Je pense que beaucoup d`entre nous sommes déjà allés à Chartres
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Je pense que beaucoup d`entre nous sommes déjà allés à Chartres
Je pense que beaucoup d’entre nous sommes déjà allés à Chartres, et peut-être avons-nous remarqué dans la cathédrale, au dessus des portails occidentaux la merveilleuse représentation, en vitrail, de l’arbre de Jessé. On y voit jaillissant du sein, ventre ou sexe, de Jessé le père de David, endormi et peut-être même mort un puissant rameau, portant sur ses branches luxuriantes et vigoureuses une succession de rois et de prophètes, et tout en haut, telle une efflorescence aussi inattendue que merveilleuse, la Vierge Marie portant l’Enfant Jésus. Miraculeuse efflorescence de la vieille souche de Jessé que Dieu a fait fleurir du double joyau de l’Immaculée et du Verbe fait chair. « En ce jour-là, un rameau sortira de la souche de Jessé, père de David, un rejeton jaillira de ses racines. » L’image, la vieille image médiévale reprend la prophétie d’Isaïe que nous avons entendue, elle la reprend avec toute la vigueur entraperçue par le prophète : « Ce jour-là, la racine de Jessé sera dressée comme un étendard pour les peuples, » Elle la reprend avec la merveilleuse évocation des dons de l’Esprit, signifiés dans la verrière par sept petites colombes qui auréolent le Christ au sommet du rameau de Jessé, lumières venues de plus loin, de plus haut, de plus profond que la profondeur même de ce beau bleu duquel se détache la scène, bleu nuit, bleu de la nuit de l’attente, de la longue nuit de la longue attente du peuple juif, soutenue par la vigilance de ses grands prophètes. « Sur lui reposera l’esprit du Seigneur : esprit de sagesse et de discernement, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et de crainte du Seigneur. » Le Moyen Age avait tout compris, disait un autre amoureux de Chartres, le grand Péguy. Oui le Moyen Age avait compris que cette longue, cette puissante attente ne serait comblée que par la venue de l’Emmanuel, le plus beau des Enfants des hommes. Il avait compris, que seul le Christ, le premier-né d’entre les morts pouvait redonner vie à la vieille souche, morte, de Jessé. Et de fait, à Chartres, Jessé dort, du profond, du grand sommeil des justes, mais probablement aussi du sommeil de la mort. Et c’est du tombeau de Jessé que surgit le rameau puissant qui s’épanouit dans la figure de la Vierge Mère : « Et voici que la Vierge enfantera un fils », comme l’avait entrevu le même Isaïe. Merveilleuse image qui rassemble en une unique fulgurance la longue, la très longue attente d’Israël, soutenue par les prophètes, et ce qu’on appellera le mystère de l’Incarnation, mais enraciné dans l’autre grand mystère, central, de la foi chrétienne, le mystère de la Pâque du Christ, Pâque capable de faire surgir la foi de la corruption du tombeau, Pâque qui se donne aux frères et sœurs de Jésus par la grâce de l’Esprit. Mais ce que cette image, une image d’avent, mais d’un avent qui ne se réduit pas à une attente un peu courte, voire mièvre, de Noël, un avent réinséré dans le Mystère avec un grand M, c’est-à-dire le Mystère d’un Dieu qui dit et se donne dans le Mystère du Christ, annoncé par les prophètes, espéré par tout un peuple, né de la Vierge Marie, mort et ressuscité pour nous, at à l’Esprit duquel nous avons part, jusqu’à son retour, ce que cette image laisse peut-être de côté de la vision d’Isaïe, c’est la paix, la grande paix entrevue et promise par le prophète, ou plutôt par Dieu par le ministère du prophète. Réécoutons ce texte magnifique qui annonce à la fois la fin de toute violence « Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau, le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira. La vache et l’ourse auront même pâture, leurs petits auront même gîte. Le lion, comme le bœuf, mangera du fourrage. Le nourrisson s’amusera sur le nid du cobra ; sur le trou de la vipère, l’enfant étendra la main. » Et en même temps une proximité définitive et totale entre Dieu et son peuple, le Tout Autre qui est désormais connu, et aimé par son peuple : « Car la connaissance du Seigneur remplira le pays comme les eaux recouvrent le fond de la mer. » Celui dont Isaïe annonce la venue, celui qui est venu à Noël, c’est bien le Prince de la Paix. Ces temps que nous vivons, entre la venue du Christ dans l’humilité de la chair et son retour dans la gloire, sont les temps de la paix, du grand Shalom annoncé par tous les prophètes. Un temps de cessation de toutes les violences, le temps d’une création réconciliée, apaisée. Isaïe voit loin, ou plutôt profond car évidemment nous n’y sommes pas encore dans cette création réconciliée. Saint François a bien réconcilié le loup de Gubbio, en écho direct à la prophétie d’Isaïe, la violence animale est longtemps restée le paradigme de toute violence, mais les hommes sont avec leurs semblables souvent plus cruels que le terrible loup de Gubbio, à Alep, à Mossoul, à Sanaa, mais aussi parfois dans nos quartiers voire nos familles...Alors Isaïe se serait-il trompé ? Ou alors ce temps entraperçu serait-il à projeter dans un futur aussi lointain qu’hypothétique ? Je ne pense pas car un prophète, et Isaïe est un grand, un très grand prophète, ne voit pas seulement plus loin, mais il voit plus profond, il n’en reste pas à la surface des choses. Si vraiment nous prenons au sérieux le fait que nous y sommes, depuis Pâques, dans ces temps qui sont les derniers, alors la prophétie du vieil Isaïe doit avoir une vraie actualité. Elle nous invite probablement à regarder les multiples souches mortes voire pourries de nos communautés, de nos sociétés, de nos familles avec le regard de Dieu, comme l’a fait Isaïe face à la souche moribonde de la dynastie davidique, défaite, déportée, démoralisée. Et ainsi nous saurons discerner les multiples signes, les multiples ferments de paix à l’œuvre dans le monde. Plus discrets que les fureurs des conflits et des divisions mais bien réels. Elle nous invite à regarder le monde dans sa réalité profonde qui est celle d’un monde inoculé, au plus intime de lui-même par la puissance de résurrection à l’œuvre depuis que le Prince de la Paix a vaincu la mort et la violence. « Convertissez-vous car le Royaume des cieux est tout proche » Oui depuis que le Verbe de Dieu s’est approché, depuis qu’Il a pris chair de notre chair, depuis que l’éternel est entré dans notre temps, le Royaume des cieux est tout proche, accessible, intérieur à notre cœur, intérieur à notre histoire. Et l’appel de Jean résonne comme un appel à nous conformer à l’œuvre de l’Esprit qui nous précède, plus intérieur à nous que nous-mêmes. La paix nous est confiée, notre chair, notre histoire porte désormais en son sein un principe de paix, et si nous sommes appelés à nous convertir, c’est pour mettre toute notre intelligence, toute notre force, tout notre amour à la faire grandir, là où nous sommes, jusqu’à ce qu’elle remplisse tout, mieux que l’eau ne couvre le fond des mers. Oui chers amis, chers frères et sœurs, la liturgie nous dit que la paix est possible, qu’elle est voulue et bénie par Dieu, et en même temps qu’elle ne se fera pas malgré nous et encore moins contre nous. Que chacun de nous trouve dans la contemplation du Prince de la Paix qui vient les raisons et la force de porter la paix, de construire la paix, là où il se trouve. Amen !