Untitled

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Untitled
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Lomener Plage
Fabrice Parat Yeghiayan
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A Lunel, à Céline,
© Fabrice Parat Yeghiayan, mai 2011
Lomener Plage
[email protected]
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Cambia di celu, cambierai di stella
Change de ciel, tu changeras d’étoiles
Proverbe Corse
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La fuie
Bin tu sais tout ça meurt dans le rétroviseur
J’accélère la route toi l’horizon tout ça meurt
Une ligne droite comme la vie traverse les arbres les herbes
Les marais l’eau stagnante la lande mauve de bruyère
Et les noms s’accumulent je les chasse dans le vent
Des falaises là s’achève la course je me rappelle
On a quitté Larmor
Plage sous la brume
Le ciel crachine
On se tait à Kerroc’h
Vite jusqu’au Finistère
Là meurent comme nos remords
Les regrets sous les champs
L’infini d’océan
Je me gare aux lueurs des phares de Tévennec
De la Vieille et d’Ar-Men où grondent tous les possibles
On annule le passé oui là comme on s’annule
On devient le vent d’orgue le vent qu’on désaccorde
La nuit comme une marée avant la Mer d’Iroise
Un voilier vent contraire cherche la fuite le danger
C’est la terre dirait Louis il faut fuir pour être libre
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La tue
D’abord la pluie résonne sur le toit en ardoise
Le sommeil sous les cils la nuit d’un sous-marin
On s’agite on se tourne un œil ouvre le velux
La vitre saigne les averses et puis les paupières valsent
Ouais toute la nuit comme ça à se cogner une tempête
Une heure avant l’aurore je décide mon imper
Le ciré noir
Pour l’averse matinale
Une cabine à Lomener
Y aura pas de réponse
Je cogne le poing
La vitre est bleue
D’un prochain jour tes siLences ne sont pas la fin
Du monde le Moulin Vert un serveur ouvre les portes
La terrasse inondée et par-dessus la digue
Blanche une vague belliqueuse un café camarade
Pour les femmes qui se taisent l’océan ce guerrier
Gris métal ce matin et j’aperçois au loin
La coque rouge d’un voilier comme il remonte au vent
La houle l’avale le crache je ne sais plus si je t’aime
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La regrettée
J’y viens sans aucun bruit l’ombre d’une veine à l’orée
De la forêt d’automne sous ta chambre les yeux pâles
N’effraient plus les hulottes ni la langue des racines
Les fenêtres sont la nuit le sommeil des épaules
Dans le froid du jardin les femmes parties je dors
De la plus lointaine nuit loin des Iles Lavezzi
Jusqu’à Lomener la plage
Du Pérello la pluie
Rappelle les cœurs
Bien avant les départs
Et puis les heures
Les jours et bien d’autres vagues
Rien ne me sépare
Sous la lune rousse
Bientôt cinq heures ce sont tes bras l’odeur
De ta nuque un chant d’arbres tu me manques dans la brume
Bleue une barque immobile échouée sur la grève
J’ai en souvenir l’amour qu’on évite pour le risque
De nous perdre ni regrets ni l’ange en bas du rein
A droite un tatouage où je sculpte un sillage
Plus rien ne nous sépare ne poursuit désormais
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L’assise
Les pluies cessent le lendemain la terre parfumée d’ambre
Les bottes sur le sentier d’une flaque à l’autre qu’elles troublent
Enfants que nous ne sommes plus même si l’eau nous admire
D’un éclat entre les pierres d’un brillant pour les ronces
Jusqu’au guet du blockhaus sur les Courreaux de Groix
Je m’approche derrière elle sa nuque comme le souvenir
D’une toile d’Andrew Wyeth
La colline asséchée
Christina désespère
La maison tout là-haut
Je ne tente rien
Ce mot est mon regard
Sur les champs sur les femmes
En robes roses et patientes
Elle devine ma présence le passé fend les souches
C’est comme ça le moindre choix quand assise sur le banc
Elle fixe le trait d’écume et la vague immobile
L’image poursuit le temps il faut s’en tenir là
Mon souffle devient la brise qui réveille une mèche blonde
Le cou oscille à peine pour un voilier à l’ancre
Les silences en poussière le papier qui se corne
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La dormie
Oh patiente oui patiente encore la vague tardive
Réveille tes yeux révèle la ride avant le soir
Le sourire de la chair le désir qu’on habille
D’un soleil dans la brume comme l’œil sur l’horizon
Même le vent nous oublie le refrain des nuages
Bientôt nous sommes le sable l’océan sous l’orage
L'éclair nous émerveille
Si nus d’être nous
Comme en rêve les averses
Enlacent nos baisers ils
Aspirent la foudre
La pluie est froide et lisse
Quand la nuit tombe
La mer l'étain
Plus rien plus rien ne meurt le parfum de la houle
La lenteur des cargos ou la rengaine des algues
Et toujours la dernière la vague sera plus claire
Elle est d’avant les vies avant l’unique sillage
Des lèvres qui se disjoignent le regard d’un récif
L’île s’affole du tonnerre nous dormons sous l’écume
Tu dors dis moi que tu dors d’aimer dans la pénombre
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La nommée
En janvier 2011 on renie Larmor Plage
D’une maison à une autre un chemin les relie
A peine cinq kilomètres déjà un nouveau monde
On lâche les apparences les bourgeois en pull rose
Les estivants en sweat rayé blanc bleu marine
On se pose à Lomener pour l’écume sur le môle
Le lointain vers Kerroc’h
Les histoires qu’on raconte
Au bar du Moulin Vert
Encore les mots
Mon silence arménien
Le pays inconnu
Les bribes et la buée
Les restes que charrient les vents d’ouest
Qu’abandonnent les marées sur le sable de Kerpape
Du Stole du Pérello les noms sonnent la mémoire
L’usure et le récit les façonnent mieux qu’une vague
Ou qu’un stupide poème tais toi nous sommes l’ailleurs
Le désir des brisants et le phare de Pen-Men
L’extrême bout du rocher où se tient l’homme stylo
Se marrent-ils vraiment saouls à la lumière de Groix
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La reflétée
Dans la fenêtre noire d’encre reflet de son visage
Le regard des bougies et la vie intérieure
C’est là qu’on interroge les souvenirs les dédales
L’amie qu’on a perdue l’absence la pluie battante
Un minuit de grand vent BMS* et la peur
De ne pas s’endormir on s’enfuit en voiture
Rien qu’à Lomener
Des vagues six mètres
Hautes par-dessus le môle
Défient l’étoile dernière
Entre deux nuages
Passant furieux
Comme les poumons
Enragés d’un train
Rage des bourrasques des baffes me retournant le visage
Les embruns griffes de sel le vacarme des rafales
L’océan sous ma gorge et j’avance à rebours
J’ignore d’où viennent les morts si le noroît les chasse
De leur néant les brise en écume sur la digue
J’enserre l’anneau rouillé quand si brusque une lampe torche
M’aveugle dans la tempête je tremble je serre une main
*Bulletin Météorologique Spécial
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La prise
La nuit meurt lie de vin au grand dam des éoliennes
Lentes pales des crépuscules patientes à l’horizon
Comme de géantes vigies au bord des autoroutes
Où je m’esquive silence je conduis l’insomniaque
Et la fatigue des cernes quand j’arrive à Ploemeur
Dans un bleu gris de brume la main repose la pierre
On ne sait pas
Si je me terre
J’enlève mes shoes
Le pas s’ensable
La mer me glace
J’avance quand même
C’est novembre j’erre
Le long d’une vague
Qui prend la forme d’un monstre marin serpent d’hiver
Je la déroule sans fin la signe d’un trait d’écume
Finir au Pérello pour qu’un ciel noir bascule
Là bas vers l’Amérique loin après les Glénans
L’air du large parfum d’huitre je lui tends mes arcades
Tu es loin maintenant plus loin que tous les frères
A qui tu donnes tes rêves ou la langue pour l’épreuve
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La renversée
La nuit enfin somnole une voiture est fantôme
Sans chauffeur sous la brume ni âme pour le granit
De Notre Dame de Larmor Plage jusqu’au Pérello
A fuir l’aube mon alcool la route seul dans la nuit
Je finis corps de sable aux molles vagues j’abandonne
L’image perdue de toi je vis quand mes femmes rêvent
Ma soif rebelle
Te pare d’élans
Ainsi tes seins
Qu’une langue désole
Où est-ce l’heure feinte
Qu’une main traverse
D’écrire les aubes
Je nous endors
Bien avant la marée montante le matin pâleur mauve
C’est la houle que j’entends je ne rentre pas chez nous
Ne rien rater du jour au bar du Moulin Vert
Je te donne rendez-vous tu arrives paupière nue
Ton imperméable s’ouvre le parfum de sommeil
Ne dis rien sur l’hiver ton sourire est d’été
Lente lente la plage du Stole où l’amour se renverse
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La hantée
Au lieu dit sans prières l’océan gris déchale
La plage se découvre loin sur la grève en miroir
La lumière dessine l’ombre de toi frayeur des vagues
La mer recule encore le varech trace les mots
D’une langue que tu révèles du bout de ton pied nu
Parfois c’est une étrille qui panique sur le sable
La pétole somnolente
Hante triste la perspective
Et de Larmor
Jusqu’à Lomener
Tu marches d’un pas
Si contraire au lointain
Que l’Horizon
Bascule dans la nuit
On ignore tes errances mais le lendemain matin
La plage de Locqueltas t’exhibe au soleil d’est
Tu t’allonges bras en croix perdue dans le souvenir
Des murs blancs qui s’égaillent aux rivages de Port Louis
C’est là que tu m’appelles mon portable sonne c’est toi
Je décroche une seconde meurt tu dis dans un souffle
"J’irais bien voir la mer écouter les gens se taire"
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L’envolée
Alors comme ça poème sans accrocs ni faits diVers sans ma vie réelle ni l’heure capricieuse bof
L’amour au temps du web foin du lyrisme j’avive
Dans chaque alexandrin l’instant qui au soleil
Brille d’un éclat de verre oublié sur la plage
De l’anse du Stole j’aperçois la digue où je compte
Absous du chant
D’une strophe sans chair
Les pieds des femmes
Si on s’évaDe oui on s’inspire
De l’immédiat
Une illusion
D’histoires qui nous promènent
C’est pour le quotidien au nord du Morbihan
Une marée d’équinoxe le windsurfer ce brave
Comme les mouettes au vol prompt qui s’amusent des vents d’ouest
Ou l’écume des brisants les feux de Port Tudy
Du sentier de Kerroc’h aux clichés de Céline
L’univers est plus vaste qu’une ligne transatlantique
Ou c’est un mot qu’envole la dépression d’Islande
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La relancée
Moi je ne sais plus ton lac plat comme un purgatoire
Les galets sonores au pas d’un couple qu’attend la faim
D’amour si l’horizon du gris d’écorce aux chairs
Roses de vos baisers ose l’éclat de cuivre mais rien
Que ta silhouette se fige d’un bleu crépusculaire
Sur la berge est-ce ton rire qui d’ondes brouille le miroir
C’est un lundi
Le soleil pâle copie
Soulage les arbres
Ciel de Toussaint
Dans la pierre d’œil
On n’entend rien
Ni la vague morne
Du lac Léman
Mais à mille kilomètres sur la pointe de Kerroc’h
Comme je relance un leurre dans les creux de la houle
Je repense à ta lettre tâchée de cette lumière
D’une fin de jour solaire de ton choix d’être absente
Ou plutôt de ne rien choisir l’amour des marges
Ni bar ni lieu je rentre le crachin camisole
Sur le sentier je croise une femme qui se retourne
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L’arrachée
Voudrais-je les averses le gris du ciel ensemble
Les pluies qui n’ont de cesse la nuit glissant velours
Sans bruit derrière la vitre d’une noire lenteur pour fondre
L’ultime mois de lumière priant rouille la forêt
De Brocéliande l’hiver le vent referme les portes
Un dimanche changer d’heure pour la rétine d’hiver
Ciel mine de plomb
Un arbre dessine
Lui-même le trait
Rauque des racines
Plus d’un soupçon
Sous le nuage
S’il crève ce jour
On mouille une page
Familles en ciré jaune sur la plage de Guidel
Se courbant bottes de pluie sur le sable marée basse
Coques et tellines couteaux l’océan d’une blessure
Faveur d’une dernière lune se retire jusqu’aux roches
