Romantique Espagne. L`image de l`Espagne en France entre 1800

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Romantique Espagne. L`image de l`Espagne en France entre 1800
LÉON-FRANÇOIS HOFFMANN
Professeur, Department of French and Italian, Princeton University,
Princeton, N.J., (1964), spécialiste de la littérature haïtienne
(1961)
ROMANTIQUE
ESPAGNE
L’IMAGE DE L’ESPAGNE EN FRANCE
ENTRE 1800 ET 1850
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Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
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Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
3
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Léon-François HOFFMANN
ROMANTIQUE ESPAGNE.
L’IMAGE DE L’ESPAGNE EN FRANCE ENTRE
1800 ET 1850.
New Jersey, Princeton University, une publication du département
des langues romanes de l’Université Princeton. Paris : Les Presses
universitaires de France, 1961, 1re édition, 203 pp.
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Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
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Léon-François HOFFMANN
ROMANTIQUE ESPAGNE.
L’image de l’Espagne en France
entre 1800 et 1850.
New Jersey, Princeton University, une publication du département
des langues romanes de l’Université Princeton. Paris : Les Presses
universitaires de France, 1961, 1re édition, 203 pp.
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[203]
Table des matières
Introduction [VII]
Avant-propos [1]
PREMIÈRE PARTIE
Chapitre I.
Antécédents de l'image de l'Espagne en France [7]
Chapitre Il.
Évolution de l'image : influence des événements [16]
Chapitre III.
Évolution de l'image : influence de la littérature [34]
Chapitre IV.
L'Espagne dans la vie quotidienne [51]
DEUXIÈME PARTIE
Chapitre V.
Analyse de l'image de l'Espagne en France. [69]
TROISIÈME PARTIE
Chapitre VI.
Essai d'explication [141]
APPENDICES
Appendice I. Liste alphabétique des pièces de théâtre écrites à l'occasion de l'expédition du due d'Angoulême [163]
Appendice Il. Texte de la Canciόn del Trágala [165]
Appendice III. Répertoire chronologique des Oeuvres lyriques et dramatiques
ayant rapport à l'Espagne [167]
Bibliographie
I.
Sources premières [179]
II. Oeuvres critiques [197]
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À MES CHERS PARENTS
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
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ROMANTIQUE ESPAGNE.
L’image de l’Espagne en France
entre 1800 et 1850.
INTRODUCTION
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La présente étude n'aurait pu être menée à bien sans les conseils el
les encouragements que m'ont apportés mes collègues de l'Université
de Princeton. Ma reconnaissance va en particulier à mes maîtres,
Maurice-Edgar Coindreau, Vicente Lloréns-Castillo, Alfred Foulet et
Armand Hoog, ainsi qu'à M. Marcel Bataillon, professeur au Collège
de France. Je tiens à les assurer de ma profonde gratitude pour l'aide
que j'ai trouvée dans leur expérience et leur érudition.
Je voudrais aussi remercier M. Edward D. Sullivan, directeur du
Département de Langues Romanes de l'Université de Princeton pour
la bienveillance qu'il n'a jamais cessé de me témoigner, et pour les
nombreuses démarches qu'il a faites en ma faveur. Enfin, je tiens à
signaler que le Fond de Recherches de l'Université de Princeton m'a
fourni une aide matérielle considérable.
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[1]
ROMANTIQUE ESPAGNE.
L’image de l’Espagne en France
entre 1800 et 1850.
AVANT-PROPOS
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Si, comme l'indique notre titre, nous parlons d' « image » de l'Espagne, c'est pour indiquer que l'objet de notre étude n'est pas une réalité absolue, mais au contraire une représentation subjective. En d'autres
termes, il ne s'agira pas ici d'établir le bilan exact des connaissances
que les Français pouvaient avoir sur l'Espagne ; notre but est de fixer,
et si possible d'analyser, une certaine conception française de ce pays.
Nous croyons avec M. Guyard que « chaque peuple prête aux autres
des caractères plus ou moins durables 1 ». C'est, en effet, tout un peuple que nous essaierons de sonder, c'est l'âme collective française qui
nous fournira les données du problème. Par les manifestations de
l'âme collective, nous entendrons une manière spéciale d'envisager le
monde, de réagir à la vie, de considérer les hommes, inhérente à la
condition de Français. Dépassant les différences d'origine, d'éducation
et de tempérament, l'âme collective est pour nous un phénomène mystérieux, mais indéniable. Il comprend à la fois sensibilité, imagination,
instinct, pour autant que certains aspects de ces facultés se retrouvent
dans chaque membre de la communauté. La notion d'âme collective
1
Marius-François GUYARD, La Littérature comparée, Paris, 1951, p. 24.
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est particulièrement accessible au psychologue qui étudie les foules :
la foule acquiert une personnalité qualitativement différente de la
somme de celles qui la constituent ; de même, l'âme collective est plus
que l'ensemble des différentes âmes dont elle est composée.
L'image que les Français du XIXe siècle se faisaient de l'Espagne
est donc nécessairement le produit de certitudes et de suppositions,
d'illusions et de préjugés, de jugements approbateurs ou péjoratifs.
Chacun de ces éléments pourra évoluer sous l'influence de facteurs
divers : un événement politique est susceptible d'ébranler certaines
idées préconçues ; une mode littéraire, de renforcer certains lieux
communs. C'est ainsi, par exemple, que [2] nous serons amenés à
constater des modifications dans l'image que nous étudions, après la
guerre d'Espagne, puis après le triomphe de l'école romantique.
Si nous avons choisi de considérer les cinquante premières années
du XIXe siècle, c'est qu'elles constituent, dans l'optique de notre sujet,
une période particulièrement riche. Entre 1800 et 1850, l'histoire de la
France (comme l'histoire de l'Espagne d'ailleurs) est marquée par des
changements de la plus haute importance. Sans doute est-ce sous l'effet de ces changements que de profonds remous se produisent dans
l'âme française. C'est l'époque où, dans l'Europe tout entière, les originalités nationales s'affirment, où les peuples manifestent une nouvelle
curiosité à l'égard de leurs voisins. Avec les progrès du romantisme, la
France se tourne vers l'étranger et recherche ce qu'il peut avoir de caractéristique ou d'inusité. Certains éléments, dédaignés jusqu'alors,
viennent rehausser, rendre plus complexe, plus variée, l'image que les
Français se faisaient de l'Espagne.
Nous ne nous dissimulons pas les difficultés que comporte notre
étude. L'image qu'un peuple se fait d'un pays étranger se reflète dans
bien des domaines : la littérature, les arts plastiques et décoratifs, la
musique, la danse, la mode. Il serait intéressant de savoir dans quelle
mesure s'est développé l'enseignement de la langue espagnole, quels
livres espagnols étaient traduits et s'ils trouvaient un grand nombre de
lecteurs, quels produits typiques de l'Espagne étaient en faveur auprès
du public français. Il faudrait également pouvoir disposer de statistiques indiquant, année par année, combien de Français allaient en Espagne et, inversement, combien d'Espagnols venaient en France. Mais
la tâche de rassembler une documentation complète aurait demandé
les efforts conjugués d'une équipe de chercheurs, travaillant pendant
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de longues années. Force nous, est de reconnaître que bien des renseignements nous manquent totalement, et que ceux dont nous disposons
sont parfois incomplets ou contradictoires. Aussi serons-nous obligés
d'écarter certains aspects de la question, de n’en mentionner d'autres
que pour mémoire, quitte à en faire le sujet d'études qu'il serait bon
d'entreprendre à l'avenir.
Nos sources les plus précieuses ont été, bien entendu, littéraires. Il
nous a cependant fallu choisir entre les livres, les revues, les journaux
et les correspondances écrites entre 1800 et 1850, et susceptibles de
contenir un témoignage significatif, une interprétation intéressante,
Notre enquête ne peut guère prétendre avoir épuisé le sujet. Cependant, nous espérons ne pas avoir négligé de documents de première
importance, et nous croyons [3] même en avoir signalé qui avaient
échappé à l'attention de nos prédécesseurs.
C'est à dessein que nous nous abstiendrons, en général, de formuler
des critiques quant à la valeur littéraire des œuvres que nous citerons.
Certes, il nous arrivera de mentionner des ouvrages tombés dans un
oubli bien mérité. Certes, nous retiendrons parfois des niaiseries ou
des absurdités. Mais, pour nous, un témoignage sera précieux non pas
par sa valeur intrinsèque, mais plutôt dans la mesure où il constitue un
élément de statistique, où il illustre une opinion, un préjugé.
Nous essaierons de choisir nos citations chez des auteurs aussi variés que possible. On remarquera que nous avons tendance à négliger
les plus grands : il nous a semblé, en effet, que l'imagination d'un Hugo, par exemple, crée une image de l'Espagne profondément originale
et personnelle, que sa vision poétique dépasse la vision collective.
L'image hugolienne, plagiée par les écrivains de troisième ordre peut
être plus intéressante, dans ce sens qu'elle se manifeste chez eux sous
une forme moins nuancée et donc plus représentative de l'imagination
collective.
Nous n'hésiterons pas à sortir parfois du domaine littéraire pour
considérer certaines manifestations d'ordre sociologique. Nous examinerons, par exemple, la mode vestimentaire, l'engouement pour le tabac espagnol. Car pour un individu qui a lu Calderon, il y en a cent
qui fument des papelitos ; pour chaque historien qui s'intéresse à la
Péninsule, il y a dix élégantes qui portent des mousselines « à la dona
Sol ». Ces petits détails de la vie quotidienne nous paraissent signifi-
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catifs. Une cigarette ou une étoffe prennent une valeur symbolique en
représentant, pour bien des personnes, Un peu de cette Espagne rêvée
sur laquelle elles n'avaient que des idées fantaisistes.
En somme, si un homme connaît bien l'Espagne, s'il en parle la
langue, s'il en est en quelque sorte « spécialiste », son témoignage ne
sera pas précisément une manifestation de l'âme collective, mais plutôt un facteur qui pourra l'influencer. C'est de cette manière que nous
envisagerons les nombreux ouvrages écrits en français par des réfugiés politiques espagnols qui désiraient faire mieux comprendre leur
pays.
Notre travail se composera de trois Parties. Dans la Première, nous
constaterons l'existence d'une image de l'Espagne en France, et nous
étudierons l'évolution qu'elle a subie au cours de la première moitié du
XIXe siècle, sous l'influence des événements et de la littérature. Nous
verrons aussi la présence de l'Espagne dans la vie quotidienne française.
[4]
Dans la Deuxième Partie, nous négligerons la chronologie pour tâcher d'effectuer une synthèse et de dégager les éléments principaux de
l'Espagne telle que se la représentait l'imagination collective pendant
la période étudiée. En guise d'illustration, nous remarquerons que,
dans Carmen de Mérimée, se retrouvent presque tous les aspects du
rêve espagnol. Enfin, nous passerons brièvement en revue les critiques
que des érudits français et espagnols ont faites de cette image.
Dans la Troisième Partie, nous essaierons de signaler à quelles nécessités psychologiques peuvent être attribués l'intérêt pour la Péninsule et les formes particulières sous lesquelles s'exprime cet intérêt. Il
s'agira, en somme, d'expliquer le rêve espagnol par l'analyse de l'âme
collective.
En résumé, notre étude comportera trois démarches différentes :
constatation du phénomène et de son évolution, mise en relief de ses
traits généraux, tentative d'explication psychologique.
Notre but sera atteint si nous réussissons à compléter les travaux
fragmentaires dont l'image de l'Espagne en France a fait l'objet, et à
signaler certains problèmes jusqu'à présent délaissés par la critique.
Bien que nécessairement incomplète, la bibliographie que nous avons
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établie sera, nous osons l'espérer, utile aux comparatistes. D'une part,
elle complète celle que Baldensperger et Friedrich ont publiée en
1950, et constitue un répertoire des œuvres critiques sur le sujet ; de
l'autre, elle comporte une liste d'ouvrages écrits entre 1800 et 1850,
dans lesquels on trouve des témoignages sur l'image de l'Espagne en
France. Enfin, nous espérons démontrer que, contrairement à ce que
l'on croit généralement, les Français de l'époque ressentaient une sincère admiration pour cette Espagne que leur imagination avait plus
souvent tendance à embellir qu'à dénigrer.
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[5]
ROMANTIQUE ESPAGNE.
L’image de l’Espagne en France
entre 1800 et 1850.
Première partie
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[7]
ROMANTIQUE ESPAGNE.
L’image de l’Espagne en France entre 1800 et 1850.
PREMIÈRE PARTIE
Chapitre I
ANTÉCÉDENTS DE L’IMAGE
DE L’ESPAGNE EN FRANCE
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Si les Pyrénées forment une barrière naturelle entre la France et
l'Espagne, elles n'ont jamais empêché ces deux pays de maintenir des
rapports étroits, bien que souvent hostiles. La France et l'Espagne ont
toujours été conscientes de l'intérêt qu'elles avaient l'une pour l'autre :
elles partagent non seulement une frontière, mais leur origine de provinces romaines, leur appartenance à la Chrétienté et un rôle important dans l'élaboration de la culture occidentale. Au hasard des vicissitudes historiques, leurs intérêts, en Europe comme au-delà des mers,
les amenèrent parfois à s'allier, parfois à se combattre. Les siècles ont
vu les armées espagnoles défiler sur le sol de France, les troupes françaises envahir la Péninsule. Les manuels d'histoire perpétuent le souvenir des batailles et des traités ; peut-être vaudrait-il mieux insister
davantage sur les échanges intellectuels, sur les courants d'idées qui,
de tout temps, ont existé entre les deux pays.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
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Les origines de l'image de l'Espagne en France se perdent dans le
passé. Son élaboration coïncide avec celle de l'âme collective qui s'est
elle-même développée à mesure que les Français devenaient conscients de former une nation. Déjà au XIIe siècle, les pèlerins français
partant pour Saint-Jacques de Compostelle pouvaient lire, en latin, la
deuxième partie du Codex de Saint-Jacques de Compostelle, écrit par
un de leurs compatriotes, probablement nommé Aymeri. Ils y trouvaient une description détaillée de la route et y apprenaient que l'Espagne était une terre « hominibus malis et vitiosis plena 2 ». Par
contre, la [8] Chanson de Roland évoquait pour eux l'Espagne, « la
grand terre, la clere, la bele, la vaillant » 3.
Pendant les sept siècles qui séparent nos premières chansons de
geste des Orientales et le Codex des récits de nos touristes romantiques, l'image de l'Espagne ne manqua pas d'évoluer et de se généraliser en France, Les contacts de toutes sortes se multiplièrent, et l'invention de l'imprimerie contribua fortement à diffuser les connaissances
que les Français avaient de leurs voisins. Une fois réunies les couronnes de Castille et d'Aragon, la France se trouva face à un pays unifié
et dynamique. De plus en plus, on fut forcé de prendre l'Espagne en
considération, sur le plan politique comme sur le plan culturel. Faut-il
s'étonner si le prestige de l'Espagne en France atteignit son point
culminant pendant les règnes de Charles Quint et de Philippe II ? Sa
puissance militaire lui assurait la prépondérance dans une Europe que
les chefs-d'œuvre du Siglo de Oro remplissaient d'admiration. L'influence de l'Espagne en France ne se fit pas sentir uniquement dans les
intrigues qui dressaient le roi contre la Ligue. Paul Verdevoye signale
fort justement que :
[La traduction de l'Amadis] introduisait dans la prose française
la marche grave et périodique de la phrase castillane, et, par son
élégance de forme, marquait une étape importante dans l'évolution de notre style. ... Avec Montaigne, nous arrivons à un moment où, à la faveur de la Ligue, dans laquelle les Espagnols
2
3
Cité par J.-J.-A. BERTRAND, Sur les vieilles routes d'Espagne, Paris, 1931,
p. 25.
Cité par J.-J.-A. BERTRAND, Op. cit., p. 29. Ce vers étant alexandrin, la
version que cite Bertrand daterait du XIIIe siècle au moins.
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ont joué un rôle prépondérant, l'Espagne pénètre jusqu'au cœur
de la France. Cette intrusion politique et militaire eut sur les
mœurs françaises une répercussion telle que l'auteur de la Satire
Ménippée se plaint de ne voir partout que des « Français hispanisés ». Brantôme, entraîné par son amour pour le panache castillan, exagère en écrivant que « coutumièrement la plupart des
François aujourd'hui, au moins ceux qui ont un peu vu, savent
parler ou entendent ce langage » (l'espagnol), mais sa boutade
allait bientôt être l'expression de la réalité. On éprouve la nécessité de faire un enseignement méthodique de l'espagnol.... Brantôme ... va même jusqu'à farcir sa prose d'expressions castillanes, dont quelques-unes resteront dans la langue, comme blasonner, bizarre, hâbleur, etc. 4.
Cette Espagne florissante a légué à l'imagination française deux
types, presque deux antithèses. D'un côté, le noble fier, [9] courageux,
chatouilleux au possible sur le pundonor. C'était là le reflet presque
mythique des arrogants capitaines, ennemis, certes, mais ennemis respectables. De l'autre, le picaro, que ses aventures promenaient dans un
monde cruel, plein de dangers, mais tout grouillant de vie. Nous
voyons déjà se dessiner la caractéristique qui a le plus frappé les Français dans les choses d'Espagne, à savoir : le contraste. La sévérité hautaine des nobles met en relief la verve familière du peuple ; c'est en
compagnie de Sancho Pança le réaliste que Don Quichotte promène
son idéalisme. Chez les Français, l'admiration n'exclut jamais l'ironie,
et, dès cette époque, ils ont su se moquer de l'étiquette qui régnait à la
cour de Madrid, de la duègne toujours aux aguets ou des mœurs peu
ecclésiastiques du bas clergé. Cela n'empêche que jusqu'au milieu du
XVIIe siècle, l'image qu'on se faisait en France de l'Espagne évoquait
le respect et même l'admiration.
La décadence de l'Espagne, dont l'hégémonie en Europe fut bientôt
remplacée par celle de la France, ne pouvait manquer de modifier profondément les sentiments des Français à son égard. Ne trouvant guère
plus rien à respecter chez leurs voisins, les Français passèrent de l'admiration au dédain. Ils ne s'attachèrent plus qu'aux tares, malheureu4
Dictionnaire des lettres françaises, publié sous la direction de Mgr Georges
GRENTE, « Le XVIe siècle », Paris, 1951, pp. 307-310.
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sement trop évidentes, de la vie espagnole. Le capitaine qu'on avait
tant admiré devient, dans l'imagination populaire, un risible matamore ; l'ancien picaro, un lamentable crève-la-faim. Le cérémonial de la
cour d'Espagne est grotesque à partir du moment où il ne symbolise
plus une véritable puissance.
Au XVIIIe siècle, les Philosophes vont porter le coup de grâce à ce
qui pouvait encore subsister du prestige espagnol. En forçant la note,
ils montrent à leurs contemporains l'image d'une Espagne réfractaire
aux lumières, enlisée dans la superstition et la cruauté. Grâce aux Philosophes, en général, et à Voltaire, en particulier, le grand public ne
vit, au-delà des Pyrénées, qu'un pays gouverné par l'Inquisition ; l'Espagne devient pour eux une nation déchue, retombée dans les ténèbres
moyenâgeuses, fanatisée par un clergé tout-puissant ; l'autodafé y est
le spectacle favori ; la superstition s'y adonne librement à ses manifestations les plus cruelles. Voltaire écrit :
[Torquemada] donna au tribunal de l'inquisition espagnole cette
forme juridique opposée à toutes les lois humaines, laquelle
s'est toujours conservée. ... C'est de là que le silence est devenu
le caractère d'une nation née avec toute la vivacité que donne un
climat chaud et fertile. ... Il faut encore attribuer à ce tribunal
cette profonde [10] ignorance de la saine philosophie où les
écoles d'Espagne demeurent plongées 5.
La formation et l'évolution de cette image de l'Espagne que nous
venons de décrire sont déterminées par l'observation de la réalité. Non
pas que les Français s'en soient tenus à une objectivité parfaite ; leur
vision de l'Espagne a été déformée par leur attitude affective à son
égard et, en l'examinant, il faut à chaque instant faire la part de l'admiration excessive, de la jalousie ou de l'orgueil. Mais on peut dire que,
dans l'ensemble, l'évolution des sentiments a suivi les fluctuations de
la puissance réelle espagnole. Cependant, à côté de cette image déterminée par la réalité, les Français se sont formé de l'Espagne une vision
que nous pourrions qualifier d'onirique, puisqu'elle a son origine dans
les fictions littéraires traditionnelles, venues d'Espagne, mais très vite
5
Essai sur les mœurs, chap. CXL : « De l'Inquisition ».
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acclimatées chez nous. Parmi ces dernières, il faut mentionner le roman hispano-mauresque, les romanceros et, dans une certaine mesure,
le genre picaresque.
Le roman hispano-mauresque connut une popularité continue en
France depuis le début du XVIIe siècle jusqu'au début du XIXe. Les
Guerres civiles de Grenade de l'Espagnol Perez de Hita furent publiées pour la première fois à Paris, en 1606, et traduites deux ans plus
tard. D'Espagne, également, viendra l'Histoire d'Abindarraez et de
Jarifa, à la même époque. Bientôt apparurent les premières œuvres
françaises du genre. Mlle de Scudéry fit paraître en 1660 L'Almahide
ou La Reine esclave ; Mme de Lafayette suit son exemple en 1670
avec Zaïde, histoire espagnole, qui fut rééditée sept fois à Paris jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, la dernière édition étant de 1780. En 1673,
Mme de Villedieu offre au public lettré ses Galanteries grenadines.
En 1696 paraît Inès de Cordoue de Mme Catherine Bernard, dont le
Théâtre-Italien de Paris tire une comédie, L'Amour maître de langue,
représentée en 1718. Cinq ans plus tard, Mme Gomez donne l'Histoire
de la conquête de Grenade. En 1792, en pleine Révolution, Florian
fait paraître Gonzalve de Cordoue ou Grenade reconquise. En 1807,
enfin, Chateaubriand écrit Les Aventures du dernier Abencérage, publiées en 1827.
Cette énumération est loin d'être complète ; tout au long de ces
deux siècles des œuvres prétendues historiques, des histoires romancées, des romans, des pièces de théâtre et des poésies du genre hispano-mauresque ne cessent de paraître et de plaire. [11] Aux ouvrages
écrits par les Français s'ajoutent les œuvres de leurs confrères espagnols, aussitôt traduites et adaptées en France. Voltaire lui-même ne
dédaigne pas de composer Zulime, pièce hispano-mauresque qui fut
représentée, sans grand succès il est vrai, en 1740 et en 1761 6.
Comme leur nom l'indique, les ouvrages hispano-mauresques ont
pour cadre l'Espagne du temps de la reconquête. Il ne faut pas s'attendre à y trouver la stricte vérité historique, le réalisme dans les descrip-
6
Voir Jean CAZENAVE, Une tragédie mauresque de Voltaire : Zulime, Revue de littérature comparée, 1925, V, pp. 239-245.
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tions ou l'originalité dans l'intrigue. La plupart d'entre eux sont tombés
dans un oubli mérité. Il reste cependant que :
Perez de Hita et ses imitateurs français sont responsables de la
conception erronée que nous avons de cette civilisation lointaine. Ils nous présentaient comme des modèles parfaits de bravoure, de bonne galanterie et de mœurs irréprochables ces Espagnols rudes et bardés de fer que le contact de la Renaissance
n'avait point encore polis et ces Maures décadents qui, dans une
société corrompue, ne vivaient que d'intrigues, de trahisons et
de luttes fratricides. « Les Maures, disaient-ils, sont des chevaliers accomplis », et cette opinion persiste, obstinée, dans toute
la littérature castillane et française. Il suffit, pour s'en convaincre, de voir la haute estime que l'on professait pour eux au
XVIIe siècle. Plus tard, lorsque la Révolution battait son plein,
Florian chantait ce peuple « qui a conservé les mœurs patriarcales de ses ancêtres 7 ».
Cette représentation romanesque d'une Espagne pratiquement inventée de toutes pièces ne pouvait manquer de nuancer l'image que
nous étudions. Au début du XIXe siècle, le mot Espagne ne suggérait
pas seulement aux Français la gloire passée et l'horrible Inquisition,
mais aussi cette magnificence féérique, cette noblesse et cette sensibilité langoureuse auxquelles les avaient habitués les livres. Par une
opération bien naturelle de l'esprit, les Français avaient tendance à
transposer le mythe d'un passé fabuleux dans la réalité contemporaine.
Ce même passé, les Français en trouvaient un écho dans le Romancero. Il faudra, cependant, attendre le romantisme pour que les romances soient appréciées à leur juste valeur. Il n'y a rien d'étonnant à
cela. En effet, le conceptualisme du genre hispano-mauresque convenait tout à fait à l'esthétique précieuse, et le [12] XVIIIe siècle en goûtait parfaitement la mignarde politesse ; la rudesse du Romancero, par
contre, ne pouvait que heurter le goût de ceux qui se réclamaient du
classicisme. Ce réalisme si admirable, dont la puissance nous enthou7
Jean CAZENAVE, Le Roman hispano-mauresque en France, Revue de littérature comparée, 1925, V, pp. 594-640.
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siasme aujourd'hui, paraissait barbare aux contemporains de Cubières
ou de Delille. Sa manière allait à l'encontre de leurs idées sur la nature
et la dignité de la poésie. Cela explique qu'il ait fallu attendre plusieurs versions successives avant que les romantiques produisent enfin
des traductions du Romancero qui soient presque dignes de l'original.
Si l'on peut tout de même le considérer comme l'une des composantes
de l'image espagnole, c'est que la « Bibliothèque des Romans » osa en
publier une version de 1782 à 1784. Cette initiative ne trouva pas de
continuateurs au XVIIIe siècle. Elle est cependant intéressante par les
hardiesses relatives de l'adaptateur anonyme et par la violence de sa
préface, dans laquelle on est surpris de trouver des phrases comme
celles-ci :
Les règles classiques sont de mauvais vents qui flétrissent toutes les fleurs. ... L'esprit est le plus funeste don de la Nature : il
combine tout, épuise tout, dégoûte de tout. Maudit soit donc le
XVIIIe siècle qu'il a barbouillé de son fard. 8
Si nous parlons de hardiesse relative, il ne faut pas en conclure que
le Romancero de la « Bibliothèque des Romans » est une version fidèle des originaux. L'adaptateur a supprimé maint passage qu'il jugeait
trop cru, en a arrangé d'autres au goût du jour en les affadissant et n'a
même pas hésité à intercaler des romances de sa propre invention. Il
lui reste, cependant, le mérite d'avoir rappelé l'existence du Romancero à ses compatriotes. Herder, en Allemagne, et Creuzé de Lesser, en
France, s'en inspireront par la suite. Quoi qu'il en soit, l'œuvre de la
« Bibliothèque des Romans » a certainement contribué à faire de l'Espagne un pays fabuleux, habité par des hommes qui devaient tout de
même avoir conservé quelque chose de l'héroïque noblesse du Campeador et de ses compagnons 9.
8
9
Cité par Henri TRONCHON, Romanceros préromantiques, dans Romantisme et Préromantisme, Paris, 1930, pp. 243-244.
Sur le sort du Romancero en France, on consultera avec profit l'ouvrage déjà
cité de TRONCHON, et Ernest MARTINENCHE, L'Espagne et le romantisme, Paris, 1922, pp. 57 et suiv.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
21
Il peut, à première vue, paraître curieux de placer le roman picaresque parmi les éléments oniriques de l'image espagnole. Certes, il
serait difficile de trouver un genre qui se caractérise par un réalisme
aussi poussé. Il est significatif que la première [13] traduction française du Lazarillo de Tormes, faite par Saugrain en 1560, ait été intitulée :
Les Faits merveilleux, ensemble la vie du gentil Lazare de
Tormes, et les terribles aventures à lui avenues en divers lieux.
Livre fort plaisant et délectable, auquel sont décris maints dites
notables et propos facétieux, au plaisir et contentement d'un
chacun.
Mais J.E.V. Crofts signale très justement 10 que le public considéra
l'ouvrage comme une relation fidèle des mœurs espagnoles, puisque
l'édition suivante, faite en 1561, porte pour titre :
L'histoire plaisante et facétieuse du Lazare de Tormes, Espagnol, en laquelle on peut reconnaître bonne partie des mœurs,
vie et conditions des Espagnols.
Ne craignant pas la vulgarité et ne tenant guère compte des règles
de la bienséance, le roman picaresque peut prendre la valeur d'un témoignage d'autant plus précieux qu'il touche surtout les petites gens et
les détails prosaïques de leur existence.
Mais cette valeur de témoignage n'exclut aucunement une certaine
poésie ; réalisme et réalité ne sont pas nécessairement synonymes et
l'œuvre de Balzac ou de Zola le prouve bien. L'univers picaresque est,
malgré tout, un univers placé sous le signe de l'imagination. Les aventures du picaro espagnol introduisaient les lecteurs français dans un
monde étranger, sinon étrange. Chaque page leur révélait un détail
nouveau, une coutume pour eux inusitée. En somme, le roman pica10
Introduction to The Pleasaunt Historie of Lazarillo de Tormes, Oxford,
1924, P. VIII.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
22
resque introduit en France la couleur locale espagnole, dont les romantiques seront si friands. Parmi les figurants du rêve espagnol, le
roman picaresque a fait recevoir le menu peuple. À côté du noble capitaine, descendant du Cid ou des Abencérages, il a mis le pauvre hidalgo affamé. À côté du fanatique inquisiteur, il a mis le gros moine
drolatique, son cigare à la bouche. Et à côté des señoras mystérieuses,
il a mis les filles de cuisine, beaucoup plus accessibles. C'est en grande partie grâce au roman picaresque que le rêve espagnol ne s'est pas
évanoui dans l'abstraction. Nous dirions même que le côté picaresque
du rêve espagnol est le complément nécessaire du côté héroïque.
L'histoire du genre picaresque en France reste à faire ; bornonsnous à suivre rapidement la fortune des plus célèbres exemples : [14]
nous voyons ainsi que le Lazarillo de Tormes a connu douze réimpressions (en traduction), entre 1609 et 1716. L'Aventurier Buscόn de
Quevedo en a connu treize, de 1639 à 1728. Le Guzmán d'Alfarache a
été traduit et réimprimé quatorze fois, entre 1630 et 1777. Le Quichotte, enfin, que nous pourrions à la rigueur ranger dans le genre picaresque, a fait l'objet de trente-six tirages différents entre 1779 et 1798.
Les écrivains français n'ont pas manqué de s'essayer au roman picaresque. Le seul qui ait réussi à produire une œuvre de valeur est Le
Sage qui, en 1707, donna Le Diable boiteux, suggéré par El Diablo
cojuelo de Velez de Guevara, et, en 1715-1735, Gil Blas. Signalons
aussi que Lesage, sans avoir jamais traversé les Pyrénées, a publié un
Guzmán d'Alfarache (1732), un Eslevanille Gonzalès (1734) et un Bachelier de Salamanque (1736).
Dans cette revue rapide des antécédents, on ne saurait passer sous
silence l'immortel Figaro. Certes, Beaumarchais ne songeait guère à
faire œuvre d'exotisme en écrivant Le Barbier de Séville, satire politique avant tout. Figaro est un personnage universel et il évolue dans
une Espagne de pacotille. Mais songeons que l'œuvre de Beaumarchais connut un succès considérable, et que bon nombre de spectateurs devaient rêver, en voyant la pièce, au pays des sérénades, des
grands manteaux et des femmes jalousement gardées.
Le Barbier de Séville est, dans une certaine mesure, la synthèse de
l'Espagne telle qu'on l'imaginait au XVIIIe siècle : pays langoureux où
frémissent les guitares, pays fabuleux où les cavaliers montent la garde sous la fenêtre de leur maîtresse, mais aussi pays où le picaro a be-
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
23
soin de toute son astuce pour arriver à ses fins dans une société corrompue et rétrograde. Les personnages portaient les costumes typiques dont les romans donnaient la description. N'en doutons pas, Figaro personnifiera longtemps une certaine vision de l'Espagne. Au XIXe
siècle, les fabricants de vaudevilles n’hésiteront d'ailleurs pas à remettre ce personnage sur scène, et même, nous le verrons, à lui donner un
fils et une fille qui feront les héros de nouvelles pièces.
Il faudrait ajouter à ces multiples composantes de l'image de l'Espagne les récits de voyageurs, Fouché-Delbosc en a donné une excellente bibliographie 11, revue et complétée par Farinelli 12, et Bertrand
leur a consacré un petit ouvrage plein d'intelligence et d'érudition ;
c'est à sa préface que nous empruntons les lignes suivantes :
[15]
Le public français, dès le XVIIe siècle, raffolait des récits de
voyage, et particulièrement du voyage d'Espagne. Il fallait satisfaire ses curiosités intrépides, désaltérer cette soif d'aventures et
de Pittoresque, passionner la description ; de là ces contes fantaisistes ou fantastiques, ces jeux de style, ces mensonges qui
indignent tant nos amis d'Espagne et qu'ils qualifient d'un nom
bien dramatique, de leyenda negra. Ils ont raison de se fâcher.
... Mais on a tort de rejeter toute la responsabilité de toutes les
sottises sur les voyageurs français. Les Français furent précisément les premiers, et plus tard les plus empressés à proclamer la
beauté de l'Espagne. Ce furent leurs livres, véridiques ou non,
qui attirèrent sur elle l'attention de l'Europe et du monde tout
entier 13.
L'examen qui précède est bien loin d'avoir épuisé la liste des traditions, des témoignages et des inventions pures et simples qui composaient l'image de l'Espagne pour un Français, au début du XIXe siècle.
Sans avoir parlé de L'Espagne littéraire, journal franco-espagnol publié pendant l'année 1774, ni avoir examiné les échanges commer11
12
13
Bibliographie des voyages en Espagne et au Portugal, Paris, 1896.
Viajes por España y Portugal, Madrid, 1920.
Op. cit., p. 9.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
24
ciaux entre les deux pays, on ne peut guère prétendre avoir tenu
compte de tous les éléments qui ont pu influencer cette image. Nous
avons seulement voulu montrer quels étaient les facteurs principaux.
Au risque de simplifier à l'excès, nous concluons de notre rapide examen que l'image de l'Espagne en France au début du XIXe siècle était
contradictoire : d'un côté, mépris pour le pays déchu, tombé dans la
stagnation ; de l'autre, émerveillement devant le mythe d'un passé héroïque et d'une vie quotidienne pittoresque. Au nom d'Espagnol, les
Français accolent les adjectifs les plus variés, comme en témoigne le
Dictionnaire portatif de géographie universelle de Boiste (édition
1806) :
Les Espagnols sont grands, ont le teint brun, sont orgueilleux,
loyaux et humains, paresseux et sobres, patients et spirituels,
très-galants, moins jaloux qu'autrefois ; les femmes sont d'une
taille petite et svelte, ont beaucoup d'esprit et de vivacité : la
langue espagnole, dialecte du latin mêlé d'arabe, est sonore, majestueuse et sublime, mais pauvre 14.
14
Paris, 1806, p. 327.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
25
[16]
ROMANTIQUE ESPAGNE.
L’image de l’Espagne en France entre 1800 et 1850.
PREMIÈRE PARTIE
Chapitre II
ÉVOLUTION DE L'IMAGE :
INFLUENCE DES ÉVÉNEMENTS
Retour à la table des matières
Pendant toute la première moitié du XIXe siècle, les relations entre
la France et l'Espagne sont particulièrement mouvementées. Les troupes françaises traversent les Pyrénées deux fois en vingt-cinq ans. Les
péripéties des guerres civiles qui se déroulent en Espagne sont suivies
de très près, tant par le gouvernement français que par l'opinion publique. À Paris et dans le Sud-Ouest, des vagues successives de réfugiés
espagnols complotent en attendant l'occasion de rentrer en Espagne à
la faveur d'une révolte.
Par la force des choses, les contacts entre les deux pays se sont
multipliés. Et ce n'est plus seulement sur le plan littéraire : un nombre
considérable de Français ont connu l'Espagne par l'occupation militaire. Bien d'autres ont reçu des notions plus précises sur cette péninsule
grâce aux réfugiés espagnols.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
26
Il est normal que l'image de l'Espagne en France ait évolué au
cours de ce demi-siècle. Auprès des Français qui n'avaient jamais
quitté leur pays et qui n'avaient eu aucun contact avec les réfugiés, les
journaux, les mémoires des militaires, les récits des voyageurs en ont
propagé les aspects nouveaux. Les événements vont ébranler les idées
toutes faites qui composaient le rêve espagnol.
La guerre d'Espagne 1808-1813
C'est en Espagne que les troupes de Napoléon connurent leurs
premiers échecs. L'Empereur n'avait pas eu de difficultés à faire abdiquer Charles IV, puis Ferdinand VII en profitant de leurs querelles de
famille. Mais il n'avait pas prévu que le peuple espagnol opposerait
une résistance acharnée à ses régiments. La Péninsule connut cinq ans
d'une guerre aussi cruelle qu'inutile, [17] puisque Napoléon ne put
jamais réussir à y établir sa domination. Les Français virent une population résolue se dresser contre eux : la résistance héroïque des Espagnols modifia profondément l'image que la France se faisait d'eux.
Tant que Napoléon resta au pouvoir, sa censure s'efforça de
conserver à l'Espagne l'image péjorative qu'elle avait en France. La
réalité était déformée par la propagande que les écrivaillons à la solde
du pouvoir se chargeaient de diffuser : Barré, Radet et Desfontaines
sont les auteurs d'une inepte comédie, dont le titre atteste d'ailleurs
l'influence des Philosophes : Le Peintre français en Espagne ou Le
Dernier soupir de l'Inquisition (Paris, 1809). À la scène XXII, deux
personnages parlent :
— Le nouveau roi a donc fait son entrée dans Madrid ?
— Oui, Madame, et bientôt l'Espagne entière bénira ce jour
mémorable.
C'est de Joseph Bonaparte qu'il s'agit ! La même année, Cuvelier
de Trie compose La Belle Espagnole ou L'Entrée triomphale des
Français à Madrid, scènes équestres à la gloire de l'Empereur, dans
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
27
lesquelles il fait figurer un Grand Inquisiteur du nom bien espagnol de
Tartuffos.
La censure impériale veillait à ce que la Péninsule gardât son air
d'opérette. Charles Brifaut fut même inquiété pour avoir voulu écrire
une tragédie dont le héros était don Sanche d'Aragon. La pièce fut finalement jouée en 1813, sous le titre de Ninus II ; les personnages
avaient été vieillis de vingt siècles, l'action transportée sur les bords de
l'Euphrate et les Cortès espagnoles changées en Conseil des Mages.
Comme le fait remarquer Muret :
On rencontre bien, pendant la guerre de 1808, des pièces dont
l'action se passe au-delà des Pyrénées ; mais ce sont des comédies ou des vaudevilles. Une différence était faite, à ce qu'il
paraît, entre l'Espagne sérieuse et l'Espagne comique 15.
Mais, malgré la propagande impériale, la résistance acharnée du
peuple espagnol força les Français, généraux en tête, à l'admiration :
le maréchal Lannes écrivait à Napoléon :
Guerre qui fait horreur... guerre antihumaine, antiraisonnable,
[18] car pour y conquérir une couronne, il faut d'abord tuer une
nation 16.
On croyait en France que la valeur militaire des Espagnols avait
disparu avec les derniers capitaines castillans. Les exploits des guérilléros 17 allaient démontrer que cette opinion était mal fondée. Le maréchal Suchet le reconnaît :
15
16
17
L'Histoire par le théâtre, 1re série, Paris, 1865, p. 240.
Cité par H. BÉDARIDA, Le Romantisme et l'Espagne, Revue de
1'Universilé de Lyon, 1931, IV, p. 198.
C'est pendant la guerre d'Espagne que le mot guérilla et ses dérivés entrent
dans la langue française.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
28
L'esprit des anciens Celtibériens animait encore leurs descendants, lorsque l'empereur Napoléon, après les avoir blessés dans
leur orgueil, tenta de les soumettre par la conquête. ... Prêts à
tous les sacrifices, libres des besoins de la mollesse, comme de
tous les préjugés d'uniforme, de service et d'armes, ils formaient
des corps irréguliers, se choisissaient leurs chefs, suivaient leur
caprice dans la manière d'opérer 18.
On voit donc que la guerre d'Espagne porte un coup sérieux à une
idée traditionnelle : il sera, désormais, impossible aux Français d'oublier le courage, la farouche énergie et le patriotisme d'un pays que
l'on s'était habitué à mépriser.
La guerre d'Espagne eut aussi d'autres répercussions : les attentats
contre les troupes françaises entraînaient des représailles sanglantes ;
comme dans toute guerre de partisans, les adversaires rivalisaient de
cruauté. Les tableaux et les dessins de Goya en restent des témoignages hallucinants. Du côté français, on avait, bien entendu, tendance à
minimiser les crimes des troupes et à exagérer les atrocités commises
par les guérilléros espagnols. Les récits des anciens prisonniers français faisaient frémir les âmes sensibles : les pontons de Cadix, sur lesquels les prisonniers français furent décimés par les privations, prirent
une valeur de symbole comme le black hole of Calcutta pour les Anglais. Dès 1816, Mme de Genlis, dont les œuvres auraient pourtant
tendance à adoucir la réalité, parle des enfants qui empoisonnaient les
sources où venaient boire les soldats de Bonaparte 19. Cette réputation
de cruauté que les Espagnols se sont faite en France cadrait bien avec
l'image qu'on avait d'eux. N'étaient-ce pas là les mœurs barbares des
inquisiteurs, transposées sur le plan de la guerre ? Les moines ayant,
dans bien [19] des cas, inspiré et dirigé la guérilla, ce rapprochement
en était d'autant plus facile, Les témoignages des vétérans le favorisaient :
18
19
Mémoires, 2 vol., Paris, 1834, I, pp. 48-50.
Les Battuécas, 2 vol., Paris, 1816, II, pp. 167-169.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
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Animés d'un zèle fanatique et patriotique allumé dans leurs
cœurs par les discours des moines, ils [les paysans] marchaient
contre les Français, le crucifix d'une main et le poignard de l'autre, portant le scapulaire sur la poitrine, enflammés d'une haine
aveugle 20.
Le fanatisme religieux renforce donc une constante de l'image espagnole que s'étaient faite les Français. Mais les moines n'étaient pas
les seuls instigateurs de la révolte. Les femmes espagnoles y participèrent activement et, de ce fait, vont devenir le sujet d'une véritable mythologie. Jusqu'alors, la guerre avait été une affaire d'hommes, ou du
moins le croyait-on. Mais en Espagne les femmes combattaient aux
côtés de leurs maris et n'hésitaient pas à commettre des actes de sabotage, Dans son interminable Don Alonso, Salvandy fait dire à un « collaborateur » espagnol tombé aux mains de ses compatriotes :
L'armée frémit de rage ; les femmes... couraient dans les rangs,
en reprochant à leurs fils, à leurs frères de n'avoir pas du sang
espagnol dans les veines, puisque tout le mien n'avait pas coulé.
Saisissant le fusil du grenadier, elles ajustaient sur moi l'arme
menaçante, d'une main qui tremblait de fureur ; toutes demandaient à grands cris le signal et... pleuraient d'indignation en ne
voyant pas satisfaire aussitôt leur soif de carnage. ... C'était le
clergé régulier qui suscitait ainsi... les inimitiés d'un sexe dont
les passions se manifestent parmi nous avec autant de violence
que celles des hommes se cachent d'ordinaire sous de froids dehors 21.
Courage égal sinon supérieur à celui des hommes, passions violentes, sentiment religieux exalté, voilà les caractéristiques que les femmes des guérilléros ont ajoutées à l'image traditionnelle de la belle
Espagnole. Son charme semi-oriental ne disparaît pas, au contraire ;
l'intransigeance dans les sentiments et dans la passion ne pouvait que
20
21
Sébastien BLAZE, Mémoires d'un aide-major, Paris, s. d., p. 16 (Ire éd.,
Paris, 1827).
5 vol., Stuttgart, 1826, IV, p. 199 (Ire éd., Paris, 1824).
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
30
le rehausser. La femme espagnole va hanter l'imagination des Français
et sa silhouette sera désormais pour eux le symbole de sa patrie.
La particularité la plus frappante de la guerre d'Espagne est [20]
son caractère essentiellement national. L'union de tous les Espagnols,
sans distinction de classes sociales, fit beaucoup d'effet sur les Français et les amènera par la suite à modifier leurs idées. Ce n'est plus à
des individus que va leur admiration, mais au peuple tout entier. On
ne se borne plus à admirer le Conquistador ou le fougueux capitaine,
comme au XVIIe siècle, puisque le plus humble paysan s'était montré
capable d'héroïsme. Le patriotisme et l'énergie du peuple espagnol
enthousiasmeront les romantiques, après avoir fait l'admiration des
grognards. Comme le fait remarquer Farinelli :
Possentemente doveva crescere l'attrazione ; al paesaggio romantico si aggiungeva la romantica vita delle sollevazioni, degli assedi, delle pugne, un preludio alle rivolte della Grecia 22.
C'est inspiré par cet enthousiasme que Balzac composera El Verdugo, et c'est sans doute à cause de cette admiration que le général
Hugo, « ce héros au sourire si doux », donnera quand même à boire au
guérilléro blessé. « Ce peuple n'est pas invincible, mais il est indomptable », disait Cornille 23. Pour chanter les gloires des Espagnols qui,
forts de l'appui de Dieu, vont repousser l'envahisseur, Quinet composera le XXXIe chant de son poème épique Napoléon :
San Jorge ! prêtez-nous votre casque divin.
San Miguel ! votre épée et son tranchant d'airain.
San Diego ! préparez le festin du carnage.
San Bartholomeo ! gardez mon héritage.
San Fernando ! soyez la tour de mon beffroi.
San Pablo ! conduisez l'épouvante après moi.
Sant Iago ! bénissez les longues espingoles.
Sant Andrès ! aiguisez les lances espagnoles.
22
23
Il romanticismo, 3 vol., Torino, 1927, III, p. 103.
Souvenirs d'Espagne, 2 vol., Paris, 1836, II, p. 67.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
31
San Juan ! donnez-nous des fusils enchantés,
Des sabres flamboyants, toujours ensanglantés !
San Lucas ! labourez les champs de nos batailles !
San Pedro ! faites-nous de belles funérailles 24 !
On le voit, la guerre d'Espagne a été du point de vue chronologique, comme du point de vue de son importance, le premier facteur qui
a façonné l'image de l'Espagne en France au XIXe siècle. Il y aura
d'autres influences, tant historiques que littéraires, mais entre 1808 et
1813 bien des vieilles idées ont été [21] ébranlées, et les Français ont
fini par comprendre que leurs anciens préjugés ne correspondaient
plus à la réalité. Au cours des années qui ont suivi la chute de Napoléon, la guerre d'Espagne a continué à passionner les Français. Les
mémoires des combattants, les récits des prisonniers rapatriés seront
de gros succès de librairie, et bien après que les canons se seront tus,
la Péninsule du courage, du fanatisme et de la passion inspirera les
poètes.
La peste de Barcelone et le cordon sanitaire
En 1820, une épidémie de peste se déclara à Barcelone.
Louis XVIII dépêcha immédiatement des troupes pour veiller à la
fermeture de la frontière et bientôt ces troupes pénétrèrent en Catalogne, afin de procéder à l'établissement d'un cordon sanitaire autour de
la ville. Il semble cependant certain que l'intervention française avait
des mobiles politiques et ne se bornait pas à une mesure de protection
sanitaire. Le gouvernement espagnol étant aux prises avec une opposition réactionnaire qui réclamait l'absolutisme, l'épidémie fournissait
un excellent prétexte à la France pour intervenir en Espagne et pêcher
en eau trouble. Armand Carrel, qui attaqua avec tant de passion la politique française envers l'Espagne, dénonce le machiavélisme de la
manœuvre :
24
Oeuvres complètes, Il vol., Paris, 1857, VIII, p. 257 (Ire éd., Paris, 1836).
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
32
La peste de Barcelone servant de prétexte à l'établissement du
fameux cordon sanitaire ; le cordon, par sa présence sur la frontière, déterminant l'insurrection catalane, et s'offrant à elle
comme un point d'appui ; l'insurrection à son tour donnant prétexte pour renforcer le cordon, puis de le transformer en armée
d'observation 25...
L'instabilité chronique que connaîtra la Péninsule tout au long du
XIXe siècle va permettre à la France de s'ingérer plus d'une fois dans
ses affaires.
Le danger de l'épidémie et l'établissement du cordon sanitaire ne
manquèrent pas de retenir l'attention du public français. Cinq ans
après l'écroulement de l'Empire, les Français éprouvaient une certaine
satisfaction d'amour-propre à pouvoir de nouveau intervenir dans un
pays voisin, en proie aux guerres civiles. Si, dans l'imagination française, l'Espagnol acquiert à [22] partir de 1820 les qualités du conspirateur, le réalisme politique lui sera, par contre, refusé.
L'épidémie en Catalogne ne fut pas un événement historique de
première importance. Il fournit, par contre, aux Français un beau sujet
de littérature patriotique. En 1821, Delphine Gay compose une ode sur
Le Dévouement des médecins français et des sœurs de Sainte-Camille
dans la peste de Barcelone ; Henri de Latouche publie Les Dernières
lettres de deux amants de Barcelone ; Léon Halévy lit, à la séance
d'ouverture des cours de l'Athénée Royal, une Épître aux médecins
français partis pour Barcelone. Ce même auteur compose, l'année
suivante, un roman, La Peste de Barcelone [sic] ou Le Dévouement
des médecins français et des sœurs de Sainte-Camille, tandis que le
poème d'Anne Bignan, Le Dévouement des médecins français, obtient
une mention honorable à la séance publique de l'Académie française.
