Démonstration - Fédération Inter

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Démonstration - Fédération Inter
Environnement
Le renouvellement du
parc automobile belge
Fausse solution
et vraie arnaque
Le renouvellement du parc automobile nous est
régulièrement présenté comme un des leviers
de la réduction des émissions de gaz à effet de
serre dans le secteur des transports. Cette proposition ne résiste toutefois pas à l’analyse qui,
au-delà des simplismes, met en exergue les effets pervers d’une telle mesure. Démonstration.
L’
Association des constructeurs automobiles européens
(ACEA) est aux abois. Le marché va mal et le secteur
enregistre cette année un recul des ventes qui va en
s’accélérant : - 3,9 % sur les huit premiers mois par
rapport à 2007, avec un pic de - 15,7 % en août (1).
Même si ces chiffres globaux masquent une réalité
contrastée, la tendance est claire : croissance moyenne de 1,8 % dans
les dix nouveaux Etats membres mais recul de 4,4 % dans les pays de
l’ex-Europe des 15, groupe dans lequel la Belgique se distingue avec
une croissance de 5,5 %. Les perspectives pour le secteur sont donc
peu réjouissantes. Car cette morosité observée dans la plupart des pays
d’Europe occidentale n’est pas que conjoncturelle ; l’augmentation du
prix de l’énergie et la « perte de confiance des consommateurs » épinglées par l’ACEA n’expliquent pas tout. Les fondements de la crise sont
également structurels : avec presque un véhicule pour deux personnes
(lire le tableau ci-dessous), le parc automobile arrive, dans beaucoup
de pays, à saturation.
Taux de motorisation en Europe en 2006 (2)
Pays ou groupe de pays
Nombre de voitures particulières pour 1 000 habitants
EU 27
466
EU 15
508
EU 12
307
Belgique
470
Abstraction faite de ses soucis conjoncturels, l’industrie automobile se
trouve donc confrontée à un défi de taille : continuer à assurer la croissance des ventes dans un marché quasi-saturé. Seule voie de solution :
augmenter la vitesse de renouvellement du parc.
Trois curieux « arguments »...
Las ! Grâce aux progrès réalisés, notamment dans la qualité des aciers,
les véhicules récents vivent, de manière générale, plus longtemps que
leurs ancêtres. Comment, dès lors, créer les conditions propices pour
20
[imagine 70] novembre & décembre 2008
que les citoyens changent plus rapidement de voiture ?
Premièrement, en faisant appel aux vieilles ficelles du métier : survaloriser l’image de l’automobile et taxer (même implicitement) de
« ringard » le conducteur qui n’opte pas pour le dernier modèle. C’est
le rôle de la pub.
Deuxièmement, en lobbyant pour supprimer la taxe de mise en circulation (TMC), seul outil dont disposent les pouvoirs publics pour orienter les comportements d’achat des citoyens. Les fédérations automobiles nationales et européenne s’y emploient activement.
Troisièmement, en surfant sur la vague environnementale et en vantant le renouvellement du parc comme une arme efficace dans la lutte
contre le changement climatique : les voitures neuves, « vertes », doivent remplacer au plus tôt les vieux tacots polluants (ceux-là mêmes
que l’on nous a vendus il y a quelques années... en vantant leurs qualités écologiques).
Ainsi, selon l’argumentaire des constructeurs, une voiture neuve est
une voiture propre ; donc, augmenter le nombre de voitures neuves tout
en diminuant le nombre de voitures anciennes conduit à un gain environnemental. Le summum étant atteint, selon la FEBIAC (Fédération
belge de l’industrie automobile et du cycle), par les voitures dites
« de société », remplacées plus souvent : « Les voitures de société sont
remplacées tous les trois à quatre ans. Par conséquent, elles satisfont
donc toujours aux normes d’émission les plus récentes et les plus rigoureuses » (3). Le discours peut séduire par son simplisme. Mais en
grattant la couche de peinture métallisée, on s’aperçoit vite que l’enjeu
environnemental sert de paravent à une réalité plus prosaïque : « Nous
devons réaliser que la rotation rapide des voitures de société représente
une part essentielle du chiffre d’affaires des entreprises automobiles
belges » (4).
