Compte rendu

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Compte rendu
La modification du modèle économique des projets de
spectacle a-t-elle une action sur la diversité artistique ?
Table ronde organisée par le CNV dans le cadre des Trans Musicales de
Rennes, le vendredi 2 décembre 2011 de 11h à 13h, Maison des associations
Le désengagement de certains partenaires, ou l’investissement croissant d’autres, ont très clairement
modifié au sein du spectacle vivant la structure des financements voire des dépenses.
Ces modifications ont-elles également eu des conséquences sur les lignes éditoriales des diffuseurs, sur
l’existence de certains projets voire sur leur nature ou leur ambition artistiques ? En d’autres mots, ces
évolutions financières ont-elles eu un impact sur la diversité au sein du secteur ?
Intervenants :
Cyrille GOHAUD, Le Pannonica, Vice-président de la Fédération des Scènes de Jazz (FSJ)
Pierre-Pascal HOUDEBINE, Furax
Bastien LALLEMANT, Artiste
Joran LE CORRE, Wart / Panoramas
Guy MARSEGUERRA, Vérone Production, Président du CNV
Jacques RENARD, Directeur du CNV
Frédéric ROBBE, L'Astrolabe, Vice-président de la Fédurok
Paul-Henri WAUTERS, Le Botanique / Les Nuits Botaniques, Co-président de la fédération De Concert !
Débat modéré par Véronique MORTAIGNE, Responsable musiques actuelles du journal Le Monde
Présentation des intervenants
Cyrille GOHAUD, Le Pannonica, Vice-président de la Fédération des Scènes de Jazz (FSJ)
Cyrille Gohaud est directeur et programmateur du Pannonica (Association Nantes Jazz Action), scène
nantaise de jazz actuel et de musiques improvisées. Le Pannonica propose une dizaine de concerts par
mois, d’artistes français principalement mais aussi internationaux, en petite ou en grande formation, de
forte notoriété comme de découvertes (Médéric Collignon, Jean-Philippe Viret, Anne Paceo, The Bad Plus,
Youn Sun Nah Duo, Ping Machine, Q…). Il développe aussi de nombreuses actions culturelles et co-produit
plusieurs projets par an. Il est membre fondateur de la Fédération des scènes de jazz et de musiques
improvisées (FSJ) qui comprend aujourd’hui 29 adhérents, avec des scènes réparties sur toute la France,
dont les jauges sont toutes inférieures à 250 places. Le Pannonica est adhérent du Syndicat des Musiques
Actuelles (SMA). www.pannonica.com
Bastien LALLEMANT, Artiste
Auteur-compositeur-interprète originaire de Dijon, Bastien Lallemant a débuté sa carrière de chanteur en
solo au début des années 2000. Après deux albums chez Tôt ou Tard, il a autoproduit son troisième album
« Le Verger » en 2010 (L’autre Distribution) grâce au soutien du studio Acousti, de Quai de Scène et de la
Ville de Dijon (tournée : Zamora Production). La Vapeur qui suit, tout comme l'Astrolabe à Orléans, le
parcours de l'artiste depuis ses débuts, a accueilli Bastien Lallemant pour une résidence en 2010 soutenue
par la commission Résidences musiques actuelles géré par le CNV. Il propose différents formats de
concerts, duo ou quartet… dans différents types de lieux. Il propose aussi les siestes acoustiques,
notamment à La Loge (Paris) et fait partie du Dahu collectif avec Albin de La Simone, JP Nataf, Bertrand
Belin, Holden ou Pascal Parisot… « affaire d'amitié et de musique » proposée récemment au public au 104
(Paris) ou aux Rockomotives (Vendôme). http://bastienlallemant.fr/
Joran LE CORRE, Wart / Panoramas
Joran Le Corre est tourneur/booker de Wart et programmateur du festival Panoramas ainsi que du Club
Coatelan. L’association Wart, créée en 1997 et basée à Morlaix, propose booking, management et
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Pierre-Pascal HOUDEBINE, Furax
Pierre-Pascal Houdebine est directeur de Furax, société de production de spectacles basée à Paris, qui
produit, booke et promotionne des spectacles français et internationaux d’esthétiques variées : Jaqee,
Zenzile, Emily Loizeau, C2C, Nneka, Ben Mazué, Hocus Pocus, Oldelaf… « D'abord issue du monde associatif
et créé en 1992, basé à Paris, Furax est devenu producteur de spectacles en 1999. Dès le départ l'ouverture
musicale et la diversité ont été les maîtres mots. ». Furax est adhérent du Prodiss. Pierre-Pascal Houdebine
est membre de la commission « Activité des salles de spectacles » du CNV. www.furax.fr
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production (artistes d’esthétiques et de notoriété diverses tels que : Mansfield Tya, Mesparrow, Curry &
Coco, Christine, Sexy Sushi, Naïve New Beaters, Rodolphe Burger…). Wart organise également Panoramas,
festival de musiques amplifiées de taille moyenne (environ 20 000 spectateurs), qui se déroule depuis 1998
au printemps à Morlaix. Le festival réunit têtes d’affiche, jeunes talents et artistes locaux pour une
cinquantaine de concerts. Le Club Coatelan propose lui des concerts de musiques actuelles tels : Justice,
Giédré, Moriarty, Agoria, Mister Valaire, Elisa Do Brasil… Wart est adhérent du Prodiss et fait partie de la
fédération De Concert ! www.wartiste.com/festivalpanoramas/
Guy MARSEGUERRA, Vérone Productions, Président du CNV
