1 Pour protéger l`environnement, faut

Transcription

1 Pour protéger l`environnement, faut
Pour protéger l'environnement, faut-il abattre la croissance ?
Edwin Zaccai
A paraître dans Heering A. et Leyens S. (éds.), Stratégies de développement durable.
Développement, environnement ou justice sociale ?, Presses Universitaires de Namur, 2009,
ISBN 978-2-87037-613-3
Croissance économique contre protection de l'environnement ? Limites à la croissance,
croissance durable, décroissance ? Les débats relatifs à l'écologie sont accoutumés à se
préoccuper des oppositions ou conciliations possibles entre croissance économique et
environnement. Mais se focaliser sur la croissance est-ce la bonne question dans ces
contextes, et de quelle croissance est-il question ?
Pour alimenter ce débat, nous commençons par remonter en amont de la notion de
croissance pour décrire les différentes relations possibles entre produit économique et
dommages infligés à l'environnement, montrant que le premier est un indicateur à la fois
incomplet et indirect en ces matières. Dans un deuxième temps, pour comprendre
l'importance cruciale donnée à la croissance, nous reviendrons à ses origines dans le cadre
de la révolution industrielle. Avec ces éléments, nous donnerons des aperçus différenciés
sur la situation dans trois types de régions du monde aujourd'hui et au futur, à la fois sous
l'angle du rôle de la croissance, et des principaux problèmes qui en découlent pour
l'environnement. Nous pourrons alors dans un dernier temps confronter ces éléments
empiriques à différents principes qui ont été proposés ces dernières décennies dans le
contexte du développement durable au sens large, pour limiter les impacts
environnementaux issus de la croissance1.
1. La croissance économique: un indicateur indirect et biaisé des atteintes à
l'environnement
1.1. Différencier les activités
La croissance économique est définie comme l'évolution à la hausse, d'un produit,
autrement dit d'une somme monétaire. Pour fixer les idées considérons la situation en ce qui
concerne un pays. Le Produit intérieur brut (PIB) est, pour simplifier, la somme des valeurs
des activités menées par les résidents durant un an. Concentrons-nous sur ce PIB. Du point
de vue de l'environnement, plusieurs cas sont possibles.
Certaines activités dont la valeur est comprise dans le PIB ont des impacts sur
l'environnement, par exemple des productions industrielles. D'autres, également valorisées
dans le PIB, n'en ont presque pas, par exemple les honoraires d'un avocat. Par ailleurs,
certaines activités non comprises dans le PIB ont également un impact sur l'environnement,
1
Un dossier intéressant à consulter a été publié sur le même type de question par les Cahiers Français sous le
titre "Développement et environnement". CAHIERS FRANÇAIS, «Développement et environnement », n°
337, mars- avril 2007.
1 par exemple pour des ruraux pauvres en quasi autosubsistance, une déforestation. D'autres
activités non comprises dans le PIB n'ont guère d'impact.
Activités / Impacts
Impacts
Peu ou pas d'impact
Augmentent le PIB
Ex. : production industrielle
Ex. prestation intellectuelle
Non incluses dans le PIB
Ex.: agriculture en
autosubsistance
Ex. : activité sociale
Tableau 1
Le PIB s'avère donc être un marqueur indirect et incomplet des atteintes à
l'environnement. En outre, les valeurs relatives de ses composantes sont loin d'être
directement corrélées à l'importance des impacts sur l'environnement. Ainsi par exemple,
dans les pays industrialisés, l'énergie ne pèse que quelques pourcents du PIB, alors que les
impacts climatiques qui sont attendus de cette utilisation constituent une menace
potentiellement catastrophique à long terme (et d'ailleurs aussi une source considérable de
fragilité pour la croissance elle-même, voir plus loin). A l'inverse toujours dans ces mêmes
pays, les services pèsent plus de la moitié du PIB, et génèrent proportionnellement moins
d'impacts que l'industrie et l'agriculture.
Cependant, les activités menées dans une société vont se traduire par des impacts
matériels en fonction de sa structure technique générale de production et de consommation
(voir § 3). Par exemple si une activité artistique n'a a priori que peu d'incidences sur
l'environnement, dans certaines sociétés des manifestations artistiques peuvent entraîner la
mobilisation de très larges infrastructures et générer des impacts de déplacements
importants (concerts, expositions à grand succès, …) En outre, des activités intellectuelles
sans impact environnemental direct peuvent être à la source d'impacts indirects importants
(par ex. le travail intellectuel menant à un brevet appliqué ensuite à de la production). En
conclusion, dans des sociétés très monétarisées et à impact environnemental général élevé,
souvent le PIB va être modifié quand il se passe quelque chose, mais ce qu'il mesure est loin
d'être bien corrélé aux impacts environnementaux, comme le soulignent d'ailleurs de très
nombreux travaux critiques sur les indicateurs de richesse2
1.2. Différencier les impacts sur l'environnement
Avant de revenir au concept de croissance, détaillons encore un peu les impacts sur
l'environnement. Cette expression agrège elle aussi de nombreux phénomènes de nature et
2
Voir par exemple GADREY J., "Evaluations des biens environnementaux et nouveaux indicateurs de richesse",
Cahiers français, «Développement et environnement », n° 337, mars- avril 2007, p. 55-61; et l'important
rapport de la Commission Stiglitz mandatée par N. Sarkozy, STIGLITZ J., SEN A. et FITOUSSI J-P., Rapport
de la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social, www.stiglitz-senfitoussi.fr
2 d'importance diverses. On peut notamment distinguer l'utilisation de ressources
renouvelables (par exemple l'eau, les forêts), ou non (par exemple le pétrole) d'une part, et
de l'autre les impacts (émissions, effluents, déchets, …) des activités sur diverses
composantes de l'environnement. Ces impacts sont eux-mêmes extrêmement variés,
certains locaux (une pollution du sol), d'autres régionaux (pollution de l'air), voire mondiaux
(dérèglements climatiques). En outre, certains impacts sont réparables, comme le montre
l'amélioration de la qualité des eaux de surface, ou de l'air dans certains lieux, d'autres ne le
sont pas dans un avenir prévisible, comme la disparition d'espèces ou des changements
importants d'environnement. Via la combinaison de différentes caractéristiques, jointes à
l'importance qui leur est donnée par tel ou tel groupe humain, certains impacts seront
réputés plus graves que d'autres, et cela fait beaucoup de différence par rapport à une
notion abstraite de respect de l'environnement3.
En toute généralité, la fabrication et la production effectuées par l'homme dans tout
type d'activités utilisent des quantités variables de ressources naturelles et produisent
différents impacts. D'une façon intuitive, la durabilité de productions sous l'angle écologique,
peut se dire de celles qui permettent aux ressources de ne pas s'épuiser sur une longue
période de temps. Ainsi en est-il de l'agriculture traditionnelle, ou de productions à partir de
ressources renouvelables. Au sens strict, pourtant ce type de production a bien un effet sur
l'environnement: un champ cultivé, même de façon "durable", modifie la situation écologique
antérieure, de même qu'une pêche respectant la régénération des poissons exploités, etc.
Toutefois, selon les critères habituels, on considère généralement (bien que ce ne soit pas le
cas dans les conceptions d'écologie profonde), que la possible durabilité du point de vue des
ressources de l'environnement constitue un critère environnemental suffisant. On peut donc
dans cette optique concevoir une activité, agricole par exemple, qui va générer un produit
monétaire, et une croissance de celui-ci, tout en étant compatible avec le respect de
l'environnement.
Que retenir de ces éléments ? Ce qu'il faut considérer si on se soucie des impacts
d'activités humaines sur l'environnement, y compris au niveau des pays, est le type de
ressources consommées, leur caractère critique (irremplaçable, essentiel), et la nature, la
gravité, les conséquences des impacts générés par ces activités. Les valeurs monétaires
agrégées données aux différentes activités, par exemple via le PIB, ne sont pas un reflet
fidèle de ces impacts, et par conséquent, la croissance (ou la décroissance) de ces valeurs
ne l'est pas non plus.
Ceci étant, on peut s'attendre à ce qu'une croissance d'activités reflétée par celle du
PIB, résulte en une augmentation des pressions sur l'environnement si elle est d'un ordre de
grandeur important, et perdure pendant une longue période. Or c'est bien ce qui s'est produit
dans les pays industrialisés, comme on peut le voir sur le graphique ci-dessous. En Europe
de l'Ouest, le PNB par habitant a été multiplié par 15 (22000/1400) entre 1820 et 1992 (en
3
Pour de nombreuses données et analyses, voir par exemple les rapports PROGRAMME DES NATIONS
UNIES POUR L'ENVIRONNEMENT (PNUE), Geo-4, Nairobi, Programme des Nations Unies pour
l'environnement, 2007; EUROPEAN ENVIRONMENTAL AGENCY, State of the Environment Report,
Copenhague, EEA, 2005. Pour la Région wallonne, on consultera CELLULE ETAT DE L'ENVIRONNEMENT
WALLON (CEEW), Tableau de bord de l'environnement wallon, Namur, DGARNE, 2008.
