à la sincérité ? Précisez la différence entre ces deux mots. Quels sont les obstacles à la vérité ? Quels sentiments Rousseau veut-il susciter chez ses lecteurs ? 7. À quel homonyme célèbre Groucho Marx fait-il allusion dans Mémoires capitales ? Quel autre sens pouvez-vous donner à ce mot ? Relevez le terme par lequel Groucho Marx désigne son autobiographie : comment cette expression est-elle connotée ? Quel est le projet de cette autobiographie ? Pour conclure 8. Quels engagements ces deux auteurs prennent-ils vis★ à-vis de leurs lecteurs ? À quels registres ont-ils recours ? 9. Quelles limites de l’autobiographie mettent-ils en évidence ? Le projet autobiographique. Que raconter? Comment? 121 SS SÉÉÉAAA NNN CCCEEE 21 Le projet autobiographique. Que raconter ? Comment ? Étudier la langue ➔ Les pronoms, p. 380. ➔ Les procédés de reprise, p. 362. Écriture 11. Vous êtes devenu célèbre et vous publiez votre autobiographie. ★ Vocabulaire Rédigez une préface à votre autobiographie. Choisissez votre destinataire et exposez votre projet en précisant le degré de sincérité auquel vous prétendez. 10. Récapitulez les différents synonymes de « sincérité » et cherchez différents antonymes dont vous préciserez les nuances. Oral 12. Jouez le texte de Groucho Marx comme un sketch comique en mettant en évidence la sollicitation du public. À retenir L’écriture autobiographique s’accompagne d’un projet : que va-t-on raconter ? pour qui ? À quel degré de sincérité s’engage-t-on ? Ce projet est souvent énoncé dans le paratexte, préambule, la préface, postface ou dédicace. 122 Séquence 4 - L’autobiographie, quels enjeux? S SÉ AA NCC E É N E 3 L’expression de soi L’écrivain se prend comme personnage J Texte 1 Nina Bouraoui (née en 1967) Écrivain français. Née d’une mère bretonne et d’un père algérien. Elle est l’auteur de sept récits, dont le premier, La Voyeuse interdite, a reçu le prix du Livre Inter en 1991. 1. Spécialiste chargé par un pays industrialisé d’apporter sa contribution au développement économique et culturel d’un autre pays. 5 10 15 e coupe mes cheveux. Je jette mes robes. Je cours vite. Je tombe souvent. Je me relève toujours. Ne pas être algérienne. Ne pas être française. C’est une force contre les autres. Je suis indéfinie. C’est une guerre contre le monde. Je deviens inclassable. Je ne suis pas assez typée. « Tu n’es pas une Arabe comme les autres. » Je suis trop typée. « Tu n’es pas française. » Je n’ai pas peur de moi. Ma force contre la haine. Mon silence est un combat. J’écrirai aussi pour ça. J’écrirai en français en portant un nom arabe. Ce sera une désertion. Mais quel camp devrais-je choisir ? Quelle partie de moi brûler ? […] De mère française. De père algérien. Je sais les odeurs, les sons, les couleurs. C’est une richesse. C’est une pauvreté. Ne pas choisir c’est être dans l’errance. Mon visage algérien. Ma voix française. J’ai l’ombre de ma lumière. Je suis l’une contre l’autre. J’ai deux éléments, agressifs. Deux jalousies qui se dévorent. Au lycée français d’Alger, je suis une arabisante. Certains professeurs nous placent à droite de leur classe. Opposés aux vrais Français. Aux enfants de coopérants1. Le professeur d’arabe nous place à gauche de sa classe. Opposés aux vrais Algériens. La langue arabe ne prend pas sur moi. C’est un glissement. Écrire rapportera cette séparation. Auteur français ? Auteur maghrébin ? Certains choisiront pour moi. Contre moi. Ce sera encore une violence. Nina Bouraoui, Garçon manqué, Éditions Stock, 2000. Alger la Blanche. Le projet autobiographique. Que raconter? Comment? ▲ SS SÉÉÉAAA NNN CCCEEE 31 L’expression de soi Pour commencer 4. Observez la ponctuation : quel rythme de lecture impose-t-elle ? Comment est fabriqué le terme d’« autofiction » ? À votre avis, à quel type de livre s’applique-t-il ? 