... et quatre idées fausses
L’argumentaire developpé par les constructeurs repose, en outre, sur
quatre idées fausses.
Première idée fausse : il existe des voitures « propres » ou « vertes ».
En limitant l’analyse à la seule utilisation, imagine-t-on parler de
camion propre, de frigo propre, de sèche-cheveux propre ? Non.
L’utilisation de tout équipement consommant de l’énergie ne peut être
« La route passe enfin au vert » : un slogan tout à
fait manipulateur... surtout pour une voiture qui
consomme entre 7,7 et 9,7 l/100 km (émissions
entre 183 et 223 g CO2/km !).
qualifiée de « propre » que dans la mesure où celle-ci est non (ou du
moins fort peu) polluante. Ce qui ne peut être le cas que des énergies
dites « de flux » (énergies éolienne, solaire, géothermique, hydraulique, marémotrice), par opposition aux énergies « de stock » (pétrole,
charbon, gaz, nucléaire). De plus, comme on va le voir, on ne peut
réduire l’impact environnemental de la voiture à sa seule utilisation.
Seconde idée fausse : une voiture neuve est « propre ».
Grâce aux normes Euro qui fixent des limites d’émissions légalement
contraignantes pour les polluants qui affectent la santé, les voitures
neuves ont effectivement tendance à être « plus propres » (ou « moins
sales »…) que les modèles plus anciens en ce qui concerne les polluants
locaux (composés organiques volatils, oxydes d’azote, monoxyde de
carbone et particules fines). Mais cette amélioration est par contre loin
d’être évidente en matière d’émissions de CO2 ; tout dépend de la marque, du modèle, de la version. La moyenne des émissions CO2 des voitures neuves vendues en Europe a certes baissé de 15 % entre 1998 et
2007 (passant de 186 à 158 g/km) mais l’industrie automobile s’était
engagée de manière « volontaire » à réaliser moins 25 % sur la période
1998-2008 (5). Si l’amélioration est réelle, elle demeure très modeste.
Troisième idée fausse : la voiture pollue (quasi) uniquement lors
de son utilisation.
Les voitures ne poussent pas dans les show-rooms ! Avant d’être utilisée, une voiture doit être fabriquée et il importe donc, pour appréhender correctement l’impact environnemental d’un véhicule, de réaliser
des « analyses cycle de vie » (ACV ou LCA : life cycle assessment
en anglais). Le Joint research center (JRC, centre de recherches de la
Commission européenne) a publié, en mars de cette année, une analyse globale sur le sujet. Selon le JRC, la fabrication d’une voiture carburant à l’essence émet en moyenne 4,3 tonnes de CO2 (4,7 tonnes
dans le cas d’un diesel). Soit, pour un véhicule émettant 158 gCO2/km
(valeur moyenne des voitures neuves vendues en Europe), l’équivalent
d’environ 27 200 km roulés (29 700 pour le diesel). Et le constat vaut
également pour les autres polluants (6). On peut donc estimer que la
pollution associée à la fabrication d’une voiture est globalement équivalente à celle générée par deux à trois années d’utilisation dans les
conditions actuelles. De quoi ébrécher sérieusement le mythe du gain
environnemental généré par le renouvellement du parc…
Quatrième idée fausse : le parc automobile belge est vieux et doit
être renouvelé.
En réalité, le parc automobile belge est particulièrement neuf. La fédération de l’industrie automobile espagnole, l’ANFAC, a publié début 2008
une analyse des parcs automobiles de différents pays européens (7).
Il en ressort que, parmi les douze pays pour lesquels les données sont
disponibles (8) (figure 1), le parc belge est le deuxième plus neuf d’Europe selon le critère « pourcentage de véhicules de 10 ans ou moins » et
le premier selon le critère « pyramide des âges » (figure 2).