Originaire de la région Nord-Pas-de-Calais, Guy Marseguerra crée en 1979 l’association « Sous les Terrils la
Plage » et organise ses premiers spectacles : Ange, Léo Ferré, Pierre Desproges. Il dirige ensuite les
tournées d’artistes phares de la variété française tels que : Eddy Mitchell, Michel Jonasz, Johnny Hallyday,
Henri Salvador… En 1989, il monte Vérone Productions, société de production (Les Mauvaises Langues) et
de promotion (principalement) de concerts. Il devient en 1993 directeur de la salle de musiques actuelles Le
Splendid à Lille puis crée les sociétés Verone Music et Mafleure Editions, respectivement sociétés de
production phonographique et accompagnement d’artistes et de gestion éditoriale. Depuis 2004, il est
aussi directeur du Théâtre Sébastopol de Lille. Il a monté en 2005 20h40 Productions, dont le catalogue
est principalement constitué d’humoristes (Stéphane Guillon, Raphaël Mezrahi, Sophia Aram, Arnaud
Tsamere, Régis Mailhot…). Guy Marseguerra est membre de conseil d’administration du Prodiss. Il est
président du CNV depuis le 15 décembre 2009. www.veroneproductions.com
Jacques RENARD, Directeur du CNV
Jacques Renard est directeur du Centre National de la Chanson des Variétés et du Jazz depuis le 25 juin
2010. Il est administrateur civil, ancien élève de l'ENA, et professeur associé à Paris 8. Il a fait l’essentiel de
sa carrière dans l’administration culturelle, où il a exercé de nombreuses fonctions de responsabilité… S’il a
travaillé dans les différents champs culturels et artistiques (arts plastiques, livre, patrimoine,
développement culturel, cinéma et audiovisuel…), il a tout particulièrement suivi les questions du spectacle
vivant, en tant que membre de cabinet ministériel ou dans les services compétents du ministère de la
culture. Dans le secteur des musiques actuelles, il a ainsi eu l’occasion de participer à l’impulsion, la
coordination ou la gestion de dossiers tels que la loi sur les droits d’auteurs et droits voisins de 1985, le
soutien de la jeune création, l’implantation de salles de musique sur le territoire, les Victoires de la Musique,
la mise en place du fonds de soutien aux variétés… www.cnv.fr
Paul-Henri WAUTERS, Le Botanique / Les Nuits Botaniques, Co-président de la fédération De Concert !
Paul-Henri Wauters est programmateur du Botanique et des Nuits Botaniques à Bruxelles. Le Botanique
aujourd’hui c’est « Plus de 200 concerts et quelques 300 groupes et artistes sur scène. Une dizaine
d’expositions et activités d’arts plastiques. 30% d’entre elles concernant la photographie, medium en
vogue. 83.000 titres d’accès : 83% d’entrées payantes, 17% d’accréditations. Les Nuits du Botanique en
mai : près de 40 concerts et plus de 110 artistes durant 10 jours. 400 artistes toutes disciplines confondues,
dont près de 40% de Belgique, une majorité de la Wallonie et de Bruxelles. » Les Nuits Botaniques, festival
de musiques amplifiées, ont une programmation qui fait la part belle aux découvertes, notamment aux
artistes de production française. Les Nuits Botaniques sont membre de De Concert ! un réseau de festivals
indépendants (de France, de Suisse, de Belgique, d’Espagne, de Hongrie, du Canada), créé en octobre
2008. Cette fédération regroupe entre autres 17 festivals parmi les festivals de musiques amplifiées les plus
importants de France. Paul-Henri Wauters en est le co-président avec Jean-Paul Roland des Eurockéennes
(Belfort). Botanique/Nuits Botaniques : http://www.botanique.be De Concert ! : www.deconcert.org
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Frédéric ROBBE, L'Astrolabe, Vice-président de la Fédurok
Frédéric Robbe dirige depuis une dizaine d'année l'Astrolabe (Association L’Antirouille), la scène de
musiques actuelles d'Orléans qui comporte une salle de 620 places et un club (Astroclub) de 220 places.
Diffusion, création/production artistique, action culturelle et sensibilisation des publics sont au cœur du
projet et une programmation éclectique : Lilly Wood and The Pricks, Nesseria, Vendeurs d’Enclume, Joey
Starr, Alela Diane… Fred Robbe est vice-président de la Fédurok (fédération des scènes de musiques
actuelles qui regroupe 94 adhérents avec des lieux d’une jauge moyenne de 500 places – de 100 à près de
2 000 places), de la Fracama (Pôle Régional des musiques actuelles de la Région Centre) et membre du
conseil national du SMA (Syndicat des musiques Actuelles). Il siège également à la commission « Résidence
Musiques Actuelles » du CNV. www.lastrolabe.net
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Contenu des échanges
Véronique Mortaigne :
Le tour de table des intervenants donne une image d’un secteur du spectacle vivant plutôt bien organisé
en France. Dans la présentation du sujet de ce débat vous indiquiez que la structure des financements et
des dépenses du spectacle a été modifiée. « Le désengagement de certains partenaires, ou l’investissement
croissant d’autres, ont très clairement modifié au sein du spectacle vivant la structure des financements
voire des dépenses », dites-vous. Jacques Renard, pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste le
désengagement que vous évoquez ?
