L`évaluation psychoéducative de la personne en difficulté d`adaptation

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L`évaluation psychoéducative de la personne en difficulté d`adaptation
L’évaluation psychoéducative
de la personne en difficulté
d’adaptation
Lignes directrices
Le présent document est la troisième édition révisée du Guide d’évaluation psychoéducative publié en
2008 et en 2010.
Comité de travail
Jocelyne Pronovost, Ph. D., ps.éd.
Dominique Trudel, Ph. D., ps.éd., Ordre des psychoéducateurs et psychoéducatrices du Québec
Gilles Bergeron, ps.éd.
Ginette Lajoie, ps.éd.
Rédaction et coordination
Jocelyne Pronovost, Ph. D., ps.éd.
Dominique Trudel, Ph. D., ps.éd., Ordre des psychoéducateurs et psychoéducatrices du Québec
Comité de lecture
Jean Hénault, ps.éd., Ordre des psychoéducateurs et psychoéducatrices du Québec
Denis Leclerc, ps.éd., Ordre des psychoéducateurs et psychoéducatrices du Québec
Remerciements
L’Ordre remercie tous les psychoéducateurs qui, à un moment ou à un autre, ont été sollicités pour lire,
commenter ou enrichir ce document depuis sa première parution en 2008.
Texte explicatif pour le symbole des compléments théoriques
Dépôt légal - Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2014
ISBN 978-2-9814596-1-9
© OPPQ, 2010. Révisé en mai 2014.
Pour citer ce document : Ordre des psychoéducateurs et psychoéducatrices du Québec. (2014). L’évaluation psychoéducative de la
personne en difficulté d’adaptation. Lignes directrices. Montréal.
La reproduction en tout ou en partie du contenu de ce document est permise à la condition d’en mentionner clairement la source.
Tous droits réservés.
Table des matières
INTRODUCTION
Contexte des lignes directrices Objectif des lignes directrices 1
2
1. L’évaluation psychoéducative
4
1.1 L’évaluation, une activité réservée dans le champ de la santé mentale
et des relations humaines 1.2 L’évaluation comme opération professionnelle 1.3 L’évaluation fonctionnelle et l’évaluation normative : deux types complémentaires
d’évaluation 1.4 L’observation participante en appui à l’évaluation 2. Le concept d’adaptation
2.1 Définition du concept
2.2 Le concept d’adaptation sous différentes perspectives théoriques 2.3 L’adaptation selon la vision écosystémique de Gilles Gendreau 3. Modèle d’évaluation psychoéducative
3.1 Fondements théoriques 3.2 Présentation du modèle
4. Démarche d’évaluation psychoéducative
4.1 Partie 1 : Situation problématique. Facteurs de risque et de protection associés 4.2 Partie 2 : Fonctionnement adaptatif de la personne. Ressources individuelles
et environnementales 4.3 Partie 3 : Jugement clinique 5. Communication de l’évaluation 5.1 Rédaction du rapport 5.2 Protocole de rapport d’évaluation psychoéducative
6. Considérations éthiques et déontologiques 4
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6.1 La relation avec le client
6.2 La compétence professionnelle 31
31
32
RÉFÉRENCES 33
COMPLÉMENTS THÉORIQUES ANNEXE 1 L’autodétermination 37
ANNEXE 2 Les facteurs de risque et les facteurs de protection 38
ANNEXE 3 La notion de besoins 40
ANNEXE 4 Les concepts d’interaction et de convenance 42
ANNEXE 5 Les processus cognitifs et le coping 44
ANNEXE 6 Le concept de santé mentale positive 46
INTRODUCTION
Contexte des lignes directrices
L’évaluation est la base de toute décision professionnelle. Elle constitue un acte de nature clinique sur lequel
s’appuieront les interventions subséquentes à l’endroit de la personne en besoin et de son environnement.
L’acte d’évaluer nécessite compétence et rigueur. Pour la personne qui est l’objet de cette évaluation, les
conséquences sont importantes. C’est pourquoi la modernisation de la pratique professionnelle dans le
domaine de la santé mentale et des relations humaines (projet de loi no 21) exige que les activités d’évaluation
à risque de préjudice soient effectuées par des professionnels1 qui doivent détenir une formation initiale et
continue adéquate. Ils sont, de plus, responsables de leurs actes.
Les psychoéducateurs sont au nombre des professionnels dont la compétence est reconnue pour procéder
à des évaluations qui touchent certaines clientèles vulnérables. Parmi les activités qui leur sont légalement
réservées, en partage avec d’autres professionnels, figurent cinq activités d’évaluation :
• Évaluer une personne atteinte d’un trouble mental ou neuropsychologique attesté par un diagnostic ou
par une évaluation effectuée par un professionnel habilité;
• Évaluer une personne dans le cadre d’une décision du Directeur de la protection de la jeunesse ou
du tribunal en application de la Loi sur la protection de la jeunesse;
• Évaluer un adolescent dans le cadre d’une décision du tribunal en application de la Loi sur le système de
justice pénale pour les adolescents;
• Évaluer un élève handicapé ou en difficulté d’adaptation dans le cadre de la détermination d’un plan
d’intervention en application de la Loi sur l’instruction publique;
• Évaluer un enfant qui n’est pas encore admissible à l’éducation préscolaire et qui présente des indices de
retard de développement dans le but de déterminer des services de réadaptation et d’adaptation répondant
à ses besoins.
Ces évaluations ont comme objet les difficultés d’adaptation et les capacités adaptatives de la personne,
champ d’exercice du psychoéducateur.
Les deux autres activités réservées aux psychoéducateurs par le projet de loi no 21 (PL 21), sans être de nature
évaluative, n’excluent en rien qu’une telle opération leur soit liée. Il s’agit de :
• Déterminer le plan d’intervention pour une personne atteinte d’un trouble mental ou présentant un
risque suicidaire qui est hébergée dans une installation d’un établissement qui exploite un centre de
réadaptation pour les jeunes en difficulté d’adaptation;
• Décider de l’utilisation des mesures de contention ou d’isolement dans le cadre de l’application de la Loi
sur les services de santé et les services sociaux et de la Loi sur les services de santé et les services sociaux
pour les autochtones cris.
1. Les professionnels concernés sont : psychoéducateurs, psychologues, travailleurs sociaux, thérapeutes conjugaux et familiaux,
conseillers d’orientation, sexologues, ergothérapeutes, infirmières et médecins.
1
Objectif des lignes directrices
L’objectif du présent document est de définir un cadre de référence conceptuel et appliqué qui oriente
la démarche d’évaluation effectuée par le psychoéducateur dans différents contextes, dont celui
des activités réservées. En accord avec le champ d’exercice du psychoéducateur, les lignes directrices
s’appuient sur l’état actuel des connaissances concernant l’adaptation ainsi que sur des pratiques
d’évaluation éprouvées en psychoéducation. De manière concrète, ce document propose un format de
rapport qui soutiendra les psychoéducateurs lorsqu’ils auront à évaluer une personne en difficulté
d’adaptation.
Sans constituer une obligation ou une prescription, les lignes directrices font figure de règles de l’art qui
veulent garantir rigueur et compétence à l’acte d’évaluer. Tout en exerçant leur jugement professionnel,
les psychoéducateurs sont invités à utiliser ces lignes directrices dans cet esprit. Par ailleurs, compte tenu
des milieux et des contextes variés dans lesquels œuvrent les psychoéducateurs, le cadre général que
recommande ce document doit nécessairement être adapté et spécifié en fonction des différentes clientèles
desservies, par exemple en précisant les données signifiantes à recueillir et en déterminant des outils
d’évaluation pertinents pour ce faire.
La figure 1 présente la structure qui relie les différentes sections des lignes directrices en vue d’une évaluation
psychoéducative rigoureuse, aussi bien sur le plan de ses assises théoriques que de sa démarche et des valeurs
professionnelles qu’elle actualise.
2
Figure 1 - Structure des lignes directrices
Cadre conceptuel
L’évaluation psychoéducative
La notion d’évaluation
L’évaluation, une activité réservée
L’évaluation comme opération professionnelle
L’évaluation fonctionnelle et l’évaluation normative :
deux types d’évaluation complémentaires
L’observation participante en appui à l’évaluation
Le concept d’adaptation
Définition du concept
Diverses perspectives théoriques
Vision écosystémique de Gilles Gendreau
Modèle d’évaluation psychoéducative
Fondements théoriques
Un modèle en trois parties :
Situation problématique.
Facteurs de risque et de
protection associés
Fonctionnement adaptatif de la
personne. Ressources individuelles
et environnementales
Jugement
clinique
Démarche d’évaluation psychoéducative
Collecte de données
• Consultation des dossiers
et des évaluations antérieures
• Consultation des partenaires
d’intervention
• Observation participante (vécu partagé)
• Observation systématique
• Instruments de mesure standardisés
ou cliniquement reconnus
• Entrevues structurées ou semi-structurées
(individuelles, familiales, avec l’entourage)
• Questionnaires d’autoévaluation
Analyse clinique
Formulation d’un jugement clinique
Communication de l’évaluation et rédaction du rapport
Éléments constitutifs du rapport
Considérations éthiques et déontologiques
La relation avec le client La compétence professionnelle
3
1. L’évaluation psychoéducative
D’une façon générale, l’évaluation consiste en la description, l’analyse et l’interprétation d’une situation
ou d’un phénomène en vue de fournir des données utiles à la prise de décision concernant la poursuite
d’un objectif ou d’un but. Dans le champ psychosocial, on reconnaît à l’évaluation un caractère global
et interprétatif qui dépasse la simple mesure d’un fait ou d’un comportement. L’évaluation exige que le
professionnel pose un jugement sur la situation d’une personne à partir des renseignements dont il
dispose. Elle comporte une étape de collecte de données visant à décrire et à comprendre la situation
problématique, une étape d’analyse des données dans le but de dresser un bilan clinique ainsi qu’une
étape de communication qui inclut généralement la rédaction d’un rapport.
1.1 L’évaluation, une activité réservée dans le champ de la santé mentale et des relations humaines
Le guide explicatif du PL 21 établit la distinction entre l’évaluation réservée aux professionnels et d’autres
actions qui s’en rapprochent. L’évaluation réservée « implique de porter un jugement clinique sur la situation
de la personne à partir des informations dont le professionnel dispose et de communiquer les conclusions
de ce jugement » (section 3.4.1). Dans l’esprit du PL 21, « l’évaluation réservée implique le jugement
clinique du professionnel, au même titre que le diagnostic du médecin, ainsi que la communication de
ce jugement » (section 3.4.1). L’évaluation réservée est différentielle et multifactorielle, c’est-à-dire qu’elle
tient compte d’une variété de facteurs dont la mise en relation permettra d’arriver à cerner le problème de
la personne. Elle nécessite des habiletés et des compétences particulières en lien avec le champ d’exercice de
chaque profession. Finalement, l’évaluation et ses conclusions ont statut d’autorité sur le plan professionnel.
Il en est tout autrement de la détection, du dépistage, de l’appréciation et de la contribution. Proches de
l’évaluation, ces actes n’en présentent pas toutes les caractéristiques. Entre autres, elles ne conduisent pas à
statuer sur l’existence de difficultés précises ni sur les répercussions à plus long terme de ces difficultés dans
la vie de la personne. Comme il est défini dans le guide explicatif (section 3.4.3) :
• La détection « consiste à relever des indices de trouble non encore identifié ou de facteurs de risque dans
le cadre d’interventions dont les buts sont divers »;
• Le dépistage « vise à départager les personnes qui sont probablement atteintes d’un trouble non diagnostiqué
ou d’un facteur de risque d’un trouble, des personnes qui en sont probablement exemptes »;
• L’appréciation « se définit par une prise en considération des indicateurs (symptômes, manifestations
cliniques, difficultés ou autres) obtenus à l’aide d’observations cliniques, de tests ou d’instruments »;
• La contribution « réfère à l’aide apportée par différents intervenants à l’exécution de l’activité réservée
au professionnel ».