3 dollars constants)4. Sachant en outre que la population a plus que quadruplé, on a là un
indice d'une augmentation sous-jacente d'impacts sur l'environnement. Toutefois, en fonction
de ce qui a été dit plus haut, ce n'est qu'un indice, car a priori en regardant cette seule
courbe, on ne peut augurer des impacts qui sont en jeu. Mais de fait l'intensification agricole,
la production industrielle de masse, et l'augmentation sans précédent de l’utilisation
d'énergies fossiles, impliquées derrière ces augmentations, résultent en des impacts
considérables sur l'environnement.
Evolution du PNB par habitant (1820-1992), en dollars internationaux
constants de 1990
22000
./.1 à 20
1400
./. 1 à 4
5
Sources : A. Maddison (1995). Ch. Vandermotten & P. Marissaal, TOME 1, 1998, p 64
Graphique 1
2. La croissance: pourquoi, comment
S'il est important d'analyser quels impacts sur l'environnement sont causés par
l'augmentation des activités humaines, il n'est pas possible de faire l'impasse sur une
compréhension des ressorts et de la place de la croissance économique dans les sociétés.
Sans cela, il est bien difficile de se faire une idée sur la validité de diverses propositions
formulées sur la croissance pour limiter les impacts sur l'environnement (voir § 4). Ce sujet
est lui-même vaste, d'autant que dans le cas qui nous occupe, nous ne voulons pas
directement appliquer la réflexion à une période et à un lieu donnés, et que comme on va le
voir, ces conditions peuvent modifier très fortement les réflexions générales sur la
4
VANDERMOTTEN Ch. et MARISSAL P., La production des espaces économiques, Tome 1, Editions de
l'Université de Bruxelles, 1998.
4 croissance. Nous nous limiterons ici à trois aspects fondamentaux en relation avec le modèle
historique de la croissance des pays industrialisés depuis le 19ème siècle.
D'un point de vue historique, en particulier à partir de ce qu'on a appelé la révolution
industrielle, des gains de productivité se sont manifestés dans l'agriculture d'abord, dans
l'industrie ensuite, et continuent à se produire dans tous les secteurs. Il s'agit essentiellement
de productivité en termes de travail humain, et dans une moindre mesure, de matières. Dans
l'agriculture le nombre de travailleurs nécessaires a diminué de façon très spectaculaire. A
peu près en même temps, la production industrielle, soutenue par l'énergie et l'innovation
technique, a non seulement fait baisser considérablement les coûts des produits usuels,
mais a multiplié ces produits et continue de le faire. Des croissances matérielles de quantité
de produits et d'énergie se sont ainsi réalisées, accompagnées de croissances
considérables de valeurs de produits et services échangeables sur un marché. Si dans une
économie préindustrielle, la part du budget des ménages pour assurer un besoin de base
comme l'alimentation est majoritaire, elle tombe à quinze pourcents en Europe5 où, en outre,
l'abondance de l'alimentation est bien supérieure à celles des pays les plus pauvres.
Du point de vue des individus ces transformations sans égales dans l'histoire à cette
échelle ont façonné la vision d'une société en évolution rapide, où il est possible d'attendre
des améliorations sur la durée d'une vie. Les morales et religions préindustrielles, avec leurs
préceptes orientés vers la satisfaction de besoins spirituels, ont perdu de leur influence dans
un contexte où des changements matériels inédits se répandaient. Pour certains
sociologues, il y aurait même une concurrence de "dieux" entre la morale traditionnelle
religieuse, et les prescriptions des modes et de la publicité6, concurrence qui n'est d'ailleurs
pas étrangère au fait que la consommation ait été dès son origine l'objet de visions
moralement négatives toujours prêtes à se ranimer (le latin consumare ou consumer, brûler,
détruire; contrairement au travailleur, au producteur, qui lui est perçu positivement)7. Ce sera
le cas notamment sous l'angle d'une critique de ses effets sur l'environnement (dans le
contexte de la décroissance notamment, voir § 4). Un certain nombre d'indicateurs suggèrent
cependant aujourd'hui que cette amélioration à l'échelle d'une vie est, dans les pays riches,
plus sujette à caution que durant les dites Trente glorieuses, ce qui ne va pas sans alimenter
des réflexions sur les conditions de la durabilité d'un développement8.
Un troisième aspect fondamental de la croissance économique est le point de vue
d'investisseurs de capitaux, privés ou publics. Les investisseurs considèrent comme normal
de rémunérer (le risque de) leur investissement par une part de profit. Existant dans nombre
5
Chiffre approximatif pour l'UE en 2002. Source: EUROPEAN ENVIRONMENTAL AGENCY, Household
consumption and the environment, EEA Report N°11/2005, p. 17.
6
DESJEUX D., La consommation, Paris, PUF, Que Sais-je ?, 2006.
7
HEILBRUNN B., La consommation et ses sociologies, Paris, Armand Colin, Collection 128, 2005. Il faut
toutefois rappeler que nombre de cultures traditionnelles incluent aussi des fêtes donnant lieu à
d'importantes consommations (cf. potlachs).
8
ZACCAI E., "Le développement durable: un projet et ses résonances", JP. CHANGEUX et J. REISSE (eds.), Un
monde meilleur pour tous, Collège de France, Paris, Odile Jacob, 2008, pp. 113-126.
5 de sociétés du monde, ce mécanisme est central dans le capitalisme. Or, si l'on veut éviter
que le profit provienne seulement de pertes enregistrées par d'autres acteurs, sa réalisation
implique une croissance continuelle des valeurs monétaires liées à ces profits. Dans les
données économiques guidant les investisseurs, les indicateurs de croissance sont
omniprésents, et absolument centraux. Il faut voir en outre, et c'est essentiel, que l'horizon
de croissance des richesses monétaires sous-tend indirectement un grand nombre de
décisions publiques: de nouvelles routes, un nouvel aéroport, et même le financement de
certains secteurs, comme l'enseignement par exemple, afin que les formations techniques et
la recherche contribuent, via les gains de productivité, à alimenter la croissance. Enfin un
aspect crucial est évidemment aussi l'importance de retombées de la croissance
économique pour les budgets des pouvoirs publics. Les retombées de la crise économique
de 2008-2009 se sont chargé d'en faire d'ailleurs une démonstration de plus.
3. La croissance selon trois types de régions du monde
Comme on l'a indiqué au début de cet article, dans le contexte du développement
durable, une série de réflexions et de principes ont été formulés au sujet des relations entre
croissance économique et protection de l'environnement, et c'est ce que nous examinerons
au point suivant. Mais pour mieux apprécier leur portée, esquissons ces problèmes dans
trois types de régions différentes. De façon très incomplète et sélective, nous présenterons à
la fois des éléments clés de ce que représente la croissance économique dans ces régions,
et des problèmes principaux en matière d'environnement que celles-ci rencontrent
actuellement. Les trois régions définies sont, d’une part, celle des pays économiquement les
plus pauvres, comme ceux d'Afrique subsaharienne – en ajoutant que beaucoup d'éléments
d'analyses sont aussi valables pour certaines régions défavorisées à l'intérieur de pays un
peu mieux lotis en moyenne sur le plan économique (Inde par exemple) ; d’autre part, celle
des pays en voie d'industrialisation rapide, comme les BRICS; et enfin, celle des pays de
l'OCDE.
3.1. Régions les plus pauvres
Dans cette première zone, la plus vaste des trois, on rencontre une pauvreté que l'on
peut avoir du mal à se figurer. On y trouve la majeure partie des (a) 3 milliards de personnes,
environ la moitié de l'humanité, qui disposent d'un revenu de moins de 60 USD/mois (2
USD/jour), (b) 2 milliards qui vivent d'une agriculture traditionnelle à très faible productivité,
(c) un milliard de sous-alimentés dont environ 1% en meurent chaque année, et (d) 2
milliards de personnes n'ayant pas accès à l'électricité. La croissance démographique y est
forte, l'espérance de vie relativement faible.
Dans ces régions, la croissance économique sur le modèle qui a été esquissé plus
haut pour les pays industrialisés est-elle actuellement de nature à entraîner un
développement au sens d'une amélioration de la vie humaine ? Bien des travaux se sont
penchés sur cette question vitale.
De nombreux critiques du développement actuel dénoncent la primauté donnée aux
profits économiques recherchés par des élites nationales ou étrangères, alors que la qualité
de vie du plus grand nombre n'est pas améliorée par les éventuels taux de croissance
6 constatés, lesquels peuvent provenir d'ailleurs de parts assez limitées de l'activité
économique (exploitation de ressources naturelles et commerce notamment). Pour certains,
même les idéaux d'un développement humain sont un masque pour une recherche encore et
toujours de croissance, elle-même alimentée par une marchandisation croissante, une mise
sur le marché de biens et de services auparavant non comptabilisés par une valeur
financière9.