5. Grammaire. L. 1-4. Quelle tournure syntaxique est I. Recherche d’identité répétée plusieurs fois ? Quelles définitions successives introduit-elle ? Quel adjectif résume cette multiplicité ? 1. a. Le pronom « je » désigne-t-il un garçon ou une fille? Relevez les indices qui le montrent. b. Expliquez le sens propre et le sens figuré de « Je tombe souvent. Je me relève toujours ». 2. a. À quelles cultures appartient la narratrice ? b. Grammaire. Relevez les négations dans le premier Pour conclure 6. Classeriez-vous ce texte dans le genre autobiographique ? Justifiez votre réponse. 7. Quels procédés d’écriture participent à la quête de soi? ★ paragraphe : où se situe l’identité du narrateur ? c. Quelles oppositions de mots ou d’expressions soulignent ce conflit dans les deux paragraphes ? d. Quelles réactions provoquent ce choix ? Quel champ lexical est privilégié ? ★ II. L’exploration de l’écriture 3. Grammaire. Relevez les phrases au futur : quel projet annoncent-elles ? Quelle relation ce texte établit-il entre l’écriture et la recherche d’identité ? Écriture 8. Écrivez un poème en prose dont le titre sera « Tentatives d’autoportrait ». Jouez sur les oppositions, les négations, de façon à mettre en évidence les différentes facettes de votre identité. Étudier la langue ➔ Types et formes de phrase, p. 330. ➔ Phrase simple, phrase complexe, p. 334. ➔ La valeur des temps, p. 380. À retenir Les limites entre l’autobiographie et la fiction sont souvent floues car le projet d’écriture se confond souvent avec la quête de soi. L’auteur choisit la forme autobiographique en fonction de son point de vue sur son propre passé. 124 Séquence 4 - L’autobiographie, quels enjeux? Interview de Nina Bouraoui Vous arrive-t-il d’être surprise par la lecture que l’on fait de vos textes ? Oui, c’est normal, un livre a plusieurs vies. L’acte d’écrire est une gestation, ensuite, quand le livre est fini, il est donné à la lecture de tous, il est mille fois interprété. Ce n’est pas une trahison, le livre appartient au lecteur, qui ramène souvent l’histoire à lui-même. Un livre réussi est un livre qui parle de nous. Éléments biographiques et bibliographiques 1967 : naissance à Rennes et arrivée en Algérie. 1981 : départ d’Algérie. 1991 : La Voyeuse interdite, prix du Livre Inter et prix 1537 de Blois. 1992 : Poing mort. 1996 : Le Bal des murènes. 1998 : L’Âge blessé. 1999 : Le Jour du séisme. 2000 : Garçon manqué. 2002 : La Vie heureuse. C’est peut-être encore plus vrai pour les livres écrits à la première personne ? C’est vrai que j’écris beaucoup sur moi, mais ce n’est pas vraiment de l’autofiction. Tous les auteurs se servent de leur vie, c’est le matériau le plus concret – mais l’acte d’écrire transforme la réalité, on invente sa vie en l’écrivant. Même si je dis « je », même si je parle de lieux que j’ai connus, de gens que j’ai aimés, même si les noms, les faits sont vrais, ce n’est pas seulement de l’autobiographie car l’écrivain dissimule, invente, transforme : les écrivains sont tous des menteurs ! Dans un livre, ce qui compte, c’est partir de ce « je » égocentrique pour aller à l’universel. Par exemple, Garçon manqué n’a pas touché seulement les lecteurs issus de couples mixtes, ce livre parlait quand même d’eux parce qu’il abordait la difficulté d’être un être humain. Cette question de l’identité semble très liée à la problématique de l’écriture… L’écriture a peut-être été le ciment qui manquait. Je suis issue d’un mariage mixte après la guerre d’indépendance, à certains moments je me suis sentie très française, à d’autres très algérienne ; je n’arrivais pas à me dire : mais je suis les deux à la fois ; c’est ce qui m’identifie, ces deux cultures, ces deux religions. Je n’ai jamais eu le sentiment de trahir soit mon père, soit ma mère. Mais c’est vrai que, quand on me demande ma nationalité, j’ai toujours à me justifier. Peut-être que l’écriture a été un moyen de chercher, de rassembler, de comprendre et de