4
Le guide explicatif du PL 21 (section 2.7) donne la définition suivante de l’évaluation effectuée par le
psychoéducateur :
L’évaluation du psychoéducateur consiste à porter un jugement clinique dans le cadre d’un processus
qui analyse les causes et la dynamique des perturbations observées dans les relations de la personne
avec son environnement. Elle est centrée sur trois axes : la personne, son environnement et
l’interaction entre la personne et le réseau dans lequel cette dernière évolue. Le psychoéducateur
documente et appuie son analyse notamment par de l’observation participante, réalisée à travers un
vécu privilégié avec la personne. Le psychoéducateur établit un pronostic sur les capacités
adaptatives de la personne dans le but de déterminer et de mettre en œuvre le plan
d’intervention qui en découle.
Cette définition est cohérente avec le champ d’exercice du psychoéducateur qui l’amène à évaluer les
difficultés d’adaptation et les capacités adaptatives de la personne, à déterminer un plan d’intervention
et à en assurer sa mise en œuvre. Il consiste aussi à rétablir et à développer les capacités adaptatives de
la personne et à contribuer au développement des conditions du milieu dans le but de favoriser l’adaptation
optimale de l’être humain en interaction avec son environnement.
1.2 L’évaluation comme opération professionnelle
Telle que définie par Gendreau (2001) et reprise par Renou (2005), la composante évaluation est une opération
professionnelle qui accompagne tout le processus d’intervention. En effet, l’évaluation doit être présente
dès le début du processus pour définir la problématique, faire le bilan des difficultés et des capacités de
l’individu et du milieu et planifier l’intervention. Cette démarche correspond à l’évaluation diagnostique ou
préintervention. La démarche d’évaluation que veut soutenir et encadrer le présent document concerne
précisément ce type d’évaluation.
L’objet de l’évaluation du psychoéducateur est la personne en difficulté prise en compte dans ses interactions
avec son entourage. L’évaluation a comme finalité la mise en place et le suivi d’un plan d’intervention ou
d’un plan de services. Elle est donc indissociable de l’intervention. Toutes deux porteront à la fois sur la
personne et sur le milieu, la notion de milieu englobant l’environnement immédiat et, de façon plus
large, le réseau dans lequel se trouve la personne. La figure 2 illustre ces propos.
5
Figure 2 - L’objet et la finalité de l’évaluation psychoéducative
Objet de l’évaluation
psychoéducative
Finalité de l’évaluation
•
La personne en difficulté dans ses
environnements de vie
•
•
•
La qualité des interactions personne environnements
•
Les ressources et les déficits, aussi bien
chez la personne que dans ses
environnements, qui contribuent
favorablement (facteurs de protection) ou défavorablement (facteurs de risque) à l’adaptation
L’évaluation s’appuie sur un cadre de
référence dont l’adaptation est le
concept central
Cerner la problématique et les besoins de services de la personne en difficulté
Formuler un jugement clinique sur les capacités et les déficits adaptatifs présents chez la personne et dans son milieu
•
Élaborer, appliquer et faire le suivi d’un plan d’intervention psychoéducative
•
Mettre en place des pratiques d’intervention efficaces et rigoureuses
L’évaluation est indissociable de l’intervention
L’évaluation se rapporte au premier des cinq champs du Profil des compétences générales des psychoéducateurs
(Ordre des psychoéducateurs et psychoéducatrices du Québec, 2010) : « Évaluer la situation de manière
rigoureuse et en accord avec le mandat reçu ». Neuf énoncés viennent en préciser la nature. Ils touchent
aussi bien la collecte et l’analyse de ces données que la production d’une synthèse interprétative :
1.1 Identifier les centrations et les contextes d’observation pertinents au mandat et à la situation, en se
référant à des cadres conceptuels reconnus.
1.2 Déterminer une méthode et des instruments d’observation et d’évaluation, directe ou indirecte, qui
soient valides.
1.3 Associer la personne et son entourage, le groupe, la famille ou l’organisation à la définition de leurs
besoins et de leurs attentes.
1.4 Rédiger des notes d’observation de manière appropriée à leur fonction et à leur utilisation.
1.5 Identifier et apprécier les capacités adaptatives et les difficultés d’adaptation présentées par la
personne, le groupe, la famille ou l’organisation, dans leurs interactions avec l’environnement.
1.6 Identifier les ressources et les limites de l’entourage susceptibles d’influencer les interactions de
la personne, du groupe, de la famille ou de l’organisation avec leur environnement.
6
1.7 Élaborer une hypothèse clinique qui intègre l’interaction entre les composantes individuelles et les
éléments de l’environnement, y compris les facteurs culturels.
1.8 Produire une synthèse interprétative de la situation, fondée sur les faits et appuyée sur des théories
reconnues.
1.9 Rendre compte de ses évaluations aux personnes ou aux instances administratives ou juridiques
concernées, en utilisant un langage écrit ou verbal adapté au contexte de la communication.
En cours de processus, l’évaluation portera sur le suivi de l’intervention afin de mettre au point la
planification, l’animation et l’utilisation pour une meilleure atteinte des objectifs souhaités. À la fin
du processus, une évaluation des résultats ou post-intervention sera réalisée pour mesurer l’atteinte des
objectifs et déterminer la pertinence de la planification, de l’organisation, de l’animation et de
l’utilisation des événements issus de l’intervention. Comme l’écrit Charlebois en 1998, la recherche
d’interventions efficaces nécessite l’évaluation de la mise en œuvre et des effets des interventions. Cela
justifie que les psychoéducateurs améliorent la qualité de leurs évaluations pour augmenter
l’efficacité des interventions ainsi que pour la reconnaissance de leur profession.
L’évaluation est une étape exigeante sur le plan de la rigueur intellectuelle, des attitudes et des compétences
relationnelles. Elle demande du temps et ne tolère aucun raccourci (Puskas, 2002, p. 167).
1.3 L’évaluation fonctionnelle et l’évaluation normative : deux types complémentaires d’évaluation
L’évaluation psychoéducative fait appel à deux types de connaissances dans la collecte et l’analyse des
données, soit des données cernant la fonction adaptative des comportements problématiques dans
l’interaction de la personne avec son environnement ainsi que des renseignements normatifs qui
permettent de la situer quant aux acquis et aux déficits liés à son âge et à sa culture.
L’évaluation fonctionnelle
L’évaluation fonctionnelle repose sur le principe que tout comportement a une fonction. Breen et Fredler
(2003) définissent l’évaluation fonctionnelle du comportement comme un processus permettant de
déterminer les facteurs contextuels (personnels, relationnels ou environnementaux) pouvant déclencher
et renforcer certains comportements inappropriés. Ce type d’évaluation vise à mettre en évidence les
fonctions des comportements problématiques ainsi que l’ensemble des facteurs de l’environnement
susceptibles d’influencer l’apparition de ces comportements ou de les maintenir (Willaye et Magerotte, 2003).
S’appuyant sur une définition opérationnelle des comportements problématiques (comportements
observables et mesurables définis en unités comportementales), l’évaluation fonctionnelle s’intéresse à relever
la séquence comportementale (ACC), c’est-à-dire les antécédents, les comportements et les conséquences.
7
Les antécédents renvoient aux événements ou aux stimuli qui précèdent la réaction comportementale et
sont liés à la fois à l’individu et à l’environnement (Langevin et Guéladé, 2010). Ce sont les moments de la
journée, les endroits ou les événements présents dans le milieu avant que se produisent les comportements
ciblés. Les conséquences sont des événements ou des stimuli qui surviennent à la suite de la réaction
comportementale et qui vont influer sur la probabilité qu’elle se reproduise.
Le processus de l’évaluation fonctionnelle comprend généralement les étapes qui suivent :
1. La description du comportement problématique ciblé;
2. L’analyse de la fonction du comportement inapproprié et des facteurs contributifs;
3. La détermination d’un comportement de remplacement plus adapté;
4. La mise au point de stratégies qui favorisent les comportements adaptés;
5. La mise au point de stratégies qui réduisent l’incidence des comportements inadaptés.
Outre la connaissance objective des comportements, l’évaluation fonctionnelle permet de déterminer
les moments et les situations qui déclenchent ou maintiennent les comportements problématiques et,
parallèlement, de déterminer les variables sur lesquelles l’intervention devrait porter pour améliorer la
situation. L’évaluation fonctionnelle a pour but de saisir la signification et la fonction des comportements
problématiques dans l’adaptation de la personne. Deux fonctions principales sont généralement reconnues
aux comportements, soit dans le but d’obtenir quelque chose de désiré ou, à l’inverse, d’échapper à
quelque chose de désagréable ou l’éviter. En plus de ces deux fonctions principales, neuf fonctions secondaires
peuvent être liées aux comportements jugés perturbateurs (Massé, Bégin et Pronovost, 2014, p. 89) :
•
•
•
•
•
•
•
•
•
Réponse à un besoin physique;
Stimulation interne;
Protection et évitement;
Pouvoir et contrôle;
Attention sociale et communication;
Acceptation et affiliation;
Expression de soi;
Gratification;
Justice et revanche.
Il faut souligner que l’évaluation des comportements et des situations, dès les débuts de la psychoéducation,
était de nature fonctionnelle, comme en témoignent les travaux de Bernard Tessier (1968) qui ont marqué
le développement de l’observation participante. Il en sera question plus loin.
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L’évaluation normative
L’évaluation normative consiste à administrer des épreuves standardisées afin de comparer la personne à un
groupe de référence du même âge, du même sexe et de la même communauté culturelle. Elle sert surtout
à cerner la nature et l’importance de la problématique que vit la personne ainsi que son caractère chronique
ou transitoire. Elle permet d’obtenir des renseignements sur la nature et la gravité des problèmes. Ce type
d’évaluation a la limite d’être centré sur un ou des troubles précis et de ne pas englober l’ensemble des
facteurs personnels et environnementaux qui contribuent au problème. Toutefois, compte tenu de
l’émergence des nouvelles connaissances scientifiques sur l’adaptation et des enjeux inhérents à la
collaboration interdisciplinaire et intersectorielle, les pratiques d’évaluation fondées sur les seules données
d’observation peuvent ne pas suffire dans la démarche d’évaluation (Yergeau et Paquette, 2007). Le recours
à des instruments de mesure standardisés se trouve alors indiqué, et ce, dans la limite des règles d’utilisation
et des compétences nécessaires pour le faire.
Figure 3 - Deux types d’évaluation complémentaires
Évaluation normative
Évaluation fonctionnelle
•
Situe la personne en regard des acquis et des déficits relatifs à son âge (normes)
•
•
A recours à des épreuves standardisées
pour mesurer la nature et la gravité des problèmes
•
•
Réfère à des systèmes de classification reconnus (DSM, CIM)
•
•
•
Fournit un portrait statique du problème
Met en évidence les fonctions des
comportements problématiques ainsi que l’ensemble des facteurs de l’environnement
S’intéresse à la séquence des événements (A-B-C) dans le but de saisir la signification et la fonction des comportements
Cherche à retracer la trajectoire
développementale
Fournit un portrait dynamique du problème
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1.4 L’observation participante en appui à l’évaluation
Comme indiqué dans la figure 1, plusieurs méthodes de collectes de données peuvent être utilisées dans la
démarche d’évaluation. Parmi ces méthodes, l’observation participante occupe une place privilégiée.
« L’observation est le point de départ de toute la séquence des opérations qui peuvent s’enchaîner au fil de
l’intervention psychoéducative. […] Le territoire de l’intervention psychoéducative est le vécu éducatif partagé
dans un contexte donné » (Gendreau, 2001, p. 131-132). L’activité d’observer est le point de départ d’un
mouvement circulaire sans fin qui alimente l’évaluation et l’intervention. Elle est une première analyse des
faits, une évaluation sur-le-champ préalable à une intervention ponctuelle.
L’attitude de l’observateur pourra être plus ou moins neutre ou engagée selon son degré d’engagement dans
la situation. Ainsi, observer en retrait d’une situation ou observer en intervenant dans cette situation ne fait
pas appel à la même attitude. L’observation cherche à déterminer les indicateurs de l’état du développement
de la personne, et ce, dans les secteurs liés à son âge, à son milieu et à sa culture (acquis, retards et déficits
développementaux). Les centrations porteront aussi bien sur les difficultés adaptatives que sur le potentiel
et les capacités adaptatives. Elles visent aussi à déterminer les éléments significatifs des comportements en
voulant les comprendre sous l’angle de l’adaptation individu-environnement.