Le poème en un chant d'Augustin Lhomme, intitulé Le Désastre de
Barcelone ou Récit des ravages de la fièvre jaune, ne semble pas
avoir reçu le même honneur. Citons, enfin, le roman historique en
25
De la guerre d'Espagne en 1823, Œuvres politiques et littéraires, 5 vol.,
Paris, 1859, V, p. 90.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
33
deux volumes de Girard de Propiac, La Sœur de Sainte-Camille ou Le
Siège de Barcelone, publié la même année.
Ne retenons ces ouvrages qu'à titre documentaire. D'ailleurs, d'autres événements vont fournir à l'imagination française l'occasion de
s'exercer. L'expédition de 1823 fut un contact direct autrement important entre la France et l'Espagne.
L'expédition de 1823
Trois ans après l'établissement du cordon sanitaire, Louis XVIII et
son ministre Chateaubriand envoient l'armée française rétablir la paix
en Espagne et Ferdinand VII dans son absolutisme. La Restauration
donnait ainsi des preuves de fidélité à la Sainte-Alliance, car il s'agissait de protéger un monarque absolu contre ceux de ses sujets qui lui
avaient imposé une Constitution. Dans une certaine mesure, les Français saisissaient l'occasion de venger, ne serait-ce que sur des bandes
d'insurgés, leurs anciennes défaites militaires dans la Péninsule. Cependant, la force des libéraux ou liberalès, comme on les appelait en
France, reposait surtout sur la bourgeoisie éclairée des grandes villes,
la grande masse paysanne étant encore contrôlée par le clergé conservateur.
Les troupes françaises ne furent pas reçues, cette fois, en envahisseurs, mais bien plutôt en précieux alliés. Cela explique que le due
d'Angoulême ne rencontra pas d'opposition sérieuse ; [23] les cent
mille fils de saint Louis, qui composaient son armée, firent une promenade militaire suivie d'un séjour de cinq ans dans la Péninsule.
On exploita toutes les ressources de la propagande gouvernementale pour présenter l'expédition de 1823 comme une nouvelle croisade.
On attribua aux escarmouches, qui eurent lieu en Catalogne et devant
Cadix, des dimensions de batailles épiques. Les trop faciles victoires
du due d'Angoulême furent montées en épingle pour faire croire aux
Français que les Bourbons possédaient un génie militaire supérieur à
celui de Napoléon. En 1823 et 1824, les odes dédiées au chef de l'expédition foisonnèrent. Alexandre Soumet produit La Guerre d'Espagne, ode au duc d'Angoulême et l'inépuisable Cuvelier de Trie, qui
avait, on s'en souvient, créé pour Bonaparte le Grand Inquisiteur Tar-
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
34
tuffos, publie La Gloire et la Paix, dialogue dramatique à l'occasion
des victoires en Espagne. Inutile de chercher dans ces œuvres et dans
leurs pareilles une valeur littéraire quelconque 26.
Tandis que se déversait sur le public lettré ce torrent de vers insipides, la propagande auprès du grand public était assurée par le théâtre,
ou plus exactement par des spectacles. Les fabricants de vaudevilles et
les directeurs de cirques furent mobilisés. D'importantes subventions
leur furent accordées pour la mise en scène de grands spectacles qui
devaient illustrer la valeur des soldats français. Ces œuvres de circonstance tinrent l'affiche de tous les théâtres parisiens, et tout particulièrement des théâtres du boulevard. Nous avons retrouvé une quinzaine de ces œuvres pour la période août 1823-janvier 1824 27 ; il y
en a certainement eu d'autres qui n'ont laissé aucune trace dans les répertoires ; beaucoup n'ont jamais été imprimées. Le retour du duc
d'Angoulême à Paris, après la facile victoire du Trocadéro, en provoqua une véritable floraison. On employa même la piste du Cirque
Olympique pour faire représenter cette victoire par des bataillons de
figurants, à grand renfort de musiques militaires, de salves d'artillerie
et de charges de cavalerie. Dans ses Souvenirs, l'acteur Bouffé raconte
sa participation à une pièce en cinq actes et vingt tableaux, qui portait
le titre curieux de Les Pyrénées, Cadix el les Champs-Elysées, et qui
connut quatorze représentations 28. Une partie des places, précise-t-il,
était réservée aux régiments de retour d'Espagne. Le malheureux acteur [24] fut d'ailleurs bel et bien blessé au cours d'une scène jouée
avec trop d'enthousiasme 29.
Il est certain qu'une bonne partie du public français approuva l'expédition de 1823. La propagande officielle la lui présentait sous un
jour séduisant : il s'agissait d'aller rétablir la paix en Espagne, par
idéalisme, et de se couvrir de gloire militaire par la même occasion.
Mais cette approbation, qu'expliquaient le plus souvent l'ignorance ou
l'amour du panache, était loin d'être générale. L'opinion libérale en
France s'émut de voir un roi constitutionnel voler au secours d'un monarque réactionnaire et, de plus, méprisable. Bien entendu, cette oppo26
27
28
29
À l'exception de l'Ode septième de Victor Hugo : La Guerre d'Espagne.
Voir appendice I, p. 163.
Nous n'avons pas réussi à retrouver trace de cette pièce.
Paris, 1880, pp. 68-76.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
35
sition ne pouvait guère mettre en branle une propagande capable de
neutraliser celle du gouvernement. Mais nous savons qu'elle
... se manifesta de toutes les manières, sous la forme de la plaisanterie comme sous celle de l'article de fond, par les chansons
et les calembours comme par les arguments sérieux. Les portraits lithographiés des généraux constitutionnels espagnols figuraient aux étalages, près de ceux des députés de la gauche...
Le nom de Quiroga 30 fut donné à un nouveau genre de manteau 31.
Toutes les occasions étaient bonnes aux libéraux français pour manifester leur indignation. Muret raconte qu'à une représentation du
Mariage de Figaro à Rouen, le parterre fit entendre des murmures de
protestation quand le comte donne un brevet d'officier à Chérubin,
mais à condition qu'il parte immédiatement rejoindre son régiment en
Catalogne. Le public ne voulait pas que Chérubin allât renforcer l'armée du duc d'Angoulême 32 !
L'opposition ne se borna d'ailleurs pas aux protestations. Un véritable corps expéditionnaire composé d'émigrés libéraux de tous les
pays, mais principalement Italiens et Français, alla se mettre aux ordres du général Mina qui commandait les liberalès en Catalogne.
L'histoire de ce bataillon, ancêtre des Brigades Internationales de
1936-1939, reste à faire. Mais on sait qu'il exista une légion française
dans laquelle Armand Carrel était sous-lieutenant. Dans son article sur
le carbonaro Jean Journet, Champfleury nous apprend que
Jean Journet eut le bonheur de se sauver en Espagne. Au moins
là se battait-on en plein soleil. Notre carbonaro retrouva à l'armée, [25] dans la légion française, pendant la guerre de l'indé-
30
31
32
Quiroga, Antonio (1784-1841), général et administrateur espagnol, Chef des
troupes constitutionnelles au moment de la révolte de Riego.
MURET, op. cit., 2e série, pp. 230-231.
Idem, ibid.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
36
pendance, Armand Carrel, sous-lieutenant, et Joubert, sergentmajor, ses confrères en carbonarisme 33.
Mérimée exprime son indignation dans une lettre à Joseph Lingay,
datée du 21 septembre 1823 :
Je ne doute pas que nous ne prenions Cadix d'assaut, car le
prince généralissime et la cocarde blanche feront tout faire aux
automates à dix sous par jour que l'on nomme Français. Convenez qu'il est déplorable de vivre dans un siècle aussi vil que le
nôtre 34.
Armand Carrel résume bien ses sentiments de l'opposition en écrivant :
Les cent mille Français annoncés à l'Espagne par une célèbre
déclaration sont revenus... sans rien rétablir que l'honneur national ou seulement le bon sens puisse avouer 35.
Il est certain, en fin de compte, que même les partisans de l'expédition n'en voyaient pas toujours le sens. Dittmer et Cavé, dans leur satire Les Français en Espagne, mettent en scène de braves troupiers,
« fils de saint Louis », qui se trouvent complètement désorientés :
BOURGEOIS : Il fallait pourtant bien rétablir la religion.
GLAIROT : La rétablir ! mais il y a déjà plus de prêtres que
de fourmis.
BOURGEOIS : Et la noblesse ?
GLAIROT : C'est donc pour elle que nous venons ? Nous
n'avons que la canaille pour nous.
33
34
35
Les Excentriques, Paris, 1856, p. 73.
Correspondance générale, 12 vol., Paris, 1941-1958, I, pp. 4-5.
Op. cit., V, p. 57.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
37
LINCOURT : Glairot a raison. S'il fallait dire ce que nous
sommes venus faire ici, je serais bien embarrassé 36.
L'expédition de 1823 a permis à cent mille Français 37 de voir l'Espagne. Elle a attiré l'attention du grand public sur les problèmes de la
Péninsule, et a amené chaque Français à porter des jugements de valeur, en les forçant à prendre position pour ou contre l'intervention.
Comme le dit la comtesse Dash :
[26]
Cette guerre d'Espagne occupait beaucoup les esprits ; les uns la
tournaient en ridicule, les autres l'exaltaient outre mesure, elle
ne méritait « ni cet excès d'honneur ni cette indignité... », elle
n'avait que le défaut de ressembler à un anachronisme 38.
L'évolution de l'image espagnole que les événements de 1823 vont
entraîner en France sera déterminée en grande partie par des considérations politiques. Le Français conservateur verra l'Espagne à la lumière d'un certain paternalisme : pour lui, il s'agira de protéger les valeurs traditionnelles du peuple espagnol contre les liberalès, qu'il
considère comme de dangereux extrémistes. Pour le Français libéral,
l'Espagne est un pays admirable, le seul où les progressistes aient pu
tenir tête à l'empire réactionnaire de la Sainte-Alliance. Ces deux opinions sont évidemment extrêmes, mais du point de vue de la conscience collective, elles ont des points communs. Nous avons déjà remarqué que, dès 1820, les Français donnaient à l'Espagnol les caractéristiques du conspirateur, tout en lui refusant la capacité de se gouverner. Essentiellement, ce jugement de valeur reste commun à tous les
Français. Pour le conservateur français, c'est précisément le conspirateur qui empêche la stabilité du gouvernement. Pour le libéral, c'est
l'esprit réactionnaire qui empêche les conspirateurs progressistes de
former un gouvernement stable. Tout au long du XIXe siècle, chaque
36
37
38
Les Soirées de Neuilly, Paris, 1827 p. 295.
Parmi lesquels se trouvait Eugène Sue, en qualité de sous-aide chirurgien.
Mémoires des autres, Paris, 1895 (?), p. 322.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
38
fois que l'une des factions espagnoles arrive au pouvoir, l'autre prépare une révolution ou un pronunciamiento. Quelle que soit son appartenance politique, le Français voit donc se confirmer l'idée qu'il s'était
faite des capacités espagnoles en ce qui concerne la chose publique.
Les émigrés espagnols
Les vicissitudes politiques de l'Espagne au XIXe siècle entraînèrent
une série d'émigrations. Avec chaque gouvernement renversé, des partisans du régime déchu prenaient la route de l'exil. Ils se réfugiaient
généralement en France et se partageaient entre Paris, qu'ils aimaient,
et les villes du Sud-Ouest, d'où ils pouvaient facilement garder contact
avec leurs partisans restés en Espagne.
L'histoire de la Péninsule pendant la première moitié du siècle
nous montre un pays profondément divisé, dans lequel les revirements
[27] politiques, les conspirations, les soulèvements réussis et manqués
se succèdent à un rythme accéléré. Rappelons brièvement les principaux épisodes de ces luttes intestines.
En 1813, Ferdinand VII remonte sur son trône. Les afrancesados,
c'est-à-dire les partisans de l'ex-roi Joseph, qui n'avaient pas abandonné le pays à la suite des armées françaises, sont exilés. Ferdinand se
retourne contre la junte de Cadix, qui avait promulgué la Constitution
de 1812 en son nom, et ceux des constitutionnels ou doceanistas qui
échappèrent à la répression sont forcés de s'expatrier. En 1820, les
libéraux, commandés par Riego et Quiroga, forcent Ferdinand à signer
la Constitution et établissent en Espagne un régime libéral. Le roi fomente des révoltes absolutistes, qui n'aboutissent pas. Cependant, la
Sainte-Alliance s'inquiète, car, inspirées par l'exemple espagnol, des
révolutions éclatent à Naples et au Piémont. Au congrès de Vérone, la
Prusse, l'Autriche, la Russie et la France (avec l'assentiment tacite de
l'Angleterre) décident d'envoyer le duc d'Angoulême « libérer » le roi
« prisonnier » de ses sujets. Ferdinand exerça une vengeance sanglante, et bien des liberalès ne purent sauver leur vie que grâce aux Français, indignés par la répression et qui forcèrent Ferdinand à leur permettre d'émigrer. En 1828, la première révolte carliste n'aboutit pas.
Dès la mort du roi, la guerre civile se déclenche. Elle va durer six ans,
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
39
jusqu'en 1839, et tant les carlistes sous les ordres de Zumalacàrreguy
que les cristinos, ou partisans de la reine Marie-Christine, commandés
par Espartero, se livrent aux pires excès. Le général Espartero prit ensuite la dictature, mais fut renversé en 1843 et remplacé par Narvaez,
puis par une succession de ministres qui se montrèrent souvent incapables. En fait, à partir de la mort de Ferdinand VII, la situation politique en Espagne devient confuse, et il est parfois difficile de savoir
dans quelles mains se trouvait le pouvoir. Les ministères tombent,
l'orientation politique change et les forces en présence sont rarement
assez puissantes pour établir longtemps leur autorité sur l'ensemble du
territoire. Le pays sombre dans une anarchie à peu près continue.
Après chaque épisode de ces querelles intestines, les chefs vaincus
passaient les Pyrénées. Les réfugiés espagnols ne manquèrent jamais à
Paris. Même ceux qui repartaient pour l'Espagne au hasard des soulèvements ou des amnisties n'étaient pas sûrs de ne pas avoir à reprendre
leur place de proscrits quelques mois plus tard. Il n'était pas rare de
voir deux chefs politiques ennemis attendre à Paris la chute d'un troisième adversaire.
Si M. Llorens-Castillo a consacré une très solide étude aux [28]
émigrés libéraux en Angleterre 39, il n'existe malheureusement aucun
ouvrage d'ensemble sur la vie des émigrés espagnols en France. On
trouvera, cependant, des renseignements intéressants dans l'Historia
politica de los Afrancesados de Mario Méndez Bejarano 40, ainsi que
dans la thèse de M. Jean Sarrailh sur Martinez de la Rosa 41.
L'influence des émigrés espagnols, en ce qui concerne l'image de
leur pays en France, est importante tout d'abord par le nombre de personnes qui s'y expatrièrent. Nous savons, par exemple, que plusieurs
milliers de liberalès durent quitter l'Espagne lors des persécutions de
Ferdinand VII, en 1823-1824. Il est vrai que beaucoup avaient préféré
gagner l'Angleterre, mais même certains de ceux-là passèrent en France à l'avènement de la monarchie de Juillet. Le grand poète romantique Espronceda traversa la Manche tout exprès pour venir à Paris se
battre sur les barricades 42. Mais, plus que leur nombre, c'est la qualité
39
40
41
42
Liberales y románticos, Mexico, 1954.
Madrid, 1912.
Paris, 1930.
Nous n'avons pas la preuve qu'il ait effectivement fait le coup de feu.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
40
des émigrés qui déterminera leur influence. Ils appartenaient le plus
souvent aux classes supérieures : déjà, les afrancesados comptaient
une majorité d'intellectuels ; n'oublions pas que des écrivains tels que
Meléndez-Valdés ou Moratin avaient dû abandonner le pays avec le
roi Joseph. Puis, ce fut le tour des intellectuels doceañistas, enfin des
liberalès. Hommes d'État, comme le comte de Toreno, poètes, comme
Martinez de La Rosa (à qui Balzac a dédié El Verdugo), professeurs,
comme Maury, musiciens, comme Gomis, rare est le membre de l'intelligentsia ibérique qui n'ait pas été forcé de s'exiler au moins une
fois pendant cette triste époque. À tel point que le vieux Goya luimême, dont tous les amis étaient proscrits, passa les Pyrénées pour
venir mourir près d'eux à Bordeaux, en 1828 43.
Comme on pouvait le prévoir, les réfugiés espagnols restèrent en
contact étroit les uns avec les autres. Ils fréquentaient la meilleure société de Paris, et leur terlulia favorite se tenait chez la comtesse Merlin 44. Ils allèrent jusqu'à établir des écoles espagnoles, surtout à Bordeaux, et à fonder des maisons d'édition comme la « Libreria HispanoAmericana », et celle de « Vicente [29] Salvà », située 60, rue Richelieu, à Paris. Étant, nous l'avons vu, des hommes cultivés, ils ne manquèrent pas de faire publier force livres et force pamphlets politiques.
Notons, en particulier, les Mémoires (1827) de don Juan Van Halen,
chef d'état-major d'une des divisions de l'armée de Mina ; les Mémoires sur la dernière guerre de Catalogne (1828) de Florentin Galli, aide de camp du général Mina, et l'ouvrage de Josué Presas, Pintura de
los males que han causado a la España el gobierno absoluto (1827),
dont l'auteur fit immédiatement paraître une traduction française.
Dans le domaine historique, retenons l'Histoire de la domination des
Arabes et des Maures en Espagne et en Portugal, publiée en 1825 par
José Antonio Conde, et l'Histoire critique de l'Inquisition d'Espagne,
que le chanoine afrancesado Juan Antonio Llorente avait fait paraître
à Paris, en 1818. Ces deux livres passionnèrent les romantiques et leur
servirent de référence. Mais la production des émigrés ne se bornait
43
44
Sur cette époque de la vie de Goya, on consultera avec profit l'article de
NUNEZ DE ARENAS, La Suerte de Goya en Francia, Bulletin hispanique,
1950, LII, pp. 229-273, qui donne des renseignements intéressants sur la vie
des émigrés à Bordeaux.
Sur la comtesse Merlin (à qui Balzac a dédié Les Maranas), voir Augustin
DE FIGUEROA, La Condesa de Merlin, Madrid, 1934.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
41
pas à des ouvrages historiques ou polémiques. Moratin et MeléndezValdés avaient publié en espagnol à Paris. Martinez de La Rosa, deux
fois premier ministre et deux fois exilé (1823-1831 et 1840-1843), fit
jouer son fameux mélodrame, Aben Humeya ou La Révolte des Maures sous Philippe II, à Paris, le 19 juillet 1830. Et la première édition
du Moro Expόsito du Duque de Rivas parut à Paris, en 1834. En 1826,
Juan Maria Maury publie, toujours à Paris, L'Espagne poétique. Choix
de poésies castillanes, depuis Charles-Quint jusqu'à nos jours, dont
une deuxième édition paraîtra dans la même ville six ans plus tard. E.
Allison Peers, en parlant de Maury, affirme que :
His versions were widely read, and his reputation both in France (where he lived) and in England.... must certainly have helped the Spanish revival in those countries, especially the former. Nor must it be forgotten that, when Espagne poétique was
published, his long and in large part Romantic poem Esvero y
Almedora (Paris, 1840) had already been written 45.
Il n'y a aucun doute que le Spanish revival, dont parle Allison
Peers, fut en grande partie l'œuvre des réfugiés espagnols (et surtout
des liberalès chassés par Ferdinand VII). Ils présentèrent leur pays
aux Français à travers leurs livres, leurs articles, leur conversation. Ils
furent d'infatigables traducteurs, des adaptateurs consciencieux, d'excellents professeurs de langue. Ils surent [30] maintenir très vivent
l'intérêt que les Français portaient à la Péninsule. Un exemple nous
semble significatif : en 1831, l'émigré Hurtado fait jouer à Paris un
opéra-comique en un acte, Le Diable à Séville, avec musique de Gomis. Riego en est un des personnages et on y parle de Mina ; à la scène Il, nous trouvons ce couplet :
Mais la beauté désolée
Qui, prisonnière et voilée
Priait, jeûnait, isolée,
Chante à son tour Tragala.
45
A History of the Romantic Movement in Spain, 2 vol., Cambridge, 1940, I, p.
159.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
42
Son ennui cesse
L'amour la presse
Dieu ! Quelle ivresse !
Voilà
Minna ! [Sic].
Le fait que l'auteur mentionne Tragala, et que l'éditeur n'ait pas jugé nécessaire d'ajouter une note explicative, semblerait prouver que le
public était assez au courant des choses de l'Espagne pour savoir que
Tragala était l'hymne favori des liberalès 46.
Comme preuve de l'intérêt que les Français portaient aux événements de la Péninsule, choisissons non pas un des nombreux ouvrages
politiques qu'ils consacrèrent à ce sujet, mais deux poèmes, fort médiocres il est vrai. Charles Brifaut, cet incorrigible ennemi des constitutionnels, fait visiter l'Espagne à un roi persan, soucieux de s'instruire :
On y voyait, formant d'heureux complots,
Des révoltés qu'on nommait des héros.
De toutes parts, aux changements en proie,
Les Espagnols poussaient des cris de joie.
Ils répétaient sans interruption :
« Vive le roi ! la constitution
Et les cortès ! Meilleur que ses ancêtres,
Le roi nous aime, il veut l'égalité,
Et dans nos mains remet les biens des prêtres.
C'est un abus que la propriété. »
Le Shah, ravi, demande à voir ce roi bien-aimé, mais :
46
Nous avons retrouvé le texte de cet hymne, composé pendant la révolte de
1820, dans le médiocre ouvrage de Francisco Pi Y MARGALL, Las Grandes commociones politicas del siglo XIX en España, Barcelona, s. d. On
trouvera ce texte à l'appendice II.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
43
[31]
On lui répond : « Le prince est prisonnier.
Nul ne le voit ; son peuple est son geôlier.
Il a voulu visiter la province,
Il a quitté Madrid pour un moment ;
Mais aussitôt un bon soulèvement
L'a rappelé dans cette capitale.
……………………………………………………….
— Mais de l’État qui soutiendra le faix ? »
— N'avons-nous pas nos clubs et nos cortès ;
Nos Quiroga, nos Riego, ces grands hommes,
Nos avocats, nos faiseurs de pamphlets ?
— Et pensez-vous être heureux ? - Nous le sommes.
— Est-il bien vrai ? - Nous l'avons décrété.
Nous le serons à perpétuité.
— Deux mots encor : le trésor ? - Il est vide.
— Le crédit ? - Nul. - Quelques bons financiers,
En avez-vous ? - Nous avons des papiers.
— Le peuple ? - A faim. - Et l'armée ? - Est avide.
— Ah ! citoyens, votre prospérité
Me fait frémir. - Attendez deux années.
Nous essayons nos grandes destinées.
Il faut d'abord avoir la liberté.
— Il faut surtout de la tranquillité.
Adieu. Je cours, delà les Pyrénées,
Chercher la paix : ... 47. »
À cette satire, qui manque évidemment de subtilité, répondra Barthélemy, républicain farouche, auteur du fameux Némésis. Dans son
élégie à la mort de Torrijos, ancien libéral fusillé avec cinquante-deux
de ses camarades par ordre de Ferdinand, on trouve ces vers qui, pour
être médiocres, n'en montrent pas moins une émotion sincère :
47
Œuvres, 6 vol., Paris, 1858, VI, pp. 259-260.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
44
O terre généreuse où tant de soleil brille,
Qui donc a fait tomber tes deux tours de Castille ?
Quelle main musela tes deux nobles lions ?
Quel souffle dans la mer plongea tes galions ?
………………………………………………………….
Le culte politique a ses autodafé ;
Là, jamais le bourreau n'accorde aucune trêve ;
L'Espagne est pour l'Europe une place de Grève
…………………………………………………………..
[Torrijos.] Un de ces vaillants Cid que Castille et Léon
Suscitèrent cinq ans contre Napoléon
…………………………………………………………..
Eh bien ! ils sont morts, sans ployer les genoux 48.
[32]
On voit donc que, quelle que fût leur opinion politique, les réfugiés
espagnols trouvaient toujours des Français qui se passionnaient pour
leur cause.
La présence des émigrés à Paris eut une autre conséquence importante. S'ils n'ont pas été les premiers à initier les Français aux beautés
de la musique espagnole, ils en propagèrent certainement la mode.
Gomis ne fut pas le seul musicien espagnol à venir en France. Nous
savons que le célèbre compositeur et guitariste Fernando Sor était un
afrancesado et que Dionisio Aguado et José de Ciebra durent, eux
aussi, s'expatrier pour des raisons politiques 49. Citons encore le fameux Trinidad Huerta, qui avait quitté l'Espagne depuis longtemps.
Grand ami de Garcia et de sa fille, la Malibran, Huerta donnait un
concert dès le 14 novembre 1823, chez M. Pfeiffer (18, rue Montmartre) ; il fut parmi les artistes les plus réputés de l'époque 50. Vingt ans
48
49
50
Némésis, Paris, 1850, pp. 341-348.
Sur l'admirable floraison de compositeurs, et surtout de guitaristes espagnols
au XIXe siècle, voir l'Encyclopédie de la musique, de LAVIGNAC et LA
LAURENCIE, Paris, 1920, aux chapitres « Espagne et Portugal » et « La
guitare ».
Henri D'ALMÉRAS, La Vie parisienne sous la Restauration, Paris, 1910, p.
83.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
45
plus tard, il enthousiasmait encore les Parisiens. Delphine Gay, la
« muse du romantisme », fit même un poème en son honneur :
HUERTA
... L'avez-vous entendu, ce troubadour d'Espagne
Qu'un art mélodieux aux combats accompagne ?
Sur sa guitare, il chante et soupire à la fois ;
Ses doigts ont un accent, ses cordes une voix ;
Son chant est un poème harmonieux sans rime ;
Tout ce qu'on éprouve et l'on rêve, il l'exprime.
………………………………………………………….
Sa guitare, en vibrant, vous parle tour à tour
Le langage d'esprit, le langage d'amour ; ...
Paris, 11 mars 1843 51.
Quant à Gomis, lui aussi très à la mode, il suffit de lire son oraison
funèbre, faite par Burat de Gurgy 52, pour savoir à quel point il s'attira
l'admiration des Parisiens.
Les émigrés politiques espagnols souffraient certainement d'être
loin de leur patrie. Mais ils furent en général bien reçus par leurs hôtes
français, et leur exil fut souvent rendu moins pénible par [33] l'intérêt
sympathique qu'ils suscitaient à Paris. Roger de Beauvoir exagère en
affirmant qu'
Il y a peu de réfugiés politiques, qui, une fois en France, se
souviennent de la Puerta del Sol et de ses émeutes. Leur plus
grande occupation est de mettre savamment le noeud de leur
cravate qui ressemble à une trilogie, de jouer au club méthodiquement, et d'aller voir danser la Carlotta 53.
51
52
53
Mme Émile DE GIRARDIN, née Delphine GAY, Œuvres complètes, 6 vol.,
I, p. 437.
Le Monde dramatique, 1836, III, pp. 137-141.
Étrangers à Paris, Paris s. d., p. 473.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
46
Mais il est certain que bien des réfugiés espagnols passaient leur
temps d'exil dans les meilleures conditions possibles. Nous savons
même que les Parisiens s'efforçaient de venir en aide à ceux d'entre
eux qui se trouvaient en difficultés matérielles. Le S octobre 1831, par
exemple, il y eut une représentation extraordinaire au bénéfice des
réfugiés espagnols, à laquelle participèrent l'Odéon, le Gymnase et le
Théâtre des Variétés 54.
Nous voyons donc que, par la force des événements, la France
s'était trouvée directement engagée dans les affaires espagnoles lors
de la guerre d'Espagne, de la peste à Barcelone et de l'expédition de
1823. D'où le renouveau d'intérêt que la Péninsule n'avait pu manquer
de provoquer dans l'imagination collective des Français. Cet intérêt fut
soutenu et approfondi par les réfugiés espagnols. Ils s'efforçaient de se
faire les interprètes de leur pays, de chercher à réveiller pour lui la
compréhension et la sympathie en le faisant mieux connaître, en essayant de combattre les préjugés. Ils évoquèrent, en somme, pour les
Français, une image de l'Espagne propre à attirer le respect. Leur tâche fut rendue plus facile par la mode littéraire qui - surtout grâce aux
romantiques - était à l'Espagne. C'est l'étude de cette mode qui sera le
sujet du chapitre suivant.
54
Almanach des spectacles : 1831 , p. 96.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
47
[34]
ROMANTIQUE ESPAGNE.
L’image de l’Espagne en France entre 1800 et 1850.
PREMIÈRE PARTIE
Chapitre III
ÉVOLUTION DE L'IMAGE :
INFLUENCE DE LA LITTÉRATURE
Transformation du public
Retour à la table des matières
Le rêve espagnol, tel que le faisait l'imagination collective française entre 1800 et 1850, se composait donc d'une série de notions héritées des temps passés. Ces notions furent modifiées dans une certaine
mesure par les événements politiques. Mais la conjoncture politique
ne suffit pas à expliquer que la Péninsule ait été tellement « à la mode » pendant cette période. Il faut, à présent, mentionner l'existence du
rêve espagnol dans le domaine de la littérature. En effet, l'influence
des lettres a été considérable dans la formation de l'image que nous
étudions. Bornons-nous pour l'instant à constater l'ampleur de la mode
espagnole et les manières dont elle s'est manifestée. Laissons pour
plus tard un essai d'interprétation qui nous pourra permettre de comprendre à quelles nécessités psychologiques correspondait cet engouement.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
48
Au cours du XIXe siècle, nous assistons à une croissance considérable du publie « qui lit ». Les reculs de l'analphabétisme mettent « ce
vice impuni, la lecture », à la portée d'un nombre chaque année accrue
de Français. Nous voici arrivés à l'époque du roman-feuilleton ; la
grande presse quotidienne va naître. Les cabinets de lecture, les éditions populaires se multiplient. Le temps n'est plus où la lecture était
l'apanage d'une minorité : il faut à présent que l'homme de lettres se
plie aux exigences d'un public nouveau. Or, cette clientèle ne pouvait
guère avoir exactement les mêmes goûts que l'ancienne aristocratie.
Ce qui plaisait à la masse des lecteurs, alors comme aujourd'hui, ce
n'est plus les subtilités sentimentales, le conceptualisme des bons
mots, l'intrigue menée délicatement. Le grand public est amateur de
sensations fortes, d'aventures qui, pour être extravagantes, [35] ne
perdent pas entièrement contact avec la réalité (ou, tout du moins,
avec la vraisemblance). Il voulait trouver dans l'œuvre littéraire son
aspiration à l'inusité dans un contexte reconnaissable. Dans cette perspective, l'Espagne était un cadre rêvé. Les événements politiques
l'avaient rendue pour ainsi dire familière aux Français. Les péripéties
des luttes qui s'y déroulaient lui donnaient le prestige de l'insolite. Un
bon exemple de ce genre est El Verdugo, la curieuse nouvelle que
Balzac publia, en 1830, dans La Mode. On se rappelle qu'il s'agit d'un
épisode particulièrement cruel de la guerre d'Espagne : Juan, benjamin
des Léganès, accepte d'être le bourreau de toute sa famille condamnée
à mort par un général français. À ce prix, il aura la vie sauve. Encouragé par sa famille, il accepte, afin que sa race ne s'éteigne point. Un
tel courage satisfaisait bien le goût des lecteurs pour l'exceptionnel. Le
fait que cette aventure se soit déroulée dans une Espagne reconnaissable empêchait le conte de verser dans l'invraisemblable. L'exemple
que nous avons choisi conserve, grâce au talent de Balzac, une grande
valeur littéraire. Prenons une autre œuvre du même genre, qui traite,
elle aussi, de la guerre d'Espagne. En 1828, Béraud (dit Antony), fait
jouer au Cirque Olympique une pièce militaire en deux actes, Le Siège
de Saragosse. Léon, officier français, aime Antonia, fille du comte
d'Hermosa. Ce dernier est un afrancesado de bonne foi qui cherche à
faire la paix entre Français et Espagnols. Il est pris par les guérilléros
qui le condamnent à mort pour trahison. Seule l'arrivée de Léon à la
tête de ses troupes le sauve du supplice. Léon, comme on pouvait s'y
attendre, épousera Antonia. Dans ce très mauvais mélodrame, tant le
comte d'Hermosa que l'officier français rivalisent de courage, de géné-
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
49
rosité et de pompeuse emphase. Et, encore une fois, ce que le public
savait (ou croyait savoir) de l'Espagne lui faisait accepter ces parangons de vertu.
Le roman historique
Louis Maigron a très bien étudié le développement considérable du
roman historique au XIXe siècle 55. Sous l'influence de Walter Scott
surtout, l'Histoire tout entière fut mise à contribution par les hommes
de lettres. La vogue de ces versions romancées d'épisodes historiques
continue d'ailleurs même de nos jours. Faut-il s'étonner que l'on ait
cherché à utiliser l'histoire [36] d'Espagne, si riche en péripéties, si
pleine, ne disons pas de couleur locale, mais de couleur historique ?
Espagne moyenâgeuse, Espagne de la Renaissance, Espagne décadente, tous les siècles sont pillés. Le règne du roi Pierre le Cruel (13501369), par exemple, fut une source intarissable pour ceux qui, de l'histoire, faisaient littérature. En 1831, Mortonval publie Don Martin Git,
roman soi-disant tiré de la chronique d'Ayala. On y trouve des Juifs,
des Arabes, des moines, des supplices et toutes les aventures de cet
étrange monarque avec Maria Padilla et Blanche de Castille. La même
époque et les mêmes personnages principaux se retrouvent en 1838
dans Maria Padilla, chronique espagnole de Joseph-Bernard Rosier.
Les gens de lettres n'hésitaient guère à expliquer l'histoire à leur façon : Mme Charles Reybaud publie, en 1840, Alonzo 56, nouvelle selon laquelle Isabelle la Catholique aurait persécuté les israélites par
dépit. Alonzo, qui lui avait jadis sauvé la vie et dont elle était amoureuse, lui aurait préféré la Juive Sarah. L'expulsion des Juifs ne serait
donc que la vengeance d'une femme jalouse.
Pour donner sans doute plus de vraisemblance aux personnages espagnols des romans historiques, on les fait abondamment jurer par
saint Jacques de Compostelle et par saint Jean d'Avila. Il est d'ailleurs
amusant de constater que souvent les écrivains français n'étaient pas
très experts en matière de jurons espagnols. Lafare, dans l'Agravia-
55
56
Le Roman historique à l'époque romantique, Paris, 1898.
Revue de Paris, 23, 1840, pp. 73-115.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
50
do 57, fait dire carajos à un personnage, mot qui, en espagnol, est
d'une grossièreté inadmissible. Le même personnage jure aussi Per la
Madonna, ce qui semblerait indiquer qu'il avait au moins des connaissances rudimentaires de la langue italienne.
Il serait trop facile d'exercer sa verve aux dépens de fantaisies que
les hommes de lettres présentaient comme des vérités historiques. Il
ne nous semble pas non plus nécessaire de relever les impossibilités
chronologiques dont leurs œuvres sont farcies. Dans le cas d'Hernani
et de Ruy Blas, par exemple, cela d'ailleurs a déjà été fait 58. Après
tout, Calliope n'est pas forcée de respecter Clio. Il reste que, si Victor
Hugo peut se permettre les libertés qu'il prend avec la vérité historique, celles-ci choquent le lecteur chez des écrivains de troisième ordre. Quoi qu'il en soit, les lecteurs n'y regardaient pas de si près. Leur
goût pour [37] les œuvres « historiques » était satisfait par toutes ces
belles histoires que le passé merveilleux de l'Espagne inspirait aux
écrivains.
Le roman noir
Un autre genre littéraire qui connut une grande vogue en France, à
cette époque, fut le « roman noir ». On sait que, dès sa traduction en
1799, Le Moine de Lewis fut un gros succès de librairie 59. Faut-il
s'étonner si Lewis eut des imitateurs français ? Et, encore une fois,
l'Espagne offrait un cadre idéal à ces sombres histoires. En effet, nous
avons vu que la cruauté et l'horreur étaient essentielles dans l'image
que les Français se faisaient de la Péninsule. Déjà, les Philosophes
s'étaient indignés des chambres de torture présidées par les inquisiteurs ; les souvenirs des cruautés espagnoles pendant la guerre de
1808-1813 restaient vivants. Cette réputation, l'Espagne ne se l'était
57
58
59
Annales romantiques, 1834, pp. 111-122.
Voir entre autres Ernest MARTINENCHE, L'Espagne et le romantisme
français, Paris, 1922 et Alfred MOREL-FATIO, Études sur l'Espagne, Ire
série, 2e éd., Paris, 1895, pp. 167-235.
Il y eut sept traductions différentes de ce roman entre 1799 et 1850 : En
1799, en l'an X, en 1819, en 1838, en 1840, en 1849 et en 1850. Sans compter une édition en anglais faite à Paris en 1832.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
51
d'ailleurs pas faite seulement dans l'imagination française, puisque
Lewis lui-même, un Anglais, avait choisi ce pays pour son roman. Il
reste que, quand un écrivain français veut composer une histoire dans
laquelle la passion dévorante mène aux plus horribles crimes, c'est très
souvent en Espagne qu'il la situe. Le vicomte d'Arlincourt, auteur des
plus « noir » romans, écrit en 1836 sa nouvelle, Le Puits du meurtre 60. Pendant le sac de Tarragone par les Français, en 1811, Juanito
et sa femme Paquita se réfugient dans un vieux puits. Avec eux se
trouve Gomès, qui avait juré de se venger après que Paquita lui eut
préféré Juanito. Il tue Juanito et veut violer Paquita. Mais cette dernière, comme toute Espagnole qui se respecte, est armée d'un poignard,
qu'elle enfonce dans le cœur de Gomès. Les Français partis, Juanita se
fera religieuse.
Quand un roman noir se passe en Espagne, les auteurs donnent libre cours à leurs imaginations les plus morbides. Xavier Forneret publie, en 1840, Le Temps perdu : Blondina est la fille du moine Monako. Dès sa naissance, elle est mise dans une nacelle de jonc et abandonnée sur l'Èbre. Le bébé est recueilli par le corregidor de Tortosa.
Mais, pendant son voyage, elle a eu un œil crevé et devra donc porter
un œil de verre. Blondina croît en beauté et en sagesse. Quand elle
atteint l'âge de dix-huit ans, [38] Muguetto tombe amoureux d'elle.
Blondina répond à cet amour. Les jeunes gens, à la mode espagnole,
échangent pendant la messe les regards les plus enflammés. Mais un
envieux rapporte à Muguetto que Blondina a regardé un autre homme : fou de jalousie, il la poignarde. Quand elle expire, il comprend
son erreur et se suicide, en avalant l'œil de verre de sa maîtresse qu'il
avait préalablement pilé.
Il ne faudrait pas penser que tous les romans noirs relevaient de la
pathologie. Souvent même les auteurs ne les prenaient au sérieux qu'à
demi. C'est certainement le cas de Mérimée quand il écrivit La Famille de Carvajal, publiée en 1842. Il n'en reste pas moins que les faiseurs de cette littérature à ne pas lire la nuit savaient que leurs lecteurs étaient prêts à accepter des histoires particulièrement horribles
quand elles avaient pour protagonistes des Espagnols, hommes capables des plus dévorantes passions et par suite des crimes les plus affreux.
60
Annales romantiques, 1836, pp. 136-146.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
52
Le conte fantastique
C’est également au XIXe siècle que les Français commencent à apprécier le genre fantastique. Retinger a bien vu qu'en les composant,
les écrivains avaient été inspirés surtout par les auteurs allemands,
comme Hoffmann, et anglo-saxons, comme Poe 61. Mais si Balzac,
Nodier, Nerval, Mérimée, Gautier et tant d'autres se sont passionnés
pour le fantastique, ils ont rarement choisi l'Espagne comme cadre.
Cela s'explique : il fallait au conte fantastique une ambiance brumeuse, froide, surnaturelle. Les revenants hantent les châteaux moyenâgeux de préférence aux palais arabes. Ils aiment les ténèbres sans étoiles mieux que les soirées parfumées de l'Andalousie. Ils se montrent
les nuits d'orage et, pour les Français, il ne pleut pratiquement jamais
en Espagne. Les âmes qu'ils se plaisent à terroriser sont celles qui
connaissent l'angoisse, la wellschmerlz ; un Espagnol n'a pas facilement peur : devant un spectre, il tirerait plutôt l'épée ou, comme Don
Juan, lui donnerait tranquillement la main.
Il est significatif que, quand un conte fantastique se situe en Espagne, c'est en général en Catalogne, province considérée comme la
moins typiquement espagnole. C'est le cas d'Inès de las Sierras de
Nodier (1837). Remarquons aussi que dans ce conte des personnages
français rende l'histoire moins strictement espagnole.
Bien entendu, personne ne saurait prétendre que le roman [39]
d'aventures, le roman historique, le roman noir et le conte fantastique
aient été des genres entièrement distincts. Il est souvent difficile de
décider auquel de ces genres appartient une œuvre donnée, puisqu'elle
peut présenter des caractéristiques de plusieurs d'entre eux.
Ce qui nous importe, c'est de retenir que les romanciers français
avaient tendance à placer leurs intrigues mouvementées dans un cadre
pittoresque, et mettaient en scène des personnages fortement individualisés. Dans cette optique, l'Espagne leur fournissait souvent cadre
et personnages. Ils savaient, en outre, que les lecteurs, curieux des
choses de la Péninsule, seraient attirés par des œuvres qui la leur pré61
Le Conte fantastique dans le romantisme français, Paris, 1908.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
53
senteraient. Nous avons là une influence réciproque : la mode de l'Espagne rend ce pays populaire comme sujet de littérature et la littérature, à son tour, met l'Espagne à la mode.
Le théâtre. Présence de l'Espagne sur la scène
De même que les romanciers, les dramaturges ont montré, pendant
la première moitié du XIXe siècle, une prédilection marquée pour les
sujets espagnols. Sans prétendre donner des statistiques complètes,
remarquons qu'il n'y a guère eu de saison théâtrale entre 1800 et 1850
qui n'ait comporté au moins une pièce dans laquelle l'Espagne fût portée à la scène. Nous avons vu qu'il y en eut seize au moins entre août
1823 et janvier 1824 62. Pour la décade 1830-1840, on en trouve une
cinquantaine, dont douze pour la seule année 1836. Cette abondance
s'explique : le théâtre, au XIXe siècle, subissait la même évolution que
le roman ; les pièces historiques alternaient avec les mélodrames, les
vaudevilles avec les à-propos, pour satisfaire un public qui réclamait
une action mouvementée, des personnages fortement caractérisés.
Dans l'imagination française, l'Espagne était le pays par excellence
des coups de théâtre et des personnages-types. La plupart de ces pièces sont tombées dans un oubli justifié. Mais, pour nous, la quantité
est plus significative que la qualité : le propre du théâtre est de frapper
l'imagination à travers la vue et l'ouïe. Pour le spectateur qui n'avait
pas été en Espagne et qui ne lisait pas de romans, l'image qu'il se faisait de l'Espagne lui était fournie par les fabricants de pièces de théâtre.
Les sources de ces œuvres de théâtre sont variées. Comme [40]
pour le roman, l'histoire fut largement mise à contribution. La vie du
roi Pierre le Cruel inspire une saynète à Paul Foucher 63 et des tragédies à Antoine Arnault 64 et à François Ancelot 65. De même, les évé62
63
64
65
Voir ci-dessus, p. 23.
Un trait de la vie de don Pèdre le Justicier, Revue des Deux Mondes, 1831,
III, pp. 443-476.
Don Pèdre ou Le Roi et le laboureur, Oeuvres, 8 vol., Paris, 1824-1827, II,
pp. 134-245 (Ire éd., Paris, 1802).
Maria Padilla, Paris, 1838.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
54
nements qui avaient mis Français et Espagnols aux prises fournissent
un nombre considérable de sujets. L'évasion d'un prisonnier français
qui réussit à s'échapper des pontons de Cadix, grâce à la complicité
d'une belle Espagnole, en est un exemple, traité par François Ancelot 66. Les romans eux-mêmes sont adaptés pour la scène : ainsi,
Saint-Amand et Dulong font jouer, en 1830, Péblo [sic] ou Le Jardinier de Valence, mélodrame à grand spectacle tiré du roman de Mortonval, publié cinq ans auparavant, Le Comte de Villa-Mayor. Sur un
simple jeu de mots, d'un goût douteux d'ailleurs, Thomas Sauvage
échafaude, en 1849, Le Toréador ou L'Accord parfait, mésaventure
d'un toréador qui, grâce à sa femme, se trouve porter des cornes.
Les romans et les pièces espagnols sont des sources précieuses. Le
Quichotte, en particulier, a été abondamment pillé : en 1811, Nicolas
Brazier donne La Famille de Don Quichotte et Cuvelier de Trie Don
Quichotte et Sancho Pança. Cinq ans plus tard, Cuvelier de Trie et
Franconi font jouer Sancho dans l'île de Barataria. En 1825, Sauvage
et Dupin écrivent Les Noces de Gamache. Les mêmes auteurs donnent, en 1836, Don Quichotte aux noces de Gamache. En 1843, enfin,
Anicet-Bourgeois produit Don Quichotte el Sancho Pança.
Le genre picaresque fournit une abondance de sujets : Cuvelier de
Trie s'en est inspiré, en 1806, en écrivant Dago ou Les Mendians
d'Espagne et Dupaty, en 1808, dans Picaros et Diégo. En 1816, Dupin
et Scribe donnent Gusman d'Alfarache et Mélesville L'Aventurier espagnol, en 1820. Sauvage et Lurieu collaborent pour produire Gil Blas
de Santillane et Lazarille de Tormes, pièces qui se jouèrent en 1836.
L'année suivante, on pouvait voir, à l'Opéra-Comique, l'œuvre
d'Alexandre Dumas père, Piquillo, pour laquelle Monpou écrivit la
musique 67. Anicet-Bourgeois et Michel Masson tirent Piquillo Alliaga ou Trois Châteaux en Espagne, en 1849, du roman de Scribe qui
porte le même nom (1846).
[41]
66
67
Les Pontons de Cadix, Paris, 1837.
C'est ce même Monpou qui mit en musique la célèbre poésie de Musset,
L'Andalouse. Cette romance connut un succès extraordinaire.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
55
Pendant cette même période, le répertoire du théâtre espagnol est
adapté en français par Hippolyte Lucas 68. Grâce au passage de quelque troupe espagnole à Paris, on pouvait aussi aller écouter ces pièces
dans l'original 69.
L'Espagne mauresque fut souvent transposée sur la scène avec succès sinon avec bonheur. Citons, en particulier, Les Maures d'Espagne
ou Le Pouvoir de l'enfance, écrit en 1804 par Guilbert de Pixérécourt.
En 1812, Mme Barthélémy-Hadot donne L'Amazone de Grenade et,
l'année suivante, Étienne de Jouy fait jouer Les Abencérages ou
L'Élendard de Grenade. Nous avons déjà rencontré l'A ben Humeya
de Martinez de La Rosa en 1830 70. En 1832, Mlle d'Albénas tire
Boabdil ou Les Abencérages du Gonzalve de Cordoue. Dans la préface de cette pièce, l'auteur déclare modestement que son ouvrage est
« entièrement dépourvu de mérite ». Cette appréciation pourrait s'appliquer à la plupart des pièces de ce genre. Cela n'empêcha cependant
pas Louise Collet de faire représenter L'Abencérage sur le théâtre du
comte de Castellane, en 1837.
On voudra bien excuser cette longue et sèche énumération, destinée simplement à montrer la grande vogue de l'Espagne en France
entre 1800 et 1850. Si les exemples de cette vogue qu'offrent le roman
et le théâtre abondent, il serait surprenant qu'il n'en soit pas de même
pour la poésie, l'essai ou le récit de voyage. Pour la poésie, pensons à
cette Espagne qui a hanté Victor Hugo, qui a inspiré La Dolorida à
Vigny en 1823, où Musset est allé chercher son « Andalouse au sein
bruni », d'où Gautier a rapporté son Espana. Si les maîtres ont chanté
l'Espagne, les poètes moins grands n'y ont pas manqué non plus. Il
serait difficile de trouver une seule œuvre poétique dans laquelle l'auteur ne se soit pas laissé séduire à un moment donné par la Péninsule.
68
69
70
Théâtre espagnol, Paris, 1851. Ce recueil contient les pièces suivantes,
adaptées plus ou moins librement de l'original : L'Hameçon de Phénice,
1843 ; Le Médecin de son honneur, 1844 ; Le Tisserand de Ségovie, 1845 ;
Diable ou lemme, 1846 ; Le Collier du roi, 1848 ; Rachel ou la belle Juive,
1849 ; La Jeunesse du Cid, s. d.
Le Monde dramatique (1838, VII, pp. 82-85) signale le passage d'une troupe
espagnole au Palais-Boyal, où elle a donné plusieurs représentations. La critique du Monde dramatique, à charge d'Augustin Chevalier, est d'ailleurs
très sévère.
Voir ci-dessus, p. 29.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
56
Quant à l'essai ou au récit de voyage, Farinelli en a noté plus de deux
cents pour la première moitié du siècle. Nous aurons à y revenir.