me comprendre. Bouraoui, ça signifie « raconter des histoires » – raoui par l’équipe des Éditions Magnard signifie « raconter » en arabe, ce n’est pas un hasard… On m’a souvent demandé : « Êtesvous un écrivain français, un écrivain maghrébin ? » J’écris en français mais je lis l’arabe, c’est une langue ardue qui m’est familière et, tout en écrivant en français, j’ai essayé de restituer la minutie de la calligraphie orientale. Cette double identité, c’est difficile à exprimer, avec les mots, je zoome, j’essaye d’aller au plus près. Vous jouez sur la polysémie, par exemple dans « Écrire rapportera cette séparation », on peut comprendre resserrer ou prolonger… En fait c’est prolonger, mais il y a deux sens, c’est vrai. J’ai joué beaucoup sur la langue et j’ai détourné beaucoup de verbes, par exemple, plutôt que de dire « je connais », je dis souvent « je sais »… J’ai une écriture très nerveuse, très frontale. Quand j’écris un livre, j’ai l’impression de construire quelque chose physiquement, quelque chose qui n’existe pas et que je vais pouvoir modeler comme une sculpture… C’est un engagement, une expérience très sensuelle avec la langue, la grammaire. C’est pour cela que je me permets certaines libertés sur le sens, la ponctuation. Ma ponctuation est souvent déroutante, surtout dans Garçon manqué qui est très haché, presque trop d’ailleurs. À chaque livre, on essaye de faire mieux ou différent, en ce sens l’écriture est un travail artistique, voire artisanal. Est-ce que cela veut dire que les mots sont votre matière que vous modelez en écrivant et en réécrivant ? En fait, je ne réécris pas beaucoup, parce que avant d’écrire un livre je réalise un travail d’échafaudage très minutieux. La structure, l’ossature du livre existe plusieurs mois à l’avance de façon très détaillée : je vois le livre, ses chapitres, ses scènes. Ensuite, l’acte d’écrire est souvent très rapide, presque un affolement, mais très contrôlé, parce que derrière existe une charpente très solide et rassurante. I. L’autobiographie II. Le métier d’écrivain Quelles réponses Nina Bouraoui apporte-elle aux questions « Pourquoi écrit-on, pourquoi lit-on des autobiographies ? » posées dans cette séquence ? Nina Bouraoui revendique-t-elle ses livres comme autobiographiques ? Pourquoi ? Comment Nina Bouraoui conçoit-elle son métier ? Quelles images, quelles comparaisons emploie-t-elle ? Comment travaille-t-elle ? Comment caractérise-t-elle son écriture ? L’expression de soi 125 SS SÉÉÉAAA NNN CCCEEE 31 L’expression de soi Poésie et autobiographie : l’âme mise à nue Notre vie Paul Éluard (1895-1952) Poète français. Lié au mouvement surréaliste, il signe une œuvre animée par le pacifisme et l’engagement pour la justice. 5 Notre vie tu l’as faite elle est ensevelie Aurore d’une ville un beau matin de mai Sur laquelle la terre a refermé son poing Aurore en moi dix-sept années toujours plus claires Et la mort entre en moi comme dans un moulin 10 Notre vie disais-tu si contente de vivre Et de donner la vie à ce que nous aimions Mais la mort a rompu l’équilibre du temps La mort qui vient la mort qui va la mort vécue La mort visible boit et mange à mes dépens 15 Morte visible Nusch invisible et plus dure Que la soif et la faim à mon corps épuisé Masque de neige sur la terre et sous la terre Source des larmes dans la nuit masque d’aveugle Mon passé se dissout je fais place au silence Paul Éluard, Le temps déborde, Seghers, 1947. De l’image au texte. ▲ Écrivez le texte qui pourrait accompagner cet autoportrait de Marcel Duchamp. 126 Séquence 4 - L’autobiographie, quels enjeux? Marcel Duchamp (1887-1968), Autoportrait de profil, 1958, papier déchiré de couleur sur fond noir, 0,143 x 0,125, collection R. Lebel. Pour commencer Pour conclure Êtes-vous émus ou embarrassés par la lecture de ce texte? 10. À votre avis l’écriture de ce poème a-t-elle procuré I. Un événement tragique à son auteur un apaisement ou un accroissement de son chagrin ? 