Concrètement, les Belges achètent beaucoup de voitures neuves (on
a vu en ouverture de cet article que notre pays se distinguait par la
tendance haussière de son marché) sans faire croître significativement
le parc (5,2 % sur la période 2001-2006 contre 7,7 % en moyenne
pour les douze pays étudiés avec, chez certains, une croissance à deux
chiffres). Autrement dit, le parc belge se renouvelle d’ores et déjà à un
rythme rapide…
S’inquiéter des enjeux sociétaux à long terme
Ainsi donc, le raisonnement de la FEBIAC ne résiste pas à l’analyse.
Mais il s’explique très aisément par le souci de maintenir la santé économique du secteur.
Ne nous laissons donc pas leurrer : une lutte efficace contre le changement
climatique impose une réorientation en profondeur de notre système de
mobilité. Cela implique de réduire fortement l’empreinte automobile et
passera inévitablement par une diminution programmée de la taille du
parc automobile. Mais cela ne relève ni des compétences, ni surtout de
l’intérêt de l’industrie qui cherche dès lors à nous vendre ses solutions
miracles. C’est pourquoi le rôle des pouvoirs publics est fondamental.
Eux seuls peuvent (et doivent) agir en ne prenant pas uniquement en
Figure 1
Mieux vaut une « petite vieille à essence »
qu’une « grosse nouvelle diesel »…
n effet, selon les données du Service public fédéral mobilité et transport (1) :
‡OHVYRLWXUHVjHVVHQFHURXOHQWPRLQVTXHOHVGLHVHO IDFWHXU HQ PR\HQQH
/D©GLHVHOLVDWLRQªGXSDUFTXLVHSRXUVXLWSRVHQRQVHXOHPHQWSUREOqPHHQPDWLqUH
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HVVHQFHGLHVHO HQ VRUWLH GH UDI¿QHULH QH FRUUHVSRQG SDV j OD GHPDQGH HXURSpHQQH
Nous importons donc du diesel et exportons de l’essence ;
‡OHVSHWLWHVF\OLQGUpHVURXOHQWPRLQVTXHOHVJURVVHV/HNLORPpWUDJHPR\HQGHVYRLWXUHV
jHVVHQFHGHFFHWSOXVHVWGHNPSDUDQHQPR\HQQHVXUOHXUGXUpHGHYLH
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©UHQWDELOLVHUªVDYRLWXUHQHXYHQ
E
(1) Relevé des kilométrages annuels parcours en 2006, SPF MT, Direction Mobilité, novembre 2007.
Figure 2
compte les intérêts d’un secteur guidé par l’échéance de la présentation annuelle des résultats financiers aux actionnaires mais en
fondant leurs politiques sur les enjeux sociétaux à long terme. Q
Pierre Courbe et Pierre Titeux - Fédération Inter-Environnement Wallonie
(1) New passenger car registrations, ACEA, 18 septembre 2008, www.acea.be.
(2) Energy and transport in figures, Statistical pocketbook 2007/2008, Commission européenne, 2008.
(3) Les dix priorités de la FEBIAC pour le prochain gouvernement, FEBIAC, 2007, p. 9.
(4) FEBIAC, op. cit., p 11.
(5) Reducing CO2 Emissions from New Cars : A Study of Major Car Manufacturers’ Progress in 2007, European federation for Transport
and Environment, August 2008.
(6) Selon le Joint research center de la Commission européenne (rapport IMPRO-cars, mars 2008), la fabrication d’une voiture
neuve génère en moyenne 0,9 kg de particules ultra-fines (PM 2,5), soit un tiers de la pollution associée à 12 années d’utilisation !
(7) European motor vehicle parc 2006, ANFAC (Asociación Española de Fabricantes de Automóviles y Camiones), January 2008,
www.anfac.com.
(8) Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France, Grande-Bretagne, Grèce, Hollande, Italie, Suède.
[imagine 70] novembre & décembre 2008
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