Jacques Renard :
Au travers des études que nous conduisons sur l’économie des tournées et des festivals (et bientôt sur les
salles de spectacles), mais aussi au travers des témoignages que nous recueillons de la part des acteurs et
au sein des commissions d’aides du CNV, nous constatons effectivement un désengagement de certains
partenaires dans la production et la diffusion de spectacles. Concernant les tournées, il s’agit d’un
désengagement des tours supports (-44% entre 2006 et 2009) mais aussi d’une baisse de l’apport des
éditeurs, de l’apport des sociétés civiles de gestion des droits… S’agissant des partenaires publics, dans le
cadre du soutien aux projets festivaliers, la situation est variable selon les territoires et les projets. Les
collectivités territoriales sont dans une situation financière très difficile, et cette situation risque encore de
se détériorer. En conséquence, un certain repli est constaté, notamment de la part des départements,
même si au global cela a aujourd’hui encore tendance à être compensé par les intercommunalités ou les
villes. Quant à l’apport des partenaires du Ministère de la Culture et de la Communication, celui des DRAC
est en légère baisse avec la stagnation des budgets même si l’effort en faveur des SMAC ne diminue pas,
avec la mise en place du plan annoncé il y a quelques mois par le ministre. La situation globale est celle
d’un relatif désengagement de certains partenaires, plus ou moins accentué en fonction des types de
projets. Une autre question, qui doit être analysée avec nuances, est la suivante : y-a-t-il un
désengagement du public ? Ce que nous constatons c’est que la fréquentation des petites et moyennes
salles de spectacles a tendance à baisser tandis que les grandes tournées et les grands festivals se sont
plutôt bien portés en 2010 et 2011. Ce sont donc bien des difficultés accrues pour le développement de
projets artistiques que nous constatons et, alors qu’en cette fin d’année 2011 la situation menace d’être
tendue, ces questions mobilisent toute notre attention.
Véronique Mortaigne :
Les marques, sur lesquelles on a beaucoup misé en tant que partenaires, sont-elles elles-aussi en
désengagement ?
Jacques Renard :
On assiste à une montée en puissance de certaines entreprises, pas uniquement des marques, qui viennent
suppléer ou compléter les partenariats plus traditionnels. Pour autant, il est notable que ces financements
vont avoir tendance à plus s’investir sur des projets de forte notoriété ou sur des festivals que sur les
projets artistiques en développement.
Guy Marseguerra :
Effectivement, certains partenariats se nouent. Mais je ne suis pas certain que quelques nouveaux entrants
dans le secteur du spectacle puissent être considérés comme de véritables partenaires. Ils cherchent plutôt
à prendre de plus en plus de place dans ce secteur… Lagardère ou Fimalac me semblent ainsi avoir plutôt
des visées de concentration accrue du secteur et de gain de parts de marché au détriment d’autres
acteurs.
Véronique Mortaigne :
Lors de la rencontre organisée au MaMA par le CNV, Jérôme Langlet, président de Lagardère Unlimited
Live Entertainment nous expliquait la prise de position du groupe dans le secteur du spectacle dans une
logique de prise de parts de marché du divertissement.
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Véronique Mortaigne :
Dans la région Centre, où se situe le Printemps de Bourges, la recherche de financement privé pour
prendre le relais s’est par exemple concrétisée…
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Guy Marseguerra :
Lorsqu’un même opérateur veut maîtriser toute la chaîne : émettre la billetterie, manager l’artiste et le faire
tourner dans ses propres salles, cela a un impact sur le secteur. Je pense que la diversité risque d’en pâtir.
Véronique Mortaigne :
Je vois dans les chiffres du CNV que la fréquentation et la billetterie se concentrent dans les plus grandes
salles alors que le nombre de représentations se concentre plutôt dans les petites salles. Cette dichotomie
est-elle « inscrite dans les gênes » ?
Guy Marseguerra :
Non, cela n’est pas inscrit dans les gênes. Il s’agit plutôt d’une conséquence des politiques menées et de la
mondialisation.
Véronique Mortaigne :
Paul-Henri Wauters, quelle est votre expérience en Belgique où Live Nation est très présent ?
Paul-Henri Wauters :
Depuis plus de 20 ans, de manière globale, même si des paramètres restent présents, on expérimente une
distorsion de la réalité. Chaque opérateur doit retrouver un équilibre dans cette nouvelle réalité et va
chercher à remobiliser l’énergie et la passion dans sa diversité. En Belgique, nous sommes très en prise
avec les règles OMC et de ce fait très attachés à ce que le marché puisse être régulé dans le souci de la
diversité, de maintien et de développement de la scène locale. La position de Live Nation en Belgique
entraîne aussi une question d’équilibrage. Live Nation se révèle être un colosse aux pieds d’argile. Ils sont
très fragiles, leur déficit est exorbitant. Cela est sans doute lié au sentiment que pour être puissant il faut
tout contrôler et tout acheter : ce qui pose un vrai problème. Le pouvoir appelle le pouvoir et la puissance
appelle la puissance… Mais globalement, les personnes qui travaillent aujourd’hui chez Live Nation sont
celles avec lesquelles nous travaillions auparavant et avec lesquelles nous pouvons poursuivre nos
collaborations. Aujourd’hui, du point de vue de la programmation, on se trouve face une bipolarisation
croissante de l’offre avec une kyrielle d’offres auxquelles il nous est impossible de répondre : il est
impossible de tout écouter. Face à cette abondance, on a parfois des automatismes : travailler avec des
partenaires fiables, que l’on connaît depuis longtemps…
Véronique Mortaigne :
Vos conditions économiques ont-elles changé ?