1. À qui s’adresse ce texte? Comment cette personne estelle désignée aux strophes 1 et 3 ? 2. a. À quoi est-elle comparée dans la strophe 1? Relevez 11. Quels sentiments nourrissent ce poème ? Citez quelques-uns des procédés d’écriture qui les rendent perceptibles. ★ dans cette strophe les mots qui filent la métaphore . b. Quels sentiments sont liés à cette évocation ? 3. Quel type de vers est utilisé ? Étudiez le rythme des vers 4 et 5 : quel contraste observez-vous avec le reste du poème ? Justifiez cette particularité. Étudier la langue ➔ Métrique et prosodie, p. 416. ➔ Les figures de style, p. 419. 4. Quelle expression unit les deux personnes dans les strophes 1 et 2 ? Comment est-elle mise en valeur ? 5. Quel vers marque une séparation ? Quel événement ce vers évoque-t-il? Quelle conjonction souligne la rupture? Quel temps est employé ? Cherchez les autres expressions au même temps dans la strophe 1 : qu’a tué la mort ? II. Mettre en mots la douleur 6. a. Sous quels traits est présentée la mort au vers 10 ? Quel vers de la strophe 3 prolonge cette évocation ? b. À quel temps est associée la mort dans les strophes 2 et 3 ? Quelle nouvelle proie la mort convoite-t-elle ? Oral 12. Proposez plusieurs récitations de ce texte : une lecture-confidence au lecteur, une lettre adressée à Nusch, un acte d’accusation à la mort. Essayez, en plus du travail sur la voix, de penser à votre placement dans l’espace par rapport à vos auditeurs et à votre attitude corporelle (recroquevillé, debout face au ciel…). Vous devez apprendre le texte par cœur. ★ 7. Relevez le champ lexical du « visible » et son opposé : à qui s’appliquent-ils respectivement ? 8. Aux vers 13 et 15, observez la construction et étudiez le rythme : qui désignent « masque de neige » et « masque d’aveugle » ? Où sont placées respectivement ces deux expressions ? Quelle réunion effectue ces deux vers ? Quel rythme commun les associe ? 9. Expliquez l’expression « Mon passé se dissout ». À retenir La poésie peut avoir une inspiration autobiographique, exposer des événements personnels et dévoiler des sentiments intimes. Cette poésie, centrée sur l’expression des sentiments personnels, s’appelle la poésie lyrique. L’expression de soi 127 L ECTURE D ’ IMAGE Se représenter par la peinture ▲ Frida Kahlo (1907-1954), Autoportrait à la frontière entre le Mexique et les États-Unis, 1932, huile sur métal, 0,31 x 0,35, New York, collection Manuel Reyero. ▲ « Je me peins parce que je passe beaucoup de temps seule et parce que je suis le motif que je connais le mieux. » 128 Séquence 4 - L’autobiographie, quels enjeux? Frida Kahlo, New York, 30 mars 1939. I. L’autoportrait : un genre pictural II. L’autoportrait : un univers mental 1. Quelles impressions produit sur vous ce tableau ? 2. Quels éléments composent le mot « autoportrait » ? 6. Comment Frida est-elle vêtue ? Comment interprétez- Que signifient-ils ? 7. Où s’est-elle placée sur sa toile ? Quelles sont les deux 3. Quelle invention a permis le développement de l’autoportrait en peinture ? parties distinctes qui composent son œuvre ? Quel lien pouvez-vous établir avec le titre ? 4. Comparez l’autoportrait à la photographie : comment 8. Observez attentivement cet autoportrait et complé- peut-on expliquer les ressemblances et les différences ? tez le tableau ci-dessous : 5. a. D’après vous Frida Kahlo est-elle le seul sujet du tableau ? Justifiez votre réponse. b. Quel type de plan a-t-elle choisi pour se représenter ? Quel lien pouvez-vous établir entre vos deux réponses ? vous ce choix ? Partie Partie . . . . . . . . . . Drapeaux Créations humaines Cieux Sols Personnages Couleurs 9. Quels sentiments éprouve Frida pour chaque monde Frida Kahlo naît le 6 juillet 1907 à Coyoacán, dans les faubourgs de Mexico. Le 17 septembre 1925, un accident de la circulation