Alsace vendanges 2008

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Alsace vendanges 2008
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MARDI 14 OCTOBRE 2008
Vendanges Autres temps, autres mœurs?
En un demi-siècle, la
récolte des raisins a
bien changé. Avec une
législation de plus en
plus draconienne, de
nombreux viticulteurs
ont abandonné la
tradition. D’autres
cultivent encore avec
bonheur ses vestiges.
Ouverture plus précoce, contrat
de travail et fiche de salaire obligatoire pour les vendangeurs,
convivialité en baisse, mécanisation en hausse, législation rigoureuse, en un demi-siècle, la
récolte des raisins a bien
changé dans la région, mais elle
reste néanmoins un moment
unique et symbolique dans
l’année des viticulteurs.
En quelques décennies, leurs
préoccupations ont bien changé
et les vendanges recouvrent aujourd’hui d’autres réalités
qu’hier.
« Quand, autrefois, un ami souhaitait donner un coup de main
une journée pour son plaisir,
on ne le déclarait pas. Aujourd’hui, ça peut coûter cher.
Même la famille ne vient plus.
Tout doit être écrit noir sur
blanc », explique Nicole Bott, viticultrice à Ribeauvillé.
Depuis plusieurs années, les viticulteurs gèrent leur domaine
comme de véritables chefs d’entreprise et parlent de rentabilité,
d’objectifs et de réduction des
coûts.
Pas étonnant donc que la machine à vendanger remplace de
plus en plus la main d’œuvre
saisonnière. « En quelques
heures, une machine parvient à
récolter un hectare de vignes et
l’opération ne nécessite que
deux personnes. Elle permet
aussi d’attendre la maturité optimale du raisin et d’avoir une
gestion très précise de la récolte. Avec un outil qui agit vite,
nous pouvons nous permettre
de sortir uniquement par beau
temps. C’est un confort de
vie », résument les adeptes de la
mécanisation.
Des chansons,
des blagues et du vin
Pourtant, certains n’ont pas renoncé aux vendanges à l’ancienne. C’est le cas du domaine
Sipp Mack de Hunawihr. Dans
le discours de ses propriétaires,
pas d’aversion pour l’outillage
sophistiqué mais une préférence affichée pour la dimension culturelle et humaine.
Jacques Sipp compte désormais
parmi les exceptions et assume
allègrement la surcharge de travail que génère la récolte traditionnelle. Il continue à embaucher chaque année une
trentaine de saisonniers, essentiellement des retraités.
« Au fil des années, ils sont devenus des amis. Si je leur annonçais la fin des vendanges
manuelles, beaucoup ne supporteraient pas. Certains viennent depuis plus de trente ans,
beaucoup prennent leurs vacances pour être là », raconte
Un petit verre de vin gouleyant, il n’y a rien de mieux pour ragaillardir les troupes.
Laura Sipp. Parmi les habitués,
elle accueille onze Vosgiens
qu’elle loge dans les cinq appartements disponibles du domaine. « Chaque année, je refuse du monde. Le bouche à
oreille fonctionne bien. »
Papy Hubert, malgré ses 78
ans, ne manquerait pour rien
au monde cet événement
« Tant que je serai en bonne
santé, je viendrai ! ». À côté de
lui, Hubert n° 2 acquiesce. « Je
viens depuis 44 ans, j’avais 17
ans la première fois. » D’autres,
comme Alexia et ses amis,
prennent quinze jours de vacances pour venir vendanger à
Hunawihr. « On vient en famille. C’est que du bonheur ! »
C’est également l’avis de Pierrette Reinbold, de Bergheim,
qui a intégré le groupe il y a
cinq ans. « Ici on rigole bien.
C’est vraiment génial et familial. L’ambiance est automatique. Ca fait chaud au cœur de
pouvoir vivre ça. »
Il suffit de s’approcher d’une
parcelle de vigne pour com-
«Avant, les vendangeurs venaient
avant tout pour faire la fête»
« Aujourd’hui, les gens sont
très sérieux. Qu’ils soient étudiants ou chômeurs, ils viennent avant tout pour arrondir
leur fin de mois. Dans le temps,
après le travail, on s’amusait, on
dansait, on finissait sous les
tables », raconte, nostalgique,
Jean-Jacques Sipp, viticulteur à
Ribeauvillé. Sur les vendanges
d’antan, il est intarissable, et
quand il repense à cette période, un large sourire illumine
son visage. « Ce sont des souvenirs extraordinaires. » Il se souvient avec plaisir d’un bataillon
17 h 30. À midi, ma mère apportait le repas dans les vignes.