La position inverse est au contraire de continuer à promouvoir la croissance
économique comme un indicateur fondamental pertinent, et ce pour différentes raisons:
d’une part, l'attrait pour des investisseurs, dont les investissements bénéficieront à des
sphères plus larges de la population (trickle-down effect), et d’autre part les demandes de la
population elle-même de biens de nécessité apportés par le marché10. Un courant important,
qui est bien symbolisé par le PNUD, ou encore par l'ex-directeur de la Banque mondiale et
prix Nobel d'économie, J. Stigliz, travaille à ce que l'indicateur de PIB ne soit pas le seul pour
représenter le développement humain11. De ce point de vue on est loin de repousser le
développement comme horizon pour les pays pauvres, et malgré les nombreux échecs et
promesses non tenues, on met en valeur la hausse de l'espérance de vie (plus élevée
aujourd'hui dans la majorité des pays les plus pauvres que dans l'Angleterre préindustrielle)12, et la meilleure satisfaction de certains besoins de base, ou la hausse de
l'instruction.
Sous l'angle économique cependant, on voit mal comment pourrait se produire à
grande échelle dans ces régions et dans un avenir proche un processus du même type que
le modèle de la révolution industrielle en Europe. Comment en effet attirer des
investisseurs ? Quel avenir imaginer pour les agriculteurs perdant leur mode de vie
traditionnel (qui affluent vers des mégapoles) ? Quel type d'activités industrielles mettre en
place pour avoir des retombées positives locales, et avec quels moyens ? Si il existe
certaines réponses à ces questions, c'est surtout l'ampleur des défis posés par cette grande
pauvreté face à ces réponses, qui interpelle dans la réplication de ce modèle. Dans la réalité
9
SACHS W. (ed.), The Development Dictionary. A guide to knowledge as power, London, Zed Books, 1992, et
toute l'œuvre de cet important critique du développement; RIST G., Le développement histoire d'une
croyance occidentale, Presses de Sciences-Po, Paris, 2006 (Rist y définit le développement comme le seul
accroissement de la marchandisation); RAHNEMA M. and BAWTREE V. (eds.), The post-development
reader, London, Zed Books, 1997 ; DE RIVERO, O., Le mythe du développement, Enjeux Planète, Paris,
2003. Ces critiques gagnent du terrain, dans un rapport récent de synthèse sur les positions de l'IUCN, l'idée
de développement est considérée comme "démodée" ("old-fashioned"), ADAMS B. et JEANRENAUD S.J.,
Towards a Humane and Diverse World. Transition to Sustainability, Gland, IUCN, 2008,
http://cmsdata.iucn.org/downloads/transition_to_sustainability__en__pdf_1.pdf, p.59.
10
EASTERLY W., The elusive quest of growth. Economists’ Adventures and. Misadventures in the Tropics,
Cambridge, The MIT Press, 2001.
11
Voir les rapports du PNUD, Rapport sur le développement humain, Programme des Nations Unies pour le
Développement, annuel. Pour Stiglitz, outre le rapport de la Commission Stiglitz, Sen et Fitoussi déjà cité,
voir notamment STIGLITZ J. , Un autre monde. Contre le fanatisme du marché, Paris, Fayard, 2006, où un
programme de réforme de la globalisation financière est proposé. Le chapitre sur l'environnement se limite
quasi exclusivement à l'aspect climatique, et pourrait s'avérer un peu optimiste.
12
PNUD, Rapport sur le développement humain, Programme des Nations Unies pour le Développement, 2005,
fig. 1.8.
7 les écarts entre pays les plus riches et les plus pauvres se creusent, comme cela est
constaté dans le graphique ci-dessus (Graphique 1), et sans cesse dénoncé comme l'un des
aspects négatifs du développement économique mondial actuel.
Sur le plan environnemental, on a pu montrer par des indicateurs clés que
l'environnement de pays africains est, proportionnellement à leur niveau de richesse, plus
dégradé que celui des pays européens13. Il l'est globalement moins en moyenne, mais il l'est
bien davantage qu'on ne pourrait s'y attendre si on compare les niveaux de PIB. Ceci
s'explique par le fait que les ressources naturelles entrent davantage en proportion dans le
PIB, et que certaines sont surexploitées. Il existe en outre des atténuations possibles à la
pollution dans les pays plus riches (éco-efficience partielle), et il se produit depuis ces pays
des délocalisations de certaines activités générant des pollutions. Contrairement à l'image
superficielle d'une écologie comme souci de "riches", on peut considérer qu'aujourd'hui les
problèmes environnementaux ressentis sont en général plus graves et affectent plus
directement la vie des populations dans les pays pauvres que dans les pays riches:
détérioration de ressources naturelles dont vivent les populations14, eau et air de mauvaise
qualité, etc.
3.2. BRICS
L'acronyme BRIC, pour Brésil, Russie, Inde, Chine, symbolise bien en ce début de
siècle un changement de vision des problèmes de croissance au niveau mondial. Si
21
durant la deuxième moitié du 20ème siècle les pays définis comme développés ont conservé
l'image (fallacieuse) d'une masse de pays en voie de développement, pauvres et dominés, il
est maintenant sans cesse question des bouleversements introduits par la Chine dans
l'économie, et d'autres géants dans son sillage. A l'image vertueuse mais impuissante de
l'assistance envers les pays pauvres se substitue celle d'une crainte envers la concurrence
de ce type de nations. Sous l'angle de la croissance économique, les pays européens sont
distanciés à leur propre jeu, par des taux de croissance bien plus élevés enregistrés dans
des pays émergents, année après année. Ces pays tirent parti de cette croissance en
révélant l'un de ses ressorts centraux, à savoir la rivalité de puissance et de pouvoir. Le
poids économique croissant va être lié à différents aspects de prises d'influence : par la
recherche de contrôle sur des ressources (Chine en Afrique), par leur utilisation (Russie), par
l'attraction réelle de capitaux importants, par la revendication de plus d'influence dans les
arènes politiques et économiques mondiales (le G20). Pour ces pays, la croissance
économique devrait continuer à fonctionner comme paradigme, car leurs dirigeants, et les
bénéficiaires de ces évolutions, s'estiment en être les gagnants. Par là ils peuvent espérer
prendre différents types de revanche face au monde occidental, et avec ses propres outils.
ème
Ce dernier au contraire se voit devenir moins fort dans un monde multipolaire, et sous
l'angle économique assiste à la constitution de catégories de centaines de millions de
nouveaux consommateurs, qui en parité de pouvoir d'achat, s'avèrent maintenant presque
13
KESTEMONT B., FRENDO L. et ZACCAÏ E., "Indicateurs des impacts du développement sur l'environnement:
une comparaison Afrique-Europe", Vertigo, 7, 2, 2006, http://www.vertigo.uqam.ca/vol7no2/revue.html.
14
Le MILLENNIUM ECOSYSTEM ASSESSMENT (www.millenniumassessment.org), rapport comparable pour
l'environnement à ceux du GIEC pour le climat, insiste sur les effets de la dégradation des écosystèmes sur la
situation des plus pauvres, et notamment sur l'obtention des Objectifs du Millénaire.
8 aussi nombreux dans les BRICS et autres pays de niveaux intermédiaires (Dragons, OPEP,
etc.) que dans l'OCDE15. Investissements, consommation, influence politique, ou encore
militaire, il se produit en ce début de 21ème siècle un basculement important dont on n'a pas
fini de voir les conséquences et qui conditionne les visions actuelles sur les limites de la
croissance dans le contexte mondial en rapport avec le développement durable.
Sous l'angle environnemental, les maux de l'industrialisation intense, au niveau des
pollutions directes comme la pollution de l'air, de l'eau, la diffusion de déchets et produits
chimiques, reproduisent des phénomènes connus précédemment dans les zones qui
s'industrialisaient massivement au moins jusqu'à la première moitié du 20ème siècle16. Mais
s'y ajoutent deux types de phénomènes d'importance mondiale considérable: la quantité de
ressources naturelles nécessaire dans le cadre d'une hausse importante des productions et
des consommations pour de vastes populations, ainsi que, spécifiquement les émissions de
gaz à effet de serre générées par des hausses sensibles des niveaux de consommation
d'énergie. Ces processus sont de nature à bouleverser fortement les équilibres écologiques,
déjà aujourd'hui mis à mal. Pour ce qui est du climat, si à la Conférence de Kyoto (1997), les
pays en voie de développement se voyaient exemptés de respecter des objectifs en termes
d'émission, une décennie plus tard, à la Conférence de Copenhague (2009), les accords
avec la Chine et d'autres grands pays émergents sont aussi centraux que les traditionnelles
négociations entre l'UE et les Etats-Unis.