Véronique Mortaigne :
Economiquement parlant, votre liberté d’action artistique a-t-elle ou non été réduite ? Devez-vous opérer
des choix plus draconiens ?
Paul-Henri Wauters :
Il est certain que l’élément majeur et le plus important, c’est le public. Ensuite, nos premiers partenaires
sont les pouvoirs publics. Pour un budget total de l’ordre de 5 M€, nous disposons d’environ 3M€ de
subventions. Nous avons une spécificité qui tient à notre mission d’entretien d’un lieu historique et qui
mobilise beaucoup de moyens. Pour en revenir au public, il est primordial pour nos recettes propres. Nous
lui faisons beaucoup de propositions puisque l’on programme environ 600 groupes par an. Et nous
sommes plutôt proactifs. En 2008, nous avons dû choisir soit de réduire la voilure, soit de l’élargir. Nous
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Paul-Henri Wauters :
Chacun est confronté aux mutations. Au Botanique, nous avons la chance d’avoir à la fois un festival et une
saison. Ceux qui n’ont qu’un festival ont plus de mal à s’ajuster. Ce qui me marque le plus, c’est la mutation
de l’encadrement de l’offre artistique. Auparavant, je recevais un 33 tours puis un courrier et après un
temps de réflexion je décidais de la programmation en répondant favorablement ou non aux sollicitations.
Aujourd’hui, je ne reçois même plus de CD et les décisions doivent être prises en quelques secondes. Les
subventions, nous en avons toujours eu : elles sont au mieux restées stables ou ont baissé… A l’inverse,
l’offre artistique a explosé. Et alors qu’auparavant il était possible de se faire une idée de la fréquentation
en fonction des ventes de disques par exemple, désormais nous n’avons plus de repères et cela implique
que nous prenons plus de risque, que nous faisons souvent des paris quant à la diffusion potentielle de
projets artistiques.
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avons finalement choisi d’ouvrir et le public a suivi… Je retrouve en France, avec les statistiques présentées,
ce que l’on expérimente en Belgique. A titre personnel, les artistes qui me touchent le plus ne sont pas ceux
qui rencontrent le plus de public. Par exemple, nous avons décidé de suivre Danyel Waro sur l’un de ses
projets qui a tourné dans le monde, au Paleo, au Japon… mais nous avons eu du mal à ce que le public
suive. Ce n’est pas évident, mais on continue…
Véronique Mortaigne :
Le Botanique est donc toujours passionné et poursuit sa mission ! Pierre-Pascal Houdebine, vous êtes pour
votre part, m’avez-vous dit, Furax…
Pierre-Pascal Houdebine :
Oui. Je voudrais revenir sur la question du public. Il me semble que les mœurs ont beaucoup évolué. Le fait
de ne plus pouvoir fumer dans les salles, la répression accrue sur la consommation d’alcool… sont des
points très positifs mais cela change la convivialité de l’écoute et touche notamment la découverte des
artistes en développement que l’on pouvait auparavant découvrir « en passant », en se retrouvant avec des
amis en allant boire une bière… Nos mœurs évoluent et nous expérimentons une période de transition. Les
conditions des tournées étaient auparavant différentes. Il existait une sorte de « voie royale » qui s’est
structurée dans les années 90, mais depuis les années 2000 elle a volé en éclats. Je reste un jeune
producteur mais lorsque j’ai commencé ce métier il n’y avait pas Internet par exemple et cela a modifié les
conditions de montage des tournées. Je produis Zenzile et Oldelaf et je constate une dichotomie flagrante
entre les deux types de public. Le fait que certains types de consommation de spectacles n’existent plus,
comme je l’évoquais tout à l’heure, nuit globalement à la diversité artistique…
Véronique Mortaigne :
Certaines salles souffrent beaucoup plus que d’autres… Je pense par exemple à la Condition Publique à
Roubaix.
Pierre-Pascal Houdebine :
Oui. Les mutations des pratiques entraînent que l’on va peut-être moins facilement sortir et fréquenter une
salle qu’on le faisait auparavant…
Véronique Mortaigne :
Les chiffres du CNV montrent que les budgets des tournées ont fléchi avec une baisse des produits et une
recherche de réduction des charges, mais que les postes concernant les taxes, assurances, frais fixes ont
augmenté…
Jacques Renard :
L’étude réalisée par le CNV sur les tournées montre une baisse des coûts artistiques et techniques mais pas
une baisse des salaires : il y a plutôt une baisse du nombre d’artistes et de techniciens sur la route… C’est
ainsi que se pose la question de savoir si cela entraîne des conséquences sur la diversité. Certes les charges
telles que les taxes et assurances s’accroissent… et cela renvoie à l’actualité de la hausse prévue de la TVA
sur les spectacles. Ce que nous avons constaté c’est que dès lors que les recettes partenaires sont en
baisse les producteurs assument davantage le coût des tournées. Et l’apport du CNV augmente et devient
plus décisif. La question qui se pose est de savoir quelles conséquences cela peut avoir sur la diversité
artistique.
