ARTE FOTOGRAFICO numéro 264 – décembre 1973 pages 1527 à

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ARTE FOTOGRAFICO numéro 264 – décembre 1973 pages 1527 à
ARTE FOTOGRAFICO
numéro 264 – décembre 1973
pages 1527 à 1539
(Adaptation en français de l'article espagnol avec la mise en page d'origine)
Raoul Vaslin nait à Nantes (Loire-Atlantique) le 7 mai 1945.
Après un échec au baccalauréat... il s'enfuit et abandonne le milieu familial. Cependant, il ne laisse pas tomber ses études. Il suit les
cours du soir de l'École d'Arts Décoratifs de Nice. Parallèlement, il travaille durant quelques mois chez un imprimeur-éditeur et s'initie à la
photogravure, à la photographie, et à la mise en page. Ensuite, il est embauché comme assistant dans le studio photo de Léo Mirkine, à
Nice. Là il réalise des travaux de laboratoire et rapidement – par chance - son patron lui demande de faire de la photo en studio et en
extérieur - portraits, reproductions, reportages : le Rallye de Montecarlo, le Festival de Cannes, le Grand Prix Automobile de Monaco ... Ces
expériences lui mettent définitivement le pied à l'étrier dans le monde de la photographie, qui deviendra pour lui – très rapidement - une
grande passion, passion qu'i l'aidera à surmonter les épreuves les plus pénibles.
Le service militaire l'entraîne à la Martinique, en qualité de reporter photographe, rattaché au Général-en-Chef du regroupement
Antilles Guyane à Fort-de-France, dans le service d'information et de liaison des armées. Il travaille également pour la presse locale, en
particulier pour le journal France-Antilles. Il réalise des reportages sur la pêche en Martinique, sur le cyclone « Ines » sur le volcan de la
Soufrière, les propriétés de Joséphine de Beauharnais, la Montagne Pelée ... Il « prend son envol » en s'initiant également à la photographie
aérienne ! Mais revient sur terre pour faire des agrandissements géants: «Fort-de-France» en dix mètres de long , "Saint-Pierre" en six
mètres de large. Il décore, pour chaque site, le mess des officiers avec ses photographies. Il garde quelques bons souvenirs de cette
époque.
À son retour en métropole, il réussit à vivre de la photographie en travaillant ponctuellement avec les uns et avec les autres, et en se
laissant exploiter de manière illégale par certains employeurs peu scrupuleux. A tel point qu'il abandonne pendant un certain temps la
photographie pour travailler comme serveur dans un restaurant, puis comme assistant en salle, sommelier, sous-chef, chef de rang ... à
Antibes et à Jean-Ies-Pins.
À Paris, où il "monte"enfin, il commence par être livreur, mais un feu intérieur le dévore et l'attire rapidement vers la photographie. Il
ne tarde pas à s'y replonger. Embauché comme assistant dans un important studio, il réalise de nombreuses photographies : publicités,
industrie, mode... qui vont lui permettre d'expérimenter toutes les techniques, tous les formats, et les recherches les plus diverses. Il
travaille à batons rompus. Parallèllement, l'après-midi, il suit les cours de l'École Nationale de Photographie et de Cinématographie de Paris celle que dans notre jargon nous nommons Ecole de Vaugirard -, et ensuite les cours de formation continue.
Il travaille pour les agences R. L. Dupuy, Havas, Lonsdale, Harold Barnett, Sinodis, Synergie, CET, ERG, etc.. Il réalise les campagnes
de publicité de Aron, Lefevre-Utile, Biscuiterie Nantaise, Buittoni, Kronenburg, Alsa, Nestlé, etc.., ainsi que les catalogues pour Prénatal,
Dames de France, la Ville de Puy, etc... Il sillone la France pour des reportages destinés à des catalogues et des éditions de prestige : BarlorForges, La Redoute à Roubaix, Perdre, Euro-Medico à Bruxelles, Air Liquide, La Polymécanique, Horstmann... Iltravaille aussi pour le secteur
de la décoration : Maison Française, Marcadet Mobilier, Rouve... Tout se passe à merveille. C'est alors qu'il apprend qu'il est atteint d'une
maladie incurable nécessitant plusieurs interventions chirurgicales, qui le laissera cloué au lit pendant plusieurs mois, lui faisant craindre le
pire et s'inquiéter pour l'avenir de sa femme, sa fille.