3.3. OCDE
Dans le contexte du développement durable notamment, on peut recenser toute une
littérature mettant en doute les effets positifs de la poursuite d’une croissance économique
ayant déjà atteint les niveaux élevés des pays tels que ceux de l’OCDE. Ceci est bien mis en
évidence par les indicateurs alternatifs de richesse ou de bien-être, plus élaborés que l'IDH
du PNUD, qui souvent montrent un décrochage, après les 20 ou 30 Glorieuses (aprèsguerre), entre divers indices de bien-être ou de qualité de vie et la poursuite de la croissance
économique17. L'un des aspects conduisant à ces détériorations est la diminution des gains
de la croissance dont disposent les prestataires de travail par rapport à la rémunération du
capital, ou encore la montée d'inégalités et de pauvreté (même si elle est relative par rapport
à la grande pauvreté dans d'autres pays du monde). A ceci s'ajoute la critique, sous l'angle
mondial, de la non soutenabilité de la reproduction mondiale d'un tel niveau de
consommation. Il y a donc une critique interne – la croissance crée plus de dégâts sociaux
qu'elle n'apporte de progrès – et une critique externe – les limites écologiques condamnent
15
UNITED NATIONS ENVIRONMENTAL PROGRAM (UNEP), Planning for change. Guidelines for National
Programmes on Sustainable Consumption and Production, Nairobi, Programme des Nations Unies pour
l'environnement, 2008, p. 17-18. La limite inférieure de pouvoir d'achat est de 7000 dollars en parité de
pouvoir d'achat (PPA), c'est-à-dire une valeur de pouvoir d'achat recalculée par rapport aux prix locaux.
16
On a oublié ces pollutions d'avant la Deuxième guerre mondiale, par exemple celles des Grands lacs aux
Etats-Unis qui rendaient l'atmosphère irrespirable et l'eau imbuvable, le smog tuant des habitants de
Londres, les riverains de la Ruhr ou d'industries japonaises condamnés à subir les dégâts, malgré leurs
mobilisations. Voir MC NEILL J.R., Something new under the sun. An environmental history of the TwentiethCentury World, Penguin Press, Allen Lane, 2001.
17
Voir GADREY J., op. cité.
9 ce modèle soit à l'injustice mondiale en réservant à un groupe de pays riches une grande
part des ressources, soit à des tensions et des détériorations importantes de l'environnement
en cas de poursuite de la diffusion d'un tel modèle.
Singulièrement, d'innombrables textes dénoncent les limites du PIB comme reflet de
progrès. Pour ne citer que celui-là, le livre La société de consommation de J. Baudrillard18
qualifie le PIB, dès la fin des années 60, de magie blanche transformant des dommages tels
"la perte de luminosité de l'air" due à la pollution, en richesses, via la vente de dispositifs
pour faire face à cette pollution. Outre les critiques sur tout ce que la croissance n'apporte
pas, et sur les risques qu'elle entraîne, on relève également des travaux sur l'essoufflement
de ce modèle lui-même dans les pays les plus riches, comme cela est détaillé dans le livre
de R. Ayres, The end of the growth paradigm19. Cet auteur se demande notamment quels
sont les produits et services qui pourront continuer à être créés dans les pays riches avec
suffisamment de valeur ajoutée, pour maintenir et accroître le niveau de richesses de ces
pays ? Un aspect central de la crise de 2008-2009, l'endettement excessif des ménages
américains pourrait s'accorder avec cette analyse.
Sous l'angle environnemental ces pays économiquement favorisés ont pu améliorer
une série d'aspects de l'environnement qui répondent à des demandes des populations
relatives à la santé ou à l’esthétique, et dont certaines peuvent être valorisés par des
activités (la vente de technologies, ou encore le tourisme par exemple). Certains indices
relatifs à la pollution de l'air, de l'eau, ou à la pollution par des déchets se sont améliorés. Il
n'en reste pas moins que d'autres problèmes environnementaux subsistent ou s'aggravent,
et surtout que les niveaux de consommation des pays de l'OCDE pèsent très fortement sur
les ressources naturelles soit dans leur zone, soit par importation. D'après des estimations
agrégées, chaque Européen consommerait au total en moyenne 50 tonnes par an de
diverses matières20, de grands déséquilibres en termes de composés chimiques continuent à
se produire (acidification, nitrification), et les émissions de gaz à effet de serre sont
majoritairement issues de ces pays, qui représentent pourtant moins de 20% de la
population mondiale.
Outre ces déséquilibres porteurs d'injustices et de tensions, d’autres types de fragilités
s’avèrent plus difficile encore à modifier : celles qui sont inhérentes à des systèmes
hautement interconnectés, en partie en temps réel, de plus en plus structurants pour des
activités dans les sociétés les plus riches (via l'électronique en particulier), mais aussi pour
des systèmes mondiaux. Les crises associées au principe de précaution en sont un
révélateur, mais il est probable qu'à l'avenir diverses causes de défauts dans ces connexions
(accidents, dangers non perçus dans des substances, terrorisme, ….) poussent à des
changements vers plus de résilience21, la dernière en date étant la crise financière de
septembre 2008.
18
BAUDRILLARD J., "La société de consommation", Paris, Gallimard, 1970.
19
AYRES R., The U-turn. The end of the growth paradigm, London, Earthscan, 1998.
20
Entre 31 et 74 tonnes, EEA, 2005, op. cité.
21
En un sens, les pirates informatiques ont aidé à instaurer par tâtonnements et par nécessité plus de résilience
des connexions, grâce à une montée progressive des défenses contre les virus qu'ils ont introduits. Sur des
10 En définitive cet aperçu sommaire de trois grandes régions du monde a illustré et
précisé ce que nous présentions dans notre premier paragraphe : les impacts sur
l'environnement ne sont pas directement corrélés à la croissance économique, même si il
existe des relations lâches entre les deux. Mais il a aussi illustré différentes significations de
la croissance pour des régions diverses du monde, et pointé vers une série de problèmes
clés en environnement dont les relations avec la croissance sont diverses.
4. Petit panorama des théories sur les rapports entre croissance économique et
environnement
Comme cela a souvent été remarqué dans des travaux sur l'économie de
l'environnement, les ressources naturelles n'étaient pas considérées comme des facteurs
critiques dans la tradition économique classique. Certes des précurseurs (Hartwick,
Hotelling)22 formulent des conditions sur l'utilisation durable d'une ressource, ou sur les
rapports entre économie et protection de l'environnement (Coase). Toutefois, c'est dans le
dernier quart du 20ème siècle que les travaux à ce sujet vont se multiplier, débouchant sur
de véritables courants de recherches inspirant des politiques, en économie
environnementale et en économie écologique. Dans cette section nous aborderons la
question des rapports entre croissance et environnement et nous distinguerons trois
positions: croissance opposée à l'environnement; croissance compatible avec
l'environnement; croissance favorable à l'environnement. Chacune sera illustrée par un ou
deux courants ou œuvres emblématiques. Nous tirerons parti des éléments d'analyse
enregistrés jusqu'ici pour mieux apprécier la portée de ces différentes positions.
Croissance contre
environnement
Croissance compatible avec
l'environnement
Croissance favorable à
l'environnement
"Halte à la croissance ?"
(Rapport au Club de Rome)
Rapport Brundtland
Hypothèse de la courbe
environnementale de Kusnetz
(EKC)
Mouvement de la décroissance
Découplage
scénarios de rupture possibles voir HOMER-DIXON Th., The Upside of Down. Catastrophe, Creativity, and
the Renewal of Civilization, Knopf, Toronto?, 2006. Il semble que cette tonalité sombre prend de l'importance
ces dernières années en particulier face à l'évolution climatique et pétrolière, comme le montre cette notre
sélection ci-après à partir de la bibliographie du récent livre de GIDDENS A., The politics of climate change,
Cambridge, Polity, 2009, lui-même assez alarmiste: Scared to death (2007), Terror and Consent (2008),
Climate crash (2005), Collapse: How societies choose or fail to survive (2005), Invitation to Terror (2007),
Hot, Flat and Crowded (2008), The Science and Politics of Fear (2008), New World Disorder (2008), The
Party's Over (2003), The Return of History and the End of Dreams (2008), Rising Powers, Shrinking Planet
(2008), Fields Notes from a Catastrophe (2006), The Doomsday Book (2005), The Revenge of Gaia (2007),
Surviving Armaggeddon (2005), A Brief Guide to the End of Oil (2007), The Last Generation (2007), Our
Final Century (2004), The End of Oil (2004), Unstoppable Global Warming (2007), The Last Oil Shock
(2007), Laws of Fear (2005).
22
Voir HARRIBEY J-M., Le développement soutenable, Paris, Economica, Poche, 1998.