Qu’on imagine dos d’orques là qu’un jour d’équinoxe
Tu trouvas une main blanche posée sur le varech
La mer l’avait rendue sans l’âme de l’inconnu
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La repue
Tard octobre boude un diable un bouc noir à longue barbe
Les cornes couleur de terre et dans l’œil de bile fou
Un trait sombre de vipère il pue le poil s’hérisse
Sur le dos il nous mate pointe du Talud ciel bleu
L’océan étincelle derrière le pré qu’il broute
On l’invite mais une chaîne le retient dans sa rogne
La tourelle du Grasu
D’un faisceau épris
Vois qui s’échoue
Aux roches salies
Déjà le bois flambe
Près du blockhaus
Débat des flammes
Le démon rampe
Sous l’herbe rase va lécher d’autres langues rêches de granit
D’un pied en équilibre d’un rocher au suivant
Jusqu’à baiser la houle long désœuvrement du large
Et on se rit des morts tant que trépigne le bouc
Le sabot est sans partage quand la terre est obscure
On entend les étoiles vieillir et les filantes
Ah mon dieu la nuit blanche repue des catastrophes
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L’assoupie
Un chat noir en maraude un matin de septembre
Immobile sur le port teint d’ardoise ou de pluie
Des entrées maritimes chante la voix matinale
L’arrivée de l’automne et la mort en Irak
Le président en déclin un air de Philip Glass
Les souvenirs du si peu et qui sont persistances
Je n’oublie rien
Je te les donne
Les sons mes ronces
Je ne lâche rien
Ni ta main ni
Ton cœur l’épine
De ton mystère
Je ne lâche pas
Ta main celle qui me souffle le sens d’une vague inverse
Je voulais qu’on se perde comme pour un océan
Au cœur d’une dépression avant de m’assoupir
A Galway ou à Brest à quai les drisses déclament
La cadence d’un avis de grand frais - ne tente rien
Ne tente même pas la fuite sinon je bois des bières
En comptant les nuages pas un ne te ressemble
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La dérapée
La lune noire quand je glisse d'un toit le pied dérape
Les yeux franchissent la nuit un virage me désole
Si j'en réchappe des morts vaincus des routes
Je retrouverai une fille brune sous les peupliers
Ombrageant les tennis où les balles jaunes résonnent
C’est ici qu'un baiser deviendrait l'Atlantique
Parce qu'une caresse
Sous ta jupe blanche
Réveille les pluies
De nos arrières paroles
Derrière le stade
Je te connus
Un soir de bal
Et tu chantais
Un tube à la mode ça you take my self control
Tu auras tellement froid là-haut le paradis des chanteuses
A noirci le soleil une fille à Larmor Plage
La vie revient des vagues les étreintes nous enivrent
Les tennismen s'absentent pour dépasser le siècle
Mais l'écho de leurs balles révèle tous les étés
Chutt tait mon amoureuse ma langue pour un baiser
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L’enroulée
Peut-être qu’une apparence ou l’écran de télé
Suffisent-ils aux moindres vies mais Philip Glass s’entête
Un dimanche de septembre une fille frappe à la porte
Ulysse est dans sa main quand le piano isole
Fatigue de l’océan je te sauverai là-bas
Pour les mots qui s’agrègent quand on s’éloigne des terres
De toi secrète
De la peau cuivre
Le sein pubère
Et rose ta bouche
A Kerguelen
Tu rêves un homme
Loin d’une histoire
Entre parenthèses
Et puis la vie entière avant qu’enfin je songe
A l’effroi du granit à l’étoile passagère
Tu seras mon amante les nocturnes en fragments
Amoureuse des marées au plus lent crépuscule
Bientôt nue prise des algues qui s’enroulent en caresses
Visqueuses deviennent langues et si elles ouvrent l’émoi
Tu t’abandonnes aux lascives moi voyeur sous la lune
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La désunie
L’homme court sur le ponton du port de Kernevel
Le soleil un soldat se hisse sur notre Dame
De la Clarté bien basse au cœur de Larmor Plage
Une cloche sonne le granit tôt à Rocamadour
Dans une chapelle obscure espèrent les ex-voto
Que les marins crédules léguèrent à la Vierge Noire
Bois d’os séchés
Navires d’avant
Gris de poussières
Lueur du Lot
Moi aussi j’y ai cru
La légende contre la mort
Las des falaises
Qu’est-ce qu’on implore
Les planches résonnent du pas des amis qui accourent
Il a perdu sa main sectionnée par une drisse
L’acier l’a désunie le vent panique au winch
Coupure nette le sang gicle rouge sur le tourmentin
Un temps il les observe ses doigts dans le roulis
D’un geste je masque tes yeux je t’emporte avec moi
Vers la plage où s’échouent les mains blanches des fiançailles
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La retardée
On n’en revient jamais fin août chaque bruit diffère
L’oreille étouffe les rires des enfants sur la plage
Ou le ciel rétrécit d’un bleu trouvant le pâle
D’un proche automne j’entends le moteur de l’avion
A la fin des vacances en diffus tremblement
Il bougonne en retard jusqu’au soleil orange
On s’allonge dans
Les heures qui durent
Un lent dimanche
Las de paraître
Encore une heure
De perdu on
Retarde d’un cœur
Ou d’une parole
Même l’océan même lui s’interdit la moindre vague
La journée s’achève lasse nos ombres horizontales
Une chauve souris annonce la fraîcheur de la nuit
On rentre et les feuilles masquent noires le bleu crépuscule
De la maison voisine les notes de Philip Glass
Se dispersent entêtantes au lieu de la pénombre
Je réalise soudain que nous sommes disparus
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La volée
La bruyère en tâche pourpre d’où pointent de longues épines
Inamicales elles griffent les jambes pâles d’une errante
Sur le chemin côtier tortueux plein soleil
L’Atlantique en mille flashs aveuglants elle s’affole
Ses longs bras hissent le ciel puis ses mains sont les yeux
S’érige le Christ en croix à la pointe de Kerroc’h
La terre calleuse
Du sentier face
A Groix flotte l’île
D’un grand départ
Une seconde elle
Flotte elle entrevoit
La rouille du Christ
A deux pas du blockhaus
Qui fut un poste de garde d’acier ses armatures
Ont pareillement rouillé tu y promènes ton aile
Tu ne peux rien revivre ni la guerre ni l’amant
La foi est comme la houle dans les orbes deux prunelles
Brillent et tu vois la lande le ciel de l’océan
Le monde se tient debout avec toi le vent ta robe
Acrylique légère vole tu es ta seule présence
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La perdue
Comme en dehors du vieux siècle un mari pérore
Son pouvoir et ses terres sa femme ses collaboRateurs et ses marges soudain il cite Donatien
Alphonse François de Sade dans un éclat de rire
Tu le gifles entre deux coupes de champagne tu le gifles
D’être à ce point conforme comme j’aime ton rire sauterelle
Alors on file les Strokes
A fond la caisse
Dans ta caisse sur la route
De Lomener Beach
La plage du Pérello
Cinq heures du mat
On attend le
Soleil tu parles d’ivresse
Je te raconte Eva ses peurs ses doutes son père
Le silence dans la bouche le mari sans la fièvre
La vie qu'on perd en larmes de se perdre en regrets
Demain dans une chambre seule en exhib sur Facebook
Auprès d’hommes ralentis qui toujours disparaissent
Vient l'aube enfin bleu clair l'océan soulève une
Longue vague qui nous éteint si le baiser déflore
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La vibrée
Ne crois en rien diaphane au retour des plages
Sous le voile lacéré un ciel de traîne où vibre
Un avion du mois d’août invisible qui marmonne
La rumeur estivale des cris d’enfants s’éloignent
Le sable scintille au bronze de tes chevilles pardonne
A celui qui t’observe moite sous la transparence
Ne crois rien d’autre
Que la fièvre une
Fin en sueur
En haut des marches
Quand grince la porte
Tu te tiens là
Comme en offrande
D’une main qui voit
Lors tu t’imagines sage dans la psyché le tain
S’écaille pour notre histoire il y a l’océan
Que traversent nos désirs les reflets nous désignent
Peut-être mieux que les vagues les voilà cristallines
Au seuil de ton âme nue Larmor Plage le temps meurt
Chaque jour à marée basse bientôt la bouche est close
D’un amour immobile le soir mouillé d’une gorge
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L’hésitée
Elle n’attendait personne le sentier de rocaille
Des espadrilles usées la démarche hésitante
La main contre le soleil qui s’accroche au miroir
De la tôle d’océan pas un brin d’air le large
Dans l’horizon de brume rien ne vivrait sans toi
Achevons d’un baiser la vibration d’été
Au Courégant
Comme deux ados
La salicorne
Au bout des lèvres
Un peu de sel
Craque sous nos langues
On en salive
Et la bouche brûle
A la fenêtre qui baille la nuit tarde quand elle saigne
D’un orange délavé sur les murs de la chambre
Le rideau voile s’envole au vent du crépuscule
Pas un corps ne s’effleure la main creuse le silence
Pour le sein d’une patience je me retiens au souffle
Rien ne bouge au balcon sauf la rumeur des vagues
C’est curieux elles racontent le sable sous nos caresses
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L’emprisonnée
Là si près de la mer la prison de Ploemeur
D’un gris cube angulaire qu’alentours veillent les chênes
Sur la route de Larmor la sombre miséricorde
Quand la nuit le poivrot s’auréole d’un volant
Les mouettes ont l’œil macabre reluquant les barreaux
Où j’imagine les mains qui se tendent vers les becs
Il est tard au retour
De cette boîte à Quéven
Ah le Valentino
Souris-tu sous la nuit
Tu es belle balbutiante
Ivre d’une mauvaise vodka
Oups je freine au rond point
Quand surgit un renard
La prison au matin comme un château rouillé
Quel cynique a figé un pauvre chalutier bleu
Pile devant la centrale file mon amour nous sommes
Libres j’accélère et roule sans mot jusqu’à Lomener
Regarde moi dans l’aurore Pen-Men le phare s’éteint
En un soupir mourant il est bientôt six heures
Alors vite courons jusqu’à la plage du Pérello
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L'éperdue
Une garnison peureuse de maïs tourne le dos
Aux rafales d’ouest des pluies comme des cordes dégoulinent
Sur la route la noient même le pare brise est aveugle
Toujours ces champs guerriers où les inflorescences
Volent au vent dans l’attente des furies océanes
Dernières preuves d’un été qui dérape au mois d’août
Un jour dans la carrière
De kaolin
Tu te rappelles
L’eau sur nos corps
Et la blancheur des dunes
Nous nous sommes embrassés
C’était notre jardin
D’Eden sous les averses
J’aime la peau qui dessale après l’énième soupir
La caresse au cœur battant avec les maïs
Qui chialent tout ce qu’ils peuvent nous sommes d’avant les larmes
Nés d’un soleil marin sans le regret d’une faute
Commise dieu sait quand non c’est l’œil qui te lacère
Mieux qu’une ronce l’interdit nous révèle l’avant-monde
Dans le champ éperdu se rendorment les bas ventres
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La détrempée
Où d'une ville du passé tu domines les dimanches
Muse de personne te dis-je à toi qui rêves l'étale
D'une marée pour le temps immobile le nuage
Noir comme la mine de plomb crache sur ta poitrine nue
Lourd d'une France traversée une averse d'Atlantique
Qu'aucune fenêtre n'empêche de te gifler l'ornière
La fente d'un trait
De langue rigole
Pour les orages
Brûlants d'été
Et Sylvie d'elle
Ecrit : « la femme
Que j’aime la pluie
Ne tombe pas sur elle »
Comme on enfreint les règles quand détrempée la terre
Exhale des parfums âcres un après de sueur
L’amour au fond du jour quand d’or le soleil tombe
Derrière la vitre salie ouais c’est dans la chaleur
Qu’on oubliera d’aimer pour encore mieux s’aimer
Puis toutes deux vous irez derrière le mur de pierres
Marauder les framboises en abusant l’épeire
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La parlée
Et après d'un rien blanc d'horizon inutile derrière Groix
Un rosé au Celtic l'excuse d'un égarement
La nuit est meurtrière paraît-il au centre ville
Des hordes celtes ou d'ailleurs de bières se saoulent
La folle forcément là crie au port de plaisance
N’est-elle qu’une pauvre sirène trop seule à marée basse
