le travail corporel comme preparation a la danse

Transcription

le travail corporel comme preparation a la danse
Jacques GARROS
Pour Youness et Radouan
Castillon le 27 avril 2008
LE TRAVAIL CORPOREL COMME PREPARATION A LA DANSE
Le danseur peut dire : « j’ai un corps qui est mon instrument de travail » et il peut dire
« je suis mon corps qui est donc aussi l’instrumentiste ». Dans le cas de la danse « en
accordant l’instrument » on fait aussi progresser l’instrumentiste .
En ce sens l’événement de la danse c’est le danseur lui même.
Le travail corporel nous permet de nous remettre sans cesse dans les lois de la vie
organique : rapport avec le poids, rapport avec le sol, rapport avec la vie, le mouvement,
le rythme, rapport avec l’énergie, l’espace, le temps, rapport avec le monde intérieur du
danseur (intériorisation, imaginaire), rapport avec le monde et avec les autres.
Les moyens de cette mise en relation sont la prise de conscience de la respiration, du
squelette comme charpente intérieure, de la hiérarchie musculaire et articulaire, du
schéma corporel et des lois de l’expression.
Autant dire qu’il s’agit d’une éducation de l’intelligence organique, d’un état d’éveil et
de sensibilité permanents, nécessaires à l’apprentissage et à la créativité .
Cette éducation n’est pas une « technique en 10 leçons », c’est un état, une manière d’être
tout au long de la vie.
Aucun de ces thèmes ne se développe séparément des autres, car dans le monde de la vie
organique tout change en même temps, ou rien ne change. Il ne s’agit pas d’une
acquisition technique mais d’une évolution du danseur lui-même vers une justesse
immédiate. L’attitude juste donne le tonus juste qui donne le geste juste !
On peut donc aborder les exercices de travail corporel dans n’importe quel ordre en
fonction des besoins du moment.
Cependant il est possible de donner une succession théorique de la mise en œuvre des
différents thèmes, par les différents exercices.
1- Apprendre à se mettre dans un état de détente et de disponibilité.
Ceci concerne un état de détente nerveuse et d’harmonisation du tonus.
Cet état de détente est souvent accessible par le « lâcher » du soupir de
l’expiration. Nous touchons là déjà à l’un des grands thèmes fondateurs de la
danse moderne qui est le relâchement dans le poids.
A partir de cette détente peut se faire une harmonisation du tonus et une
évolution hiérarchisée du système musculaire, en particulier en cultivant la
musculature posturale (profonde) pour soulager et libérer la musculature
volontaire (superficielle) au service de l’expression et de la virtuosité. Plus le
niveau de structure est élevé et plus la détente est accessible.
D’une certaine façon si l’on ne peut faire plus il faut au moins passer par cette
étape nécessaire à l’éveil de la sensibilité indispensable à l’artiste.
2- Prise de conscience et maîtrise du cycle respiratoire.
*Prise de conscience de la place et de la forme du diaphragme séparant le tronc
entre le thorax et le ventre, comme un piston dans un cylindre.
*Prise de conscience de son mouvement, de son rapport antagoniste et synergique
avec le transverse abdominal et comment grâce à la résistance des viscères
contenus par la sangle abdominale le diaphragme est lui-même le principal
élévateur des côtes. Anatomiquement l’idée qu’il y ait 2 respirations, une
abdominale et une thoracique est fausse.
Cette unité de la respiration touche directement à l’unité de l’être.
Schizo – phrenos en grec ancien signifie coupé par le diaphragme.
*Prise de conscience de l’expiration comme détente des muscles inspirateurs dans
son début (lâcher-prise) et comme « recentrage » des forces physiques et
psychiques au centre de l’être dans la fin de l’expiration.
C’est donc dans sa dernière partie que l’expiration est formatrice de la tonicité
abdominale profonde.
Ceci concerne une intelligence sensorielle permettant de comprendre pourquoi il
est bon de faire tel mouvement de l’exercice en inspirant ( diffusion, élan,
repoussé du sol….) et pourquoi faire d’autres mouvements en expirant (lâcher et
détente au début de l’expiration puis travail de la tonicité centrale, recentrage des
forces dans la dernière partie de l’expiration) .
Cette éducation de la maîtrise du cycle respiratoire est le chemin qui peut nous
conduire à une perception du RYTHME VITAL ( le tchi) comme diffusion et
reflux. Ce rythme met en jeu tout le système organique de telle sorte que le
mouvement dansé est en permanence une expression du mouvement de la vie.
Il s’agit, pour le danseur, par cette expérience, d’avoir le sens du rythme et le sens
