Lettre à D., histoire d`un amour Critique du Soir

Transcription

Lettre à D., histoire d`un amour Critique du Soir
Le Soir –mercredi 23 septembre 2015
Lettre à D., histoire d'un amour
Le récit d’une vie amoureuse, de la relation intense et essentielle entre un homme et une femme. 58 ans d’un amour fou,
jusqu’au bout !
« Cela fait cinquante-huit ans que nous vivons ensemble et je t’aime plus que jamais. Récemment je suis retombé
... Lire la suite » amoureux de toi une nouvelle fois et je porte de nouveau en moi un vide dévorant que ne comble que ton
corps serré contre le mien. »
Cet extrait de Lettre à D, écrit par André Gorz, philosophe, penseur et journaliste, est destiné à sa femme Dorine, sa
compagne depuis 58 ans. Ce récit retrace leur vie d’amants, d’époux, de compagnons et de collaborateurs. C’est un
testament amoureux ainsi qu’une déclaration poignante d’un amour exceptionnel.
Après la présentation du travail d’adaptation de Lettres à D. à l’intime festival en 2014, voici venu le temps de la création du
spectacle mis en scène par Coline Struyf.Dirk Roofthooft donnera chair à ce texte pour rendre le tremblement et les failles de
cette parole pour raconter cet amour qui veut résister à la mort elle-même.
Critique du Soir
(Avis de la rédaction)
E
n 2007, le philosophe André Gorz se donnait la mort avec sa femme Dorine. A 84 et 83 ans, ils avaient décidé qu’ils ne
voulaient pas que l’un survive à l’autre. Sur la porte de leur maison de campagne, un simple message : « Prévenir la gendarmerie ».
Quelques mois avant de poser cet acte funestement romantique, André Gorz écrivait Lettre à D., Histoire d’un amour, sublime
déclaration à sa femme Dorine qui a partagé 58 ans de sa vie. Une rétrospective amoureuse de leur vie à deux, à la fois amants, âmes
sœurs intellectuelles, collègues. Il finissait cette lettre par ces lignes : « Si, par impossible, nous avions une seconde vie, nous
voudrions la passer ensemble. »
Aujourd’hui, Coline Struyf s’empare de cette Lettre à D. pour la mettre dans la bouche, les yeux, les mains de Dirk Roofthooft.
Seul sur scène, dans un espace dépouillé – un pupitre, un fauteuil et un plancher aux lattes irrégulières, comme les hauts et les bas
d’un demi-siècle passé à vivre côte à côte –, le comédien flamand avance avec timidité dans la peau d’André Gorz, luttant d’abord avec
les mots. Une fragilité extrême qui déstabilise de prime abord, mais se fond ensuite avec l’état tourmenté dans lequel on imagine André
Gorz au moment de se livrer ainsi.
L’auteur racontait d’ailleurs avoir écrit cette lettre en pleurant. On imagine le penseur – disciple de l'existentialisme et compagnon de
route de Jean-Paul Sartre avant de devenir le théoricien de l’écologie politique et le cofondateur du Nouvel Observateur – se mettre à
nu tout à coup, abandonner les philosophiques pour parler d’amour avec des mots simples, et dire toute sa reconnaissance pour cette
femme qui l’a toujours soutenu dans l’ombre.
Il raconte leur rencontre en Suisse, lui l’Autrichien sans le sou et elle, la belle Anglaise convoitée partout. Il se souvient des années de
galère, avant d’être enfin publié, sans que jamais elle ne lui fasse un reproche. Et puis, la reconnaissance, suivie des mondanités avec
l’intelligentsia parisienne. Il dit la maladie évolutive dont elle sera atteinte, et sa volonté furieuse de ne pas se laisse dominer par cette
affection. Et puis leur désir, soudain, de se retirer du monde et de s’installer à la campagne, pour vivre simplement, pleinement,
sereinement.
Ultra sobre, la mise en espace s’efface derrière le texte, tout comme Dirk Roofthooft, d’une complète humilité pour incarner cet homme
qui reconnaît avoir été cet homme grâce à la présence de D. à ses côtés. Beau et fort.
CATHERINE MAKEREEL
(édition du 23/09/2015)

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