Je la recueille un matin tôt
Lui raconte ma double origine
La Corse et l’Arménie
Va donc savoir
Pourquoi plus tard
A Port Maria
J'oublie le sang
Dans la prunelle
Bleue de la tenancière muet d'un horizon
De ses lèvres anémones puis le banal échange
L'arrivée des touristes la clémence du mois d'août
Pour un peu j'oublierai les murs blancs de Port Louis
Au soleil exposés sur l'autre berge de la rade
On parle de poésie puis d'un crawl dans les vagues
Des asphodèles d'Ulysse perdu en Morbihan
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L’appartenue
La lune recueille les vagues vous à l’abri des pins
Les troncs comme furent nos corps les vents d’ouest les malmènent
Sans pitié à minuit l’écorce sous l’ongle écaille
L’envie d’une nuit prochaine toujours la plus belle nuit
Serez-vous prisonnière à l’ancre à Fort Cigogne
Oui dis-je entre vos baisers les langues savourent le sel
Un mouillage aux Glénans
Dans le clapot fin août
Des miroirs de lune
Viens si je t’appartiens
Dit-elle aux ombres
Un doigt chante l’aine
Le sang désire
La sueur en désordre
Rien ne bouge dans l’humide plus rien nous sommes nos morts
D’une extase la bouche bée un cri force le silence
Qui nous laisse dans le froid d’un horizon promis
Le hublot grand ouvert de la cabine on vit
Bientôt je vous regarde comme jaillie d’un éclair
Ou de l’hypnose d’un phare qui scintille pour le large
Si je suis près de vous c’est pour entendre la mer
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La promise
La chair de l'un la faille de l'autre au nord couchant
Alanguis allongés les ventres ouverts dehors
Je t'aime dit-elle mais l'œil cause d'effroi sur le pubis
L'âme sera là mon cœur où je me tiens en vigie
Ici le dieu siège un dieu tapi sous les ronces
Comme hier nous enfants au milieu des grandes herbes
On se pardonne
Soi-même l'ardeur
Cruelle d'aimer
Jouir de violence
Il n'est d'absolu
Maître au temps d'Eve
Coquin d'Adam
Qu'un seul murmure
De toi sœur aux confins des forêts de chênes mortels
Nous avons hésité au désir d'Atlantique
Mais les murmures persistent comme les vagues en vérité
On meurt dans un hôtel au bord de l'autoroute
La vitesse est trop grande à la fin tu me gifles
D'être en ce monde présent toi qui rêvais des gouffres
Promise de l'aubépine le destin d'une épine
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La piégée
Par chance fille d'une ronce l'épine saigne son désir
Elle y trouve en offrande un jeu de mûres sauvages
Les mains d'encre s'abandonnent aux fruits noirs des chemins
Des routes perdues je sais la cinglance qui dénude
Au plus chaud du mois d'août la moiteur en lumière
Dans l’auto Philip Glass épuise et nous désœuvre
La main s'enfouit
Au fond du piège
Bruissant d'abeilles
Griffée le soir
Devinant l'heure
D'un phare lointain
Une vaste lueur
Avant l'amour
Ce rien de caresses pâles dans la pénombre velours
La fenêtre brille dehors la nuit exhume l'averse
Profonde la terre inspire ou est-ce l'écorchée ivre
Du champagne un Vranken la flûte rosée l'appelle
Encore j'approche mes lèvres je boirai ta souffrance
La gourmandise d'été le parfum noir des mûres
De toi j'envie la peur de sourire dans les ronces
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La rougie
A peine bleu délavé de la brume l'aube envieuse
Le feuillage endormi d'un pommier qui s'absente
Silence le chien nocturne s'est tu au bout des terres
Je m'en souviens très bien malgré la nuit de chair
Ma langue léchait le sel blanc cristal à tes lèvres
Avant qu'un cri t'emporte au plus sombre de la lande
Etendue morne
Derrière la dune
Quand je délivre
Le vent ton corps
Des herbes rougi
Lent s'abandonne
A l'insomnie
Qui sera mienne
Alors je couvre tes seins et le drap blanc respire
Je reste là je regarde j'écoute la chambre le chien
Ne sera plus qu'un souvenir au bord de l'océan
Je m'y rends avant l'aube ma lèvre est une brûlure
Rien qu'une vague la soulage encore de toi le sel
La langue à marée basse n'en revient pas jamais
D'éprouver l'amour aux extrêmes horizons
- 39 -
L'errée
Grand Hôtel des Beaux Arts comme un hier d'errance
La clé d'une chambre d'objet devient symbole d'une nuit
Longue comme une aventure la nôtre New York Florence
Vernosc Lyon Ploemeur et là-bas – en face - au New Yorker
Neige d'un hiver glacial un polonais nous vend
De la Gold Tequila elle sera notre magie
Haute sur Downtown New York
City une petite fille
Blonde comme l'Ardèche
Naîtra neuf mois plus tard
A Lyon huitième en deux
Mille un ce jour de vent
D'une césarienne
Unique au monde
Ah et puis Lomener le présent et de mon manque
De toi j'accroche une algue à l'histoire inachevée
Tes mélanomes nos sommeils tes cils encore mouillés
Quand tu plonges dans Sainte Croix en mars de nos amours
En marge du raisonnable mais qu'importe nous sommes libres
L'ombre des branches sur le mur au soleil qui décline
Tu es loin mais je lis ta présence dans les doutes
- 40 -
La glissée
Le toit je glisse toi seule comprends le jour de neige
C'est à Lyon place Bellecour les flocons un orage
Tu as peur et tu trembles nous sommes avant l'histoire
Avant Sainte Croix son lac tu le défies en mars
Et c'est pourquoi je t'aime d'un désir immédiat
Qui s'éternise vingt ans jusqu'à Lomener la vie
Le voyage l'aMour l'écart la
Mer puis New York l'enfant
D'une méduse à
Leucate sur l'autoroute la tram
Plus loin la Corse
Et Roccapina
La poésie éclate la mémoire nos dérives en nocturne
Lyon déplore le chaos d'une âme qui se rassemble
La mienne la presque mort n'en finit pas de trembler
Comme toi ce premier jour sous la neige place Bellecour
Sécheresse de Bauduen le lac pleure ses galets
La fièvre de notre petite un jour de canicule
Comment pourrais-je tarir les mots d'une existence
- 41 -
La divaguée
O tu m’aimes mais pourquoi tu m’aimes moi qui tombe
Du tilleul et des nues car ce soir trop d’alcool
Le vin rouge tes mèches blondes volent sous le parasol
Les jours baissent on le sent j’aime tes mèches blondes
Je me répète mais c’est ça l’amour avant la peur
Le danger l’âme frivole ne posséder personne
Tu vois renonce
Au cœur d’épines
Nos corps divaguent
Malgré les ronces
Je serai vieux
Un jour prochain
Mes rêves d’Eros
Au même ravin
L’écriture solitaire dans cette chambre du Vivier
A Lomener à la fin d’une tempête qui explose
Sur les rochers de chair pour que les peaux s’écorchent
Et après l’insomnie la baie s’ouvre aux naufrages
Le sel étoile les vitres on se fume une Dunhill
Je perdrai mon regard si je referme tes yeux
Tu t’assois sur le lit et tu récites les vagues
- 42 -
La diluée
La brume couleur de suie épaisse pour la dire dense
L'œil s'habitue à fondre le ciel les gris à peine
Plus sombre l'océan calme les cernes en somnolence
Un long cargo se traîne comme un fantôme de silence
Dans la rade de Lorient il découd le crachin
Derrière le môle les mâts hissent d'éteints métronomes
Le matin tôt
Prises de brouillard
Emergent d'un mot
Les silhouettes de Larmor
Questions aphones
Qu'on étouffe on
Relève le souffle
D'attendre ils marchent
Avec leurs parapluies on se demande pourquoi
Tant elles sont fines les gouttes par milliers dans la bruine
Pour ce décor opaque d'amour je me dilue
Disparais dans les voiles des jours sans transparence
Jamais las de Larmor Plage aux heures faussement fades
C’est étrange quand vers Gâvres un feu rouge et vert brille
Dans le flou étincelle la Tourelle des Trois Pierres
- 43 -
La ramenée
Pas vu la péninsule de Bretagne suis trop proche
Du granit et des chênes des marées du ressac
Je n’ai aucune frontière si ce n’est le choix celte
Se perdre dans la forêt ou toiser l’Amérique
Magie des forêts ou tentation des falaises
Je me tiens là au bord où jure le précipice
En bas les vagues
S’énervent hurlantes
Le vent du large
Ramène aux terres
Du passé je
Reste en équilibre
Entre l’argoat la terre
Et l’armor la mer
Un dilemme où je pense le monde à hauteur d’hommes
Pas un seul satellite juste le vent sur les joues
Et la pointe de Kerroc’h quand fut l’impossible choix
D’océan ou de bois plutôt s’en tenir là
A ce bout de l’Europe qu’on dénomme Finistère
Mais voilà je préfère les excès de nos langues
Nous deux en discothèque et flirter dans la paille
- 44 -
La jalousée
Avec toi plieuse d'herbes au bon soin du mois d'août
Vainqueurs du pré jauni nos sueurs en rosée
La chair qui s'égratigne le bas ventre au couchant
Le soleil ocre dénoue l'étreinte détend les veines
Peut-être l'ombre à l'orée le bosquet de chênes verts
Ou bien le bleu si bleu qu'on endort les Boeing
Les mains derrière
La nuque en rêve
D'un soir fini
Orangé rose
La fatigue tait
Le seul oiseau
Et le caprice
Des hirondelles
On s'adosse à l'ardeur d'un arbre encore d'été
Les racines en marmonnent qu'assoiffe la terre calleuse
Les mains dans la poussière le vent du crépuscule
L'air du large l'océan proche après l'autre colline
Au signe d'une étoile d'or ton gilet sur l'épaule
Rentrons après la nuit sur le chemin côtier
Dans un champ d'asphodèles on jalouserait la lune
- 45 -
La baptisée
Un rase-motte d’hirondelles plus véloce qu’Iggy Pop
Puis le silence des chats qu’endorment les escaliers
De pierres grises la fraîcheur d’un blockhaus où tu signes
Le béton granuleux d’une autre guerre elle s’appellerait Eva
Figée dans la stupeur d’une beauté qu’on essouffle
Désolé je m’efface pour l’été qu’on dédouble
Morbihan d’herbes jaunies
J’essaime les doutes
Au hasard des marées
Afin qu’on s’assoupisse
Nus sous l’immense soleil
Et puis tant pis tant mieux
Si les ajoncs se rincent
Les yeux qu’ils ont perdus
Les joues qu’on soulagerait aux vents aux vies offertes
Tu te souviendras à Guidel Plage d’une main morte
La main blanche trouvée à marée basse sous les algues
Mon amour tu es lasse de la pudeur des autres
Un autre vol d’hirondelles fouette la torpeur du jour
J’épuise sous de vieux chênes les divas amoureuses
Si blondes dans la lumière qu’une forêt les baptise
- 46 -
La saillie
La mer dans sa lenteur ainsi qu'une rime au loin
Se relâche je me souviens les galets peseurs d'ordre
S'il s'agit d'une couleur elle sera grise de fer
Grise entre ciel et varech au front ce qu'il faut d'air
Seules distraient le voyeur une mouette au lent survol
Ou les vagues en dentelles berçant le sortilège
Un tanker lie
De vin à l'ancre
Plombe devant l'île
De Groix l'enclume
Les bouées blanches
Flottent nonchalantes
Rondes comme des yeux
De rougets morts
Des lèvres j'entends la pluie ô sois donc fou l'ami
Ecarte le pli de terre sous la racine saillante
C'est toute la boue la chair qu'on arrache à la loi
Dite loi en peur des vides alors qu'on se libère
Aux abords des falaises il y a du vent dans l'âme
Pour chacun de mes membres l'âme de ma vie charnelle
Je l'éloigne de la croix qu'elle demeure ma personne
- 47 -
La jouie
Ah si belle d'une ténèbre oublieuse bel émoi
De ton corps entrouvert peau blanche griffée d'effroi
Dans le blockhaus béton le granit de Kerroc’h
Dressé contre les furies des vagues et toi dressée là
Où un soldat nazi vit sa mort sous le feu
Oui toi qu'on déshabille les seins perlés de rouille
La mémoire s'effraie
Grise sous le porche
Poussière du peu
Fuis pour qu’on s’en libère
L'heure avilie
Je l'attends sale
Quand nulle lumière
Pleure le dégoût
La pénombre la plus crue est la dernière falaise
Là c'est là que j'abîme les amours affligés
Le cœur n'aime que la honte la joie du renégat
Souffrir et se corrompre pour la beauté du vice
La cinglance d'un poème rouge comme le coup de fouet
Fuis lâche l'ombre et la peur nous sommes le muscle d'écart
La soif avide des marges nos yeux seront immenses
- 48 -
L'ébisée
Ralentis à Larmor sable brun à marée basse
Une journée de juillet emmêlée de touristes
Elle se retient au bar je l'espère d'un écart
Mais c'est une parisienne qu'elle séduit d'un clin d'oeil
Je m'absente une minute déjà loin du soleil
Elles rejoignent la lumière où s'échine le rocher
A découvert
En taches violines
Secret des algues
Qu'un gosse sublime