Pierre-Pascal Houdebine :
Je souhaite ajouter à cela une approche complémentaire. Depuis les années 90 en France, le secteur s’est
énormément structuré : il existe plus de salles, plus de studios de répétition… et l’intermittence est mieux
acceptée. L’offre artistique augmente énormément et le public pas nécessairement dans les mêmes
proportions. En termes d’offre, il nous faut nous concentrer, monter en qualité, accroître les résidences par
exemple… mais convenir que tous les artistes n’ont pas nécessairement leur place pour vivre de leur art.
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Pierre-Pascal Houdebine :
Oui mais nous sommes amenés à plus investir dans les décors, les frais de création et dans le marketing
parce que nous sommes moins soutenus sur ces postes. Cela entraîne que nous sommes aussi sans doute
plus concernés, plus investis…
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Véronique Mortaigne :
Et vous, comment vivez-vous ?
Pierre-Pascal Houdebine :
Je suis un artisan, je découvre des projets… Je n’ai pas une mission, je suis un entrepreneur privé. Pour moi,
vivre bien c’est bien de trouver une équation économique équilibrée. Je favorise la diversité par désir et
politique personnelle. Je souhaite voir et proposer des choses différentes et diversifiées. Pour le tiers des
concerts que je vends, le montant du contrat de cession est entre 500 et 2 000 euros. Et je fais le choix de
multiplier des projets qui ne rapportent pas nécessairement beaucoup d’argent. En 2010 j’ai organisé 650
concerts avec une structure de 5 permanents et ce n’est pas évident. Je pourrais me concentrer sur un
nombre plus réduit de projets plus rémunérateurs mais ce n’est pas le choix que j’ai fait.
Guy Marseguerra :
Je suis membre du conseil d’administration du Prodiss qui regroupe plus de 300 adhérents et le constat
que nous faisons c’est que la marge nette de nos entreprises est inférieure à 2%.
Pierre-Pascal Houdebine :
Très peu de producteurs vivent bien et la majorité des producteurs ne vivent pas grassement. Nous vivons,
nous survivons, nous évoluons… Auparavant les maisons de disques nous aidaient. Une maison de disque
m’a ainsi apporté 30 000 euros pour produire 3 dates à Paris d’un artiste qui a disparu depuis. C’était sans
doute démesuré. Quoiqu’il en soit, je ne souhaite pas être un sous-traitant. Aujourd’hui on assiste à un
retournement : nous développons les groupes et les maisons de disque nous demandent d’être intéressées
aux recettes des spectacles.
Bastien Lallemant :
De plus en plus, nous sommes dans une économie de survie. Je peux parler de mon expérience personnelle
et de celles des membres du collectif Dahu. Tous ces artistes ont signé avec des maisons de disque et
l’expérience que nous partageons c’est que très rapidement après la signature on passe d’un fort
encadrement professionnel à un désengagement à la fois des maisons de disques et des tourneurs et
managers. Tout à coup, il n’y a plus personne dans l’encadrement professionnel et plus de manne
financière. Et il faut alors survivre, c’est-à-dire manger, payer son loyer… Les artistes du collectif Dahu ont
commencé leur carrière dans les années 2000. Pour ma part, j’ai réalisé deux albums avec Tôt ou Tard.
Mais nous avons tous plus ou moins eu ce parcours avec un succès qui était plus un succès d’estime qu’un
gros succès public. A la suite de ces deux albums j’ai autoproduit un disque en 2010 avec le soutien du
studio Acousti qui a notamment mis à disposition le studio. L’Autre Distribution a rejoint le projet puis une
manageuse et une attachée de presse indépendance et ce projet parvient à tourner. Pour nous, artistes, ce
qui pèse beaucoup ce sont les périodes de creux. Et ce que nous expérimentons c’est un raccourcissement
des périodes durant lesquelles un spectacle tourne. J’ai fait environ 90 dates sur le 1er album et une
quarantaine sur le deuxième. C’est dur d’être si peu employé et c’est insupportable de ne pas aller à la
rencontre du public. Alors nous avons décidé de nous donner les moyens de jouer le plus possible et tout le
temps. Pour cela nous avons révisé nos conditions de vente de spectacles et nos cachets (tant qu’il y a
encore possibilité de cachets…). Nous avons inventé de nouvelles formes artistiques qui nous emballent,
qui nous amènent à faire autre chose que des tournées. Nous nous associons entre artistes pour faire des
propositions différentes comme des siestes acoustiques dans une petite salle à Paris par exemple.
Réinventer des formes et captiver les gens… nous cherchons à le faire pour nous, par plaisir, et pour le
public. Nous rencontrons finalement beaucoup de gens qui sont très favorables à ces autres formes. Jouer
autrement, rencontrer le public, c’est aussi aller jouer ailleurs : par exemple dans des festivals de lecture,
dans les médiathèques, dans les appartements… Derrière le collectif Dahu il n’y a pas de manager, pas de
tourneur… nous travaillons uniquement en collectif. C’est une activité complémentaire pour laquelle la
question de l’argent n’est pas forcément le nerf de la guerre. C’est nous donner les moyens de jouer,
quoiqu’il en soit…
Véronique Mortaigne :
Frédéric Robbe, comment voyez-vous ces positionnements d’artistes, notamment de milieu d’affiche, ceux
qui passent par des salles moyennes et qui réinventent de nouvelles formes ?
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Véronique Mortaigne :
Bastien Lallemant, quelle est votre expérience d’artiste ?