11 Tableau 2
4.1. Croissance contre environnement
a) The Limits to Growth
Traduit en français par Halte à la croissance ?, le rapport du Club de Rome publié en
1972, s'intitule plus clairement en anglais The Limits to Growth23. Il s'est imposé comme la
référence incontournable de tous les débats ultérieurs concernant les relations entre
environnement et croissance économique. Le modèle expérimenté dans ce rapport construit
des scénarios d'évolution de cinq variables essentielles agrégées chacune au niveau
mondial : population, ressources alimentaires, production industrielle, ressources (naturelles)
et enfin pollution. Plusieurs hypothèses sont considérées, mais chaque fois la poursuite des
dynamiques de croissance de la production aboutit à des dépassements puis à des
effondrements à partir du milieu du 21ème siècle, que ce soit parce que les ressources
alimentaires deviennent insuffisantes pour nourrir la population qui aurait cru énormément
selon le modèle (le rapport envisage 14,4 milliards pour 2035, contre 9 milliards comme
hypothèse haute actuelle pour cette date), ou parce que la pollution générée par cette
production va décimer la population par ses effets sur la santé. Considérant la croissance
comme nuisible, dans son dernier chapitre, le rapport prône donc le modèle de l'économie
stationnaire, théorisé à cette époque par Herman Daly, qui deviendra l'un des chefs de file
de l'économie écologique, et qui s'est inspiré sur ce point de l'économiste J-S Mill24. Plutôt
que de rechercher une augmentation de la production, il s'agirait d'utiliser les gains de
productivité pour diminuer la quantité de temps passé à travailler et de faire en sorte de ne
pas augmenter la consommation, ni la population, via des mesures démographiques strictes,
et des régulations politiques importantes, ce dernier aspect étant un élément constant des
travaux s'orientant vers une limitation de la croissance économique pour des raisons
environnementales25
Le rapport a connu plusieurs update qui ont pu tirer parti de la notoriété du produit
initial, mais si celui-ci était réellement innovant et important à l'époque, les volumes suivants
diffuseront des messages un peu brouillés, où la surpopulation est parfois mise en exergue26
tandis que pour les pays riches, des mots d'ordre de simplicité volontaire sont distillés sans
réelles stratégies autres qu’un appel aux valeurs ou aux bons sentiments. En outre, on voit
23
MEADOWS, D.H., MEADOWS, D.L., RANDERS, J. and BEHRENS III W.H., The Limits to Growth (Report to
the Club of Rome), New York, Universe Books, 1972.
24
Mill est une référence centrale pour l'économie de son temps. Son livre de 1848, Principes d'économie
politique, inclut cette possibilité d'état stationnaire comme objectif, associé à la hausse du temps libre, de
l'instruction, de l'émancipation des femmes. L'état stationnaire se trouve aussi comme une possibilité chez
d'autres économistes (Ricardo, Smith), mais comme peu souhaitable (VIVIEN F.D., Economie et écologie, La
Découverte, Repères, Paris, 1994).
25
EKINS P., Economic Growth and Environmental Sustainability. The prospects for green growth, London and
New York, Routledge, 2000.
26
Par exemple, une population "extrapolée" pour le Nigeria en 2087, de un milliard d'habitants… MEADOWS,
D.H., MEADOWS, D.L., RANDERS, J. and BEHRENS III W.H., The Limits to Growth (Report to the Club of
Rome), New York, Universe Books, 1972, p. 23.
12 mal quelles sont les solutions propres à cette optique adaptées au contexte actuel des pays
émergents (BRICS).
b) La décroissance
Le terme de décroissance est principalement utilisé dans des débats en France depuis
2003 environ, même si on peut trouver des analogies avec d'autres mouvements comme la
simplicité volontaire (dans d'autres pays de l'OCDE), l'état stationnaire cité ci-dessus dont les
idées ont toujours continué à circuler, ou encore, pour certains, avec l'écologie profonde27.
Le promoteur principal de cette idée est S. Latouche, qui y voit non un idéal mais une
nécessité, celle de sortir de l'imaginaire de la croissance (et pas nécessairement donc de
décroître économiquement, le terme d'a-croissance étant parfois formulé), elle-même soustendue par un imaginaire économique occidental oppresseur des consciences et du monde.
La non soutenabilité écologique des sociétés riches a été constamment mise en avant ces
dernières années par Latouche, qui avait précédemment aussi critiqué vertement les méfaits
du développement (y compris réputé "durable")28.
On constate une vogue certaine de la décroissance actuellement, portée en France
également par Yves Cochet29, sous l'effet de la récente mise en lumière plus crue d'un pic du
pétrole, des hausses de matières premières et agricoles, des faibles résultats enregistrés par
les politiques environnementales classiques au niveau mondial. En outre, le contexte
d'affaiblissement des politiques réformistes organisées, la perception de changements
globaux avec une décroissance relative de la place de pays riches ainsi que la reviviscence
d'idées écologiques latentes expliquent probablement cette vogue... Ces différents éléments
peuvent contribuer à ce que des crises, des effondrements, des décroissances justement
soient anticipées comme étant inéluctables, et à ce qu’il s’avère donc utile d’y penser, voire
de s’y préparer.
Sur le fond, les théories ont été plusieurs fois critiquées pour leurs difficultés pratiques,
mais il s'agit aujourd'hui plutôt d'un mouvement d'idées et de mobilisations qui n'ont pas
encore de contours bien définis. A la lecture de travaux de l'école, et de la revue Ecological
Economics un certain nombre de points de rencontre avec le mouvement de la décroissance
apparraissent, bien que des jonctions explicites aient jusqu'ici été peu fréquentes30. Dans les
deux extraits d'article repris ci-dessous, Robert U. Ayres traite du thème de l’incompatibilité
27
HARRIBEY J.M., "Les théories de la décroissance : enjeux et limites", Cahiers français, «Développement et
environnement », n° 337, mars- avril 2007, p. 20-26. Pour une série de références et d'analyses de la
décroissance, voir FLIPO F., " Voyage dans la galaxie décroissante", Mouvements, 2007,
http://www.mouvements.info/spip.php?article61.
28
LATOUCHE S., "Pour une société de décroissance", Le Monde diplomatique, novembre 2003, pp. 18-19;
LATOUCHE S., Le pari de la décroissance, Fayard, 2006.
29
COCHET Y., Pétrole apocalypse, Paris, Fayard, 2006. Spécialiste médiatisé des changements climatiques et
partisan de solutions technologiques forte régulés par l'Etat, J-M. Jancovici rejoint la prédiction d'une
prochaine décroissance économique sous l'effet de hausses fortes du prix du pétrole in JANCOVICI J-M. et
GRANDJEAN A., C'est maintenant ! 3 ans pour sauver le monde, Paris, Seuil, 2009
30
La plus nette a été le colloque FIRST INTERNATIONAL CONFERENCE ON ECONOMIC DE-GROWTH FOR
ECOLOGICAL SUSTAINABILITY AND SOCIAL EQUITY, Paris, April 18-19th, 2008, http://events.itsudparis.eu/degrowthconference/en/appel/Degrowth%20Conference%20-%20Proceedings.pdf.
13 de la croissance avec la soutenabilité de l'environnement, de la contribution de la croissance
au bien-être et de la difficulté (pratique, politique) de ce qu'il appelle non croissance (no
growth) dans le système actuel.
Cet article présente quatre thèses. (1) La croissance économique,
telle qu’elle est traditionnellement mesurée, n’est pas, et ne devrait
jamais être, considérée comme le plus important moteur de
l’augmentaion du bien-être humain. (2) Le progrès technologique a
toujours été la première source de la croissance et du bien-être, ceuxci étant pris en compte séparément. (3) Le commerce a été par le
passé un moteur secondaire de la croissance ; aujourd’hui, en Europe
et aux Etats-Unis, il contribue probablement négativement à la fois à
la richesse et à l’équité nationales, et dès lors au bien-être. (4) Le
commerce et la croissance (du PIB) sont de plus en plus
incompatibles avec la protection de l’environnement. Paradoxalement,
alors que l’augmentation de prospérité génère une sensibilité
environnementale accrue, nombre
de processus associés à
l’augmentation de prospérité sont néfastes à l’environnement.
En bref, aucun des acteurs économiques d’importance, que ce soient
les chefs de gouvernements ou les directions du secteur privé, n’est
motivé par des objectifs compatibles avec une politique de « noncroissance ». La « non-croissance » économique n’est pas une option
politiquement viable pour une démocratie, du moins dans un monde
où un fossé énorme sépare riches et pauvres. Cependant, eu égard
aux matières premières, à l’énergie et à la pollution, la « noncroissance » est un impératif en raison du fait que toute activité
économique s’appuie sur une base matérielle essentielle.31
(This paper) makes four broad claims: (1) that economic growth (as conventionally measured) is not,
and never has been, the most important contributor to increasing human welfare; (2) that technological
progress has always been the primary source of both growth and welfare (considered separately); (3)
that trade was at best a minor contributor to growth in the past and is probably now contributing
negatively to both national wealth and equity, hence to welfare, in Western Europe and North America
and (4) that both growth (of GDP) and trade are increasingly incompatible with environmental
protection. In fact, while increasing prosperity breeds environmental sensitivity. many of the processes
by which it is achieved are environmentally destructive.