la cloue sur un lit d’hôpital pour de longs mois. « Pour échapper à l’ennui et à la douleur, elle se mit à peindre », écrit sa biographe Andrea Kettenmann. Sa mère lui fait faire un chevalet et elle emprunte les couleurs à l’huile de son père. « Le lit fut en outre recouvert d’un baldaquin sous lequel on plaça un miroir sur toute la longueur, de sorte qu’elle pouvait se voir et se servir de modèle. Ce fut le début des nombreux autoportraits qui prédominent dans l’œuvre de Frida Kahlo… » (A. Kettenmann, Kahlo, Taschen, 2000, p. 18). En 1930, fuyant la répression politique du gouvernement mexicain, elle s’installe aux États-Unis avec son mari, le peintre Diego Rivera. C’est à Detroit, en 1932, qu’elle peint cet autoportrait. Nostalgique du Mexique, elle y retourne dès 1933. représenté ? Sur quoi Frida Kahlo est-elle juchée ? 10. D’après vous, cet autoportrait a-t-il pour but : – de fixer un moment de son histoire personnelle ? – de montrer son point de vue sur deux mondes opposés ? – de donner une certaine image d’elle-même ? Justifiez vos réponses. 11. Qu’est-ce qui, dans cette scène, relève du réel et qu’est-ce qui relève du fantastique ? 12. D’après vous, à qui Frida s’adresse-t-elle dans ce tableau ? En quoi peut-il concerner celui ou celle qui le regarde ? Pour conclure 13. Que peut apporter un autoportrait de ce genre ? L’apport est-il le même qu’un autoportrait littéraire ? 14. Peut-on dire de cet autoportrait peint qu’il est un récit rétrospectif qui suppose un va-et-vient entre passé et présent ? Justifiez votre réponse. Petit lexique Genre pictural : ensemble d’œuvres peintes qui possèdent des caractéristiques communes (paysages, portraits, nus…). Portrait en buste : portrait d’une personne « coupée » à la taille (« plan taille » au cinéma). Portrait en pied : portrait d’une personne en entier (« plan moyen » au cinéma). Composition : façon d’organiser les différents éléments d’une image les uns par rapport aux autres. Lecture d’image 129 PARCOURS D’ écrit Raconter un souvenir d’enfance Objectifs • Écrire un récit autobiographique • Décrire D Hervé Guibert (1955-1991) Écrivain français. Ses textes sont hantés par sa fascination pour la mort. Il a consacré une trilogie au sida, maladie dont il était atteint. Il a également écrit pour le cinéma. 5 10 ans le berceau puis dans le lit je me retrouve enlacé à un grand chiffon de laine blanche souillée et pelucheuse, […] c’est mon burnous, avec mes gencives, j’ai défait ses coutures, il me ceint, je m’en enveloppe, […] j’aime y étouffer dans son odeur de pelote et de bouillie, je le dévore, il part en charpie, plus il s’abîme plus je l’aime, plus je m’y accroche, je hurle quand on veut me le retirer en me présentant un burnous neuf puant de propreté, […] un matin je m’éveille affreusement nu, la peau retournée opérée de sa peau, je ne hurle plus, je suis grave, j’ai peut-être deviné qu’il est passé au vide-ordures, qu’on l’a jeté en boule du sixième étage sur les rognures de bouffe et les sacs de poussière éclatés des aspirateurs. Hervé Guibert, Mes parents, Éditions Gallimard, 1986. ▲ Otto Van Rees (1884-1957), Portrait d’Aditya, 1909, huile sur toile, La Haye, Gemeentemuseum. 130 Séquence 4 - L’autobiographie, quels enjeux? Comme tous les enfants, vous avez élu un objet qui vous suivait partout et qui était votre « doudou ». Rendez hommage à ce compagnon de vos premiers jours. Décrivez votre doudou comme un compagnon, évoquez des souvenirs qui lui sont liés et terminez en racontant comment vous vous en êtes détaché. I. Lire le texte VI. Ordre de narration Quel objet Guibert évoque-t-il ? À quelle période de sa vie est-il associé ? Comment est-il décrit ? Quels comportements marquent l’attachement du narrateur ? Comment sa disparition est-elle ressentie ? La consigne vous suggère une progression, mais vous pouvez en préférer une autre : commencer par la séparation