Un tee-shirt rouge
Ses mains fouillent fouillent
Une anémone
Attend le sel
Pas un qui ne patiente elles d'un amour frivole
Allégé des baisers qu'on affleure le jour même
La mer éclot les bouches les referme les envie
Plus tard décline le bleu jusqu'au soir où s'ébisent
Les rebords de la chair le repli d'une muqueuse
Houle peut-être plainte ourlée c'est dans la chambre voisine
Un été de ferveur qu'on sépare les averses
- 49 -
La salée
On se tient aux aguets éclaireurs des vents d'ouest
A la proue d'une vieille terre les tempêtes en pleine poire
Les pluies sont de passage le crachin nos mystères
Où la croix s'assombrit sur la route vers la lande
Ah crucifié le pauvre même le dieu de granit
Qu'on s'invente pour la nuit avant d'une fièvre pleuvoir
Une terre de braise
Durcie au sol
Lave primitive
Aux lèvres d'un peuple
Mélancolie des soirs
Râle des marais
La vase la tourbe
Soupirs d'une fée
La légende par les pieds entre et renverse la chair
Le champ du bout du monde désespère le galop
Je ne suis plus du siècle ici l'océan clôt
Les paroles inutiles on dresse les blocs de pierre
Pour cette ombre de soi-même à l'abri des bourrasques
Voilà voilà cette fille m'écoute depuis des heures
Je radote je divague en tongs au Moulin Vert
Je vide ma bière et je m’interroge sur la courbe
De l’horizon d’un peintre nommé Haab Camon
Ses terres d’avant les hommes l’esquisse du plus haut ciel
Je cause je cause elle m’écoute et j’oublie la strophe
Les vagues creusent mes tympans j'ai du sel sur la langue
- 50 -
La bleuie
Un lendemain de juillet dans la chambre aux murs pâles
Devenant bleue entre le soir et un bar de Kerroc’h
J’achetais Ouest France t’ai vue puis un slow des Bee Gees
Qui passe à la radio qu’est-ce qui me prend je t’invite
Et les vieux loups de mer d’un œil inquiet nous lorgnent
Tu n’étais plus le leurre des lèvres au bord des failles
How deep is your
Love is your love
Tu m’as suivi
Sans rien connaître
Ni la lumière
Crue du soleil
Sous le grain cendre
Ni diagonale l’averse
Elle nous surprend soudaine sans réfléchir tu cours
Le désir est comme ça et la chambre bleuit douce
Quand mon souffle sur ta nuque pas trop près pas trop loin
Sur le lit les draps froncent à l’envers des paroles
Nos corps en un seul fondent et succombent fantômes
Nous serons comme les plis disparus à nous-mêmes
Passion caprice des pluies c’est en Bretagne qu’on s’aime
- 51 -
L'envahie
Jetée nue vendredi dans une furie d'orties
Comme nous enfants jouant à des jeux d'Amérique
On court dans les grandes herbes et on vieillit sans peur
Des folles urticantes des épines sanguinaires
On atteint quarante ans pour pleurer l'horizon
La marée la plus haute où il se déclare prince
Pour des buissons
T'en sortir sauve
Rougie d'orties
Et fière des ronces
Des collines seins
En solitude
Tu attendras
La mer ton roi
Qui n'éteint pas l'amour comment le pourrait-il
Le secret des douleurs il ne le dément guère
Ni les herbes qui meurtrissent ni l'aspic sous la pierre
Il a l'art du soleil sur les versants arides
Mais surtout te marre pas s'il se tient à l'aplomb
De toi nue idéale dans le pays sauvage
Il envahit ton ventre peu après la lune rousse
- 52 -
La résolue
Promenade de Port Maria ce matin en face Port Louis
Pleure la mer éclatante l'oeil ne peut s'y résoudre
Aveuglé de lumière s'il le peut il s'accroche
Au seul clocher aux mâts les drapeaux de la plage
En contre jour café crème une femme vante son profil
L'ombre grise de mon stylo poursuit l'oeuvre des chapelles
Je reconnais
Le bris des vagues
Relevées la veille
Des vents violents
Je n'irai pas
Plus loin le large
M'est interdit
Ou je m'égare
Des chapelles aux falaises les mêmes forêts obscures
Courir dans les fougères à hauteur d'hommes cinglantes
A rebours des nuages grossis d'averses des luttes
Entre ciel et océan pour s'éventrer aux nuits
Des gosses bleus de terreur qui devinèrent la fin
Pieds nus sur le granit Finistère et après
Je lâche un autre feuillet comme pour se perdre ailleurs
- 53 -
L’entraînée
Tombe sur la dalle de pierres en rebellée des ronces
Le bouquet de fleurs sèches s’embrouille dans tes cheveux
Ou ne tombe pas encore tu attends l’heure qui gronde
Tant d’ocre autour de toi me rappelle un été
Au parfum d’herbes coupées les averses odorantes
Ton appel en attente sur mon portable aveugle
Mais rien ne sonne
Je peins une femme
La rêve en huile
L’œil ma démence
Mes lèvres de toi
Mémoire d’absence
La douleur pèse
Plus d’une seconde
La dernière fois au Vivier tu montes l’escalier
L’imperméable trempé goutte sur chacune des marches
Vent d’ouest enragé sur la plage de Port Fontaine
Les vagues en rouleaux blancs d’écume nargue le granit
Tu m’entraînes vers l’hôtel et je suis dans ton ombre
Inécrits sur le drap on s’aime dans la tempête
Un baiser ordinaire à l’abandon charnel
- 54 -
La vieillie
J’étais un punk gamin dans ma campagne de rien
On sautait à pieds joints on voulait se faire mal
Ca criait comme un râle rien à foutre des paillettes
De l’école du boulot je dérive loin des mers
Après j’ai l’âge d’une pierre jetée en soixante quatre
Mille neuf cent soixante quatre un écho sans lumière
La pluie déverse
Un siècle encore
Mes rides accusent
La vaine époque
J’écoute la rage
De mes dehors
Mi deux mille dix
En mémoire creuse
Sur la digue de Lomener les plus folles déferlantes
Explosent en jets d’écume visant le ciel les dieux
Morts pas de quoi frimer au Moulin Vert je lève
Ma chope de bière aux femmes épouses de mes désordres
Un breton pur souche l’œil bleu me mate de travers
C’est mon anniversaire lui dis-je pour un mensonge
Et je n’ai plus d’attaches plus de port où vieillir
- 55 -
La frémie
L’eucalyptus s’écaille mue jaune rouille sous l’écorce
Tombés en lambeaux secs sur l’herbe éparpillés
Le hamac se balance aux humeurs de mon livre
Des oiseaux se fatiguent dans le parfum des haies
L’été même en Bretagne exacerbe le moindre mot
Comme ça d’un tronc à l’autre en journées paresseuses
Nos feuilles d’hier
En fuite lointaines
Nos soliloques invitent
L’épeire du seuil
Je dors sous elle
Dernier amour
Si je l’effeuille
J’ouvre ses prunelles
L’araignée n’en a cure de ma paresse abrupte
De mes yeux clos sous l’arbre en rêvant les orages
Tes premières confidences les règles douloureuses
La pilule en cachette l’amoureux décevant
Sur son scooter en larmes de te perdre en été
Je te raconte Susan la fille de Savannah
Sous le hangar d’une nuit je me repense en elle
- 56 -
La rendue
Elle était grise de fourrure dans la main minuscule
Groggy sur la terrasse affolement des poumons
Son corps fragile qui tremble il faut qu'on la protège
Lui redonner la vie mise en danger dans l'herbe
On s'agite on panique vite une boite en carton
Quelques trous sur le couvercle une biscotte pour survivre
Souricette qu'elle
S'appelle petiote
La musaraigne
Q'un chat le nôtre
Chasseur tenace
La veille chopa
Un vrai tueur
De p'tite souris
Mais une journée plus tard mort de notre souricette
Un soleil éclatant la petite fille en pleurs
Alors on ferme la boite du scotch prières d'enfant
La rendre à l'océan posée à marée basse
Sur un lit douillet d'algues nous sommes là tous les trois
C'est une bestiole de rien nous n'sommes rien soyons tout
Nous aussi enfants d'un chant révolutionnaire
- 57 -
L’attendue
Ce n’est rien de le dire la danse jusqu’à minuit
Les verres au Liberty on boit des gin tonic
Quand elle me raccompagne je veux à Kerguelen
Mes mains remontant sa robe ses seins qui creusent mes paumes
Sous les pins chant des vagues la lune signe un sillage
Une nuit calme rien n’empêche l’amour sous les étoiles
Comme un frisson
Hier ta main
Traçait une ligne
Creuse dans mon dos
J’irai sous l’arbre
Attendre la faim
De toi ouverte
Sous le ciel noir
Je serai son amant le premier sortilège
Les caresses en silence épiées d’un lointain phare
Le froid pour nous étreindre mais nus en nos ébats
Seuls nus et enlacés jusqu’à l’aube à Ker-Mor
L’eucalyptus frémit je retomberai sur elle
Mon corps sera mon ange aux lueurs bleues d’avant
Le sommeil loin de toi qui repenseras la pluie
- 58 -
La disparue
Plusieurs rais de lumière sur le ventre la photo
Commune des jalousies filtrant le jour dehors
Alanguie sur la chaise presque saoule de ce vin noir
Epais bu au Celtic elle noire jusqu’à la queue
De cheval elle resserre l’étreinte sors-moi dit-elle
A mon torse en sursis je m’enivre en sueur
J’ai bu ton vin
Pour tes attentes
Pivote vers moi
La paupière d’encre
D’une lèvre on saigne
Devant Larmor
Plage mais qu’importe
A moi maintenant
Tu t’es enfoui en moi j’étais seule dans mes caprices
Je voulais me donner à ce gentil notaire
Mais tu étais déjà là j’éprouvais l’envie
De toi d’un seul sourire jusqu’aux après-midis
La patience d'une parole de nous j'aime les détails
J’éponge ta bouche nos lèvres je suis folle d’un supplice
On s’oublie en cadence je m’endors sur tes mots
- 59 -
L'interdie
Il fallut cette caresse nos extrêmes qui s'effleurent
Juste nos doigts en contact le trouble sur le parking
Mais je nous interdis ce désir ou je cède
Oui après tout je dis le souffle qu'expirent tes lèvres
Ton haleine et tes larmes le soupir de jeunesse
Timide j'embrasse l'odeur ton parfum à la pomme
Le sable scintille
D'une étoile morte
Un cheval cuivre
Au couchant trotte
Si je t'écris
Promets l'ardeur
La passion seule
Et le secret
Je cherche à Pont Aven la peinture des absences
Le paysage en désordre l'union des eaux contraires
Je ne trouve qu'une copie sans ivresse sans la chair
Prends donc une nectarine le jus coule entre tes seins
Ma main dessine une langue et le parfum des fruits
De retour à Ploemeur l'oeil se fend d'un mystère
Tu es belle sur le marbre où décline le soleil
- 60 -
La surgie
La pluie fine à l’aurore les pins gris dans la brume
La main retarde d’une heure en ce samedi ardoise
Un crème à Larmor Plage la mer est couleur cendre
On discerne la presqu’île de Gâvres de l’autre côté
Un voilier au moteur n’écrit rien qu’une lenteur
Si je le suis distrait je m’égare dans la craie
Je t’ai perdue
Avant l’annonce
Une nuit par terre
D’une dépression
Sur l'Atlantique
Tu étais pâle
A marée basse
Fatigue des vagues
Rien à faire le stylo n’a pas d’humeur au fond
D’un bar en bord de mer où je lis dans Ouest France
" Un Lorientais se noie hier à l’Ile de Groix "
Sur le dossier d’une chaise un moineau courageux
Guette un bout de croissant que je lui abandonne
Il est bientôt neuf heures quand surgit une joggeuse
Je l’écris pour l’urgence en mémoire du crachin
- 61 -
La décroisée
Sur la route de Ploemeur sa Ford traverse les champs
Les moissonneuses batteuses dans la poussière des blés
Toutes les fenêtres aux vents aux courants d’air
Aux parfums de cambrousse la chevelure s’affole
Elle roule vite paraît-il trop vite lui souffle l’amant
Des mèches blondes dans la bouche les yeux pleurent de vitesse
Car les Black Crowes
Roulent avec elle
Et elle hurle avec eux
Qu’elle veut revoir son mec
Elle le rejoinDra dans sa Corse
Roccapina
Où tint leur ancre
Sur la terrasse à l’ouest là penchée lit Cassandre
Un poème de Baudelaire pour le bac de français
Ce sera bien l’été les journées qui s’allongent
Les mille premiers touristes qu’on croise sur la promenade
De Port Maria elle est belle de ses robes légères
Dans les bars elle sourit aux hommes qui n’oseront guère
Elle décroisera ses jambes pour les aventuriers
- 62 -
La frôlée
En fin de vie la vague la dernière vague du soir
Etends la mousse d'écume jusqu'à mes sandalettes
Je m'allonge dans le sable mes coudes maintiennent le dos
Je regarde loin des terres et c'est la voix de gorge
Un chant de Victor Jara qu'emporte le ressac
Mais pourquoi me souviens-je d'une révolte en révolte
D'un océan
Je me repose
Seul à Larmor
Quand la nuit frôle
Le feu bâbord
Rouge d'un voilier
J'estime l'étoile
Aux cimes des mâts
Je me recule lentement la marée implacable
Défait les traces de moi tant mieux il ne reste rien
