Le modèle économique de média global, l`exemple Al

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Le modèle économique de média global, l`exemple Al
Le modèle économique de média global, l’exemple Al-Jazeera
L’objectif de la chaîne d’information qatarie Al Jazeera est clair : étendre sa sphère d’influence le
plus largement possible. Fondée en 1996 par l’Emir du Qatar Hamad Ben Khalifa Al Thani, un an
seulement après que ce dernier ait pris le pouvoir dans le pays au détriment de son père, la chaîne
de télévision progresse et évolue rapidement et sûrement vers un média multi support et surtout
vers un groupe d’information global. Une ambition qui contraint les Qataris à sans cesse réinventer
leur stratégie et leur modèle économique, poussant le groupe à explorer des terrains pour l’heure
encore inconnus.
Le Qatar à la conquête du monde
Pour bien comprendre le cas exceptionnel d’Al Jazeera, un rapide rappel du contexte est
indispensable. Situé à l’est de la péninsule arabe, au bord du Golf persique, le Qatar est un petit pays,
mais un pays riche… et même à vrai dire très riche. Une richesse tirée de l’exploitation des sous-sols
pétrolifères et gazeux du pays et qui donne de grandes ambitions au monarque Al Thani. Désireux de
faire de son pays une nation qui compte sur la scène mondiale, ce dernier ne possède ni la force de
frappe nucléaire de la Corée du Nord, ni le rôle historique et géostratégique de Cuba, mais
seulement de l’argent, beaucoup d’argent, assez pour acheter presque n’importe quoi, y compris une
résonnance et une réputation internationale.
Autre élément de contexte non négligeable : l’évolution ou révolution technologique qui est en train
de se jouer. Le développement d’internet est bien sûr propice à l’apparition de nouveaux modèles,
mais aussi à la chute des barrières géographiques qui segmentaient jusque-là l’espace médiatique.
Une nouvelle brèche dans laquelle Al Jazzera a été parmi les premiers à se précipiter.
De force obscure à acteur économique incontournable
Dès ses débuts, la chaîne a vocation à prendre une dimension internationale. Loin de se contenter de
traiter des affaires qataries, elle s’intéresse au monde arabe dans son ensemble. Affirmant vouloir
offrir un champ d’expression à chacun – « des leaders israéliens aux leaders d’Al-Qaïda » - et en
particulier aux contestataires censurés. C’est ainsi que la chaîne se verra classée en occident – suite
notamment au 11 septembre 2001 – du côté de la force obscur, accusée d’avoir servi de support à
Ben Laden et Al-Qaïda en diffusant leurs vidéos.
Dans la controverse – les bâtiments de la chaîne à Kaboul seront notamment bombardés par l’armée
américaine en 2001 –, la réputation d’Al Jazeera comme média d’information cosmopolite ne cesse
cependant de se consolider durant le début du 21e siècle. C’est ainsi qu’en 2006 la chaîne qatarie est
prête à franchir le pas et crée Al Jazeera English, sa déclinaison en anglais, dans le but de
concurrencer les chaînes d’information anglo-américaines. Adulée par certain, détestée par
beaucoup, Al Jazeera fait désormais partie de la scène médiatique mondiale ; et, de par sa puissance
financière quasi illimitée, des acteurs économiques incontournables d’une planète mondialisée.
Malgré une image récemment ternie par la proximité du groupe avec les nouveaux gouvernements
musulmans issus du Printemps arabe ; c’est grâce à la chaîne que la famille royale qatarie est
apparue pour la première fois sur le devant de la scène internationale (Khalaf et Hall, 2013). Un
succès qui lui permet de rêver à bien plus encore.
Un portfolio de plus en plus imposant et diversifié
Depuis, l’ogre Al Jazeera, porte drapeau de la puissance qatarie, ne cesse d’élargir sa sphère
d’influence, en vue d’assouvir une ambition sans limites. Outre sa principale chaîne d’information en
continu, le groupe possède notamment aujourd’hui huit chaînes sportives, une chaîne politique et
une chaîne documentaire en langue arabe ; une chaîne de sport en France (BeIn); une version de sa
chaîne d’information en Anglais et une autre en trois langues dans les Balkans (Wikipédia, 2013).
Dans un avenir très proche, Al Jazeera compte ouvrir des nouvelles divisions destinées aux marchés :
américain (2013), français (2013) et allemand (2014). Le groupe fait également partie des pionniers
du web. Un nouveau support dont le potentiel pourrait être la clef de la mise en place d’un véritable
média global. Al Jazeera est ainsi hyperactive sur les réseaux sociaux existants et à même développé
de nouveaux concepts d’interaction et de publication sur internet (Live Stream sur Youtube, émission
participative, regroupement d’auditeurs dans des villes), (Al Jazeera, 2013).
Une intégration horizontale, mais aussi verticale
A travers cette expansion, Al Jazeera devrait parvenir à étendre encore sa sphère d’influence et ainsi
véritablement devenir un média global, à l’image de ce que sont les Anglo-Saxons CNN ou BBC. Un
destin qui colle parfaitement au visées du petit émirat, qui outre le développement de son groupe de
presse à investit ces dernières années de manière colossale dans de nombreux domaines. Rien qu’en
France, le Qatar est présent – par le biais de la Qatar Investment Authority (QIA) de la famille royale
– dans le sport, le luxe, l’hôtellerie, l’immobilier ou encore le secteur de l’énergie (Courier
international 1172, p.29, 2013). L’intégration que cherche à réaliser l’émirat du Qatar, et par suite le
groupe Al-Jazeera, n’est dès lors plus seulement horizontale, mais également verticale.
En effet, en rachetant le club de football du Paris St-Germain et les droits de diffusion de la ligue 1 en
France, les Qataris sont en phase de mettre en place un véritable complexe « d’infotainement ».
Selon David Roberts, de l’institut de recherche sur la défense et la sécurité britannique, cité dans le
Financial Times (Khalaf et Hall, 2013), la stratégie du QIA est simple : « Investir à fond pour avoir le
contrôle, investir si c’est une bonne affaire, investir si cela procure un gain politique. Investir dans
tous les secteurs et toutes les régions ».
Un modèle viable ?
Une question demeure cependant lorsque l’on considère le cas d’Al Jazeera : malgré les moyens
illimités dont dispose le groupe, le modèle économique global que la chaîne tente d’imposer est-il
viable sur le long terme ? Comme ce fût déjà le cas à de très nombreuses reprises au court de sa
courte histoire, Al Jazeera risque, de par sa stratégie agressive et incontrôlable, à tout moment tant
d’irriter les puissances occidentales que de froisser les sensibilités régionales dans le monde arabe
(Barfi, 2013) ; et d’ainsi se voir fermer de nombreuses portes.
Par Guillaume Laurent
Bibliography
Al Jazeera (2013), site de la chaîne, URL :
Barak Barfi (2013). Un château de carte ?, CNN (Washington) dans Courrier international numéro
1172, du 18 au 24 avril 2013, p.32.
Courrier international (2013), dossier « A quoi joue le Qatar ? », numéro 1172, du 18 au 24 avril
2013, p.26 à 32.
Roula Khalaf et Camilla Hall (2013). L’émirat ici, là-bas, partout ; Financial Times (Londres) dans
Courrier international numéro 1172, du 18 au 24 avril 2013, p.28.
Wikipédia (2013). Page « Al Jazeera » en anglais, consultée pour la dernière fois le 25 avril 2013.
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