Il revient à Bernard Tessier (1968) d’avoir introduit en psychoéducation la notion de comportement
d’adaptation comme un indicateur observable de l’adaptation d’une personne. Avec l’observation
participante, le psychoéducateur est incité à bien saisir les contextes situationnel et historique (champ
relationnel) dans lesquels s’insère le comportement adopté, comportement perceptible par des réactions
verbales et non verbales. Il doit aussi tenter de bien cerner l’élément déclencheur (réalité-défi) qui
est la source du déséquilibre qui a entraîné le comportement d’adaptation observé (réaction). Puis,
l’observateur s’applique à déterminer et à analyser l’intervention éducative ou psychoéducative qui a eu
lieu à la suite de la réaction (intervention). La dernière partie de l’observation fait état de l’ajustement
comportemental qui a suivi l’intervention et résume le dénouement de la situation. Les travaux de
Tessier l’ont amené à concevoir une technique particulière d’observation : Technique d’observation des
comportements adaptatifs (TOCA). Cette technique d’observation s’appuie sur une vision fonctionnelle de
l’évaluation dont l’objectif est de bien cerner la manifestation d’un comportement dans une séquence spatiotemporelle-contextuelle et d’en comprendre la signification et la fonction dans l’adaptation de la personne.
La TOCA a été revue et enrichie par Pronovost, Caouette et Bluteau (2013) pour proposer une Méthode
d’observation et d’analyse des comportements adaptatifs (MOACA). Cette méthode conserve les six éléments
de la structure proposée par Tessier (1968), mais y ajoute un cadre d’analyse clinique résultant des
concepts d’interaction et de convenance mis de l’avant en psychoéducation par Gendreau (2001) et Renou (2005).
Pronovost, Caouette et Bluteau proposent également une démarche d’analyse post-situationnelle d’un fait
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d’observation en référence aux composantes du modèle de la structure d’ensemble de Gilles Gendreau. Cette
analyse permet d’évaluer le rôle des composantes impliquées dans la situation observée comme ayant contribué
à l’apparition de déséquilibres ou, à l’inverse, au maintien ou au retour de l’équilibre. L’usage de cette
méthode d’observation, qu’elle débouche ou non sur la rédaction de faits d’observation, peut contribuer
à qualifier la collecte et l’analyse des données dans la démarche d’évaluation psychoéducative.
11
2. Le concept d’adaptation
2.1 Définition du concept
Un consensus se dégage pour considérer l’adaptation comme étant au centre de l’évaluation et de l’intervention
psychoéducatives. Ce concept soutenait déjà les écrits des pionniers de la psychoéducation (Guindon, 1970,
2001; Gendreau, 1978, 2001; Tessier, 1968). D’autres écrits réaffirment la place centrale de l’adaptation en
psychoéducation (Bleau, 1997; Caron, 2002; Le Blanc, Dionne, Proulx, Grégoire et Trudeau-Leblanc, 1998;
Pronovost, Gagnon et Potvin, 2000; Pronovost, Caouette et Bluteau, 2013; Renou, 2005; Vitaro et Gagnon, 2000).
En formulant comme suit le champ d’exercice du psychoéducateur, le PL 21 est venu confirmer cette spécificité :
Évaluer les difficultés d’adaptation et les capacités adaptatives, déterminer un plan d’intervention
et en assurer la mise en œuvre, rétablir et développer les capacités adaptatives de la personne ainsi
que contribuer au développement des conditions du milieu dans le but de favoriser l’adaptation
optimale de l’être humain en interaction avec son environnement.
Le concept d’adaptation s’appuie sur la prémisse qu’il existe chez l’humain une propension naturelle à
l’autonomie ainsi qu’un pouvoir régénérateur. L’adaptation réside dans le fait que l’individu, soumis à de
multiples agents stressants, essaie de maintenir son équilibre et de satisfaire ses besoins. L’organisme
cherche alors à mettre en place des processus de régulation pour préserver, améliorer et ajuster son niveau
de fonctionnement afin de conserver son intégrité individuelle, tout en répondant aux sollicitations de
l’environnement (Dubos, 1982). Toutefois, tous les individus ne possèdent pas les mêmes capacités adaptatives.
Celles-ci varient en fonction du bagage génétique et du potentiel individuel, du niveau de maturation et de
développement ainsi que des ressources de l’environnement, aussi bien physique, familial, éducatif, de travail,
culturel que socioéconomique. Plus le répertoire personnel de comportements adaptatifs est bien établi chez
une personne, plus elle devient susceptible de bien réagir aux divers déséquilibres et événements stressants qui
surviennent au cours de sa vie. De même, plus les conditions liées au milieu, qualifiées de mésologiques par
Gendreau, sont favorables à son développement, plus son adaptation en est facilitée. La notion d’adaptation,
peu importe le contexte, recouvre donc deux dimensions interreliées, soit la personne et son ou ses milieux.
Tremblay (2001) définit l’adaptation psychosociale comme étant l’équilibre ou la recherche d’équilibre entre
le bien-être interne et le bien-être externe dans certaines situations données. Pour comprendre le cheminement
adaptatif, plusieurs variables doivent être prises en considération : la personne elle-même, son état de maturation,
son équilibre émotif, son degré d’autonomie, son potentiel évolutif et dynamique sur les plans physiologique,
intellectuel, affectif et social. Renvoyant à St-Arnaud (1983), Tremblay propose cinq critères d’ordre psychologique
permettant de reconnaître un processus d’adaptation réussi chez une personne dans ses rapports avec son
environnement physique ou social :
1) Reconnaître correctement ses besoins;
2) Percevoir correctement la réalité extérieure ou, du moins, corriger ses perceptions erronées;
3) Reconnaître ses limites personnelles et celles de l’environnement;
12
4) Faire preuve d’autonomie et de pensée critique à l’égard des normes extérieures en les considérant
comme un moyen et non une fin;
5) Agir activement sur son environnement pour répondre à ses besoins fondamentaux.
Toutefois, rares sont les personnes qui montrent toutes ces caractéristiques aux différentes étapes et dans
tous les secteurs de leur vie. Ces critères peuvent toutefois servir d’objectifs quant à un idéal adaptatif recherché.
2.2 Le concept d’adaptation sous différentes perspectives
théoriques
Dans l’histoire de la psychoéducation, le concept d’adaptation s’est développé en référant à diverses perspectives
théoriques, chacune contribuant à comprendre le comportement humain sous différents angles. Au début
de la profession, la démarche d’évaluation psychoéducative renvoyait à un modèle théorique unique, conçu
par Jeannine Guindon (1970). « L’actualisation des forces du Moi » était alors appliquée dans le contexte
des internats de rééducation pour adolescents délinquants et jeunes caractériels. Ce modèle s’appuyait
principalement sur une vision psychodynamique et développementale de l’adaptation. Une place de choix
était réservée aux psychologues du « Moi ».
Au fil des années, d’autres courants théoriques ont contribué au développement du concept d’adaptation
en psychoéducation, dont les modèles issus des théories comportementale et cognitive-comportementale,
et, plus récemment, de la psychopathologie développementale (Pronovost et Leclerc, 2013). Peu importe
l’approche théorique ou le cadre de référence qu’un psychoéducateur choisit de privilégier pour appuyer son
évaluation professionnelle, une connaissance élargie du concept d’adaptation2 lui est nécessaire pour mieux
comprendre la complexité de l’adaptation humaine, particulièrement chez les personnes en difficulté. Le
tableau suivant présente en synthèse les éléments centraux qui définissent une bonne adaptation selon les
principales perspectives théoriques qui ont marqué l’émergence de ce concept en psychoéducation.
13
2. Les lecteurs qui souhaitent approfondir le concept d’adaptation pourront se reporter au livre de C. Tarquinio et E. Spitz. (2012).
Psychologie de l’adaptation. De Boeck éditeur.
Tableau 1 - La notion d’adaptation selon diverses perspectives théoriques
PERSPECTIVES THÉORIQUES
(éléments centraux)
DÉFINITION DE L’ADAPTATION
Perspective psychodynamique
Équilibre entre les instances psychiques (Ça, Moi,
Surmoi)
Instances psychiques
Souplesse dans l’utilisation des mécanismes de défense
Psychologues du Moi
Épanouissement personnel et intégration sociale
Rôle important des valeurs, idéologie, identité et
structures cognitives
Moi autonome
Perspective développementale
Stades de développement
Perspective comportementale
Processus d’apprentissage
comportemental
Perspective cognitivo-comportementale
Processus cognitifs
Capacité de se développer sur les plans physique,
cognitif, langagier, affectif, social et moral, et de faire
face aux tâches développementales de la vie
Résultat de l’apprentissage de séquences comportementales (antécédents, comportement adopté,
conséquences) positives
Pensées rationnelles et conformes à la réalité, régulation
émotionnelle, gestion du stress et stratégies adaptatives
efficaces
Importance des cognitions, des émotions et des
motivations dans l’apprentissage des comportements
Perspective écosystémique
Interaction et interinfluence
entre les différents systèmes
Convenance des interactions
État d’équilibre et de synergie dans les interactions
entre l’individu et son environnement
Bon niveau de convenance entre les caractéristiques
de la personne (PAD) et celles des environnements
et des situations auxquels elle est exposée (PEX)
Perspective issue de la psychopathologie
développementale
Développement optimal de la personne selon les
stades de sa vie
Trajectoire développementale
Facteurs de risque et facteurs
de protection
Caractéristiques individuelles, familiales, sociales
et sociétales qui favorisent une bonne adaptation
psychosociale et une santé mentale positive
14
2.3 L’adaptation selon la vision écosystémique de Gilles Gendreau
Cofondateur de la psychoéducation, Gilles Gendreau, dès ses premiers écrits (1978), s’est appliqué à définir
l’adaptation dans une perspective écosystémique considérant la personne comme un être global se
développant par l’interaction entre ses capacités internes et les possibilités d’expérimentation offertes par
son entourage. Il décrit l’inadaptation comme « une perturbation grave dans les relations de l’individu avec
son environnement, perturbation susceptible de durer ou de s’aggraver sans intervention appropriée et, à la
limite, malgré cette intervention » (Gendreau, 2001, p. 68). Ainsi, de façon réciproque, un individu s’adapte
à son environnement et l’environnement s’adapte à l’individu. L’adaptation consiste en « l’accommodation
progressive et mutuelle entre un individu activement en développement et les propriétés changeantes des
milieux de vie immédiats de la personne, ce processus étant affecté par les relations entre les divers systèmes
et les contextes environnementaux dans lesquels ces systèmes sont enchâssés » (Bronfenbrenner, 1979, p. 21).
La notion d’interaction est un concept central dans les écrits de Gendreau. Il la définit comme un ensemble
de rapports entre deux potentiels : le potentiel d’adaptation de la personne (PAD) et le potentiel expérientiel que lui offrent son entourage et son environnement (PEX). Pour Gendreau, l’adaptation se trouve
au centre de l’action qui particularise les intervenants-éducateurs : l’action éducative. Il la décrit comme
« une contribution à la formation d’un être humain, autonome et capable de devenir pleinement responsable
du choix de son échelle de valeurs » (Gendreau, 1990, p. 56). Ce concept trouve écho dans la notion
« d’appropriation » qu’il définit (1993) comme l’habileté de s’exprimer soi-même et de faire des changements
dans sa propre vie afin d’assumer un meilleur contrôle de son expérience. Cette notion se rapproche
aussi de celle d’empowerment qui a fait l’objet de publications dans le champ de l’intervention en
milieu communautaire (Lavigueur, 1991; Lemay, 2004) ainsi que celle d’autodétermination 1
étayée dans l’intervention en déficience intellectuelle (Lachapelle et Wehmeyer, 2003; Emond Pelletier et
Joussemet, 2014).