[42]
Persistance de la vision traditionnelle
de l'Espagne
On a trop facilement tendance à croire que la mode de l'Espagne
est due entièrement aux romantiques. Bien avant la bataille d'Hernani,
nous l'avons vu, l'Espagne était présente dans l'imagination française.
Devait-on, en effet, s'attendre à ce que la Révolution bouleverse d'un
jour à l'autre les modes littéraires, à ce que l'Empire rende tout à coup
insipides des genres qui avaient plu tellement et pendant si longtemps ? Il n'en fut rien ; Thibaudet le signale :
La république des lettres devient une démocratie des lettres : le
peuple chante, le peuple lit, le peuple écoute. Et cela aurait pu
donner des résultats. Malheureusement, les habitudes séculaires
de la littérature française étaient prises, la transition manqua, et,
si le romantisme allait plus tard en bénéficier, le résultat, pendant la période révolutionnaire fut nul 71.
L'image de l'Espagne a pu changer à la suite des événements politiques, mais la façon de l'exprimer restait à peu près la même. Nous
avons vu le genre hispano-mauresque continuer à plaire, le picaresque
garder sa faveur auprès du public. Tout au long du XIXe siècle, nous
verrons se perpétuer chez les écrivains des notions acquises par leurs
pères. L'image de l'Espagne dans la littérature française n'évolue que
d'une façon lente, presque insensible.
71
Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours, Paris, 1936, p. 13.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
57
Diversité des images de l'Espagne
Certes, il y a eu des novateurs, surtout parmi les romantiques, mais
bien de l'eau coulera sous les ponts avant que l'image d'une Espagne
héroïque ne se généralise. Les notions les plus discordantes se heurtaient dans la fantaisie française. Les « Jeunes France » poussaient
jusqu'à la frénésie leur admiration de tout ce qui était espagnol. De
leur côté, les écrivains qui résistaient à la poussée romantique perpétuaient une conception bien moins poétique de ce pays. Et entre ces
deux extrêmes, entre ceux qui idéalisaient et ceux qui dénigraient, il
ne manquait pas d'esprits modérés pour offrir un tableau plus impartial, plus nuancé, en admirant sans extravagance tout en critiquant
sans calomnie. [43] Il est cependant possible de remarquer une évolution : au début du siècle, on l'a vu, l'Espagne réelle était peu connue.
Dans l'avant-propos à l'édition de 1797 de son Tableau de l'Espagne,
Jean-François Bourgoing précise :
D'après les préjugés dont l'Espagne est encore l'objet pour le
reste de l'Europe, on croirait qu'on n'a sur elle que ces notions
embellies ou défigurées que les romans fournissent, ou que ces
notions surannées que l'on puise dans les mémoires d'un temps
reculé ; on la supposerait plutôt à l'extrémité de l'Asie qu'à celle
de l'Europe 72.
Cette Espagne réelle, les Français l'imaginent avec mépris, parfois
avec horreur. Par contre, ils avaient élaboré une Espagne fantaisiste
peuplée de Maures galants et de chevaliers parfaits. Au cours du siècle, si l'Espagne fantaisiste va persister dans les esprits, l'attitude envers l'Espagne réelle va évoluer jusqu'à devenir franchement favorable.
72
4e éd., Paris, an XI, 1803, p. v.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
58
L'Espagne réelle et le théâtre des boulevards
Au début du siècle, l'Espagne réelle était représentée comme un
pays de fripons ou de fantoches. C'est le cas pour le Gusman d'Alfarache, comédie-vaudeville en deux actes de Dupin et Scribe (1816).
Gusman, étudiant famélique, arrive à Tolède avec son valet Pédrille. Il
se fait passer pour un grand seigneur, afin de tromper son oncle Bertrand, aubergiste aussi avare que stupide, et épouser sa cousine Rosine. Dans La Saint-Louis à Madrid 73, de Martin et Auguste, apparaît
l'alcade Jobinos, caricature de la gravité espagnole. L'année suivante,
Vilain de Saint-Hilaire fait jouer Tringolini ou Le Double enlèvement,
pièce en trois actes et à grand spectacle dont l'intrigue est extrêmement compliquée, mais où l'on retrouve tous les personnages ridicules
traditionnels : Héléna, la duègne, Ybanès, le riche négociant qui marie
sa fille, Ferdinand, le noble bêta qui en l'occurrence est bègue, l'Alcade, peureux et vénal, Prospero, le gracioso, etc. Il faut avouer, d'ailleurs, que cette pantalonnade sans prétentions ne manque pas d'entrain. C'est un bon exemple de ce comique de loufoquerie dans lequel
excellaient parfois les producteurs de vaudevilles. Ils copient souvent
Beaumarchais et certains l'annoncent dans le titre même de leurs ouvrages. En 1827, Dartois de Bournonville [44] donne Figaro ou Le
Jour des noces. En 1831, Léon Halévy fait Beaumarchais à Madrid.
Burat de Gurgy fait jouer, en 1835, Le Fils de Figaro. Trois ans plus
tard, Joseph-Bernard Rosier donne La Mort de Figaro et, en 1843,
Mélesville exploite encore ce thème avec La Fille de Figaro.
Nous voyons donc que jusqu'à la moitié du siècle les Français ont
pu voir, surtout sur les planches, une Espagne ridicule, pays de balourds où seule l'astuce du gracioso permet d'arriver à quelque chose.
Si nous insistons sur le théâtre en examinant cette image péjorative,
c'est que le vaudeville est le divertissement du peuple, et rien ne fait
rire comme le ridicule. Il est donc normal que les vaudevillistes aient
exploité ad nauseam une Espagne que l'on était habitué à trouver risible.
73
Voir ci-dessous, appendice I.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
59
Réaction contre cette image péjorative
Si au début du siècle, sous l'Empire, et jusqu'à l'intervention française de 1823 c'est presque uniquement d'une façon ridicule que l'Espagne réelle est représentée, des éléments nouveaux viendront bientôt
contrecarrer cette attitude. Le dénigrement systématique de la Péninsule par les censures de l'Empire et de la Restauration ne pouvait se
prolonger indéfiniment. Une réaction était inévitable, et V. L. Leather
a raison de signaler dans son excellent ouvrage sur L'Espagne et l'œuvre de Balzac que :
Ceux qui s'étaient battus en Estrémadure et à Vittoria, les pères
des morts de Tarragone, les hôtes des prisonniers espagnols en
France, les partisans et les adversaires de l'intervention de 1823,
les admirateurs des exilés politiques de 1830, les porteurs de
bons espagnols s'enrageant contre les Cortès, les ministres harcelés par les importunités de la reine-mère Christine, les jeunes
écrivains romantiques à la recherche de la couleur locale, presque tout le monde en France s'intéressait, de gré ou de force, à
l'Espagne entre 1800 et 1830. Cet intérêt s'est largement reflété
dans la littérature de cette période 74.
Nous avons montré que les théâtres de boulevard n'ont jamais cessé de diffuser une conception peu flatteuse de l'Espagne. Mais des
œuvres de plus en plus nombreuses viennent offrir une image moins
péjorative. Ainsi, le 24 novembre 1821, Caigniez et Villiers font jouer
au Panorama dramatique Rosalba d'Arandès, pièce remplie de duels,
de tentatives de viol, de vengeances cruelles [45] mais qui présente au
moins une Espagne rude et non plus bouffonne. De même, les pièces
historiques rappellent les héroïques ancêtres des guerilleros. Dans
Philippe II, tragédie écrite par Jean-B. Daumier, don Carlos, frère de
Philippe II, lui raconte sa victoire sur les Maures :
74
Paris, 1931, p. 7.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
60
Du sang des Africains la Segura grossie
Coule avec plus d'orgueil dans les champs de Murcie
Et l'onde du grand fleuve aux rives de Cadis
De ces noirs bataillons roule encore les débris 75 !
Le récit de Rodrigue dans Le Cid a certes une autre envergure.
Mais remarquons l'emploi des noms de lieux, de ces beaux noms espagnols qui, même noyé dans des vers insipides, faisaient rêver les
Parisiens. Personne n'échappait à leur charme. Déjà Mme de Staël
avait écrit :
Les noms retentissants de l'espagnol, ces noms qui ne peuvent
être prononcés sans que déjà l'imagination croie voir les orangers du royaume de Grenade et les palais des rois maures 76...
Le marquis de Custine s'exclame :
L'Andalousie !... On voyage pour des noms autant que pour des
choses !... Ce seul mot d'Andalousie m'aurait fait courir encore
plus loin qu'Andujar ; même à présent que je vois les lieux qu'il
désigne, je ne puis écrire ce nom sans un battement de cœur 77.
Et selon Théophile Gautier, même les gens plus modestes se laissaient hypnotiser par ces belles syllabes :
Grenade, dont le nom seul fait éclater en formules admiratives
et danser sur un pied le bourgeois le plus épais, le plus électeur
et le plus caporal de la garde civique 78.
75
76
77
78
Paris, 1823 (?), acte I, scène V.
De l'Allemagne, Londres, 1813, II, p. XXXI.
L'Espagne sous Ferdinand VII, 4 vol., Bruxelles, 1838, II, p. 27 (Ire éd.,
Paris, 1838).
Voyage en Espagne, Paris, Charpentier, 1914, p. 179 (Ire éd., Tra los montes, Paris, 1843).
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
61
Même dans certains vaudevilles, les personnages espagnols ne sont
pas de simples fantoches. Paul de Kock écrit en 1836 Une maîtresse
dans l'Andalousie, comédie-vaudeville en un acte. Frédéric, un Français, est l'amant de Marquitta. Il veut l'abandonner et rentrer en France. Elle décide alors de le faire tuer par [46] Ornegro, paysan andalou
qui lui est tout dévoué. Mais au dernier moment, Frédéric devine ce
projet et, touché par la violence de l'amour que lui porte Marquitta, il
décide de l'emmener en France avec lui. Cette Andalouse que la jalousie pousse au crime était peut-être inquiétante ; au moins n'était-elle
pas ridicule. En 1838, Théodore Muret fait jouer Juana ou Deux dévouements, drame en un acte mêlé de chants. Esteban est le mari de
Juana et l'ami de Mariano, un guerillero. Mariano, qui a sauvé la vie
de Esteban, aime Juana. Esteban découvre cet amour, mais il cache
Mariano quand même lorsque les soldats viennent le chercher. Le
guerillero renonce à son amour et part se battre pour sa cause. Nous
voyons donc une fois de plus que les théâtres ne montraient pas seulement des Espagnols ridicules.
L'Espagne dans le théâtre sérieux.
Pour en finir avec le théâtre, faisons remarquer que les auteurs de
tragédies à la mode post-classique n'ont pas dédaigné d'aller chercher
des sujets en Espagne. Bien entendu, c'était là une Espagne de rêve ;
mais comme en même temps les pièces historiques avaient beaucoup
de succès, il est probable que le grand public ne faisait pas une distinction bien nette entre l'Espagne des « classiques » et celle des « romantiques ». On admirait l'Espagne sérieuse du théâtre sérieux et on
était amusé par l'Espagne burlesque des vaudevilles, sans trop se soucier de la chronologie, sans trop contester la vraisemblance de ces
deux Espagnes différentes. Il est curieux de remarquer que Népomucène Lemercier avait choisi deux Espagnols pour héros de ses tragédies : Pinto en 1800 et Christophe Colomb en 1809 79 ; puis que Pierre
Lebrun, dans la première tragédie où l'on sente percer le romantisme,
79
Bien entendu, Christophe Colomb n'est pas vraiment Espagnol. Mais Lemercier ne le caractérise que comme chef d'une expédition espagnole.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
62
a mis sur scène Le Cid d'Andalousie en 1825 80 ; enfin, que la bataille
romantique s'est livrée autour d'un autre Espagnol, Hernani (1830).
L'évolution du héros tragique est très nette : chez Lemercier, il est Espagnol presque par hasard. Pinto aurait tout aussi bien pu être un
conspirateur anglais ou romain, Colomb un navigateur grec. Chez Lebrun déjà, nous apercevons des particularités nationales ; le personnage n'est-il pas pris dans les vieilles chroniques espagnoles ? Et ces particularités auront tellement d'importance dans Hernani qu'elles risqueront parfois de [47] submerger le héros. Remarquons, en résumé, que
les adversaires des romantiques n'hésitaient pas, eux non plus, à mettre l'Espagne sur scène. Espagne bien froide, certes, - toutes ces pièces
classiques auraient pu émigrer en Mésopotamie avec Sanche d'Aragon-Ninus II 81 - mais Espagne quand même. Dans les provinces, cette Espagne-là sera évoquée sur scène bien après sa disparition des
théâtres parisiens. Nous retrouvons une tragédie en cinq actes et en
vers alexandrins, publiée à Avignon et datée de 1850 : il s'agit du Fernand Cortez de Paul Barbe. Si l'on nous permet un exécrable calembour, le nom de l'auteur qualifie bien sa pièce.
L'Espagne romantique, mi-féerique, mi-réelle
Est-ce à dire que les romantiques ont su présenter au public français une Espagne plus véridique ? Non pas. Plus caractérisée, pourtant, par l'introduction de la couleur locale. Il se produit en fait un
phénomène assez curieux. Au début du siècle, on distinguait l'Espagne
réelle de l'Espagne conventionnelle. Les romantiques empruntent des
éléments à l'une et à l'autre. Ils en élaborent une image à leur goût,
dans laquelle l'héroïque côtoie le burlesque, l'extravagance se mêle au
réalisme. Le résultat fut que le réalisme (le vraisemblable, si l'on veut)
fit accepter l'imaginaire. Les lecteurs, les spectateurs, crurent voir la
réalité. Un exemple : au XVIIIe siècle, il était bien entendu que le
monde hispano-mauresque était une élégante fiction littéraire. On ne
concevait pas que les personnages raffinés de ces romans puissent
80
81
Voir Paul BONNEPOU, Pierre Lebrun et Le Cid d'Andalousie, Revue historique et littéraire de la France, 8, n° 20, 1913, pp. 546-584.
Voir ci-dessus, p. 17.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
63
évoluer dans le monde réel mais bien plutôt dans un monde féerique,
placé hors des contingences de la réalité. Or, constatons la transformation profonde qui s'est produite, quand Chateaubriand écrit Le Dernier
Abencérage :
Le due de Santa-Fé reçut l'Abencérage avec la politesse grave
et pourtant naïve des Espagnols. On ne remarque chez cette nation aucun de ces airs serviles, aucun de ces tours de phrase qui
annoncent l'abjection des pensées et la dégradation de l'âme. La
langue du grand seigneur et du paysan est la même ; les compliments, les habitudes, les usages sont les mêmes. Autant la
confiance et la générosité de ce peuple envers les étrangers sont
sans bornes, autant sa vengeance est terrible quand on le trahit.
D'un courage héroïque, d'une patience à toute épreuve, incapable de céder à la mauvaise fortune, il faut qu'il la dompte ou
qu'il en soit écrasé... [48] Un Espagnol qui passe le jour sans
parler, qui n'a rien vu, qui ne se soucie de rien voir, qui n'a rien
lu, rien étudié, rien comparé, trouvera dans la grandeur de ses
résolutions les ressources nécessaires au moment de l'adversité 82.
Nous ne sommes plus là dans un univers conventionnel, dans un
monde quasi-mythologique. Chateaubriand nous parle des Espagnols
en chair et en os, que chacun peut aller voir s'il fait un voyage dans la
Péninsule. Les qualités mythiques sont donc des qualités réelles. Le
rêve est devenu réalité.
L'évolution que la littérature a fait subir à l'image de l'Espagne au
cours du XIXe siècle consiste donc surtout en une concrétisation. Les
Français avaient accordé aux Espagnols du temps passé, aux Maures,
aux chevaliers, aux conquistadors, aux grands capitaines, à Don Juan,
au Cid, des qualités admirables. Mais ils étaient persuadés que l'époque de ces héros était révolue. Perdus dans les brumes du temps, ces
indomptables avaient rejoint les Grecs et les Romains dans un passé
mythologique. L'époque romantique, par contre, verra les guérilleros,
les liberalès, les toréadors comme des descendants directs de ceux
82
Éd. Paul Hazard, Paris, 1926, p. 17 (Ire éd., Paris, 1827).
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
64
qu'elle admirait. De par sa nationalité, l'Espagnol participe à la gloire
de ses ancêtres. Il perpétue la vie héroïque et colorée qui est celle de
la Péninsule. La couleur locale n'est pas un vain mot ; les Français traverseront les Pyrénées sûrs de retrouver en Espagne cet éclat dont
l'Histoire les avait éblouis.
La dette des Romantiques envers l'Espagne
L'œuvre des critiques
Nous avons voulu montrer quelle action le théâtre et le roman
exercèrent sur la formation de l'image de l'Espagne. Pour le grand public, le feuilleton ou le vaudeville suggéraient les formes qu'allait
prendre le rêve. Le rôle des hommes de lettres étant de fournir ces
stimulants, il est essentiel de signaler les sources qui les ont inspirés.
Bien entendu, chacun d'eux voyait l'Espagne selon ses préférences,
s'en construisait en quelque sorte une image personnelle. MorelFatio 83, Martinenche 84 et Jourda 85 ont étudié les relations de l'école
romantique avec l'Espagne. De [49] même, l'emprise de la Péninsule
sur telle ou telle personnalité a fait l'objet d'ouvrages sérieux dont le
plus remarquable nous semble être celui que V. L. Leathers a consacré
à Balzac, complétant ainsi le travail commencé par Baldensperger.
Boudout a publié un article sur Quinet et l'Espagne. Jules Deschamps
et Robert Vigneron en ont fait de même pour Stendhal. Lanson a étudié la couleur locale chez Deschamps. Frédéric Ségu a consacré un
livre à Latouche, John Sellards à Charles Didier, et Jules Claretie à
Pétrus Borel. Quant à Théophile Gautier, l'avant-propos à l'édition
Jasinski d'España, nous donne des renseignements très complets. Le
sujet est épuisé en ce qui concerne Hugo, Vigny et Musset grâce à de
nombreuses études sur leurs vies et leurs œuvres.
Nous ne nous proposons certes pas de résumer ces ouvrages. Il ne
nous semble cependant pas inutile de rappeler combien l'œuvre de certains critiques a agi sur les écrivains et, par « carambolage », sur le
public français tout entier.
83
84
85
Voir ci-dessus, note, p. 36.
Idem.
L'Exotisme dans la littérature française. Le Romantisme, Paris, 1938.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
65
Pendant le premier quart du XIXe siècle, trois études en particulier
eurent un retentissement considérable. L'Histoire de la littérature espagnole de Bouterwek fut traduite de l'allemand en 1812. L'année suivante paraissait De la littérature du Midi de l'Europe, du Suisse Simonde de Sismondi. En 1814 enfin, Mme de Staël traduisait le Cours
de littérature dramatique de Schlegel. Nos hommes de lettres trouveront dans ces trois volumes une nouvelle conception de la littérature,
et surtout une interprétation « romantique » du génie espagnol. Martinenche a bien montré que ces trois auteurs ont parfois donné des interprétations fantaisistes à la littérature espagnole. Entraînés par leur
enthousiasme, ils ont même postulé des définitions erronées. Ainsi
Bonterwek fait remonter le Romancero à la plus haute antiquité et y
trouve l'empreinte de la poésie arabe. Or, aucun des romances ne remonte plus haut que le XVe siècle. Quoi qu'il en soit, les romantiques
français ne se sont pas souciés des réserves et même des critiques que
l'on trouve dans ces livres. Ils ont, par contre, accepté d'emblée certaines idées, et n'ont pas manqué de les illustrer et de les propager dans
leurs écrits. Ils ont admiré dans la littérature espagnole les romances,
qu'ils n'hésitent pas à surcharger de couleur orientale dans les traductions qu'ils en donnent. Ils ont été éblouis par la passion telle qu'elle
apparaît dans le théâtre espagnol. Voilà bien une littérature où l'amour
est ce qu'il doit être : « Une force aveugle qui va. » Le mélange [50]
de dévotion et d'exaltation, de grossièreté et d'extravagance qui est
propre au théâtre espagnol leur semble une juste représentation de la
nature. Hugo et Deschamps s'empresseront de surenchérir sur l'affirmation de Bouterwek « la poésie espagnole est plus réellement nationale que ne l'est toute autre branche de la poésie moderne en Europe ». Ce même caractère foncièrement national, ils le retrouvent avec
Schlegel, surtout dans le théâtre de Calderon 86. Enfin, ils ont remarqué avec Sismondi « le langage fleuri et l'imagination fantastique de
l'Orient » dans la littérature espagnole. Martinenche conclut avec raison que :
86
Toujours selon Martinenche : « Schlegel n'est pas cependant le fondateur du
culte de Calderon. Il l'a emprunté à un Français, à ce Linguet dont les traductions du Théâtre espagnol avaient été mises en allemand » (op. cit., p.
46). C'est d'ailleurs dans son Théâtre espagnol (4 vol., Paris, 1770), que
Linguet hispanise le nom de Lope en « Lopes ».
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
66
Nos romantiques se laisseront égarer par ces enseignements.
C'est dans les œuvres où se marque la décadence qu'ils chercheront l'expression suprême du théâtre espagnol. Dans la romance
détachée du cantar, ils admireront le lyrisme primitif qui a précédé l'épopée comme l'hymne homérique en Grèce. Ils prendront pour des chansons populaires du moyen âge l'œuvre d'artistes érudits de l'âge d'or. Faut-il le leur reprocher avec amertume ? Mais pouvaient-ils avoir sur l'Espagne d'autres idées 87...
Les erreurs des romantiques sont d'autant plus excusables qu'elles
ont souvent été partagées par leurs contemporains espagnols. En particulier :
La revalorizaciόn critica del teatro español la inicia un come rciante alemàn residente en Cádiz, aficionado a la literatura, Nicolas Böhl de Faber, que en 1814 traduce al castellano y comenta las Reflexiones de Schlegel sobre el teatro, punto de partida de Io que se ha Ilamado la « querella calderoniana » 88...
87
88
Op. cit., p. 53.
Angel DEL Rio, Historia de la literatura espanola, 2 vol., New York, 1948,
II, p. 53.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
67
[51]
ROMANTIQUE ESPAGNE.
L’image de l’Espagne en France entre 1800 et 1850.
PREMIÈRE PARTIE
Chapitre IV
L'ESPAGNE DANS
LA VIE QUOTIDIENNE
Retour à la table des matières
Dans le chapitre précédent, nous avons essayé de voir comment la
littérature contribua à changer l'image de l'Espagne en France. Nous
avons constaté l'existence d'une mode littéraire. Il nous reste à examiner de quelle façon la mode de l'Espagne s'est manifestée dans la vie
courante.
Les voyages
Remarquons tout d'abord la mode du voyage en Espagne. Le XIXe
siècle ne connaissait pas ces véritables migrations bisannuelles organisées de nos jours par les entreprises de tourisme. Cependant, les
Français commencent à voyager pour leur plaisir. Les premiers touristes véritables apparaissent après 1823. Avant cette date, seuls vont en
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
68
Espagne les soldats, quelques réfugiés bonapartistes et ceux qui voyagent pour affaires. Bornons-nous à signaler le pourcentage important
d'hommes de lettres qui ont fait le pèlerinage Ira los montes.
Chateaubriand avait, accompagné par Mme de Noailles, traversé
l'Espagne en coup de vent. Nodier visite la Péninsule en 1827 ; George Sand, en 1838 ; Théophile Gautier, en 1840 ; les deux Dumas, en
1846. Stendhal a passé quelques jours en Espagne, mais on n'est pas
certain de l'année 89. Après avoir habité Madrid quelques mois pendant son enfance, en 1811, Victor Hugo ne fera guère qu'une courte
excursion en pays Basque et en Navarre, lors de son voyage dans les
Pyrénées (1843) 90.
[52]
Musset a écrit les Contes d'Espagne el d'Italie sans avoir jamais été
en Espagne. Vigny allait faire partie des cent mille fils de saint Louis
mais dut rester avec son régiment, qui tint garnison dans le Midi pendant toute la durée de la campagne. Quant à Balzac :
Il n'est pas non plus allé en Espagne pour s'inspirer sur place
comme le faisaient tant de romantiques, comme il le faisait très
souvent lui-même avant d'écrire ses romans 91.
Le jeune Flaubert a fait en 1845 une courte promenade de l'autre
côté de la Bidassoa : il en est resté ébloui, et note sur ses cahiers :
J'ai été hier en Espagne, j'ai vu l'Espagne, j'en suis fier et j'en
suis heureux, je voudrais y vivre... Ah ! c'est un beau pays que
89
90
91
Il semble à présent sûr que ce fut en 1821. Jules DESCHAMPS a étudié la
question dans son article Stendhal et l'Espagne, Bulletin hispanique, 126,
XXVII, pp. 22-35, et Robert VIGNERON semble avoir trouvé la solution de
ce problème (voir Stendhal en Espagne, Modern Philology, 1934, XXXII,
pp. 55-66).
Sur cet épisode de la vie de Hugo, voir Gilberte GUILLAUMlE-REICHER,
Le Voyage de Victor Hugo, Paris, 1936.
Victor L. LEATHERS, L'Espagne et les Espagnols dans l'œuvre de Honoré
de Balzac, Paris, 1931, p. 10.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
69
l'Espagne ! On l'aime en mettant le pied sur son seuil et on lui
tourne le dos avec tristesse 92.
Mérimée, qui y a été en 1830, puis en 1845, est le seul grand romantique qui connût l'Espagne à fond. Les autres ont dû se contenter
d'y faire un rapide voyage de tourisme, ou de lire les récits de ceux qui
l'avaient fait : tout écrivain retour d'Espagne considérait comme un
devoir de publier ses impressions. Il faut dès à présent signaler que,
malgré des critiques de détail, les romantiques revenaient enthousiasmés. Même les hommes de lettres les plus conservateurs, les moins
vulnérables aux extases romantiques ne pouvaient s'empêcher de ressentir une certaine exaltation au contact de la Péninsule. C'est en particulier le cas du marquis de Custine 93. Il y avait aussi, certes, des
voyageurs qui rentraient déçus et écrivaient leurs aventures sur un ton
de sarcastique supériorité, comme le fit par exemple Charles Didier 94.
Mais ils ne pouvaient endiguer le courant, et le Français moyen continuait à être fasciné par ce pays où l'on risque à chaque instant d'être
tué par un bandit, dévoré par les puces ou empoisonné par la cuisine à
l'huile.
En résumé, bien rares étaient les Français qui, à l'époque romantique, ne se seraient pas écriés, avec Arvers :
[53]
Séville... c'est au sein de cette autre patrie
Que je veux, mes amis, mettre ma rêverie 95.
92
93
94
95
Cité par Arturo FARINELLI, Viajes por Espana y Portugal, Madrid, 1920,
pp. 392-393.
L’Espagne sous Ferdinand VII, 4 vol., Paris, 1838.
L’Espagne en 1835, Revue des Deux Mondes, 1836, V, pp. 730-756. Voir
aussi ses Souvenirs d'Espagne, publiés sous forme d'articles dans La Revue
de Paris des années 1837 et 1838.
Mes heures perdues, Paris, 1833.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
70
Les hommes de lettres ;
leurs connaissance de la langue espagnole
Peu de romantiques pouvaient se vanter de bien connaître l'Espagne, dont la langue, le plus souvent, ne leur était guère familière non
plus. Ils arrivaient presque tous à la lire, mais étaient incapables de la
parler couramment. Gautier, dans une lettre datée de Grenade le 2
août 1840, nous apprend qu'il avait un moment pensé à perfectionner
ses maigres connaissances d'espagnol, à s'en faire presque une spécialité, « attendu que personne ne le sait à Paris, du moins dans la littérature 96 ». Gautier exagère peut-être ; mais encore une fois, il semble
bien que Mérimée ait été le seul grand écrivain de son époque à bien
connaître l'espagnol. Il avait même des notions d'argot, puisqu'il écrivait à Francisque Michel, en 1849 :
Autant que j'en puis juger par le peu de Germania que je sais,
l'argot espagnol n'a pas la gaîté du nôtre 97.
Quant à la majorité des voyageurs français, ils se faisaient comprendre, tout comme aujourd'hui leurs descendants, au moyen de
quelques mots d'espagnol, assaisonnés de mots français auxquels ils
ajoutaient des terminaisons en o ou en a. Nous voulons croire que
leurs hôtes espagnols subissaient avec résignation cette version fantaisiste du castillan.
96
97
Cité par René JASINSKI dans l'avant-propos de son édition critique d'España, Paris, 1929, p. 15.
Correspondance générale, II vol., Paris, Le Divan, 1941-1957, V, p. 494.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
71
L'invasion de mots espagnols
La mode de l'Espagne explique que les romantiques, en général, et
les « Jeunes France », en particulier, aient truffé leurs œuvres de mots
espagnols. Cette invasion de vocables ibériques fut spectaculaire, mais
ils ne se sont pas maintenus. Les Espagnols des romans jurent beaucoup, et souvent mal à propos. Leurs jurons sont tantôt transcrits en
espagnol (Caramba ! Santa Maria ! Carajo ! 98 », tantôt francisés (Santiago de Compostelle !
[54]
Vive Dieu ! Par saint Jean d'Avila !). Les jurons ne sont pas les
seuls mots espagnols que l'on trouve dans les textes. Le vocabulaire
politique en a fourni un certain nombre, que l'on n'hésite pas non plus
à franciser (guerillas, guerillero, agraviado, cristino, libéralès, negro,
exallado, doceanista, cortes ou Cortès, carlista ou carliste, facciosos,
pronunciamiento, afrancesado 99 ». Le grand chic était d'employer des
mots espagnols même lorsqu'ils avaient d'excellents équivalents en
français. Le lecteur les comprenait aisément par l'analogie du mot
français, ou en devinait le sens dans le contexte. Dans Inès de las
Sierras, Nodier emploie arriero, mozo, vino rancio. Passereau l'écolier appelle sa maîtresse Senora 100 et s'écrie : « España ! España !
España !, comme la tarentule, ta morsure rend fou 101 ! » Beaucoup de
mots espagnols qui avaient passé en français au cours des siècles précédents, mais qui n'étaient employés que rarement, sont repris et ressuscités par un usage plus fréquent ; c'est le cas de : basquine (1563),
alcalde (1581), alguazil (1581), eldorado (1640), toréador (1659),
cigarro (1723), brasero (1784), fandango (1788), picador (1788) et
bien d'autres.
98
Nous retrouvons cet horrible mot chez Pétrus BOREL, Passereau l'écolier,
Œuvres complètes, 3 vol., Paris, 1922, III, p. 281 (Ire éd., Paris, 1833).
99
Que nous retrouvons sous la forme hautement fantaisiste afranceso chez
LOÈVE-VEIMARS, Dona Concha [sic], Revue de Paris, 1830, XIe p. 6.
Mais peut-être s'agit-il simplement d'une coquille.
100 BOREL, op. cit., p. 266.
101 Idem, p. 275.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
72
En fait, il y a peu de mots espagnols qui soient entrés définitivement dans la langue française pendant la première moitié du XIXe siècle. Nous n'avons pu en trouver qu'une vingtaine 102. Trois de ces
mots viennent d'ailleurs de l'Amérique latine : lasso (1829), pampa
(1842) et gaucho (1846). La danse nous a fourni boléro (1804) et,
probablement, cachucha 103. Une autre source a été indiquée par
Darmesteter :
Les cigares de La Havane jouissent, auprès des amateurs,
d'une réputation méritée ; ils sont connus sous leur forme espagnole : des puros, des medianitos ; la langue semi-populaire,
pour désigner les cigares d'un sou, emploie des épithètes méprisantes qu'elle [55] affuble plaisamment de finales espagnoles :
des soutados, des crapulados ou crapulos, des infectados 104.
Nous savons cependant que la première moitié du XIXe siècle nous
a légué cigarro (1811), cigaret (1834), cigarette (1838) et portecigares (1845). Grâce à la vogue des courses de taureaux, nous avons
matador (1823). Bloch et Wartburg signalent que torero est entré dans
la langue en 1907 et banderillero à la fin du XIXe siècle. Nous avons
pourtant trouvé ces deux vocables à des dates antérieures. Dans l'article que Saint-Priest écrivit en 1829 pour la Revue française, il prétend
que
102
W. Fritz SCHMIDT (Die Spanischen Elemente im Franzôsischen Wortschatz, Halle, 1914) donne une liste assez complète des mots français d'origine espagnole. - Richard RUPPERT (Die Spanischen Lehn-und Fremdwörter in der franzôsischen Schriftsprache aus Heerwesen und Politik, München, 1915) fait l'historique de ceux d'entre eux qui appartiennent au vocabulaire militaire et politique. Nous nous sommes aussi servis des dictionnaires étymologiques de Bloch et Wartburg et de ceux de Dauzat, de Gamillscheg et de Hatzfeld et Darmesteter.
103 Bien que ce mot ait été très à la mode pendant la période que nous étudions,
il nous a été impossible de déterminer à quelle date on le rencontre pour la
première fois.
104 De la création de mots nouveaux dans la langue française, Paris, 1877, p.
259.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
73
La bonne compagnie est partout sans relief. En Espagne, le
pittoresque est dans les rues : les moines, les bohémiens, les toreros, les étudiants, les manolas, les miquelets, les voleurs, telle
est la mine à exploiter 105.
Théophile Gautier emploie le mot toreros dans Tra los montes :
Montés était avec son fidèle quadrille, chose très importante
pour la sécurité de la course ; car, dans ces temps de dissensions
politiques, il arrive souvent que les toreros cristinos ne vont pas
au secours des toreros carlistes en danger, et réciproquement 106.
Et Alexandre Dumas père affirme dans De Paris à Cadix :
Si la maîtresse du torero est dans le cirque, c'est toujours
vers le point de l'arène le plus rapproché de cette maîtresse que
le taureau mourra 107.
De son côté, don Juan Martinez 108 apprend à ses lecteurs que
Les banderilleros posent leurs banderillas en croisant les
bras, au-dessus des cornes du taureau 109.
105
106
107
108
109
Études diplomatiques et littéraires, 2 vol., Paris, 1850, II, p. 365. (Publié
pour la première fois sous le titre Excursion en Espagne, Revue française,
1829.)
Voyage en Espagne, Paris, Charpentier, 1914, p. 271 (Ire éd., Tra los montes, Paris, 1843).
Œuvres complètes, 265 vol., Paris, Calmann-Lévy, 1873-1923, CXXXV, p.
101 (1re éd., 4 vol., Paris, 1847-1848).
L'attitude dont témoigne son reportage nous fait soupçonner qu'un Français
se cache derrière ce pseudonyme.
Fêtes de la Jura, Revue des Deux Mondes, 1833, IV, p. 197.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
74
[56]
Ruppert prétend que le mot guerilla a été employé pour la première fois par Armand Carrel, en 1823. Le mot était certainement connu
plus tôt, ne serait-ce que par les soldats de Napoléon. Quoi qu'il en
soit, il est amusant de remarquer que les Français font, aujourd'hui
encore, un usage incorrect de guerilla et de ses dérivés. Rappelons
que guerilla est toujours féminin et signifie : guerre de partisans ou
troupe de partisans qui fait une telle guerre. Guerillero, toujours masculin, est le terme qu'on emploie pour désigner un membre d'une guerilla. Or, si l'on se trompe sur ce point encore de nos jours, on ne s'y
trompait pas moins autrefois. Leuven et Lussan donnent, en 1831, une
pièce en un acte intitulée Le Guerillas. L'oeuvre est d'ailleurs aussi
absurde que son titre.
Ruppert signale encore qu'en 1829, Victor Hugo emploie le mot
armada (Orientales, V), faisant ainsi d'un nom propre espagnol un
nom commun français, et que Chateaubriand gallicise escampativo
(qui, comme le signale d'ailleurs Ruppert, se trouve chez Molière) en
escampative 110.
Il ne nous reste plus qu'à noter vomito negro (1808), romancero
(1833) et résille (1835) 111 pour épuiser la liste des mots espagnols qui
ont passé en français au cours des cinquante premières années du
XIXe siècle. Cette liste n'est guère longue. Mais rappelons-nous qu'il
ne s'agit, après tout, que d'une mode prônée par les bousingots. Elle fit
beaucoup de tapage, mais ses effets furent éphémères. On se lassa
bientôt d'appeler un chapeau un sombrero et de commander du vino
tinto dans les posadas. Pour mieux comprendre les effets de cette mode, comparons-la à celle qui règne aujourd'hui parmi une certaine jeunesse française. Nous doutons fort que des américanismes tels que
pin-up, snackbar et juke-box se maintiennent encore longtemps.
L'effet le plus durable de cette vogue espagnole fut sans doute de
raviver de vieux mots qui étaient tombés en désuétude. Elle fit aussi
connaître aux Français des vocables nouveaux pour désigner des
110
D'autres savants donnent à ce mot une étymologie différente. Ainsi, Dauzat,
Gamillscheg et Hatzfeld ne le reconnaissent que sous la forme escanipativos
et lui attribuent une origine provençale.
111 Cependant, dans la liste des personnages du Barbier de Séville, Beaumarchais indique que Figaro a « la tête couverte d'un résille, ou filet ».
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
75
concepts typiquement espagnols. Ainsi, Mme d'Abrantès emploie le
mot guapo avec une note explicative :
Ce nom a vieilli ; il n'exprime plus aujourd'hui que ce que
nous traduirions par faraud ; mais à cette époque, il signifiait
élégant au plus haut point ; et, comme il est aussi difficile à
bien traduire [57] que le mot dandy que nous avons fini par
franciser, j'ai de même gardé le mot de guapo 112.
Bourgoing décrit les majos et les majas
Les majos sont des espèces de petits-maîtres du bas étage ou
plutôt de bravaches dont la fanfaronnade froide et grave est
peinte dans tout leur extérieur. Leur visage à demi caché sous
un bonnet d'étoffe brune qu'on nomme montera, porte un caractère de sévérité menaçante ou d'humeur, qui semble tout braver.
... De leur côté, les majas... langage, attitude, démarche, tout en
elles respirent [sic] l'effronterie et la licence ; mais si l'on est
peu scrupuleux sur les moyens de réveiller la volupté, on peut
voir en elles les plus séduisantes prêtresses qui aient jamais
desservi les autels de Vénus. Leurs aimables agaceries portent
dans les sens un désordre dont le plus sage a bien de la peine à
se défendre, et promettent au moins le plaisir, si elles n'inspirent
pas l'amour 113.
Custine n'approuve pas, lui non plus, les mœurs de ces sortes de
personnes :
Les majos andalous, lorsqu'ils assistent à ces solennités publiques, font des dépenses folles, afin de se distinguer par l'élé-
112
113
L'Amirante de Castille, 2 vol., Paris, 1836, I, p. 14.
Tableau de l'Espagne, 3 vol., 4e éd., Paris, an XI, 1803, II, pp. 386-387.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
76
gance de leur toilette. Il y a tel habit complet qui n'a pas coûté
moins de 1500 fr. [sic] au jeune fou qui le porte 114.
Après avoir durement parlé des prostituées de Madrid, en faisant
une description inquiétante des dangers que courent leurs clients, Gustave d'Alaux explique :
Je fais exception pour les manolas, variété de vierges folles
spécialement et exclusivement madrilègne... Chez la manola, je
ne sais quelle originalité brutale et contrastée qui résulte à la
fois d'un certain port de mantille, du rythme grave et lascif de la
démarche, de l'excentricité élégante du costume, de la crudité
noire et venimeuse du regard 115...
Et, pour que ses lecteurs comprennent mieux, il cite une copla espagnole :
[58]
Ancha franga de velludo
En la terciada mantilla.
Aire recio, gesto crudo ;
Soberana pantorrilla.
Alma atroz, sal española 116...
114
115
L'Espagne sous Ferdinand VII, II, p. 178.
Madrid et les Madrilènes, Revue des Deux Mondes, 1850, V, p. 414.
116 Ibid.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
77
L'Espagne dans la mode vestimentaire ;
les bals masqués
La mode espagnole n'existe pas seulement dans la littérature et
dans la langue. On en trouve des manifestations dans le domaine vestimentaire également :
L'intérêt général se reflétait bien souvent dans les modes. ...
Certains merveilleux rejetaient sur leurs épaules d'un geste héroïque, la vaste cape qu'ils venaient d'applaudir dans Hernani.
D'autres retroussaient galamment les larges bords de leur chapeau de feutre. ... Les femmes portaient des tissus dona sol, des
plumes de chapeau tombant à la castillane. On s'efforçait
d'avoir l'air féroce, d'avoir un visage « fauve comme un cuir de
Cordoue » ou pour les dames le teint doré d'une Andalouse 117.
Cela se passait en 1831. Louis Maigron signale l'existence, en
1834, de ces mousselines « à la doña Sol 118 », ce qui prouve qu'elles
se sont maintenues pendant au moins trois ans. Déjà, aux alentours de
1820, les Parisiens affichaient leurs sympathies libérales en portant
des chapeaux baptisés « bolivars », en l'honneur du libérateur sudaméricain 119. Et l'idéal du « Jeune France » était de ressembler le plus
possible à un Espagnol :
Son chapeau gris sur l'oreille, son foulard rouge autour du
cou, sa lévite de velours noir, à boutons de métal, sa fleur à la
117
118
V. L. LEATHERS, op. cit., p. 89.
Le Romantisme et la mode, Paris, 1911, p. 36.
119 Voici ce que disent du mot « bolivar » Bloch et Wartburg : « Bolivar 1863,
tiré de Bolivar, nom du héros de l'indépendance de l'Amérique du Sud
(1783-1830), dont le nom a été donné à un chapeau à larges bords et à haute
forme, à la mode chez les libéraux, vers 1820, au moment de la grande popularité de Bolivar. »
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
78
bouche et sa marche balancée lui donnaient cet aspect, cette
tournure, cet air crâne et gracieux, qu'on appelle cancan, et que
possèdent à un point merveilleux les majos andalous 120.
L'endroit idéal pour porter le costume espagnol reste le bal masqué. Nous savons quelle faveur connut ce divertissement : [59] « Cette
année [1832], les bals déguisés sont en grande faveur », affirme Jules
Janin 121. L'influence de Gavarni fut grande ; en effet :
Le séjour de Gavarni à la frontière espagnole, pendant les
années 1826-1827, laissa sur lui une empreinte ineffaçable...
dès son retour à Paris, ses recueils de travestissements commencèrent à paraître. Tous les bals masqués de la capitale reflétèrent désormais le goût de cet artiste extraordinaire. Gavarni,
lui-même, gardait dans ses manières, dans ses habitudes, dans
sa façon de parler, dans son costume, quelque chose des Espagnols. Aux bals, Il portait invariablement le travestissement de
muletier valencien, par amour de la couleur locale, il ne fumait
jamais que la cigarette ; sa conversation était émaillée de mots
espagnols. Il avait l'air enfin d'un compatriote de Cervantes exilé 122.
Mais il n'existe pas de mode qui n'ait ses détracteurs. Dans le Muséum parisien, Huart raille sans pitié les déguisements prônés par Gavarni : en légende à un dessin qui représente un costume de mendiant
espagnol, tel que le concevait cet artiste, il écrit :
Nous ne nous plaignons pas d'avoir vu disparaître des bals
masqués le Turc, le Castillan, le Polichinelle ou l'Arlequin ;
120
121
Pétrus BOREL, op. cit., p. 272.
Les Bals, 1832. Publié dans Œuvres de jeunesse, 5 vol., Paris, 1883, V, p.
294.
122 V. L. LEATHERS, op. cit., p. 87.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
79
mais, franchement, n'aurait-il pas été possible d'imaginer quelque chose de meilleur goût que le costume ci-dessous 123 ?
Les Parisiens n'étaient cependant aucunement forcés de se déguiser
avec les guenilles qui étaient pour Gavarni le dernier cri de la couleur
locale. Le principe du bal paré est de permettre au danseur de réaliser
son rêve favori, de troquer sa personnalité pour celle d'un autre. Pour
les pauvres étudiants qui rêvaient de splendeur hispanique, il restait
toujours la possibilité de louer un uniforme de Charles Quint ou de
Don Juan :
Les bals, en se fermant, refoulaient au-dehors
Pierrots, turcs et brigands, marquises et poissardes ;
Charles Quint et Don Juan regagnaient leurs mansardes. 124
Ceux qui étaient habitués assidus des bals costumés devaient passablement choquer les bons bourgeois. Huart les critique [60] vertement. Selon lui, d'ailleurs, l'adjectif « andalou » servait à qualifier
quelque chose d'extraordinaire, de démesuré, de romantique enfin :
Un beau matin, en se réveillant sous une table après une orgie fort andalouse, le Lion s'aperçoit que, de ses trente mille
francs de rente, il lui reste un cigare à moitié brûlé 125.
Si Huart n'approuve pas la vie que mènent les Lions, il n'est guère
plus indulgent pour leurs compagnes, les Panthères :
Hélas ! les Panthères sont comme les roses, elles ne vivent
que l'espace d'un matin. Une existence passablement andalou-
123
124
Muséum parisien, Paris, 1841, p. 5.
Émile DESCHAMPS, Morte pour les amuser !, dans Œuvres complètes, 6
vol., Paris, 1872, II, p. 3.
125 Muséum parisien, p. 8.
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80
se... n'est pas un régime recommandé par les médecins pour
converser longtemps la fraîcheur 126.
Il serait injuste de donner à la présence de l'Espagne dans la mode
vestimentaire une importance démesurée. Ce n'était là qu'une coquetterie, qu'une expression presque instinctive de besoins psychologiques
profonds ; mais c'est tout de même une expression digne d'être retenue, puisqu'elle contribue à prouver que la mode de l'Espagne était
plus qu'un simple engouement dans le monde littéraire : si les belles
dames et les jeunes étudiants tenaient à se donner l'air espagnol, c'était
dans l'espoir qu'un peu du prestige dont jouissait la Péninsule rejaillirait sur eux.
Le vin d'Espagne
Remarquons en passant que l'enthousiasme romantique pour les
choses de l'Espagne se manifestait même pour son vin. Certes, les vins
espagnols étaient réputés bien avant le XIXe siècle, mais, à l'époque
que nous étudions, les gens qui se targuaient d'être à l'affût de la mode
en faisaient une grande consommation, par goût peut-être, mais souvent par désir d'être à la page. En 1824, nous trouvons ce dialogue
entre un sergent et une cantinière aux armées du duc d'Angoulême :
LE VIEUX SERGENT : Eh bien ! asseyez-vous là, la mère,
faute d'eau-de-vie de France, buvez avec nous du vin d'Espagne...
MAGUELONNE : Ça va. (Elle boit.) Ouah ! qu'est-ce que
c'est que ce vin-là ?... il est aigre comme la figure de cet hôtelier 127.
126
127
Idem, p. 25.
Jean CUVELIER DE TRIE et FRANCONI, Le Pont de Logrono, Paris,
1824, acte I, scène VIII.
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81
[61]
Mais Maguelonne n'avait pas le palais romantique. Si elle avait vécu dix ans plus tard, et si elle avait été invitée chez un ami « Jeune
France », c'eût été différent. Ce jeune romantique se serait probablement préparé à la recevoir en faisant « apporter une bouteille de vin
d'Espagne, quelques biscuits et deux verres 128 ». Un ami plus rangé
aurait pu imputer les passions dévorantes des « bousingots » à l'excès
de boisson :
Ta passion est venue au monde devant moi, au balcon de
l'Opéra, ayant pour mère une bouteille de vin d'Espagne et pour
père un bol de punch 129.
Le vin d'Espagne devient un sine qua non du rêve espagnol. Le
comble du bonheur pour les Espagnols, et donc pour un de ces Français qui faisaient tant pour leur ressembler, est de voir :
Que Madère et Xérès, sous une ombre embaumée,
Épanchent à flots d'or leur liqueur parfumée 130 !
D'ailleurs, le vin d'Espagne n'est pas sans danger. Il est bon d'en
boire pour se donner du courage, mais il ne faut pas en abuser. Dans
Les Amans de Murcie de Frédéric Soulié, Ferdinand est sur le point
d'escalader très hispaniquement la fenêtre de Stella ; mais : « De par le
diable ! ce vin de Xérès m'a monté à la tête ! », s'écrie-t-il en n'y arrivant pas 131.
128
Théophile GAUTIER, « Sous la table », dans Les Jeunes France, Œuvres
complètes, 33 vol., Charpentier, Paris, 1877-1924, XVI, p. 15 (1re éd., Paris,
1833).
129 Idem, « Celle-ci et celle-là », dans ibid., p. 182 (1re éd., Paris, 1853).
130 François ANCELOT, Maria Padilla, Paris, 1838, p. 46.
131 Paris, 1844, p. 12.
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Sans accumuler des exemples, remarquons une dernière fois que le
vin est un objet important de la mode que nous étudions. Tous les romantiques partageaient le rêve de Mérimée, tel qu'il l'expose à Sophie
Duvauchel :
Imaginez un peu le plaisir que j'aurai à boire de bon vin de
Jerez, dans le palais de Babdil 132 !
Le tabac espagnol
Un autre produit espagnol qui trouva faveur auprès des Français fut
le tabac, sous toutes ses formes. Si les hommes du [62] peuple, en général, et les grognards de Napoléon, en particulier, connaissaient la
pipe depuis longtemps, la bonne société était restée fidèle à la tabatière. Au XIXe siècle, l'habitude de la prise va se perdre, pour être remplacée par celle du cigare et de la cigarette. La comtesse Dash nous
apprend que :
Cette année-là [1832] est mémorable par l'invasion du tabac,
jusque-là honteux et caché. Il parut au grand jour ; les hommes
commencèrent à l'avouer. Quant aux femmes, il n'en était pas
encore question ; mais cela ne tarda pas 133.