Aujourd'hui rétabli, mais ayant encore besoin de soins, il fini une longue année de convalescence qu'il a mise à profit pour encore plus
approfondir ses connaissances dans cette si belle profession.
Il vit désormais à Champtoceaux, dans le département du Maine-et-Loire. Il recommence à marcher, avec confiance. Il souhaite rattraper le
temps perdu. Progressivement, il va essayer dans les prochaines semaines, dans les prochains mois futurs, d'emporter quelques distinctions
: Le Prix de la Vocation, le Prix Niépce, le Prix d'Auteur décerné par la Fédération Nationale des Sociétés Photographiques de France...
Pour Arte Fotografico, nous rendons ici, avec quelques photographies, un hommage à Fanny; Fanny, le jeune épouse de de Raoul Vaslin. Ces
images seront comme un hymne à l'amour, amour qui n'a pas cessé de le soutenir et de croître pendant ces jours d'épreuve.
CONVERSATION AVEC RAOUL VASLIN
Roger Doloy : Pourquoi la photographie a-t-elle une si grande importance pour toi ?
Raoul Vaslin : C'est bien vrai, la photographie me dévore ... Je crois que tout cela
vient de très loin, du fond de moi, mais aussi d'une ascendance artistique : ma mère
et mon grand-père font de la peinture... Mon enfance, mon environnement m'ont
imprégné de leurs goûts, de certaines aptitudes. La photographie a d'abord été pour
moi un refuge, une protection aussi vis à vis du monde extérieur. J'y enfermais. Un
univers clos, idéalisé. Mais j'étais égoïste... Donc je suis sorti de ma coquille et la
photographie est devenue ma raison de vivre, une façon de communiquer avec mes
semblables. Depuis ma maladie, elle est devenu une raison de survivre ... Elle m'a
permis de refuser d'admettre mon état physique!
R. D. - Comment traduis-tu en en images ce feu intérieur? Comment penses-tu le
communiquer aux autres ?
R. V. - Je considère mon appareil photo comme un prolongement de mon oeil, de moimême.
J'ai gardé de l'enfance un peu l'habitude de vivre dans un certain univers imaginatif,
proche du rêve. Je me refuse à y enclore ce qui est laid. La photographie me permet
donc de visualiser intérieurement une certaine harmonie, que je base sur quelques
éléments : nature, beauté, lumière, terre, lciel, eau ... Sur le travail aussi, souvent sur
les vieilles pierres, sur la matière des choses... C'est ma vision de la vie! Et puis, vous
le constaterez rapidement par vous-même, je ne suis guère doué, je n'ai pas le don
de l'éloquence verbale, la photographie est donc devenue mon langage. Je crois
qu'elle me permet de transmettre une idée ou d'apporter un témoignage.
La photographie pour moi est un devoir laborieux, car que je suis très exigeant.
Chaque image est la plus importante ; je mets tout de moi-même dans chacune
d'elles. Et je suis rarement satisfait ! C'est peut-être ma chance, cette insatisfaction :
mes échecs m'aident à progresser. De photographie en photographie, j'ai conscience
de m'améliorer.
R. D. : Tu aimes profondément la photographie ?
R. V. : C'est incontestable! A tel point que je ne peux pas dire banalement "je fais de
la photographie". En vérité, je me consacre totalement à la photographie, autant pour
mon, métier que pour des recherches personnelles. Elle est amour, elle est passion ...
Et, comme toute passion, je pense, elle est tyrannique ! Elle déchire, elle ronge !
R. D. - Elle est cependant ignorée, bien inconsidérée, et particulèrement en France.
Ne crois-tu pas ?
R. V. - Si. Malheureusement, elle est trop mal considérée. N'est-on pas arrivé jusqu'à
dire et à écrire que c'était un "art mineur", ce qui n'a pas de sens parce qu'un art ne
peut pas être mineur ! Mais cet état de fait est peut-être dû en en partie aux
photographes eux-mêmes ... Le photographe se doit à la photographie. Il doit la
grandir. Il doit se sentir concerné en tant que créateur. Il doit se dévouer à son art, le
défendre, s'en rendre digne de lui et ne pas le laisser éclabousser des souillures de la
vie. Il ne doit pas abaisser la photographie à un niveau strictement commercial. Pas
de prostitution !
R. D. - Quels sont tes photographes préférés?
R. V. - Personne ne m'a aidé, dirigé à mes débuts. Je suis venu seul à la photographie,
vraiment par vocation. Je le regrette, parce que j'ai tatonné pendant plusieurs années.