Roberto U. AYRES, "Limits to the growth paradigm", Ecological Economics 19 (1996) 117-134, page
117
In short, none of the important economic actors, whether government leaders or private sector
executives, has an incentive compatible with a ‘no growth’ policy. No economic growth is evidently not
a politically viable proposition for a democracy, at least in a world with enormous gaps between
poverty and wealth. But ‘no growth’ is an imperative as regards extractive materials, energy and
pollution emissions because economic activity is based on a material foundation.
3131
Traduction française par l'éditeur 14 Roberto U. AYRES, "Sustainability economics: Where do we stand?", Ecological Economics 67 (2008)
281-310, page 290.
Tableau 3
4.2. Croissance compatible avec l'environnement
a) Le Rapport Brundtland
Figure tutélaire du développement durable auquel il donnera définitivement son
empreinte, malgré d'innombrables autres interprétations, le rapport de la Commission
Mondiale (des Nations Unies) sur l'Environnement et le Développement appelé Rapport
Brundtland (1987)32 propose d'autres théories sur les rapports entre développement et
environnement que celles défendues par le rapport au Club de Rome Le Rapport Brundtland
prône une croissance nécessaire pour les pays en développement avec des conditions que
l'on peut résumer en un meilleur partage des bénéfices de cette croissance (en phase avec
les théories du développement, comme celles du PNUD), et un respect des conditions
environnementales pour que cette croissance puisse être durable. Pour le dire autrement il
s'agirait d'une croissance différant selon les contextes, mais soutenable socialement et
écologiquement. Le Rapport développera de nombreuses analyses et arguments pour qu'il
en soit ainsi. Toutefois les politiques de développement durable qui s'en inspireront, de Rio à
Johannesburg, et au-delà, ne parviendront qu'à des succès mitigés, même si les concepts se
répandront largement.
b) Le découplage
S'autonomisant progressivement par rapport au développement durable notamment en
raison de son caractère mesurable sous forme d'indicateurs, le découplage entre croissance
économique d'une part et croissance des intrants en ressources naturelles, énergétiques, ou
émissions polluantes d'autre part est devenu un objectif de premier ordre des politiques des
pays de l'OCDE33. L'UE s'y réfère à de multiples reprises. L'Agence européenne de
l'environnement remarque ainsi que la productivité du travail en Europe (EU 15) a augmenté
de 270% entre 1960, tandis que la productivité en matière a augmenté de 100% et celle de
l'énergie seulement de 20% sur la même période34. Aujourd'hui les problèmes
d’environnement et d’emploi nous incitent à accroitre de beaucoup la productivité
« écologique », et éventuellement à réduire la pression sur le travail humain (ce qu'on
appelle parfois double dividende). L'éco-efficience, c'est-à-dire la baisse de consommation
de ressources écologiques et de pollutions, pour un même service, recherchée
32
WORLD COMMISSION ON ENVIRONMENT AND DEVELOPMENT, Our common future (The Brundtland
Report), Oxford, Oxford University Press, 1987.
33
RUEFING K, , "Indicators to Measure Decoupling of Environmental Pressure from Economic Growth", HAK T.,
MOLDAN B. and DAHL L.A. (eds), Sustainability Indicators", Scope 67, Island Press, Washington, 2007, pp.
211-222.
34
MC GLADE J., "Experience with the Use of Economic Instruments in Europe", Speech, Brussels 19 March
2007, www.eea.europa.eu/pressroom/speeches.
15 essentiellement par des améliorations techniques et éventuellement par des changements
de biens consommés, reste la voie principale d'amélioration dans ce type de conception35.
Remarquons que ce sont bien des objectifs de découplage que les Etats-Unis ont
proposé sous l'ère Bush en matière d'émissions de gaz à effet de serre, via des objectifs de
réduction d'intensité énergétique de leur économie, c'est-à-dire de rapport entre GES et PIB
(ou PNB). Il est remarquable que les mesures qui sont, à juste titre, décriées comme étant
insuffisantes pour un pays comme les Etats Unis eu égard à la problématique du climat,
soient largement acceptées comme objectifs dans de nombreux domaines. En effet, l'UE et
d'autres pays riches se sont ralliés aux objectifs de Kyoto, c'est-à-dire de baisser les
émissions, indépendamment de l'évolution économique (en réalité toutefois les objectifs
initiaux par pays en tiennent compte). Comme on l’a vu plus haut, ce qui est pertinent pour
protéger l'environnement est la baisse des pressions mesurée en quantités de matières et de
polluants, les niveaux économiques qui y sont associés ne l’étant pas directement. En réalité
tout se passe, comme si une série d'objectifs de réduction de pressions s'avéraient être hors
de portée de pays riches, et que pour protéger leur fonctionnement interne, pour lequel la
croissance économique est considérée comme irremplaçable, un objectif ad hoc avait été
défini, à savoir la baisse des pressions en termes relatifs par rapport à cette croissance.
Cet objectif de découplage est d'autant plus commode qu'il se produit effectivement
sous l'influence de plusieurs phénomènes tels que la part toujours croissante des services
dans le PIB, le gain de productivité en ressources naturelles et énergétiques de certains
procédés, l'innovation technologique orientée vers l'environnement, et la délocalisation
d'activités polluantes hors des zones les plus riches. Ces éléments sont beaucoup moins
présents dans d'autres pays, notamment chez les compétiteurs en voie d'industrialisation, où
à l'instar de ce qui s'est produit durant la croissance industrielle historique en Europe, c'est
au contraire à une augmentation transitoire de l'intensité énergétique de l'économie que l'on
assiste parfois36.
4.3. Croissance favorable à l'environnement
L'hypothèse de la courbe environnementale de Kuznets
Une courbe en cloche a été proposée par l'économiste Prix Nobel S. Kuznets (19011985), pour tracer l'évolution de l'égalité des revenus en fonction de la croissance du PIB.
35
Un ouvrage symbolisant bien cette approche dès les années 90 est VON WEISZACKER E., LOVINS A. et
LOVINS H., Facteur 4: deux fois plus de bien-être en consommant deux fois moins de ressources (Rapport au
Club de Rome), Mens (F.), Terre Vivante, 1997. Sous l'angle purement technologique, un ouvrage optimiste de
référence aux USA, est Natural capitalism (LOVINS A.B., LOVINS L.H. and HAWKEN P., "A road map for Natural
capitalism", Harvard Business Review, May-June 1999, pp. 145-158).
36
Dans le cadre des négociations pré-Copenhague, on évoque des objectifs parfois en termes de valeurs
absolues des émissions (comme l'objectif de l'UE de réduire de 20% ou plus celles-ci pour 2020), et parfois de
leurs valeurs relatives au PIB (propositions notamment de la Chine pour le moyen terme). Il y a donc lieu de tenir
compte de l'état de l'industrialisation des pays concernés pour apprécier ces objectifs. Ainsi, la trajectoire qui
serait celle de la Chine si elle répliquait le modèle industriel, impliquerait une augmentation des émissions par
rapport à la croissance, et de ce fait les objectifs de découplage constituent déjà un progrès, tandis qu'aux Etats
Unis, le découplage n'est autre que la tendance déjà en cours. 16 D'abord relativement grande (car il y a peu de riches), cette inégalité augmente, puis
diminue, quand la richesse de certains groupes se diffuse dans la société. Cette courbe n'est
pas nécessairement vérifiée empiriquement et les trajets s'avèrent plus complexes puisque,
ainsi qu'on l'a mentionné, les inégalités tendent à augmenter aujourd'hui dans des pays
riches. Dans les années 90 des chercheurs ont tenté de démontrer qu'une courbe de même
allure existerait entre le niveau de pollution cette fois et l'augmentation du PIB. La pollution,
faible quand il y a peu de productions polluantes, augmente avec l'industrialisation puis
diminuerait à mesure que les revenus croissants permettent de s'équiper en installations
moins polluantes, et que les demandes des citoyens dont les besoins primaires sont
rassasiés s'orientent davantage vers des valeurs environnementales.
Empiriquement, une telle évolution peut en effet se constater pour des types de
pollutions réputées gênantes, à court rayon de nuisance, et pour lesquels il existe des
alternatives accessibles économiquement. C'est le cas de la pollution de l'air par les
particules, de la pollution des cours d'eau ou de la production non contrôlée des déchets.
Ajoutons toutefois que cela ne se produit pas automatiquement et nécessite des politiques et
des mesures spécifiques.
En revanche pour toute une série de phénomènes, cette courbe ne se vérifie pas.
C'est le cas pour l'exploitation de ressources naturelles dans des pays pauvres. Nous avons
indiqué que celle-ci peut être assez élevée, même si les valeurs économiques de cette
exploitation sont relativement faibles. C'est le cas aussi, dans les pays riches, pour des
pollutions difficiles à atténuer à grande échelle et à coûts économiques réduits, comme
l'utilisation de produits toxiques, et l'émission de gaz à effet de serre.
