Les bons moments deviennent de bons souvenirs Les mauvais
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Les bons moments deviennent de bons souvenirs Les mauvais
Les bons moments deviennent de bons souvenirs Les mauvais souvenirs doivent rester de bonnes leçons L’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir mais de le rendre possible ce qui m’habite à vouloir sans cesse revisiter le temps. À vouloir poser mon regard sur mes chemins d’autrefois. Un besoin irrépressible m’entraîne en direction des lieux et des événements où se niche mon enfance. La nostalgie de ce passé n’est pas le moteur de mon projet, bien qu’à certains égards, j’en ai gardé de bons souvenirs. Quelle curiosité, quelle raison me conduisent donc à vouloir repenser ce que fut ma jeunesse ? Aujourd’hui je le sais et j’en connais la nature. J’éprouve comme un devoir, l’envie de te raconter des histoires, de celles qui, pour les développer, demandent un peu plus de temps que ne dure un feu de cheminée. Celles que j’ai choisies vont m’amener parfois à les commenter, à te donner mon opinion sur des sujets qui m’interpellent. Ainsi, au fil des chapitres, et en fonction de leur contenu je vais, sans doute, te titiller sur certaines de tes positions et de tes certitudes. La forme narrative, lien de communication idéal pour ce qui va concerner mon propos, servira de prétexte au prolongement des discussions qui font débat entre nous. Cependant, à peine le dos tourné, tous les prétextes seront avancés pour fixer la date d’une prochaine rencontre qui sera, comme pour toutes nos retrouvailles, empreintes d’attentions affectueuses. Malgré tout et nous le savons, un accrochage, un de plus ayant pour prétexte une divergence d’opi- J E NE SAIS PAS 9 nion ou de point de vue sur un sujet d’actualité, se soldera à nouveau par des promesses, par une écoute que nous voudrons meilleure et partagée. Ainsi vont nos relations lorsqu’il s’agit d’aborder des sujets sérieux, ce qui d’ailleurs n’est pas fait pour me déplaire, car elles nous révèlent dans ce que nous sommes au-delà de la complaisance. Alors, et afin d’éviter toute interruption qui me ferait perdre le fil de l’histoire, je pars à ta rencontre par le biais de cet outil moderne qui en facilite l’écriture et que d’autres appellent ordinateur ! L’écriture valant mieux qu’un long discours, je reprends mes notes. Je vais me laisser porter vers mes souvenirs, sans toutefois chercher à en reconstituer une chronologie linéaire. Me laisser enfermer dans ce type de développement ne me ressemblerait pas, ce n’est ni dans ma façon de fonctionner, ni dans celle de penser, ni dans celle de vivre. Je vais cependant en tenir compte, elles vont m’aider à rassembler les pièces que le temps a éparpillées. Mon souhait est d’en faire un récit qui implicitement devrait amener des réponses parfois difficiles à développer oralement, à te faire entendre ou à te faire partager. Les raisons à cela sont multiples, elles apparaîtront au fil de mon témoignage. Je trouve en effet et trop souvent à mon goût, ton raisonnement enfermé dans un discours ne tenant pas compte du passé. Tu pratiques l’esquive, tel un 10 toréador en guise d’échappatoire ou pour tourner en dérision ce que je raconte d’une jeunesse qui fut la mienne. Les informations, les arguments que veut t’apporter mon propos lors de nos échanges, ne sont pas des éléments de comparaison ou de jugement à opposer en vertu d’un principe. Ils sont là pour développer l’origine de certains de mes points de vue, de ceux en particulier faisant l’objet de nos différences et dont une oreille attentive saurait entendre les raisons. Tu n’es pas le seul à avoir ce type de ripostes, je l’ai constaté à de multiples occasions. En effet, la plupart des jeunes gens pensent comme toi et prennent le parti de refermer le récit dans lequel est écrite l’histoire de notre passé, celle des gens d’avant comme parfois tu les nommes. En racontant ce que nous sommes, il devient l’essence de notre construction et en dessine le parcours. Il situe le contexte et décrit les conditions dans lesquelles nos premiers pas ont laissé leurs empreintes. Le contenu de ce livre est le fil d’Ariane qui permet de remonter aux origines de nos conduites, de notre façon d’être, de penser et d’agir. Alors qu’il est ce lien indispensable à la compréhension des temps qui nous séparent, ne pas en tenir compte, en rompre l’attache, portent le risque de nous éloigner les uns des autres. Il y a effectivement le temps des uns et celui des 11 autres. Chacun d’entre eux possédant ses vertus et ses faiblesses doit nous enrichir, s’il en est fait une bonne lecture. Comment pouvoir te parler du mien alors qu’avec malice, tu en balayes les premières syllabes, rajoutant avec l’humour de tes seize