Je n'ai donc subi aucune influence au commencement, j'étais dans l'ignorance totale
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des autres photographes. Mais que de temps perdu ! Puis j'ai adhéré au Club
Photographique de Paris « Les 30 x 40 ». Ce fur pour moi un apprentissage
graphique, un bain de critiques et d'images, des discussions passionnantes et
passionnées. Une leçon de génie et d'humilité au contact des plus grands noms de la
photographie réunis tous les jeudissoirs pour la plus grande partie de la nuit : ma
meilleure formation artistique. À partir de ce moment, j'ai révisé toutes mes notions,
j'ai pratiquement détruit les quatre-vingt pourcents de mes premières photographies.
Quel gain au contact des mes confrères au cours de ces échanges! Sans être
influencé, sans plagier surtout, il est certain que l'on progresse plus vite au contact
des autres - ceux-ci s'expriment avec des idées, des convictions, des raisonnements,
des sensibilités différentes. Et c'est ce qui constitue l'attrait de la photographie, sa
diversité dans son application.
Ainsi, au Club j'ai découvert et admiré Jean-Loup Sieff, pour l'honneur qu'il fait à la
photographie. Il la défend, il se dévoue pour elle, tout en la pratiquant d'une manière
remarquable dans son métier de photographe de mode et de publicité. Dans un tout
autre style, j'aime Georges Tourdjman pour la beauté technique de ses
photographies; Claude Sauvageour, Larry Burrows et Robert Capa, parmi les
reporters qui dénoncent l'absurdité de la guerre, son horreur, mêlant volontiers des
images empruntes de plus d'optimisme. Je me sens proche de la vision du monde
exprimée - et avec quel talent - par Jerry Uelsmann. Les visions de Duane Michals et
de Lee Friedlander sont de la même manière particulièrement intéressantes et
apportent beaucoup à la photographie. Et, naturellement, j'en oublie !
R. D. - Je sais que tu aimes aussi certains photographes déjà entrés dans l'Histoire.
R. V. -Il y a beaucoup à apprendre de la connaissance des anciens, des grands
maîtres de la photographie: Weston, Adams, Kertesz ... pour ne citer que quelques
noms au hasard. Au cours d'une projection proposée par Jean-Pierre Sudre, j'en ai
tant appris en deux heures, j'ai été si secoué que j'avais envie de jeter mes appareils
dans la Seine ... Mais je n'en ai rien fait, rassurez-vous ! J'ai préféré de me donner un
coup de pied au derrière – autant que je l'ai pu... Et je me suis remis à travailler en
me disant que j'avais encore beaucoup de chemin à parcourir avant de pouvoir égaler
un Weston.
R. D. - Existe-t-il une photographie que tu préfères ?
R. V. - Oui, c'est une photographie d'Eugène Smith. Sa composition a autant de force
que la «Leçon d'anatomie" de Rembrandt. Et le sujet et l'éclairage sont fabuleux! Mon
ambition est de réunir sur le thème de la vie rurale quelques photographies de cette
intensité.
R. D. - Eugéne Smith est l'un des plus grands. Nos amis espagnols le connaissent
certainement bien. Cette photographie appartient précisément à cette extraordinaire
série sur le « Village espagnol ». Quelle puissance en effet ! Quel style! Acquérie un
style, ne penses-tu pas que c'est important?
R. V.: Je pense bien ! C'est ce qui distingue les photographes. Le style est le véhicule
de l'expression artistique. On trouve normal qu'un écrivain sache écrire, qu'un
architecte soit capable de réaliser un plan, qu'un peintre dessine... Il ne faut
cependant pas confondre le fond avec la forme. Beaucoup de gens ont quelque
chose à dire, encore faut-il savoir l'exprimer. Il est nécessaire que l'écrivain passionne
son lecteur avec un style qui valorise son sujet ; que l'architecte sorte de la cage à
lapins, même en béton ; que le peintre sorte de la masse des peintres de mauvais
goût ou de ceux qui suivent une mode - une mode ne pouvant pas se confondre
avec un style. La personnalité forgée, le temps et l'expérience révèlent et affirment le
style.
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En ce qui me concerne, actuellement j'utilise des lignes fortes pour étayer des sujets
simples, sobres. Je m'attache à trouver un équilibre des masses et des volumes, ainsi
quà des plans dans les rapports de lumière et d'ombre.