« Courbe environnementale de Kuznets »
Pollutions
‐Poussières
‐Eaux surface
(partie)
‐Déforestation
‐…
Vérifiée plutôt pour des dommages
‐ à court rayon d’action
‐ directement nuisibles pour la santé
‐et pour des technologies
de substitution facilemen
accessibles
PIB
Courbe de poursuite de croissance des pollutions
Pollutions
‐ Gaz à effet serre
‐ Consommation
Totale de matières
‐ Déchets
PIB
Graphique 2
Malgré sa validité limitée, l'idée plus ou moins explicite d'une amélioration générale de
la dégradation de l'environnement grâce aux moyens fournis par la croissance économique
17 reste très répandue, car elle permet une poursuite de la croissance économique, moteur de
nombreux acteurs, qui font, par conviction ou méconnaissance, l'hypothèse qu'il en résultera
aussi des gains environnementaux généraux à la longue. On peut remarquer que le principe
12 de la Déclaration de Rio énonce ce même type de raisonnement, appliqué au commerce
international37.
5. Conclusions
A partir d'une question apparemment simple, à savoir comment positionner la croissance
économique par rapport à la protection de l'environnement, nous en sommes arrivés à de
larges palettes d'observations, de phénomènes et de théories. Que peut-on en retenir en
guise de conclusion ?
La croissance économique constitue seulement un indicateur indirect et incomplet des
atteintes à l'environnement. Il existe néanmoins des corrélations certaines, ne serait-ce que
parce que les activités humaines ont des impacts sur l'environnement, et que dans des
systèmes monétarisés, ces activités sont reflétées dans le PIB. Ces atteintes sont d'autant
plus grandes, que l'on se situe à des niveaux intenses de consommation de ressources
naturelles et d'impacts. C'est notamment le cas dans les pays de l'OCDE, où les hausses
supplémentaires de consommation dénotées par une hausse du PIB s'ajoutent à des
niveaux déjà élevés, du fait de structures très énergivores et dévoreuses de ressources
naturelles. Toutefois, dans des pays pauvres également, certaines activités humaines
peuvent être défavorables à l'environnement, sans que cela ne soit reflété autant dans le
PIB, et avec des impacts humains plus directs et plus forts sur les populations.
Dans le cadre de théories axées sur l'environnement et le développement durable, ces
éléments ont été interprétés selon diverses analyses depuis les années 1970, et même
avant. Certaines approches insistent sur les menaces dues à la croissance des activités
économiques, d'autres cherchent les conditions pour les rendre compatibles avec
l'environnement et le progrès humain, d'autres enfin minimisent la portée des problèmes
environnementaux en considérant qu'une compatibilité se produira par la poursuite du
développement économique.
Dans ces débats, on ne peut envisager la croissance économique de façon détachée
comme un paramètre qu'il serait loisible de modifier sur base d'une décision rationnelle,
même si dans certains cas sa poursuite apparaît nuisible et injustifiée selon un certain
nombre de paramètres. Nous avons au contraire voulu rappeler combien cette partie
émergée de l'iceberg appelée croissance économique est foncièrement sous-tendue par des
logiques diverses et puissantes, des intérêts et des valeurs. L'influence keynesienne qui a
suivi la Grande dépression a permis de construire des instruments, à commencer par le PIB,
permettant d'orienter en partie l'économie vers des buts favorables à la société dans les
37
Les Etats devraient coopérer pour promouvoir un système économique international ouvert et favorable, propre
à engendrer une croissance économique et un développement durable dans tous les pays, qui permettrait de
mieux lutter contre les problèmes de dégradation de l'environnement. Sur l'EKC comme sur les effets possibles
de la libéralisation du commerce sur l'environnement voir la section "Mondialisation et environnement", dans LES
CAHIERS FRANÇAIS, op. cité., et la citation de R.U. Ayres ci-dessus 18 pays dits développés. A cette époque, et durant les 30 Glorieuses, s'est forgée l'idée que la
hausse de ce PIB est empiriquement associée à la création d’emplois. La question de
l'environnement était accessoire et peu significative par rapport à cet axe central. C'est sans
doute une raison fondamentale expliquant les difficultés à intégrer cette question de façon
cohérente dans les systèmes actuels.
Aujourd'hui, des avocats de la décroissance cherchent à alléger le fardeau immense que fait
peser la consommation des ressources sur les équilibres naturels. Mais de combien réduire
dans l'immédiat la croissance économique pour faire une réelle différence, et surtout
comment ? La crise financière majeure apparue de 2008-2009 jettera sans nul doute de
nouveaux éclairages sur ces débats. A court terme, en effet, une diminution des émissions
nocives de gaz à effet de serre et de la consommation du pétrole apparaît du fait du
ralentissement industriel et de certains changements de comportement. Mais personne ne
pense qu'il s'agit là d'une solution soutenable. Le système basé sur la croissance
économique est tel que les transitions sont difficiles et conflictuelles. Il est certainement
essentiel d'envisager des modèles différents et plus soutenables. Si l'on prend du recul on
peut dire en effet que la société de consommation sera écologiquement insoutenable38, et
que des figures de réconciliation avec la nature sont à trouver, tenant compte de l'équité, des
besoins essentiels et du temps long. Mais outre le dessin politique, économique et social à
préciser dans ce type de proposition, il sera aussi important de tracer des stratégies de
changement politique.
Il est possible que les années que nous vivons voient une plus importante prise au sérieux
des facteurs environnementaux, énergétiques et naturels dans les décisions économiques
majeures, en raison du fait que ces facteurs se manifestent avec plus de sévérité que par le
passé. Hausse des prix alimentaires, des matières premières et du pétrole sont des
éléments qui ont marqué particulièrement l'économie mondiale, et les économies nationales,
en 2007-2008 (même si ces prix sont retombés par la suite), manifestant des éléments de
théorie du développement durable présents depuis des décennies, mais n'ayant eu jusque-là
qu'une influence relative sur les décisions les plus importantes. Pour ne prendre que
l'exemple du pétrole, certains analysent la hausse de son prix aux Etats-Unis comme une
contribution sensible à la baisse du pouvoir d'achat de ménages américains et à la
dépréciation de certaines propriétés immobilières, plus spécifiquement celles dont la
localisation implique davantage de déplacements automobiles39, avec pour conséquence le
déclenchement de la crise des subprimes.
C'est par toute une série de stratégies, de politiques et de décisions différenciées selon les
domaines et les régions, mais toutes orientées vers une diminution d'impacts non
38
Voir Zaccai E. et Haynes I., La société de consommation face aux défis écologiques, La Documentation Française, Problèmes politiques et sociaux N°954, Nov. 2008, pour une petite anthologie de textes à ce sujet, où l'on retrouvera plusieurs auteurs cités dans le présent article. 39
CORTRIGHT J., "Driven to the Brink: How the Gas Price Spike Popped the Housing Bubble and Devalued the
Suburbs", CEOs for cities, mai 2008, cite par BROCORENS P., Cours sur le Pic du pétrole, FUNDP,
http://webcampus.fundp.ac.be/claroline/course/index.php?cid=SSPSM101 19 soutenables sur les ressources naturelles et l'environnement, que des évolutions devraient
être progressivement corrigées, même si cela ne suffira pas à modifier les modèles
socioéconomiques. Citons à titre non limitatif quatre types d'évolutions nécessaires en ce
sens.
Durant cette décennie et la prochaine, des investissements considérables conditionneront le
futur de la production de l'énergie et par conséquent les impacts climatiques pour
longtemps ; il s'agit d'un élément crucial à ne pas manquer40. Deuxième vaste chantier, celui
des créations d'emplois dans des secteurs favorables à l'environnement : que ce soit via des
relances sélectives dans les pays menacés aujourd'hui de récession, ou encore par nombre
d'actions de développement durable économiquement favorable dans des pays du sud, le
potentiel est grand pour des créations ou réorientations d'emplois41.Dans des régions
pauvres, des problèmes environnementaux graves handicapent directement la santé et la
satisfaction de besoins, et c'est un troisième domaine où des progrès sont indispensables.
Les systèmes où nous vivons présentent des fragilités importantes, à la fois sous l'angle des
risques industriels et des risques financiers.
Ces quatre types de problèmes - pour ne prendre que ceux-là - ne sont pas conditionnés par
le fait d'augmenter ou de diminuer la croissance économique dans les prochaines années,
mais par le choix des moyens de correction qui devront être de différentes natures et être
mis en œuvre sous peine d’infliger des dommages cruciaux à la croissance peut-être, mais
ce qui est plus grave, au monde vivant et aux hommes.
Remerciements
Mes remerciements vont à Isabelle Cassiers, Franck-Dominique Vivien, et surtout Bruno
Kestemont, pour leurs commentaires éclairés et éclairants sur une première version de ce
texte.