et remonter le temps, commencer par le souvenir le plus marquant et poursuivre par la description. II. Décrire VII. Mettre en page Préparez la description de l’objet tel que vous le considériez petit : vous évoquerez taille, texture, forme, odeur, couleur… Vérifiez particulièrement les accords des adjectifs, les accords du participe (passé composé) ou la conjugaison du passé simple. Vous veillerez à la caractérisation objective et subjective de façon à rendre compte de vos sentiments pour cet objet. Recopiez en veillant à marquer clairement le début de vos paragraphes et lisez votre texte à haute voix à plusieurs reprises pour affiner la syntaxe et la ponctuation qui donne du rythme à votre texte. Vous pourrez employer comparaisons et métaphores. Si vous possédez une photographie de vous et de l’objet, illustrez votre texte. III. Faire revivre le passé : des choix d’écriture Évoquez deux ou trois souvenirs que cet objet peut faire resurgir : un gros chagrin d’enfant, l’oubli ou la perte de cet objet, un jeu où il figure un personnage… IV. Tenir compte du lecteur Choisissez l’effet que vous voulez produire sur votre lecteur : l’amuser, l’émouvoir, l’indigner, et mettez en œuvre des procédés d’écriture adaptés : interpellation du lecteur, exagération, accumulation. V. Implication ou distanciation Vous dissocierez dans ce récit les sentiments de l’enfant et ceux de l’adolescent que vous êtes. Vous veillerez à la répartition entre le temps de l’écriture et celui des souvenirs évoqués. Par ailleurs, vous pouvez soit vous impliquer dans le récit comme si cette période était très présente (écriture en « je », précision des détails, vocabulaire de l’affectif, utilisation du passé composé) ou, au contraire, mettre à distance ces souvenirs lointains (modalisateurs, désignations de l’enfant sous forme de groupe nominal, narration en « tu » au lieu de « je », dialogue avec vousmême, utilisation du passé simple). Parcours d’écrit 131 C AP SUR LE BREVET J Romain Gary (1914-1980) Romancier français d’origine russe. Son œuvre est marquée par un humanisme sincère. Sous le pseudonyme d’Émile Ajar, il signa également trois romans à caractère burlesque dont La Vie devant soi (1975). 5 10 1. Parole violente. 2. Paysans russes. 3. Adjudants dans l’armée allemande. 15 20 25 4. Grande plaine sèche et dépourvue de végétation. 30 35 e dois dire que ma mère avait au plus haut degré le don de l’invective1. […] Il suffisait d’un rien pour que cette dame distinguée aux cheveux blancs, qui inspirait une telle confiance aux acheteurs des « bijoux de famille », se mît soudain à évoquer, devant son auditoire sidéré, toute la Sainte Russie des palefreniers ivres, des moujiks2 et des feldvebels3 ; elle possédait incontestablement un grand talent de reconstitution historique, par la voix et le geste, et ces scènes semblaient bien prouver qu’elle avait vraiment été, dans sa jeunesse, la grande artiste dramatique qu’elle prétendait avoir été. Je ne suis cependant jamais parvenu à élucider ce dernier point entièrement. J’ai toujours su, bien entendu, que ma mère avait été « artiste dramatique » – avec quel accent de fierté, elle avait, toute sa vie, prononcé ces mots ! – et je me revois encore à ses côtés, à l’âge de cinq, six ans, dans les solitudes enneigées où nous errions au hasard de ses tournées théâtrales, dans les traîneaux aux clochettes tristes qui nous ramenaient de quelque usine glacée, où elle venait de « donner du Tchékov » devant les ouvriers d’un Soviet local, ou de quelque caserne, où elle avait « dit des poèmes » devant les soldats et les matelots de la Révolution. Je me retrouve aussi sans peine dans sa petite loge de théâtre, à Moscou, assis par terre, en train de jouer avec des bouts d’étoffe multicolores, que j’essayais d’assortir harmonieusement : mon premier effort d’expression artistique. Je me souviens même du nom de la pièce