Ou trois mots avec l'algue ou la méduse mentie
Gélatineuse beauté qu'on échoue sans une larme
Et pourtant mon amour et pourtant elle fut l’ombre
La dérive entre deux eaux la simagrée des fuites
Si je meurs sur cette plage j’éteindrai les loupiotes
- 63 -
L’écriée
Où va la jeune fille sous le silence inouï
La mer s’est retirée le ciel décline les roses
La brise fraîche sur l’épaule entre le jour et la nuit
Ma main te promène nue tu voudrais la pudeur
Je t’impose cette errance qui s’achève entre les roches
Ne résiste plus à rien c’est inutile ton corps
N’appartient plus
A ce vieux siècle français
Qui nous poursuit
Ah les mains dépoussièrent
Les placards et la langue
Chaque marée nous enchante
Crois-nous épuise les modes
Pour n’être que toi
La jeune fille va la lenteur sensible du désir
Prends ton temps à l’ancre où s’arriment les amours
J’insiste on peut aimer pour ne jouir qu’aux détours
D’une unique rencontre on relâche les cordages lâche
La ta bouche qu’elle s’ouvre aux caresses du grand large
L’air plus d’air tes yeux pleurent pour naître sous les bourrasques
La terre bascule le monde se vide on n’a plus peur
- 64 -
Le détrempée
Raconte le commercial grisé comme une gousse d’ail
Qui déballe un avenir si propre qu’une mouette ricane
Sur le port de plaisance les drisses tapent contre les mâts
Ouest bon pour le grand frais il fait sombre à six heures
La pluie pourchasse l’amant rafale bourrasque ça pisse
Sur les costumes marine la cravate dans ton poing
Le mec à terre
Chemise en berne
A genoux gars
Cries-tu au seuil
La baffe le fout
En l’air l’averse
Détrempe le Quai des Indes
Où tu le traines
J’aime comme tu l’abandonnes au bon soin des marées
A Kernevel plus tard quand tu refermes les yeux
La cuirasse noire des U-Boote hante la rade de Lorient
Un voilier part en fuite avec son tourmentin
On s’ennuie d’une époque à la mémoire stérile
Alors on vient là comme toi respirer l’Atlantique
Pour l’émoi d’une tempête les lèvres virent à l’écume
- 65 -
La dérobée
C’est juste un regard pour la petite mer de Gâvres
On emprunte la navette jusqu’au port de Lorient
Je me tais dans l’attente je suis dans son foulard
Ses cheveux de l’autre vent sa nuque déjà dolente
Pour ne rien savoir d’elle je renverse le sillage
Le batobus accoste sur le quai ses chevilles
Deviennent la ville
Pas une seule chance
Son pas décide
D’une apparence
A l’heure postale
Port de plaisance
Seul au Sancerre
Je pense revoir
La passagère le pli de sa chemise violette
Les détails s’entrechoquent la paupière fardée pourpre
Se clôt en signe d’adieu non ce soir à Port Louis
Dans la fente de ses bouches je bouleverserai les fluides
La langue sera l’humide lumière de la lagune
Je parcours la presqu’île des jours en quête de signes
Mais l’idéale maîtresse se dérobe aux frontières
- 66 -
La rencontrée
Un soir j’ai rencontré dit-elle une fille au bar
J’étais belle de nulle part nous avons bu un verre
Dans la bruyante obscure avec des mecs autour
Ils nous mataient j’étais forte personne ne l’approcherait
A part moi qui l’aimait déjà d’un chant désolé
Elle devint dans ma cave une autre photographie
Je suis comme ça
Dans un pub ou
Là à Lomener
Folle sur la digue
Ivre d’océan
Et de whisky
Elle délire sur la main
Perdue d’un pauvre skipper
Je la shoote et l’entraîne sur le chemin côtier
Entre les plages de Port Fontaine et du Pérello
Dans le granit une crique sous le tonnerre des vagues
On y descend par un escalier là ça gronde
Comme dans le coeur des machines hurlantes d’un paquebot
Son sourire me défie je repense au poète
A l’épreuve d’une averse je nais avant la foudre
- 67 -
L'obéie
Tu retrouveras tes mots dans les mots de mes nuits
Un peu gênée semble-t-il d'une attention lointaine
Je te remercie... d'être là... quelque part ou ailleurs
Si l'océan te manque fuis les terres et l'enfance
Pour traverser la France sur un fil d'écriture
A Nantes remonte la route puis file jusqu'à Lorient
Passe Casino
Et le bowling
Larmor Plage
Avant le rond point
Je t’attendrai
En terrasse un Gascogne
Au Moulin Vert
Pour écrire sur mes doigts
Sur la digue nous fumons des cigarettes menthol
Pendant que tu racontes des histoires d’autoroute
Un ami pêcheur de maquereaux passe et nous dit
V’nez au bal danser sur Sophie Ellis Bextor
C'est comme ça le tonnerre une fille sur le dance floor
Ou ailleurs ou à Genève l'attente au bout des mondes
Importera tellement peu sous la croix de granit
- 68 -
La fuie
Ma mère une fois encore me raconte le Luger
De ce soldat allemand bien plus vrai que la mort
Le maquisard ton père il est où dit le boche
Sous les pommiers rit-elle au nez d’une enfance morne
La fuite dans les fougères où nous jouons la scène
Je suis tombé sur toi premiers bisous des gosses
De cette mémoire
Enfuie des guerres
J’évite l’histoire
Nous qui fûmes chair
Mais elle radote
Si on s’échappe
On change de siècle
Et d’une guerre à l’envers
Elle pose nue dans l’orbe d’un blockhaus éventré
Le lichen la rouille le sel ils le rêvent immortels
D’autres clichés défigurent le temps de la dépouille
Toi tu prends les photos la fille est incertaine
Bientôt elle te questionne sur les blocs de béton
Evasive en amour tu emportes les paupières
Là où fut le guetteur s’enlacèrent vos silhouettes
- 69 -
La déferlée
Je ne connais pas l’île je l'aime sans l'avoir vue
Soumise aux fouets des vents d’ouest qui mordent mon visage
Vous racontez si loin des vagues et des écueils
J'aime la métamorphose de vos mots en rupture
Ravie à l’heure des limbes je vous l’ai déjà dit
Peu importe les marées d’une vie un peu en vrac
Tu pleures un père
Sous la parole
La boue inspire
Le terrain vague
Pluies incessantes
A l’Ile de Sein
Là-bas déchantent
Nos origines
Le phare d’Ar-Men défie tous les soleils couchants
Les déferlantes salivent le long de la vigie
C’est l’enfer des enfers nous confie un gardien
Tu l’écoutes et tu pleures sur une photo perdue
Elle s’appelle l’impossible pour un passé éteint
Nous marchons sur la digue au mépris de la houle
Personne sur l’Atlantique où s’épuise le divin
- 70 -
La livrée
La journée s’étire jusqu’à Sein un monde avant Ar-Men
Au loin le phare perdu exalte un océan
Plus immense que nos peurs sur la terre jamais ronde
On chute de l’autre côté pas mieux qu’Adam et Eve
Alors aux cris des vents l’île sur la mer d’Iroise
Sera la parenthèse des amants éternels
La baie d’Audierne
La pointe du Raz
Phare de la Vieille
Les mots nous parlent
Nous serons seuls
Au soleil sang
Avant Ar-Men
Chagrin d’étoile
Les murets de granit racontent notre abandon
Ecroulés sous les ronces ils livrent aux déferlantes
Une petite histoire d’hommes qui s’affranchissent des vagues
C’est là où je t’emmène contre la fougue des embruns
Dans cette maison noircie sourde de nos commencements
Je déblatère sur la Corse d’un arrière grand-père
Que je n’ai pas connu l’île du premier soleil
Je déroule une vie comme ça je bavarde j’oublie
Les heures et ton sommeil Sein au dernier couchant
Le soleil tourne une page l’obscurité nous gagne
Dans l’île où on s’isole je réveille mes révoltes
- 71 -
La patientée
C’est sur nos oreillers les proies d’une matinale
Qu’un soleil trace les angles de nos amours intimes
Le miroir divertit l'instant de notre absence
L’éclat de la lumière danse sur les plis du lit
Avant de refléter là où tu fus regard
Pourquoi je me retourne j’aperçois nos sueurs
D’une nuit rebelle
Nos sommeils tardent
Poussières d’une nuit
La trace d’une plume
Je porte le sel
Où tes lèvres pleurent
De nos plaisirs
Revenus des apparences
Chut dis-je après la griffe la chute est dans le noir
La pièce close des parfums qu’exhalent les corps douteux
Je t’attends cet été puisqu’un lit est défait
Nos mains où je saurai donner l’ordre d’une terreur
Qu’on mendie aux rencontres dans le secret d’une chambre
Viens approche l’océan patientes sont mes fenêtres
Elles s’ouvrent à la tempête des heures qu’on aimera lentes
- 72 -
La clamée
L’image déclenche le mot comme ce matin la vague
On s’assied au Talud sur un banc face à Groix
L’Océan gronde en maître et toi tu plisses les yeux
Parce qu’un dieu importe peu quand nous sommes le silence
Le ressac impressionne d’un vacarme gris turquoise
Je te revois courir jusqu’à la bave d’écume
L’eau est glacée
Mais une née celte
Ou toi d’Ardèche
Fière la nageuse
Je te rejoins
Houle d’Atlantique
Puis sur le dos
Du berceur d’Hommes
On rêve de solitude la peau saisie de froid
Fouettés d’un parfum d’algues on égare l’horizon
Où derrière paraît-il promettent les plages d’Espagne
Bien plus qu’une Amérique pour des rêves épuisés
Sacrifice d’une marée nous sommes nus jusqu’aux mains
Il n’est pas de clameur au pays de Bretagne
Je sais la Terre si plate qu’on tombe après le large
- 73 -
La déambulée
Une promenade rue de Siam le même plaisir à Brest
Les averses en souvenir comme ce lundi est bleu
Lumière d’avant le large alors j’ai tout le temps
Chaussée en travaux c’est le tram grogne le flic
Garez-vous sur une voie parallèle bon d’accord
Bleu ciel soleil intense sur Brest même ce jour là
Rappelle-toi BarBara il pleut sans cesse
On se souvient
Du groupe Marquis de Sade
Je n’ai rien d’autre
On déambule
Je n’ai croisé personne
Après la rue de Siam
Je n’attends rien d’une ville l’océan nous soulage
Au comptoir un poivrot raconte l’histoire d’une pute
En bas le clapot brille sa frimousse hante le port
Les marins slaves desserrent les mâchoires à son heure
Elle sous les grues orange ou à l’ombre des tankers
Prise entre deux containers et les mains de diesel
Les dockers rêvent au port d’une femme à la dérive
- 74 -
La plue
Serons nous privés d’œil le jour d’après dis moi
Le soleil nous aveugle davantage s’il se cache
Derrière le voile des hauts nuages qui se déchirent
Comme toi avant la pluie puisqu’elle viendra c’est sûr
Derrière la baie vitrée les mots de la lenteur
Et la suivante une goutte puis une autre fascine
L’herbe est coupée
L’odeur entête
Les foins la terre
Premier été
Je vis j’écris
De ne rien perdre
Je chasse les merles
Voleurs de fruits
Ils ne nous ont laissé aucune cerise sur l’arbre
Qu’un cimetière de noyaux pour des guêpes qu’on affole
Entre les troncs se balance un hamac où j’endors
La lecture d’un recueil les ébats de la veille
L’eucalyptus s’égaie du vent de l’Atlantique
Vent d’ouest c’est sûr la pluie alors j’interroge l’œil
Le promeneur du ressac clôt les dieux d’une paupière
- 75 -
L'échue
Il faudra d’un rêve enfreint comme une méduse dérive
S’imaginer une fin puisque l’écriture se tait
Un jour de vent léger jusqu’au sable où mourir
Un temps puis on s’éveille on se rapproche d’être froid
Au matin dans nos nus que la belle main étonne
Toi et moi d’un rivage à revivre inconnu
J’ai peur des chiens
Reviens m’entendre
Il n’est pas tard
Au sort des rames
La cave humide
Je ne lâche pas
Tes poignets ni
Le crochet noir
La petite mer de Gâvres il n’y a plus de sacre
L’océan rompt le pacte nous sommes de nous la rive
La peur tremble à l’épreuve de la vieille innocence
Et pourtant nous serons si neufs échus des chambres
Rejetés au creux des vagues on invente l’univers
D’une passion hors des villes – ah il n’y a plus de saints
Entre nous plus de remords – la mer monte à l’heure dite
- 76 -
La déliée
Il y a un héros sorti de notre enfance
Pour te délier du maître le mot d’amour suffit
Ton émoi de profil fragments d’écorchée vive
Tu es la femme de sel tu fus la fille des sols
Quand aux creux des tempêtes je souffle jusqu’à Genève
La passion de Larmor enfreint l’heure impossible
Au sang des roses
Meurs d’une épine
L’intime sentence
A fleur de peau
Ecoute Nick Cave
Me réclames-tu
Ou nage le crawl
Au flanc des vagues
Lente lente sera l’approche nos histoires de travers
Sous la lumière en faille d’une forêt après l’aube
Il faudrait l’ombre des terres un arbre pour nous unir
Toi qui fus au poème l’insoumise de mes chutes
Attends l’heure où seul compte le regard qu’on empierre
Ce sera là le feu d'un mystère inouï