Quand les fumeurs purent se livrer en public à leur vice favori,
c'est au tabac espagnol qu'alla leur préférence. Et cela non seulement
pour des raisons de mode. Il semble que le tabac venu d'Espagne ait
réellement été d'une qualité supérieure. C'est du moins ce qu'affirme
plaisamment Balzac dans sa Nouvelle théorie du déjeuner :
132
133
Correspondance générale, I, p. 74.
Mémoires des autres, 6 vol., Paris, s. d., III, p. 249.
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Il y a entre un cigare espagnol et l'infernal brûle-gueule
chargé du tabac de la régie la différence qui existe entre la Taglioni et les danseuses des Funambules 134.
Barthélémy est bien de son avis en ce qui concerne le cigare ; par
contre, il fulmine contre les habitués de la cigarette :
S'il est vrai que l'Espagne inventa le cigare,
Nous devons la bénir pour un bienfait si rare ;
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ……………………………….
Je conçois encore moins que la France consomme
Une telle denrée, et qu'il s'y trouve un homme
Pour brûler, au hasard d'en être suffoqué
Le papel espagnol à Paris fabriqué 135.
L'auteur ajoute une note explicative pour définir le papel :
Les enveloppes dont se servent les fumeurs de cigarettes
sont des feuilles de papier de lin, sans colle, formant un petit livret, dont la fabrication est très importante à Alkoy et à Madrid ; le papier collé communiquerait au tabac une odeur encore
plus désagréable. Nous avons imité fort heureusement en France cette préparation 136.
[63]
Il est évident que l'usage du papel était très fréquent. Théophile
Gautier, avec son ironie coutumière, prétend n'avoir jamais vu en Espagne un seul cahier de papel español para cigaritas [sic], car :
134
Les Parisiens comme ils sont, Genève, 1947, p. 47. (Publié pour la première
fois dans La Mode du 20 mai 1830.)
135 L'Art de fumer, Paris, 1849, pp. 33-34.
136 Idem, p. 91.
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Ces cahiers teintés de réglisse, bariolés de dessins grotesques et historiés de letrillas ou de romances bouffonnes, sont
expédiés en France aux amateurs de couleur locale 137.
Comme on pouvait s'y attendre, les amateurs de couleur locale sont
surtout des « Jeunes France ». Si Gautier n'a pas trouvé de papel, ses
héros en sont abondamment fournis :
Ferdinand... fumait nonchalamment une petite cigarette espagnole... il prit quelques brins d'un tabac blond et doré contenu
dans une boîte de laque, les entoura d'une feuille de papel qu'il
détacha de son carnet 138...
Dans le même ouvrage, l'auteur nous énumère les objets qui se
trouvent sur la table de Philadelphe, autre romantique fervent. Nous
ne serons pas étonnés d'y trouver du papel español para cigaritos,
voisinant avec une dague de Tolède, une résille de muletier et une guitare 139. Ce même papel, nous le retrouvons dans l'atelier de Jehan le
statuaire, tel que nous l'a décrit Philotée O'Neddy :
Le plafond laisse voir, dans ses angles obscurs
De poudreux mannequins, de jaunâtres squelettes,
De gothiques cimiers ; sur deux rangs de tablettes,
Serpente un clair-semé de brosses, d'oripeaux,
De papel espagnol, de médailles, de pots 140.
Mais il n'y avait pas que les frénétiques pour réclamer du papel ; le
sage Mérimée lui-même écrit à Mme de Montijo :
137
Voyage en Espagne, p. 100.
Daniel Jovard, dans Les Jeunes France, pp. 85-86.
Le Bol de punch, dans idem.
140 Feu et Flammes, Paris, 1926, p. 7 (1re éd., Paris, 1833).
138
139
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85
Il y en a une [commission] que vous voudrez bien, j'espère,
faire pour moi. C'est de m'envoyer une douzaine de librillos de
papel de Alcoy para cigarritos 141.
L'imagination française ne pouvait guère concevoir un Espagnol
qui ne fumât pas. L'imitation étant une forme d'admiration, [64] il
n'est pas étonnant que l'on ait voulu se donner un air plus péninsulaire
en adoptant cette habitude. Surtout que la cigarette prenait presque la
valeur d'un symbole quand elle était placée au coin d'une bouche espagnole :
On a souvent raconté que l'homme le plus obscur, le plus
pauvrement vêtu, allait paisiblement et sans aucune gêne allumer au cigare d'un grand d'Espagne cette poussière de tabac qui,
roulée dans une feuille de papier, fait ce qu'on nomme un cigarito 142.
Théodore Burette avait remarqué cette habitude. Il affirme, non
sans une certaine vulgarité qu'
En Espagne, pas d'aristocratie, le premier goujat venu aborde un
grand de première classe en lui disant : Du feu ? (en espagnol),
et le grand d'Espagne répond : Voilà ! (toujours en espagnol) 143.
Et combien piquant de faire la cour à une femme qui fume ! Quelle
nouvelle volupté que de partager une cigarette !
Ne répondant à mon amour que par un sourire, mais me
promettant son amitié tout entière, souvent elle abandonnait sa
141
142
Correspondance générale, IV, p. 430.
Charles DE MAZADE, Madrid et la société espagnole en 1847, Revue des
Deux Mondes, 1847, XVIII, p. 325.
143 La Physiologie du fumeur, Paris, 1840, p. 79.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
86
main à mes baisers de feu ; souvent, elle me donnait la pajita
qu'elle laissait tomber de sa bouche pour fondre en pleurs 144.
Salvandy, dans une note au bas de la page, explique qu'une pajila
est « un petit cigare [sic] de paille ou de papier ».
Il serait exagéré de donner une valeur érotique au tabac. Mais il est
évident que, pour les Français de cette époque, le plaisir de fumer était
chargé d'une sensualité quelque peu équivoque. Sans être précisément
condamnable, le tabac donnait au fumeur un air émancipé, laissant
supposer d'autres vices moins avouables. Nous savons bien que les
héros romantiques croyaient se libérer du mal du siècle en se livrant à
la débauche. Les femmes, le jeu, l'alcool et le tabac devaient les arracher quelques instants à leur angoisse métaphysique. Théophile de
Ferrière nous a laissé des descriptions intéressantes d'orgies romantiques, dans lesquelles le tabac figure en bonne place :
« L'orgie ! Vive l'orgie ! » s'écriaient-ils. ... Admirable tableau !
Les joueurs d'un côté, les dés, les cartes, les pièces d'argent et
[65] d'or, le punch enflammé, les quatre buveurs à longs cheveux et à longues barbes, ivres et couchés sur le parquet, une
fumée de pipes, de houcas, de papelitos, de cigares et de cigarettes ; par-dessus tout cela, les verres brisés, le parquet ruisselant ; et de l'autre, les femmes souriantes et à demi nues,
l'amour dans les yeux, le cigare à la bouche ; vive, vive l'orgie 145 !
Mais le tabac n'est pas seulement un plaisir sensuel, une agréable
habitude. Pour les romantiques, il avait véritablement les propriétés
que nous n'attribuons plus, de nos jours, qu'aux narcotiques. Déjà Balzac, dans sa Physiologie du cigare, avait décrit les effets optiques qu'il
produisait. Alphonse R.... « Jeune France », avait écrit en 1834 un recueil de sonnets intitulé Les Mirifiques bienfaits du cigarret et du cigare ; au sixième sonnet, nous trouvons ces vers :
144
Narcisse-Achille DE SALVANDY, Don Alonso ou L'Espagne, 5 vol., Stuttgart, 1826, III, p. 631 (1re éd., Paris, 1824).
145 Les Romans et le mariage, 2 vol., Paris, 1827, I, p. 97.
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Espagne ! À toi, salut ! Gratitude profonde !
Ton Christophe Colomb te conquit tout un monde,
Tu nous ouvres celui des rêves enivrants 146.
Et remarquons, enfin, que l'univers dévoilé par la drogue était souvent peuplé de ces Espagnols auxquels on rêvait en France :
L'opium leur livrait l'univers entier... transportés à Cadix ou
à Séville, [ils] grimpaient sur des murs, y restaient couchés sous
une jalousie, occupés à regarder deux yeux de flamme, une Andalouse, abritée par un store de soie rouge... Puis, tout à coup,
en se retournant, ils se trouvaient face à face avec le terrible visage d'un Espagnol armé d'un tromblon bien chargé 147.
[66]
146
Inédit cité par Louis MAIGRON, Le Romantisme et les mœurs, Paris, 1910,
p. 152.
147 Honoré DE BALZAC, L'Opium, 1830, cité par V. L. LEATHERS, op. cit.,
p. 58.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
[67]
ROMANTIQUE ESPAGNE.
L’image de l’Espagne en France
entre 1800 et 1850.
Deuxième partie
Retour à la table des matières
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[69]
ROMANTIQUE ESPAGNE.
L’image de l’Espagne en France entre 1800 et 1850.
DEUXIÈME PARTIE
Chapitre V
ANALYSE DE L'IMAGE
DE L'ESPAGNE
Retour à la table des matières
Dans les chapitres précédents, nous avons examiné les antécédents
de l'image de l'Espagne en France. Nous en avons ensuite étudié l'évolution sous l'influence des événements politiques et de la littérature.
Enfin, nous avons relevé la présence d'une mode de l'Espagne dans la
vie quotidienne. Analysons à présent les principales composantes de
cette image.
Une telle dissection peut paraître quelque peu arbitraire : avec les
mêmes éléments, chaque homme élabore un rêve personnel. Pour
pouvoir expliquer le rêve, il faudrait connaître le rêveur, prendre en
considération et son milieu et sa personnalité. Les difficultés se multiplient quand il s'agit non plus d'un individu, mais d'une communauté.
Cependant, même en tenant compte des différences de perspectives,
même en voyant combien l'orientation varie d'un individu à l'autre, il
nous semble possible de découvrir certaines constantes que l'on pourrait attribuer à l'imagination collective.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
90
Qui dit Espagne dit à la fois cadre et personnages, paysages et habitants. Nous voulons examiner comment les Français se les représentaient. Le nom même du pays suscitait certaines idées : sensualité,
cruauté, honneur, traditionalisme, etc. Tels paysages, tels types humains, telles coutumes caractéristiques exerçaient une attraction particulière, car ils étaient vus comme des illustrations vivaces de ces
concepts. Et c'est précisément ces concepts qui formaient l'essence
même de l'Espagne telle que la collectivité française se la représentait.
Une vision est rarement statique ; celle qui nous intéresse a subi
l'influence des événements politiques, des modes littéraires. Elle a
évolué avec le temps : les idées que les Français se faisaient de l'Espagne en 1850 étaient bien différentes de celles qu'ils s'étaient faites
cinquante ans plus tôt. Deux générations avaient [70] atteint l'âge
adulte, chacune avec ses préjugés et ses préférences. il s'agit, en somme, de retenir, sans trop nous soucier de la chronologie, les témoignages qui nous semblent représenter le mieux la vision générale. S'il fallait choisir une date précise qui se prêterait le mieux à notre analyse,
1845 semblerait convenir. En 1845, Mérimée publie Carmen ; l'image
de l'Espagne en France est plus ou moins cristallisée. Propagée par le
romantisme, elle avait fourni aux Français les dimensions d'un « rêve
espagnol » qui ne changera pas essentiellement jusqu'à la guerre civile
de 1936.
Nous allons diviser notre examen de l'image espagnole en trois
parties principales. Premièrement, nous essaierons de prouver que le
pays lui-même était considéré par les Français comme une terre pleine
de contrastes, à laquelle ils trouvaient un caractère nettement exotique. Deuxièmement, après avoir ainsi défini le cadre physique, nous
nous proposons d'examiner deux constantes qu'ils croyaient essentielles à la vie espagnole : la cruauté (dont l'Inquisition et la course de
taureaux leur paraissaient des preuves) et la sensualité, qu'ils retrouvaient principalement chez la femme espagnole, dans ses danses et sa
musique. Troisièmement, nous verrons, enfin, que l'admiration qu'ils
ressentaient pour Homo hispanicus s'explique en grande partie par son
individualisme et son profond sentiment de la dignité personnelle.
Il reste bien entendu que ces trois parties sont organiquement liées.
Terre, coutumes, caractère, chacune influence les deux autres, et toutes trois reflètent à leur façon l'image que les Français se faisaient de
l'Espagne.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
91
Contrastes dans le cadre physique
Dans l'esprit d'un Français, au XIXe siècle, l'Espagne se présentait
sous deux aspects différents, symbolisés par la Castille et l'Andalousie. La Castille était pour lui l'Espagne des montagnes escarpées, des
plateaux désolés dont aucun arbre ne venait rompre la sévère monotonie. Cet implacable paysage de rochers donnait une impression de
hautaine tristesse ; la pierre grise se dressait face au ciel dans une solitude presque désertique. La Castille est la terre du silence, où rien ne
vient troubler les méditations de l'homme. L'Andalousie, par contre,
est fertile. Les arbres les plus variés y poussent grâce à un climat
agréable. C'est le pays des jardins, des palais maures, de la vie langoureuse [71] et élégante, des couleurs vives. En Andalousie, le murmure
de l'eau ou le chant des cigales empêche le silence de régner. La brise
porte à travers les arbres des échos de guitare.
Il semblait donc aux Français que la nature elle-même avait créé ce
contraste entre l'Espagne sévère et l'Espagne riante. Dans ses Souvenirs d'Espagne, Cornille le fait bien remarquer :
Deux grandes divisions tracées par la nature, et que ni le
temps ni les événements ne peuvent altérer. Ici, l'Espagne du
Midi, avec ses productions asiatiques, son éternel printemps,
ses feuilles sèches et sa poussière : l'Espagne de Grenade, avec
ses oranges en fleurs, avec ses femmes aux cheveux noirs, à
l'œil noir et brûlant, à la démarche souple et suave comme une
apparition céleste. Là, l'Espagne des Pyrénées, avec ses montagnes couvertes de chênes, de pins, de châtaigniers ; avec ses
nuages au soleil, avec ses vents du soir... avec ses femmes aux
cheveux châtains, à la peau blanche et rose 148.
Il n'est pas surprenant de voir l'auteur mentionner les femmes dans
sa description : le siècle romantique retrouvait dans le caractère des
148
2 vol., Paris, 1836, I, pp. 20-21.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
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indigènes celui de la terre qu'ils habitaient. Rosseeuw Saint-Hilaire,
par exemple, affirme que :
Pour bien comprendre le caractère du peuple espagnol, il
faut d'abord étudier le sol qui l'a vu naître, car la destinée d'un
peuple est écrite dans la configuration physique de son territoire
et la carte d'un pays vous raconte son histoire 149.
Et nous retrouvons la même idée chez Manuel de Cuendias :
La physionomie de l'Espagne ressemble à celle de ses habitants. Ne serait-ce pas que le caractère de l'homme tient d'une
manière intime à la nature du sol qu'il habite, et n'en est pour
ainsi dire que la conséquence ? Il faut certainement avoir vu ce
pays pour apprécier l'orgueilleux, le hardi, le sobre Espagnol 150.
Déjà, au début du siècle, Bourgoing avait cru voir dans l'aspect des
Castillans l'influence de leur campagne :
Je ne veux pas jeter un ridicule sur les Castillans, dont j'estime les vertus ; mais ils sont silencieux et tristes comme leurs
plaines. [72] lis portent sur leurs visages austères et rembrunis
l'image de l'ennui et de la pauvreté 151.
Bourgoing n'était pas romantique et ces contrées désertes ne lui
plaisaient guère. Cinquante ans plus tard, elles enthousiasmaient Edgar Quinet. Quand il visite la Manche, il devient lyrique pour décrire
les correspondances qui existent entre habitant et paysage. Il est d'ailleurs curieux de remarquer que, pour la majorité des écrivains, c'est
l'homme qui est formé par la nature ; Quinet, en bon humaniste, prétend par contre que la nature a subi l'influence de l'homme :
149
150
L'Espagne romaine et 1’Espagne arabe, Revue de Paris, 1838, LIII, p. 219.
L'Espagne pittoresque, Paris, 1848, pp. 2-3.
151 Tableau de l'Espagne, 4e éd., Paris, 1803, p. 22.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
93
Au loin la terre ressemble au paysan espagnol. Nue comme
lui, elle s'étale au soleil dans son manteau troué d'ivraie. Elle est
silencieuse comme lui ; nul ramage d'oiseau, nul babil de ruisseaux ni de feuillage. Sobre comme lui, la rosée seule la fertilise. Indépendante comme lui ; ni fossés, ni haies, ni barrières :
l'égalité est gravée sur sa face 152.
Il ne faut cependant pas croire que les romantiques n'accordaient
leur estime qu'à la rude Castille. L'Andalousie les enchantait autant
sinon plus. Ils l'ont décrite avec admiration et, pour choisir un exemple, nous n'avons que l'embarras du choix. Citons ce qu'en dit Édouard
Magnien :
Alors, devant nous se déroule, au bout d'un immense horizon
resplendissant, le magnifique panorama de l'Andalousie, avec
son ciel éthéré, son atmosphère embaumée, ses sites enchanteurs semés de tours romaines, de minarets orientaux et de flèches gothiques, parmi les bosquets d'orangers, de citronniers, de
grenadiers et d'aloès, qu'arrose une multitude de fontaines et de
rivières, fertilisant un sol incomparable, avant de se réunir au
roi puissant de toutes ces eaux, l'orgueilleux Guadalquivir 153.
L'Andalousie que Magnien nous décrit n'est pas celle qu'il a observée de ses yeux, mais plutôt celle qui hante son imagination. Pour
embrasser d'un même regard des parties si diverses et si éloignées de
la province, il aurait fallu une altitude démesurée et une vue surhumaine.
[73]
Dans le Midi de l'Espagne aussi, les voyageurs remarquent combien le caractère des Andalous a été influencé par la nature. Alexandre
Dumas père note que :
152
Mes vacances en Espagne, Œuvres complètes, Il vol., Paris, 1857, IX, pp.
152-153 (1re éd., Paris, 1846).
153 Excursions en Espagne, 3 vol., Paris, 1836-1838, I, p. 2.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
94
L'influence de l'Andalousie se faisait sentir jusque chez ces
enfants... ce n'était plus, comme dans les deux Castilles et dans
la Manche, de petits spectres graves et maigres drapés dans des
haillons, c'étaient de beaux enfants frais et joyeux 154.
Cela semble assez normal : l'Andalousie étant plus riche que la
Castille, les enfants doivent y être mieux nourris et donc y avoir meilleure mine. Si Dumas dédaigne de donner une aussi simple explication, c'est, n'en doutons pas, qu'elle lui paraissait trop prosaïque. D'ailleurs, les romantiques ont parfois éprouvé des difficultés pour concilier l'ardeur guerrière des Andalous avec le climat langoureux de leur
patrie. Chateaubriand s'en tire par une acrobatie verbale :
On sent que dans ce pays [il parle de Grenade], les tendres
passions auraient promptement étouffé les passions héroïques,
si l'amour, pour être véritable, n'avait pas toujours besoin d'être
accompagné de la gloire 155.
Retenons donc que, pour les Français, la Péninsule se compose de
deux régions fortement contrastées, habitées par des hommes qui reflètent ces différences. D'un côté la Castille, pays de montagnes et de
déserts, pauvre et silencieux, de l'autre l'Andalousie, riche et colorée,
avec ses plaines fertiles et ses jardins féériques.
Contrastes dans les caractères et les mœurs
Les Français retrouvaient le contraste entre la sombre Castille et la
riante Andalousie chez les habitants de ces provinces ; cette diversité
leur semblait symbolisée par les costumes régionaux qui, dans chaque
partie de l'Espagne, offraient de nouveaux sujets d'émerveillement aux
154
De Paris à Cadix, Œuvres complètes, Calmann-Lévy vol. 135-136, Paris,
1897, II, p. 42 (Ire éd., Paris, 1848).
155 Le Dernier Abencérage, éd. Hazard, Paris, 1926, p. 9 (Ire éd., Paris, 1827).
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95
amateurs de couleur locale. La variété et l'originalité des vêtements
espagnols les frappaient plus puissamment encore lorsqu'ils les comparaient à l'uniformité [74] qui régnait en France 156. De Plus, ils
avaient le sentiment très net que les progrès de la civilisation industrielle allaient bientôt faire disparaître en Espagne le pittoresque sous
toutes ses formes. Custine remarque tristement :
Ne nous plaignons pas de la nécessité de décrire des costumes divers : bientôt nul voyageur en Europe... n'aura cette tâche
à remplir. Les hommes se donnent le mot pour se vêtir de même
partout ; comme si l'ancienne variété n'avait pas eu des causes
plus légitimes que n'en aura l'uniformité moderne 157.
Dumas n'est pas aussi pessimiste ; selon lui, les différences régionales sauront résister à tout effort de nivellement. Avec sa faconde
habituelle, il décrit longuement les particularités des différents costumes traditionnels et termine en prédisant la persistance de la variété :
Chez nous, à peu de différence près, tous les voyageurs que
nous rencontrons portent le même costume. En Espagne, au
contraire, en mettant de côté le prêtre avec son chapeau fantastique.. il reste encore le Valencien.... le Manchego.... l'Andalou.... le Catalan... Enfin tous ces autres enfants des douze Espagnes, qui ont bien voulu consentir à ne faire qu'un royaume
mais qui ne consentiront jamais à ne faire qu'un peuple 158.
Les Français ne connaissaient cependant pas assez bien l'Espagne
pour pouvoir distinguer les caractéristiques qui étaient propres aux
156
Nous croyons, sans toutefois en être certains, que les efforts pour raviver en
France les traditions provinciales, et plus particulièrement les danses et les
costumes régionaux, remontent à cette époque. De nos jours, les syndicats
d'initiative continuent à favoriser les diverses manifestations folkloriques.
157 L'Espagne sous Ferdinand VII, 5 vol., Bruxelles, 1838, I, p. 154 (Ire éd., 4
vol., Paris, 1838).
158 Op. cit., I, pp. 47-48.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
96
habitants de chaque province. S'ils étaient capables de reconnaître
Biscaïens ou Andalous à leur apparence physique, ils n'étaient pas à
même de constater les différences de leurs caractères. Admirant l'âme
espagnole, commune à tous les habitants de la Péninsule, leur compétence n'allait pas jusqu'à en voir les aspects distincts.
L'âme espagnole, telle que se l'imaginaient les Français, était placée sous le signe du contraste. Les adjectifs les plus discordants servaient à qualifier quiconque habitait au-delà des Pyrénées. Paradoxal à
force d'oppositions, le caractère espagnol [75] acquérait ainsi une
puissante originalité, que remarque Stendhal dans les Mémoires d'un
touriste :
J'aime l'Espagnol parce qu'il est type ; il n'est copie de personne. Ce sera le dernier type existant en Europe 159.
Ce même auteur explique dans Napoléon que :
Féroce et généreux à la fois, hospitalier et inexorable ; paresseux et infatigable le jour où il se met en mouvement, l'Espagnol brûlé par son soleil et sa superstition, offre tous les phénomènes du tempérament bilieux porté à l'extrême 160.
Pour le marquis de Custine, le caractère espagnol est gouverné par
la passion. Cela explique les extrêmes qu'atteignent tant les manifestations de sa tristesse que celles de sa gaieté :
Le fond du caractère espagnol me paraît une tristesse passionnée dont les intervalles sont marqués par des accès de gaieté également passionnés. Voilà qu'expriment merveilleusement
le langage, les arts et surtout la musique de ce pays 161.
159
Œuvres complètes, 74 vol., éd. Martineau, Paris, 1927-1937, XLVII, p, 304
(1re éd., Paris, 1838).
160 Éd. cit., XLIX, p. 152 (Ire éd., Paris, 1876).
161 Op. cit., II, p. 11.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
97
Salvandy, par contre, remarque que le temps n'a pas fait évoluer
l'Espagne d'une façon uniforme. Les anachronismes persistent, et lui
donnent un charme unique :
Quel spectacle que celui d'un empire où toutes les provinces
et toutes les classes diffèrent de goûts, d'usages, de costumes,
où se trouvent en présence l'homme policé, les principes de
1789 et les pratiques du moyen âge, le XVe siècle et le
tre 162 !
Pour Salvandy, en somme, l'Espagne a deux visages : le premier
est celui d'une nation vieille, corrompue par la décadence ; le deuxième, celui d'un peuple éternellement jeune :
En vivant au milieu de la nation espagnole, j'ai appris à discerner dans son caractère, à côté des vices d'un État corrompu,
dirai-je tous les défauts, ou toutes les vertus de la jeunesse, une
exaltation noble et pure, une confiance plus généreuse que prudente, [76] de la grandeur d'âme au lieu d'habileté, enfin une facilité au pardon, une loyauté chevaleresque 163.
Contraste entre les caractères différents, contrastes intérieurs d'un
même caractère, chaque Espagnol est une énigme d'autant plus attrayante qu'elle est mystérieuse. Dans l'image que les Français se faisaient de l'Espagne, les mœurs, elles aussi, semblaient relever du paradoxe. Pour ceux qui se targuaient d'être gouvernés par la logique, la
conduite des Espagnols semblait obéir aux impulsions les plus incompatibles. Les mœurs politiques, par exemple, émerveillent Amédée
Achard :
162
Don Alonso ou L'Espagne, 5 vol., Stuttgart, 1826, I, p. VIII (Ire éd., Paris,
1824).
163 Ibid., I, p. XXVII.
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98
Si... un des vaincus vient frapper à la porte de son ennemi, le
vainqueur l'accueille comme un hôte sacré, le cache, le protège,
le défend et l'aide à quitter l'Espagne... Dans la politique de ce
pays, il y a toujours de l'amour ; dans les révolutions, toujours
de la chevalerie 164.
Mme de Genlis s'étonne de ce que les séduisantes Espagnoles dont
le cœur semble si tendre, puissent trouver du plaisir à assister aux
courses de taureaux :
Quelques jours après dom Pèdre me mena à un autre spectacle qui me fit horreur. C'était le combat du taureau. Je reconnus
là de jeunes dames que j'avais vu fondre en larmes à la tragédie,
c'est-à-dire, sur des fictions, et qui, d'un œil avide et curieux,
regardaient couler le sang humain, et même avec toutes les démonstrations de la joie et de l'enthousiasme 165.
Malgré son admiration pour l'Espagne, Salvandy est choqué par la
liberté avec laquelle s'exprime l'habitant. Il est assez comique de le
voir s'offusquer de ce que des Espagnols ne respectent pas les lois de
la bienséance française :
Il n'est pas jusques aux membres du clergé lui-même, dont la
conversation n'étonne souvent des oreilles, accoutumées, je ne
dirai pas seulement au chaste langage du clergé français, mais à
la retenue de nos salons 166.
Un plus romantique que lui aurait pourtant vu, là encore, un
contraste entre la politesse exquise et le manque de retenue dans [77]
l'expression. Mais, bien entendu, les Français étaient forcés de juger
selon leurs propres habitudes. Il n'est pas étonnant qu'ils aient trouvé
bizarre et typique ce qui n'était, en somme, que différent. Retenant
164
165
Un mois en Espagne, Paris, 1847, p. 68.
Les Battuécas, 2 vol., Paris, 1816, I, p. 125.
166 Op. cit., I, p. XXIV.
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seulement ce qui ne leur était pas familier, ils s'imaginèrent une Espagne toute en contrastes, où les extrêmes régnaient dans la nature même, comme dans les caractères et les mœurs des habitants. Citons encore une fois le marquis de Custine :
La carabine et la guitare du mayoral pendaient attachées des
deux côtés de sa selle ; emblèmes de guerre et d'amour : c'était
l'image fidèle de la vie aventureuse du paysan d'Andalousie, qui
ne respire que combats et plaisirs 167.
Carabine et guitare, voilà bien pour un Français le symbole de
l'âme espagnole. Également habile à se servir de l'une et de l'autre,
l'homme d'au-delà les Pyrénées vit partagé entre le raffinement du
plaisir et l'extrême cruauté.
L'Espagne, pays exotique ; le cadre physique
Il ne nous semble pas inutile de rappeler que, selon Larousse, l'adjectif « exotique » qualifie les « animaux... et végétaux étrangers au
climat dans lequel on les transporte ». Par extension, il s'applique à
« ce qui se rapporte à des pays lointains ». Nous voyons donc que ce
mot est chargé d'une double signification, puisqu'il implique à la fois
l'étrangeté et l'éloignement. À première vue, il peut sembler paradoxal
de l'appliquer à la Péninsule. Les contacts de tous genres entre l'Espagne et la France ne s'étaient jamais interrompus ; ces deux pays participaient essentiellement de la même civilisation et, de plus, n'étaient
séparés que par une chaîne de montagnes, praticable depuis la plus
haute antiquité.
Et pourtant, il n'y a aucun doute que, dans l'esprit d'un Français au
XIXe siècle, l'Espagne était bel et bien un pays exotique. Une série de
constatations peuvent expliquer ce fait. Le mot de « climat », que nous
trouvons dans la définition de Larousse, est significatif. Dans l'esprit
167
Op. cit., IV, p. 79.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
100
d'un Européen, pour qu'un climat soit exotique il ne suffit pas qu'il
soit différent. Il doit aussi être plus ardent. Les pays exotiques sont
ceux « où il fait chaud », l'Afrique, l'Amérique latine, l'Orient. Pour
quiconque [78] vit, comme les Français, sous un ciel tempéré, la route
de l'exotisme part vers le sud. Cette conception remonte sans doute à
la Renaissance, puisque le mot « exotique » se retrouve pour la première fois chez Rabelais, à la date de 1548, c'est-à-dire en pleine période d'exploration et de colonisation en Amérique latine et d'activité
commerciale florissante avec l'Orient. Les pays chauds, qu'il s'agisse
de l'Arabie ou de l'Inde, de la brousse africaine ou des jungles brésiliennes, des îles du Pacifique ou du mystérieux Extrême-Orient, seront
explorés au cours des siècles suivants. Et chaque nouvelle découverte
entraîne l'importation en Europe de nouveaux produits, auxquels on
accorde l'adjectif « exotique ».
Dans l'image que se faisaient de l'Espagne les Français, les différences de température entre les deux pays sont toujours signalées,
souvent exagérées :
Vous n'avez pas vu, sur un sol crayeux et blafard, cette réverbération du soleil qui éblouit et aveugle ; vous n'avez pas
senti cette chaleur pénétrante contre laquelle il n'y a point de refuge ; on ferme les volets ; on se jette sur un lit, mais ce lit est
brûlant, le sommeil y est impossible ; la nuit vient, mêmes souffrances, pas plus de sommeil que le jour 168.
On pourrait croire que cette citation est tirée d'un récit de voyage
au Sahara. En fait, il s'agit tout bonnement de la description que SaintPriest fait du climat de Madrid. C'est une exagération d'autant plus
manifeste que, de son propre aveu, l'auteur a visité l'Espagne de fin
février à début juin. Il n'a donc même pas subi les deux mois les plus
chauds.
168
Alexis DE SAINT-PRIEST, Excursions en Espagne, éd. cit., 1829, II, pp.
332-333.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
101
Nous ne serons pas étonnés d'apprendre que le marquis de Custine
fait le plus grand éloge du climat espagnol, comme en témoigne
l'apostrophe suivante :
Heureuse Espagne, et plus heureux le poète... qui se laisse...
enivrer par ton air brûlant, enthousiasmer par la sublimité sauvage de tes sites dévastés par ce soleil, qui boit tes eaux, et cache sous des bois de lauriers-roses le lit de tes torrents desséchés 169 !
La chaleur n'aurait cependant pas suffi à rendre l'Espagne exotique.
Les Français avaient aussi été très frappés par l'aspect quasi désertique
de la Péninsule. La Castille est désertique [79] presque au sens propre,
puisque, selon eux, elle était pratiquement dépourvue de végétation.
Voici ce que voit de l'Escurial Amédée Achard :
Une lumière incertaine et fauve inondait ce paysage infini,
qui avait la majesté de la mer et la désolation éternelle du désert 170.
En traversant les Pyrénées, Gustave d'Alaux constate déjà que :
Cette lumière, cette solitude, ces ruines, ce silence, tout dit
que l'on est bien en Espagne 171.
Les voyageurs français expliquaient l'absence d'arbres, qui caractérisait pour eux le paysage castillan, par les superstitions des paysans.
Ainsi, le marquis de Custine affirme :
169
170
Op. cit., IV, p. 53.
Op. cit., p. 173.
171 L'Aragon pendant la guerre civile, Revue des Deux Mondes, 1846, XIII, p.
574.
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102
Une des principales causes de l'aspect désolé de ce pays,
c'est le préjugé des paysans espagnols contre toute espèce de
plantations. Croyant le voisinage des arbres malsain, ils rasent
jusqu'aux moindres traces de végétation 172.
Roger de Beauvoir donne une autre explication :
Nous quittions Vittoria, et j'entrais enfin dans ce pays nu,
désolé, qu'on nomme la Vieille-Castille. Ce qui vous frappe dès
l'abord... c'est le manque absolu d'arbres. L'Espagnol ne se fait
faute de vous donner pour raison que les bois attirent les oiseaux ; de là, mille ravages opérés, dit-il, sur ses champs, ses
blés, ses raisins 173.
Si la Castille est désertique, en ce sens que peu d'arbres y poussent,
l'Andalousie l'est aussi, car sa campagne, bien que fertile, n'est guère
peuplée. Il n'y avait d'ailleurs pas que les hommes de lettres à être impressionnés par l'aspect sauvage de l'Espagne. Dans ses Mémoires, le
maréchal Suchet, que le métier des armes aurait pourtant dû préserver
des exagérations romantiques, affirme :
Quand on s'élève sur le sommet de quelqu'une des nombreuses montagnes qui traversent l'Espagne, on n'aperçoit sous un
ciel [80] presque toujours ardent que des plateaux incultes et
des pentes nues, dont rien de vivant ne coupe l'uniformité 174.
Désert, solitude, vastes espaces qui semblent inhabités, ce sont là
les traits caractéristiques d'un certain exotisme. Les aspirations de
l'âme romantique prennent deux directions : d'un côté, vers le cosmopolitisme, que l'on pourrait qualifier de « dépaysement dans l'hu172
173
op. cit., I, p. 308.
Souvenirs d’un voyage en Espagne, Revue de Paris, 1842, XI, p. 20.
174 Mémoires, 2 vol., Paris, 1834, I, p. 43.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
103
main » ; de l'autre, vers la solitude, qui correspondrait à un « dépaysement dans la nature ». Les grandes étendues qui ne montrent pas
la trace de l'homme sont, en principe, étrangères au Français. Elles
représentent pour lui les pays lointains où l'explorateur aventureux
peut aller trouver une dangereuse mais exaltante liberté. L'Espagne
était donc exotique par son climat brûlant autant que par son aspect
désolé. Bien entendu, il était plus difficile de la considérer comme un
pays lointain. Et pourtant, H. de Latouche ne parle-t-il pas des « cieux
embaumés de la lointaine Espagne 175 » ? Lointaine, elle l'était malgré
la géographie, puisqu'après des siècles de relations avec le reste de
l'Europe elle restait mystérieuse et différente. Dans l'introduction de
son excellent Voyage pittoresque el historique de l'Espagne, Alexandre de Laborde affirme que ce pays « est une des contrées les moins
connues de l'Europe 176 ». Non seulement l'Espagne n'est pas bien
connue, mais, dans l'imagination française, c'est à peine si elle appartient au continent. Arturo Farinelli a bien vu qu'elle était, en fait, une
province de ce pays de rêve élaboré par les romantiques, qui comprenait toutes les terres ensoleillées, sans distinctions géographiques :
A questo Oriente delle immaginazioni più fervide è follia
segnar limiti e contorni, fissarne la terra, i domini. Doveva
comprendere tutte le beate spiaggle, lontane, remote : Oriente e
Occidente ad un tempo, dalla Cina alla Spagna. Spagnuolo e
orientale s'identificano cosi per molti romantici. E la geografia
mentale più fantastica è quella indubbiamente che esercita
maggior potere. L'Iberia, l'Italia, la Grecia, la Turchia, la Palestina, la Persia, l'Egitto, l'India, la Florida, la Cina, le rive del Nilo, le rive del Gange, le rive del Mississipi, tutto è Oriente, tutto
ricade nel terrestre paradiso dell'immaginazione, tutto risponde
al « Kennst du das Land », che i vati poeti intonano 177.
175
176
Histoire du juif errant, Vallée aux loups, Paris, 1833, p. 60.
2 vol., Paris, 1806-1820, I, p. 1.
177 Il romanticismo nel mondo lalino, 3 vol., Torino, 1927, Il, p. 97.
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104
[81]
Certes, l'Espagne avait subi l'influence arabe. Il est exact que seuls
les quinze kilomètres du détroit de Gibraltar la séparent de l'Afrique.
On peut même à la rigueur la considérer comme une terre de transition, remarquer dans le type physique et dans certaines coutumes des
Andalous la trace des occupants maures. Il semble, cependant, abusif
de dire comme Stendhal : « Il paraît que je vais aller en Espagne,
c'est-à-dire en Afrique 178. » Il ne s'agit pas là d'une boutade. Bien des
Français croyaient que l'Afrique commençait aux Pyrénées. Mme
d'Abrantès, dans les Scènes de la vie espagnole, semble considérer
tous les Espagnols comme des descendants d'Arabes. En parlant des
courses de taureaux, elle affirme que :
Charles IV était passionné pour ce divertissement sauvage et
même féroce qui prouve dans les Espagnols l'origine mêlée des
Africains berbères [sic] et des Romains 179.
Il ne faut cependant pas croire que tous les Français ont généralisé
ainsi : la plupart se bornent à donner une origine africaine aux seuls
Andalous. Cuendias, par exemple, raconte avoir vu en Andalousie :
Des hommes tels que vous n'en avez rencontré nulle part, issus qu'ils sont de cette belle race d'Arabes... Les Espagnols, et
principalement les Andalous, ont une passion orientale pour
tout ce qui est conte, légende ou fabuleuse histoire 180.
Ce même auteur va jusqu'à spécifier :
À Grenade, plus que partout ailleurs, les nuances du caractère arabe se font vivement remarquer. Les Grenadins sont rêveurs et poètes comme leurs pères, les fils de l'Orient 181.
178
Éd. cit., VII, p. 307.
2 vol., Paris, 1836. Dona Clara, I, p. 236.
L'Espagne pittoresque, p. 5.
181 Idem, p. 357.
179
180
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105
Si les Espagnols du Midi sont « rêveurs et poètes », cela ne les
empêche nullement de se montrer fort pointilleux sur le chapitre de
l'honneur et très capables de le laver (selon la formule consacrée) dans
le sang. Ainsi, dans la pièce de Scribe El guitarrero, publiée en 1841,
un officier espagnol en occupation au Portugal déclare à qui veut l'entendre :
Pour nous autres, gentilshommes de Séville ou de Cordoue, qui
avons du sang africain dans les veines, triompher d'une maîtresse [82] est moins doux que de s'en venger quand elle nous a outragés dans notre honneur 182.
Dans un assez joli passage de sa nouvelle, Hernandès, Mme
d'Abrantès impute au vent d'Afrique les excès auxquels sont invariablement censés se livrer les Espagnols :
Le solano est un vent d'Afrique et d'Égypte. Il enflamme le
sang et le porte à la tête. Il est positif qu'au moment où le solano souffle avec le plus de force, les excès de tous genres, et surtout les meurtres, sont bien plus fréquents que jamais dans les
parties de l'Espagne où il donne. On est obligé de prendre des
précautions pour prévenir ses effets chez les jeunes gens et les
femmes 183.
Que ce soit à cause du sang qui remplissait leurs veines, ou à cause
du vent qui soufflait sur eux, les Espagnols, tels que se les imaginaient
bien des Français, reflétaient le caractère exotique de leur pays. Exotisme d'autant plus marqué que l'on avait tendance à considérer l'Espagne comme une prolongation du mystérieux Orient.
Une autre caractéristique de l'Espagne, qui lui conférait le droit de
faire partie du paradiso dell'immaginazione dont parle Farinelli, est le
182
183
Acte I, scène I.
Revue de Paris, 1833, XLVI, p. 169.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
106
fait qu'elle n'avait pas encore subi l'empreinte de la révolution industrielle. Nous savons combien les romantiques se disaient hostiles à
cette civilisation mécanisée qui se développait en France. Leur idéal
était celui de Vigny : trouver l'endroit où la Nature attende « dans un
silence austère » que le poète vienne y rouler la Maison du Berger.
Silencieuse et austère, l'Espagne leur semblait l'endroit idéal. Mais il
fallait se hâter, car la « civilisation » était en train de corrompre ce
paradis. Presque sans exceptions, les voyageurs rentraient bien vite en
France exhorter leurs compatriotes à partir avant que ne disparaisse
toute trace de pittoresque. En 1836, Mme d'Abrantès craignait fort
qu'il ne soit déjà trop tard pour retrouver
L'Espagne dont je parle... l'Espagne avant que les Français y
eussent apporté tout à la fois le fléau de la guerre et celui d'une
civilisation prématurée 184.
Le marquis de Custine s'en prend à ceux qui veulent doter l'Espagne d'industries et la faire bénéficier des dernières découvertes :
[83]
Apportez-y les mécaniques du Nord, augmentez son industrie, accroissez sa pollution outre mesure par de savantes applications de la chimie et des mathématiques à tous les besoins des
manufactures : vous aurez fait du paradis l'enfer... au nom de la
philanthropie et au moyen de la vapeur, du gaz et du charbon !... Il fera noir à midi, clair à minuit dans Séville comme
dans Paris et, nouveaux Midas, les Andalous civilisés auront de
l'or et n'auront plus d'air 185 !
Mais, apparemment, le danger n'était pas si terrible. Charles de
Mazade visite l'Espagne en 1847 et, comme il ne partageait guère les
goûts bucoliques et primitivistes des exaltés, il se plaint amèrement de
184
185
Scènes de la vie espagnole, éd. cit. Doña Clara, II, p. 3.
Op. cit., Ill, p. 35.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
107
ne pas retrouver en Espagne la vie bourgeoise exécrée par les « Jeunes
France » :
Moins qu'ailleurs, on y voit de ces habitations commodes,
propres, bien ordonnées, qui presque partout dénotent l'existence d'une classe intermédiaire aisée, intelligente, laborieuse et
jouissant d'un convenable bien-être 186.
Avec son ironie coutumière, Mérimée écrivait en 1833 au comte de
Saint-Priest :
L'Espagne est toujours en feu et probablement la lutte durera
longtemps... Au reste, quelque [sic] soit l'issue de la querelle, il
est certain que la civilisation qui faisait des progrès si alarmans 187 dans la Péninsule, va faire une halte et nous laissera
quelque chose à faire à nous autres romantiques 188.
Trois ans plus tard, cependant, l'Espagne était encore plongée dans
la guerre civile, et Mérimée écrivait à Jaubert de Passa :
Les faiseurs de romans doivent se réjouir qu'on leur laisse un
pays poétique et sauvage mais il est bien triste de voir tant
d'honnêtes gens sacrifiés ainsi pour les menus plaisirs de quelques imbéciles 189.
C'est que Mérimée, lui, connaissait bien l'Espagne, et l'aimait sincèrement. Témoin des souffrances du peuple espagnol, il s'indignait
avec raison de voir certains de ses compatriotes envier à [84] ce pays
des malheurs qu'ils se gardaient bien de partager. Quoi qu'il en soit,
186
Madrid, Revue des Deux Mondes, 1847, XVIII, pp. 320-321.
Souligné dans le texte.
Correspondance générale, Il vol., éd. Le Divan, Paris, 1941-1957, I, p. 259.
189 Idem, II, p. 13.
187
188
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
108
retenons que le retard de l'Espagne sur le plan industriel la différenciait du reste de l'Europe et la rendait, aux yeux des voyageurs « civilisés », encore plus « exotique ».
L'Espagne manquait d'usines et de chemins de fer, mais il y avait
plus : le mauvais état des routes, l'absence à peu près complète d'auberges convenables, la difficulté de se procurer une nourriture acceptable aux exigences gastronomiques des Français donnaient aux voyageurs l'impression d'y vivre dangereusement. Encore une fois, nous
remarquons le parallèle entre l'Espagne et les pays sauvages d'outremer. L'absence de confort, que l'imagination des touristes exagérait à
plaisir, faisait d'une promenade touristique une expédition périlleuse.
Les récits de voyages, écrits avec plus de fantaisie que d'exactitude,
contribuaient puissamment à répandre en France l'image d'une Espagne primitive, qu'on avait volontiers tendance à assimiler aux territoires vierges de l'Afrique ou du Nouveau-Monde.
Il est difficile de savoir exactement quelles étaient les conditions
dans lesquelles on devait voyager en Espagne. Il est évident qu'elles
étaient loin d'être parfaites dans un pays livré à une guerre civile chronique. Selon Bertrand :
La diligence avait fait des progrès depuis le début du siècle :
au lieu de six mules, elle en avait dix. Mais elle était irrégulière.
Les routes qui étaient encore bonnes, tout au moins entre Madrid et la frontière, vers 1823, étaient redevenues mauvaises en
1830, « fondrières et casse-cou », disait Th. Gautier. Quelques
belles diligences couraient encore sur les chemins restés bons.
... Ailleurs il n'y avait que les mauvaises galères, lourdes et inconfortables, sans ressorts, à Valence ou en pays catalan, des
tartanes, et partout, d'interminables convois de mules ou de
bourriquets. On s'en allait juché sur un âne pourvu de coussins,
presque toujours au trot. Il fallait s'y faire. ... Quand fut achevée
l'aventure carliste, les routes s'améliorèrent, la diligence se multiplia. À partir de 1840, le voyage fut moins douloureux 190.
190
Sur les vieilles routes d'Espagne, Paris, 1931, pp. 163-164.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
109
Il serait fastidieux d'étudier les descriptions de routes et d'auberges
que l'on trouve dans les récits de voyages. Notons pour mémoire ce
que pense Dumas de l'accueil qu'on recevait dans les hôtelleries :
Venta, ou fonda, ou posada, ou parador, tous mots qui peuvent à peu près se traduire plus ou moins fidèlement par celui
d'hôtellerie ; [85] et chaque fois qu'attiré par la légende, un
voyageur a l'imprudence de passer le seuil de cette porte, il
semble par cette violation de domicile avoir encouru toute
l'animadversion du propriétaire de la maison 191.
Il nous semble, par contre, amusant de noter la sainte horreur avec
laquelle la cuisine espagnole est décrite. Fine bouche renommée, auteur d'un dictionnaire gastronomique, Dumas consacre une bonne partie de son reportage au problème culinaire. Il ne tarit pas de sarcasmes
à ce sujet et multiplie les descriptions effrayantes des outrages qu'a
subi son palais. En désespoir de cause, le célèbre auteur n'a pas hésité
à faire sa propre cuisine (quand, toutefois, il arrivait à se procurer des
provisions). Voici ce qu'il dit des garbanzos (pois chiches) :
Habituez-vous donc, Madame, aux garbanzos, comme vous
vous serez habituée au puchero. C'est facile, vous en mangerez
un le premier jour, deux le second, trois le troisième, et, avec
ces précautions, il est possible que vous y surviviez 192.
Comme il s'agit de Dumas, nous sommes tentés d'ajouter un grain
de sel à ses affirmations. Mais les témoignages à l'appui ne manquent
pas. Alexis de Vallon raconte qu'ayant demandé quelque chose à
manger, l'aubergiste commença par le faire attendre ; puis :
Il m'apporta au bout d'une heure une jarre énorme, au milieu de
laquelle des œufs naviguaient de conserve avec des croûtes de
191
192
De Paris à Cadix, Il, p. 48.
Idem I, p. 51.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
110
pain dans un lac d'eau salée, où des gouttes d'huile empruntées
à la lampe formaient des îlots jaunes et flottants... Je demandai
du vin : on m'apporta du vinaigre 193.
Le souci de vérité force Bourgoing à formuler, malgré son respect
pour les Espagnols, quelques réserves quant à leur cuisine :
Leur cuisine, telle qu'ils l'ont reçue de leurs aïeux, est du goût
de fort peu de monde... Le poivre, le piment, le jus de tomates,
ou pommes d'amour, le safran, colorent ou infectent presque
tous leurs mets 194.
Cornille est encore plus critique :
[86]
Je plains l'homme condamné à s'asseoir aux banquets de
l'Espagne ! Comment envisager, de sang-froid, ces mets assaisonnés à l'huile, dont le parfum attriste l'odorat et soulève le
cœur !... Avez-vous approché de vos lèvres ces sauces au safran, qui se congèlent au fond des plats, qui présentent à l'œil
une surface terne et crevassée 195 ?
Et Théophile Gautier surenchérit :
La cuisine n'est pas le côté brillant de l'Espagne, et les hôtelleries n'ont pas été sensiblement améliorées depuis Don Quichotte ; les peintures d'omelettes emplumées, de merluches coriaces, d'huile rance et de pois chiches pouvant servir de balles
pour les fusils, sont encore de la plus exacte vérité 196.
Le gaspacho mérite une description particulière, et nous allons en donner ici la recette qui eût fait dresser les cheveux sur
193
L'Andalousie à vol d'oiseau, Revue des Deux Mondes, 1849, IV, p. 805.
L'Espagne pittoresque, III, p. 351.
Souvenirs d'Espagne, p. 12.