qu’elle interprétait alors : Le Chien du jardinier. Mes premiers souvenirs d’enfant sont un décor de théâtre, une délicieuse odeur de bois et de peinture, une scène vide, où je m’aventure prudemment dans une fausse forêt et me fige de terreur en découvrant soudain devant moi une salle immense, béante et noire; je revois encore des visages grimés, étrangement beiges, aux yeux cerclés de blanc et de noir, qui se penchent sur moi et me sourient; […] je me souviens encore d’un matelot soviétique qui me soulève et m’installe sur ses épaules, pour me permettre de voir ma mère interprétant le personnage de Rosa, dans Le Naufrage de l’espoir. Je savais aussi qu’elle était fille d’un horloger juif de la steppe4 russe, de Koursk, plus précisément ; qu’elle avait été très belle, qu’elle avait quitté sa famille à l’âge de seize ans ; qu’elle avait été mariée, divorcée, remariée, divorcée encore – et tout le reste, pour moi, était une joue contre la mienne, une voix mélodieuse, qui murmurait, parlait, chantait, riait – un rire insouciant, d’une gaieté étonnante, que je guette, j’attends, je cherche en vain, depuis, autour de moi ; un parfum de muguet, une chevelure sombre qui coule à flots sur mon visage et, murmurées à l’oreille, des histoires étranges d’un pays qui, un jour, allait être le mien. Romain Gary, La Promesse de l’aube, Éditions Gallimard, 1960. ★ Questions 2. Dans quel pays le narrateur a-t-il vécu dans son I. Un récit autobiographique ★ 1. À quelle personne est rédigé ce récit ? À quel temps est associé ce pronom ? Justifiez l’emploi de ce temps. 132 Séquence 4 - L’autobiographie, quels enjeux? enfance ? D’après la biographie, à quel pays correspond « un pays qui, un jour, allait être le mien » ? 3. Quel âge avait le narrateur lorsque sa mère était actrice? Quels temps dominants sont employés de la ligne 12 à 21 pour le récit de cette époque ? Quel autre temps identifiez-vous à partir de la ligne 26? Quelle est la valeur de ce temps ? Quel effet son emploi produit-il ? III. La nostalgie 4. Quelles scènes successives le narrateur évoque-t-il ? l’écriture de ce récit ? Comment sont-elles liées les unes aux autres ? Quels adverbes les introduisent ? Que souligne leur emploi ? 5. Quelles sensations la mémoire du narrateur retrouvet-elle ? Pourquoi ces souvenirs sont-ils importants ? Quelle expression l’indique ? 11. La mère est-elle en vie ou décédée au moment de 12. Quel trait de caractère de la mère le texte met-il en évidence ? Quels comportements traduisent ce caractère? 13. Pour quelles raisons Romain Gary écrit-il ce texte ? Sur quel personnage est-il centré? Quels sentiments lient le narrateur et sa mère ? II. Le portrait d’une mère 6. Quel personnage est au centre de ce récit? À quels âges successifs est-il évoqué ? 7. Quelles informations avérées le narrateur possèdet-il sur ce personnage ? Par quoi sont-elles attestées ? Quels termes soulignent cette certitude ? Réécriture Réécrivez de « Mes premiers souvenirs d’enfant » à « Le Naufrage de l’espoir. » en remplaçant les présents par les temps du passé qui conviennent. 8. Quel mystère, quelles incertitudes sont liées à ce personnage ? Quels termes l’indiquent ? 9. Repérez les expressions entre guillemets : qui prononce ces paroles ? Pourquoi le narrateur a-t-il fait le choix de citer ? 10. Par quel synonyme pourriez-vous remplacer « artiste dramatique » ? Quel est le terme le plus valorisant ? Quel mot du texte confirme votre réponse ? Rédaction Rédigez le portrait d’une personne aimée, crainte ou détestée de votre petite enfance. Vous associerez à ces souvenirs des sensations. Vous évoquerez, comme dans le texte, plusieurs souvenirs auxquels le personnage donnera une unité. Les sentiments liés à la personne décrite apparaîtront dans le vocabulaire évaluatif. Méthode Lire et analyser le sujet de rédaction 1. Le sujet de rédaction est en relation avec le texte : – soit par le thème (raconter une aventure semblable), – soit par le type d’écrit à produire (récit autobiographique, lettre). Vous pouvez réinvestir des procédés d’écriture mais sans reprendre des parties de phrases ou de texte. 