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Frédéric Robbe :
Nos lieux se positionnement autour de 3 fondamentaux : notre territoire, notre public, les artistes. Le
territoire c’est une aire urbaine, un département, une région et c’est créer une alchimie avec notre
environnement. La scène française et internationale bouge énormément et très rapidement. On ressent au
niveau des concerts une vraie difficulté à mobiliser des publics sur des artistes qu’ils soient « nouveaux » ou
parvenus à un certain niveau de maturité mais sans avoir encore noué un lien suffisamment fort avec le
public. Lorsque nous programmons Joey Starr, Zebda et Catherine Ringer par exemple, nous avons une
forte fréquentation, le public se déplace. Pour ce type de propositions, nous sommes sur des prix moyens
de billet de l’ordre de 25 euros. Nous avons une politique tarifaire et d’abonnement notamment pour
essayer de mobiliser sur des découvertes, sur du développement à des tarifs inférieurs… mais la
mobilisation du public reste délicate. Pour ce type de propositions artistiques nous injectons des moyens
financiers parce que cela est nécessaire. Notre marge artistique y est essentiellement consacrée : c’est de
l’argent public, c’est notre mission. Malgré tout nous nous retrouvons avec des financements publics qui
stagnent depuis 2007 avec des charges qui augmentent. Nos marges artistiques se réduisent donc et plus
généralement les moyens que nous avons à consacrer à la création, la diffusion, l’action culturelle et les
différentes missions qui nous sont confiées par nos tutelles. Du fait de la réduction de ces moyens, nous
devons prendre garde à la délicate mise en œuvre de la production et de la diffusion de projets artistiques
en découvertes ou en développement. Nous allons de ce fait concentrer nos efforts et notre marge
artistique à ces projets plutôt qu’à ceux qui n’en ont pas besoin pour mobiliser le public. Tout n’est pas
question de prix, il faut aussi que le public ait confiance en nos propositions, ait confiance envers les
programmateurs. Au-delà de cela, je fais partie de ceux qui défendent une vraie logique d’échanges et de
coopération entre producteurs et diffuseurs. Je pense qu’il existe une vraie nécessité à ce qu’ils s’associent
le plus en amont possible sur certains projets, au stade même de la création. Au SMA nous avons un
schéma de filière. Nous pouvons nous organiser pour défendre la diversité. Nous avons les lieux, les
financements des collectivités et les compétences dans nos équipes. Et plus largement l’ensemble de la
filière représentée au sein du SMA. Il serait facile pour nous de nous concentrer et de créer cet éco système
que nous contrôlerions sur l’ensemble de la chaîne de production artistique, avec les valeurs qui sont les
nôtres (celle de l’économie sociale et solidaire)… Pour ma part, je travaille pratiquement chaque année au
montage d’une résidence de musiques actuelles avec un artiste et un producteur et en montant le projet je
propose d’aller voir la Région, la DRAC, la Spedidam, l’Adami, le CNV pour nous aider à réaliser le projet. Je
pense que notre rôle est d’être l’interface avec les autres partenaires. Le producteur de spectacle et la salle
doivent être dans une logique de co-construction du projet artistique avec l’artiste lui-même. Cela est
fondamental.
Guy Marseguerra :
Je suis producteur privé de spectacles, je gère aussi une salle dite de musiques actuelles, Le Splendid à
Lille, mais qui n’est pas du tout subventionnée et je ne vois pas pourquoi le public qui va voir Joey Starr
devrait payer plus cher que pour un autre groupe.
Pierre-Pascal Houdebine :
Le système que décrit Frédéric est, il me semble, très français… La base pour qu’un artiste émerge et que
les propositions soient diversifiées, c’est que l’offre soit diversifiée…
Cyril Gohaud :
A la FSJ, nous sommes là pour promouvoir et représenter une certaine forme de musiques : le jazz et les
musiques improvisées, au travers d’une pratique culturelle et artistique actuelle. Notre démarche va donc
nous conduire à identifier des musiciens qui correspondent à cette « niche musicale », à les accompagner,
les diffuser… Le jazz évolue et nous sommes là pour en être les témoins et les médiateurs.
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Compte rendu
Frédéric Robbe :
Certes, mais en tant que salle de spectacle subventionnée, je ne vais pas injecter de l’argent public pour
réduire le prix d’accès à un concert pour lequel le montant du contrat de cession est nettement plus élevé.
Il est nécessaire de trouver un équilibre entre les représentations qui sont déficitaires et celles qui sont
bénéficiaires. En outre, il faut tenter de reconquérir un public plus jeune et cela n’est pas simple de faire en
sorte qu’il fréquente plus nos lieux, qu’il s’y sente bien. Je dispose globalement d’un budget qui me permet
d’investir 80 000 euros par an d’argent public dans les concerts : pour certains je prends des risques, pour
d’autres je réduis les prix, pour d’autres non.
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Véronique Mortaigne :
Mais en avez-vous les moyens ?
Cyril Gohaud :
Nous sommes une trentaine de structures d’une jauge au maximum de 200 places environ et nous
sommes « perfusés » : nous vivons en grande partie des moyens publics nécessaires à notre activité. Si les
pouvoirs publics ne nous soutenaient pas, nous serions contraints de baisser le rideau. Ce que nous
constatons depuis quelques années c’est que la tension est de plus en plus forte sur les moyens publics et
depuis 5 ans c’est la stagnation ce qui ne veut pas dire régression. Nous faisons tout pour ne pas régresser.