196 Voyage en Espagne, Paris, Charpentier, 1914, p. 138 (Ire éd., Paris, 1843).
194
195
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
111
la tête de feu Brillat-Savarin. L'on verse de l'eau dans une soupière, à cette eau l'on ajoute un filet de vinaigre, des gousses
d'ail, des oignons coupés en quatre, des tranches de concombre,
quelques morceaux de piment, une pincée de sel, puis l'on taille
du pain qu'on laisse tremper dans cet agréable mélange, et l'on
sert froid 197.
Nous trouvons la même description du gaspacho dans Les Châteaux en Espagne, d'Amédée Achard, publiés en 1854. Léopold et
Gaétan font le tour du monde pour trouver la femme parfaite. Ils
croient l'avoir trouvée en Espagne, jusqu'au moment où elle leur sert
un plat de sa composition :
L'océan que contenait la soupière était une mixture d'eau, de
sel, de poivre, de vinaigre et d'huile où flottaient des gousses
d'ail, des tranches d'oignons, des morceaux de pain, des piments
rouges, des quartiers de carottes et un salmigondis de légumes.
Le tout était parfaitement froid 198.
On serait tenté de croire que l'auteur a plagié Gautier ; certes, on ne
se gênait guère pour copier dans d'autres ouvrages des descriptions
que l'on donnait pour siennes. Mais nous ne pensons pas que ce soit le
cas pour Achard, qui avait effectivement passé quelques semaines en
Espagne.
Si tant est que nous ayons réussi à montrer le caractère exotique
[87] que l'Espagne avait aux yeux des Français à cette époque, nous
avons par le même coup expliqué une des raisons pour lesquelles le
pèlerinage Ira los montes était tellement à la mode. En effet, si le rêve
de tout bon romantique était d'explorer les mystérieux pays tropicaux,
ces voyages n'étaient pas toujours faciles. Il était long, dangereux et
coûteux d'aller voir le Nouveau-Monde, l'Afrique ou l'Orient. L'Espagne, par contre, avait l'avantage d'être toute proche, et il était à la portée des bourses moyennes d'aller y faire une promenade. En somme, le
197
198
Idem, p. 268.
P. 111.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
112
voyage en Espagne offrait presque tous les agréments d'une exploration lointaine, sans en avoir les inconvénients.
Remarquons, enfin, que si les Français rêvaient de se dépayser
dans l'espace, ils rêvaient aussi de se dépayser dans le temps. Or, dans
cette optique également, l'Espagne était le pays idéal. Le voyageur
pouvait y retrouver à chaque pas les vestiges des temps jadis. Ruines
romaines, palais arabes, forteresses du moyen âge, châteaux de la Renaissance s'offraient aux yeux émerveillés du touriste. Nous avons
entendu Stendhal déclarer que l'Espagne, c'est l'Afrique. Il affirme
aussi : « Je regarde le peuple espagnol comme le représentant vivant
du moyen âge 199. » Et, ailleurs : « Voulez-vous voir le moyen âge ?
Regardez l'Espagne 200. » Quinet, qui admire le pays, mais n'aime pas
sa capitale, se plaint de ce que :
Le peuple espagnol, dont chaque geste rappelle le moyen
âge, s'est fait une capitale qui n'a aucun fondement dans les
temps chevaleresques 201.
Ce même auteur a très bien remarqué la nostalgie des Espagnols
pour un passé héroïque. En parlant de leur théâtre, il explique à ses
compatriotes :
La scène ne cesse de représenter une Espagne héroïque,
chevaleresque, galante, loyale, clémente, magnanime. C'est un
rêve dont le public ne veut pas qu'on le réveille ; la grandeur du
moyen âge rachète pour lui chaque soir les petitesses de la journée ; au milieu de tous les vices nouveaux, l'Espagne s'assied
gravement dès le coucher du soleil, attendant que ses poètes la
louent de ses vertus passées 202.
199
De l'amour, éd. cit., XXII, p. 45 (1re éd., paris, 1822).
Mémoires d'un touriste, éd. cit., XLVII, p. 185.
Op. cit., p. 19.
202 Idem, p. 119.
200
201
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
113
[88]
Cet amour du passé, les Français le partageaient. Mais ils se rendaient bien compte que s'il correspondait en France à une vague aspiration de l'âme romantique, il était, chez l'Espagnol, une partie intégrante de la personnalité nationale. Quoi qu'il en soit, l'histoire pèse
sur les choses de l'Espagne, et le voyageur en est conscient dès qu'il
traverse la frontière. Sébastien Blaze rêve aux chansons de geste en
passant les Pyrénées :
Nous repartîmes le même jour dans l'après-midi et nous passâmes la nuit dans la vallée de Roncevaux. L'ombre de Roland
semblait voler autour de nous 203.
Et Alexandre de Laborde trouve des origines lointaines au costume
typique des Espagnols :
Le costume des Goths était un mélange de vêtements romains et de quelques nouveaux usages dont plusieurs se sont
conservés de nos jours en Espagne, tels que le retiolum, qui est
la redecilla d'aujourd'hui, espèce de filet pour retenir les cheveux, et l'amiculum, qui tenait lieu de la mantille 204.
En conclusion, bien des Français croyaient avec le marquis de Custine que « si l'Espagne n'a pas marché depuis trois cents ans, Cervantes n'a pas vieilli 205 ».
Nous voyons donc encore une fois combien d'aspects contrastés de
l'Espagne ont admirés les Français. Pays exotique, survivant d'un passé idéalisé, il offrait une merveilleuse diversité de paysages, de coutumes, de monuments et de souvenirs à ceux qu'effrayait la nivélisation progressive du monde moderne.
203
204
Mémoires d'un aide-major, Paris, 1896, p. 247 (Ire éd., Paris, 1828).
Voyage pittoresque et historique, I, p. 73.
205 Op. cit., I, p. 101.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
114
La cruauté espagnole
Nous avons déjà rencontré quelques-unes des raisons qui ont assuré aux Espagnols une réputation de cruauté. Déjà Montaigne avait
protesté contre l'extermination des Indiens par les conquistadores ibériques. Les sévices de l'Inquisition inspirèrent des pages indignées aux
Philosophes. À l'époque que nous étudions, le souvenir des excès
commis par les guerilleros pendant la guerre d'Espagne restait vivant.
Les représailles sanglantes exercées par Ferdinand VII contre ses ennemis avaient indigné l'opinion [89] publique. N'oubli... pas non plus
que l'Espagne était le théâtre d'une guerre civile intermittente qui,
comme toute guerre civile, était particulièrement cruelle. De plus,
l'impuissance des pouvoirs publics permettait aux malfaiteurs d'agir
en toute impunité.
Il n'est pas étonnant qu'en présence de tous ces facteurs, les Français aient conclu que leurs voisins d'outre-Pyrénées étaient cruels par
nature. Il est aussi compréhensible qu'ils s'en soient inquiétés. La
cruauté espagnole fascinait les Français tout en les alarmant. Dans
l'esprit de ceux qui se considèrent civilisés, la cruauté semble l'apanage des primitifs : il est normal d'être torturé par les Peaux-Rouges,
dévoré par les cannibales ou sacrifié aux dieux par quelque peuplade
sauvage. On pourrait soutenir que l'essence même de la civilisation est
d'encourager les tendances à la modération et à la douceur, tout en
assurant la répression des manifestations de la violence et de la cruauté. C'est un idéal qui peut nous sembler aujourd'hui impossible à réaliser, mais le « stupide XIXe siècle » croyait que, l'homme étant perfectible, ce n'était nullement là une utopie. Cependant, il était difficile de
considérer les Espagnols comme des primitifs. Appartenant à la civilisation occidentale, ils avaient largement contribué à son élaboration.
Ce peuple, qui avait écrit quelques-unes des plus belles pages de la
Chrétienté ne pouvait guère être mis au rang des Iroquois ou des Papous.
Pour les Français, la cruauté espagnole prouvait donc, une fois de
plus, le caractère essentiellement paradoxal de ce pays. Le contraste
entre l'exquise politesse et le sadisme déchaîné, entre le haut sentiment de la dignité humaine et la satisfaction des plus bas instincts ca-
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
115
drait bien avec la vision générale qu'on avait de l'Espagne. Certains
émigrés ont essayé, sans succès, de lutter contre le mythe de la cruauté
espagnole. Juan Floran, réfugié en France entre 1823 et 1835, écrivait
dans L'Europe littéraire :
Dans leurs discordes civiles, les Espagnols se menacent, se
frappent, peut-être il y a quelque victime dans ces débats à main
armée ; mais le plus souvent, après un simulacre de guerre, ils
se réconcilient sans peine et s'embrassent sans rancune. Il ne
faut pas confondre la morale de la nation avec la politique de
son gouvernement. Rappelons-nous aussi qu'il y a de l'exagération dans le nombre et dans la nature des excès dont on accuse
les Espagnols, et que tous les peuples du monde se sont
conduits d'une manière plus féroce dans des circonstances analogues 206.
[90]
Mais, encore une fois, c'était peine perdue. Sur ce point, l'opinion
des Français était faite ; pour eux, l'Espagnol reste encore aujourd'hui
fondamentalement cruel. Nous allons maintenant examiner les deux
prétendues preuves de cette cruauté qui ont tout particulièrement enflammé l'imagination collective française : l'Inquisition et les courses
de taureaux.
La cruauté espagnole : l'Inquisition
L'Inquisition, organisée en 1233 par le pape Grégoire IX, exista
surtout en Italie et en Espagne, où les noms de Torquemada et de Ximénès sont restés tristement célèbres. C'est en Espagne qu'elle s'exerça avec le plus de férocité. Si elle prit une telle importance, c'est, en
partie, à cause de la conversion forcée des Maures et des Juifs, que
l'on soupçonnait perpétuellement de pratiquer en secret la religion de
206
De la littérature espagnole, 3e article, L'Europe littéraire, n° 6, Ier septembre 1833, p. 126.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
116
leurs pères. Napoléon et, plus tard, les Cortès de Cadix l'avaient bien
abolie, mais Ferdinand VII la rétablit en 1814, et ce n'est qu'en 1834
qu'elle disparut définitivement. Le Saint-Office ayant été particulièrement influent et particulièrement persistant en Espagne, il n'est pas
étonnant qu'on ait associé son nom à celui du pays. Remarquons que
les ecclésiastiques en général et les moines inquisiteurs en particulier
apparaissent dans presque toutes les œuvres littéraires qui ont rapport
à l'Espagne. Déjà, en 1800, Népomucène Lemercier explique, dans
l'avertissement à sa comédie historique Pinto, qu'il met un moine sur
scène par souci de couleur locale :
J'ai introduit un moine, parce qu'il rappelle les mœurs du
pays où se passe l'action 207.
Dans la même pièce, le duc, effrayé par l'audace des conspirateurs,
demande à leur chef Pinto : « Ne redoutez-vous pas les recherches et
le pouvoir de l'Inquisition ? » Celui-ci répond : « Elle nous servira. »
C'est qu'ils avaient pris le soin d'enrôler un moine dans la conspiration 208. Le même auteur introduit un religieux dans son Christophe
Colomb, en 1809. En parlant du découvreur de l'Amérique et de ses
idées peu orthodoxes sur la forme de la Terre, le moine Salvador ne
craint pas de faire un assez pauvre calembour :
[91]
Quoi ? de l'art des sorciers a-t-il la passion ?
Jésus ! qu'il prenne garde à l'Inquisition...
Car, de par Ferdinand et de par Isabelle,
On vient de l'établir : elle brûle de zèle 209 !
Il n'est pas besoin d'insister sur les ressources qu'offrait tout l'appareil de l'Inquisition aux auteurs français. Pour les faiseurs de romans
207
208
P. 4.
Acte I, scène VIII.
209 Acte I, scène I.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
117
historiques ou de romans noirs, pour les amateurs de couleur locale et
pour ceux qui fournissaient les théâtres du boulevard en pièces
« grandguignolesques », c'était une mine inépuisable. Dans le Don
Juan d'Autriche de Casimir Delavigne, une Juive qui se cache sous le
nom de dona Florinde raconte l'interrogatoire qu'elle a eu à subir :
Cette vaste salle tendue de noir, ces torches qui n'éclairent
que pour rendre l'obscurité plus affreuse, ces juges voilés, dont
les yeux seuls sont visibles et se fixent sur vous avec une immobilité qui glace même la pensée... cette épreuve, dont les instruments épars autour de moi m'ôtaient presque l'usage de ma
raison 210...
L'Inquisition passionnait les esprits au point que son vocabulaire
était employé couramment par les auteurs français. Ainsi, nous trouvons chez Pétrus Borel la strophe suivante :
Autour de moi ce n'est que palais, joie immonde
Biens, somptueuses nuits.
Avenir, gloire, honneur : au milieu de ce monde
Pauvre et souffrant je suis,
Comme entouré des grands, du roi, du saint-office
Sur le quémadero,
Tous en pompe assemblé pour humer un supplice,
Un juif au brazero 211 !
Il est intéressant de remarquer que si braséro (et non point brazero) était déjà entré dans la langue depuis 1784, le mot quémadero est
directement emprunté de l'espagnol par le poète, qui croit superflu de
donner une note explicative. On pourrait d'ailleurs faire la même remarque au sujet de brasero, qui peut se traduire soit par brasier, soit
210
211
Paris, 1835, acte IV, scène IX.
Doléances, dans Rhapsodies, Œuvres complètes, 3 vol., Paris, 1912, II, p. 74
(Ire éd., Paris, 1831).
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
118
par braséro. Or, il est évident qu'il ne s'agit pas ici de chaufferette, et
donc que Borel empreinte ce mot aussi à l'espagnol.
[92]
Nous avons vu les Français rechercher le côté exotique de l'Espagne, insister sur les caractéristiques qui la rendent différente de leur
propre pays. Le catholicisme même, qui était pourtant la religion
commune, devient différent en Espagne grâce à l'Inquisition. Se targuant d'être tolérants et raisonnables, les Français voyaient l'intolérance et le fanatisme comme des dimensions essentielles de l'âme espagnole. Édouard Magnien en donne une raison un peu simpliste :
Ces chroniques devant reproduire quelquefois les mœurs
modernes de l'Espagne, il n'était pas sans intérêt d'indiquer la
tache originelle, et, en quelque sorte, le point de départ de ces
mœurs. ... Le génie de l'Inquisition n'a-t-il pas soufflé sur ce
peuple tout entier, dont le fanatisme et la cruauté sont devenus
les traits dominants et l'exacte expression 212 ?
Si Magnien voit l'empreinte que le Saint-Office a laissée sur les
âmes, Louis de Viel-Castel lui impute la décadence du pays :
C'est en effet à l'Inquisition, c'est à la terrible compression
qu'elle exerça sur les esprits, aux barrières absolues qu'elle éleva entre l'Espagne et le reste de l'Europe, qu'il faut attribuer
l'état stationnaire, et bientôt la marche rétrograde dont le résultat fut de laisser si loin en arrière de tous les autres peuples celui qui, naguère, avait marché à leur tête 213.
En examinant le caractère espagnol, Charles Didier considère que
l'Inquisition n'en a pas été une composante, mais plutôt une manifestation. Ce point de vue est intéressant : Didier est un des rares auteurs
qui se soient demandé comment cette institution a pu s'établir. Il ne
212
213
Excursions en Espagne, 1, pp. 38-39.
Théâtre espagnol, Revue des Deux Mondes, 1840, XXIII, p. 323.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
119
donne pas vraiment une explication, mais se borne à signaler les traits
distinctifs du catholicisme péninsulaire :
Entrez... dans une église espagnole, à peine y voyez-vous assez pour vous conduire... voilà bien le temple d'un peuple qui,
dans sa dévotion farouche, n'a compris du christianisme que le
côté lugubre, qui se repaît de terreurs, de pénitences et ne voit
dans l'Évangile qu'un code pénal... L'Inquisition, ce sauvage enfant du cloître, devait naître, grandir et régner en Espagne 214.
Didier a aussi cru remarquer un aspect quelque peu équivoque [93]
de la religiosité espagnole : il l'a décrit dans une langue qui, pour être
châtiée, n'en est pas moins explicite :
La Vierge est une femme pour le croyant qui s'agenouille et
pleure à ses pieds ; moins jeune et moins belle, elle aurait moins
d'adorateurs ; et c'est sur le noble visage du Christ, dans son
doux regard, dans la mélancolie de son sourire, que la piété féminine cherche les preuves de sa mission divine 215.
Si notre génération est habituée à considérer certaines pratiques religieuses à la lumière du symbolisme sexuel, il n'en était guère de
même en 1837. Ce qui pour nous est un fait scientifique, devant lequel
nous pouvons prendre une attitude détachée, était mystérieux et légèrement effrayant pour les Français de l'époque. Il est intéressant que
ce soit Charles Didier, Suisse d'origine, protestant et, de surcroît, fort
peu enthousiaste des choses de l'Espagne, qui ait mentionné cet aspect
de la religion espagnole. Il n'est cependant pas le seul. Dans sa comédie La Femme est un diable, Mérimée insinue, lui aussi, que le mysticisme espagnol n'est pas toujours d'une pureté absolue. Le jeune Antonio, nouvellement nommé inquisiteur, confesse à ses acolytes
qu'ayant vu pour la première fois une femme, six mois auparavant :
214
215
Saragosse, Revue de Paris, 1838, LVIII, pp. 161-162.
Souvenirs de Catalogne, Revue de Paris, 1837, XLIV, p. 138.
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120
J'éprouvais cette espèce d'extase délicieuse que j'ai sentie
quelquefois en priant devant notre sainte madone 216.
Le mélange caractéristique de violence et de volupté (presque le
sadisme, en somme), était bien fait pour exercer une fascination certaine sur les Français à la recherche de sensations rares. Violence et
volupté ; ils ont bien senti l'existence amalgamée de ces deux forces
vitales dans la religion et dans la vie même de l'Espagne.
La cruauté espagnole :
les courses de taureaux
Il n'y a guère un roman français ayant l'Espagne pour cadre, il
n'existe pratiquement pas un récit de voyage outre-Pyrénées qui ne
mentionne la course de taureaux. Boucherie pour certains, sport pour
d'autres, cérémonie pour d'autres encore, ce spectacle était aux yeux
des Français le nec plus ultra de l'essentiellement espagnol. Les voyageurs en ont décrit les péripéties, les spectateurs, [94] le côté technique, les traditions. Paris connaissait le nom des plus fameux toreros,
dont certains jouissaient même d'une grande popularité. Rosseeuw de
Saint-Hilaire, par exemple, raconte ainsi un épisode d'une corrida à
laquelle il assistait :
Montés, dont j'avais reconnu le beau profil romain, pour
l'avoir vu, il y a six mois, lithographié sur nos boulevards [sic]
parvenait... à attirer sur lui la fureur du taureau 217.
Ce fameux Montés, qui avait donc des admirateurs des deux côtés
de la frontière, était l'auteur d'un livre, ou plus exactement d'un manuel, de tauromachie. Plusieurs Français, et Alexis de Valon en parti216
Théâtre de Clara Gazul, Œuvres complètes, 11 vol., éd. Trahard, Paris,
1927, III, p. 154 (Ire éd., Paris, 1825).
217 Cadix, Revue de Paris, 1837, XLV, p. 260.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
121
culier, le mentionnent. Il s'agit de la Tauromaquia completa, publiée à
Madrid en 1836 218. Bourgoing avait illustré son Tableau de l'Espagne moderne de nombreuses planches qui représentaient des scènes de
corridas. Il parle aussi d'un manuel écrit par le célèbre Pepehillo : La
Tauromaquia, o arte de Torrear a pié y a caballo 219. La mort de Pepehillo (ou, plus exactement, de Pepe Hillo) sous les cornes d'un taureau, est décrite en grands détails par Edouard Magnien, en 1838, dans
ses Excursions en Espagne.
Les courses de taureaux ont attiré les Français de tous les temps.
Déjà, en 1803, Bourgoing, qui n'avait rien d'un aficionado, signale :
J'ai connu des étrangers pleins d'aménité dans l'esprit comme
dans les formes qui, d'abord, éprouvaient aux combats de taureaux des émotions si violentes qu'ils pâlissaient, se trouvaient
mal, et cependant ce spectacle finissait par avoir pour eux un attrait irrésistible 220.
Bien entendu, à mesure que l'Espagne était mise à la mode par les
romantiques, l'intérêt suscité par les corridas ne pouvait que croître.
Dans son article « La Decima corrida de toros », Alexis de Valon signale :
Depuis que je suis revenu d'Espagne, il ne s'est point passé,
je crois, un seul jour sans que l'on m'ait adressé les deux questions suivantes : Comment trouvez-vous la reine, et que pensezvous [95] des combats de taureaux ? J'en ai dû conclure... que
les combats de taureaux étaient, de toutes les curiosités péninsulaires, une de celles qui paraissent à Paris les plus piquantes,
et il m'est prouvé que les récits pleins de verve de MM. Mérimée et Th. Gautier... ont excité l'intérêt plus qu'ils ne l'ont épuisé 221.
218
Nous ne croyons pas que cet ouvrage ait été traduit en français.
Idem.
Op. cit., II, p. 392.
221 Revue des Deux Mondes, 1846, XIV, p. 63.
219
220
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
122
Grâce à cet intérêt, les auteurs français étaient toujours sûrs d'obtenir le succès en transportant par l'imagination leurs lecteurs sur les
gradins des plazas. En fait, leurs récits se ressemblent plus ou moins.
On ne pourrait guère s'attendre à ce que des touristes puissent apprécier toutes les subtilités des différentes passes. Les descriptions portent surtout sur l'aspect théâtral : le défilé initial, les costumes rutilants, la musique traditionnelle ont particulièrement retenu l'attention.
Certaines coutumes, comme celle de l'alguazil hué par la foule après
avoir donné le signal de commencer, se retrouvent dans maints récits.
Chez Gautier, par exemple :
Les clefs sont ramassées et remises à l'alguazil, qui va les
porter au garçon de combat, et se sauve au grand galop au milieu des huées et des cris de la foule, car les alguazils et tous les
représentants de la justice ne sont guère plus populaires en Espagne que chez nous les gendarmes et les sergents de ville 222.
Et chez Amédée Achard :
L'alguazil sait que les sifflets et les huées sont une affaire de
tradition. Ce n'est pas lui qu'on insulte, c'est son habit. Le sifflet
est une protestation du peuple contre l'autorité. C'est toujours de
la démocratie 223.
Mais, bien entendu, c'est de préférence sur l'aspect terrifiant, sanguinaire et cruel qu'on s'est arrêté. Plutôt que de décrire une media
verônica particulièrement bien exécutée, les Français insistent sur les
chevaux éventrés piétinant leurs propres entrailles, ou sur la meute
lancée contre le taureau qui refuse de combattre.
La fondation par Ferdinand VII d'une école de tauromachie à Séville impressionna fortement le public français. La Revue des Deux
222
223
Voyage en Espagne, p. 78.
Op. cit., p. 100.
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123
Mondes donne une traduction de l'ordonnance établissant cette école.
L'ordonnance, signée du ministre Ballesteros, [96] est datée du 28 mai
1830. Pour tout commentaire, la Revue des Deux Mondes signale à la
même page que la chaire d'agriculture vient d'être supprimée à l'Université de Séville, faute de fonds 224. Custine parle de cette école, ainsi que Gautier, qui trouve là une bonne occasion d'exercer sa verve :
Ferdinand VII avait fondé à Séville un conservatoire de tauromachie, où l'on exerçait les élèves d'abord sur des taureaux de
carton, puis sur des novillos avec des boules aux cornes, et enfin sur des taureaux sérieux, jusqu'à ce qu'ils fussent dignes de
paraître en public 225.
Alexis de Valon mentionne cette institution, lui aussi, en faisant
l'historique de la corrida :
Bientôt parut Francisco Romero, de Ronda, qui le premier
tua le taureau face à face, d'une seule estocade, sans autres armes que l'épée et la muleta. A dater de cette époque, la passion
des combats de taureaux éclata avec une violence inconnue, dédaigna toutes défenses, se fit nationale, et Ferdinand VII, plus
tard, la sanctionna en fondant à Séville une école de tauromachie [sic] 226.
L'origine des courses reste mystérieuse encore aujourd'hui. Il semble probable qu'elles ont commencé en Crète. Pour les Français du
XIXe siècle, nous l'avons vu, c'est par les Arabes qu'elles auraient été
introduites en Espagne. Mais Corneille mentionne une autre origine
possible :
224
225
Ile série, t. III, 1830, p. 100.
Op. cit., p. 338.
226 Op. cit., pp. 67-68.
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124
On rapporte l'origine des courses, au temps de la découverte
du nouveau monde. Un habitant de ces contrées, fait prisonnier,
dit-on, par les premiers conquérants de l'Amérique, proposa de
jouer sa vie contre celle d'un taureau furieux, et le tua 227.
Quoi qu'il en soit, les Français sont d'accord pour affirmer que la
corrida contribua puissamment à former le caractère espagnol. En
1806, Cuvelier de Trie écrit Dago ; deux mendiants espagnols, Miquelos et Dago, discutent du meilleur endroit où exercer leur profession :
MIQUELOS : Je me porte au combat du taureau ; il y aura
un monde épouvantable.
[97]
DAGO : Qui ne te donnera pas un maravédis : ce spectacle
endurcit l'âme 228.
Une cinquantaine d'années plus tard, Edgar Quinet développe la
même idée :
Ce spectacle, si fortement enraciné dans les mœurs, n'est pas
un amusement, c'est une institution. Elle tient au fond même de
l'esprit de ce peuple. Elle fortifie, elle endurcit, elle ne corrompt
pas. Qui sait si les plus fortes qualités du peuple espagnol ne
sont pas entretenues par l'émulation des Toros, le sang-froid, la
ténacité, l'héroïsme, le mépris de la mort ?... Ni le souffle du
Midi, ni la galanterie des Maures, ni le régime monacal n'ont pu
amollir l'Espagne, depuis qu'elle reçoit l'éducation du Centaure 229.
227
228
Souvenirs d'Espagne, Il, p. 15.
Acte I, scène IV.
229 Op. cit., p. 41.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
125
Quinet a bien noté l'aspect poétique de la course de taureaux. Il a
tout du moins entrevu qu'il ne s'agissait pas là uniquement d'une habitude barbare, mais que la corrida, comme la poésie, est essentiellement un rite, ou, si l'on préfère, une communion. Il n'est pas le seul à
avoir fait ce rapprochement, puisque Rosseeuw de Saint-Hilaire déclarait que : « Une corrida de taureau, c'est... de la poésie tachée de
sang 230. » Mais qu'ils se soient intéressés à l'aspect esthétique ou à
l'aspect sociologique de la course, les Français la voyaient comme une
institution qui serait à la fois cause et effet du caractère espagnol.
C'est une incarnation pittoresque de ce mélange de cruauté et de courage qui leur semblait propre à l’Espagne.
De nos jours, il est possible à des auteurs connus d'interpréter la
course de taureaux à la lumière de la sexualité. Montherlant dans Les
Bestiaires et Cocteau dans La Corrida du premier mai ont peut-être
même forcé la note. Mais l'époque que nous étudions n'avait pas subi
l'influence des psychanalystes, et ne pouvait guère formuler une théorie érotique de la corrida. Cependant, il est certain que les Français
étaient troublés de voir les Espagnols prendre plaisir à un spectacle
aussi cruel. Mme de Genlis, nous l'avons vu 231, s'offusque de ce que
les femmes espagnoles puissent y trouver du plaisir et la contempler
« avec toutes les démonstrations de la joie et de l'enthousiasme ». Salvandy prétend que lorsque les nobles perdirent l'habitude de descendre
dans l'arène et furent remplacés par les professionnels :
[98]
L'éclat des courses fut conservé avec l'élégance du costume ;
et les périls, les jouissances s'accrurent 232.
Encore une fois, il serait excessif de prétendre que les Français
aient vu clairement le rapport entre la violence du spectacle et la volupté qu'il produit chez le spectateur. Cependant, Bouterwek, encore
très près du XVIIIe siècle, impute à l'Inquisition la vogue des courses
de taureaux :
230
231
Cadix, p. 260.
Voir ci-dessus, p. 76.
232 Don Alonso, I, p. 152.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
126
Comment expliquer autrement « que les têtes sacrées où l'on
brûlait comme des bûches les juifs et les hérétiques, fussent devenues, ainsi que les combats de taureaux, un amusement national 233 » ?
Certes, c'est là une explication bien simpliste. Mais Bouterwek a
eu le mérite de remarquer que le plaisir de voir souffrir les hommes
sur le bûcher ou les animaux dans l'arène était essentiellement le même.
Si l'on nous accuse de prétendre que les Français ont vu dans la
cruauté espagnole un aspect sexuel qui n'existait pas, nous citerons
deux textes qui nous semblent bien explicites. Ils ont d'ailleurs rapport
à d'autres manifestations de cette cruauté : Charles Didier assista à un
alborolo, c'est-à-dire à une émeute, au cours de laquelle des carlistes
furent fusillés par le peuple de Madrid. Voici ce qu'il a vu :
Je me rappelle une femme qui riait aux éclats en foulant du
pied la robe du Père Lopez. Un autre, et celle-ci était belle et
n'avait pas dix-huit ans, s'acharnait de l'œil sur cette proie sanglante. Ses yeux étincelaient de rage muette ; un sourire féroce
contractait ses lèvres ; son sein battait convulsivement sous son
corset de soie... et si un reste de pudeur ne l'avait pas retenue,
nul doute qu'elle n'eût avec joie trépigné sur ces cadavres 234.
Théophile Gautier a été frappé par le caractère funèbre et horrible
de l'art espagnol. Dans un de ses poèmes, intitulé Madrid, nous trouvons les vers suivants :
Dans le boudoir ambré d'une jeune marquise,
Grande d'Espagne, belle, et d'une grâce exquise,
233
Cité par Ernest MARTINENCHE, L'Espagne et le romantisme français,
Paris, 1922, p. 47.
234 L'Espagne en 1835, Revue des Deux Mondes, 1836, V, p. 743.
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127
[99]
Au milieu de la table, à la place de fleurs,
Frais groupe mariant et parfums et couleurs,
Grimaçait sur un plat une tête coupée,
Sculptée en bois et peinte, et dans le sang trempée,
Le front humide des suprêmes sueurs,
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ……………………………….
Sur l'atroce sculpture elle passait son pouce,
Coquette, souriant d'un sourire charmant,
L'œil humide et lustré comme pour un amant 235.
En résumé, il semble certain que la cruauté était, pour les Français,
une constante de l'âme espagnole. Ils la retrouvaient dans la religion,
dans les corridas, dans l'art, mêlée toujours à une certaine sensualité,
voire à une inquiétante volupté.
C'était là une dimension de plus de l'exotisme espagnol, l'Espagne
étant pour eux le seul pays d'Europe où l'on puisse trouver la cruauté
d'un peuple sauvage. Et si les Français ont eu parfois tendance à
considérer l'Espagne comme un anachronisme vivant, c'est que, après
tout, elle a été le dernier pays à se débarrasser de l'Inquisition, et le
seul où les luttes entre hommes et taureaux rappelaient les jeux de la
Rome païenne.
La sensualité ; la femme espagnole
Pour les Français si la cruauté espagnole comporte la sensualité, la
sensualité espagnole est rarement exempte de cruauté. Mélange quelque peu inquiétant qui rend l'ambiance ibérique d'autant plus fascinante pour l'imagination collective française. C'est chez la femme espagnole, dans la danse et dans la musique, que les Français trouveront
les meilleurs exemples de cette sensualité équivoque.
En matière de beauté féminine, la mode a des caprices souvent
inexplicables et oseille perpétuellement entre les extrêmes. Telle époque préfère les nymphes bien en chair de Rubens, telle autre, les pro235
España, éd. Jasinski, Paris, 1929, p. 103 (1re éd., Paris, 1845).
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128
portions plus modestes des femmes de Lucas Cranach. L'époque romantique avait un double idéal féminin : d'un côté, la femme nordique, blonde aux yeux bleus, rêveuse, diaphane, douce, sorte de créature inaccessible et idéale ; de, l'autre, la femme méridionale, aux cheveux noirs, aux yeux pleins de feu, sensuelle, passionnée, quelque peu
dangereuse. L'une est faite pour l'amour platonique : elle représente le
calme et la [100] paix. L'autre, pour l'amour physique : elle doit être
conquise de haute lutte, et représente la tentation et la jalousie. Le
compte rendu de L'Abanico, roman de Camille Bodin, que donne la
« Nouvelle Bibliothèque des Romans » nous présente ces deux types
contrastés :
La marquise a deux filles, toutes deux remarquables par leur
beauté, Juanita et Josepha. La première ressemble exactement
aux portraits d'Espagnoles, comme se croient obligés de les faire tous les romanciers : brune, altière, passionnée et vindicative.
Sa sœur n'a rien de commun avec ces caractères. On dirait une
bonne et blonde Allemande 236.
Nous retrouvons ce même contraste dans la Physiologie de la femme d'Étienne de Neufville :
On dit les femmes du Nord, surtout les Allemandes, affectueuses et sentimentales, les Espagnoles jalouses et vindicatives 237.
En fait, c'est surtout au type espagnol qu'allaient les préférences,
affirme Théophile Gautier dans son article sur Jenny Colon, le grand
amour de Gérard de Nerval :
Les femmes qui sont aujourd'hui proclamées reines de beauté appartiennent presque toujours au caractère méridional.
236
237
3 vol., Paris, 1834, I, p. 81.
Paris, 1842, p. 69.
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129
Il y a quelque temps, un peu ennuyé des cheveux d'ébène,
des teints de bistre, des prunelles couleur de jais et des épaules
peau d'orange, nous avions résolu de faire, contrairement à la
tendance espagnole de l'époque, un roman blond 238.
Cet observateur ironique des mœurs parisiennes nous a légué plus
d'un document sur les goûts des « Jeunes France ». Il en a créé le prototype dans son personnage Rodolphe, le même qui se livrait à des
orgies de papelitos et de vin d'Espagne :
Rodolphe résolut que la femme qu'il aimerait serait exclusivement Espagnole ou Italienne, les Anglaises, Françaises et Allemandes étant infiniment trop froides pour fournir un motif de
passion poétique 239.
[101]
La femme espagnole est le symbole de tout ce que les Français
admiraient dans ce pays. Antoine Fontaney le fait dire bien clairement
à un sien compatriote qui, lors d'une visite dans la Péninsule, tombe
amoureux de la femme d'un de ses amis :
Et tandis que vous chantez, l'œil tour à tour étincelant et voilé, la voix émue et joyeuse, vos tiranas si mélancoliques et si
passionnées, vos séguidillas si vives, si spirituelles, si andalouses, cette belle Espagne, je la personnifie tout entière en vous.
C'est en vous que je l'adore et que je l'admire 240.
Remarquons en passant le contraste dans les adjectifs que l'auteur
emploie.
238
Mme Jenny Colon, dans Portraits contemporains, Œuvres complètes, 33
vol., Paris, 1881, XVIII, pp. 382-383 (Ire éd., Le Figaro, 9 novembre 1837).
239 Les Jeunes France, Oeuvres complètes, XVI, p. 98 (Ire éd., Paris, 1833).
240 Lord FEELING [Antoine Fontaney], Un adieu, Revue des Deux Mondes,
1832, VI, p. 659.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
130
Cela étant, il n'est pas étonnant de voir les Françaises faire leur
possible pour ressembler à ces femmes qui plaisaient tellement. Barbey d'Aurevilly signale :
Être Espagnole, à cette époque-là, c'était quelque chose !
C'était une valeur sur la place. Les romans d'alors, le théâtre de
Clara Gazul, les poésies d'Alfred de Musset, les danses de Mariano Camprubi et de Dolorès Serral, faisaient excessivement
priser les femmes orange aux joues de grenade ; - et qui se vantait d'être Espagnole, ne l'était pas toujours, mais on s'en vantait 241.
Les jeunes filles des meilleures familles étaient souvent envoyées
en Espagne ou en Italie, dans l'espoir qu'elles y prendraient un peu de
ce cachet méridional qui était tellement admiré :
Bientôt, une éducation de jeune fille ne sera complète qu'à
condition de lui avoir fait visiter Florence, Venise ou Madrid et
Séville 242.
Pour plaire, il fallait absolument avoir le teint bistré, ou plutôt couleur de l'orange, ce fruit typique de l'Andalousie. Dans Il vivere, Samuel Bach fait dire à une esclave espagnole d'Héliogabale, désireuse
de s'attirer les faveurs du maître :
Mon pays est l'Espagne, et mes joues sont jaunes comme les
[102] oranges de mon pays. Les oranges et les femmes de l'Espagne colorent leur visage avec les rayons du soleil 243.
241
Diaboliques, Œuvres, 12 vol., Paris, Lemerre, 1878-1889, VIII, p. 415 (Ire
éd., Paris, 1874).
242 Journal d'un flâneur parisien, 14 mai 1834. Inédit cité par Louis MAIGRON, Le Romantisme et les mœurs, Paris, 1910, p. 25.
243 Samuel BACH [Théophile de Ferrière], Paris, 1836, p. 201.
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131
Bien entendu, pour se moquer du type espagnol, les railleurs, ne
manquent pas non plus. Dans la Dolorès d'Adolphe Dennery, Fortuné,
serviteur français qui se trouve en Espagne bien contre son gré, peste
contre
L'Espagne, la patrie des femmes brunes, du chocolat de Bayonne et des oranges de Portugal 244.
Mario Praz a remarqué les relations entre l'exotisme et l'érotisme.
Dans sa pénétrante étude La Carne, la morte e il diavolo nella letteratura romantica, il prétend que :
Fu il Mérimée a localizzare in Ispagna il tipo della donna fatale che verso la fine del secolo si localizzerà invece di preferenza in Russia : ideale esotico e ideale erotico vanno di pari
passo, e anche questo fatto costituisce un'altra prova di una verità abbastanza evidente, che cioè l'esotismo è solitamente una
proiezione fantastica di un bisogno sessuale 245.
En partie, la mode du type espagnol correspondait certainement à
un « besoin sexuel ». Cependant, quiconque cherche dans la sexualité
une explication universelle finit par ne rien expliquer du tout. Dans le
cas de la sensualité, il est bien évident que le rêve espagnol devient
presque un rêve érotique. Les Français croyaient trouver auprès des
femmes ibériques des sensations inconnues, des expériences nouvelles. Cela semble, d'ailleurs, un phénomène général : l'homme se laisse
aisément attirer par une femme d'un autre pays ou d'une autre race.
Les maisons de tolérance parisiennes n'étaient-elles pas censées tenir à
la disposition de leurs clients une prétendue Espagnole et une soidisant Juive, ainsi qu'une négresse et une Indochinoise ? Mais peutêtre M. Praz va-t-il un peu vite ; sans oublier le côté sexuel, il
convient de considérer l'engouement des Français pour le type espagnol dans une plus large optique. C'est ce que nous essaierons de faire
244
245
Paris, 1836, Acte II, scène Il.
Milano-Roma, 1930, p. 195.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
132
quand nous chercherons à déterminer les causes profondes de la mode
de l'Espagne.
[103]
La sensualité ;
le type physique de la femme espagnole
L'Espagnole, telle que se la représentaient les Français, est dotée
d'une série de caractéristiques physiques qui la distinguent des autres
femmes. Tout d'abord, elle a les cheveux noirs et longs. Léon Gozlan,
dans Ce que c'est qu'une Parisienne, imagine que la fée bleue descend
sur terre pour donner un attrait particulier aux femmes de chaque nation :
Elle donna, à la jeune femme qui représentait toutes les Castilles, des cheveux si noirs et si longs, qu'elle pouvait s'en faire
une mantille 246.
Théophile Gautier décrit la seule manola qui, selon lui, reste à Madrid. Après l'avoir cherchée en vain « à la course de taureaux, au jardin de las Delicias, au Nuevo Recreo, à la fête de Saint-Antoine », il
la trouve finalement au Rastro, c'est-à-dire dans les bas-fonds :
Une énorme tresse de cheveux bleus à force d'être noirs, nattée comme le jonc d'une corbeille, lui faisait le tour de la tête et
venait se rattacher à un grand peigne à galerie 247.
Aussi importants, sinon plus, que la chevelure, les yeux noirs et
expressifs sont, dans l'imagination française, l'apanage des femmes
espagnoles. Édouard Magnien prétend que :
246
247
Léon GOZLAN et al., Le Diable à Paris, Paris, 1845, p. 67,
Voyage en Espagne, pp. 93-94.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
133
Les femmes, en Castille comme dans le reste de la Péninsule, ont de grands yeux remarquablement beaux, bien fendus,
étincelants, plein [sic] de feu animal, surtout habiles à refléter
les nuances de la passion physique ; et que la qualité de leur
teint contribue encore à l'éclat de ces regards 248.
Après s'être promené au Prado, Edgar Quinet ne se tient plus d'admiration et, avec le lyrisme un peu emphatique qui lui est habituel,
s'écrie :
Dans ces mille regards éclatent, en une soirée, plus de vie,
plus de force tragique que dans tous les vers de Caldéron. Je
comprends, désormais, la nécessité pour la poésie espagnole de
prodiguer sa nomenclature ordinaire de fleurs et de diamants,
jasmins, œillets, [104] topazes, émeraudes, quand il faut peindre le soleil intérieur qui jaillit de ces paupières noires 249.
Les Espagnoles étaient réputées aussi pour la blancheur éclatante
de leurs dents, qui se détachaient encore mieux sur le fond basané de
leur teint. L'Espagnole idéale ne doit pas avoir les traits trop réguliers.
Plutôt que par une beauté classique, elle plaît par son profil exotique.
Et, enfin et surtout, elle doit respirer la passion. Par son port et sa démarche, par la flexibilité de sa taille et la cambrure de ses reins, elle
inspire des sentiments qui n'ont rien de platonique. Voici comment
elle est décrite par Salvandy :
Des grands yeux noirs pleins de vie, des dents admirables,
un teint qui ne manquait pas de fraîcheur, quoique le soleil de
l'Andalousie y ait laissé son empreinte, des cheveux dont l'ébène brillante répétait tous les reflets du jour... Ses traits auraient
248
249
Excursions en Espagne, II, p. 52.
Op. cit., pp. 25-26.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
134
pu être plus réguliers... Une âme passionnée éclatait dans ses
regards et dans ses paroles 250.
Mérimée, comme beaucoup d'autres, trouve un charme particulier
à la petitesse du pied espagnol :
Quant à l'article pieds... j'ai trouvé qu'on n'avait pas assez
loué leur petitesse et leur élégance 251.
Remarquons que les Français emploient souvent des comparaisons
avec les animaux pour mieux faire comprendre les attraits de ces
femmes enivrantes. Musset traite de lionne son Andalouse au sein
bruni. Gautier trouve le moyen de comparer l'Espagnole à un loup, à
une cavale et à un oiseau dans six vers de son poème En passant à
Vegara :
Des dents de jeune loup, pures comme du lait,
Dont l'émail insolent sans trêve étincelait ;
Une taille cambrée en cavale andalouse ;
Des pieds mignons à rendre une reine jalouse ;
Et puis sur tout cela je ne sais quoi de fou,
Des mouvements d'oiseau dans les poses du cou 252.
Il n'est pas jusqu'au jeu d'éventail auquel se livre la manola qui ne
lui rappelle « un papillon de cinabre dans ses doigts chargés [105] de
bagues d'argent 253 ». Félix Davin compare les femmes espagnoles à
des serpents : « Ce n'est pas la grâce, c'est la volupté qu'exhalent leurs
corps, souples et tenaces comme ceux des serpents 254. » Nous ne
voudrions pas exagérer l'importance de ces comparaisons : de tous
250
251
Op. cit., I, p. 68.
Correspondance, I, p. 77.
252 España, éd. cit., p. 87.
253 Voyage en Espagne, p. 93.
254 Le Crapaud, 2 vol., Paris, 1823, I, p. 7.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
135
temps et en tous lieux, les femmes ont été comparées à des animaux,
soit avec admiration, soit avec mépris. Il est cependant intéressant de
voir que l'on traite les Espagnoles de lionnes, de louves, de cavales, de
serpents ; ce ne sont pas là des images qui indiquent la tendresse. Aussi, la vue des femmes ibériques n'inspirait-elle guère ce sentiment aux
Français, car si elles étaient fort désirables pour l'alcôve, leur caractère
violent et jaloux n'était pas attendrissant.
La volupté ;
le caractère des femmes espagnoles
Plus encore que par leur aspect physique, c'est par leur caractère
que les Espagnoles ont fait l'admiration des Français. Notons tout
d'abord qu'elles étaient censées être très portées aux plaisirs de
l'amour. Dans ses Mémoires, l'aide-major Sébastien Blaze, vétéran de
la guerre d'Espagne, prétend que :
Chez les habitants de la Vieille-Castille, la vivacité de l'air,
la sécheresse et la chaleur du climat, en excitant le système capillaire, cutané et pulmonaire, augmentent la combustion du
sang. Aussi les jeunes filles sont formées de très bonne heure et
très portées aux plaisirs de l'amour physique 255.
Ce qui est une explication comme une autre. D'ailleurs, toujours
selon notre aide-major, il n'y a pas qu'en Castille que l'amour est bien
accueilli. Il dit plus loin :
Il faudrait renoncer à parler des Andalouses, si l'on voulait
garder le silence sur leurs amours. Dès leur plus tendre enfance,
elles font de l'amour une étude approfondie et joignent le plus
souvent la pratique à la théorie. Sous ce climat brûlant, l'amour
255
Éd. cit., p. 11.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
136
règne en maître et triomphe aisément des préjugés, des obstacles, de la raison même 256.
Il est amusant de voir Bourgoing noter avec horreur qu'en 1803 les
femmes espagnoles
[106]
concilient le dérèglement des mœurs avec l'observation minutieuse des devoirs religieux 257.
À la page suivante, il prétend que la légèreté des femmes espagnoles n'est pas sans danger. Elles risquent de laisser au touriste trop entreprenant de désagréables souvenirs :
Cet horrible présent que le Nouveau Monde a fait à l'Ancien
est devenu en Espagne le patrimoine de familles entières, et on
s'en aperçoit à la dégénération d'un grand nombre de ces races
qu'on appelle illustres... si mille agréments attirent auprès des
beautés que je me plais à célébrer, il explique, il excuse la salutaire terreur avec laquelle plus d'un étranger prudent cherche à
échapper à leur joug 258.
Bourgoing est le seul, à notre connaissance, qui ait signalé cet inconvénient du voyage. C'est peut-être pour se venger de ses allégations que les Espagnols ont surnommé l'horrible présent dont il parle
le mal francés. Quoi qu'il en soit, les femmes espagnoles ont gardé
cette réputation de légèreté pendant toute la période que nous étudions. Plusieurs auteurs français, D... entre autres, citent un prétendu
proverbe espagnol, pour prouver qu'ils n'inventaient rien :
256
257
Idem, p. 196.
Op. cit., III, p. 332.
258 Idem, p. 333.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
137
Faire l'amour et voler par nécessité, ce n'est point pécher 259.
Il faut d'ailleurs se méfier des généralisations en cette matière ; il
ne semble pas que les voyageurs français aient souvent vérifié les affirmations qu'ils avançaient.
La légèreté n'est cependant pas le trait dominant dans l'idée qu'on
se faisait de la femme espagnole. Nous avons déjà suggéré qu'elle séduisait par sa jalousie et par la force dévorante de ses passions. Elle
est capable du dévouement le plus absolu, comme des vengeances les
plus cruelles. Elle est très indépendante, au point de marcher seule
dans la rue, ce qui a beaucoup frappé Salvandy :
Il n'est pas jusqu'à l'habitude de se montrer seules, de ne pas
prendre le bras des hommes, qui ne soit un attrait de plus 260.
[107]
En un sens, malgré toute sa sensualité, la femme espagnole a un
caractère plutôt masculin. Cela se voit à chaque instant. Barré, Radet
et Desfontaines prétendent que :
Autant et plus qu'une Française,
Femme espagnole veut charmer ;
Mais elle exige qu'on lui taise
Le feu qu'elle sait allumer.
Soit prudence, soit fantaisie,
Imposer est son seul désir :
Trop fière pour être choisie
C'est elle qui prétend choisir 261.
259
Le Clergé espagnol, Revue des Deux Mondes, 1829, I, p. 180. (Nous n'avons
réussi à trouver ce proverbe dans aucun recueil.)
260 Don Alonso, I, p. 136.
261 Le Peintre français en Espagne, Paris, 1809, scène II.
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138
En 1833, Ernest Després publie Les Femmes vengées. Le héros,
Henri, fait le voyage en Espagne pour oublier un amour malheureux.
Et là, selon le résumé que la « Nouvelle Bibliothèque des Romans »
donne de l'œuvre :
Il s'est attaché à la femme qui lui sert de guide, Rosario.
C'est là une femme ! elle ne redoute rien. Fille d'un exilé politique, elle fait partie de toutes les conspirations ; par les courses
de sa profession, elle sert toutes les intrigues avec un sang-froid
et une exaltation inconcevables. Henri admire Rosario. Il voudrait bien l'aimer 262...
Dans Juana ou Le Projet de vengeance, de Virginie Ancelot, l'héroïne se dit à elle-même :
Juana, ton cœur est noble et pur ; qu'il soit, s'il le faut, fier et
courageux comme ceux des dignes Espagnoles dont tu descends 263 !
Citons, enfin, un extrait d'une lettre écrite par le marquis de Custine à Victor Hugo, le 17 avril 1831 :
Les femmes espagnoles me paraissent les rivales des hommes plutôt que leurs compagnes. Elles ont en général de grands
caractères mais elles manquent de tendresse ; elles sont séduisantes mais elles abusent de leurs charmes pour plaire à tous ;
elles ont peu de noblesse parce qu'elles ont trop de coquetterie...