R. D. - Quelles techniques utilises-tu pour la prise de vues et en laboratoire?
R. V. - Je n'ai pas de techniques particulères. J'utilise toutes les techniques de base,
en
fonction
d'un
résultat
prévisualisé.
La
technique
n'intervient
plus
qu'automatiquement. J'ai constamment à portée de la main mes appareils chargés et
leurs accessoires dans un sac, et suffisamment de pellicules. Pour celles-ci, je préfère
m'en tenir à une marque en noir et blanc comme en couleur : IIford et Kodak, pour
les films et les papiers pour le noir et blanc, Kodak, pour la couleur. Le fait d'être en
province me pose désormais quelques problèmes pour le développement de
l'Ektachrome... Je viens de faire des essais satisfaisants avec le Kodachrome II.
Pour la prise de vues, j'ai tendance à utiliser de préférence un objectif grand-angle qui
permet d'être moins « voyeuriste » qu'avec un téléobjectif, et donne la possibilité d'un
contact avec le sujet. Je joue volontiers, parfois, avec une vitre très ancienne,
découverte dans une maison en ruines datant du XVème siècle, et que j'interpose
entre lmon appareil et le sujet. J'obtiens ainsi des déformations infinies...
En revanche, en laboratoire, je ne confie à personne le soin de développer mes
photographies. J'aime d'expérimenter différents révélateurs, des bains chauds, des
bains froids, diluer mes solutions... J'aime « maquiller » certaines zones, affaiblir
partiellement mes images avec du ferricyanure. J'obtiens aussi des effets spéciaux en
passant d'un fixateur acide à un classique (hiposulfite+ bisulfite). J'étudie l'Histoire de
la photographie et j'essaie de retrouver les applications techniques de Misonne,
d'Uelsmann, etc.. J'essaie tout par jeu, mais aussi pour tirer le maximum possible
d'un négatif. Il est important d'acquérir une excellente maîtris de la technique
photographique, quitte à l'oublier ensuite, et ne transmettre que la forme et
l'expression, du mieux possible.
R. D. - : Quel est ton matériel ?
R. V. - J'ai hérité d'un Rolleicord de mon grand-père; c'est une pièce de collection,
l'un des premiers modèles. Il est équipé d'un objectif Tessar de 75, qui peut s'ouvrir à
2.8. Je m'en sers toujours ! C'est un excellent appareil. En 1967 j'ai acheté d'occasion
un Minolta SR7 24x36, avec un 35 millimètres – qui a pris un coup de matraque en
mai 68 ... - un 90 millimètres – qui a été atteint par une grenade de chlore tirée à
bout portrant en mai 68 ... - un 135 millimètres et 200 millimètres, qui ont été
épargnés jusqu'ici... J'utilise un jeu de filtres, un jeu de lentilles diverses - achetés au
"Marché aux Puces", des parasoleils, des bas de soie, etc.. Je souhaiterais avoir un
appareil Nikon et des optiques d'une meilleure qualité. J'ai aussi un Hasselblad 500,
avec viseur à prisme, mais je n'ai qu'une seule optique, qu'un seul magasin... et deux
générateurs, quatre torches Balcar, un flashmètre.. . Je possède une vieille chambre
en bois Mackenstein 13x18, un appareil de collection que j'utilise couramment avec
trois châssis doubles. J'ai un agrandisseur mural Renheil 13X18 à tourelle, deux
objectifs Boyer de 110 et 150 millimètres, un agrandisseur 24X36-6X6 Krokus III, une
glaçeuse rotative Sprint Vitau qui m'a été offerte par un patron sympathique, le jour
où il en a racheté une neuve. En fait, j'ai beaucoup de matériel, mais il n'est pas
adapté pour le type de photographie que j'aime faire.
R. D.- C'est ce genre de photographie, celui que tu aimes faire, que nous allons voir
lors de tes prochaines expositions à Paris et à Nantes ?
R. V. - Oui. Je vais exposer sur les cimaises de la galerie d'Odéon-Photo, en novembre
et décembre de cette année. Pour moi c'est important, après mon "handicap". Cette
petite galerie est bien située, au coeur du quartier latin de Paris. Je vais également
exposer à Nantes, au "Comptoir Nantais de l'Audiovisuel". Et puis, je prépare plusieurs
séries : pour le Prix de la vocation, pour le Prix Niepce ... •
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