Nous cherchons à travailler les partenariats à la fois avec les partenaires culturels locaux et les producteurs.
Mais même s’il y a beaucoup de producteurs/tourneurs, ils interviennent rarement dans le domaine du jazz.
Ce trop grand cloisonnement dessert en quelque sorte la diversité. Pour ne pas régresser nous mettons
aussi tout en œuvre pour conquérir de nouveaux publics. La proximité, dans les petites salles que nous
sommes, est d’autant plus importante. Et comme nous sommes aussi susceptibles de perdre du public,
nous sommes plutôt dans une logique d’ouverture. Cela nous conduit à aller sur des projets qui mixent les
genres, hybrident les esthétiques… Par exemple, nous avons proposé Vinsyl du groupe Hocus Pocus avec
un ensemble de musiciens de jazz. Mais si nous « créolisons » les propositions artistiques, cela n’est pas
uniquement de notre fait : ce sont les artistes qui le proposent, le souhaitent. Il nous appartient d’ouvrir le
champ de la pratique culturelle. Et pour cela il faut se battre parce qu’en termes d’exposition médiatique
nous sommes noyés. Le rapport à la proximité nous permet d’obtenir de la confiance de la part du public et
c’est l’une des choses les plus importantes qu’il nous faut entretenir et sauvegarder. Elle n’est pas acquise, il
faut toujours la travailler. Nous allons vers le public en essayant d’avoir une vision à moyen terme. C’est le
travail que nous faisons avec les musiciens en allant aussi vers l’éducation nationale, les maisons de
quartiers, les publics dits empêchés… Autant de démarches qui sont aujourd’hui fondamentales pour ne
pas régresser.
Véronique Mortaigne :
Vos propos me rassurent : des producteurs, des programmateurs de festivals, des directeurs de salles
passionnés et guerriers, des artistes inventifs… Le modèle français ne se porte peut-être pas si mal même
s’il risque d’être écorné, ne serait-ce que par la hausse de la TVA…
Véronique Mortaigne :
Quelles sont les conditions de cette reconstruction dans et pour la diversité ? Les acteurs en ont-ils les
moyens ? Quels sont les soutiens qui leurs sont apportés ? J’évoquais tout à l’heure la hausse de la TVA
mais le plafonnement prévu des recettes du CNV pose aussi problème…
Bastien Lallemant :
La diversité n’est pas seulement artistique et économique. Pour un artiste par exemple, la diversité c’est de
pouvoir réaliser son projet : qu’est-ce que je veux devenir ? Tous les artistes n’ont pas envie de faire des
tournées Zénith. Chacun d’entre nous défend un travail artistique. Et si pour défendre mon projet je dois
renoncer à certaines formes de diffusion, je le fais. En tant qu’artistes, nous avons besoin d’avoir accès au
public dans des conditions qui correspondent à nos projets et pour cela d’avoir accès à des salles de tailles
très diverses. Nous avons aussi besoin de petits clubs voire de minuscules clubs… et il faut aussi penser à
construire et faire vivre ces formats-là.
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Compte rendu
Paul-Henri Wauters :
J’ai été touché par ce qu’a dit Bastien Lallemant. Il me semble que ce sont les voies de transmission qui
posent problème. En Belgique, nous sommes confrontés au problème de comment aider les artistes. Il nous
faut désormais considérer l’artiste comme un projet et il faudrait réfléchir à comment aider tout le projet de
sa création à toutes ses formes de diffusion. Les artistes doivent pouvoir retisser tout un circuit nerveux
pour aller vers le public. Dans notre fédération De Concert ! nous nous concentrons sur l’objet artistique.
Nous sommes 25 festivals qui comptent environ 3 millions d’entrées par an. Nous apportons notre regard
de programmateurs en sélectionnant 40 artistes qui ont chacun tourné dans 4 à 5 festivals de notre
fédération en moyenne, avec certains qui ont été programmés par bien plus d’adhérents comme Chapelier
Fou qui a tourné dans 15 festivals par exemple, et en réalisant une compilation. Nous sommes nous-mêmes
en train de redéfinir/reconstruire notre rapport au projet artistique et établir comment renforcer la
diversité artistique.
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André Cayot, Ministère de la Culture et de la Communication, DGCA (depuis la salle) :
Les décisions du gouvernement ne m’appartiennent pas mais, concertant la diversité, je constate
qu’aujourd’hui beaucoup d’artistes disposent de moyens en France qui sont sans commune mesure avec
d’autres pays. C’est l’artiste qui est au centre du débat. Il doit pouvoir trouver les moyens de son
développement en adéquation avec ce qu’il peut et ce qu’il veut faire. Il existe aujourd’hui une myriade
d’entreprises. Une réflexion est en cours sur la création d’un Centre National de la Musique pour alimenter
la filière musicale. Si le public vient moins dans les salles pour la découverte, il nous faut travailler ensemble
à comment faire mieux… Nous travaillons déjà ensemble y compris à la structuration d’un réseau Smac, il
faut poursuivre.
Joran Le Corre :
Wart organise un festival et est tourneur pour de nombreux groupes. De notre point de vue, il existe
beaucoup de structures qui aident à développer les groupes, et beaucoup de dispositifs qui aident au
développement des projets artistiques. Mais de nombreuses structures publiques ont du mal à travailler
avec des structures privées et l’on ressent comme une peur, des objections, à aider les structures privées
dans leur mission de développement…
Véronique Mortaigne :
Voulez-vous dire que le secteur fonctionne trop en circuit fermé ?