Elles n'ont point de calme, point de douceur, point d'insouciance ; destinées par la nature à vivre dans les extrêmes, les
passions exaltées sont leur élément ; le fanatisme de l'amour et
de la religion, voilà leur vie... Dans ce qui fait agir une Espa262
263
Op. cit., II, p. 69.
Théâtre complet, 4 vol., Paris, 1848, IV, p. 292 (Ire éd., Paris, 1838).
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
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gnole, il y [108] a toujours quelque chose de plus que ce qu'on
demande à une femme ; je ne me marierais jamais dans un pays
où la cruauté la plus brutale s'allie à tous les raffinements de la
coquetterie féminine 264.
Il est assez comique de voir le marquis de Custine porter de tels
jugements sur les Espagnoles, lui qui n'était guère sensible aux attraits
du beau sexe.
Morel-Fatio a écrit un article aussi amusant qu'érudit sur El Punal
en la liga (Le Poignard à la jarretière) 265. Beaucoup de Français
s'imaginaient, en effet, que c'était là un accessoire indispensable de la
toilette féminine en Espagne. Morel-Fatio fait remonter l'origine de
cette impression aux soldats de Napoléon. Il signale ensuite que Sébastien Blaze, Mérimée, Vigny, Dumas, Desbarrolles, Dembowski et
Tanski ont attribué l'habitude de porter le poignard non seulement aux
femmes de petite vertu, mais à toutes les citoyennes de la Péninsule.
On pourrait allonger la liste de ces auteurs. Dans la Confession d'un
enfant du siècle, Musset fait dire à Desgenais :
Les Espagnoles, les premières des femmes, aiment fidèlement ; leur cœur est sincère et violent, mais elles portent un stylet sur le cœur 266.
Dans El Gitano de Paul Fouché, le Bohémien Pacheco apprend
qu'Isabelle, jeune fille noble que le roi lui a donnée pour femme en
récompense de ses services, a laissé sa virginité dans le lit du monarque :
PACHECO : Répondez, Isabelle, de quel crime êtes-vous
coupable ?
ISABELLE : Du crime de mon oncle, qui m'a vendue au roi.
264
265
Souvenirs et Portraits, éd. Lacretelle, Monaco, 1956, pp. 146-147.
Revue de littérature comparée, 1921, I, pp. 473-483.
266 Oeuvres complètes en prose, La Pléiade, Paris, 1951, p. 113 (Ire éd., Paris,
1836).
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PACHECO : Tu m'as épousé cependant.
ISABELLE : C'est là mon crime.
PACHECO : montrant le poignard : Je le savais, et voulais
t'en punir.
ISABELLE : tirant un poignard : Je ne t'avais pas attendu
pour cela. Un instant plus tard, et tu m'eusses trouvée morte 267.
[109]
Dans sa nouvelle Le Torreador [sic], Mme d'Abrantès met en scène le torero Miguel et sa maîtresse Catalina :
Aussitôt que Miguel sortait de chez elle, Catalina s'enveloppait d'une grande mante noire, jetait un voile sur sa tête, et,
s'armant d'un stylet, elle suivait Miguel de loin 268.
Enfin, dans un passionnant article sur « Les Diplomates de Madrid », L. L'H... parle du chevalier d'Al-Borgo, ministre du Danemark,
et de sa collection de
petits poignards vifs comme l'aspic de Cléopâtre, et qu'il avait
enlevés à plus d'une manola à la jarretière 269.
Une conquête féminine était donc rendue plus piquante de l'autre
côté des Pyrénées par les dangers que les Français croyaient courir en
l'entreprenant. Le plus courant de ces dangers était la jalousie, qui
poussait aisément une Espagnole à poignarder un amant infidèle. Certaines, d'ailleurs, tuent sans même avoir l'excuse d'être trahies ; ainsi
dans La Malcasada 270, Fontaney nous présente une Espagnole très
caractérisée, qui, après avoir choisi un amant, veut le faire tuer quand
elle se lasse de ses services.
267
Paris, 1836, acte V, scène III.
Scènes de la vie espagnole, II, p. 246.
Revue de Paris, 1842, IX, p. 250.
270 Revue des Deux Mondes, 1834, I, pp. 559-581.
268
269
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
141
Ainsi, à la volupté que respire la femme espagnole, se mêle une
certaine cruauté qui la rend encore plus inquiétante. Les Français
avaient tendance à voir l'Espagne comme une prolongation de
l'Orient : peut-être se croyaient-ils des personnages des Mille et une
Nuits, auxquels de vieilles duègnes viennent offrir l'amour dangereux
de quelque mystérieuse princesse ?
La volupté espagnole ; la danse
Tant par son aspect physique que par son caractère, l'Espagnole
était comme entourée d'une auréole de sensualité. Cela s'explique, au
moins en partie, par la danse. Les danses typiques de la Péninsule
semblaient en effet très osées, sinon franchement indécentes. Pour les
Français, la danse espagnole avait un caractère nettement sensuel ;
elle constituait presque un spectacle suggestif.
[110]
Comme dans le cas des corridas, il n'existe guère de récit de voyage où les danses typiques ne soient décrites. Déjà, en 1803, Bourgoing
leur consacre cinq pages de son Tableau de l'Espagne moderne. Selon
cet auteur, le pays est vraiment plein de dangers car, si l'amour risque
d'y corrompre le corps, la danse peut facilement y corrompre l'esprit.
En parlant du fandango, il dit joliment :
Les étrangers un peu scrupuleux se scandalisent d'abord,
mais sont bientôt enivrés eux-mêmes... On ne peut s'empêcher
d'observer, en rougissant, que ces scènes sont aux véritables
combats de Cythère, ce que sont nos évolutions militaires en
temps de paix, au véritable déploiement de l'art de la guerre 271.
Les seguidillas ne lui semblent pas moins dangereuses :
271
II, pp. 340-345.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
142
C'est là qu'une Espagnole... devient un des objets les plus
séduisants dont l'amour puisse se servir pour étendre son empire 272.
Un demi-siècle plus tard, la danse produisait un effet analogue sur
Alexis de Valon. Il parle d'une danseuse nommée Carmen :
Son regard s'animait ; sa taille s'assouplissait en se cambrant ; son teint tout à l'heure si pâle, s'empourprait ; bientôt
l'œil en feu, les narines ouvertes, aspirant l'air et comme cherchant autour d'elle, elle frappe de son petit pied de satin des appels amoureux ; les castagnettes roulaient avec frénésie ; enfin,
le bien-aimé n'arrivant pas, elle vint droit sur moi, me lança un
regard enivré qui m'étourdit, et d'un air de sultane, me jeta son
mouchoir 273.
Nous pourrions multiplier à plaisir les citations. En passant par
l'Andalousie, H. Cornille a vu danser :
Cette danse aux poses délirantes, où chaque ondulation du
corps révèle une pensée d'amour 274.
C'est la croyance de l'imagination collective qu'exprime Louis Lurine dans son article « La Danse, les danseurs et les danseuses en Espagne », quand il affirme :
[111]
Il serait plus facile, cent fois, d'enlever aux Espagnols le
chocolat du matin, le chocolat du soir et la cigarette de tout le
jour ; aux Espagnoles, les tresses de leurs beaux cheveux noirs,
272
273
Idem.
L'Andalousie à vol d'oiseau, p. 778.
274 Op. cit., p. 69.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
143
l'éventail et le rosaire que de les dérober les uns et les autres
aux enchantements et aux délices de la danse nationale 275.
Lurine raconte ensuite l'histoire d'une certaine Dolorès. Ne, pouvant supporter la sévérité d'une règle qui interdit de danser, elle se serait enfuie du couvent. L'auteur ne craint pas de donner ce conte, par
ailleurs agréable, pour une histoire vraie.
Nous savons que Monpou mit en musique L'Andalouse de Musset,
et que cette romance connut un succès extraordinaire. La duchesse
d'Amaëgui ne danse pas dans la chanson. Ses sœurs, dans l'inspiration
d'autres poètes qui copient Musset, n'y manquent cependant pas. Par
exemple, dans Les Annales romantiques de l'année 1833, nous trouvons ces vers de P. Hédouin :
Belle Andalouse, aux bruns cheveux,
Viens exaucer mes vœux,
Viens partager mes feux,
C'est Alvar qui t'en prie !
Prends tes castagnettes en mains ;
Nous essaierons enfin
Ce fandango divin
D'Espagne la folie 276 !
L'année suivante, toujours dans Les Annales romantiques, Émile
Saladin ne fait guère mieux :
Mollement détachées
Sur les cous nus et blancs,
Les têtes sont penchées,
Et les seins sont tremblants ;
Tout bruisse en cadence,
Tout s'anime à la danse,
275
276
Le Monde dramatique, 1835, Il, p. 385.
P. 216.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
144
Le fandango commence
Ses bonds et ses élans 277.
N'insistons pas sur le caractère grivois de ces compositions. Toujours est-il que la majorité des Français étaient sans doute d'accord
avec le marquis de Custine quand il affirmait que :
[112]
Le grand effet des danses espagnoles... est de peindre une
passion par les mouvements du corps 278.
Inutile de répéter que la passion qu'exprime toute danse espagnole
digne de ce nom est nécessairement amoureuse. Cinquante ans plus
tard, George Bernard Shaw allait choquer ses contemporains en déclarant sans ambages que la danse n'est que l'expression verticale d'un
désir horizontal. S'ils ne l'ont pas dit d'une manière aussi crue, les
Français le pensaient certainement en voyant danser le fandango. Le
seul à soupçonner que les danses typiques étaient autre chose que la
révélation d'une luxure effrénée fut peut-être Edgar Quinet : « La danse parcourt tous les tons du génie espagnol 279 », écrit-il. Il est dommage que cet auteur, qui est parmi ceux qui ont le mieux compris
l'Espagne, n'ait pas développé cette idée.
Pour voir exécuter ces danses exotiques, il n'était pas nécessaire de
faire le voyage. Sur les scènes des théâtres parisiens, le boléro, le fandango, la cachucha, la jola aragonaise même étaient dansés par des
professionnels ; pour suivre la mode, les amateurs s'y essayaient dans
les salons. Il serait intéressant de faire une « Histoire de la danse espagnole en France » : ce ne sont certes pas les documents qui manquent. Nous n'en avons pas la prétention, mais voulons simplement
montrer à l'aide de quelques citations choisies au hasard, l'ampleur de
cette mode.
277
278
P. 63.
L'Espagne sous Ferdinand VII, III, p. 29.
279 Op. cit., p. 38.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
145
Signalons dès à présent que Bourgoing avait vu danser le boléro à
Paris à la fin du XVIIIe siècle. On avait d'ailleurs pris le soin d'en
contrôler l'exubérance, à la grande satisfaction de notre pudique chroniqueur :
Il y a quelques années qu'on a vu danser le volero [sic] à Paris ; mais la décence en avait adouci les couleurs, et le plaisir
n'a pas désiré qu'elles fussent plus vives 280.
Dans ses Souvenirs du Directoire el de l'Empire, la baronne de
Viel-Castel décrit un dîner chez Talleyrand :
Après dîner, on fit de la musique. Garat [chanteur connu],
qui arrivait de son voyage en Espagne, parla des danses espagnoles ; [113] on pria Mad. Tallien de figurer un boléro avec
lui, ce qu'elle fit avec une complaisance et une grâce inimitables 281.
La baronne n'indique pas si Notre-Dame de Thermidor « adoucit
les couleurs » de cette danse.
Quant au fandango, il était dansé en France dès le début du siècle,
puisque Barré, Radet et Desfontaines ont écrit en 1809 une pièce
ayant pour titre Le Procès du fandango ou La Fandangomanie. Le
critique Geoffroy en donne un compte rendu dans lequel il explique
que
Le fandango est une danse espagnole assez connue en France
par nos relations avec l'Espagne : le caractère en est vif, et même, à ce qu'on prétend, un peu lascif ; il enflamme l'imagination
des femmes du Midi 282.
280
281
Op. cit., II, p. 344.
Paris, 1848, p. 12.
282 Cours de littérature dramatique, 6 vol., 2e éd., Paris, 1825, VI, p. 36.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
146
Le sujet de cette pièce mérite d'être noté : Gavotino, maître de danse à Saint-Jean-de-Luz, est un Casanova qui, dans l'exercice de ses
fonctions, séduit toutes ses clientes. Les maris trompés intentent un
procès pour faire interdire le fandango, auquel ils imputent leurs malheurs conjugaux. Pour mieux se rendre compte, les juges font donner
la musique, et la farce s'achève quand toute l'audience, emportée par
le rythme, se met à danser.
Nous retrouvons le fandango en 1824 ; dans la pièce de Cuvelier
de Trie, Le Pont de Logrono, une indication scénique est ainsi
conçue :
Un Espagnol et une jeune fille dansent le fandango ; il se
termine par une danse générale avec des castagnettes.
Mais il faut croire que ce n'étaient encore que des versions édulcorées qu'on voyait sur les scènes des théâtres parisiens, puisqu'en 1838
Édouard Magnien rappelle que :
Il y a deux ans qu'en France, un théâtre qui se donne au diable... tenta d'aller sur les brisées de Rome, en introduisant à Paris le Fandango et compagnie. Malheureusement ou heureusement, les sujets andalous, forcés par une ordonnance de police
de tempérer leur énergie exotique, produisirent une médiocre
sensation ; et [114] depuis, cependant, nous avons la merveilleuse cachucha de Fanny Elssler 283.
C'est donc vers 1836 que Fanny Elssler acquit une popularité
énorme en exécutant des danses espagnoles, et particulièrement la cachucha, qu'elle semble avoir introduite en France. Augustin Challamel
parle d'elle dans ses Souvenirs d'un hugolâtre :
283
Op. cit., I, pp. 145-146.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
147
Alors [1837] dansait Fanny Elssler, la ravissante gitana,
dont le sculpteur Dantan fit la statuette et dont les pas de caractère - boléros, fandangos et cachucha - excitaient l'imagination
des spectateurs 284.
La ravissante Gitana en question était en fait Alsacienne, mais c'est
pour ses danses et non pour ses origines qu'elle était idolâtrée par la
jeunesse dorée sous Louis-Philippe. Nous retrouvons son nom dans
presque tous les Mémoires de cette période. Chez Roger de Beauvoir,
par exemple :
Fanny Elssler, c'était la gitana de nos rêves ; nous ne songions qu'à lui envoyer des castagnettes d'Espagne au lieu des
siennes ; mais des castagnettes de reine, avec des cordons
d'émeraudes et de rubis 285.
Fanny Elssler n'était pas la seule danseuse espagnole à la mode.
Théophile Gautier signale que, déjà à son époque, c'est à Paris qu'il
fallait aller pour voir de véritables danses ibériques :
Nous avons peur qu'en fait de danses espagnoles, il ne nous
faille en revenir à Fanny Elssler et aux deux sœurs Noblet. Dolorès Serral, qui a fait une si vive sensation à Paris... a paru plusieurs fois sur le théâtre de Madrid sans produire le moindre effet, tellement le sens et l'intelligence des anciens pas nationaux
sont perdus en Espagne 286.
C'est à Dolorès Serral qu'Alexis de Valon accorde la gloire d'avoir
introduit la cachucha en France. Comme tout le monde, il l'a vue en
Espagne, mais le spectacle n'est pas nouveau pour lui :
284
285
Paris, 1885, p. 251.
Cité par Léon SÉCHÉ, La Jeunesse dorée sous Louis-Philippe, Paris, 1910,
p. 164.
286 Op. cit., p. 111.
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La cachucha, qu'ils exécutèrent très vivement, me rappela,
sans [115] la dépasser, la danse à laquelle la Dolorès Serral a
initié, il y a quelques années, les spectateurs des Variétés 287.
En 1838, le marquis de Custine parle des « danseurs espagnols
qu'on a vus à Paris l'hiver dernier 288 ». L.-H. Lecomte, dans son Histoire des théâtres de Paris, parle d'une pièce que Ragaine fit jouer en
1839, sous le titre de El Marco Bomba ou Le Sergent fanfaron :
La gaîté de cet intermède et son cachet original assurèrent le
succès de M. Pattioli, de Mmes Goze et Maria Fabiani, Espagnols danseurs engagés pour un temps peu long à la Renaissance 289.
D'après Gustave d'Alaux, la jota aragonaise était connue en France
avant 1846 :
Tel est l'air national des Aragonais, la jota aragonesa, déjà
popularisée en France par quelques théâtres 290.
Avant le milieu du siècle, les danses espagnoles, sous des formes
sans doute bien adultérées, étaient exécutées dans les salons parisiens.
Victor Giraud, dans La Vie tragique de Lamennais, cite cette lettre
inédite écrite en 1835 à Coriolis :
Pendant que les hautes classes, amollies de jouissance et de
luxe, s'enivrent de leur fandango, partout, dans le lointain, un
287
Op. cit., p. 777.
Op. cit., Ill, p. 59.
Paris, 1908, pp. 68-69.
290 Op. cit., p. 593.
288
289
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149
bruit sourd annonce que bientôt commencera la pyrrhique des
peuples 291.
Enfin, dans Les Nuits d'octobre, Gérard de Nerval rapporte avoir
vu « des danses de caractère, espagnoles et italiennes », annoncées sur
l'affiche d'un spectacle de saltimbanques. Nerval fait la connaissance
de la prétendue danseuse espagnole, à qui il soupçonne des origines
savoyardes ou auvergnates 292.
Nous espérons avoir montré que la danse espagnole a connu une
grande popularité en France pendant la première moitié du XIXe siècle. Les textes indiquent clairement les raisons de cette mode. Ils démontrent que la danse semblait aux Français une preuve supplémentaire de la volupté quelque peu exotique qui [116] était propre à l'Espagne. On pourrait remarquer que, si l'image de l'Espagne a bien évolué dans la France d'aujourd'hui, la danse en reste encore un des aspects les plus populaires. Des théâtres chies aux music-halls de quartier, le baile flamenco trouve de nos jours un public enthousiaste. Et si
le fandango n'est plus vraiment une danse de salons, il a été remplacé
par le paso-doble.
La musique et le chant espagnols
Nous n'avons pas à revenir sur la mode de la musique espagnole,
que les musiciens réfugiés ont contribué à faire connaître 293. Il semble d'ailleurs que les Français l'aient surtout appréciée quand elle servait d'accompagnement à la danse. La sensualité s'exprime plus éloquemment par la danse que par le chant, et plus par le chant que par la
musique instrumentale. Aussi n'est-ce pas sur le côté voluptueux de
ces deux dernières formes d'art que nous voudrions insister. Il nous
semble plutôt intéressant de remarquer les oppositions d'effets qui ont
frappé les Français dans la musique et le chant espagnols. Ceci démontrera une fois de plus que non seulement le cadre physique, mais
291
292
Paris, 1933, p. 157.
Oeuvres, La Pléiade, Paris, 1952, pp. 103-142 (1re éd., Paris, 1852).
293 Voir ci-dessus, p. 32.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
150
aussi les aspects essentiels de l'âme ibérique semblent placés sous le
régime du contraste. Voici comment le marquis de Custine explique le
« succès des airs espagnols à Paris » :
La plupart des motifs sont dans le ton mineur, le seul qui
peigne bien la tristesse passionnée et les tourments de l'amour
malheureux ; la mélancolie du mode, contrastant avec la rapidité des mouvements, est précisément ce qui fait le caractère particulier de la musique espagnole dont les rythmes sont gais jusqu'au burlesque, et les tons mélancoliques jusqu'à la douleur 294.
Avant lui, Chateaubriand avait déjà remarqué que :
La musique espagnole, composée de soupirs, de mouvements vifs, de refrains tristes, de chants subitement arrêtés, offre un singulier mélange de gaieté et de mélancolie 295.
Musset, enfin, grand admirateur de la Malibran, comprend que ce
qui rend la fille du chanteur et compositeur Garcia si typiquement espagnole :
[117]
C'est le même timbre, clair, sonore, hardi, ce coup de gosier
espagnol qui a quelque chose de si rude et de si doux à la fois et
qui produit sur nous une impression à peu près analogue à la
saveur d'un fruit sauvage 296.
294
295
Op. cit., III, p. 21.
Op. cit., p. 19.
296 Concert de mademoiselle Garcia, Oeuvres, éd. cit., p. 1003.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
151
« Homo hispanicus » dans l’imagination française :
le brigand
La beauté de l'Espagne et son caractère exotique expliquent dans
une large mesure la fascination qu'elle exerçait sur les Français. Leur
imagination était aussi frappée par ce mélange de cruauté et de volupté qui, selon eux, était propre à l'Espagne. Mais l'image que nous étudions n'était pas seulement une vision d'esthètes : le citoyen espagnol
y ajoutait une autre dimension, en inspirant admiration et respect.
Nous avons vu que le XVIIIe siècle n'avait guère d'indulgence pour
Homo hispanicus, qu'il considérait comme le descendant dégénéré
d'ancêtres héroïques. Jusqu'à la réhabilitation romantique, l'Espagne
réelle restait un pays déchu ne ressemblant nullement à l'Espagne
idéale que les romanciers peuplaient de chevaliers parfaits et de Maures galants.
Il serait vain de prétendre qu'au XIXe siècle l'admiration soit devenue universelle, que tout citoyen espagnol ait soudainement gagné le
droit au respect des Français. Les types sordides et ridicules continuaient à se retrouver : alcades corrompus, moines paillards, alguazils
incompétents, soldats fanfarons, ces caricatures héritées du XVIIIe
siècle auront la vie dure. Pendant toute la première moitié du XIXe
siècle elles se perpétueront surtout dans le théâtre du boulevard,
comme personnages traditionnels de comédie.
Toutefois, pendant la même période, la situation se renverse : l'Espagne bouffonne devient à son tour conventionnelle tandis qu'une
nouvelle Espagne héroïque est censée correspondre à la réalité. Cette
transformation n'est pas entièrement explicable. Mais, sans aucun doute, les événements politiques ne lui ont pas été étrangers. On ne saurait
exagérer, par exemple, l'impression produite par la résistance des Espagnols aux troupes de Napoléon. Baldensperger l'a bien vu :
[118]
Quant à l'Espagne, vieille terre immobile de tradition et de
foi, une partielle réhabilitation lui était venue de ses réactions
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
152
contre-révolutionnaires, si surprenantes et si efficaces. Même
les guerillas des campagnes napoléoniennes, s'ajoutant à la favorable légende que 1’Émigration française avait élaborée, servaient dans un certain sens le renom de farouche énergie d'un
pays que les philosophes avaient naguère représenté comme
« énervé » par le monarchisme et un farniente quasimusulman 297.
Si les Espagnols ont été les premiers à s'élever contre l'Empereur,
ils ont aussi été, avec les Italiens, au premier rang de la résistance à la
Sainte-Alliance. Il fallut l'expédition du due d'Angoulême pour mettre
à la raison ceux qui avaient réussi la première des révolutions libérales.
Les Espagnols avaient donc fait preuve d'une vaillance dont on ne
les avait pas crus capables. Mais il y a plus : les voyageurs français
rapportaient des impressions qui ont puissamment contribué à créer
l'image d'un peuple admirable. Bien évidemment, ils insistaient surtout sur les personnages typiquement espagnols qui n'avaient guère
d'équivalents en France. Il n'y avait, en somme, pas grand-chose à dire
sur les avocats, les médecins ou les ingénieurs espagnols, peu différents de leurs collègues français. Pour intéresser le lecteur, il fallait
parler des toreros, des bandits, des muletiers, et nos voyageurs n'y ont
pas manqué.
Le personnage espagnol qui a acquis de loin la plus haute réputation en France est le bandit. Ici encore, les touristes et les hommes de
lettres se sont fait un devoir de le présenter au public. Les Espagnols,
mi-amusés, mi-vexés, se plaignent de ce que leur pays ait été considéré par nos romantiques comme un immense repaire de brigands. Il est
cependant certain qu'en Espagne ces bandits ont été particulièrement
actifs. Le 22 mai 1831, par exemple, La Gazelle de Séville rapporte
que l'alcade mayor de Tarifa, don N. del Aguila, a été tué par eux :
Pasando por el término de Jilena y yendo escoltados de unos
seis u ochos soldados del provincial de Guadix fueron atacados
297
Fernand BALDENSPERGER, Orientations étrangères Paris, 1927, p. 142.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
153
por la gavilla del famoso malhechor José María el Tempranillo
y a la primera descarga tuvo la desgracia de ser pasado por una
bala el mencionado Aguila, de cuyas resultas muriό el íad i mmediato 298.
[119]
Ce fameux José Maria semble avoir passionné le marquis de Custine :
Un brigand fameux, José Maria, désole depuis longtemps
l'Andalousie. Il traite maintenant avec la cour, en attendant la
réponse du roi des Espagnes 299.
Notre voyageur n'hésite pas à donner une description fort complète
du chef de bande :
José Maria est un homme petit, replet, aux cheveux noirs, au
teint rougeaud, d'une activité et d'une audace sans pareilles...
philosophe pratique, il soutient son système par le poignard 300.
Inutile d'ajouter que le marquis de Custine n'a jamais rencontré José Maria. Comme la tête du brigand avait été mise à prix, il s'est probablement borné à copier son signalement sur une affiche.
Il n'y a aucun doute que les bandits de grand chemin étaient nombreux en Espagne. Cela enchantait les Français, qui partaient armés de
pied en cap, se persuadant qu'ils couraient des dangers extraordinaires.
Ce danger imaginaire ou réel donnait l'illusion de l'aventure que de
plus courageux allaient chercher dans les pays inexplorés.
Si tous les voyageurs parlent de ces fameux bandits, bien peu ont
eu l'occasion de les voir face à face. C'est toujours la diligence précé298
299
Cité par Adolphe DE CUSTINE, op. cit., III, p. 88.
Ibid., II, p. 172.
300 Ibid., IV, p. 46.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
154
dente ou le convoi de mulets suivant qui ont été détroussés. Le seul
qui prétende avoir eu affaire à eux lors de son voyage en Catalogne 301 est Charles Didier : il affirme avoir combattu vaillamment
avant de succomber sous le nombre. Il aurait d'ailleurs reçu plusieurs
coups de sabre... qui ont déchiré son manteau. Cette histoire semble
parfaitement invraisemblable, mais apparemment les lecteurs étaient
prêts à croire n'importe quoi, quand il s'agissait de brigands.
La liste de tous les Français qui ont parlé des bandits espagnols serait longue. Théophile de Ferrière se moque des confortables cénacles
parisiens dans lesquels on évoquait ces farouches aventuriers :
La pièce qui vint ensuite était une histoire de brigands espagnols, dite par un petit jeune homme mince qui cherchait à
grossir [120] le timbre de sa voix le plus possible, et Palmyre
tressaillit d'admiration à un discours du bandit qui se terminait
ainsi :
« Espartero le brun à la ceinture rouge,
Aux pieds nus, au manteau de drap sale et grossier,
Aurait mordu la dent de mon poignard d'acier 302. »
Mais le « petit jeune homme mince », auteur de ces piètres vers, ne
faisait que suivre la mode du jour. Le grand Hugo lui-même n'avait-il
pas créé Hernani ? Dans La Légende de la nonne 303, il avait écrit
l'histoire de dona Padilla del Flor, qui prend le voile à Tolède. Mais un
« fier brigand de la contrée », de ceux qui « surpassent en audace les
chevaliers », arrive à se faire aimer d'elle :
Il était laid ; des traits austères,
La main plus rude que le gant ;
Mais l'amour a bien des mystères,
Et la nonne aima le brigand.
301
302
Souvenirs de Catalogne, Revue de Paris, 1837, XLIV.
Les Romans et le mariage, Paris, 1837, p. 94.
303 Odes et Ballades, ballade XIII.
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155
Dans son mélodrame comique Tringolini ou Le Double enlèvement, Vilain de Saint-Hilaire a, dès 1823, fait le portrait du bandit romantique :
L'ALCADE : Si j'ai bonne mémoire, le signalement du fameux Juan Torribio, de ce premier chef de voleurs de toutes les
Espagne, porte que c'est un jeune et joli cavalier. On m'a assuré
de plus... que ce même Torribio poussait quelquefois l'audace
jusqu'à pénétrer dans Madrid, et se faufiler dans les familles
honnêtes, enlever ou épouser même les filles de bonne maison ;
il est à sa quinzième 304.
C'est, à peu de choses près, la description de Horqueto, le bandit
que Loève-Veimars met en scène dans sa nouvelle, Dona Concha
[sic] :
C'était un joli garçon, vêtu avec goût, la lèvre ombragée
d'une légère moustache ; il avait l'air distingué et mécontent,
toute la tournure d'un gentleman en voyage. Au reste, dans tous
ses traits était écrit que c'était là un homme. ... Dona Concha...
sentit son cœur impétueusement, irrésistiblement entraîné vers
le brigand 305.
Grâce donc aux œuvres littéraires et aux exagérations des touristes,
H. Cornille a raison de dire :
[121]
L'Espagne apparaît à tous les yeux, comme un repaire de
brigands, où l'étranger ne peut faire un pas sans qu'un poignard
ne s'appuie contre sa poitrine 306.
304
305
Acte II, scène III.
Revue de Paris, 1830, XI, p. 15.
306 Op. cit., p. 58.
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156
Le brigand espagnol devient un véritable mythe. Personnage éminemment romantique, l'espoir de le rencontrer vaut à lui seul le voyage en Espagne. Si ceux qui pouvaient se vanter de l'avoir vu face à
face étaient peu nombreux, cela n'empêchait pas les imaginations d'aller bon train : chaque auberge devenait un nid d'assassins, le plus inoffensif paysan un dangereux hors-la-loi. Dans L'Amirante de Castille
de Mme d'Abrantès, nous trouvons cette description :
Nulle chanson joyeuse ne charme sa retraite, et lorsque, vers
le soir, enveloppé dans sa cape brune, il se laisse apercevoir sur
une colline, ... appuyé sur un long fusil, qui chez beaucoup
d'entre eux leur sert souvent plutôt pour attaquer que pour se
défendre, le pèlerin solitaire... se hâte de s'éloigner du fantôme
qui lui apparait comme le mauvais génie de ces solitudes 307.
Il s'agit tout bonnement d'un berger d'Extremadoure et non pas,
comme on pourrait le penser, de quelque sinistre contrebandier.
Il ne faut cependant pas croire que les Français se soient soudain
pris d'une admiration collective pour le crime. Le bandit espagnol
n'était pas vu comme un vulgaire malfaiteur, mais plutôt comme une
victime de la société. Les désordres de la guerre civile, la misère, la
faim l'avaient probablement poussé au crime. Et encore, il ne s'attaquait qu'aux riches et protégeait les pauvres, comme Robin des Bois.
Cuendias raconte qu'il s'est arrêté un soir dans une auberge de
montagne. Bien entendu, il est persuadé que ses voisins sont des brigands et des contrebandiers. Mais comme il est traité par tout le monde avec la plus grande politesse, notre auteur explique :
Les bandits espagnols sont ainsi faits ; cruels, féroces au besoin envers ceux qui leur résistent sur le grand chemin ; rusés
envers les alguazils et autres gens de justice ; vaillants contre
les soldats qui, au nom de la loi, les traquent parfois comme des
loups, ils sont, vis-à-vis des personnes que le hasard fait rencontrer avec eux, d'une loyauté, d'un chevaleresque impossible
307
2 vol., Paris, 1836, II, p. 191.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
157
à dire. Envers le pauvre voyageur qui a juste de quoi faire sa
route, ils sont généreux ; [122] envers le paysan qui n'a d'autre
bien que son travail, ils se posent en protecteurs 308.
Si ce n'est pas la société qui force le bandit espagnol à prendre la
campagne, c'est son caractère, ou plutôt ses passions, qui l'y entraînent. En véritable héros romantique, il est poursuivi par la fatalité et
non poussé par la vulgaire envie de s'enrichir aux dépens d'autrui. En
1826, nous trouvons dans la pièce d'Antony Béraud, Le Corregidor ou
Les Contrebandiers, cette tirade déclamée par le brigand Torbellino :
Ardent, impétueux, vindicatif comme un véritable enfant de
l'Andalousie, longtemps je crus n'avoir rien à redouter du sort...
dix-sept ans se sont écoulés depuis le jour où la jalousie me fit
commettre mon premier crime 309.
Les Français auraient pu se souvenir de Cartouche ou de Mandrin,
qui avait joui d'une telle popularité au XVIIIe siècle. Mais, pour expliquer la persistance du banditisme en Espagne, ils préfèrent l'attribuer
au caractère africain du pays : « L'Espagne est restée arabe sur ce
point, dit Gautier, et les bandits y passent facilement pour des héros 310. »
Et Custine de surenchérir :
Le brigandage, si difficile à détruire, si enraciné, surtout
chez les Andalous, est encore une passion naturelle aux races de
sang arabe 311.
308
Op. cit., p. 346-347.
Acte I, scène I.
Voyage en Espagne, p. 294.
311 Op. cit., III, p. 23.
309
310
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
158
Souvenons-nous qu'en Espagne, faire l'amour et voler par nécessité, ce n'est point péché. Raison de plus pour que les romantiques admirent avec Balzac
Ces grands hommes manqués, que la société a marqués
d'avance au fer chaud, en les appelant des mauvais sujets 312.
Ainsi donc, le bandit espagnol apparaissait aux Français entouré
d'un prestige tout spécial. On l'admirait parce qu'il correspondait à un
certain idéal romantique : homme d'action, [123] homme passionné,
poursuivi par un destin tragique, il était le symbole même de l'Espagne telle qu'on l'imaginait. Nous retrouvons en lui ce contraste qui
marque tout ce qui est espagnol. Capable de cruauté envers ses ennemis, il se montre prêt à sacrifier jusqu'à sa vie pour l'amour d'une belle. Sa politesse, sa loyauté et sa générosité le rendent différent des
bandits communs.
Est-ce à dire que seul le bandit représentait l'Espagnol dans l'imagination française ? Le conspirateur, le torero, l'aubergiste, ainsi que
les personnages ridicules dont nous avons parlé étaient présents, eux
aussi. Mais il faut remarquer que ce qui frappe chez le paysan comme
chez le muletier, chez le majo comme chez l'exilé politique, c'est qu'ils
mènent (ou sont susceptibles de mener) une vie quelque peu en marge
de la société. Le paysan est si pauvre qu'il peut à chaque instant être
poussé au banditisme. Déjà, ses sympathies vont aux brigands bien
plus qu'à la police. Le muletier ne serait qu'un pittoresque anachronisme s'il ne se livrait pas à la contrebande. Le torero est trop admiré
des femmes pour ne pas s'attirer tôt ou tard quelque mauvaise affaire
qui se règlera à coups de couteau. L'Espagnol n'a pas beaucoup de
respect pour les lois ; il obéit plutôt aux impératifs qui régissent son
code de l'honneur et de la dignité.
312
Les Maranas, Œuvres, 10 vol., La Pléiade, IX, p. 792 (1re éd., Paris, 1832).
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
159
Les Gitans
Ceci dit, il n'est pas étonnant que les Gitans aient paru romantiques
au plus haut degré. Il est vrai que cela ne se manifeste pas dès le début. Au commencement du siècle, Bourgoing ne les admire guère :
Quant aux Gitanos et Gitanas, ce sont des espèces de bohémiens qui courent le pays, mènent une vie scandaleuse, disent
la bonne aventure, ont entre eux un langage et des signes particuliers, et avec les autres cette tournure de fripons adroits qui
cherchent des dupes. Cette classe de citoyens, dont on aurait dû
depuis longtemps purger la société, y a cependant été tolérée
jusqu'à nos jours 313.
Philarète Chasles, dans son compte rendu du fameux livre de
George Borrow The Zincali (London, 1841), exprime une opinion un
peu plus nuancée, mais encore loin d'être favorable :
Cette race dépravée, les zincali, vivant de vol, servant la
[124] débauche, pleine de haine pour les hommes civilisés,
conserve ses vertus spéciales, la charité pour ses frères, au sein
de la violence et du meurtre, le sentiment de la pureté morale
sous les haillons de la misère voleuse, la force de l'âme dans la
bassesse de la vie, et la chasteté au milieu des impudicités que
stimulent et ravivent sans cesse les danses lascives de ses femmes et de ses filles 314.
Les récits de voyageurs ne sont guère plus tendres envers eux.
Alexis de Valon est allé les voir danser à Grenade en 1849. Comme
les touristes d'aujourd'hui, il a tenu à passer une soirée dans les cavernes du Sacromonte :
313
314
Op. cit., Il, pp. 387-388.
Les Gipsies, Revue des Deux Mondes, 1841, XXVII, pp. 467-468.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
160
Un beau soir... j'allai voir un bal de bohémiennes. Que Dieu
vous garde de l'odeur que je respirai là ! Une douzaine de femelles atroces... aussi sales que hideuses, ayant des profils de
chèvres et des mains de chauve-souris, exécutèrent devant nous,
...je ne sais quelle danse impudique, beaucoup plus dégoûtante
que voluptueuse. « Ah ! monsieur Victor Hugo, monsieur Mérimée, dites-nous bien que la Esmeralda et Carmen n'étaient pas
des bohémiennes de Grenade 315 ? »
En fait, il faudra attendre les belles années du romantisme pour que
les Français commencent à se prendre d'admiration pour les Gitans.
Admiration purement livresque d'ailleurs. Les auteurs ont insisté sur
les côtés attrayants des bohémiens et leur ont en quelque sorte donné
une valeur symbolique. Les Gitanes avaient les cheveux plus noirs, les
yeux plus brillants, le pied plus petit que les autres Espagnoles. Elles
se servaient encore plus facilement du poignard qu'elles portaient à la
jarretière. Et leurs hommes ont ce que tant de romantiques voudraient
avoir : un cœur tendre sous un rude extérieur. Voici comment Pacheco
explique son peuple à Isabelle, dans El Gitano, de Paul Fouché :
Le monde est notre patrie et notre domaine ; nous y régnons
en maîtres, car nous ne sommes asservis par personne, et nous
n'en connaissons qu'un seul, Dieu. Nous avons nos lois, nos
mœurs, nos usages 316.
En 1831, Victor Hugo crée la Esmeralda. En 1836, Eugène Cabanel publie sa nouvelle, La Gitana. La même année, on représente El
Gitano de Paul Fouché. Deux ans plus tard paraît [125] Tintilla la
danseuse d'Augustin Chevalier. En 1839, La Gitana de Desvergers et
Laurencin est jouée au Gymnase, tandis qu'un vaudeville du même
315
316
L'Andalousie à vol d'oiseau, p. 803.
Acte I, scène V.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
161
titre est publié par Paul-Aimé Chapelle 317. En 1841, Pierre Carmouche donne Anita la bohémienne et, enfin, Mérimée publie Carmen en
1845. Ceci n'est qu'une liste partielle d'ouvrages dont les personnages
principaux sont des bohémiens. Il faut comprendre Th. V..., qui écrivait, au sujet de La Gitana de Desvergers et Laurencin :
Encore une Gitana ! Décidément, ces dames deviennent fort
à la mode, et bientôt nous entendrons raisonner [sic] leurs tambours de basque sur toutes nos scènes lyriques et dramatiques 318.
Mais l'imagination collective française ne faisait pas une grande
différence entre les Espagnols et les Gitans. Peu à peu, ces derniers
deviennent même des incarnations de ce qu'on croyait être essentiellement espagnol.
« Homo hispanicus » ;
individualisme et dignité
Le prototype de l'Espagnol a donc été pour les Français un mélange de gitan, de contrebandier, de toréador, de moine, de grand d'Espagne et d'autres personnages encore. Devons-nous l'imaginer plutôt
drapé dans le manteau sale du paysan castillan, que revêtu de l'armure
des conquistadores ? Doit-il tenir à la main un crucifix ou une muleta ? C'est sur les qualités communes à tous les Espagnols, quel que fût
leur métier ou leur rang dans la société, que s'arrêtait l'imagination
française.
Nous avons vu le mendiant demander sans façon du feu à un grand
d'Espagne. Ce geste semblait symbolique : pour les Français, l'Espagnol est un individualiste, conscient avant tout de sa dignité personnelle. Les préjugés de caste ne le touchent guère ; son échelle de va317
Un des couplets de ce vaudeville est chanté sur l'air de L'Andalouse de
MUSSET, mise en musique par Monpou.
318 Le Monde dramatique, 1839, VIII, p, 76.
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162
leurs ne correspond pas à la hiérarchie sociale. Le plus noble des seigneurs et le plus pauvre des sujets ont en commun la fierté d'être Espagnols, fierté qu'éprouve même le mendiant. Charles de Mazade l'a
bien remarqué :
En tendant la main, il [le mendiant] sent encore sa valeur
d'homme ; il sent qu'il est Espagnol, c'est-à-dire de la race
des 319.
[126]
Alexis de Saint-Priest a noté « le mépris de l'Espagne pour tout ce
qui n'est pas elle » ; il a cru que l'explication de ce phénomène devait
remonter aux temps de la Reconquista :
Un Espagnol n'a que de l'orgueil. Chacun d'eux croit venir
de la cour agreste du roi Pélage. Le plus fier des grands ne saurait remonter plus haut ; peut-être même a-t-il du sang maure,
portugais, juif ou français... Qu'y a-t-il donc à lui envier 320 ?
La fierté d'être Espagnol, jointe au mépris pour l'étranger, crée un
sentiment de profonde égalité. Ce phénomène suscitait la curiosité et
l'admiration des Français. Alexis de Valon note :
Ils [les hommes] ont un sentiment profond de la dignité humaine : le plus pauvre diable prendra place sans scrupule à côté
du plus grand seigneur... et, sans s'humilier, il aura toujours l'air
pénétré de la fameuse maxime espagnole : « Nous sommes tous
seigneurs dans ce pays 321. »
319
Madrid et la société espagnole, Revue des Deux Mondes, 1847, XVIII, p.
326.
320 Op. cit., pp. 325-326.
321 Op. cit., pp. 782-783.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
163
Puisque tout Espagnol se considérait comme un seigneur, il n'est
pas étonnant que cela se manifeste dans son maintien et son comportement. Dans La Sérafina, Frédéric Soulié met en scène le peintre Vélasquez, dont les premières paroles sont :
Quand j'ai mon épée au côté
Et mon poignard à la ceinture,
Chacun se range sans murmure
Et parle avec civilité ;
Car il n'est pas spadassin vanté,
Il n'est gentilhomme de race,
Qui ne tremble lorsque je passe,
Avec mon épée au côté 322.
Cette fière tirade, qui rappelle les rodomontades des grands capitaines, peut paraître étrange dans la bouche d'un artiste. Plus frappant
encore sera l'aspect plein de noblesse que présentent même les plus
humbles des Espagnols. Salvandy décrit ainsi un muletier andalou :
L'Andalou resta seul, toujours dans la même attitude ; il ressemblait à un barde du Nord, à un poète inspiré plus qu'à un
homme des derniers rangs. L'Espagne présente constamment ce
[127] phénomène. L'éducation, la naissance, les richesses y sont
des avantages dont la possession ne se trahit par aucun signe
extérieur 323.
L'Espagnol est riche même quand il ne possède rien, puisqu'il a le
sentiment de sa propre dignité et l'orgueil de se savoir issu d'une race
de seigneurs. Aussi est-il sobre, et il a besoin de peu pour vivre satisfait. Dans ce pays de rêves, prétend Édouard Magnien, la pauvreté ne
comporte aucune honte :
322
323
Revue de Paris, 1836, XXIX, p. 210.
Op. cit., II, p. 273.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
164
Donnez à un Espagnol de l'ombre en été, du soleil en hiver,
une gousse d'ail ou un oignon, une loque de drap brun sur
l'épaule avec une guitare dans les doigts, et rien ne lui manque...
Pour sa pauvreté, ce n'est point une honte, et loin d'en rougir, il
sait s'en draper majestueusement comme de son manteau à
jour : il reste hidalgo même sous les lambeaux 324 !
Sobriété de besoins, sobriété de paroles. L'Espagnol parle peu et
n’emploie pas de mots inutiles. Bourgoing raconte l'histoire d'un
voyageur français qui rencontre un berger espagnol :
Il lui demande si son troupeau est du canton ; quelle nourriture on lui donne ; s'il voyage, d'où il vient, où il va, à quelle
époque il se met en route ; à quelle époque il revient, etc. Le
berger, après l'avoir écouté froidement, lui répond : « Aqui nacen ; aqui pacen ; aqui mueren », et poursuit son chemin 325.
D'après Xavier Durrieu, la décadence de l'Espagne sera enrayée un
jour par l'individualisme et la dignité de ses fils. Car dans ce pays où,
comme affirme Salvandy, « la dignité de l'homme ne fut jamais impunément attaquée 326 », les citoyens possèdent au plus haut point cette
« énergie » que les romantiques ont tant admirée :
Durant ce long marasme qui va des guerres de Flandre aux
guerres de la Succession, l'individu conserve du moins dans
toute son énergie les vertus par lesquelles, doit un jour se relever la nation entière 327.
324
Op. cit., III, p. 41.
Op. cit., III, p. 290. Charles DIDIER raconte exactement la même anecdote
dans ses Souvenirs d'Espagne, Revue de Paris, 1837, p. 73.
326 Op. cit., I, p. 132.
327 Xavier DURRIEU, Mouvement intellectuel de l'Espagne, Revue des Deux
Mondes, 1844, VI, p. 926.
325
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
165
[128]
Enfin, il aurait été surprenant que les Français ne vissent pas de
contrastes dans le caractère espagnol. Custine indique :
Corrects dans toutes les relations sociales, les Espagnols
sont sans frein dans leurs passions ; et ce contraste a un charme
particulier 328.
Et Salvandy brode sur ce thème. Comme tous ses compatriotes, il
attribue l'originalité de ce peuple à ses prétendues origines africaines :
Patient, sobre, aimant l'immobilité du corps comme celle de
l'esprit, mais renonçant avec joie au repos pour voler au combat
trahissant une riche imagination par un style riche, trop riche de
figures et de nombres ; ne marchant qu'armé ; conservant, en
état de société, l'indépendance, la dignité personnelle de l'état
sauvage, doué de vertus républicaines sous le joug du plus lourd
despotisme ; tenant à la liberté par son orgueil et au pouvoir absolu par sa paresse ; formé pour les grandes choses et passant
inconnu, j'allais dire inutile sur terre, tel est l'Espagnol des classes inférieures, tel est aussi le disciple des califes 329.
Voici donc l'Espagnol, tel que le concevait l'imagination française
entre 1800 et 1850. Pendant ces cinquante années, le sang ne cesse
pratiquement pas de couler dans la Péninsule. Ce bel édifice vermoulu
qu'était la grande Espagne s'effondre. Elle a perdu une bonne partie de
son empire colonial. Elle a fini par sombrer dans la guerre civile et
l'anarchie. Sa puissance est très réduite ; sa pauvreté est grande. Et
malgré cela, dans l'imagination des Français, son prestige est allé en
s'accroissant. L'Espagnol n'est plus, comme au XVIIIe siècle, un matamore ou un Figaro. Il a fait les preuves de son caractère aux moments tragiques de son histoire. Certes, sa grandeur d'âme n'a pas suffi
328
329
Op. cit., I, p. 303.
Op. cit., II, p. 268.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
166
à enrayer la décadence du pays. Mais, après tout, rien n'oblige à juger
un pays sur la force de ses armées ou la puissance de son industrie.
Dans sa misère, l'Espagnol reste farouchement individualiste ; malgré
son ignorance, il conserve cette dignité, ce respect de soi qui n'est pas
ridicule, puisqu'il lui a permis de rester libre.
Il semble donc que l'évolution qu'a subie l'image de l'Espagne en
France se soit manifestée de deux manières principales. Sous l'influence de la poussée romantique, les Français ont commencé [129] à
apprécier, d'une part, le pittoresque exotique du paysage et des coutumes ; de l'autre, les qualités morales de ses habitants. Certes, les détracteurs n'ont pas manqué ; les choses de l'Espagne n'ont pas invariablement suscité l'admiration ; l'esprit moqueur des Français ne perd
jamais ses droits. Mais, en général, nous croyons pouvoir dire que,
pendant la période qui nous intéresse, l'Espagnol inspirait généralement le respect et l'admiration.
L'image de l'Espagne,
cristallisée dans « Carmen ».
En examinant l'image de l'Espagne, nous avons, en somme, procédé à une synthèse. Nous avons essayé d'en fixer les éléments principaux, en les illustrant par des témoignages de sources aussi variées
que possible. Le tableau que nous avons donné ne correspond donc
pas nécessairement à celui d'un auteur plutôt que d'un autre. Cependant, nous l'avons déjà dit, s'il fallait choisir une œuvre à travers laquelle l'imagination collective s'exprime le mieux, nous nous arrêterions sur la fameuse Carmen de Mérimée. Dans une certaine mesure,
c'est par un véritable tour de force que Mérimée a réussi à condenser
en une cinquantaine de pages le rêve espagnol qui a hanté ses contemporains ; la valeur intrinsèque de l'œuvre s'en trouve, nous semble-t-il,
rehaussée.
Remarquons que Carmen porte en épigraphe une sentence en grec
de Palladas :
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
167
Toute femme est comme le fiel ; mais elle à deux bonnes
heures, une au lit, l'autre à sa mort 330.
Pour ceux qui comprenaient le grec, cet aphorisme donnait le ton
de la nouvelle : ces deux thèmes, la sensualité érotique et le sentiment
de la dignité humaine, rendent l'œuvre et l'héroïne particulièrement
attrayantes.