La caresse des feuillages avant la mort des foudres
- 77 -
La gémie
Une bague à tête de mort le buraliste l’observe
Dunhill Menthol merci même les trois boucles d’oreilles
L’intriguent oui six euros il me faut un café
Crème à Couleur Café je peins Port Louis en face
Une aquarelle éclair je voudrais vous perdre
Femme des aubes incertaines voilà je ferme la porte
Vous n’êtes pas sel
Et moins la pluie hélas
Au cri d’une gorge
J’ai mordu mon enfer
Vous hier soir
Le lieu bégaie
Las des hôtels
Je vous étouffe
Sous mon étreinte bandée la fente s’ouvre à l’envers
Les poignets sont ma proie j’interroge les paupières
Tremblantes de tous les nerfs bientôt lâchent les phalanges
S’abandonnent les pliures à la marée gémie
Quand les doigts se resserrent ma langue échoue le verbe
Les branches de chair se crispent à l’extrême origine
J’écroule dans la vertu une vague qui nous submerge
- 78 -
La voyagée
Puis un jour à Pigalle on se libère des pluies
Néons multicolores dans les flaques en éclairs
Clignotants et phares blancs des voitures ralenties
La rue mieux qu'un miroir pour la nuit lumineuse
Aux abords des peep-shows les diables mandent les touristes
Promesses de filles en soie des lèvres vénales et rouges
Deux nuits sans toi
Loin de Ploemeur
L'écran d'Paris
Où disparaître
Paris n'est plus
Déluge de fric
Les visages rentrent
Pâleur des Hommes
L'autoroute file à l'ouest enfin le retour aux siens
Banlieue d'urbains qu'on lâche Claude discute le désir
Le Mans Rennes puis Lorient je conduis à centre trente
Non dis-je il n'y a pas de manque dans le désir
Du foot à la radio qu'on suit comme deux idiots
Un nuage gris s'étonne pluie fine sur le pare brise
Le voyage qu'on enchante des femmes qu’on imagine
- 79 -
La leurrée
De la sinistre Corrèze à Lorient face au large
Une longère en Bretagne où se raconte Suzanne
La fillette terrifiée sur le tertre de Ploemeur
Vit les bombes des alliés détruire noir après noir
Les immeubles de sa ville - soixante six ans donc - j’aime
Inventer les sources de l’océan à Lorient
Bien d’autres marins
Les dits navigateurs
Dans les noces du grand large
Je suis né dans l’après
Guerre mon arrière grand-père
Le désert de Syrie
L’Arménie en mémoire
Nous fûmes saufs du Déluge
Les mots traversent l’histoire et tremblent à notre amour
Les jours seraient muets sans la mémoire opaque
Suzanne raconte le feu et tu devines un amant
Derrière le noir et blanc d’une photo de mariage
Notre maison au Guermeur une larme dérobe la nuit
Pour une fois les draps taisent nos baisers nos caresses
Nous écoutons les vagues leurrer le temps qui passe
- 80 -
L’errée
Louange d’une nuit secrète tue aux béantes fenêtres
Dans le jardin des soifs les fruitiers bien trop mûrs
Même les guêpes en raffolent dès les premières lueurs
Et toi qui t’en effraies j’imagine sous l’écorce
Ce qu’à la pénombre cèdent mes doigts sucrés de pulpe
Phalanges pour célébrer ton plaisir où je mords
Ne pas revenir
Aux origines
On reste vivre à Lorient
Pour les ricochets d’étoiles sur la mer
Je pense à toi
Du plus lointain
Le Quai des Indes
Où j’espère mes voyages
J’erre sur l’estran aujourd’hui à Lomener
Les silhouettes des danseurs écrivent le sable je lis
Là des fragments de verre qu’useront toujours les vagues
Puis des restes de chaluts et la mémoire des arbres
La rengaine du ressac éternelle jusqu’en rêve
Et la nuit loin de tout je dévore une figue noire
Sur les écailles brillantes d’la plage du Pérello
- 81 -
La détournée
Elle sait le vil été aux regards qu’on détourne
La sève des ifs odorante à force de passages
Elle renverse le dégoût pour une après-midi
Dans la lumière safran les herbes blondes de sécheresse
Ecorchent la peau des jambes quand sur le sein aride
De la colline elle s’assoit au soleil qui les gomme
Pose la robe blanche
La pupille caresse
L’or des griffures
Ton cou virgule
La journée passe
Ne redoute rien
D’un désamour
L’époux en Afghanistan
La poussière sur la lande laisse un dernier répit
Elles dévalèrent la pente jusqu’en bas le chemin
Dans la voiture muettes elles lâchent les derniers mots
Découvrir les talus la terre qui se calcine
Elle lui parle de ses peurs dans les montagnes de sang
A Caudric elle retire les épines de chardon
Une à une la douleur sera une joie immense
- 82 -
La consolée
Elle veut le calme mon ange le silence des soirs
Les merles du cerisier à la flûte désinvolte
Alors que la nuit bleue décolore la pénombre
Après le mauve parfum de terre mêlé d’humide
La fenêtre s’ouvre encore où s’aggravent les grillons
J’allume une cigarette avant l’obscur d’un chien
De ferme au loin
L’écho la boit
Elle a presque peur
Du froid des champs
Une mobylette
Dérange nos rêves
Si loin des vagues
S’échoue l’épave
Tu reviens noctambule au rivage de mes nuits
Notre Dame de la Clarté déchante à Larmor Plage
Je t’emmène au granit - dieu tonne dans la mémoire
Le siècle déçu des bibles nous voilà d’ombres bénis
Nous descendons au port chantant la rumeur sourde
Un pêcheur d’anguille t’offre un verre d’épais vin noir
L’œil nocturne se console sous ton ciré vinyle
- 83 -
La désoeuvrée
Il y a bien du gris d’ouate jusqu’à l’Ile de Groix
Les nuages couleur suie estompent la terre ardoise
Mer lisse et désoeuvrante plombée d’un lent voilier
Les hoquets du moteur n’annoncent aucune magie
On flirte dans un blockhaus nazi aux fers rouillés
Un cloaque de béton que délave le crachin
Je pense la guerre
C’était un boche
Là fond le ciel
Des ans flétris
Ne résiste pas
La main est folle
Tes reins se creusent
Pour mes histoires
Toujours sur le chemin des rochers de Kerroc’h
Où se lamentent les vagues aux humeurs masochistes
Seul mon ongle sur ta nuque affole d’un frisson l’ange
S’il est encore du lieu où nos chairs se dévorent
Un brusque éclat de rire réveille l’envol d’une mouette
A courir dans la lande au mépris des averses
On aime le souffle rompu l’impatience d’un éclair
- 84 -
La souvenue
Tu es aussi docile qu’une fleur de coquelicot
Après-demain ou jamais le vent t’emporte ma belle
Insoumise des chemins aucune herbe assez grande
Ne freine tes échappées hormis les ajoncs secs
Tu es libre des hôtels aux bords des autoroutes
Là crèvent d’une poésie les amants de passage
Je rêve d’un slow
Nos étés brûlent
Souviens-toi l’heure
Quand s’échouent les méduses
Danse avec sa sueur
La bière immonde
Plus comme avant
Rien ne sera
C’est un petit garçon qui écrase dans le sable
Un crabe de la rocaille pour un peu je suis triste
Sauf qu’une marée déroule le temps dit inlassable
Le soleil brûle mon dos pour un somme sur la plage
Du Pérello où joie tu racontes tes béguins
Avec de beaux gars jetables l’amour toujours moins triste
Puisqu’un seul et même corps amuse la terre entière
- 85 -
La fouettée
Sous la transparence noire aux ordres de la voix mâle
La nudité palie si légère dans les voiles
Au signal les paupières déclinent en courant d'air
Les mains pleurent dans le dos de mentir en silence
Les cordes délient le sang elle attend le poème
Regarde moi dans la nuit une bougie projette l'ombre
De nos désirs
D'océan viennent
Le défi aux averses
Et la vague qui nous somme
De la rejoindre
Après minuit
Dans la mer enlacés
Nus sous la pluie
Ne crains pas le mystère de l'attente aux persiennes
Elles filtrent certes la lumière mais aussi les secondes
Qui séparent les amants chacun dans son écart
Ecoute ma voix elle tombe en poussières pour une vague
La chair de l'horizon rougit tu dis merci
En un soupir mourant il est bientôt minuit
Alors vite courons jusqu’à la plage du Pérello
- 86 -
La revenue
Non je ne voulais pas au chemin de Kerroc’h
De mon œil né des brumes ouvrir l’or des genêts
Ni descendre jusqu’aux vagues le rocher de granit
Te laisser derrière moi où le vent des Hommes
La plupart marins morts chantres des pluies qui nous glacent
Une femme t’offre une photo d’un mari jamais
Revenu des terres australes
Pleurant sépia
Ses larmes ont la sécheresse
De l’espoir vain
Les Kerguelen
Les grands fonds engloutissent
Le mari le marin
Qu’on aime sous-verre
Et la photographie à reculons nous hante
Tu reposes ton Leica entre les verres de cidre
Les paupières rêvent l’amour qu’elles perdent à l’horizon
Tu dis : « c’est si fragile qu’on attend une survie
Elle frôle mes lèvres d’une éternelle patience
Je les ouvre et le sel se devine en crissant
Sur mon ventre où ta bouche réveille plus d’un secret »
- 87 -
L’embellie
Le quartz rouge du réveil disperse les dernières heures
De ma lente nuit près d’elle de nos corps en mélange
Parfum ocre d’un ébat avant le sommeil suave
La chaleur en mémoire de nos passions des rives
Sous les draps son sommeil respire d’une vague à l’autre
De ce lit je m’échappe au silence matinal
Le café âcre
Sous le ciel gris
Aucune rumeur
A Larmor Plage
La mer aux anges
L’oubli des cernes
Notre enfance interdite
On s’en libère
Un vieux en loden plomb marche à rebours du vent
Je l’admire disparaître sous l’ennui du crachin
Tout est lent ce matin si lent des heures sans elle
Rien ne déchante l’amour qu’aux désirs on révèle
Mes pas à marée basse libèrent du sable les signes
Une femme en ciré jaune m’enlace au gré des mots
Elle faillit des vagues s’embellir de leur écume
- 88 -
La perdue
J'ai ma part d'oeil qui s'oublie au plafond
Dehors les averses effondrent le peu de silence
C'est une nuit pour un seul homme d'insomnie
Une porte claque une fenêtre le verre se brise
Courir sous la pluie les pieds nus sur le bitume
jusqu'à l'océan soulevé d'embruns et de hurleMents ô démon
Qu'appeure le siècle
Je danse les limbes
En boîtes de nuit
Qu'un résidu punk
Du néon sort
Plus qu'un néant
De ruines bancaires
Disparues les images de mon écran plasma
Rien qui me rappelle les ondulations des vagues
J'effraie les chiens sauvages qui seront chiens crevés
Les marées délaissent les cadavres de mes amours
Il est trois heures du matin je n'attends personne
D'autre qu'une sirène sous les spotlights du night club
Ses écailles étincellent pour un DJ charogne
- 89 -
L'échouée
L'océan me rappelle le nord quand je l'éprouve
En mai oui malgré mai et je lui donne mon corps
Une autre vague me lèche les chevilles douloureuses
Le mica illumine le sable
Infimes fragments de verre acier
Bon j'y vais en timide et tu shootes le nageur
Ne plus rien dire
La peau saisie
Effroi des pores
La vie est pure
Deux puis cinq brasses
La nuque raidie
Si je reviens
Tu es solaire
Un soleil comme nul autre pareil en Morbihan
Te voici en terreur de la méduse violette
Echouée d'une dérive pour ton sommeil d'enfant
Aucun monstre ne l'enlève à part nos créatures
Tu sais la blonde en noir qui récite la démesure
Nous sommes du quotidien la langue est obscène
D'un poème né du jour forme l'image d'une tempête
- 90 -
La crachée
A courir les fougères au lieu de nos nuits d'été
Les joues que les branches giflent les crocs des ronces aux jambes
Ainsi griffées des bois la passion qu'on essouffle
C'est aux extrêmes de soi qu'on déchire son mensonge
A l'arbre mort accouplés les mots deviennent crachats
Nos salives et la sève la laitance et nos sucs
Sous la trouée
Clapot de lune
Plus qu'un rivage
Avant le sein
A nos retours
Est-ce le tonnerre qui gronde
Rimes au sec
Ruines d'alexandrins
Assis sur l'escalier main dans la main silence
Nos peignoirs parfumés cheveux encore humides
Paroles tues sous l'étoile sous la paume tonne un cœur
Comme un lointain orage qui meurt derrière les pins
Un murmure puis tes lèvres ou les miennes en désordre
Le bruit frôle la pénombre un deuxième chien aboie
D'or l'éclair effraie l'heure où bientôt on s'abîme
- 91 -
La serrée
Ce dimanche au soleil la plage du Pérello
Ciel qu'avive la lumière et pas un souffle d'air
Nos corps huilés parmi les serviettes où d'autres corps
Se livrent en un clin d’oeil dont toi jouant des cuisses
Ce matin si serrées sur le banc de l'église
A l’épreuve d’un suaire meurt la bible des prières
En attendant l'heure
La Sainte au temps du web
S’improvise en vitesse