15
3. Modèle d’évaluation psychoéducative
3.1 Fondements théoriques
Le modèle d’évaluation psychoéducative prend appui sur le modèle intégrateur conçu par Cummings,
Davies et Campbell (2000) pour expliquer l’adaptation. Ce modèle a été revu et enrichi par l’apport de
concepts psychoéducatifs mis au point par Gendreau (2001). Ces auteurs sont les deux sources théoriques
principales du modèle d’évaluation psychoéducative.
Cummings et al. (2000) considèrent le développement humain comme un processus biopsychoenvironnemental qui s’inscrit dans l’interaction de facteurs individuels (biologiques, génétiques,
psychologiques), familiaux et sociaux (couple, parents, fratrie, pairs et autres personnes de l’entourage),
sociétaux et environnementaux (gouvernance, économie, environnement, communauté et culture). Ces
facteurs vont jouer un rôle particulier ou auront une incidence différente (facteurs de risque et de
protection) sur le développement de la personne selon les stades de sa vie. Il est certain que les
processus et les événements vécus dans l’enfance vont avoir un effet sur les issues du développement
ultérieur. Mais la qualité de l’adaptation psychosociale et de la santé, aussi bien physique que
mentale, dans la trajectoire développementale est aussi tributaire des caractéristiques individuelles
comme les ressources de coping face aux stresseurs, le style et le tempérament personnels qui
influenceront les réponses cognitives, émotionnelles, physiologiques et sociales de l’individu.
Ces auteurs ont créé un modèle explicatif de l’adaptation qui présente une conceptualisation des processus
dynamiques qui participent au développement d’une personne et l’inscrivent dans une trajectoire
développementale plus ou moins adaptée. Le développement normal, à risque ou pathologique est conçu
comme la formation graduelle de capacités d’intégration, de maturation et d’adaptation d’une personne en
interaction avec son milieu. L’intérêt de ce modèle réside dans les liens qui sont établis entre le développement,
la santé mentale, le stress et les patrons de réponses observables pour expliquer l’adaptation. En conséquence,
il infère une vision – qui caractérise la psychoéducation – de l’intervention orientée sur les interactions
individu-environnement et sur le développement des compétences favorisant une bonne adaptation.
16
Finance
Fratrie
Pairs
Génétiques
Environnement
physique et santé
Société et
environnement
Parent/enfant
Famille
et autre
soutien
social
Facteurs
individuels
Psychologiques
Communauté
Source : Cummings, E.M., Davies, P.T. et Campbell, S.B.
(2000). Developmental and Family: Process Theory, Research,
and Clinical Implications. New York : Guilford Press, p. 90.
Gouvernement
Couple
Famille élargie
Biologiques
Émotions
Réactions
sociales
Réponses
physiologiques
et biologiques
Continuum du développement
Cognitions
(réponses
et patrons)
Fonctionnement
psychologique
SITUATION PROBLÉMATIQUE
FACTEURS DE RISQUE ET DE PROTECTION ASSOCIÉS
Figure 4 - Modèle d’analyse psychodéveloppemental de l’adaptation de
Cummings, Davies et Campbell (2000)
17
Problèmes
intériorisés
Problèmes
extériorisés
Adaptation
Inadaptation
Intégration
sociale
3.2 Présentation du modèle
Le modèle d’évaluation psychoéducative est constitué de trois parties dont les éléments sont étroitement
interreliés :
1- Situation problématique. Facteurs de risque et de protection associés
Cette première partie du modèle d’évaluation, à gauche de la figure, renvoie directement à celle de Cummings,
Davies et Campbell (2000).
2- Fonctionnement adaptatif de la personne. Ressources individuelles et environnementales
La partie centrale du modèle intègre les concepts psychoéducatifs de PAD, de PEX, d’interaction et de
convenance. Les composantes de la structure d’ensemble de Gendreau y trouvent également leur place.
3- Jugement clinique
La partie droite de la figure tient compte de la finalité de la démarche d’évaluation psychoéducative
qui est de poser un jugement clinique sur l’adaptation de la personne et de recommander des pistes
d’intervention.
18
Politiques
et culture
École
Couple
Famille élargie
Biologiques
Idéologiques
Facteurs
sociétaux
Travail
Facteurs
liés aux
autres milieux
de vie
Parents-enfants
Facteurs
familiaux
et autres
soutiens
sociaux
Facteurs
individuels
Socioéconomiques
Écologiques
Loisirs
Communauté
Quartier
Milieu de garde
Fratrie
Pairs
Psychologiques
Situation problématique
Facteurs de risque et de protection associés
19
Émotions
Manifestations
comportementales
observables
Interactions
Rôles sociaux adoptés
Réactions physiologiques
Caractéristiques des
situations en référence
aux composantes du
modèle psychoéducatif
Ressources présentes
ou déficitaires dans
les environnements/
situations
Potentiel du
milieu (PEX)
TRAJECTOIRE DÉVELOPPEMENTALE (co nti nuum )
FONCTIONNEMENT ADAPTATIF
NIVEAU DE CONVENANCE DES INTERACTIONS
Stratégies de coping
Cognitions
Besoins et stresseurs
Forces, compétences;
limites/déficits de la
personne
Potentiel adaptatif
expérientiel de la
personne (PAD)
Fonctionnement adaptatif de la personne
Ressources individuelles et environnementales
MODÈLE D’ÉVALUATION PSYCHOÉDUCATIVE
Figure 5 - Modèle d’évaluation psychoéducative
RECOMMANDATIONS
D’INTERVENTIONS
IMPACT DE LA PROBLÉMATIQUE
SUR LA TRAJECTOIRE
DÉVELOPPEMENTALE
DE LA PERSONNE
Difficultés sévères
et persistantes
Inadaptation provisoire
ou transitoire
ADAPTATION PSYCHOSOCIALE
Bonne adaptation
Difficulté d’adaptation
Troubles d’adaptation
Troubles du comportement
Retards de développement
Marginalisation
INCIDENCE DANS LA VIE DE
L’INDIVIDU ET DE L’ENTOURAGE
NATURE ET SÉVÉRITÉ DE
LA SITUATION PROBLÉMATIQUE
Jugement clinique
4. Démarche d’évaluation psychoéducative
La démarche d’évaluation se structure autour des trois parties du modèle conceptuel. Pour chacune d’elles,
les objectifs poursuivis seront d’abord présentés, suivis des notions théoriques qui doivent
particulièrement être maîtrisées par le psychoéducateur et, pour terminer, de la synthèse des actions
comprises à cette étape de la démarche d’évaluation.
4.1 PARTIE 1 : Situation problématique. Facteurs de risque et de
protection associés
Objectifs poursuivis
Cette première étape de la démarche en est une de collecte de données. Elle vise à bien définir la situation
problématique, son historique ainsi que ses manifestations. Elle tente de cerner l’ensemble des facteurs
personnels, familiaux et environnementaux qui contribuent à la problématique (facteurs de risque) ou, au
contraire, permettent à la personne de bien s’adapter à d’autres situations ou secteurs de sa vie (facteurs
de protection). S’il y a lieu, le psychoéducateur devra juger de la dangerosité de la situation pour décider
si elle nécessite l’application de mesures prévues dans une loi.
Cette collecte de données ne se fait pas sans une certaine part d’analyse. En effet, le psychoéducateur commence
déjà à traiter les renseignements recueillis, à établir des relations causales entre eux, à formuler des
hypothèses. Ces pistes orienteront la suite de la collecte de données.
Différentes méthodes peuvent être utilisées à cette étape : consultation des dossiers et des évaluations
antérieures, consultation des partenaires d’intervention, observation participante ou systématique,
utilisation d’instruments de mesure standardisés ou cliniquement éprouvés, entrevues structurées ou
semi-structurées, questionnaires d’autoévaluation. Des données complémentaires pourront provenir
d’autres partenaires ou acteurs du ou des milieux de vie de la personne.
Le choix des éléments à consigner doit tenir compte du cadre légal dans lequel s’inscrit l’évaluation. De plus,
dans certains cas, des évaluations complémentaires pourront être réalisées par d’autres professionnels.
20
Notions théoriques à maîtriser
Comme le modèle d’évaluation psychoéducative repose sur une perspective psychodéveloppementale de
l’adaptation humaine, les notions qui suivent doivent être maîtrisées :
•
La trajectoire développementale (développement normal, à risque ou pathologique). La connaissance de
diverses échelles développementales sert d’appui pour l’analyse des données concernant l’âge et les différentes
sphères de développement de la personne (physique et motrice, cognitive et langagière, affective et sociale,
spirituelle et morale).
• Les facteurs de risque et de protection associés à des trajectoires d’inadaptation.
2
L’analyse des données se fait en se reportant aux connaissances théoriques qui existent sur la problématique
et ses manifestations, notamment les données scientifiques et cliniques qui dégagent des profils particuliers
liés au développement de trajectoires d’inadaptation.
21
Actions comprises dans la collecte de données
3 Cerner la situation problématique
• Motif et provenance de la référence.
• Comportements ou situations problématiques évoqués, contextes situationnels.
• Niveau de compromission et dangerosité de la situation.
• Cadre légal lié à la problématique.
3 Décrire la problématique, son historique et ses manifestations (anamnèse)
• Historique du problème : moment d’apparition du problème et évolution; évaluations antérieures
et diagnostics posés (s’il y a lieu). Historique des interventions et des services.
• Manifestations actuelles du problème : nature, fréquence et intensité, événements déclencheurs,
séquence comportementale (antécédents, réactions et conséquences), constance ou variations selon les situations et les milieux.
• Perceptions et interprétations de la personne et des principaux acteurs concernés; leur prise de
conscience du problème et leur motivation au changement.
3 Déterminer les facteurs pouvant être associés à la problématique
Facteurs individuels
• Facteurs biologiques : génétiques,
neurobiologiques, physiques, traits de
tempérament
• Acquis, déficits ou retards développementaux;
besoins comblés et non comblés
• Facteurs psychologiques : capacité et style d’attachement, sentiment de sécurité; modes relationnels et habiletés sociales; estime de soi, représentation de soi, identité; habiletés,
compétences, productivité; autocontrôle,
autodétermination; modes d’apprentissage,
facteurs motivationnels et autres facteurs
pertinents selon l’âge
Facteurs familiaux et autres soutiens sociaux
• Facteurs familiaux (relations et structures) :
parents, fratrie, couple, famille élargie
Facteurs liés aux autres milieux de vie
• Milieu de garde
• École
• Travail
• Loisirs
• Pairs
• Communauté
• Quartier
• Et autres milieux, s’il y a lieu
Facteurs sociétaux
• Politiques et culturels
• Socioéconomiques
• Idéologiques
• Écologiques
• Autres soutiens sociaux
22
4.2 PARTIE 2 : Fonctionnement adaptatif de la personne. Ressources
individuelles et environnementales
Objectifs poursuivis
Cette deuxième étape de la démarche en est une d’analyse du fonctionnement adaptatif de la personne.
Cette analyse va se concentrer particulièrement sur les capacités et les difficultés adaptatives, tant chez
la personne que dans ses environnements. La description du fonctionnement adaptatif s’appuie sur les
observations touchant aussi bien la personne et son milieu que sur les interactions individu-milieu.
Le modèle de la structure d’ensemble de Gendreau sert d’appui à l’analyse des caractéristiques des milieux et
des situations. Cette opération vise à évaluer la convenance des interactions entre le PAD et le PEX.
Cette opération amènera le psychoéducateur à :
• Dresser le bilan des capacités et des difficultés adaptatives de la personne ainsi que celles présentes dans
son environnement;
• Faire ressortir la signification et la fonction des comportements adaptatifs adoptés par la personne et des mécanismes d’ajustement présents dans les interactions personne-environnements;
• Déterminer les forces et les limites de l’environnement en soutien à la personne dans son développement;
• Faire ressortir les besoins non comblés et prioritaires chez la personne;
3
• Identifier les stresseurs qui affectent la situation de vie de la personne ainsi que leur incidence sur son
fonctionnement.
Notions théoriques à maîtriser
Les concepts psychoéducatifs qui suivent doivent être maîtrisés :
• Les notions de PAD (potentiel adaptatif, ressources et limites de la personne) et de PEX (ressources
environnementales et limites des milieux et des situations);
• Les notions d’interaction et de convenance;
4
• Les concepts de stress et de besoins;
• L’analyse cognitivo-comportementale des manifestations observables (cognitions, émotions, réactions
physiologiques, stratégies adaptatives, rôles sociaux); 5
• Le modèle de la structure d’ensemble de Gendreau et ses composantes.