C’était toujours une soupe
épaisse, un pot au feu ou un
baeckaoffe, le tout arrosé de vin
à profusion. »
de militaires de la base de
Meyenheim,
qui,
chaque
année, en septembre, investissait son domaine. « On les logeait dans des dortoirs de 15 à
20 personnes. Ils venaient avant
tout pour faire la fête. On se débrouillait toujours pour engager autant d’hommes que de
femmes. »
Une ambiance
digne du Club Med
Si les vendangeurs aimaient
s’amuser, ils ne rechignaient
pas à mettre la main à la pâte. Si
c’était du plaisir, c’était néanmoins sérieux. « On commençait à 7 h 30 et on finissait à
Ces plats roboratifs permettaient de venir à bout des tâches
très physiques. Malgré des
journées harassantes, personne
ne se couchait avant une heure
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Autre tradition fort prisée, la
pause casse-croûte, il va s’en
dire bien arrosée, qui fait oublier les courbatures des premières heures. Côté patrons, on
se réjouit de cette joyeuse ambiance et on n’hésite pas à l’entretenir avec différentes gâteries. « C’est une chance d’avoir
ce groupe. Ils s’amusent, mais
ils sont très consciencieux.
C’est une belle image de notre
maison. »
Textes et photos
Vanessa Meyer-Wirckel
« Avoir les pieds sur terre »
du matin. « Tout le monde logeait sur place. C’était une ambiance digne du Club Med. On
organisait des jeux, des élections de miss vendanges assez
olé, olé ».
Les soirées festives bien arrosées n’empêchaient pas les
vendangeurs d’être à pied
d’œuvre dès potron-minet et les
vignes résonnaient très tôt de
rires et de chansons paillardes.
« On s’amusait bien, mais on
travaillait dur. »
Quand Jean-Jacques feuillette
l’album photos, témoin de ces
périodes de folie, il ne peut
s’empêcher d’évoquer ses
clients hollandais. « Avec eux,
on a fait les 400 coups, on
s’amusait comme des gamins.
On leur proposait un jour de
vendange, un jour de découverte de la région et une
journée festive. L’année suivante, ils pouvaient acquérir
leurs bouteilles personnalisées.
Au début, c’était une opération
commerciale, mais petit à petit,
ils sont devenus des amis.
Leurs enfants n’ont pas suivi,
ils aspiraient à autre chose. »
Le temps a passé mais le vigneron exulte encore à la seule évocation de ces vendanges à jamais révolues. « Aujourd’hui,
je n’ai plus d’habitués. La main
d’œuvre se fait rare, les gens filent à 17 h. Il y a vingt ans, on
n’aurait jamais imaginé que
toute cette ambiance puisse disparaître ! »
Même si l’ambiance n’est plus euphorique, pendant les pauses elle n’est jamais triste.
prendre. Les chansons grivoises
succèdent aux blagues et plaisanteries un peu lestes pour le
plus grand plaisir du groupe.
« Ça ne vole pas très haut, c’est
toujours sous la ceinture, mais
ce sont des sujets qui amusent
tout le monde. Et puis on boit
du vin bien sûr, mais moins
qu’il y a vingt ans ! » Avec l’âge,
la joyeuse équipe s’est un peu
calmée, mais elle apprécie toujours les bons petits plats mijotés par Lionel, le cuisinier de
service, qui se met aux fourneaux pour l’occasion.
Certains viticulteurs n’ont pas opté pour la mécanisation. Ils lui
préfèrent une main d’œuvre saisonnière aux horaires flexibles.
« Il y a 25 ans, on engageait une
vingtaine d’étudiants. Il fallait
les loger, les nourrir, même les
week-ends. L’ambiance était
légère et festive mais le travail
pas toujours productif », raconte Nicole Bott. Au domaine
Bott de Ribeauvillé, la récolte
des raisins a bien évolué au fil
des années pour le plus grand
bonheur de la viticultrice. « Je
passais mes journées en cuisine. C’était une surcharge de
travail incroyable ». Avec les
années, les conditions d’accueil
des vendangeurs ont, elles
aussi,
évolué.
Trop
de
contraintes, de démarches administratives et le coût élevé de
la main-d’œuvre ont amené les
Bott à abandonner la tradition
et à opter pour les solutions
plus rentables. « On a choisi
une solution intermédiaire.
Plutôt que d’utiliser la machine
à vendanger, on a embauché
des vendangeurs turcs qu’on ne
loge pas. » De cette main
d’œuvre, Nicole Bott souligne
l’efficacité, la souplesse et la
fidélité. « Ce sont des saison-
niers de Saint-Dié, de SainteMarie-aux-Mines. Je traite avec
le responsable qui parle
français et qui s’occupe de tout,
des
papiers,
des
déplacements. » Autre avantage
pour les employeurs, les vendangeurs turcs apportent leur
repas. « On leur met un réfectoire à disposition. Cette année,
comme le début des vendanges
tombait pendant le ramadan, ils
sont restés dans les vignes.
Pour la famille, on a recours au
traiteur. » Ces vendanges 2008,
même si elles manquent
d’exubérance, restent néanmoins conviviales. « On ne
parle pas la même langue, mais
on apprend quelques expressions. Les femmes m’apportent
des friandises turques et moi je
les chouchoute en leur offrant
des tartes et du café à 17 h. »
Autre temps, autres mœurs,
mais Nicole Bott n’éprouve
aucun regret. « Aujourd’hui,
notre motivation est économique. On peut être nostalgique mais il faut avoir les pieds
sur terre. »