Les foules esseulent
On préfère le sable fin
Aux prières de granit
Et pourtant et pourtant
Nos vies nos mains s’aimèrent dans Notre Dame de Larmor
C'est une nuit d'épaisseur pour une gorge domestique
Une bête gémit dans l’herbe les champs n’ont plus de pierres
Tes lèvres sont aveugles encore gercées de mer
Bénis de l'Atlantique nous sommes absous des peurs
Des croyances mortifères qu'on assèche au soleil
A tant vivre la jouissance jusqu'au moisi des caves
Pour nos amours qu'aucun n'empoussière - ô morsures
- 92 -
La jouée
Une flaque que tu embrasses aux dénis de nos champs
Herbes et fleurs blanches postillonnent le chemin de sable
Les averses de la veille n’ont plus qu’un souvenir
Au sentier que tu foules en coupable innocence
Un souvenir d’eau croupie miroir d’avant les ronces
Pour une si jeune femme chue à l’intime des forêts
C’est une enfance lointaine
Le père tait l’Arménie
Les morts dans les déserts
La Corse premier refuge
Avant le Morbihan
Je pédale jusqu’au port
Un chant d’insectes
Barnum des prés
Je caresse ton mollet des années bien plus loin
Un feu rouge hypnotise une époque à Larmor
On sait la nudité sous l’embarras des arbres
Et d’une telle urgence je réveille la mémoire
Elle décampe dans les mots comme toi dans les herbes folles
Soudain l’Atlantique est grandiose derrière Kerroc’h
Avant qu’une seule bourrasque nous réveille sur la plage
- 93 -
La ventée
On est pour nos instables en quête des échappées
Là se trouvent les hasards et rien sur l’Ile de Groix
Pour nos amours déchus d’être le sol en silence
Je me souviens maintenant la fuite pour fuir la fuite
Là le Trou du Tonnerre l’Atlantique en démence
Qu’un vent se lève du chant où menace la falaise
Mornes cargos
Sous les brumes
Chaleur bleue
Où se noie l’île
Mer si plane
Nulle brise en l’heure
Qu’un soleil
D’où l’on meurt
A toi qui ne crois plus au hasard de nos prés
Deux corps ont la peur des oublis dans les grandes herbes
L’océan peut gronder de nos timides baisers
On n’entend plus que lui aux premiers feux des phares
Ta main ou est-ce la mienne se libère d’un frisson
Sous le ciel bleu du soir le vent d’un souffle enfin
Envole tes cheveux blonds où l’enfer s’abandonne
- 94 -
La ravie
On se dit que la vie n’a tenu qu’à un fil
Une ruche où des abeilles non loin de Kergalan
Une sibylle qui se perd à jamais sur la route
Sans nom avec le poids de ces hier qui pèsent
Au coucher d’un soleil sous le chant des oiseaux
On dit : rien ne remplace l’amour de tes rousseurs
Ce qu’une lumière
Cuivre du soir
Nous lègue d’instants
La chance d’être là
Au bout des mondes
Je nous enchante
Nos vies d’éclats
Déclin des morts
Si d’une larme je couche l’horizon
Un œil si blanc aveugle derrière les pins
A toi qui sous les cerisiers de ta blondeur
Aimée offre ton sourire au-delà des terres
Tu seras oui ma belle unique au non retour
Des champs de mousserons aux plages de Sainte Lucie
Ces mots ne sont qu’à toi ravie des crépuscules
- 95 -
L’attendue
On aime les portables muets de nos appels
La menace que rien n’arrive et l’attente feinte
Ce téléphone qu’on guette d’un œil d’écaille
Parfois seuls dans le reflet noir d’une vitre
Consume la cigarette au bout des mondes
Un doigt sur la lèvre inférieure sans doute
Nuages ardoise
Nos absences chères
Il pleut sur le
Golf de Guidel
Silhouettes noires
Elles marchent seules
Pâle océan
Tanker à l’ancre
Le lit pourrait s’ouvrir à la nuit d’une volupté
Un sommeil qui n’en est pas un à deux heures
Du matin le vent siffle dans les trompes de la proche
Forêt une fenêtre la regarde dans la peur si brusque
Qu’on s’abandonne à la distance d’une main sur la table
J’écris ce que les pins de Kergalan me dictent
Histoire de t’aimer jusqu'aux creux des absences
- 96 -
L'obscurcie
Et la lumière sous l'écume efface le nu
Une vague puis une autre qu'un miroir déchante
En bas noirs te voici jalouse de ton reflet
Une photographie en noir et blanc nous délie du temps
Tu jouais la femme dans une chambre d'hôtel ou d'ombres
A la rumeur des marges délivrée des mots
Loin l'océan
Pour les failles
Un jour nue
De tes orages
Sous la pluie
D'été l'amour
D'un baiser
Lent des salives
Il aura fallu que tu retardes l'image d'un contraste
Mains sur les fesses ton pubis sous l'obscur
Où rien que le désir mérite un jour de trembler
Une nuit sous la nuit on libère la mémoire
D'un Leica d'acier au hasard des murs de granit
Je te le dis encore c'est dans l'usure de la beauté
Oui use la beauté aux écorchures de ton regard
- 97 -
La méconnue
C'est d'arbres dont elle se souvint dans le sillage
D'arbres sous le vent aux courbures du ciel
Mise à nu elle se lace aux troncs du vieux chant
Les branches ces folles la fouettent sans relâche
Elle crie mais le ressac étouffe la nuit
A l'apogée des forêts où gisent nos insomnies
Dans les terres les forêts
Où vendredi
Paroles des sangs
Où s'avilir
Revenante
Des chairs posthumes
Rien ne blesse plus
Nos coeurs d'eaux sales
Tu aimes toujours le mystère de la prochaine nuit
C'est là où je t'emmène toi qui méconnais les lunes
Pas même les scènes que j'ignore à nos orées
De pur amour nos lendemains désespèrent les habitudes
Nous nous égarons dans les discothèques des champs
Où d'anciens tubes te déshabillent aux danseurs
J'offre ton nombril où brille une étoile et l’enfance
- 98 -
L’absentée
Une chambre d’hôtel la pénombre infidèle
Les draps qui se souviennent l’écriture dans les plis
L’oreiller que parfume encore le souvenir
De nos corps qui s’aimèrent on ne veut plus rien rompre
Les lampes de chevet qu’on oubliera d’éteindre
Juste un mot d’encre et d’ombre que tu glisses dans un livre
A Lomener
Un hôtel blanc
L’amour n’a peur
Que des retours
Le rendez-vous
Des heures d’aprèsMidi n’effraie
Plus
On aime les plis des draps où se rappellent les larmes
Ma langue mouille ton passage qui creuse le traversin
On pleure d’aimer l’attente nos lèvres sont flammes de sel
Lentes on s’ouvre l’une et l’autre d’une douleur qui éventre
Puis cœur sur ton pubis je compte les heures cruelles
Si je m’endors de toi tu partiras en silence
C’est pour la pénombre qui reste en nous dis-tu
- 99 -
La dénudée
Je ne sais plus rien de vos guerres intimes.
Si lasse des jours d’oublis en Finistère
Nord où la nuit vous poursuivez la nuit
Pâle sous la robe de brume mousseline
Vos amours au regret de l’océan
Vous parient rebelle à l’ombre des tankers
Fille d’un mystère
Ou fée docile
D’un baiser perle
Le chant d’écueil
J’aime la lune
Et vos errances
Je vous dénude
Aux feux d’Ar-men
Me faudra-t-il jusqu’à Larmor
Ou ailleurs suivre la trace des aubes
Allons marre du poème je vous enlace
Sous le saule où je vous rends à l’extase
L’aine murmure l’émoi de vos petites lèvres
Qu’en patience je libère entre mes doigts
Si roses les feuilles sous ma lippe amoureuse
- 100 -
L’éprise
A la grâce d’une éclaircie vint le doute
On s’égare sur le chemin des falaises
Nos pieds nus qu’invite le sentier des marges
Foulent désormais ce qu’aucune solitude
N’éprouve mieux que nous ici la chair s’invente
Une histoire qu’épellent les vents du large
Rien du soupçon
Ni la peur vierge
Hante les vertiges
Où s’aiment les corps
Absence de l’oeil
PhotographieT-elle la béance
Des impossibles
Jamais n’hésite la vie en équilibre
Dans les herbes folles épris des averses
Je m’ouvre en toi qui pleut allongée
Si nue sous ma peau qui ruisselle
De nous liquides
Plus rien n’empêche tes cuisses d’ouvrir le ciel
Aux corps la boue avant la fuite dans les bruyères
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L’aspirée
Ma sublime sous le sel tu deviens
Plume quand un silence sous
Ton aréole libère un souffle
Au parfum d’une Dunhill à la vie
Ephémère comme devraient l’être
Nos amours nos amours nos amours
Et dans la nuit
Une cigarette
La cendre luit
Sur ton sein qu’exCite la braise
Brille le téton
Puisque ma langue
Aspire tes algues
Tu déclames quand nous engloutîmes
L’océan au bord de tes lèvres
Sous les morsures de l’amoureux
L’anémone libère la violente brûlure
Alors tu perds pied avant la lumière éteinte
A l’écume qui lèche notre mémoire
On abandonne nos dernières limites
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La passée
Pourquoi te parlerais-je de la mort
Toi qui ne sais même pas qu’un corps
Ce matin fut rendu par l’océan un
Noyé couvert de nacre jusqu’aux mains
Malheur des pouce-pied à la désespérante
Solitude des écueils sous les ravages
De nos vagues
Jamais nul
Ne s’éventre
Pour renaître
On affronte
Le ciel bas
Des jours et
Des jours passent
Au bar où j’épuise les plus forts
Alcools mêlés de sucre et d’une multicolore
Ivresse je tourne le dos à la tempête
Pour te vanter ces longs jours de juin
Qui sont chaque matin une nouvelle vie
On dirait que nous ne cédons rien à l’ennui
En chaque recoin de temps menace la merveille
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La trainée
Tard la nuit bien passé minuit
S’ouvre ton troisième œil l’appareil
Photo que tu prolonges d’une main
Ta main qui déplie sur la route
Une qui joue la catin au bon vouloir du pré
Que ton flash scandalise aux très hautes herbes soumise
Te voici
Cours dans les phares
Ton corps n’est plus
Qu’un objet
Abandonne
La trainée de femme
Qui subit l’homme
Deviens lame là devant Port Maria
Notre Dame de Larmor est basse
Sous le granit des nuits blanches
Elle est encore l’ombre – je l’en supplie Au retour jamais las des pêcheurs noctambules
Les fleurs de lichen honorent jaunes sous la lune
Le clocher de l’église qui fut la tour de guet
D’un plaisir sourd tu tombes de l’aurore
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L’appelée
Un appel dès minuit où le sable
Plein les yeux sous les larmes
On court sur le chemin de Kerguelen
Les étoiles transpercent les nuages
Un épais ciel dépressif qui fronce
Nos corps que saisit l’averse noire
Mais la peur
Etire ses ronces
Jusqu’aux heures
D’un chien fou
Blanc d’effroi
Qui accourt
Sur la plage
Où nous mentîmes
On se réveille d’une tempête
Accouchée de l’Atlantique
Les branches de l’eucalyptus giflent
Les vitres de la maison où dans la nuit
On nous scrute comme en un miroir
Nous sommes nus mon amour
Et nous attendons l’inconnu aux abois
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L’érigée
Aux limites des blockhaus où penche
L’amoureux niché là étranges
Lumières dites vous quand vous dénudent
Les mains qui du béton s’arrachent
Les recoins borgnes qu’ignorent les phares
Gémissent avec les chiens nocturnes
Des lointaines
Absences
Baille la corne
De brume
La matinale
Laiteuse
Vous charme
Aux heures pluvieuses
Nos réveils en Bretagne
Racontent la patience rebelle
Des marées qui pour nos histoires
D’amour chantent les vagues
Puis vient l’heure paresseuse
Aux peupliers qu’érige le siècle
J’attache une courbe de soleil
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L’émerveillée
La nuit je m’empoisonne
A la lueur de vos mensonges.
Dans l’obscur j’ouvre les yeux
A trois heures du matin je me décide enfin
A vous rêver telle que vous fûtes
Ma belle qui hulule
Vous dire adieu
Et c’est ma mort
Vous mon seul amour
Dans les aubes bleues
Alors sur Facebook
Je sème ces pierres
Et l’âme seule en poupe
En grand duc j’espère
Quelle usure à l’oeuvre
Nuit tant aux danseurs que nous fûmes
C’est à l’aurore dites-vous rien ne vous émerveille
Plus vos mensonges sont nos adieux
Adieu adieu ADIEU aucun adieu
Car je vous aime d’une vague
Où s’abîment les orages
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Enfin les noms
Le mot « Arménie » - Հայաստան - signifie probablement « Haut pays ». C’est un terme des
plus vagues, appliqué d'une manière générale à toute la région des plateaux que couvre le doublecône de l'Ararat.
Le phare d'Ar-Men (« le rocher » ou encore « la pierre » en breton) est un phare en mer construit
entre 1867 et 1881 à l'extrémité de la Chaussée de Sein, à la pointe ouest de la Bretagne. Il
porte le nom du rocher sur lequel il a été érigé.