23
Actions comprises dans l’analyse du fonctionnement adaptatif
3 Décrire le fonctionnement adaptatif de la personne
•
•
•
Stresseurs : facteurs actuels de stress, situationnels ou chroniques, qui touchent la personne.
•
Besoins comblés et non comblés.
•
Bilan des capacités et des difficultés adaptatives de la personne (PAD) et de son environnement (PEX).
Analyse cognitivo-comportementale des manifestations en lien avec la situation problématique :
cognitions, émotions, réactions physiologiques; stratégies adaptatives et de résolution de problèmes
(coping), rôles sociaux adoptés.
Caractéristiques des situations auxquelles la personne est exposée dans ses différents environnements
(niveau de convenance).
4.3 PARTIE 3 : Jugement clinique
Objectifs poursuivis
S’appuyant sur les données recueillies et analysées dans les deux étapes précédentes, le psychoéducateur
doit parvenir à poser un jugement clinique sur la nature et la sévérité de la situation problématique
et qualifier l’adaptation psychosociale de la personne en difficulté. Il doit aussi parvenir à évaluer les
répercussions de la problématique dans la vie actuelle de la personne et de son entourage ainsi que
l’incidence de la situation sur la trajectoire développementale future de la personne.
Ce jugement intègre l’interaction entre les composantes individuelles et les éléments de l’environnement
en statuant sur le niveau de convenance des conditions actuelles auxquelles la personne est exposée.
Le psychoéducateur doit être en mesure de situer la gravité de la problématique dans le processus
d’adaptation de la personne. S’agit-il d’une situation de crise, d’une inadaptation provisoire ou
d’une inadaptation qui peut devenir durable si des conditions défavorables persistent? Les difficultés
d’adaptation relèvent-elles d’une difficulté transitoire ou sont-elles liées à un problème d’adaptation,
de santé physique, de santé mentale? Dans tous les cas, le jugement clinique doit être fondé sur les
données recueillies et s’appuyer sur des théories reconnues dans la communauté scientifique.
Puisque la finalité de l’évaluation psychoéducative est la mise en place d’un plan d’intervention, la
démarche doit mener à la formulation de recommandations et d’objectifs généraux d’intervention. Il est
souhaitable que les recommandations soient suffisamment précises pour orienter les interventions
indiquées et contre-indiquées, les moyens et activités suggérés ainsi que les conditions d’application. Les
objectifs doivent s’inscrire dans le mandat reçu tout en dégageant une perspective à court, moyen et long
24
terme. Ils seront ordonnés en tenant compte des besoins prioritaires et des attentes de la personne et
de son entourage tout en prenant en considération les ressources effectivement accessibles. Plus les
interventions seront précoces, intensives et soutenues, plus les chances seront grandes d’influencer
positivement l’adaptation.
Notions théoriques à maîtriser
Les concepts qui suivent doivent être connus puisqu’ils constituent la trame de fond du jugement clinique
qui sera posé :
• Adaptation et inadaptation psychosociale (bonne adaptation, difficulté d’adaptation, trouble d’adaptation,
trouble du comportement, retard de développement, marginalisation…);
• Santé mentale (santé mentale optimale, problème de santé mentale, trouble mental…).
Le psychoéducateur doit connaître les éléments descriptifs des diagnostics reconnus – notamment ceux du
DSM 5 – et les prendre en considération dans le jugement qu’il posera sur le fonctionnement adaptatif de la
personne. S’il ne peut conclure à la présence d’un trouble mental, il peut en relever des indices qui viennent
influencer le niveau d’adaptation de la personne. Dans un tel cas, il devra s’adresser à un professionnel
habilité à poursuivre l’évaluation diagnostique.
Actuellement, le concept de « santé mentale positive » est mis de l’avant par les organismes de santé publique.
Ce concept distingue la santé mentale de la maladie mentale en s’appuyant sur une définition de l’adaptation
qui rejoint celle de la psychoéducation. 6
Actions comprises dans la formulation du jugement clinique
3Poser un jugement clinique sur la nature et la sévérité de la situation problématique
3Anticiper son incidence sur la trajectoire développementale future de l’individu
3Formuler des recommandations et des objectifs généraux d’intervention
25
L’appréciation des troubles mentaux par le psychoéducateur
Le psychoéducateur évalue les capacités adaptatives et les difficultés d’adaptation de la personne. C’est là
son champ d’exercice et son objet d’évaluation. Au cours de cette évaluation, il peut relever des manifestations
qui s’apparentent à des symptômes de trouble mental. Ces manifestations, en plus de les observer, il a
pu en prendre une mesure plus normative en utilisant un instrument standardisé (par exemple, Conners,
Achenbach, ADOS, etc.). Le recours à ces instruments est légitimé par le fait qu’ils permettront d’ouvrir
une piste pour mieux comprendre le fonctionnement adaptatif de la personne. Cette piste sera
approfondie par un professionnel habilité à évaluer les troubles mentaux. Dans ce sens, le psychoéducateur
réalise une appréciation du trouble mental.
Le rapport d’évaluation psychoéducative fera état de cette appréciation en la formulant de l’une ou
l’autre des façons qui suivent :
La personne évaluée présente des symptômes correspondant au trouble mental X. Pour conclure à ce diagnostic, une
évaluation réalisée par un médecin ou un psychologue serait nécessaire.
Au terme de ma démarche d’évaluation psychoéducative et m’appuyant sur mes observations, mes impressions
cliniques m’amènent à soulever une hypothèse de X (trouble mental) qui devra être investiguée davantage
par un professionnel habilité.
L’évaluation psychoéducative de Y nous amène à constater la présence de manifestations qui peuvent être liées
au trouble mental X. Par conséquent, nous recommandons que Y soit évalué par un professionnel habilité
afin que l’on puisse conclure à la présence d’un tel trouble, si cela s’avère fondé, et ainsi adapter le plan d’intervention.
Il importe que la formulation choisie ne laisse pas croire que le psychoéducateur avance une hypothèse
diagnostique de trouble mental.
Route et destination
Une évaluation poursuit une finalité, une destination. La destination de l’évaluation réalisée par le
psychoéducateur est le fonctionnement adaptatif. La démarche ou la route empruntée doit demeurer
en lien avec cette destination. Plusieurs étapes de l’évaluation témoigneront de cette cohérence entre
route et destination.
La destination est souvent annoncée, dès le départ, par le titre du rapport qui sera produit : évaluation
des capacités adaptatives, évaluation psychoéducative, évaluation du fonctionnement adaptatif. Elle est
reprise au terme du rapport alors que le psychoéducateur conclut en statuant sur le fonctionnement
adaptatif de la personne en lien avec son environnement. Ses conclusions ont une valeur diagnostique
quant à cet objet d’évaluation comme nommé dans le champ d’exercice.
26
La route empruntée pour arriver à destination renvoie à la démarche d’évaluation, aux moyens de collecte
de données choisis : consultations, entrevues, observations, instruments de mesure. Dans tous les cas,
le psychoéducateur doit être en mesure de justifier ses choix en fonction de l’objectif de son évaluation
qui est de statuer sur le fonctionnement adaptatif de la personne. S’il fait usage d’un outil qui porte
sur des aspects particuliers du développement ou du fonctionnement de la personne, il doit maîtriser
suffisamment ces notions pour les intégrer à son analyse clinique.
L’évaluation est une démarche dont toutes les étapes sont logiquement liées en vue d’une finalité. Le
rapport écrit atteste de cette cohérence. De même, toute communication verbale au sujet de l’évaluation
doit respecter cette logique interne. Comme professionnel, le psychoéducateur est responsable de ses
communications. Sa signature et sa parole l’engagent à l’endroit de la personne évaluée et des autres
intervenants ou professionnels qui pourraient avoir accès à son évaluation. Une transmission claire de la
portée de son évaluation et des suites à y donner, s’il y a lieu, fait partie de ses responsabilités.
27
5. Communication de l’évaluation
La démarche d’évaluation se termine avec la communication de ses conclusions, lesquelles sont le produit
d’une démarche rigoureuse et détaillée. Selon le contexte de l’évaluation, l’opération de communication
peut prendre différentes formes. Dans le cas des évaluations légalement réservées, un rapport écrit relatant la
démarche empruntée, l’analyse clinique effectuée et les conclusions du psychoéducateur devrait être réalisé.
Dans d’autres circonstances, tous ces éléments ne seront peut-être pas assemblés dans un rapport complet.
Toutefois, le psychoéducateur doit être en mesure de rendre compte de sa démarche d’évaluation et
des conclusions qu’il en tire. Le dossier du client est l’endroit tout désigné pour consigner ces éléments.
Quelles que soient l’ampleur et la forme, écrite ou verbale, de la communication, la transmission
au client doit respecter les règles déontologiques et éthiques présentées ultérieurement.
5.1 Rédaction du rapport
Le rapport constitue le produit de la démarche d’évaluation. Il doit témoigner de la rigueur et de la
compétence du professionnel. Il est aussi un outil de communication d’un contenu précis destiné à des
personnes identifiées, dont le client lui-même. C’est ainsi que le contenu du rapport, ses destinataires et sa
finalité vont influer sur la manière de communiquer les renseignements.
La majorité des rapports d’évaluation du domaine psychosocial possède une structure comparable. Ils
comportent une synthèse des données d’observation et d’évaluation, l’interprétation des résultats, la
formulation d’un jugement clinique et d’objectifs généraux liés à l’intervention3. Tout en demeurant dans cette
lignée, le protocole de rapport d’évaluation psychoéducative proposé ici opte pour une analyse et un
jugement cliniques qui se rapportent au fonctionnement adaptatif de la personne en lien avec son
environnement et sa trajectoire développementale.
5.2 Protocole de rapport d’évaluation psychoéducative
Le protocole de rapport présenté aux pages qui suivent propose 10 points :
• Les points 1 à 3 se rapportent à des données contextuelles permettant notamment de retracer l’histoire
développementale de la personne ainsi que l’historique du problème.
•
Les points 4 à 6 concernent la collecte de données en lien avec la situation actuelle. Le point 5 fait appel à
l’observation directe ou indirecte dans une perspective d’évaluation fonctionnelle. Le point 6 renvoie
à d’autres données complémentaires recueillies par le psychoéducateur ou d’autres acteurs à l’aide
d’instruments de mesure validés ou cliniquement reconnus (évaluation normative).
• Les points 7 à 10 font état des résultats de l’analyse clinique, du jugement clinique posé ainsi que des
recommandations d’interventions.
Ce protocole pourra être modifié en fonction des caractéristiques des clientèles, du contexte et du mandat
d’évaluation ainsi que de la culture des différents milieux de pratique.
28
3. Cette structure est inspirée de Goupil et Marchand (2001) et de Massé, Bégin et Pronovost (2014).
Rapport d’évaluation psychoéducative
1) Données d’identification
• Date du rapport.
• Prénom et nom de l’individu, date de naissance, sexe, âge au moment de l’évaluation; état civil, type
de travail.
• S’il s’agit d’un enfant, prénoms et noms des parents, adresse et téléphone; constellation familiale, rang
dans la fratrie.
2) Motif de la demande d’évaluation ou de la consultation
• Motif de la référence.
• Résumé des comportements ou des situations particulières qui ont suscité la référence, dont les
difficultés adaptatives observées dans les différentes sphères de développement de la personne (physique
et sensorielle, cognitive et morale, affective et sociale, autonomie fonctionnelle).
• Contexte légal.
3) Anamnèse
• Antécédents prénataux, périnataux et postnataux (si pertinents).
• Histoire personnelle et familiale.
• Historique du problème (moment d’apparition du problème et son évolution).
• Évaluations antérieures et diagnostics posés (s’il y a lieu).
• Interventions et services reçus.
4) Résumé des étapes de l’évaluation
• Dates des entrevues ou des observations; noms des personnes rencontrées; objectifs de ces évaluations.
• Méthodes d’entrevue ou d’observation, instruments de mesure utilisés, le cas échéant.