Carmen n'est pas avare de son corps, mais elle préfère être poignardée par don José à s'humilier, en feignant pour lui un amour qu'elle n'éprouve plus. Ce dénouement fait de la Gitane un personnage tragique : l'amour qui aboutit au meurtre est, nous l'avons vu, un thème
important du rêve espagnol. Carmen semble être faite pour l'amour.
Elle se donne avec facilité, que [130] ce soit par désir ou par intérêt ;
mais tout en étant presque le prototype de la sensualité, elle est cruelle, sanguinaire même : elle conseille à don José d'abandonner Remendado blessé. Plus tard, elle lui proposera froidement d'assassiner son
mari :
« Mais, ajouta-t-elle avec un sourire diabolique, ...sais-tu ce
qu'il faudrait faire ? que le Borgne paraisse le premier. Tenezvous un peu en arrière : l'Écrevisse est brave et adroit : il a de
bons pistolets... Comprends-tu ?... »
Elle s'interrompit par un nouvel éclat de rire qui me fit frissonner 331.
La volupté épicée de cruauté, n'était-ce pas là ce qui faisait l'attrait
tout spécial des femmes espagnoles ?
D'ailleurs, Carmen a le genre de beauté que l'imagination française
prêtait à toute femme espagnole :
330
Nous nous servirons de l'édition des Romans et Nouvelles, établie et annotée
par Henri MARTINEAU, publiée par la « Bibliothèque de la Pléiade » en
1957. Carmen y occupe les pages 609 à 666.
331 P. 651.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
168
Je vis qu'elle était petite, jeune, bien faite, et qu'elle avait de
très grands yeux 332.
Sa peau, d'ailleurs parfaitement unie, approchait fort de la
teinte du cuivre. Ses yeux étaient obliques, mais admirablement
fendus ; ses lèvres un peu fortes, mais bien dessinées et laissant
voir des dents plus blanches que des amandes sans leur peau.
Ses cheveux, peut-être un peu gros, étaient noirs, à reflets bleus
comme l'aile d'un corbeau, longs et luisants. ... C'était une beauté étrange et sauvage 333.
Mérimée la compare à un loup et à un chat pour l'expression des
yeux, à une « pouliche du haras de Cordoue 334 » pour la démarche
balancée et à un cabri pour l'agilité. Bien entendu, elle danse à la perfection et joue des castagnettes. Elle sait aussi manier le couteau et le
prouve au cours d'une rixe, en défigurant une femme à la fabrique de
cigarettes.
Quand le narrateur rencontre don José, il nous en donne une description qui est celle de rigueur pour un brigand :
C'était un jeune gaillard, de taille moyenne, mais d'apparence robuste, au regard sombre et fier. Son teint, qui avait pu être
beau, était devenu, par l'action du soleil, plus foncé que ses
cheveux. D'une main il tenait le licol de sa monture, de l'autre
une espingole de cuivre 335.
[131]
Mais Mérimée ne résiste pas au plaisir de railler la « banditomanie » de ses contemporains ; il ajoute :
332
P. 620.
P. 622.
P. 628.
335 P. 610.
333
334
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
169
Je ne croyais plus aux voleurs, à force d'en entendre parler et
de n'en rencontrer jamais 336.
Peut-être Mérimée pensait-il au marquis de Custine quand il mit
dans la bouche de don José cette appréciation peu flatteuse du célèbre
José Maria El Tempranillo :
Et puis José Maria, par-dessus le marché, était le plus mauvais camarade !... Dans une expédition que nous fîmes, il s'arrangea si bien que tout le profit lui en demeura, à nous les
coups et l'embarras de l'affaire 337.
Quoi qu'il en soit, les héros de Mérimée sont une Gitane, c'est-àdire une Espagnole-type, et un bandit, c'est-à-dire un Espagnol caractérisé à la mode du temps. Comme la majorité des bandits ibériques,
c'est pour l'amour d'une femme et par jalousie que don José devient
hors-la-loi. Il soulève d'autant moins l'indignation que ses crimes ne
sont pas vraiment crapuleux :
Nous nous occupions de contrebande, et aussi parfois, il faut
bien l'avouer, nous arrêtions sur la grande route, mais à la dernière extrémité, et lorsque nous ne pouvions faire autrement.
D'ailleurs, nous ne maltraitions pas les voyageurs, et nous nous
bornions à leur prendre leur argent 338.
Don José est romantique à souhait, puisqu'il sait jouer de la mandoline, se montre digne et poli, mais n'hésite pas à tuer Garcia le Borgne en duel. D'ailleurs :
Éclairée par une lampe posée sur la petite table, sa figure, à
la fois noble et farouche, me rappelait le Satan de Milton 339.
336
P. 610.
P. 648.
P. 653.
339 P. 615.
337
338
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
170
Nous savons que Mérimée était grand fumeur. Le tabac apparaît
souvent dans Carmen. Quand il rencontre le bandit, le narrateur lui
offre un cigare et leur amitié est scellée par ce geste rituel :
[132]
Je connaissais assez le caractère espagnol pour être très sûr
de n'avoir rien à craindre d'un homme qui avait mangé et fumé
avec moi 340.
Plus tard, il fait connaissance avec la Gitane et ébauche avec elle
un début de flirt :
[Elle] se hâta de me dire qu'elle aimait beaucoup l'odeur du
tabac, et que même elle fumait, quand elle trouvait des papelitos bien doux. Par bonheur, j'en avais de tels dans mon étui, et
je m'empressai de lui en offrir. ... Mêlant nos fumées, nous causâmes si longtemps, ... que nous nous trouvâmes presque seuls
sur le quai 341.
Quand le narrateur prévient don José qu'il a été trahi par le guide, il
lui donne des cigares pour la route ; et quand il lui rend visite dans sa
prison de Cordoue, c'est encore des cigares qu'il lui apporte.
L'auberge de montagne où il couche en compagnie de son guide et
de don José correspond bien à l'idée qu'on se faisait en France des hôtelleries espagnoles :
Nous arrivâmes à la venta. Elle était telle qu'il me l'avait dépeinte, c'est-à-dire une des plus misérables que j'eusse encore
rencontrées. Une grande pièce servait de cuisine, de salle à
manger et de chambre à coucher. Sur une pierre plate, le feu se
340
341
P. 613.
P. 620.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
171
faisait au milieu de la chambre et la fumée sortait par un trou
pratiqué dans le toit, ou plutôt s'arrêtait, formant un nuage à
quelques pieds au-dessus du sol. Le long du mur, on voyait
étendues par terre cinq ou six vieilles couvertures de mulets ;
c'étaient les lits des voyageurs 342.
Par contre, le menu n'est pas aussi désolant qu'on aurait pu s'y attendre :
On nous servit, sur une petite table haute d'un pied, un vieux
coq fricassé avec du riz et force piments, puis des piments à
l'huile, enfin du gaspacho, espèce de salade de piments 343.
Peut-être l'hôtesse, qui a reconnu don José, et qui sait sa prédilection pour les piments, s'est-elle mise en frais en l'honneur
[133] d'un aussi illustre client. Les bandits en Espagne peuvent,
nous le savons, compter sur la complicité de l'habitant. Don José affirme : « Partout nous étions bien reçus 344. »
Un autre personnage traditionnel que nous retrouvons chez Mérimée, grand amateur de corridas, est le toréador. Le pauvre Lucas, picador de son métier, se fait tuer par le taureau en faisant le brave pour
les beaux yeux de Carmen.
Mérimée a bien fait remarquer la diversité des provinces espagnoles et des types physiques que l'on rencontre dans la Péninsule. Don
José est Navarrais et parle avec mépris des Andalous. Quand la bande
se voit poursuivie :
Les fanfarons andalous, qui ne parlaient que de tout massacrer, firent aussitôt piteuse mine. Ce fut un sauve-qui-peut général 345.
342
Pp. 613-614.
P. 614.
P. 644.
345 P. 645.
343
344
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172
Carmen est Gitane et se moque des Castillans. Quand don José la
mène en prison, elle dit :
Si je vous poussais, et si vous tombiez, mon pays, ... ce ne
seraient pas ces deux conscrits de Castillans qui me retiendraient 346...
L'un des complices des bandits est le Juif Ben Joseph, et le narrateur, quand il amène Carmen prendre une glace, lui demande si elle
n'est pas Mauresque.
Nous retrouvons, au cours de la nouvelle, des habitudes espagnoles
familières aux contemporains de Mérimée et qui entraient dans l'image qu'ils se faisaient de l'Espagne. Par exemple, don José, étant hidalgo, sera garrotté et non point pendu comme un simple roturier. Quand
l'officier anglais donne le bras à Carmen, don José s'en étonne :
Alors l'Anglais se leva, me donna une piastre, et offrit le
bras à Carmen, comme si elle ne pouvait pas marcher seule 347.
Mérimée n'hésite pas, suivant la mode de son temps, à employer
des mots espagnols là où le français aurait aussi bien fait l'affaire. Il
met aussi à contribution ses connaissances de basque et de gitan, multipliant, non sans malice, les notes explicatives au bas de la page.
Les descriptions de la nature ne sont pas la spécialité de [134] Mérimée. Dans Carmen, il se borne à indiquer rapidement le paysage
dans les montagnes où chemine le narrateur « harassé de fatigue, mourant de soif, brûlé par un soleil de plomb 348 ». Quelques mots à peine
sur « une gorge étroite entre deux hauts contreforts de la sierra de Cabra 349 » et le décor est monté.
346
P. 632.
P. 650.
P. 609.
349 Pp. 609-610.
347
348
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
173
Si le paysage est à peine esquissé, l'auteur se complaît à rappeler
l'histoire d'Espagne. Tout le premier paragraphe évoque la période
romaine. Dans une note explicative, il parle des « provinces privilégiées, jouissant de fueros particuliers, c'est-à-dire l'Alava, la Biscaie,
la Guipuzcoa et une partie de la Navarre 350 ». Il rappelle que Cordoue
est « l'antique capitale des princes musulmans 351 ». Il n'y a pas jusqu'aux personnages politiques des guerres civiles qui ne soient mentionnés ; don José dit :
En me faisant soldat, je m'étais figuré que je deviendrais tout
au moins officier. Monga, Mina, mes compatriotes, sont bien
capitaines généraux ; Chapalangarra, qui est un négro comme
Mina, et réfugié comme lui dans votre pays, Chapalangarra était
colonel, et j'ai joué à la paume vingt fois avec son frère, qui
était un pauvre diable comme moi 352.
Nous retrouvons également des anecdotes historiques et des légendes qui fascinaient les Français. Comme d'autres écrivains contemporains déjà signalés, Mérimée parle de Maria Padilla, maîtresse de Pierre le Cruel, « qui fut, dit-on, la Bari Crattisa, ou la grande reine des
bohémiens 353 ». Il signale en note :
Une tradition populaire rapporte qu'elle avait fait présent à la
reine Blanche de Bourbon d'une ceinture d'or, qui parut aux
yeux fascinés du roi comme un serpent vivant. De là, la répugnance qu'il montra toujours pour la malheureuse princesse 354.
C'est aussi dans une note au bas de la page 637 qu'il rappelle l'origine du buste de Pierre le Cruel placé dans la rue du Candilejo, à Séville.
350
351
P. 615.
P. 624.
352 P. 633.
353 P. 658.
354 Idem.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
174
Ainsi, nous retrouvons dans Carmen des pages d'histoire d'Espagne, des coutumes typiques, de différentes traditions provinciales,
[135] la danse espagnole, la course de taureaux, les auberges à la don
Quichotte et surtout, si l'on peut dire, le couple espagnol idéal : le
Bandit et la Gitane. Tout cela forme partie du rêve espagnol tel que
l'avait élaboré l'imagination collective. Il a fallu le génie d'un Mérimée
pour matérialiser ce rêve d'une façon aussi vivante et aussi sobre. En
marquant les contrastes avec discrétion, en ne perdant jamais le sens
de l'humour quand il fallait donner la note exotique, il est parvenu à
créer en quelques pages une Espagne plus vivante, plus croyable que
celle de tant de voyageurs, évoquée en d'épais volumes.
L'image de l’Espagne vue par la critique
Les Espagnols ne pouvaient manquer de réagir devant l'image que
se faisaient de leurs pays les romantiques français. Larra et Breton de
los Herreros se moquaient déjà de cette vision fantaisiste. Dans son
Historia de las ideas estéticas en Espana, Menéndez y Pelayo n'est
guère plus indulgent pour nos romantiques. Enfin, Juliàn Juderias laisse éclater son ressentiment dans La Leyenda negra, ouvrage extrêmement érudit, mais que le nationalisme exaspéré de l'auteur rend parfois
ridicule. Juderias déclare, en parlant des 90% des relations de voyage
en Espagne :
... son ridiculas manifestaciones de una fantasia pueril,
muestras revelantes de supina ignorancia y pruebas maniflestas
de odio y de mala voluntad 355.
Et il conclut :
Nuestra mala estrella ha querido que al tipo del español indolente, celoso, fanático, desdenoso de lo extraño, ignorante y
esclavo de los frailes, se sustituya el del espanol igualmente
ignorante, no menos fanático, pero amigo de los toros, fumador
355
13e éd., Madrid, 1954, p. 159 (Ire éd., Madrid, 1914).
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
175
imperturbable de pitillos innumerables, guitarrista incansable,
ajeno por completo al movimiento cientifico y literario de la
Europa culta y consciente 356.
Les hispanistes français ont été sévères, eux aussi. Morel Fatio,
parlant des écrivains romantiques, déclare :
Ils se sont figurés une Espagne plus chevaleresque, monacale, [136] inquisitoriale, plus gothique, sombre et truculente
qu'elle n'a jamais été. ... Ce qu'ils ont pris à l'Espagne se réduit à
des noms, des costumes, des légendes, en un mot à de la couleur locale... On ne saurait imaginer l'amas de bévues et de quiproquos qu'ont entassés... les romanciers et les dramaturges...
Histoires, noms, costumes, langage et caractères, tout y est faux
et ridiculement altéré 357.
Dans la revue espagnole La Espana moderna, Contamine de Latour accuse ses compatriotes :
No ven en Espana más que un inmenso ventorrillo, en donde
el son de las guitarras alterna con el estruendo de los trabucazos, el de las castañuelas con el manejo de la navaja, y el bolero
con las puñaladas 358.
Martinenche, qui s'intéresse uniquement à l'aspect littéraire du problème, essaye d'excuser les romantiques français. Il conclut :
Nos romantiques n'ont pas toujours compris l'Espagne, mais
ils ont toujours obscurément senti qu'elle était nécessaire à la
pleine envolée de leur génie, et, parce qu'ils l'ont sincèrement
aimée, il leur sera beaucoup pardonné 359.
356
Idem, p. 177.
Études sur l'Espagne, Ire série, 2e éd. revue et augmentée, Paris, 1895, pp,
65, 77, 96.
358 La Literatura espanola en Francia, La Espana moderna, 1889, XI, p. 70.
359 L'Espagne et le romantisme français, Paris, 1922, p. 253.
357
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
176
Enfin, M. Pierre Jourda accuse les romantiques, à de rares exceptions près, de n'avoir bien compris ni le caractère, ni les mœurs, ni la
religion, ni la politique des Espagnols 360.
En somme, les critiques ont été unanimes : l'image que se faisaient
les Français de l'Espagne est un tissu d'erreurs et de contresens à faire
frémir historiens, géographes et sociologues.
Que l'imagination française n'ait pas toujours vu l'Espagne avec
impartialité, qu'elle ait exagéré certains aspects de la vie péninsulaire,
qu'elle ait parfois exprimé d'anachroniques préjugés, que l'Espagne et
les Espagnols des livres soient trop souvent de grossières caricatures,
tout cela est incontestable, et nous en avons fourni plus d'une preuve
au cours de notre étude. Cependant, à tout prendre, l'image de l'Espagne en France n'était pas aussi fantaisiste qu'on le prétend : dans Los
Espanoles por si mismos, nous retrouvons plus d'un préjugé que l'on
considère [137] comme typiquement français sous la plume d'observateurs ibériques. Et d'ailleurs, les Espagnols ne s'empressaient-ils pas
de traduire la majorité des œuvres françaises auxquelles leur pays
avait fourni cadre ou personnages ? Les théâtres de Madrid ne
jouaient-ils pas Hernani ou le Don Juan de Marana d'Alexandre Dumas ? Martinenche fait observer : « Un portrait est rarement une simple caricature lorsque l'original croit s'y reconnaître 361. »
Cette façon de s'exprimer est quelque peu maladroite : une bonne
caricature est plus révélatrice qu'un médiocre portrait. L'image que
nous étudions constitue-t-elle une caricature ou un portrait ? Cette
question de terminologie ne nous semble guère féconde. Il n'est pas
possible d'imaginer un pays avec une impartialité absolue et une justesse géométrique ; bornons-nous à signaler que si l'image que nous
avons étudiée peut parfois donner dans le ridicule, il faut reconnaître
qu'elle comporte aussi des jugements perspicaces, des observations
intelligentes.
[138]
360
361
L'Exotisme, Paris. 1938, pp. 170-172.
Op. cit, p. 253.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
[139]
ROMANTIQUE ESPAGNE.
L’image de l’Espagne en France
entre 1800 et 1850.
Troisième partie
Retour à la table des matières
[140]
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178
[141]
ROMANTIQUE ESPAGNE.
L’image de l’Espagne en France entre 1800 et 1850.
TROISIÈME PARTIE
Chapitre VI
ESSAI D'EXPLICATION
Retour à la table des matières
Dans la Première Partie de notre travail, nous espérons avoir montré que l'Espagne était présente dans l'imagination collective française.
Dans la Deuxième Partie, nous avons essayé d'analyser cette image.
Nous tâcherons maintenant d'expliquer pourquoi elle a revêtu les traits
particuliers que nous croyons avoir dégagés.
Pour expliquer la vision que Stendhal, le marquis de Custine ou
Edgar Quinet pouvait avoir de l'Espagne, il est indispensable de
connaître la personnalité de chacun de ces écrivains. De même, c'est la
personnalité française qui s'exprime à travers l'image qui nous intéresse. Ce terme, un peu vague, désigne la somme de ce que les Français
de toutes catégories pouvaient avoir en commun pendant tout un
demi-siècle. Le troupier de l'Empire, en butte à la haine des Espagnols, et l'homme de lettres acclamé tout au long de son voyage
(comme le fut Dumas, par exemple) avaient nécessairement des visions bien différentes du pays.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
179
Pour déterminer l'image de l'Espagne telle que se la faisait la collectivité, il a fallu éliminer les cas extrêmes et, surtout, considérer les
mythes généraux plutôt que les opinions individuelles. Cette image
n'est évidemment pas gratuite : les facteurs qui la déterminent sont, on
l'a vu, nombreux et différents. Nous avons insisté tout particulièrement sur les événements politiques et sur les modes littéraires. C'est
que l'événement politique, plus que tout autre facteur, frappe l'imagination collective, et que ce sont les modes littéraires qui la dirigent.
À première vue, l'événement politique est un stimulant extérieur,
qui n'inspire souvent que des œuvres de circonstance, en général
éphémères. La mode littéraire répond surtout à des besoins profonds
de l'âme, qui, étant essentiels, inspirent d'habitude [142] des œuvres
plus durables. En fait, cette distinction est plutôt théorique. Pour circonstancielle que soit une œuvre, la personnalité de l'auteur ne peut en
être entièrement absente. De même, la conjoncture ne saurait manquer
d'agir sur l'esprit de l'écrivain le plus détaché. Ainsi, par exemple, les
mémoires de la guerre d'Espagne, même s'ils respectent la vérité, trahissent les préjugés ou les préférences de l'auteur, et l'esthète le plus
indifférent à l'Histoire ne pourra aller en Espagne sans penser aux farouches guérilléros. Bref, il faut admettre que l'image de l'Espagne en
France répond à des besoins profonds, tout en reflétant les réactions
de l'âme collective devant les événements.
Le rêve que nous essayons d'expliquer est né de la confrontation
avec ce cadre physique, ces hommes, cet esprit particulier qu'est la
réalité espagnole. Est-ce cette réalité qui révèle à l'âme française certains problèmes et l'amène ainsi à porter des jugements de valeur ? Ou
l'âme française ne voit-elle dans cette réalité qu'une occasion de juger,
en fonction de son tempérament propre ? Il nous semble que l'image
qui fait l'objet de notre étude résulte d'une double démarche de l'esprit.
D'une part, elle participe au courant exotique et l'Espagne n'est alors
qu'une province de ces beate spiaggie dont parle Farinelli ; de l'autre,
elle comporte une forte dose d'admiration pour certaines caractéristiques nettement espagnoles.
Notre essai d'explication se composera donc de deux parties. Nous
commencerons par rappeler pourquoi l'exotisme devint une mode au
XIXe siècle et pourquoi l'Espagne est un pays exotique. Comme ce
sont là des questions générales, que MM. Jourda et Martinenche ont
déjà traitées, cette première partie sera brève. Nous rechercherons en-
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
180
suite ce que l'Espagne, considérée en tant que valeur propre, pouvait
offrir à l'âme collective. Nous espérons pouvoir alors préciser certaines nostalgies, certains besoins fondamentaux, qui nous aideront à
interpréter le rêve espagnol.
[143]
L'exotisme
Dans l'introduction à son ouvrage L'Exotisme dans la littérature
française, M. Pierre Jourda essaye de définir l'exotisme. Il déclare en
particulier :
L'exotisme serait surtout l'expression d'une documentation
plus ou moins exacte appuyant une imagination plus ou moins
heureuse, une intuition plus ou moins juste et qui permet d'atteindre un degré de réalisme et de pittoresque plus ou moins satisfaisant. Il peut être aussi une forme du rêve intérieur : les romantiques se sont construits un Orient de fantaisie.
Mais il peut être autre chose, une peinture fidèle de la réalité, d'une
réalité simplement différente de celle dans laquelle on vit d'habitude 362.
Nous voyons donc que M. Jourda se place surtout du point de vue
de l'écrivain ou, si l'on préfère, du critique littéraire. Pour les érudits,
en effet, l'exotisme est un sujet inépuisable. MM. Pierre Martino et
Gilbert Chinard, ainsi que Mlle Gilberte Guillaumie-Reicher, ont
consacré de remarquables études à l'attrait que les terres étrangères
exerçaient sur les écrivains d'une période donnée, ou sur un auteur en
particulier.
Il est bien évident que, lorsqu'un auteur « fait acte » d'exotisme,
quand un lecteur prend plaisir à lire une œuvre qui évoque des pays
lointains, il faut y voir avant tout l'expression d'une curiosité. L'hom362
Paris, 1938, p. 11.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
181
me est attiré par l'inexploré et c'est presque instinctivement qu'il s'intéresse aux régions du globe qui ne lui sont pas familières. Cette démarche de l'esprit est attestée par des œuvres littéraires depuis la plus haute antiquité. De grands voyageurs, réels ou imaginaires : Ulysse, César, Villehardouin, Marco Polo, Pantagruel, Barnabooth témoignent
de cette curiosité quand ils abandonnent leur demeure pour chercher
l'aventure dans des royaumes ignorés. Et tous, Argonautes, croisés,
conquistadores, explorateurs modernes, ne répondent-ils pas au même
appel de l'inconnu ? Depuis que le monde est monde, il s'est trouvé
des hommes pour préférer le péril de l'aventure à la rassurante familiarité du terroir. Ils ont été possédés par un instinct qui, à tout prendre,
fait partie de l'humaine condition.
Aussi est-on justifié de donner l'exotisme pour l'expression d'une
disposition constante de l'esprit. Cependant, lorsque le rêve croit en
intensité, et à plus forte raison lorsqu'il se réalise [144] par l'action,
c'est sous l'effet de causes nombreuses et souvent difficiles à déterminer exactement. Il semble toutefois que l'exotisme au temps des croisades ou de la conquête du Nouveau-Monde ait répondu à des aspirations relativement simples. Les chevaliers partaient pour défendre la
foi et piller les trésors orientaux. Les conquistadores s'embarquaient
pour « conquérir le fabuleux métal » et, incidemment, pour baptiser
les Indiens. Mais plus on approche des temps modernes, moins il est
aisé de discerner exactement ce qui incite les Européens, en général,
et les Français, en particulier, à se passionner pour les pays exotiques.
Avec les progrès de l'éducation, un nombre toujours croissant de personnes peuvent lire les descriptions des contrées lointaines dont jusque-là elles connaissaient à peine l'existence. À l'approche du XIXe
siècle, le perfectionnement des moyens de transport et l'amélioration
des routes favorisent les grands voyages. Jadis, seuls partaient les
aventuriers ou les exaltés. À l'époque que nous étudions, le plus paisible rentier pouvait déjà envisager une randonnée de plusieurs milliers
de kilomètres.
Il n'y a donc guère de doute : le progrès, en facilitant les voyages,
avait stimulé l'exotisme. De plus, les guerres de l'Empire avaient mis
bon nombre de Français en contact direct avec des pays éloignés. La
naissance de la grande presse quotidienne a contribué, elle aussi, à
réveiller l'intérêt pour les choses de l'étranger. Les conditions ambiantes étaient propices : l'exotisme moderne pouvait naître.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
182
Si nous parlons ici d'exotisme moderne, c'est que, à partir du XIXe
siècle, et plus particulièrement depuis le romantisme, les raisons profondes qui le déclenchent ne sont plus les mêmes. Ce ne sont plus les
préoccupations religieuses ni l'attrait de fabuleuses richesses qui sont
au premier plan. Il nous semble que l'on pourrait ranger les causes du
renouveau exotique en trois groupes et distinguer les mobiles d'ordre
matériel, d'ordre esthétique et d'ordre moral ou psychologique.
Les mobiles d'ordre matériel seraient sans doute avancés par la critique marxiste, pour laquelle les phénomènes humains proviennent de
nécessités économiques. La révolution industrielle donne tout à coup
une grande importance à des régions que l'on avait eu tendance à négliger jusqu'alors. La course aux matières premières et la recherche
des marchés extérieurs favorisent l'essor du colonialisme. Les pays
« sous-développés » éveillent un intérêt nouveau. C'est, en somme, la
ruée vers l'or, qui avait en grande partie motivé croisés et conquistadores, et qui réapparaît à présent sous une forme à peine plus complexe.
[145]
Pendant la première moitié du XIXe siècle, la France avait vendu la
Louisiane et perdu Haïti, dont l'indépendance ne fut reconnue qu'en
1825. La conquête de l'Algérie commence en 1830 et finit avec la
reddition d'Abd el-Kader en 1847. À la même époque, les Français
s'emparent des îles Marquises et de Tahiti, tandis que se multiplient
leurs comptoirs sur les côtes d'Afrique. La période des grandes
conquêtes coloniales ne viendra que plus tard. Même en admettant
que l'exotisme de Chateaubriand et des romantiques ait été le pressentiment d'un autre exotisme, dû, celui-là, aux guerres coloniales, il ne
semble pas que cette explication soit bien valable en ce qui concerne
l'Espagne. La Péninsule ne semblait guère offrir à l'entrepreneur français de débouchés commerciaux importants. Comme l'a bien montré
M. Hans Juretschke 363, c'est surtout des œuvres littéraires que les Espagnols importaient de France. Les grandes dames faisaient venir
leurs toilettes de Paris. Alexis de Valon affirme avoir vu en Andalousie des auberges aux murs ornés de lithographies coloriées valant six
sous, venant de Paris, et représentant presque toujours Quasimodo ou
363
Das Frankreichbild des modernen Spanien, Inaugural-Dissertation, Bonn
Universität, 1937.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
183
la Esmeralda, Gonzalve de Cordoue ou des scènes de La Tour de Nesles 364.
Cuendias parle ironiquement d'escrocs étrangers qui, vers 1848,
venaient en Espagne soutirer leurs économies aux habitants, sous prétexte d'exploiter des mines :
Oh ! l'Espagne est un excellent pays pour les industriels, elle
est encore si arriérée 365 !
Mais tout cela ne tire guère à conséquence et nous croyons pouvoir
affirmer que, dans l'optique de notre sujet, les mobiles d'ordre matériel
étaient de beaucoup les moins marquants.
Pendant la première moitié du XIXe siècle, les mobiles d'ordre esthétique semblent autrement importants. À l'époque du préromantisme, puis du romantisme, l'art, en général, et la littérature, en particulier, étaient en état d'expansion, avaient tendance à sacrifier la profondeur à la diversité. L'homme universel est remplacé par les individus à
forte personnalité ; le jeu subtil des passions, par les péripéties de l'action ; la nature conventionnelle, [146] par les particularités régionales.
L'inusité éveille l'intérêt, formulé dans une langue littéraire qui ne
demande plus aux mots leurs titres de noblesse. L'exotisme est ainsi
l'expression d'une curiosité esthétique ; les auteurs se tournent vers les
pays étrangers pour y rechercher précisément ce qu'ils pouvaient avoir
de surprenant, de caractéristique, d'insolite pour le public français.
Dans leur recherche de la variété, les Français se sont tournés vers les
régions les plus diverses. M. Jourda a examiné la vision qu'ont eue les
romantiques, de l'Angleterre, des pays du Nord, de l'Allemagne, de
l'Italie, de l'Espagne, de la Grèce et de l'Islam, enfin de la Russie. On
pourrait ajouter à son étude d'autres chapitres, sur l'Amérique du
Nord, l'Amérique latine, peut-être même sur l'Afrique noire et l'Extrême-Orient. Et, inévitablement, c'est surtout sur les particularités et
les différences que s'arrêtent les écrivains quand ils mettent en scène
les pays étrangers, qu'ils connaissaient parfois, qu'ils imaginaient le
364
L'Andalousie à vol d'oiseau, Revue des Deux Mondes, 1849, IV, pp. 764765.
365 L'Espagne, Paris, 1848, p. 157.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
184
plus souvent. Il semble donc justifié d'affirmer que, forte d'une nouvelle conception de l'homme et de la nature, la littérature a ouvert de
nouveaux horizons, en donnant forme à un rêve exotique dans lequel
tous les pays trouvent place. Balzac le remarque dans son article « De
la mode en littérature » :
Nous dévorons des pays entiers. Hier, c'était l'Orient ; le
mois passé, ce fut l'Espagne ; demain, ce sera l'Italie 366.
Cette soif de tout voir, de connaître la réalité sous des formes jusqu'alors dédaignées caractérise la sensibilité romantique. Déjà, en
1825, quand défenseurs de la vieille école et partisans de l'esthétique
nouvelle s'évertuaient à trouver une définition du romantisme, Ludovic Vitet proposait :
Le romantisme, c'est l'imitation des choses telles qu'elles
sont ; le classicisme se plaît dans l'idéal, le romantisme dans le
réel ; l'un reste dans les généralités, l'autre pénètre dans les individualités ; il peint les caractères non les passions, les hommes, non les idées 367.
Il était inévitable qu'au fort de la querelle et sous le coup de l'enthousiasme, l'exotisme ait parfois inspiré des œuvres médiocres.
L'exagération, le manque de goût, l'absurdité pure et simple, étaient
avancés sous prétexte de couleur locale. Théophile [147] de Ferrière,
dans Idéolo, donne la recette suivante « pour faire un livre de poésie » :
Vous disposez une suite de cadres dans le dernier goût, tels
que : j'aime à voir, ou bien je ne hais rien tant ; ou bien, avez366
Les Parisiens comme ils sont, Genève, 1947, p. 12. (Publié pour la première
fois dans La Mode du 29 mai 1830.)
367 De l'indépendance en matière de goût, Le Globe, 2 avril 1825. Cité par
TRAHARD, Le Romantisme défini par Le Globe, Paris, 1924, p. 23.
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185
vous vu ; ou bien, l'Espagne ; ou bien, Venise ; ou bien,
l'Orient. Vous broyez du noir et du blanc, du jaune et du rose,
du vert et du bleu. Vous choisissez des rimes riches et nouvelles, grise et brise, blonds et longs, dalles et sandales, vitre et
pupitre ; des mots élégants, jour, cristal, lumière, soleil ; vous
mêlez tout cela, vous jetez tout cela sur la toile, dans un cadre,
au hasard, en vous gardant bien d'avoir une idée ; vous servez
au public, si vous trouvez un libraire ; et vous voilà poète et citoyen de notre cité 368.
Ferrière est injuste, mais il a su remarquer l'amour romantique
des formes, des apparences. Chez bien des auteurs, les objets euxmêmes prennent une importance nouvelle ; faut-il s'en étonner : les
romantiques parlaient à l'imagination, essayaient de brosser des tableaux impressionnants ; leur art, essentiellement visuel, est à base de
formes et de couleurs. À plus forte raison, quand il s'agit de décrire un
pays nouveau, un costume typique ou un palais mystérieux, ils usent
(et abusent parfois) de descriptions détaillées, dans lesquelles s'accumulent les objets censés propres à suggérer la couleur locale.
Cet enthousiasme juvénile pour la nouveauté est une dimension
particulièrement attirante du romantisme. Certes, on peut dire que
l'exotisme romantique est superficiel, que trop souvent il se contente
de descriptions fantaisistes et qu'il sacrifie volontiers le vraisemblable
au surprenant. Il n'en reste pas moins que l'exotisme tel que les romantiques l'ont compris, fait partie d'une esthétique qui reste, dans une
large mesure, la nôtre.
Les mobiles d'ordre esthétique ayant contribué à l'essor de
l’exotisme au XIXe siècle, il va de soi qu'ils ont puissamment favorisé
la mode de l'Espagne. En étudiant l'image de l'Espagne, nous avons
souligné l'admiration que l'on ressentait en France pour les paysages,
les habitants et les coutumes espagnols. Le pittoresque des sites, l'éclat
du ciel, la magnificence des palais, la beauté des femmes, le rite de la
corrida n'aurait pu être appréciés comme ils le furent si la sensibilité
romantique n'avait pas accordé une valeur propre à ce qui est sauvage,
singulier ou unique.
368
Paris, 1836, pp. 54-55.
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186
On aurait cependant tort de considérer le renouveau exotique [148]
du XIXe siècle uniquement comme l'expression d'une nouvelle esthétique. Cette soif de dépaysement correspond aussi à des besoins moraux ou psychologiques de l'âme française.
Au XVIIIe siècle, les Français semblaient avoir réalisé une organisation idéale de la vie. L'Europe parlait français, lisait les auteurs
français, s'inspirait du goût français, copiait les manières de Paris. La
France apparaissait comme le pays le plus civilisé du monde. Certes,
la bourgeoisie française enviait à l'Angleterre sa monarchie constitutionnelle ; mais elle avait bon espoir de l'instaurer un jour. Certes, des
esprits chagrins, comme Rousseau, disaient pis que pendre de la civilisation française, urbaine et raffinée ; mais Rousseau n'est-il pas précisément le premier romantique ? L'âme française se croyait raisonnable, logique, pleine de bon sens ; l'humanité étant perfectible, que lui
fallait-il de plus pour atteindre un jour l'homme idéal ?
Après la violence de la Révolution, la cruauté de la Terreur, le feu
d'artifice impérial et l'humiliation de la défaite, l'âme française, ne
pouvait guère conserver ce bel optimisme. Musset, dans sa Confession
d'un enfant du siècle, nous a laissé un témoignage saisissant sur l'état
d'esprit de sa génération. Il ne faudrait cependant pas accorder une
importance excessive à la mélancolie de Lamartine, à la tristesse de
Musset ou au satanisme de Pétrus Borel. Comme le fait si justement
remarquer Thibaudet, il y a dans le « mal du siècle » une bonne part
d'affectation. Il était bien vu d'être tuberculeux et neurasthénique ;
n'oublions pas que les romantiques ont raillé eux-mêmes cette mode
qui nous fait sourire aujourd'hui.
Il est vrai que Thibaudet signale également :
La génération de 1820... n'est pas, littéralement, une génération d'héritiers, puisque ce quart de siècle lui a transmis non un
monde fait, mais un monde à faire, et ne lui a pas laissé de modèles 369.
369
Histoire de la littérature française, Paris, 1936, p. 106.
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Les jeunes Européens, arrivés à l'âge adulte après la fin de la
Deuxième Guerre mondiale, comprennent particulièrement bien les
problèmes qui se posaient aux jeunes romantiques français. Halbstarke allemands, angry young men britanniques, « existentialistes » parisiens sont un peu dans la même situation. Les convictions morales,
politiques et artistiques de leurs pères ne s'appliquent plus à leur génération ; en attendant d'avoir trouvé de nouvelles valeurs, ils portent
volontiers le cœur en [149] écharpe, se prétendent cyniques et amoraux, et trompent leur désarroi par l'affectation d'un genre.
L'attitude des « Jeunes France » et des « Enfants du siècle » reflétait l'angoisse qui, même sans se manifester de façon intempestive,
était présente dans l'âme collective. L'exotisme, croyons-nous, a des
racines dans cette angoisse. Il répond à deux tendances opposées : le
désir d'évasion et la curiosité constructive.
Le désir d'évasion est le désir de fuir la réalité. Il se fonde sur le refus de la conjoncture présente plutôt que sur l'aspiration à une autre
situation possible. Certains s'évadent dans le mysticisme, la drogue,
l'étude ou la débauche. D'autres partent pour un ailleurs indéterminé.
En se dépaysant, soit par le corps soit par l'esprit, l'homme peut parfois échapper pour quelque temps à l'absurdité qui le terrifie. Le refuge exotique doit être différent, sans pour cela relever de l'irréel. On
rêve de quitter l'habituel, non de tomber dans le fantastique. L'Espagne est, à ce point de vue, un pays idéal : il est différent, mais pas assez pour qu'il soit inconcevable de s'y adapter, d'y refaire une vie plus
exaltante ou plus calme, plus romanesque ou plus douce, selon le
tempérament du rêveur. Inutile d'ajouter que les Français qui traversaient les Pyrénées n'allaient faire en Espagne qu'un court séjour. Les
autres se contentaient de laisser voyager leur imagination en se déguisant pour un bal costumé, en allant voir danser le fandango au théâtre,
ou en restant chez eux à lire Don Paez ou quelque récit de voyage.
Si l'exotisme est un désir d'évasion, il est aussi une curiosité constructive. L'homme qui fait acte d'exotisme porte, par le même coup,
un jugement de valeur. Il ne se dépayse pas uniquement par refus de
sa situation, mais aussi par désir de l'améliorer. Il va chercher à
l'étranger ce qui lui semble manquer dans son pays natal. Il est concevable qu'un Français, par exemple, croie trouver en Russie un certain
mysticisme, en Italie la joie de vivre, aux États-Unis le dynamisme.
La France du XIXe siècle, prétendons-nous, était à la recherche de
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
188
nouvelles valeurs. Nous voudrions à présent examiner quelles caractéristiques de l'Espagne semblaient susceptibles de fournir ces valeurs
qui manquaient en France.
[150]
Valeurs propres à l’Espagne
À première vue, il peut sembler paradoxal de prétendre que les
Français se soient tournés vers l'Espagne pour y chercher des valeurs
politiques. Ferdinand VII ne pouvait inspirer que l'horreur, même aux
plus fervents légitimistes ; il n'était pas non plus question d'envier aux
Espagnols les guerres civiles qui ravageaient leur pays. Cependant, ne
l'oublions pas, après que Napoléon eut organisé la pitoyable abdication de Bayonne et installé Joseph sur le trône, les Espagnols s'étaient
soulevés en masse. En France, cette preuve d'attachement à la royauté
enthousiasma les ennemis de l'Empereur : les Espagnols furent cités
comme exemple de fidélité au gouvernement légitime. M. Armand
Hoog a bien signalé 370 que les Français gardèrent longtemps le
« complexe du parricide » : le roi étant père de la nation, protecteur
bénévole de ses sujets, et cela depuis les origines de la monarchie
française, il est normal que son exécution ait profondément remué les
consciences. La Restauration semblait ramener l'Histoire de France
dans ses voies traditionnelles, après l'écart criminel qu'elle avait fait
sous la Révolution et l'Empire. Cet écart s'était soldé par le désastre
militaire, l'humiliation du pays et la saignée à blanc de son potentiel
humain, qui apparaissaient comme l'expiation du Vingt et un Janvier.
N'en doutons pas : bien des Français portaient en eux le sentiment de
la faute, le remords d'avoir brisé le lien sacré qui, unissant le roi et son
peuple, avait assuré l'union du royaume. La couronne est le symbole
d'un engagement réciproque que les Français avaient violé, que les
Espagnols avaient tenu. Les uns avaient tué leur roi, les autres
s'étaient fait tuer pour le leur.
370
Dans sa conférence sur l'âme romantique, faite à l'Université de Princeton en
1955.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
189
Certes, les temps de la monarchie à l'ancienne mode étaient révolus, et l'espoir de rétablir un absolutisme anachronique n'était plus
qu'une utopie ; mais une utopie à laquelle crurent beaucoup de Français. Pensons que les plus révolutionnaires en littérature avaient souvent des opinions politiques conservatrices pour ne pas dire réactionnaires. Hugo était très sincèrement dévoué à la monarchie, et nous
avons vu qu'il l'a célébrée par une ode (et pas des meilleures), lors de
l'expédition du duc d'Angoulême.
[151]
Quand vint le désenchantement et que le peuple, comme les intellectuels, inclinèrent au libéralisme, l'Espagne fournit, une fois de plus,
un exemple pour les Français. S'étant montrés prêts à défendre le roi
quand l'étranger le menaçait, les Espagnols n'hésitent pas à l'attaquer
lorsqu'il ne remplit pas son devoir. Les libéraux français de la première heure, comme Armand Carrel, et les convertis au libéralisme,
comme Hugo, ne pouvaient qu'admirer les Espagnols, qui, les premiers en Europe, avaient fait la révolution alors que d'autres pays attendirent jusqu'en 1830 ou 1848.
Il est vrai que, si les Espagnols s'étaient montrés capables de soutenir leurs principes sans égard aux conséquences, ils sombrèrent dans
les querelles intestines et ne purent réussir à établir un gouvernement
stable et juste. Aussi, était-ce davantage vers l'Angleterre ou les ÉtatsUnis que les Français se tournaient pour chercher des modèles d'équilibre politique. Ce qu'ils admiraient en Espagne, c'était plutôt le refus
du compromis, le farouche attachement aux convictions, les idéaux
défendus jusqu'à la mort.
Dans l'esprit français, les valeurs religieuses des Espagnols vont de
pair avec leurs valeurs politiques. Fidélité à Dieu et fidélité au monarque de droit divin se confondaient aux yeux des guérilléros, commandés souvent par des prêtres. La France, toute fille aînée de l'Église
qu'elle fût, avait guillotiné des ecclésiastiques, assermenté le clergé,
dissout les congrégations, humilié le Pape. De même que la Restauration voulut rétablir la monarchie absolue, elle désira rendre à l'Église
sa position privilégiée. Qui se disait royaliste se disait pratiquant et
donc admirateur des Espagnols, qui n'avaient jamais renié leur foi.
Remarquons qu'ici aussi, il fallait distinguer entre les principes et leur
application ; de même que les royalistes français louaient l'attache-
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
190
ment des Espagnols à la légitimité, tout en admettant que Ferdinand VII n'en était pas digne, ils leur enviaient la fidélité religieuse,
tout en s'élevant contre l'Inquisition.
En ce qui concerne les valeurs politiques et religieuses, les Français commencèrent par essayer de revenir aux traditions, puis, comprenant qu'on ne peut faire revivre le passé, cherchèrent à élaborer de
nouvelles valeurs. Mais quelles que furent leurs convictions, ils admiraient les Espagnols, qui ne transigeaient jamais sur les leurs. Dans
cette perspective, nous pourrions dire que les Français cherchaient en
Espagne une inspiration plutôt que des modèles : sans désirer tomber
dans l'anarchie ibérique, ils admiraient le respect des Espagnols pour
leurs principes.
[152]
Custine, avec L'Espagne sous Ferdinand VII, publiée en 1838, et
Quinet, avec ses Vacances en Espagne, qui datent de 1846, ont produit des ouvrages fort intéressants, que nous avons cités à plus d'une
reprise au cours de notre étude. C'est encore à ces deux auteurs que
nous emprunterons quelques citations pour essayer de démontrer que
l'âme française enviait certaines valeurs à l'Espagne. Nous les avons
choisis parce que Custine est royaliste, conservateur et catholique,
tandis que Quinet est républicain, socialiste et libre penseur. Et pourtant, tous deux se tournent vers l'Espagne et sont souvent d'accord
pour la comparer favorablement à la France. Custine va en Espagne
parce qu'il veut
abandonner l'empire de l'incrédulité, du sarcasme, du dénigrement pour celui de la foi, du respect et de l'enthousiasme ; sortir
d'une société qui ne s'amuse que du scandale... enfin, retrouver
l'histoire oubliée, la religion perdue, la féerie dédaignée chez
nous ; admirer le romantique réel au lieu du romantique travesti 371...
371
L'Espagne.... 5 vol., Bruxelles, 1838, I, pp. 41-42 (Ire éd., 4 vol., Paris,
1838).
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191
Quinet envie les Espagnols
car, dans son abîme, ce peuple conserve un avantage sur beaucoup d'autres : il pense qu'il vaut encore la peine de mourir pour
quelque chose 372.
Custine loue l'Espagnol, « homme d'arme et de foi », qui « méprise
la tolérance comme une trahison 373 ». Quinet déclare :
L'instinct de l'Espagnol est de n'avoir ni regret pour le passé,
ni résignation pour le présent, ni espérance dans l'avenir 374.
Pendant tout le XIXe siècle, l'âme française cherche à résoudre le
problème politique et religieux. Elle est tiraillée entre des aspirations
diverses, ayant la nostalgie des gloires passées, le problème d'organiser le présent et le souci d'assurer l'avenir. Custine a bien exprimé cette inquiétude :
Il est si triste de vivre dans un temps où ce qu'on admirait
menace ruine, où ce qu'on admirera n'est pas né 375 !
[153]
Pour les réactionnaires français, l'Espagnol était admirable par sa
fidélité aveugle à la croix et à la couronne. Pour le libéral, il l'était par
son attitude résolue face à la Sainte-Alliance. Pour l'anticlérical, parce
qu'il s'était débarrassé des moines en 1834. Et à tous, il donnait un
exemple de courage et d'énergie.
372
Mes vacances ..., Œuvres complètes, 11 vol., Paris, 1857, IX, p. 247 (Ire éd.,
Paris, 1846).
373 Op. cit., I, p. 95.
374 Op. cit., p. 132.
375 Op. cit., Il, p. 297.
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192
La réaction espagnole devant les problèmes politiques et religieux
s'inscrivait, pour les Français, dans un plus large contexte. La civilisation ibérique tout entière leur semblait caractérisée par un grand attachement à la tradition et une grande répugnance à la moindre innovation, surtout si elle venait de l'extérieur. L'aspect même du pays
confirmait cette impression, puisque, comme nous l'avons vu, les routes espagnoles étaient les plus mauvaises d'Europe et les hôtelleries
ressemblaient encore à celles que Cervantes avait décrites. L'influence
des Maures se retrouvait dans l'architecture comme dans les mœurs.
L'Espagne était le dernier pays à avoir aboli l'Inquisition. Les costumes typiques, les danses gitanes remontaient à l'antiquité. Bref, comme l'écrivait Amédée Achard en 1847 :
L'Espagne, tout au moins l'Espagne provinciale, est toujours
la vieille Espagne. Ce sont, par les chemins, les mêmes mules
caparaçonnées, et les mêmes muletiers chantant un refrain de
romance ; rien n'a été changé à la posada, ni la profonde écurie
où veille une lampe de fer accrochée au mur, une lampe qui date du temps des Maures, ni la cheminée immense où bout une
marmite pleine de pois, ni le voyageur qui chemine l'escopette
attachée à l'arçon de la selle ; ce sont partout les mêmes balcons
suspendus, d'où s'envolent œillades et sourires. Ici, les générations passent et les mœurs restent 376.
Écrites au temps des Philosophes, ces quelques lignes auraient
probablement exprimé le mépris ou la pitié. Au XIXe siècle, en revanche, elles expriment le respect sinon l'admiration. C'est que le
XVIIIe siècle admettait le progrès au sein de la tradition. Pour le
XIXe, par contre, le progrès ne semblait possible qu'au dépens de la
tradition. Les Français comprenaient que la Révolution et l'Empire
avaient détruit le passé et que le monde moderne, né dans la violence,
allait grandir avec des horizons nouveaux. Nous avons vu que, du
moins au début, les romantiques se refusaient à accepter cette situation, et auraient préféré renouer les liens avec le passé. Ce n'est pas
par simple souci esthétique qu'ils remirent le moyen âge à l'honneur,
376
Un mois en Espagne, Paris, 1847, p. 19.
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193
mais bien pour remonter aux [154] sources des valeurs traditionnelles.
Or, l'Espagne s'offrait à eux comme l'exemple vivant d'une civilisation
qui reposait sur la vénération des temps anciens, et, plus particulièrement, sur la persistance des valeurs médiévales. Et quelles étaient,
toujours selon les Français, ces valeurs médiévales ? En politique,
l'accord entre le souverain et ses sujets, qui comportait des droits et
des devoirs mutuels. Cuendias croit qu'il existe encore en Espagne ;
pour le prouver, il cite une chansonnette en vogue à Madrid vers
1820 :
El que quiera ser libre que aprenda
En Espana hay un pueblo y un rey
El primero dictando las leyes
El segundo sujeto a la ley 377.
Et Cuendias ajoute :
Cet accord du roi et de la nation, qui, de tout temps a caractérisé l'Espagne, n'a été rompu qu'alors que le roi a cessé d'avoir
une parole royale, c'est-à-dire inviolable 378.