2. Le sujet est donné en deux parties : ● La partie sujet proprement dite qui répond à la question : que faut-il écrire ? de quoi faut-il parler ? Le sujet peut être donné : – sous forme injonctive N Imaginez une suite à ce texte. – sous forme de question N Pour quelles raisons peut-on aimer la corrida ? Il précise le type d’écrit attendu (lettre, article de journal, dialogue, récit de fiction, essai) et, de façon implicite (Justifiez votre point de vue = discours argumentatif) ou explicite (Racontez = discours narratif), le ou les type(s) de discours à mettre en œuvre : narratif, descriptif, argumentatif, explicatif. Les consignes rédigées au futur injonctif précisent quelques-unes des contraintes d’écriture : – la longueur moyenne requise, – la situation d’énonciation… ou des critères d’évaluation : – en développant les sensations et les sentiments (vocabulaire), – la correction de la langue. ● 3. Vous avez tout intérêt, avant de vous lancer dans la rédaction, à refaire la liste précise des contraintes d’écriture de façon à vérifier en cours de route que votre texte répond aux attentes exprimées. Cap sur le brevet 133 B ILAN DE SÉQUENCE SYNTHÈSE LE PACTE AUTOBIOGRAPHIQUE – L’autobiographie est un récit rétrospectif à la première personne dans lequel auteur, narrateur et personnage renvoient au même référent. – Ce pacte se lit dans l’usage du nom de l’auteur dans le texte, mais aussi dans le paratexte (titre, dédicace , préambule , postface ). ★ ★ ★ ★ La confrontation de deux époques Le texte autobiographique confronte le regard de l’adulte (moment de l’énonciation, de l’écriture) et la vie de l’enfant (moment de l’histoire). Pour marquer la distance entre l’enfant et l’adulte, l’auteur peut choisir : – d’employer d’autres pronoms que « je, tu, il », – de se désigner par des dénominations (« l’enfant »), – de privilégier le passé simple par rapport au passé composé, – de multiplier les marques d’incertitude (verbes, adverbes de modalisation), – d’exhiber les lacunes, de superposer plusieurs versions du même événement. Les enjeux de l’autobiographie L’autobiographie privilégie les souvenirs d’enfance fondateurs. L’écriture transforme ces événements en épisodes de récits. Diverses motivations se mêlent : – le désir de faire revivre des êtres et des moments perdus, – la volonté de se connaître, – le besoin de se justifier, – la nécessité de témoigner. L’expression de soi Journaux, carnets n’appartiennent qu’en partie au genre autobiographique car ils ne sont pas rétrospectifs. De même, certains auteurs s’inspirent de leur vie pour nourrir leurs récits et leurs romans. Enfin, la poésie peut mettre en mots l’intimité et se faire l’écho d’événements personnels en privilégiant l’expression des sentiments, c’est la poésie lyrique. Et le lecteur ? L’autobiographie permet de pénétrer dans l’intimité des hommes et elle intéresse les lecteurs pour l’universalité des expériences décrites. Le lecteur y cherche aussi des témoignages d’autres vies pour élargir sa connaissance de l’homme. 134 Séquence 4 - L’autobiographie, quels enjeux? LECTURES C O U P S D E C OE U R Marcel Proust, adaptation de Stéphane Heuet, À la recherche du temps perdu, Combray, Guy Delcourt productions, 1998. Azouz Begag, Le Gone du Chaâba, Éditions du Seuil, 1998, coll. Points-Virgule (nouvelle série), 2001. Misha Defonseca, Survivre avec les loups, Pocket, 1999. L’intégrale, tomes Art Spiegelman, Maus 990. 1 et 2, Flammarion, 1973-1 Jean-Pierre Guéno, Paroles d’étoiles, Mémoire d’enfants cachés 1939-1945, J’ai Lu, 2002. William Camus, Mémoires d’un sauvage, Pocket jeunesse, département Univers de Poche, 2000. Lectures coups de cœur 135