5) Observations comportementales et situationnelles (évaluation fonctionnelle)
• Observations faites au cours des rencontres ou des moments de vécu partagé avec la personne dans
différents contextes situationnels.
• Perception et interprétation de la problématique provenant de la personne et des autres acteurs
concernés.
• Renseignements recueillis dans les notes évolutives et renseignements complémentaires résultant de
la consultation des partenaires ou des dossiers antérieurs.
29
6) Résultats d’évaluations effectuées à l’aide d’instruments de mesure validés ou
cliniquement reconnus (évaluation normative)
7) Synthèse clinique
• Bilan des capacités et des difficultés adaptatives aussi bien sur le plan individuel que mésologique.
Forces et ressources; incapacités et vulnérabilités. Considération des facteurs de risque et des facteurs
de protection.
• Identification des stresseurs.
• Détermination des besoins.
• Analyse fonctionnelle des comportements adaptatifs observés dans les interactions individu-milieu.
8) Jugement clinique
• Jugement posé sur l’état de la situation en lien avec le degré de sévérité de l’inadaptation de la personne
et, s’il y a lieu, le danger de compromission sur son développement. Incidence dans la vie actuelle de la
personne et de l’entourage.
• Incidence de la situation sur la trajectoire développementale future de la personne.
• Hypothèses cliniques et interprétations appuyées sur des fondements théoriques.
• Impressions cliniques de trouble mental, le cas échéant.
9) Objectifs d’intervention et recommandations
• Interventions indiquées et contre-indiquées.
• Moyens et actions suggérés auprès de l’individu et de l’environnement ainsi que leurs conditions
d’application.
• Incidence prévue des interventions.
• Interventions à prioriser dans le cadre du mandat reçu.
• Évaluations complémentaires suggérées ou nécessaires (s’il y a lieu).
10) Date du rapport; signature du professionnel et titre (ps.éd.)
• Le numéro de permis peut aussi être indiqué.
30
6. Considérations éthiques et déontologiques
La démarche d’évaluation et la communication des résultats sont des actes professionnels qui s’effectuent
selon des principes éthiques et des normes déontologiques. Pour le client, les conséquences de
l’évaluation sont importantes; c’est pourquoi l’évaluation doit être effectuée avec intégrité et dans le respect
de la dignité de la personne, valeurs à la base du Code de déontologie des psychoéducateurs et psychoéducatrices
(2013a). Le respect de la dignité de la personne passe par le respect de ses droits fondamentaux comme
le respect de sa vie privée, de son autodétermination et de son développement. L’intégrité professionnelle
se traduit notamment dans des attitudes et des gestes empreints de rigueur ainsi que dans le maintien de sa
compétence.
6.1 La relation avec le client
En soi, la relation professionnelle est une relation définie par le pouvoir de réaliser quelque chose pour
quelqu’un. Ce pouvoir repose sur le savoir du professionnel, lui permettant d’exercer un jugement sur la
situation qui pose problème. Toutefois, « le jugement professionnel ne se réduit pas à une application déductive
du savoir à une pratique. Pour poser un diagnostic, il faut plus que du savoir, il faut une sensibilité aux
particularités de chaque cas et un pouvoir de discrimination entre l’essentiel et l’accessoire » (Schön, 1994,
cité par Legault, 2006, p. 613). Tous les moments qui ponctuent la démarche d’évaluation, de la saisie initiale
du problème jusqu’à la formulation du jugement clinique et des recommandations d’intervention, sollicitent
des attitudes et des compétences relationnelles.
Puskas (2002) souligne trois éléments de ce savoir-être qui contribuent à la qualité de l’évaluation :
1) Une attitude d’accueil à l’autre;
2) Une attitude d’ouverture intérieure aux résonances émotionnelles que la rencontre avec l’autre peut faire
surgir;
3) Une attitude questionnante continue qui permet de modifier le processus d’évaluation en fonction des
renseignements nouveaux qui se présentent.
Pour ce psychoéducateur, l’évaluation demeure une « rencontre subjective où, par une écoute bienveillante,
sans idée préconçue, l’intervenant se laisse surprendre par l’imprévu et la souffrance d’un autre être humain »
(p. 168).
Certaines obligations déontologiques s’ajoutent à l’éthique de la relation avec le client. L’obtention d’un
consentement libre et éclairé, étape essentielle liée au respect du droit de la personne à décider pour elle-même,
figure en premier lieu de ces obligations. Comme précisé dans les articles 15 à 17 du Code de déontologie, le
psychoéducateur doit, avant de procéder à l’évaluation d’une personne, obtenir son consentement ou celui de
son représentant légal et lui expliquer les modalités qui seront prises (observation, entrevues, instruments de
mesure). D’autres obligations font partie de la démarche d’évaluation comme celle d’obtenir l’autorisation
explicite du client lorsqu’un rapport le concernant est transmis à un tiers (article 23). Ainsi, le client devrait-il
31
non seulement savoir qu’une démarche d’évaluation est en cours à son sujet, mais aussi qu’un rapport de
cette évaluation pourra être transmis, avec son autorisation, à telle ou telle personne. Dans ces situations, le
contenu du rapport doit lui avoir été exposé avant d’être communiqué (article 23). En outre, si des résultats
d’évaluation obtenus à l’aide d’instruments de mesure sont contenus dans le rapport, ce qui est souvent le cas,
une autorisation de transmission signée de la main du client est nécessaire (article 25).
Finalement, l’article 26 du Code de déontologie limite la transmission des données brutes non interprétées à
un professionnel4 compétent. Cette mesure est avant tout de nature préventive; elle veut éviter le préjudice
qui pourrait être causé du fait que de telles données parviennent à des personnes non compétentes qui les
interpréteraient de manière incorrecte.
6.2 La compétence professionnelle
Agir selon ses compétences est une marque d’intégrité professionnelle. C’est ce que traduit l’article 42 du Code
de déontologie lorsqu’il exige que le psychoéducateur exerce sa profession « dans le respect des règles de l’art et
des normes de pratique généralement reconnues ».
Les présentes lignes directrices sur l’évaluation psychoéducative font partie des règles de l’art du psychoéducateur.
Ces règles de l’art incluent aussi les connaissances récentes sur le développement de la personne et sur les
difficultés d’adaptation, lesquelles orienteront les observations du professionnel.
Quant aux normes de pratique, ce sont aussi bien les règles et les obligations énoncées dans le Code de
déontologie que les balises établies par les activités réservées et le champ d’exercice de chaque professionnel.
En outre, certaines activités d’évaluation ne peuvent être réalisées par le psychoéducateur, notamment
l’évaluation du retard mental, des troubles neuropsychologiques ou des troubles mentaux.
Finalement, le psychoéducateur qui recourt à un instrument de mesure doit le faire en respectant les règles et
les pratiques convenues. Celles-ci concernent aussi bien le choix et l’utilisation de l’instrument de mesure que
la compilation et l’interprétation des résultats obtenus. Ces règles sont répertoriées dans l’ouvrage Normes de
pratique du testing en psychologie et en éducation (2003). Les lignes directrices sur l’utilisation des instruments
de mesure (Ordre des psychoéducateurs et psychoéducatrices du Québec, 2013b) sont également à consulter.
De manière générale, il appartient au professionnel de ne pas s’engager dans une démarche d’évaluation qui
dépasse ses compétences, que celles-ci concernent les moyens utilisés, y compris le recours à des tests, ou les
interprétations cliniques, conclusions ou recommandations à formuler. Mais il est aussi de la responsabilité
du professionnel de développer ses compétences en lien avec l’opération d’évaluation. Ces lignes directrices
viennent justement soutenir l’amélioration de l’exercice professionnel des psychoéducateurs en matière
d’évaluation d’une personne en difficulté d’adaptation.
32
4. Membre d’un ordre professionnel.
RÉFÉRENCES
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Measurement in Education. (2003). Normes de pratique du testing en psychologie et en éducation (Ordre des
conseillers et conseillères d’orientation et des psychoéducateurs et psychoéducatrices du Québec, trad. sous
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Vitaro, F. et Gagnon, C. (dir.). (2000). Prévention des problèmes d’adaptation chez les enfants et les adolescents.
Tome I : les problèmes internalisés. Sainte-Foy : Presses de l’Université du Québec.
34
Vitaro, F. et Gagnon, C. (dir.). (2000). Prévention des problèmes d’adaptation chez les enfants et les adolescents.
Tome ll : les problèmes externalisés. Sainte-Foy : Presses de l’Université du Québec.
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le cadre des activités de formation continue de l’OCCOPPQ : évaluation de l’impact sur les pratiques évaluatives
des psychoéducateurs et des psychoéducatrices. Rapport de recherche. Sherbrooke : Groupe de recherche sur les
inadaptations sociales de l’enfance, Université de Sherbrooke.
35
COMPLÉMENTS THÉORIQUES
ANNEXE 1
L’autodétermination1
L’autodétermination concerne, pour la personne, le fait de décider de son destin ou de sa vie sans influences
externes indues. L’autodétermination se situe donc au cœur du débat sur la part des facteurs internes et
externes dans le comportement humain (Lachapelle et Wehmeyer, 2003). Angyal (1941) avance que les
organismes vivants sont assujettis à un déterminisme extérieur, mais peuvent y confronter leur
autodétermination. C’est ainsi que l’être humain ne peut être réduit aux produits de conditions biologiques,
psychologiques et sociologiques. Sa capacité d’autodétermination lui permettrait de s’élever au-dessus de
ces conditions et de s’améliorer ou de changer le monde dans lequel il vit (Frankl, 1988). L’autodétermination
est donc une faculté qui ne disparaît jamais chez l’humain et qui lui permet d’influencer ses rapports avec son
destin (May, 1969).
Pour les théoriciens de la motivation, « être autodéterminé signifie s’engager dans une activité par désir,
par libre choix et par choix personnel. Les personnes autodéterminées agissent en accord avec elles-mêmes »
(Deci et Ryan, 1985, cités par Lachapelle et Wehmeyer, 2003, p. 206-207). Une contribution importante
de ces auteurs est de situer l’autodétermination comme un besoin et une tendance naturelle de la
personne, au même titre que l’adaptation. Dans cette foulée, Lachapelle et Wehmeyer (2003) ont proposé
un modèle fonctionnel de l’autodétermination la situant comme la résultante d’une interaction entre
les capacités individuelles et les occasions fournies par l’environnement et les expériences de vie. Selon cette
perspective, une personne autodéterminée agit de manière autonome et autorégulée. Elle a la perception
d’exercer un contrôle sur sa vie et mise sur ses forces pour maximiser son développement personnel.
D’autres études montrent l’importance d’un environnement soutenant l’autodétermination auprès
d’individus ayant des besoins spéciaux afin de promouvoir l’intériorisation et la motivation intrinsèque.
Elles maintiennent que les personnes ayant une déficience intellectuelle, tout comme les individus sans
handicap, devraient bénéficier elles aussi d’un environnement soutenant leur autodétermination
(Emond Pelletier et Joussemet, 2014).
Références
Angyal, A. (1941). Foundations for a science of personality. Cambridge, MA : Harvard University Press.
Emond Pelletier, J. et Joussemet, M. (2014). Le soutien à l’autodétermination des personnes ayant une
déficience intellectuelle. Revue de psychoéducation, 43(1), 37-55.
Frankl, V.E. (1988). Découvrir un sens à sa vie, avec la logothérapie. Montréal : Éditions de l’homme.
Lachapelle, Y. et Wehmeyer, M.L. (2003). L’autodétermination. Dans M.J. Tassé et D. Morin (dir.), La déficience
intellectuelle (p. 204-214). Montréal : Gaëtan Morin
May, R. (1969). Existential psychology. New York, NY : Random House.
37
1. Nous remercions Martin Caouette, Ph. D., ps.éd., professeur au département de psychoéducation, Université du Québec à
Trois-Rivières, pour sa collaboration à cet écrit.