du mouvement dansé. La technique intervient sur cette base mais ne pourra
jamais la remplacer.
3- Placement du bassin
Le bassin est la pièce centrale à partir de laquelle tout s’organise.
Son placement est sans cesse menacé par des forces naturelle lordosantes : poids
des viscères, piliers postérieurs du diaphragme et psoas-illiaque. Le placement du
bassin n’est pas spontané, il est le résultat d’une victoire sur le poids et donc
d’une éducation de la tonicité des « muscles-racines » élevée à un haut niveau par
la pratique. ( Transverse, grands-fessiers, carré des lombes, faisceau inférieur des
grands droits). Ce placement du bassin permet la « fusion bassin/thorax » qui
suppose que le danseur ayant bien maîtrisé sa respiration ( inspiration dorsale)
ne relâche pas sa sangle abdominale à chaque inspiration.
4- Le triangle inférieur – le rapport avec la terre –
On peut désigner ainsi l’ensemble formé par les jambes et les psoas qui
s’insérent sur les lombaires et jusqu’à la 12° dorsale comme un triangle la pointe
en haut.
La pédagogie du psoas va libérer l’articulation de la hanche et
du genou permettant la décontraction du quadriceps. Le travail des
pelvitrochantériens maintient l’orientation du genou dans l’axe du tibia ce qui est
d’autant plus nécessaire que le danseur, en danse contemporaine, pratique un
travail en parallèle.
La voûte plantaire est soulagée au lieu de s’effondrer vers l’intérieur.
L’ensemble de ce travail favorise le ressenti des jambes qui sont un système
amortisseur du poids (souplesse des genoux) et le segment sensible de la relation
avec la terre.
On est ainsi conduit à la pédagogie de la marche « en suspension centrale »,
marche dont le moteur est le bassin, par le déséquilibre maîtrisé du centre de
gravité.
Ceci touche également à l’éducation du « repoussé » et donc du saut.
5- Le triangle supérieur – le geste expressif, respiré
On peut désigner ainsi la partie supérieure du corps.
La colonne vertébrale est comme un mat de bateau, enraciné dans le bassin qui
est la coque. Les muscles du dos sont alors les haubans qui viennent s’insérer par
la masse commune sur les lombaires formant un triangle la pointe vers en bas,
inverse de celle des psoas.
Ces 2 pointes s’entrecroisent sur le système bassin / lombaires.
Les courbes du dos peuvent être rectifiées à partir du placement du bassin et de
la tonicité abdominale. Elles garantissent un ensemble dont la caractéristique est
d’allier la souplesse et la résistance.
Ici se situe le travail de la musculature posturale du dos ( para vertébraux ) et du
placement des omoplates ( rhomboïde ). L’atténuation de la courbe des vertèbres
dorsales et le placement des omoplates sont absolument nécessaires pour libérer
l’articulation des côtes sur les vertèbres (amplitude respiratoire) et permettre la
justesse des mouvements des bras , reliés au centre et non partant de l’épaule.
Comme pour les jambes il faut faire ici l’éducation de la conscience de la
hiérarchie articulaire du centre vers les extrémités ainsi qu’un travail de la
conscience des mains et de leur expressivité.
Le placement de la première dorsale permet le placement de la 7° cervicale
comme base de la justesse de l’axe cervical et du port de tête.
Un travail particulier est nécessaire pour la prise de conscience du rapport du
crâne avec atlas et axis car beaucoup de personnes situent inconsciemment cette
articulation à l’arrière du crâne alors qu’elle est pratiquement sous l’axe de la
tête.
On arrive ainsi à une bonne conscience de l’alignement des 3 blocs osseux bassin/
thorax/crâne séparés par les 2 segments mous que sont la taille et le cou.
Cet alignement est maintenu par un dialogue tonique entre les muscles
fléchisseurs et les muscles redresseurs.
On comprend à quel point tout se joue à partir du bon placement du bassin.
Les différents exercices proposés par la pédagogie du Travail Corporel (et ceux que
chacun peut inventer à partir de sa pratique) se situent tous quelque part dans cette
présentation un peu schématique de notre organisme humain.
*Ils sont d’une grande efficacité pour maintenir le « corps/instrument » à un bon niveau
de placement et de justesse posturale.
Cet état d’un corps accordé, en développant la perception de la globalité et de l’unité,
permet au danseur d’être habituellement dans la conscience de ses mouvements.
*En tant que « corps/ instrumentiste » le danseur conserve ainsi un état de vigilance et
de créativité qui donne sans cesse un intérieur à sa technique sans quoi comme le dit
Mary WIGMAN dans sa lettre à un jeune danseur « il a beau tournoyer, il n’appartient
pas au nombre des élus ».

Documents pareils