Au moyen âge, le sentiment national et la fidélité religieuse allaient de pair. Louis IX fut un grand roi et un saint de l'Église. Or,
c'est en Espagne que le catholicisme subsiste, plus fort et plus intransigeant que dans aucun autre pays. Cela n'est pas étonnant, puisque,
selon un journaliste qui signe A. B. :
La susceptibilité religieuse s'y est éveillée avant la susceptibilité nationale, et tout bon hidalgo était plus fier de son titre de
chrétien que de son titre d'Espagnol 379.
377
378
L'Espagne..., Paris, 1848, p. 162.
Ibid.
379 Critique littéraire des Lettres sur l'Espagne de M. GUÉROULT, Revue de
Paris, 1838, LIX, p. 199.
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194
Le moyen âge est l'époque de la foi, de la passion, du sentiment ;
pour les Français, l'Espagne avait réussi à échapper au rationalisme,
destructeur de ces grandes qualités. Cuendias voit dans la danse espagnole la réfutation de la triste prudhommerie qui régnait en France :
Cette danse... est cependant, comme toutes celles de l'Espagne, un défi jeté aux passions humaines, un ébranlement de
l'âme, une ivresse des sens... C'est un délicieux entracte à cette
tragi-comédie qu'on nomme l'existence civilisée, mélange d'épisodes dramatiques [155] ou burlesques, et qui si souvent se
change en parodie... œuvre folle de cette pédante qu'on nomme
la raison, et que le cœur a toujours rejetée 380.
Cela nous amène à une autre constatation. La sensibilité française
s'accommodait mal du climat matérialiste qui régnait en France. Les
romantiques, Balzac en tête, s'évertuaient à démontrer que la poursuite
de l'argent ne réussissait qu'aux dépens des plus nobles qualités de
l'homme. Les maîtres de la France étaient les parvenus, les nouveaux
riches qui souvent devaient leurs fortunes à des manœuvres peu élégantes. Le mot « bourgeois » devient synonyme de mauvais goût, de
sentiments médiocres, de mesquinerie. Flaubert appelle même de ses
vœux un nouvel Attila pour « incendier cette belle France, pays de
dessous de pieds et de bretelles 381 ». Les Espagnols, par contre, méprisent les biens matériels et placent leur conscience au-dessus de
leurs intérêts. Dans Le Siège de Saragosse, d'Antony Béraud, un
paysan, venu renseigner le général espagnol sur les mouvements de
l'armée française, répond à l'officier qui lui offre une récompense :
De l'or ?... à moi, un infâme salaire !... Général, je n'ai point
mérité cet outrage. Espagnol, ainsi que vous, je sers ma patrie...
elle gémit sous un joug étranger... brisez ses fers, qu'elle soit li380
381
Op. cit., p. 38.
Cité par Arturo, FARINELLI, Le Romantisme et l'Espagne, Revue de littérature comparée, 1936, XVI, p.672
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195
bre... voilà ma récompense. C'est à ce prix seul que je vous ai
vendu ma vie 382.
Il ne faut donc pas s'étonner de voir les « Enfants du siècle » s'imprégner d'espagnolisme quand ils attaquent les bourgeois. Dans Le
Romantisme et la mode, Louis Maigron cite une lettre inédite, écrite
par un « Jeune France » à un ami :
D'Orléans, ce deuxième de mai 1833.
Mon brave et fidèle Loys,
Prends ta cape espagnole et cours chez nos amis. Réunis autour de
toi comme en un conseil des Castilles, Karl, Jehan, don Luis à la barbe
fauve et rutilante, et Antonio au teint plus basané que les Maures
d'Afrique. ... Orléans comme à Paris, les philistins sont en déroute, et
par saint Jean d'Avila leur ruine totale sera bientôt consommée 383.
[156]
Dans la France du XIXe siècle, dont l'aristocratie avait dégénéré, et
dont la bourgeoisie se souciait peu d'élégance, le beau geste avait disparu. L'amour que les romantiques eurent de la pose et leur emploi
parfois puéril du « tape-à-l'œil », nous semblent être un effort pour
remettre à l'honneur ces actions d'éclat par lesquelles les anciens
étaient censés exprimer leur personnalité. Vu ainsi, le beau geste est
en quelque sorte une œuvre d'art qui distingue un homme de ses semblables et lui assure parfois l'immortalité. Or, l'Espagne paraissait le
pays où l'injure était vengée par le suprême beau geste : la mort. Peutêtre serait-il opportun d'ouvrir ici une parenthèse pour rappeler à quel
point l'âme française, aux temps du préromantisme et du romantisme
subissait l'attrait de la mort. Cadavres, cimetières, ossements, agonies,
les auteurs semblent éprouver une satisfaction morbide à en faire étalage dans leurs œuvres. Les critiques ont eu tendance à ranger tout cet
382
383
Paris, 1828, acte I, scène IX.
Paris, 1911, pp. 65-66.
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196
attirail funèbre dans ce commode dépotoir qu'ils appellent « bric-àbrac romantique ». Il faut espérer que les chercheurs continueront à
approfondir l'étude du phénomène, ébauchée par Mario Praz dans son
ouvrage (que nous avons déjà cité) La Carne, la morte e il diavolo...
Quoi qu'il en soit, si l'Espagne a hanté l'imagination romantique, c'est
en partie parce que, selon Chateaubriand :
En Espagne, que l'on aime ou que l'on haïsse, tuer est naturel ; par la mort, on se flatte d'atteindre à tout 384.
Le recours en justice et, à plus forte raison, l'oubli de l'affront sont
pour l'Espagnol, indignes d'un homme. Ce mépris de la vie, que l'on
attribue volontiers aux origines africaines des Espagnols, a été signalé
par beaucoup d'écrivains. Custine affirme que « si l'on a un sujet de
plainte contre quelqu'un, on tue son homme, on ne l'injurie pas 385 ».
Didier rapporte :
Je me rappelle une saynète où l'on demande à trois personnages de nations différentes, un Anglais, un Français et un Espagnol, ce qu'ils savent faire ; l'Anglais répond : penser ; le
Français : danser ; l'Espagnol : tuer ; et les spectateurs d'applaudir à ce trait de caractère 386.
Et Adolphe Dennery, dans sa pièce Dolorès, souligne la différence
entre l'esprit français et l'esprit espagnol. Fortuné, serviteur [157]
français, surprend un dialogue amoureux et accepte de se taire contre
rétribution. Ferdinand, gentilhomme espagnol, commente :
Et il t'a donné de l'or ? C'est donc un Français. Un Espagnol
t'eût frappé de son poignard 387.
384
Cité par Marcel BATAILLON, L'Espagne de Chateaubriand, Revue de littérature comparée, 1949, XXIII, p. 293.
385 Op. cit., III, p. 61.
386 Saragosse, Revue de Paris, 1838, LIX, p. 168.
387 Paris, 1836, acte I, scène IX.
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197
L'admiration pour l'Espagne est donc, dans une très large mesure,
une réaction contre les valeurs positivistes de la bourgeoisie française.
Le plus grand ennemi des romantiques était Joseph Prudhomme, qui
affirme dans ses Mémoires :
Car vous avez beau faire et beau dire, tout est bourgeois aujourd'hui. L'aristocratie n'existe plus, la démocratie n'existe pas
encore, il n'y a que la bourgeoisie. Vous n'avez que des idées,
des opinions, des mœurs, une littérature, des arts, des instincts
de transition ; saluez donc Joseph Prudhomme, l'homme de la
transition, c'est-à-dire de la bourgeoisie 388.
L'âme romantique n'acceptait pas cette transition. Elle avait la nostalgie des vertus traditionnellement considérées comme aristocratiques : désintéressement, courage, dignité, élégance. Néanmoins,
l'homme du jour restait Joseph Prudhomme. Ne pouvant faire revivre
un passé d'ailleurs mythique, les fashionables et les dandys inclinèrent
au libéralisme, puis au socialisme. Les utopistes sociaux, de SaintSimon à Fourier, postulèrent à qui mieux mieux la bonté naturelle du
paysan, la vertu innée de l'ouvrier 389. Cependant, la révolution industrielle menaçait de « déshumaniser » le travailleur, abruti par un labeur mécanique et épuisant. Tandis qu'en Espagne le peuple conservait le sentiment de la dignité et de l'indépendance, bien des prolétaires français ne rêvaient qu'à devenir eux-mêmes des bourgeois. Si les
romantiques français enviaient à l'Espagne d'avoir échappé à l'industrialisation, ce n'est pas seulement pour des raisons esthétiques. Ils
croyaient vraiment que le pauvre y conservait les vertus traditionnelles, grâce auxquelles le pays sortirait un jour de sa décadence. C'est
que, dans leur esprit, l'argent ne dominait pas la vie ibérique, et que
les Espagnols savaient distinguer entre la fortune et la valeur. Dans la
Péninsule, la pauvreté, [158] nous l'avons vu, n'est pas une humiliation, et l'indigent se considère l'égal du riche. Les valeurs aristocratiques n'avaient pas disparu chez les descendants du Cid : l'imagination
388
Henri MONNIER, Mémoires de monsieur Joseph Prudhomme, Paris, 1857,
2.
389 Sur ce sujet, on consultera avec profit le petit livre de David Owen EVANS,
Social Romanticism in France, 1830-1848, Oxford, 1951.
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198
française les retrouve précisément chez les petites gens, et non pas
dans les classes supérieures qui, prenant modèle sur la France, copiaient les défauts de sa bourgeoisie. Mérimée a particulièrement bien
exprimé cette admiration pour le peuple, et ce mépris pour les gens
« comme il faut » ; témoin ces trois extraits de La Correspondance
générale, datés de 1830, 1845 et 1853 respectivement :
J'aurai aussi à vous parler du caractère singulier du peuple
de ce pays. La canaille est ici intelligente, spirituelle, remplie
d'imagination, et les classes élevées me paraissent au-dessous
des habitués d'estaminet et de roulette de Paris. ... Il me semble
qu'un savetier espagnol peut être bon pour les emplois les plus
élevés, et un grand peut tout au plus devenir un bon toréador 390.
Croyez-moi, il y a encore de la vertu et des vertus dans votre pays
[l'Espagne], mais on n'en trouve que chez les pauvres gens. La classe
inférieure, qui est gangrénée en Angleterre et abrutie par les misères et
les manufactures, est demeurée bonne chez vous 391.
Le jour où la canaille de ce pays s'apercevra combien elle est supérieure aux gens comme il faut, il y aura un beau tapage, et un sens
dessus dessous qui ne laissera rien à désirer 392.
Quinet, impressionné par l'aspect fier et digne des gens du peuple,
commente :
À ne juger que par les yeux, la noblesse est ici dans la rue, la
bourgeoisie à la cour 393.
390
Éd. Le Divan, II vol., Paris, 1941-1957, I, p. 71.
Idem, IV, p. 400.
Cité par M. BATAILLON, L'Espagne de Mérimée, Revue de littérature
comparée, 1948, XXII, p. 45.
393 Op. cit., p.28.
391
392
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199
Mais ce qui a surtout frappé les Français, c'est que la différence entre les diverses classes sociales était bien moins marquée qu'en France. Comme l'écrit Saint-Priest :
La ligne qui les sépare [les ordres de la société] y est moins
marquée que partout ailleurs ; aussi jamais peuple ne fut si peuple, niais jamais peuple ne fut moins populace 394.
[159]
Quinet traite le peuple espagnol de « peuple gentilhomme et prolétaire » ; dans l'apostrophe finale de son livre, nous trouvons cette exhortation passionnée :
Ferme d'avance tes portes crénelées, ô Cordoue, à l'esprit
bourgeois de ce siècle ! Se pourrait-il que la chevalerie de Gonzalve fût remplacée par l'aristocratie de la Banque ?... Que le
reste de la terre appartienne, j'y consens, au calcul, à l'usure, à
l'avarice, mais... que ce jardin d'honneur reste au moins ouvert
aux faiseurs de songes 395.
Nous avons vu que, pour l'imagination collective française, le prototype d'Homo hispanicus était, en général, de condition modeste. En
partie, certes, c'est le pittoresque du costume que l'on admire chez le
paysan, le muletier ou même le mendiant ; mais nous espérons avoir
pu montrer que cette estime pour l'homme du peuple contribue à révéler une inquiétude profonde de l'âme française ; la peur de sombrer
dans un matérialisme sordide qui ravalerait l'homme au rang d'une
machine.
394
Êtudes diplomatiques et littéraires, 2 vol., Paris, 1850, II, p. 341 (1re éd.,
Excursion en Espagne, La Revue française, 1829, XII).
395 Op. cit., p. 215.
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200
L'admiration française pour le bandit espagnol provient, nous semble-t-il, d'une angoisse quelque peu analogue. Les jeunes Français vivaient dans une société hautement policée, dont le fonctionnement
réclamait une solide dose de conformisme. Exécrant la société bourgeoise, ils étaient pratiquement désarmés contre elle. Les efforts des
« Enfants du siècle » pour scandaliser les « grisâtres » n'étaient, tous
comptes faits, que touchants et inoffensifs : ce n'étaient ni le gilet rouge ni l'orgie au punch qui allaient mettre fin au règne des philistins. Le
révolté, quel qu'il soit, acquiert à cette époque une stature considérable, précisément parce qu'il refuse de se plier aux exigences de la société et met en pratique ce que les « Jeunes France » se contentent de
prêcher. Comme le corsaire ou le conspirateur, le bandit espagnol est
héros romantique par excellence : sa vie libre, dangereuse, virile, affirme les droits de l'individu qui risquaient d'être sacrifiés aux nécessités sociales. Les Espagnols s'indignaient de ce que les Français comparent leur pays à un nid de brigands. Mais il nous semble que, sous
l'ironie parisienne et l'exagération romantique, se cache la nostalgie de
cette existence dramatique et exaltante, rendue impossible en France
par l'esprit de médiocrité et le prosaïsme. Nous n'hésitons pas à considérer le bandit espagnol comme le symbole qui représentait, pour la
sensibilité française, l'énergie et la dignité d'un individualisme menacé.
[160]
L'étude de Mario Praz, La Carne, la morte e il diavolo nella letteratura romantica, a démontré l'existence d'un certain sadisme dans
l'âme romantique. À l'époque que nous étudions, il n'y a guère eu
d'écrivain français qui ne se soit, en effet, complu à décrire la souffrance et l'horreur de la mort violente. Les auteurs étaient soucieux
avant tout de créer un art essentiellement visuel, dans lequel l'action
mouvementée aurait une valeur propre et ne serait plus entièrement
subordonnée à l'analyse psychologique. Or, la torture, la souffrance, la
cruauté se prêtaient à des descriptions frappantes qui agissaient sur
l'imagination plutôt que sur l'intelligence : l'élément sadique a été pour
beaucoup dans la mode du roman noir.
Dans le chapitre précédent, nous avons insisté sur certains aspects
de la vie espagnole qui, paraissant des témoignages de cruauté, attiraient tout spécialement l'imagination collective française. L'Inquisition et la course de taureaux, en particulier, ont fourni la matière de
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
201
mainte œuvre littéraire. Il nous semble possible d'attribuer, en partie
au moins, cette fascination au sadisme. Sadisme non avoué, bien sûr :
nul n'applaudit les tortures inquisitoriales ; nul n'avoue qu'il voudrait
assister aux corridas pour voir éventrer des chevaux ou encorner le
toréador. Mais dans l'âme collective, tout comme dans l'âme de chaque personne, sommeille une attirance pour la cruauté. L'image de
l'Espagne satisfaisait ce côté sadique.
La question se pose de savoir si les Français associaient la cruauté
espagnole à la lubricité. Les découvertes de la psychanalyse moderne
semblent aujourd'hui avoir démontré que ces deux tendances sont nécessairement complémentaires. Cette froide constatation scientifique,
on peut affirmer que l'imagination collective française en avait l'intuition. Certes, elle ne pouvait guère l'exprimer avec la franchise parfois
excessive qui est celle de nos contemporains. Mais remarquons que
presque toutes les descriptions de corridas, tout en insistant sur l'art du
toréador, le pittoresque de la foule et le côté théâtral, suggèrent que
l'exaltation des spectateurs a un caractère ambigu, en ce sens que
l'élément érotique n'en est pas absent. Et ce n'est pas par hasard que
les écrivains nous montrent des inquisiteurs libidineux s'acharner de
préférence sur les femmes jeunes et jolies. Rappelons, enfin, quelques
textes particulièrement révélateurs que nous avons déjà cités 396 et
selon lesquels le côté bizarrement cruel de l'art espagnol, tant religieux que profane, s'adresse avant tout à la sensualité.
[161]
Si les manifestations de la cruauté espagnole sont en même temps
l'expression d'une certaine lubricité, la réciproque est aussi vraie.
Nous avons placé notre étude de la femme espagnole tout de suite
après celle de la cruauté. En effet, après avoir remarqué que la femme
espagnole est, dans l'imagination française, symbole de sensualité,
nous avons aussi observé que cette femme, qui porte poignard à la jarretière et fiole de poison à la ceinture, est « dangereuse » : malheur à
qui réveille sa jalousie, car elle n'hésite pas à faire mourir une rivale
ou un amant infidèle ; mais son manque de douceur, de soumission, de
pitié, fait précisément son charme.
396
Voir ci-dessus, pp. 98-99.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
202
Si l'on admet que l'âme collective française était à la recherche de
nouvelles valeurs, les caractéristiques de l'image de l'Espagne que
nous venons d'examiner s'expliquent : certes, il n'est pas aisé d'en
donner une interprétation générale, puisque nous sommes en présence
d'éléments divers et qui peuvent à première vue paraître contradictoires. À l'origine du rêve espagnol, n'avons-nous pas relevé des traces
de sadisme tout comme des aspirations à l'ordre social ? Cela ne devrait pas étonner ; ce n'est que le reflet d'un conflit éternel : l'organisation de la vie en société limite la liberté individuelle. Entre ces deux
tendances, l'équilibre est malaisé à atteindre. Il est normal que l'image
de l'Espagne, en tant que manifestation de l'âme collective, corresponde à des aspirations vers l'organisation comme vers la liberté.
La société espagnole semblait reposer sur des principes généraux
enviables - solidarité nationale, fidélité, fierté, conscience très prononcée de sa propre originalité. Homo hispanicus était admirable par
sa dignité, sa sobriété, son courage. Ceci ne veut bien entendu pas dire
que l'Espagne avait trouvé l'équilibre. Le caractère même des habitants le rendait difficile, sinon impossible. Nous préférons dire que
l'image de l'Espagne était pour la France une inspiration et non pas un
modèle. L'esprit pratique de la bourgeoisie française permettait un
gouvernement stable, une évolution que les événements de 1830 et de
1848 troublèrent à peine. Mais, comme nous l'avons suggéré, cette
stabilité n'était possible qu'au prix d'injustices sociales et d'un désolant
matérialisme. Sans vouloir renoncer à la stabilité, l'âme collective
française, inquiète, se tournait vers l'Espagne et l'enviait de se gouverner selon des principes abstraits, non pas selon l'empirisme matérialiste. Sans souhaiter de voir se multiplier les crimes passionnels ou les
bandes de brigands, l'âme collective française, inquiète, se tournait
vers l'Espagne et l'enviait d'avoir des fils qui obéissaient aux ordres
(même néfastes) d'une conscience personnelle, [162] plutôt qu'à ceux
de la société, qui menaçaient leur individualité.
Faut-il donc continuer à voir l'image de l'Espagne uniquement
comme une preuve de l'exubérance romantique ? N'est-elle vraiment
due qu'à l'imagination d'auteurs amoureux d'un pittoresque de pacotille ? Nous ne le croyons pas. Nous prétendons que derrière les exagé-
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
203
rations et les préjugés, derrière le snobisme de la mode et la persistance des idées toutes faites, c'est essentiellement avec respect et admiration que l'âme collective française imaginait l'Espagne.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
[163]
ROMANTIQUE ESPAGNE.
L’image de l’Espagne en France
entre 1800 et 1850.
APPENDICES
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204
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
205
[7]
ROMANTIQUE ESPAGNE.
L’image de l’Espagne en France entre 1800 et 1850.
Appendice I
Liste alphabétique des pièces de théâtre
écrites à l'occasion de l'expédition
du duc d'Augoulême
(1823-1824).
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1. Les Adieux sur la frontière, BRAZIER, CARMOUCHE et DE
COURCY.
2. Les Aides de camp ou La Saint-Louis à l'armée, THÉAULON
DE LAMBERT et LANGLOIS.
3. Le Duc d'Aquitaine, THÉAULON DE LAMBERT et DARTOIS.
4. La Fête au bivouac, THÉAULON DE LAMBERT et DARTOIS.
5. La Fête de la victoire, DUPEUTY et DE VILLENEUVE.
6. Les Français en Espagne, Abel Hugo et VULPIAN.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
206
7. La France et l'Espagne ou Les Deux familles, CHAZET.
8. Le Passage militaire ou La Désertion par honneur, JACQUELIN et COUPART.
9. Plus de Pyrénées, DÉSAUGIERS et GENTIL.
10. Le Pont de Logrono, suivi de La Prise du Trocadéro, CUVELIER DE TRIE et FRANCONI jeune.
11. La Prise de Tarifa, DULONG et HENRY.
12. La Route de Bordeaux, DÉSAUGIERS, GENTIL et GERSIN.
13. La Saint-Louis à Madrid, MARTIN et AUGUSTE.
14. La Saint-Louis au bivouac, MERLE, SIMON et FIERDINAND.
15. Le Tambour de Logrono ou Jeunesse et valeur, CAPELLE et
GOMBAULT.
16. Une journée de Vendôme, DRAP-ARNAUD.
17. Vendôme en Espagne, MENNECHET et EMPIS.
[164]
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
207
[165]
ROMANTIQUE ESPAGNE.
L’image de l’Espagne en France entre 1800 et 1850.
Appendice II
Texte de
la « Cancion del Trágala ». 397
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Solo :
Desde los niños
Hasta los viejos
Todos repiten
Trágala perro.
Trágala dicen
A los camuesos
Que antes vivian
Del sudor nuestro.
Ya se acabaron
397
On le voit, cette chanson qui traite le roi de chien, et lui ordonne de l’avaler
(la constitution), tombe dans la grossièreté, défaut commun à bien des chansons révolutionnaires.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
Aquellos tiempos.
Ea, Manola,
No hay más remedio
Trágala perro.
Acabό el dulce
Chocolateo
Que antes teníais,
Oh, reverendos !
Y el ser los solos
Casamenteros,
Y algo más cuando
Podiais serlo.
Trágala perro.
También se frustran
Vuestros proyectos,
Necios feotas
Rusos y suecos :
Que presumíais
Con tanto empeno,
Aherrojarnos
Cual viles siervos.
Trágala perro.
[166]
Cámara nunca
En jamás veto ;
O ley o muerte
Y viva Riego.
Burlados quedan
Asi no menos,
Y cabizbajos
Los anilleros.
Trágala perro.
208
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
209
[167]
ROMANTIQUE ESPAGNE.
L’image de l’Espagne en France entre 1800 et 1850.
Appendice III
Répertoire chronologique
des oeuvres lyriques et dramatiques
ayant rapport à l'Espagne
(1800-1850). 398
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1800
LEMERCIER (Népomucène) : Pinto, Huet, Charon, an VIII.
1801
LUBY : Bazile et Quitterie ou Le Triomphe de Don Quichotte,
pantomime en 3 actes (Théâtre de la Gaîté, 1801).
398
Quand elle est connue, la date de la première représentation est indiquée
entre parenthèses.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
210
1802
ARNAULT (Antoine-Vincent) : Don Pèdre ou Le Roi et le laboureur, tragédie en 5 actes, Œuvres, Bossange, an XI, 1802.
GUILBERT DE PIXÉRÉCOURT (René) : Pizarre ou La Conquête
du Pérou, mélodrame historique en 3 actes, Barba, an XI, 1802.
THURING : Don Pèdre et Zulima ou La Princesse de Grenade,
mélodrame en 3 actes (Théâtre de la Gaîté, 1802).
1804
GUILBERT DE PIXÉRÉCOURT (René) : Les Maures d'Espagne
ou Le Pouvoir de l'enfance, mélodrame en 3 actes, Barba, an XII,
1804.
1805
HERBOUVILLE (MILCENT D') et DULIMONT : Alphonse, roi
de [168] Castille, mélodrame en 3 actes (Théâtre de la Cité, 6 brumaire, an XIV, 1805).
PITT (Mathurin) et BIÉ (Mathurin) : Les Bandoléros ou Le Vieux
moulin, mélodrame en 3 actes, à grand spectacle (Théâtre de la Gaîté,
20 août 1805).
SÉGUIER (Maurice) : La Parisienne à Madrid, comédie en un acte, mêlée de vaudevilles (Vaudeville, 1805).
1806
BASSOMPIERRE (Charles-Augustin de) [dit Sewrin] et CHAZET
(René de) : La Duègne et le valet, comédie en 2 actes et en vaudevilles (Vaudeville, 29 fructidor, an XIV).
CUVELIER DE TRIE (Jean) et HUBERT : Dago ou Les Mendians
d'Espagne (Ambigu-Comique, 1806).
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
211
1807
Jouy (Étienne de) : Les Abencérages ou L'Étendard de Grenade,
opéra, musique de Chérubini (Académie impériale de musique, 6 avril
1807).
1808
DUPATY (Emmanuel) : Picaros et Diego, opéra-bouffon en un acte (Opéra-Comique, 1808).
1809
BARRÉ (Pierre), RADET (Jean-Baptiste) et FOUQUES (François
de) [dit Desfontaines] : Le Peintre français en Espagne ou Le Dernier
soupir de l'Inquisition, comédie-vaudeville en un acte (Vaudeville 11
mars 1809).
_____, Le Procès du fandango ou La Fandangomanie, comédie
vaudeville en un acte (Vaudeville, 8 mai 1809).
CUVELIER DE TRIE (Jean) : La Belle Espagnole ou L'Entrée
triomphale des Français à Madrid, scènes équestres (Cirque Olympique, 14 janvier 1809).
FRANCONI : La Prise de La Corogne ou Les Anglais en Espagne,
pantomime en 2 actes (Cirque Olympique, 1809).
GUIBERT DE PIXÉRÉCOURT (René) : La Citerne, mélodrame
en 4 actes (Théâtre de la Gaîté, 14 janvier 1809).
Jouy (Étienne de) : Fernand Cortez ou La Conquête du Mexique,
opéra en 3 actes (Académie impériale de musique, 28 novembre
1809).
[169]
LEMERCIER (Népomucène) : Christophe Colomb, comédie en 3
actes (Théâtre de S. M. l'Impératrice et Reine, 7 mars 1809).
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
212
1810
FRANCONI (Henri) et CUVELIER DE TRIE (Jean) : Don Quichotte et son écuyer Sancho Pança, scènes équestres (Cirque Olympique, 1er mars 1810).
1811
BALISSON DE ROUGEMONT (Michel-Nicolas) : Les Trois Secrétaires ou Gusmàn, Morillos, Lazarille (Odéon, 9 avril 1811).
BRAZIER (Nicolas) : La Famille de Don Quichotte, prologue de
Don Quichotte en vaudevilles, Barba, 1811.
1812
BARTHÉLÉMY-HADOT (Marie-Adèle) : L'Amazone de Grenade, mélodrame en 3 actes et à grand spectacle, Barba, 1812.
1813
DELESTRE-POIRSON (Charles-Gaspard) et VICTORIN [Fabre ?] : Inès et Pédrille ou La Cousine supposée (Odéon, 1813).
1814
Jouy (Étienne de) : Pélage ou Le Roi et la paix, opéra en 2 actes,
musique de Spontini (Académie royale de musique, 23 août 1814).
1815
DUVEYRIER (Anne-Joseph) [dit Mélesville] : Abenhamet ou Les
Deux héros de Grenade, mélodrame en 3 actes et en prose (AmbiguComique, 16 septembre 1815).
GUILBERT DE PIXÉRÉCOURT (René) : Christophe Colomb ou
La Découverte du Nouveau Monde, mélodrame historique en 3 actes,
Barba, 1815.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
213
SCRIBE (Augustin-Eugène) : Le Bachelier de Salamanque, comédie en un acte (Variétés, 18 janvier 1815).
1816
CAIGNIEZ (Louis-Charles) : La Petite Bohémienne, mélodrame
en 3 actes (Ambigu-Comique, 7 novembre 1816).
[170]
CUVELIER DE TRIE (Jean) et FRANCONI jeune : Sancho dans
l'île de Barataria, pantomime bouffonne tirée du Quichotte (Cirque
Olympique, 14 février 1816).
DUPIN (Henri) et EUGÈNE [Scribe] : Gusmàn d'Alfarache, comédie-vaudeville en 2 actes (Vaudeville, 22 octobre 1816).
1818
BLAZE (François-Marie-Joseph) [dit Castil-] : Les Noces de Figaro, opéra comique en 4 actes, musique de Mozart (Théâtre de Nîmes,
31 décembre 1818).
SCRIBE (Augustin-Eugène) et DUVEYRIER (Anne-Joseph) [dit
Mélesville] : La Volière de Frère Philippe, comédie-vaudeville en un
acte (Vaudeville, 15 juin 1818).
1819
DESESSARTS D'AMBREVILLE (Joseph) : La Fenêtre secrète ou
Une soirée à Madrid, comédie en 3 actes, mêlée de chants (OpéraComique, 17 novembre 1819).
1820
DUVEYRIER (Anne-Joseph) [dit Mélesville] : L'Aventurier espagnol, comédie en 3 actes et en prose (Ambigu-Comique, 16 mars
1820).
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
214
1821
BLAZE (François-Marie-Joseph) [dit Castil-] : Le Barbier de Séville, musique de Rossini (Lyon, 19 septembre 1821).
_____, Don Juan, opéra en 4 actes, musique de Mozart, Vente,
1821.
CAIGNIEZ (Louis-Charles) et VILLIERS (P.) : Rosalba d'Arandès, pièce en 3 actes, à grand spectacle (Panorama dramatique, 24 novembre 1821).
GAUDCHOU (Théodore) : Une nuit de Séville, comédie en un acte, mêlée de couplets (Panorama dramatique, 22 mai 1821).
LURIEU (Jules-Joseph) et DARTOIS [de Bournonville] (Armand) : La Nina de la rue Vivienne, folie-vaudeville en un acte (Vaudeville, 24 juillet 1821).
THÉODORE : Une nuit à Séville (Panorama dramatique, 1821).
1822
DÉSAUGIERS (Marc-Antoine) et XAVIER : La Parisienne en
Espagne, [171] comédie-vaudeville en un acte (Vaudeville, 12 septembre 1822).
GUILBERT DE PIXÉRÉCOURT (René) : Le Pavillon des fleurs
ou Les Pêcheurs de Grenade, comédie en un acte et en prose, Pollet,
1822.
1823
BRAZIER (Nicolas), CARMOUCHE (Pierre) et COURCY (Frédéric de) : Les Adieux sur la frontière, à-propos-vaudeville à l'occasion du retour de S. A. R. Mgr le due d'Angoulême (Variétés, 23 décembre 1823).
CAPELLE (Adolphe) et GOMBAULT (Paul-Auguste) : Le Tambour de Logrono ou Jeunesse et valeur, tableau historique en un acte,
mêlé de couplets (Théâtre de M. Comte, 16 décembre 1823).
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
215
CHAZET (René A. de) : La France et l'Espagne ou Les Deux familles, intermède représenté à l'Hôtel de Ville le jour de la fête que la
ville a offerte à S.A.R. Mgr le duc d'Angoulême.
DAUMIER (Jean-Baptiste) : Philippe II, tragédie, Paris, 1823 ?
DÉSAUGIERS (Marc-Antoine) et GENTIL [de Chavagnac] (Michel-Joseph) : Plus de Pyrénées, à-propos-vaudeville en un acte (Vaudeville, 16 décembre 1823).
DÉSAUGIERS (Marc-Antoine) et GERSIN (N.) : La Route de
Bordeaux, à-propos en un acte et en vers libres, à l'occasion du retour
de S. A. R. le duc d'Angoulême (Théâtre-Français, 10 décembre
1823).
DRAP-ARNAUD (Xavier) : Une journée de Vendôme, comédie en
3 actes et en vers libres (Odéon, 16 décembre 1823).
DUPEUTY et DE VILLENEUVE : La Fêle de la victoire (Gymnase, décembre 1823).
HUGO (Abel) et VULPIAN (Adolphe) : Les Français en Espagne,
vaudeville en un acte (Odéon, 24 août 1823).
JACQUELIN (Jacques-André) et COUPART (Antoine) : Le Passage militaire ou La Désertion par honneur, divertissement, mêlé de
couplets (Ambigu-Comique, 24 août 1823).
MENNECHET (Édouard) et Empis (Adolphe-Joseph) : Vendôme
en Espagne, drame lyrique en un acte (Académie royale de musique, 5
décembre 1823).
MERLE (Jean-Toussaint), SIMON (Henri) et [LALOUE] (Ferdinand) : La Saint-Louis au bivouac, vaudeville en un acte (Porte SaintMartin, 24 août 1823).
SAINT-HILAIRE (VILAIN DE) : Tringolini ou Le Double Enlèvement, mélodrame comique en 3 actes et à grand spectacle (Panorama dramatique, 18 janvier 1823).
THÉAULON DE LAMBERT (Guillaume) et LANGLÉ (Eusèbe)
[dit Ferdinand Langlois] : Les aides de camp, ou La Saint-Louis [172]
à l'armée, comédie-vaudeville (Variétés, 24 août 1823).
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
216
THÉAULON DE LAMBERT (Guillaume), DARTOIS [de Bournonville] (Armand) et DE RANCÉ - Le Duc d'Aquitaine (OpéraComique, décembre 1823).
1824
CUVELIER DE TRIE (Jean) et FRANCONI jeune : Le Pont de
Logrono suivi de La Prise du Trocadéro (Cirque Olympique, 7 janvier 1824).
DULONG (Jules) et HENRY : La Prise de Tarifa (Cirque Olympique, 20 novembre 1824).
MARTIN (Auguste) [dit Martin et Auguste] : La Saint-Louis à
Madrid, à-propos-vaudeville en un acte à l'occasion de la fête du roi
(Théâtre d'élèves, 24 août 1824).
THÉAULON DE LAMBERT (Guillaume), DARTOIS [de Bournonville] (Armand) et DÉSAUGIERS (Marc-Antoine) : La Fête au
bivouac, vaudeville en un acte (Vaudeville, 24 août 1824).
1825
CORALLI (Jean) : Les Ruses espagnoles, ballet-pantomime en 2
actes (Porte Saint-Martin, 29 novembre 1825).
LEBRUN (Pierre) : Le Cid d'Andalousie, tragédie (1er mars 1825).
SAUVAGE (Thomas) et DUPIN (Henri) : Les Noces de Gamache,
opéra-bouffon en 3 actes, musique de Mercadante (Odéon, 9 mai
1825).
THÉAULON DE LAMBERT (Guillaume) et DE RANCÉ : Don
Sanche ou Le Château d'amour, opéra-féérique en un acte (Académie
royale de musique, 17 octobre 1825).
1826
BÉRAUD (Antoine) [dit Antony] : Le Corrégidor ou Les Contrebandiers, mélodrame en 3 actes (Ambigu-Comique, 1826).
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
217
1827
DARTOIS [de Bournonville] (Armand) et BLANGINI (Joseph) :
Figaro ou Le Jour des noces, pièce en 3 actes, d'après Beaumarchais,
Mozart et Rossini (Nouveautés, 16 août 1827).
1828
BÉRAUD (Antoine) [dit Antony] : Le Siège de Saragosse, pièce
militaire en 2 actes (Cirque Olympique, 1828).
[173]
1829
A... : La Saint-Charles en Espagne ou Les Lanciers et les marchands de mode, vaudeville (Théâtre de la Gaîté, 3 novembre 1829).
1830
HUGO (Victor) : Hernani ou L'Honneur castillan (ThéâtreFrançais, 25 février 1830).
LACOSTE (Armand) [dit Saint-Amand] et DULONG (Jules) : Péblo [sic] ou Le Jardinier de Valence, mélodrame en 3 actes, à grand
spectacle (Ambigu-Comique, 4 mars 1830).
MARTINEZ DE LA ROSA (Francisco) : Aben-Humeya ou La Révolte des Maures sous Philippe II (Porte Saint-Martin, 19 juillet
1830).
1831
HALÉVY (Léon) : Beaumarchais à Madrid, drame en 3 actes et 5
parties, Barba, 1831.
HURTADO et CAVÉ (Auguste) : Le Diable à Séville. opéracomique en un acte, musique de Gomis (Opéra-Comique, 29 janvier
1831).
LATOUCHE (Henri de) : La Reine d'Espagne (Théâtre-Français, 5
novembre 1831).
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
218
LEUVEN (Adolphe) et PITTAUD DES FORGES (Auguste) [dit
Paul de Lussan] : Le Guérillas, [sic] épisode des dernières révolutions
d'Espagne, en un acte (Palais-Royal, 11 juillet 1831).
1832
ALBÉNAS (Clémence-1saure d') : Boabdil ou Les Abencérages,
Goetschy fils, 1832.
BAYARD (Jean-François) : Don Juan ou Un orphelin, comédie
historique en 2 actes, Barba, 1832.
FONTAN (Louis-Marie), DUPEUTY (Charles-Désiré) et ADER
(Jean-Joseph) : Le Barbier du roi d'Aragon, drame en 3 actes, en prose (Porte Saint-Martin, 21 juillet 1832).
1833
ROSIER (Joseph-Bernard) : La Mort de Figaro, drame en 5 actes,
en prose (Théâtre-Français, 9 juillet 1833).
1834
ÉPAGNY (Jean-Baptiste d') et DEYEUX (Théophile) : Charles III
ou L'Inquisition, comédie-drame en 4 actes et en prose (Porte SaintMartin, 26 août 1834).
[174]
1835
BURAT DE GURGY (Edmond) et MASSELIN (Victor) : Le Fils
de Figaro, comédie-vaudeville en un acte (Ambigu-Comique, 27 septembre 1835).
DELAVIGNE (Casimir) : Don Juan d'Autriche, comédie en 5 actes, en prose (Théâtre-Français, 17 octobre 1835).
DUPIN (Henri) et SAUVAGE (Thomas) : Don Quichotte aux noces de Gamache, folie-vaudeville en 3 actes, mêlée de chants (Ambigu-Comique, 26 décembre 1835).
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
219
THÉAULON DE LAMBERT (Guillaume) et PITTAUD DES
FORGES
(Auguste) [dit Paul de Lussanl : La Périchole, comédie en un acte,
mêlée de chants (Palais-Royal, 11 octobre 1835).
1836
ALBOISE DU PUJOL (Jules) et FOUCHER (Paul) : El Gitano ou
Villes et montagnes, drame en 5 actes (Théâtre de la Gaîté, 26 novembre 1836).
ANCELOT (François) et DUPORT (Paul) : Les Pontons de Cadix,
opéra-comique en un acte (Opéra-Comique, 8 novembre 1836).
CHAPELLE (Paul-Aimé) [dit Laurencin] : Inès ou Bourgeois et
Grands Seigneurs, comédie-vaudeville en 2 actes (Ambigu-Comique,
27 août 1836).
DENNERY (Adolphe) : Dolorès, drame en 3 actes (Théâtre de la
Gaîté, 3 novembre 1836).
DUMAS (Alexandre) : Don Juan de Marana ou La Chute d'un ange, mystère en 5 actes, en 9 tableaux (Porte Saint-Martin, 30 avril
1836).
KOCK (Paul de) : Une Maîtresse dans l'Andalousie, comédievaudeville en un acte (Porte Saint-Antoine, 24 juin 1836).
LEUVEN (Adolphe) et DUMANOIR (Philippe) : Dolorida, drame
en 3 actes (Panthéon, 5 octobre 1836).
MALLEFILLE (Félicien) : Les Sept Infans de Lapa, drame en 5
actes (Porte Saint-Martin, 2 mars 1836).
SAUVAGE (Thomas) et LURIEU (Jules-Joseph de) : Gil Blas de
Santillane, comédie en 3 actes, mêlée de chants (Ambigu-Comique, 9
mars 1836).
_____, Lazarille de Tormes ou Le Loup et le chien, comédie en 2
actes, mêlée de chants (Vaudeville, 24 juin 1836).
SCRIBE (Augustin-Eugène) et LEMOINE (Gustave) : Le Mauvais
Œil, opéra-comique en un acte (Opéra-Comique, Ier octobre 1836).
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
220
1837
AUGER (Hippolyte) : Le Corrégidor de Séville, mélodrame en 3
actes et 4 tableaux (Théâtre de la Gaîté, 14 octobre 1837).
[175]
BRIFFAULT (Charles) - François Ier à Madrid, en vers avec épilogue. Œuvres, Paris, 1858, V, pp. 1-105.
COLLET (Louise) : L'Abencérage, opéra en 2 actes (Théâtre de M.
le comte de Castellane, 15 avril 1837).
DÉADDÉ
(Édouard) [dit Saint-Yves] et VEYRAT (Xavier) Les Gitanos ou Le Prince et le chevrier, comédie historique en un acte, mêlée de chants (Gymnase des Enfants, 13 avril 1837).
DESNOYERS (Charles), BOULÉ (Auguste-Louis) et CHABOT
DE BOUIN (Jules) : Rita l'Espagnole, drame en 4 actes (Porte SaintMartin, 17 octobre 1837).
_____ et DELAVERGNE : Le Rosaire ou Le Dernier des Lemos
(Ambigu-Comique, 23 mai 1837).
DEYEUX (Théophile) : Le Muet de Barcelone, drame en 3 actes
(Folles-Dramatiques, 4 mars 1837).
DUMAS (Alexandre) : Piquillo, opéra-comique en 3 actes, musique de Monpou (Opéra-Comique, 31 octobre 1837).
GAUDICHOT (Auguste) [dit Michel Masson] : Ne touchez pas à
la reine, 1837.
LABROUSSE (Fabrice) et SAINT-ERNEST : Don Pèdre le mendiant, drame en 4 actes, en prose (Ambigu-Comique, 28 décembre
1837).
ROSIER (Jean-Bernard) : Maria Padilla, chronique espagnole en 3
actes, un prologue et un épilogue (Vaudeville, 9 décembre 1837).
1838
ANCELOT (François) : Maria Padilla, tragédie en 5 actes, Marchant, 1838.
ANCELOT (Virginie) : Juana ou Le Projet de vengeance, comédie
en 2 actes (Vaudeville, 4 juillet 1838).
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
221
HUGO (Victor) : Ruy Blas, drame en 5 actes (Renaissance, 8 novembre 1838).
MOREL et CHAPEAU (Armand) [dit Desvergers] : La Cachucha
ou Trois Cœurs tout neufs, vaudeville en un acte (Gymnase dramatique, 30 juillet 1838).
MURET (Théodore) : Juana ou Deux dévouements, drame en un
acte, mêlé de chants (Folies dramatiques, 16 octobre 1838).
PLANARD (Eugène de) et GOUBAUX (Prosper-Parfait) [dit Haute-feuille] : La Mantille, opéra-comique en un acte (Opéra-Comique,
31 décembre 1838).
TASTET (Tyrtée) : Le Toréador, drame en 5 actes, en prose
(Théâtre de la Gaîté, 29 avril 1838).
[176]
1839
CHAPELLE (Paul-Aimé) [dit Laurencin] et CHAPEAU (Armand)
[dit Desvergers]: La Gitana, vaudeville en 3 actes (Gymnase dramatique, 28 janvier 1839).
DOVARIAS (Christian) [dit Henri Ballot] et LARGUÈZE (Théodore) [dit Joseph Selneuve] : Les Vacances espagnoles ou Le Guerillero, drame-vaudeville en un acte (Porte Saint-Antoine, 27 juillet
1839).
DUVEYRIER (Anne-Joseph) [dit Mélesville] : Le Toréador, comédie en 3 actes, mêlée de chants (Palais-Royal, 18 octobre 1839).
RAGAINE : El Marco Bomba ou Le Sergent fanfaron, balletpantomime en un acte (Renaissance, 23 août 1839).
SCRIBE (Augustin-Eugène) : La Xacarilla, opéra en un acte (Académie royale de musique, 28 octobre 1839).
1840
BÉRAUD (Antoine) [dit Antony] et HUARD (Étienne) : Francesco Martinez, drame en 3 actes (Théâtre Saint-Marcel, 21 février
1840).
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
222
DELAVIGNE (Casimir) : La Fille du Cid, tragédie en 3 actes et en
vers (Renaissance, 2 mars 1840).
GOUBAUX (Prosper-Parfait) [dit Hautefeuille] et LEMOINE
(Gustave) : L'Abbaye de Castro, drame en 5 actes (Ambigu-Comique,
4 avril 1840).
MICHEL (Marc) : Torrino le savetier, drame comique en 3 actes,
précédé de Le Siège de Séville, prologue en un acte (Panthéon, 19 novembre 1840).
ROYER (Alphonse) et VAEZ (Gustave) : La Favorite, opéra en 4
actes, musique de Donizetti (2 décembre 1840).
1841
CARMOUCHE (Pierre), LALOUE (Ferdinand) et BOURGEOIS
(Anicet) : Anita la bohémienne, drame-vaudeville en 3 actes (Cirque
Olympique, 19 avril 1841).
DUVEYRIER (Anne-Joseph) [dit Mélesville] : La Jeunesse de
Charles Quint, opéra-comique en 2 actes (Opéra-Comique, Ier décembre 1841).
SCRIBE (Augustin-Eugène) : Le Guitarrero, opéra-comique en 3
actes, musique de F. Halévy (Opéra-Comique, 21 janvier 1841).
1842
BURAT DE GURGY (Henri) : L’Écolier de Barcelone, A. Desessarts, 1842.
[177]
1843
DUVEYRIER (Anne-Joseph) [dit Mélesville] : La Fille de Figaro,
comédie-vaudeville en 5 actes (Palais-Royal, 17 mai 1843).
GAUTIER (Théophile) et SIRAUDIN (Paul) : Un Voyage en Espagne, vaudeville en 3 actes (Variétés, 21 septembre 1843).
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
223
LALOUE (Ferdinand) et BOURGEOIS (Anicet) : Don Quichotte
et Sancho Pança, pièce en 2 actes (Cirque dramatique, 12 octobre
1843).
1844
ARNOULD (Auguste) et WAILLY (J. de) : Un Amant malheureux, comédie-vaudeville en 2 actes, Marchant, 1844.
BONJOUR (Casimir) : Le Bachelier de Ségovie ou Les Hautes
Études, comédie en vers et en 5 actes (Odéon, 15 octobre 1844).
DUMANOIR (Philippe) et DENNERY (Adolphe) : Don César de
Bazan, drame en 5 actes, mêlé de chants (Porte Saint-Martin, 30 juillet
1844).
SOULIÉ (Frédéric) : Les Amans de Murcie, drame en 5 actes et 6
tableaux (Ambigu-Comique, 9 mars 1844).
1845
LUCAS (Hippolyte) : L'Étoile de Séville, grand opéra en 4 actes,
musique de Balfe, Vve Jonas, 1845.
1846
BAYARD (Jean-François) et COMBEROUSSE (Alexis-Benoît
de) : Juanita ou Volte-Face, comédie-vaudeville en 2 actes (Gymnase
dramatique, 26 mai 1846).
CORMON (Eugène) : Philippe II, roi d'Espagne, drame en 5 actes
(Théâtre de la Gaîté, 14 mai 1846).
FOUCHER (Paul) et MAZILLIER (V.) : Paquita, balletpantomime (Académie royale de musique, Ier avril 1846).
LUCAS (Hippolyte) : Christophe Colomb, scènes lyriques, Dondey-Dupré, 1846.
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
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1847
DENNERY (Adolphe) et CORMON (Eugène) : Gastibelza ou Le
Fou de Tolède, drame lyrique en 3 actes (Opéra national, 15 novembre 1847).
MÉRY (Joseph) : Christophe Colomb ou La Découverte du Nouveau-Monde, ode-symphonie en 4 parties, musique de David (Conservatoire, 7 mars 1847).
[178]
PLANARD (Eugène de) et LEUVEN (Adolphe) : Le Bouquet de
l'Infante, opéra-comique en 3 actes, musique de Boeldieu (OpéraComique, 27 avril 1847).
1849
BOURGEOIS (Anicet) et GAUDICHOT (Auguste) [dit Michel
Masson] : Piquillo Alliaga ou Trois châteaux en Espagne, drame en 5
actes, tiré du roman de Scribe (Ambigu-Comique, 2 octobre 1849).
SAUVAGE (Thomas) : Le Toréador ou L'Accord parfait, opérabouffon en 2 actes (Opéra-Comique, 18 mai 1849).
1850
BARBE (Paul) : Fernand Cortez, tragédie en 5 actes et en vers,
Avignon, Offray ainé, 1850.
LUCAS (Hippolyte) : Maria Padilla, opéra en 4 actes, musique de
Donizetti (Nantes, 1850).
Léon-François Hoffmann, ROMANTIQUE ESPAGNE. (1961)
225
[179]
ROMANTIQUE ESPAGNE.
L’image de l’Espagne en France
entre 1800 et 1850.
BIBLIOGRAPHIE
399
PREMIÈRE PARTIE
SOURCES PREMIÈRES
Retour à la table des matières
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Sauf indication contraire, le lieu de publication est Paris.
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ARBOUVILLE (Sophie Loyre d') : Poésies et Nouvelles, 3 vol.,
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DEUXIÈME PARTIE
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