Joran Le Corre :
Oui, c’est un peu le cas. L’existence de réseaux est une bonne chose mais parfois le fonctionnement en
réseaux existants entraîne trop de cloisonnement.
André Cayot :
Le décloisonnement est l’un des objets du programme résidences musiques actuelles géré par le CNV.
Frédéric Robbe :
Nous travaillons ensemble avec Wart et le groupe Mesparrow et je n’ai pour ma part aucun souci à
travailler avec des acteurs privés. Notre rôle en tant que lieu est d’être présent et de contribuer à donner
les moyens à l’artiste d’avoir la carrière à laquelle il aspire.
Guy Marseguerra :
Le développement des artistes est essentiellement porté par les acteurs privés. Les rapports au disque
changent mais il y a quelques dizaines d’années il n’y avait pas d’album, pas de tour support pour les
tournées… Il n’y avait pas internet mais il y avait la radio. Les fondamentaux du spectacle sont toujours les
mêmes : un artiste, éventuellement un producteur et surtout un public. Je me méfie des gourous, des
guerriers et des revendications de territoires. Je n’ai pas de territoire, mon territoire c’est le monde.
Cyril Gohaud :
On voit bien que les logiques s‘affrontent. On nait et on est sur un territoire. Avoir une médiation avec le
public : c’est notre entrée, c’est notre logique. Nous sommes sur une géographie de la proximité. Les
artistes avec lesquels nous allons faire un bout de chemin viennent de partout mais aussi de notre propre
territoire. Et ces artistes, il nous faut les accompagner pour les aider à rencontrer leur public car sinon ce
sera très difficile pour eux. Pour autant, il me semble que nous sommes dans une logique de
décloisonnement. Pour la circulation artistique faisons en sorte de décloisonner et évitons de régionaliser,
en tout cas c’est ma vision.
Joran Le Corre :
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Compte rendu
Frédéric Robbe :
Bien entendu, et il est nécessaire de se rapprocher et de s’associer avec des acteurs d’autres pays, de
porter des projets au niveau européen par exemple… Si je parle de territoire c’est dans la proximité à
l’environnement et aux acteurs, au public qui le composent. Si je parle de guerre c’est contre un modèle
libéral unique qui peut être incarné par Live Nation. Nous pouvons parfaitement allez chercher des parts de
marchés sur différents segments en restant fidèle au principe d’une économie sociale et solidaire.
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Outre l’ouverture indispensable sur le monde, il me semble qu’il faut absolument que les organismes
subventionnés s’ouvrent plus et qu’il faut faire en sorte de réduire le cloisonnement public/privé qui est
trop souvent une contrainte.
Jacques Renard :
La coopération public/privé est certes indispensable. Dans notre secteur, la problématique est de voir dans
quelle mesure les conditions économiques et institutionnelles peuvent constituer des embuches et
empêcher l’épanouissement de la diversité artistique… Comment la singularité essentielle peut-elle être
sauvegardée. L’artiste ne doit pas avoir à s’interroger sur le contexte économique de sa diffusion, c’est la
raison d’être des entreprises publiques et privées qui l’accompagnent dans la réalisation de son projet. Y at-il trop d’offre ? Peut-être dans une certaine mesure mais pas vraiment car il y a besoin d’un terreau…
Ensuite un tamis intervient. La question est de savoir comment faire pour que le système fonctionne de la
façon la plus fluide possible.
Véronique Mortaigne :
Nous n’avons pas encore parlé des opérateurs internet, de la contribution des différents acteurs du
numérique, de la téléphonie, au financement de la filière musicale…
Guy Marseguerra :
Les ressources du CNV sont aujourd’hui principalement générées par les spectacles d’artistes de forte
notoriété et ce type de spectacles fait aussi partie de la diversité. Il faut arrêter d’exprimer du mépris pour
les spectacles grand public. Nous fonctionnons sur un principe de solidarité, au service du public.
Frédéric Robbe :
Je rejoins Guy sur ce principe de solidarité. Concernant la contribution des fournisseurs d’accès internet au
financement de la filière cela me semble nécessaire. Lorsque l’on évoquait il y a quelques années la mise en
place de la licence globale, si l’on avait avancé dans ce sens, il me semble que nous serions allés plus vite et
mieux qu’avec la mise en place de l’Hadopi…
Question de la salle :
Une taxation des fournisseurs d’accès pourrait-elle permettre de financer la création mais aussi de faire
baisser le prix des places qui deviennent inaccessibles (et faire en sorte que le public revienne vers le live) ?
Jacques Renard :
Il est nécessaire d’agir pour faire en sorte que la valeur ajoutée se répartisse autrement et que les retours
sur investissements soient plus efficaces. La taxation des FAI est l’une des pistes pour la création du CNM,
qu’il aboutisse ou pas… L’ensemble des producteurs/créateurs de contenus doivent pouvoir bénéficier du
retour… C’est l’un des enjeux majeurs des mutations en cours. Il est nécessaire de réfléchir à une logique
globale autour de la création permettant notamment d’envisager comment la rémunérer. Quant à la
question des prix je ne pense pas qu’elle soit liée à la taxation ou non de nouveaux opérateurs.
Compte rendu
Véronique Mortaigne :
Merci à tous pour votre participation à ce débat.
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