ANNEXE 2
Les facteurs de risque et les facteurs de protection
Les facteurs de risque et de protection sont au cœur de la psychopathologie développementale. Reconnue
comme étant une discipline distincte depuis les années 1980, la psychopathologie développementale résulte
de l’intégration de plusieurs théories et champs de recherche, notamment en sciences cliniques, en
psychologie développementale et en psychiatrie. Elle se fonde sur l’approche de la résilience et s’inscrit
dans la vision systémique des travaux de Bronfenbrenner. Elle s’intéresse aux processus du développement
normal, à risque ou pathologique pour comprendre l’adaptation. Elle aborde les problèmes d’adaptation
psychosociale par l’étude des trajectoires développementales et des facteurs semblant contribuer au fait que
des personnes s’insèrent dans des trajectoires déviantes ou pathologiques (Massé, Desbiens et Lanaris, 2014;
Vitaro et Gagnon, 2000). Cette approche maintient qu’une multiplicité de facteurs est impliquée dans la
trajectoire de développement d’une personne. Ces facteurs sont en interaction constante et leurs influences
réciproques peuvent être positives et devenir des facteurs de protection face à l’adversité ou, à l’inverse,
augmenter le risque qu’une personne présente une inadaptation ou une psychopathologie.
Les facteurs de protection sont définis comme étant des ressources internes, familiales, sociales ou
environnementales qui diminuent la probabilité d’apparition d’un problème d’adaptation en atténuant
l’impact destructeur des stress négatifs sur la santé physique et mentale de l’individu (Dumas, 1999;
Plancherel, 1998; Tremblay, 2001; Vitaro et Gagnon, 2000). Les facteurs de protection modifient les réactions
aux dangers présents dans l’environnement affectif et social en atténuant l’effet du risque et les réactions en
chaîne négatives. En quelque sorte, les facteurs de protection ont un rôle de compensation ou de réducteur
de risque.
Les facteurs de risque sont des variables de nature biologique, familiale, sociale ou environnementale
qui augmentent la probabilité d’apparition d’un problème d’adaptation. Il est reconnu que le risque
de vulnérabilisation s’accroît de façon exponentielle avec l’accumulation des facteurs de risque.
Le plus souvent, c’est une constellation de facteurs de risque qui vient fragiliser la personne, et non
un risque pris isolément. Ces différents facteurs n’ont pas tous le même poids selon leur nature,
selon la durée de leur action, selon l’âge des individus, leur sexe et leur situation particulière. Ils
peuvent être favorables dans une situation alors qu’ils deviennent défavorables dans une autre.
Les principaux facteurs de protection associés de façon générale à la résilience sont, selon Manciaux,
Vanistendael, Lecomte et Cyrulnik (2001) :
•
Les ressources internes : intelligence élevée, bonne capacité de résolution de problèmes, capacité de planifier,
utilisation de stratégies adaptatives, sentiment d’efficacité personnelle, estime de soi élevée, lieu de contrôle
interne, capacité d’introspection, tempérament facile, attachement sécurisant, utilisation adéquate des
mécanismes de défense, humour, créativité, etc.;
38
• Les ressources familiales : une bonne relation avec au moins un des parents ou avec un membre de la famille
proche; avoir des parents compétents; une bonne éducation et un encadrement adéquat; le soutien du
conjoint à l’âge adulte;
• Les ressources sociales : un bon soutien social hors de la famille (pairs, enseignants, voisins, professionnels…);
un environnement scolaire stimulant, ouvert et encadrant; la participation à des activités religieuses,
culturelles, associatives et humanitaires.
Nous sommes à même de constater que les personnes en difficulté qui constituent nos clientèles sont
exposées à un ensemble de facteurs de risque qui couvre souvent le répertoire des facteurs prédisposant
à l’inadaptation psychosociale (conditions socioéconomiques défavorables, situation familiale perturbée,
négligence affective et abus, isolement social, problèmes de santé physique ou de santé mentale
chroniques, etc.). Toutefois, le psychoéducateur aura intérêt à documenter les facteurs de risque et de
protection qui caractérisent de façon plus particulière la problématique ou la clientèle qui fait l’objet
de son évaluation en référant aux écrits cliniques et scientifiques sur le sujet.
Références
Dumas, J.E. (2013). Psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent (4e éd.). Bruxelles : De Boeck Université.
Manciaux, M., Vanistendael, S., Lecomte, J. et Cyrulnik, B. (2001). La résilience, état des lieux. Dans M.
Manciaux (dir.), La résilience : résister et se construire (p. 13-20). Genève : Éditions médecine et hygiène.
Massé, L., Desbiens, N. et Lanaris, C. (2014). Les troubles du comportement à l’école. Prévention, évaluation
et intervention (2e éd.). Montréal : Gaëtan Morin.
Plancherel, B. (1998). Le stress des événements existentiels et son impact sur la santé des adolescents :
résultats de recherche et réflexions méthodologiques. Fribourg : Éditions universitaires.
Tremblay, M. (2001). L’adaptation humaine : un processus biopsychosocial à découvrir (2e éd.). Montréal :
Saint-Martin.
Vitaro, F. et Gagnon, C. (2000). Prévention des problèmes d’adaptation chez les enfants et les adolescents.
Tome I : les problèmes internalisés. Sainte-Foy : Presses de l’Université du Québec.
Vitaro, F. et Gagnon, C. (2000). Prévention des problèmes d’adaptation chez les enfants et les adolescents.
Tome ll : les problèmes externalisés. Sainte-Foy : Presses de l’Université du Québec.
39
ANNEXE 3
La notion de besoins
Abraham Maslow, psychologue tenant de l’approche humaniste, a conçu une échelle des différents besoins
humains (1954). Selon sa théorie, l’être humain possède des besoins fondamentaux qui s’élaborent en
prenant la forme d’une pyramide. Les besoins élémentaires doivent d’abord être satisfaits pour que la
personne puisse rechercher la satisfaction de besoins de niveaux supérieurs.
À la base de la pyramide, on trouve les besoins physiologiques, ceux qui sont liés à la survie. Une fois sa survie
assurée, la personne pourra satisfaire un deuxième niveau de besoins, soit celui de la sécurité personnelle. Le
besoin de sécurité doit être satisfait au moins en partie avant que l’individu puisse combler les besoins du
niveau suivant, soit les besoins d’appartenance et d’amour. Ces besoins d’affection étant comblés, l’individu
peut chercher des réponses aux besoins des deux autres niveaux supérieurs qui sont les besoins d’estime et
les besoins d’actualisation de soi (voir la figure 1).
Figure 1 - La hiérarchie des besoins selon la pyramide de Maslow
5
Besoin de
s’accomplir
Développer ses
connaissances, ses valeurs
4
Besoin d’estime
Sentiment d’être utile et d’avoir de la
valeur, conserver son identité
3
Besoin d’appartenance
Être aimé, écouté, compris, estimé des autres, faire
partie d’un groupe, avoir un statut
2
Besoin de sécurité
Se sentir en sécurité, faire confiance
1
Besoin physiologique
Faim, soif, survie, sexualité, repos, habitat
40
Selon Maslow (1968), la personne adulte pleinement développée présente les caractéristiques qui suivent :
• Une perception aiguë de la réalité;
• L’acceptation de soi, des autres et de la nature;
• La spontanéité;
• La capacité de résoudre des problèmes et l’autodétermination;
• Le détachement et le désir d’intimité;
• La liberté de pensée et la richesse émotive;
• Des relations personnelles satisfaisantes et dynamisantes;
• Une attitude démocratique, la créativité et le sens des valeurs.
Références
Maslow, A.H. (1954). Motivation and Personality. New York, NY : Harper & Row.
Maslow, A.H. (1968). Toward a Psychology of Being. Princeton, NJ : Van Nostrand Reinhold.
41
ANNEXE 4
Les concepts d’interaction et de convenance
On ne peut traiter de l’adaptation sans parler de convenance. En effet, tout état adaptatif – qu’il s’agisse d’un
élément du règne minéral ou végétal ou encore d’un organisme animal ou humain – réside dans l’état de
convenance qui s’établit entre les caractéristiques propres à l’élément ou l’organisme et les conditions
auxquelles il est exposé.
Le concept d’interaction
En psychoéducation, la notion d’interaction est un concept clé dans les écrits de Gendreau (1978, 2001).
Comme définie par cet auteur, la notion d’interaction s’appuie sur le modèle piagétien qui a fortement
marqué la conception de l’adaptation en psychoéducation. En effet, la contribution de Piaget (1974) a été
importante alors qu’il proposait un élargissement du concept d’adaptation biologique en le situant dans une
interaction entre deux éléments : la personne et son environnement social. Gendreau considère l’adaptation
comme un état d’équilibre résultant des interactions entre les caractéristiques et les potentialités d’une
personne et celles qui prévalent dans les environnements et les situations auxquels elle est exposée.
Par conséquent, l’interaction se définit comme un ensemble de rapports entre deux potentiels : le potentiel
d’adaptation de la personne (PAD) et le potentiel expérientiel que lui offrent son entourage et son
environnement (PEX). Le psychoéducateur va susciter cette interaction avec la personne en difficulté et
son milieu par la planification, l’organisation, l’animation et l’utilisation d’activités ou de situations en
s’appuyant sur le modèle de la structure d’ensemble de l’organisation du milieu (Gendreau, 1978, 2001;
Renou, 2005; Pronovost et Renou, 2013). Ce modèle vise justement à soutenir la mise en place de contextes
expérientiels qui vont soutenir la personne en difficulté dans son développement et ses apprentissages.
Si les conditions externes et les moyens de mise en relation peuvent être considérés comme normaux et
habituels, on qualifiera l’interaction et l’intervention d’éducatives. Si ces conditions externes et les moyens
utilisés peuvent être considérés comme particuliers et spécialisés, on les qualifiera alors d’interaction et
d’intervention psychoéducatives. En psychoéducation, le concept d’interaction prend tout son sens dans le
vécu partagé de l’intervenant avec la personne en difficulté. Le vécu partagé fournit au psychoéducateur une
occasion unique de collecte de données-terrain sur lesquelles il appuiera son évaluation professionnelle.
Évaluer la convenance des interactions
Dans sa démarche, le psychoéducateur devra d’abord évaluer le niveau de convenance, c’est-à-dire mesurer
l’écart entre le potentiel expérientiel qu’offrent le milieu et les situations (PEX) et les capacités et les difficultés,
les compétences ainsi que les vulnérabilités de la personne (PAD) pour faire face aux défis inhérents aux
situations. Un bon niveau de convenance est celui où la situation présente un écart significatif approprié qui
tient compte des acquis et des potentialités de la personne, mais qui lui offre un déséquilibre qui l’amène
à se mettre en action dans une démarche de recherche de solutions et d’apprentissage. On parle ici d’un
42
déséquilibre dynamique qui permet l’acquisition de nouveaux schèmes ainsi que le développement et le
maintien de l’intérêt et de la motivation. Plus les différents rapports entre le potentiel d’adaptation de la
personne avec chacune des composantes de la situation présenteront des écarts significatifs, plus cette situation
sera stimulante pour la personne. Si l’ensemble des rapports entre son potentiel d’adaptation (PAD) et les
différentes composantes de la situation (PEX) sont peu nombreux à présenter un écart significatif, la
convenance d’ensemble sera faible et la personne risque de rester passive ou de continuer à référer à ses
schèmes connus. Enfin, un écart trop grand entre les schèmes de la personne et la majorité ou l’ensemble des
composantes de la situation signifiera une non-convenance pouvant entraîner un échec, une démotivation
et accroître le déséquilibre entre le potentiel actuel de la personne (PAD) et les conditions présentes de
la situation (PEX).
Références
Gendreau, G. (1978). L’intervention psycho-éducative : solution ou défi? Paris : Fleurus.
Gendreau, G. et al. (2001). Jeunes en difficulté et intervention psychoéducative. Montréal : Sciences et Culture.
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Pronovost, J. et Renou, M. (2013). Les concepts d’interaction et de convenance. Dans J. Pronovost, M. Caouette
et J. Bluteau, L’observation psychoéducative (p. 69-76). Montréal : Béliveau éditeur.
Renou, M. (2005). Psychoéducation : une conception, une méthode. Montréal : Sciences et Culture.