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L’averse
Elle est susceptible de pleurer sous l’éclair
Je n'aime pas être là j’ai peur dis tu
Comme hier de l’instinct des parallèles
On s’éloigne depuis les orages de nuit
Tu sais ces orages qui déchirent la colline
La lumière sauvage l’effroi d’une pâleur
Si tu pleures dans l’arbre foudroyé
Je reviens encore vers toi
Sans une larme pour l’avion de chasse
Qui rature le ciel jusqu’au sang des nuages
Fragile fragile la vie
Et il y aura des fragments de verre dans notre vin
Je le boirai à ta place
Mes lèvres couleront sur ta bouche
Avant l’averse
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L’approche
Et ce matin elle a pleuré
Elle ignore si le texte si moi si elle sur elle
Qui ne sait pas couper les liens
Même ceux toxiques comme si le poison d’un amour
Etait plus mortel que l’amour lui-même
Alors si je lui donne mon souffle et la cadence
Sans me lasser d’elle ni jamais ni maintenant
Je l’accompagne sur la plage sans lumière
Un soir d’ogre où elle marche vers les orages
Les lambeaux d’un père dans la main sauvée des vagues
Avant la forêt d’encre
Je serre tes épaules
Ne résiste plus
A l’envie des algues
Ni aux murmures des proches
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Les portes
Ce qu’on traîne dans l’humus la poupée cassée
Ou lui qui fut un mannequin d’homme
Dans la vitrine d’une avenue passante
Je me souviens aussi tes amoureux en toc
Ils ne comprennent rien au silence des arbres
A la caresse d’une colline où jaunit le pré
Ils sont là ils parlent mais la buse les toise
Un jour tu n’es plus seule sous le soleil d’hiver
Et tu danses une dernière fois avant de pâlir
Pour l’effacement des leurres un feu dans la forêt
Le jour s’éteint ou la nuit lente
Les silhouettes sont comme des fantômes
Tu trembles au signal du vieux chien
Une fenêtre trahit la pénombre
Tes mains épuisent les portes
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Les lèvres
Tu n’attends plus rien d’un amour coupable
Ni les doutes ni les algues aucun ange sur la plage
Tu lui dois la constance la mémoire jamais sauve
Si au marché des liens au terme d’une longue errance
La poissonnière avec son œil de verre
T’indique le seul tanker qu’on meurtrit dans la rouille
Délie la corde et la passion rugueuse
Qu’il t’aime ou qu’il t’achève qu’importe
Rien n’est plus ultime qu’un chant qu’on libère
Ton chant sous les chênes qu’un baiser inspire
Il est le compagnon fidèle
Il est la patience dans l’insomnie
Il attendra et si tu pars
Rien n’afflige sinon le ciel infini
Tu es l’oubli des lèvres
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Le miroir
Elle me surprend dans la brève pâleur le rose ditElle sa nudité brûle mon dos et je regarde
L’ancienne ville dans l’aube terne matin ciment
Le rose froid comme la baie vitrée où je me cale
La brume efface le mauvais souvenir des immeubles
On ne lit plus nos paroles dans la buée ni l’ardeur
Il y a un corbeau sur la cheminée d’un toit
Il est le signe de la béance ou la mort feinte
Tant pis nous voilà nus il n’y a pas d’offense
Au bout de la nuit qu’on annule dans l’étreinte
Je sais que rien ne te protège
Sous la pluie glaciale tu t’évanouis
La robe rouge et le visage enfoui dans la tourbe
Il me faudra d’une griffe sur ton épaule
Signer le passage brûlant du miroir
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Les barques
Ne réponds rien au diable même si la mariée blanche
Ralentit le pas quand c’est l’heure du phare
Le faisceau lumière balaie le noir océan
La nuit le champ de terre labourée où tu cours
Et tes pieds nus se blessent aux cailloux de granit
Fuis ma belle traverse les mares glacées les hivers
Esquive la fin l’image de ton père et qui cingle
A l’envers des gelées de cristal lui son fouet
S’il marque la pâleur rappelle toi tu es l’histoire
De celle qui était petite fille avant les ogres
Nous serons comme les chairs de Lucian Freud
Aux promesses des aurores et des secondes serviles
Il sera bien assez tôt le jour tu des phares
Je panse déjà tes blessures toi qui n’étais ni reine
Ni muse j’attends le retour des barques silencieuses
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Le vent
Le miroir en image qu’on façonne à sa guise
Tu restes vaincue des vagues au bon soin du vent d’ouest
Debout sur la falaise même si le ciel de pierre
Se fond dans l’Atlantique et tu brises le miroir
Tu recolles les éclats les fragments qu’on égare
Sans compter les mensonges la peur et les hommes fauves
D’autres viennent briser le chant les arbres inconsolés
A la toute fin tu es le labyrinthe l’amante
Perdue le courant d’air qui lève soulève le voile
De la fenêtre où tu n’es déjà plus va vole
Tu es plus légère qu’un reflet si le soleil
Décline dans la pudeur je veux pour un été
Nos sueurs dans la gorge le sel d’un pré sali
Nos corps meurtris on les encrasse dans la poussière
Le désir de n’être plus jamais n’éveille le vent
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Les eaux
Une journée s’éternise dans l’horizon de brume
Les peupliers n’ont plus rien d’amical un feu
Agonise nauséabond au fond des marais
On y brûle des pneus avant les prémices du soir
Elle sans âge erre sur le solarium et la glace
Blanche recouvre la piscine la vase mélancolique
Dans le bois la même peur une tronçonneuse s’acharne
Le peu de lumière s’échange à voix basse l’hiver
Ne pardonne rien elle s’allume une clope sans une larme
Pour l’aimé qui plongeait avec elle sous les vagues
Elle se récite leurs baisers le soleil dans l’arbre
Egarait les diamants de leur royaume d’été
La plage ayant brillé à la fin du continent
Emplis d’air et d’eux ils s’enlacèrent sous les eaux
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L’hôtel
J’éteins les montagnes les vallées noires sans fenêtre
Le chemin sous la neige tes paupières me captivent
L’attente ce vendredi pour l’aine et la membrane
Le doute en mille remords cette femme dans le miroir
Qui est toi pas une autre le portable te rappelle
La tentation l’attente relire son SMS
Le désir n’est plus le désir au fil des heures
Il est tes pas dans la neige l’escalier tout meurt
Derrière la porte des hôtels tout le cœur s’emballe
Et la chambre est une fente tu seras la seule femme
L’ombre des rideaux pèse les murs sont étroits
Ils renferment le silence la main lente de l’amant
Tes jambes se replient le bandeau compte les heures
Combien combien de fuites tu seras ton reflet
Dans l’écran de télé je ne t’oublie jamais
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Les mûres
Ta main dans les roncières n’a plus peur des abeilles
Elle revient noire comme tes lèvres piquées d’une épine
La goutte de sang je me la destine comme une fête
Les mûres ont le parfum violine de nos amours
Mais sur le chemin du retour une puis deux larmes
Bleues de ton eye-liner je ne dis rien du maître
Absolu que tu abandonnes à la sonnerie
D’un téléphone qui s’interroge encore c’est con
Réponds-tu ma douleur m’appartient si je l’échange
Je la lègue à nos déserts aux nuits qu’on traverse
Elle aime le silence de nos nuits blanches les draps tièdes
Le lit défait qu’elle voudra prendre en photo
Les lampes de chevet qu’on laisse allumées pâle
Est le sommeil matinal on se donne enfin
Le vent perdu qui n’aura plus besoin des anges
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Le virage
On n’apprivoise pas la forêt ni la renarde
Que les chasseurs enclosent je rêve un rêve
Où ils brûlent les rémanents au cœur de l’hiver
Ils boivent du mauvais vin sous les arbres intranquilles
Ils sont comme des soldats avant la guerre du sang
Leurs dents jaunes leurs dents noires quand ils rient de la femme
Toi qui née du ruisseau as trouvé dans les villes
D’autres chasseurs d’autres menteurs qui te voudraient dociles
Ils oublient l’animale l’éclair fauve folie rousse
J’écoute la rivière car je ne veux pas d’une cage
Tu as sur tes épaules la peau de la renarde
Si je nous aime c’est dans les errances et les doutes
La course vers les près immenses avant les falaises
Au plus froid de décembre le verglas sur la route
Nous ne savons plus rien de l’éternel virage
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Le sable
Au bas mot nulle étoile sous la nuit effroyable
Rien que la lune si blanche qu’un œuf crève le dimanche
Ah si j’arrête le monde c’est pour toi à Genève
Et le lac Léman pleure Lausanne dernières lueurs
Sur les rives j’ai perdu S. et Sylvie Caillet
De Saint Clair de la Tour si quelqu’un la connaît
Qu’il m’appelle et m’éveille l’insomnie est trop longue
J’ai perdu toutes les femmes elle je l’appelais Sybille
Un soir elle disparaît aux confins des mémoires
Pas un mot du conteur je n’ai plus rien la nuit
D’un geste on calme le vent on dort avant la plage
Les vagues sont cristallines peu importe à minuit
Si mes lèvres mordent tes lèvres je recherche ton extase
S’il te plait vainc l’orage ta peur jouit sur le sable
Arrache le peu de chair un phare cisaille la mer
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La neige
Bon sang comment savoir quelle montagne tu racontes
La rambarde sur le vide et la neige pas grande chose
Des seaux pour le champagne je me souviens de ta joie
Est-ce le soir le matin la crête blanche de lumière
Un soleil qui hésite sur le fil ça y est c’est l’aube
On est bourrés enfin on cherche dans la poudreuse
Notre chemin que des traces de bestioles tu te marres
Comme à ton habitude sous le chalet des Russes
Tu pisses et l’urine fume et moi aussi je pisse
Tu dis mélangeons les comme les mômes et leur sang
A toi qui fus si loin et moi qui n’osais pas
Jamais la gêne ne tremble n’aura tremblé entre nous
Tu sais les longues secondes avant que deux lèvres se frôlent
Et pourtant là il neige et s’y impriment nos pas
Si je t’avais suivie croirais tu à l’amour
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Les arbres
Le chant t’avait prévenue reste oh reste sur l’autoroute
Une pause dans cette station tu aurais bu un coca
Un homme peut être quel homme tu as franchi la rambarde
N’égare pas tes chaussures dans la forêt ne tombe
Pas dans le vide des arbres même quand s’agitent leurs branches
Ils te matent le sais tu ils savent comment te perdre
Il suffirait d’une souche le cœur bat sous l’écorce
Ta cheville elle succombe l’œil d’un vieil orme en chiale
Du coup la sève les branches toute la forêt se penche
Sur toi qui cours déjà sans ton soulier bleu clair
Un escargot l’explore et l’histoire s’arrête là
Les plis des draps dessinent comme des vagues dans la chair
Ta main sous l’oreiller une autre qui se retourne
La chambre où je m’apaise ma main sur ton épaule
Je veille depuis des siècles ces arbres qu’on a dits morts
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Le temps
Ho ho cet homme qui marche à petits pas la nuit
Le feu sera toujours une vie supplémentaire
J'entraîne une fille sous l'ongle elle rit à la lueur
Des flammes que la mémoire en silence décolore
Orange puis elle s'endort sur mon épaule j'écris
Le temps qui meurt et l'homme il presse le pas la pluie
Elle résonne sur l'ardoise tout finit mon amour
Jusqu'au matin j'ai froid après je suis un mot
Le jour dans la lumière on aura peur des masques
Que l'errant abandonne maintenant qu'il s'éloigne
Une fille un corps tout l'emporte même la langue devine
La main qui creuse la terre dans le pré de poussière
Le soleil n'en veut plus de nos chairs mises à nu
Alors nous cherchons l'ombre dans un demi-sommeil
Nous habitons l'arbre sec mort d'un orage d'été
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La fenêtre
Prie les buissons frissonnent à trois heures d'un matin
Où la clarté lunaire d'un rond plein dans la nuit
Maudit ceux qui sont vus qui d'une folle imprudence
Se perdent dans le jardin épris des gelées d'anges
Je ne t'entends presque pas toi qui repousses les draps
Ni le grinçant parquet encore moins l'escalier
Les marches qu'on exaspère se lamentent-elles des heures
D'un frigo survivant d'une télé qui t'épuise
Dans ta folie nocturne tu la provoques la lune
Tant qu'à genoux tu pleures de vivre par les épines
Mais l'autoroute s'est tue et je dors sous le deuil
Je ne voudrais rien perdre pour la vie d'une fenêtre
Je me tiens en mon noir je t'observe de la chambre
Tu portes ma chemise blanche ma main recueille la vitre
Froide les taillis s'entrouvrent j'aime te voir disparaître
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L’étang
Il y a cette canette de coca sur la berge
On voudrait ne pas la voir comme avant la chute
Quand là-haut parieuse des mots elle n’était que chair
Sa peau vibrait comme une parole te souviens-tu
La caresse épouvante ses lèvres la bouche aspire
Nos doigts ça pourrait être une carpe dans les roseaux
Un jour de bruine où elle marchait sur le ponton
L’étang un miroir sous le gris du ciel austère
Et la nuit même reflet que crois-tu qu’il arrive
Bien avant l’aveugle à la surface des eaux mortes
Nous les aimons ces femmes perdues pour les étangs
Elles sont là mieux qu’une offrande sous le feu des langues
Va va déchire tes fringues déshabille toi maintenant
Ton corps ne sera plus qu’un corps soumis au fouet
Des joncs ou des trainées tu sais le vent qui cingle
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Les flammes
Oh tu reviens me chercher dans la nuit n’aie crainte
Tu étais sur cette plage avec moi un nouvel
Horizon parce que c’est toujours comme ça tu vois
Je continue ne t’éloigne pas trop please la vie
La vie est brûlante sous la chair rien ne remplace
La main qui dévisage et la douleur en larmes
Je te le crie encore j’ai besoin de tes mots
Pour qu’un seul de ces mots réveille la langue donne donne
Le sang les nerfs le fou la mort le temps ta vie
Donne ce qui s’écrira je m’éveille sous les flammes
C’est un feu qui brûle tard au milieu de la lande
Les nuages défilent bas comme des volutes de chair
Blanche d’un geste je déchire la page tout disparaît
Sauf toi dans le miroir qu’on a cloué au chêne
Là mes paumes sur tes seins j’écroulerai les limites
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La lande
Où dans la lande
Les racines blondes et aériennes
Qu’un vent seul flagelle
Ton regard qu’épouvante
Les trous béants des ronces
Où cours-tu
Toi qui disparais encore
Un effacement dans les mots
Un silence au précipice des lèvres
Le veuf de granit
A pitié du chemin qui t’emporte
Où dans quelle lande
Tu t’effaces tu reviens
Dans les rafales elles charrient les averses
Le ciel sera sombre
Il s’éventre à seize heures
Quand les enfants ont les mains
A l’abri sous le chocolat
Regarde avant qu’une gomme
Peluche sur la page qu’elle fuit ô quelle nuit
Quand tu cours dans la lande
Avant l’écueil tes amours chavirent
Tes amants crient se noient
Sous l’œil ovale
De ton démon en sueur
Le pas hésite
La jambe à la croix
Ne risque pas le sentier d’ombre
Ecoute écoute ma musique
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Elle t’entraine malgré la lande
Vers la plage du Pérello
Là j’y suis plus qu’une ombre
Accroupi dans le sable
L’ami des méduses
Des os blancs de seiche
Des cordages de marins étonnants
D’une perdue qui sera toi
Bientôt derrière la dune
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