Bibliographie
ADAMS B. et JEANRENAUD S.J., Towards a Humane and Diverse World. Transition to
Sustainability, Gland, IUCN, 2008,
http://cmsdata.iucn.org/downloads/transition_to_sustainability__en__pdf_1.pdf,
AYRES R., The U-turn. The end of the growth paradigm, London, Earthscan, 1998
AYRES R., "Limits to the growth paradigm", Ecological Economics 19 (1996), pp. 117-134
Voir la très bonne synthèse de HOURCADE J-Ch., "Le développement durable: des alertes aux politiques",
40
Cahiers français, «Développement et environnement », n° 337, mars- avril 2007, p. 46
41
Voir par exemple PROGRAMME DES NATIONS UNIES POUR L'ENVIRONNEMENT (PNUE), Pour un
travail décent dans un monde durable à faibles émissions de carbone, PNUE en collaboration avec OIT,
www.unep.org/labour_environment/features/greenjobs.asp, septembre 2008, suivi du Global Green New
Deal, lancé par le PNUE en octobre 2008.
20 AYRES R., "Sustainability economics: Where do we stand?", Ecological Economics 67
(2008), pp. 281-310
BAUDRILLARD J., "La société de consommation", Paris, Gallimard, 1970
BEAUD M., Le basculement du monde, Paris, La Découverte, 1997
CAHIERS FRANÇAIS, «Développement et environnement », n° 337, mars- avril 2007,
CELLULE ETAT DE L'ENVIRONNEMENT WALLON (CEEW), Tableau de bord de
l'environnement wallon, Namur, DGARNE, 2008
COCHET Y., Pétrole apocalypse, Paris, Fayard, 2006
COMELIAU Ch., La Croissance ou le progrès ? Croissance, décroissance, développement
durable, Paris, Seuil, 2006
CORTRIGHT J., "Driven to the Brink: How the Gas Price Spike Popped the Housing Bubble
and Devalued the Suburbs", CEOs for cities, mai 2008, cite par BROCORENS P., Cours
sur le Pic du pétrole, FUNDP,
http://webcampus.fundp.ac.be/claroline/course/index.php?cid=SSPSM101
DE RIVERO, O., Le mythe du développement, Enjeux Planète, Paris, 2003
DESJEUX D., La consommation, Paris, PUF, Que Sais-je ?, 2006
EASTERLY W., The elusive quest of growth. Economists’ Adventures and. Misadventures in
the Tropics, Cambridge, The MIT Press, 2001
EKINS P., Economic Growth and Environmental Sustainability. The prospects for green
growth, London and New York, Routledge, 2000
EUROPEAN ENVIRONMENTAL AGENCY, State of the Environment Report, Copenhague,
EEA, 2005
EUROPEAN ENVIRONMENTAL AGENCY, Household consumption and the environment,
EEA Report N°11/2005
FIRST INTERNATIONAL CONFERENCE ON ECONOMIC DE-GROWTH FOR
ECOLOGICAL SUSTAINABILITY AND SOCIAL EQUITY, Paris, April 18-19th, 2008,
http://events.it-sudparis.eu/degrowthconference/en/appel/Degrowth%20Conference%20%20Proceedings.pdf
FLIPO F., " Voyage dans la galaxie décroissante", Mouvements, 2007,
http://www.mouvements.info/spip.php?article61
GADREY J., "Evaluations des biens environnementaux et nouveaux indicateurs de
richesse", Cahiers français, «Développement et environnement », n° 337, mars- avril
2007, p. 55-61
GIDDENS A., The politics of climate change, Cambridge, Polity, 2009
21 HARRIBEY J-M., Le développement soutenable, Paris, Economica, Poche, 1998
HARRIBEY J.M., "Les théories de la décroissance : enjeux et limites", Cahiers français,
«Développement et environnement », n° 337, mars- avril 2007, p. 20-26
HEILBRUNN B., La consommation et ses sociologies, Paris, Armand Colin, Collection 128,
2005
HOMER-DIXON Th., The Upside of Down. Catastrophe, Creativity, and the Renewal of
Civilization, Knopf, Toronto?, 2006
HOURCADE J-Ch., "Le développement durable: des alertes aux politiques", Cahiers
français, «Développement et environnement », n° 337, mars- avril 2007, p. 42-47
JANCOVICI J-M. et GRANDJEAN A., C'est maintenant ! 3 ans pour sauver le monde, Paris,
Seuil, 2009
KESTEMONT B., FRENDO L. et ZACCAÏ E., "Indicateurs des impacts du développement sur
l'environnement: une comparaison Afrique-Europe", Vertigo, 7, 2, 2006,
http://www.vertigo.uqam.ca/vol7no2/revue.html
LATOUCHE S., "Pour une société de décroissance", Le Monde diplomatique, novembre
2003, pp. 18-19
LATOUCHE S., Le pari de la décroissance, Fayard, 2006
LOVINS A.B., LOVINS L.H. and HAWKEN P., "A road map for Natural capitalism", Harvard
Business Review, May-June 1999, pp. 145-158
MC GLADE J., "Experience with the Use of Economic Instruments in Europe", Speech,
Brussels 19 March 2007, www.eea.europa.eu/pressroom/speeches
MC NEILL J.R., Something new under the sun. An environmental history of the TwentiethCentury World, Penguin Press, Allen Lane, 2001
MEADOWS, D.H., MEADOWS, D.L., RANDERS, J. and BEHRENS III W.H., The Limits to
Growth (Report to the Club of Rome), New York, Universe Books, 1972
MEADOWS D.L., RANDERS J. and MEADOWS D.H., Limits to growth – The 30-years
update, Chelsea Green Publishing Company, 2004
MILLENNIUM ECOSYSTEM ASSESSMENT, www.millenniumassessment.org
PNUD, Rapport sur le développement humain, Programme des Nations Unies pour le
Développement, annuel, 2005, fig. 1.8.
PROGRAMME DES NATIONS UNIES POUR L'ENVIRONNEMENT (PNUE), Geo-4, Nairobi,
Programme des Nations Unies pour l'environnement, 2007
PROGRAMME DES NATIONS UNIES POUR L'ENVIRONNEMENT (PNUE), Pour un travail
décent dans un monde durable à faibles émissions de carbone, PNUE en collaboration
avec OIT, www.unep.org/labour_environment/features/greenjobs.asp
22 RAHNEMA M. and BAWTREE V. (eds.), The post-development reader, London, Zed Books,
1997
RIST G., Le développement histoire d'une croyance occidentale, Presses de Sciences-Po,
Paris, 2006
RUEFING K, , "Indicators to Measure Decoupling of Environmental Pressure from Economic
Growth", HAK T., MOLDAN B. and DAHL L.A. (eds), Sustainability Indicators", Scope 67,
Island Press, Washington, 2007, pp. 2111-222
SACHS W. (ed.), The Development Dictionary. A guide to knowledge as power, London, Zed
Books, 1992
STIGLITZ J. , Un autre monde. Contre le fanatisme du marché, Paris, Fayard, 2006
STIGLITZ J., SEN A. et FITOUSSI J-P., Rapport de la Commission sur la mesure des
performances économiques et du progrès social, www.stiglitz-sen-fitoussi.fr
UNITED NATIONS ENVIRONMENTAL PROGRAM (UNEP), Planning for change. Guidelines
for National Programmes on Sustainable Consumption and Production, Nairobi,
Programme des Nations Unies pour l'environnement, 2008
VANDERMOTTEN Ch. et MARISSAL P., La production des espaces économiques, Tome 1,
Editions de l'Université de Bruxelles, 1998
VIVIEN F.D., Economie et écologie, La Découverte, Repères, Paris, 1994
VON WEISZACKER E., LOVINS A. et LOVINS H., Facteur 4: deux fois plus de bien-être en
consommant deux fois moins de ressources (Rapport au Club de Rome), Mens (F.), Terre
Vivante, 1997
WORLD COMMISSION ON ENVIRONMENT AND DEVELOPMENT, Our common future
(The Brundtland Report), Oxford, Oxford University Press, 1987
YCELP and CIESIN in collaboration with the World Economic Forum and the JRC of the EC,
2005 Environmental Sustainability Index,
http://www.yale.edu/esi/ESI2005_Main_Report.pdf
ZACCAI E., "Le développement durable: un projet et ses résonances", JP. CHANGEUX et J.
REISSE (eds.), Un monde meilleur pour tous, Collège de France, Paris, Odile Jacob,
2008, pp. 113-126
ZACCAI E., "Développement durable: l'idéologie du XXIème siècle", Sciences Humaines,
Grand dossier "Idéologies, le retour de flamme", N°14, mars-avril-mai 2009
ZACCAI E. et HAYNES I., La société de consommation face aux défis écologiques, La
Documentation Française, Problèmes politiques et sociaux N°954, Nov. 2008
23 

Documents pareils