43
ANNEXE 5
Les processus cognitifs et le coping
Le rôle des processus cognitifs
Les processus cognitifs sont activement impliqués dans l’adaptation (Beck, 1976). Les croyances, les motivations
et les attitudes que nous acquérons à propos de nous et du monde sont apprises. Certains déficits (distorsions
cognitives, croyances irrationnelles, pensées négatives automatiques…) modifient la façon dont la personne
perçoit, interprète et réagit aux situations et entraînent des psychopathologies.
L’approche cognitive-comportementale fait ressortir l’importance de la cognition et des émotions dans
l’apprentissage et la modification des comportements humains (Le Blanc, Dionne, Proulx, Grégoire et
Trudeau-Leblanc, 1998). Il existerait une relation entre les cognitions, c’est-à-dire la façon dont une personne
évalue une situation sur la base de ses attentes et de ses croyances, et les réactions émotionnelles engendrées.
Face à une situation problématique, des pensées automatiques surgissent, liées à des croyances irrationnelles
ou erronées qui produisent des distorsions cognitives qui, elles, suscitent des émotions négatives, lesquelles
entraînent des comportements inadéquats. Les émotions dépendent de l’interprétation des situations, et
non des situations elles-mêmes. Les pensées automatiques et irrationnelles (nommées « schémas cognitifs »)
reflètent les croyances personnelles ancrées dans l’enfance et les expériences de vie. Elles conditionnent la
manière de voir les situations et de décoder l’information. Ainsi, l’intervention cognitive-comportementale
vise-t-elle à modifier les affects et les comportements en remplaçant les structures de pensées erronées par
l’apprentissage de pensées plus rationnelles et conformes à la réalité. Ce processus permet à la personne
de mieux évaluer et affronter les situations problématiques en adoptant des comportements appropriés
(Massé, Desbiens et Lanaris, 2014).
Le rôle du coping
Depuis quelques années, la notion de coping est un référent de plus en plus utilisé pour parler des mécanismes
ou des stratégies adaptatives. S’appuyant sur les théories du stress, Lazarus et Folkman (1984) proposent un
modèle qui conçoit l’adaptation comme résultant de l’interaction entre l’individu et l’environnement, le
coping visant à contrer les agents stresseurs auxquels l’individu est soumis. Ce dernier réagit à ces stresseurs
en utilisant diverses stratégies adaptatives qui l’amènent vers un bien-être psychologique, résultat d’une
adaptation réussie ou, au contraire, entraînent de la détresse psychologique, ce qui témoigne d’une
adaptation non réussie.
Lazarus et Folkman définissent le coping comme une série d’efforts cognitifs et comportementaux qui
produisent chez une personne des réponses pour faire face à une situation de stress. Le coping englobe
des actions liées à la résolution de problèmes comme rechercher l’information, examiner les alternatives et
prendre une décision en regard de l’action à poser. Il réfère aussi à des comportements de communication
comme discuter des situations et collaborer avec les autres. Il s’opère aussi par des opérations cognitives,
44
par exemple minimiser la détresse ou encore se centrer sur les aspects positifs d’une situation. Le coping
implique un processus d’évaluation cognitive qui influence la personne dans son interprétation de la réalité
et qui détermine la nature et le degré de l’émotion ressentie face au stress. Il est généralement admis qu’il
n’y a pas de style de coping qui soit foncièrement bon ou mauvais. Les stratégies de coping utilisées par une
personne sont plutôt évaluées comme efficaces ou inefficaces selon qu’elles favorisent ou qu’elles entravent
l’adaptation. Une stratégie efficace réussit à court ou à long terme à remédier à la situation problématique
et à renforcer positivement chez l’individu et son entourage la perception de sa capacité à faire face aux
situations (sentiment d’autoefficacité). À l’inverse, une stratégie inefficace entraîne un échec à résoudre
le problème et l’adoption par l’individu d’une attitude pessimiste et d’une perception négative de ses
compétences. Un autre construit fondé sur le processus d’action volontaire dans le champ de la santé est
celui du coping proactif. Ce type de coping est décrit comme un effort à construire et à accumuler un
ensemble de ressources qui facilitent l’accomplissement lié à des défis. Ainsi, les personnes perçoivent-elles
les situations comme des défis stimulants qui sollicitent leur motivation et contribuent au développement
du sentiment d’autoefficacité (Schwarzer, 2008).
Références
Beck, A.T. (1976). Cognitive therapy and the emotional disorders. New York, NY : International Universities Press.
Lazarus, R.S. et Folkman, S. (1984). Stress, appraisal and coping. New York, NY : Springer Publishing Company.
Le Blanc, M., Dionne, J., Proulx, J., Grégoire, J. et Trudeau-Leblanc, P. (1998). Intervenir autrement : un
modèle différentiel pour les adolescents en difficulté. Montréal : Presses de l’Université de Montréal.
Massé, L., Desbiens, N. et Lanaris, C. (2014). Les troubles du comportement à l’école. Prévention, évaluation
et intervention (2e éd.). Montréal : Gaëtan Morin.
Schwarzer, R. (2008). Modeling health behavior change: How to predict and modify the adoption and
maintenance of health behaviors. Applied Psychology: An International Review, 57(1), 1-29.
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ANNEXE 6
Le concept de santé mentale positive
La santé mentale positive fait l’objet d’un intérêt récent. Historiquement, l’évaluation et l’intervention en
santé mentale ont été axées sur la maladie mentale. Cette conception psychiatrique de la santé mentale infère
que les individus sont soit en bonne santé mentale ou, sinon, souffrent de maladie mentale. Dans la dernière
décennie, le concept de santé mentale positive a été mis de l’avant dans la lignée des recherches en promotion de la santé.
Selon cette perspective, la santé mentale n’est plus comprise comme l’absence de maladie mentale mais
comme une ressource permettant à la personne de se sentir bien, d’être valorisée et de vivre de la satisfaction
face à la vie, même si elle éprouve des problèmes mentaux (Duhoux, 2009).
Cette conception est des plus intéressantes pour l’intervention psychoéducative qui s’intéresse à soutenir les
processus adaptatifs, d’où la pertinence de présenter le concept de santé mentale positive en complément de
ces lignes directrices.
Définition de la santé mentale
Selon l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS), la santé mentale est « la capacité qu’à chacun
d’entre nous de ressentir, de penser et d’agir de manière à améliorer notre aptitude à jouir de la vie et à
relever les défis auxquels nous sommes confrontés. Il s’agit d’un sentiment positif de bien-être émotionnel
et spirituel qui respecte l’importance de la culture, de l’équité, de la justice sociale, des interactions et de la
dignité personnelle » (2009, p. 10). Cette définition rejoint celle donnée plus récemment par l’Organisation
mondiale de la santé (2013) selon laquelle « la santé mentale est définie comme un état de bien-être dans
lequel une personne peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif
et contribuer à la vie de sa communauté » (p. 42).
Dans son rapport de 2009, l’ICIS s’intéresse au concept de santé mentale positive en examinant la santé
mentale indépendamment de la maladie mentale et en considérant la santé mentale comme une composante
de l’état de santé global. Référant à Keyes, la maladie mentale et la santé mentale _ tout en étant reliées _
sont en fait deux dimensions distinctes. La santé mentale est un « état complet » (Keyes, 2007, p. 100,
traduction libre). Pour la mesurer, il est nécessaire d’évaluer à la fois la maladie mentale (psychopathologie) et la santé mentale de la personne. Ceux qui ont une santé mentale « optimale» ont une santé
mentale « florissante » et une absence de psychopathologie. Une personne qui a une maladie mentale
peut tout de même jouir d’une bonne santé mentale dans certains secteurs sauvegardés de son
fonctionnement. Selon les résultats d’études sur ce sujet (Keyes, 2005 et 2007; Westerhof et Keyes, 2010),
seule une minorité de personnes dans la population jouirait d’un état de santé mentale optimale.
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Ces définitions témoignent du fait que non seulement la santé mentale est distincte de la maladie mentale
mais, également, que la santé mentale ne se limite pas à l’absence de maladie; elle est, chez l’individu, un état de
santé mentale optimale ou qui peut s’optimiser.
Dans son rapport publié en 2009, l’ICIS identifie cinq composantes associées à la santé mentale (p. 10) :
• L’aptitude à jouir de la vie;
• L’adaptation aux événements de vie;
• Le bien-être émotionnel;
• Les valeurs spirituelles;
• L’appartenance sociale et le respect de la culture, de l’équité, de la justice sociale et de la dignité personnelle.
Dans le même sens, Westerhof et Keyes (2010) décrivent la santé mentale comme étant constituée d’un bienêtre émotionnel (une combinaison de bonheur, satisfaction et intérêt pour la vie), psychologique (une
combinaison d’acceptation de soi, de présence d’un but dans la vie, d’autonomie, de relations positives avec
les autres, de capacité de gérer son environnement pour répondre à ses besoins et de croissance personnelle) et
social (une combinaison de cohérence, d’acceptation, d’actualisation, de contribution et d’intégration sociale).
Ces composantes sont des indicateurs précieux à considérer dans l’évaluation psychoéducative.
Promotion de la santé mentale positive et pratique de la psychoéducation
La conceptualisation de la santé mentale en termes positifs vise à la mise en place de programmes efficaces
dont le but est de réduire les inégalités de santé en ayant recours à des méthodes collaboratives et
participatives qui augmentent le pouvoir d’agir (empowerment) des personnes et des communautés
(Jané-Llopis, Barry, Hosman et Patel, 2005). Cette vision rejoint le modèle interactionniste de
Gendreau qui valorise la mise en place d’actions psychoéducatives tant auprès des individus qu’auprès
des collectivités.
L’Institut national de santé publique du Québec (2008) propose un modèle conceptuel de promotion et de
prévention en santé mentale qui s’inscrit dans une perspective écologique et développementale. D’après ce
modèle, illustré dans la figure 1, la promotion de la santé mentale vise à augmenter les ressources
personnelles, l’estime de soi et le soutien social; elle vise aussi à favoriser l’influence positive des
environnements favorables et l’inclusion sociale.
Dans cette visée, la pratique psychoéducative doit entrevoir la mise en place de moyens pour optimiser
le potentiel adaptatif de l’individu en interaction avec ce que peut lui offrir son environnement.
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Figure 1 - Modèle conceptuel de promotion et de prévention en santé
mentale
Prévention
Soutien
social
Estime
de soi
Promotion
Inclusion
sociale
Environnements
favorables
Ressources
personnelles
de base
Facteurs
biologiques
négatifs
Environnements
défavorables
Catégories de
facteurs positifs
Catégories de
facteurs négatifs
Exclusion
sociale
Stress
Inégalités
socioéconomiques
Individu
Milieu de vie
Environnement
Source : Institut national de santé publique du Québec. (2008), p. 23.
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Références
Duhoux, A. (2009). Santé mentale positive : du traitement des maladies mentales à la promotion de la
santé mentale. Quintessence, 2(1).
Institut canadien d’information sur la santé. (2009). Améliorer la santé des Canadiens 2009 : explorer la santé
mentale positive. Ottawa : Institut canadien d’information sur la santé.
Institut national de santé publique du Québec. (2008). Avis scientifique sur les interventions efficaces en
promotion de la santé mentale et en prévention des troubles mentaux. Institut national de santé publique
du Québec : Direction du développement des individus et des communautés.
Jané-Llopis, E., Barry, M., Hosman, C. et Patel, V. (2005). Mental health promotion works: a review.
Promotion and Education, 12, 9-25.
Keyes, C.L.M. (2005). Mental Illness and/or Mental Health? Investigating Axioms of the Complete State
Model of Health. Journal of Consulting and Clinical Psychology, 73(3), 539-548.
Keyes, C.L.M. (2007). Promoting and Protecting Mental Health as Flourishing. American Psychologist,
62(2), 95-108.
Organisation mondiale de la santé. (2013). Plan d’action pour la santé mentale 2013-2020. Genève : Éditions
de l’OMS.
Westerhof, G.J. et Keyes, C.L.M. (2010). Mental illness and mental health: the two continua model across
the lifespan. Journal of Adult Development, 17, 110-119.
49
510-1600, boul. Henri-Bourassa Ouest, Montréal (Québec) H3M 3E2
Téléphone : 514 333-6601 ou 1 877 913-6601
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