ans les marques d’une rengaine dont tu prétends connaître tous les refrains. Conflit générationnel comme l’appellent les sociologues ? Ou diagnostic passe-partout pour légitimer trop souvent à mon goût la contradiction comme réplique ? Alors pour toi mon petit-fils, pour qu’il reste une trace de ce qui anime nos discussions dont parfois le ton est grinçant, je vais sans ordre précis en compter le temps dont la seule évocation t’amène à sourire. Te parler de ce qui a rempli ma vie. Il y sera question de sentiments divers, d’émotions, de joies, de craintes, de bonheurs. Pour le plaisir du partage, pour apporter un peu d’huile sur les rouages de tes diableries, je vais te nourrir d’une chronique qui accompagna plus particulièrement les quinze premières années de ma vie. Je souhaite te guider dans quelques-uns de mes voyages. Ceux du concret et puis d’autres vers lesquels mon imagination m’entraînait. Je vais te peindre les paysages de mon enfance aux couleurs de ce qu’elle fut, sans pour autant me priver d’en 12 faire glisser la palette vers les nuances qui enluminaient les mirages de mes fantaisies. Ce qui à l’échelle de la grande horloge ne représente rien va t’obliger à faire des efforts d’imagination pour en atteindre la réelle perception. T’éclairer sur les événements qui ont accompagné ma jeunesse et t’ouvrir sur le quotidien des personnes de ma génération seront là pour t’apporter quelques réponses. De celles qui parfois nous opposent dans des joutes oratoires dont le solde n’est pas satisfaisant pour nos egos respectifs. J’entends par avance tes apostrophes et je vois tes mimiques à l’expression moqueuse. Tu vas positionner ta bouche en cul-de-poule, grimace que je sais annonciatrice de singeries, puis tu vas te laisser aller à quelques blagues dont tu as le secret. Je vais en avoir pour mon grade, d’ailleurs je m’y prépare. Question de me chatouiller aux entournures, tu vas prendre un malin plaisir à replacer mes histoires au temps des dinosaures. Avec des mots batailleurs, sans méchanceté aucune, mais suffisamment taquin pour me faire élever la voix, tu vas entretenir le duel à en perdre le souffle dans le but de me faire enrager. Pour finir, pour enfoncer encore un peu plus le clou, tu sortiras de ton répertoire tes qualificatifs préférés faisant référence à tout ce qui touche aux antiquités ! 13 Cependant, tu peux t’y attendre, je vais te chicaner sur tout. Les souvenirs dont je te fais part au cours de nos discussions, ceux dont parfois tu te moques et qui te poussent à rire, ont à mes yeux pour intérêt majeur d’être assez vieux pour que la mémoire récente ne les ait pas vécus. Alors c’est sûr, je ne vais pas te parler du dernier concert des je-ne-sais-plus-qui-à la mode ou de la marque de tes pantalons. Je fais allusion à ceux que tu portes fièrement et dont le style bas du cul me laisse croire que sans t’en apercevoir, tu te serais mal embraillé en sortant des toilettes ! Tu me dis que c’est la mode, vas-y pour la mode, mais sans moi ! Au sujet de tes pantalons à la coupe fantaisiste, inutile que j’en rajoute, tu sais à présent ce que j’en pense ! Avant d’aller plus loin dans mes élucubrations, je te propose un instant de pause, le temps de cette recommandation. Commence à prendre des notes, garde quelques photos. Fixe bien les événements qui te marquent et ceux qui vont suivre, ils seront pour plus tard la matière de ce que tu raconteras à ta descendance. Car, comme tu le fais avec moi aujourd’hui, pimenté avec l’humour que tu lui auras sans doute légué, attends-toi à te faire brancher grave. Tout ce qui fera 14 référence au temps, te vaudra lazzi et quolibets. Je les entends demander si tu ne te sens pas sorti des rails… ou pire encore, te suggérer de retourner à ta caverne ! — Ho Papy ! Interpellation qu’ils souligneront sans doute avec l’accent marseillais pour en augmenter la clameur. — Ho Papy ! c’est quoi ce que tu racontes ? — D’où tu viens comme ça ? — Et en venant, par hasard, tu n’aurais pas croisé sur ton chemin quelque homme égaré sortant de Lascaux ou de la grotte Chauvet… ? —… Tu auras beau vouloir rester dans le coup, ton temps ne sera pas le leur, pourtant, tout comme moi et pour ce qu’il possédera en lui de bon, tu le défendras bec et ongles. Il est certain – tu l’auras appris d’ici là à ton tour – que ce qu’ils t’objecteront seront les arguments et les signes d’une volonté absolument nécessaire pour ouvrir leur chemin. Leurs réfutations, à distinguer de leurs provocations taquines, seront les outils d’appui de leur construction même si, comme cela m’arrive en t’écoutant, certains de leurs propos ne manqueront pas de te hérisser le poil ! Grandir c’est s’opposer, disent les psychologues, car à vouloir être comme tout le monde on ne devient personne. 15