Dynamique de populations d`adultes de Lestes macrostigma

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Dynamique de populations d`adultes de Lestes macrostigma
Tome 26, fascicules 1 et 2, mars/juin 2010
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Dynamique de populations d’adultes de
Lestes macrostigma (Eversmann, 1836) et
implications pour son suivi :
l’exemple de la Camargue
(Odonata, Zygoptera : Lestidae)
par Philippe LAMBRET
Amis des Marais du Vigueirat, F-13104 Mas-Thibert
<[email protected]>
Mots clés : LESTES MACROSTIGMA, DYNAMIQUE DES POPULATIONS, SUIVI,
CAMARGUE.
Keywords: LESTES MACROSTIGMA, POPULATIONS DYNAMICS, SURVEY,
MONITORING, CAMARGUE.
Résumé : La courbe d’émergence, la période de vol (phénologie) et le
nombre d’adultes détectés tout au long d’une journée ont été étudiés chez
Lestes macrostigma (Eversmann, 1836) le long d’un transect dans un marais
temporaire de Camargue. Les résultats sont discutés au regard d’autres
données acquises au travers de l’aire de répartition de cette espèce menacée.
Les conséquences qu’ils induisent en terme de suivi sont soulignées.
Dynamics of an adult population of Lestes macrostigma (Eversmann,
1836) and implications to its monitoring: the example of the Camargue
(Odonata, Zygoptera : Lestidae).
Summary: The emergence curve, the flight period (phenology) and the
number of adults which are detected along the day have been studied in
Lestes macrostigma (Eversmann, 1836) by the visual transect count method
in a temporary pool of the Camargue. Results are discussed in light of other
findings across the range of this threatened species. The consequences in term
of survey and monitoring are highlighted.
_______________
Lestes macrostigma (Eversmann, 1836) est une espèce sténoèce dont les larves se
développent principalement dans les eaux saumâtres (e.g. NIELSEN, 1954 ; ROBERT,
1958 ; PLATTNER, 1967 ; AGUESSE, 1968). Ses populations sont confinées à de rares sites
tant en France que dans dans les parties occidentale et centrale de son aire de distribution
(e.g. CHOPARD, 1948 ; JÖDICKE, 1997 ; DIJKSTRA & LEWINGTON 2007 ; BOUDOT et al.,
2009). L. macrostigma est de ce fait menacé et bénéficie d’un fort statut patrimonial de
l’échelle régionale à l’échelle européenne (voir LAMBRET et al., 2009). Selon les
dernières évaluations de l’UICN, il est classé « Vulnérable » en Europe et « En danger »
Martinia, 26 (1/2) mars/juin 2010 : 19-28.
Manuscrit reçu le 12 décembre 2009
20
Martinia
au sein de l’Union Européenne des 27 (KALKMAN et al., 2009). Selon le Plan National
d’Action en faveur des Odonates (DUPONT, 2009), un suivi est nécessaire afin d’évaluer
si ses populations sont en augmentation, stables ou en déclin. Un suivi est également une
des recommandations de base lorsque l’on veut prendre des mesures de conservation
prioritaires (RISERVATO et al., 2009). Pour les espèces menacées dans l’ensemble de leur
aire de répartition, des actions coordonnées sont requises aux niveaux régional, national
et international (RISERVATO et al., 2009). Suivre L. macrostigma peut également être un
outil d’évaluation de l’état de conservation d’un site naturel protégé où l’espèce est
présente ou a déjà été observée (FERRERAS-ROMERO et al., 2005). En outre, un suivi est
important si l’on cherche à préciser le statut de reproduction des différentes populations ;
c’est aussi un moyen d’améliorer les connaissances concernant sa biologie et son
écologie, par le truchement de données qualitatives et quantitatives (LAMBRET et al.,
2009 ; RISERVATO et al., 2009).
Parmi les suivis entomologiques, il est généralement recommandé d’effectuer les
comptages durant le pic d’activité du taxon concerné. Pour un suivi pluri-spécifique, les
données doivent être collectées durant plusieurs mois et la plage horaire quotidienne est
plus souvent large, allant de cinq à huit heures, (e.g. Odonata : KETELAAR & PLATE,
2001 ; SMALLSHIRE & BEYNON, 2009 ; Rhopalocères : ANONYME, 2009 ; MANIL &
HENRY, 2007) que courte (BROOKS, 1993). Mais lorsqu’une seule espèce est concernée,
la fréquence et la plage horaire du suivi sont restreintes par la phénologie et le rythme
quotidien d’activité, qui sont spécifiques (THOMPSON et al., 2003 ; DOLNÝ, 2005). Les
grandes variations d’abondance d’une année à l’autre sont bien connues chez L.
macrostigma et on peut facilement le manquer les années de faible abondance (AGUESSE,
1961 ; PLATTNER, 1967 ; FERRERAS-ROMERO et al., 2005 ; GRAND & BOUDOT, 2006 ;
LAMBRET et al., 2009). Afin d’augmenter les chances de le détecter de telles années, il
devient essentiel de savoir à quel moment de l’année son abondance est la plus forte,
c'est-à-dire à quel moment la taille de la population est la plus grande, et aussi à quelle(s)
heure(s) de la journée on a le plus de chance de le détecter, c'est-à-dire la ou les heure(s)
où l’activité est la plus intense. Il est également nécessaire de connaître la dynamique
d’émergence afin de maximiser les chances d’observer émergences, ténéraux ou exuvies,
et donc de pouvoir préciser le statut reproducteur d’une population.
Le but de cette étude était d’estimer (1) la phénologie de L. macrostigma et donc la
période d’abondance maximale des adultes matures mais aussi celle des émergences, et
(2) l’heure de la journée à laquelle sont détectés les plus grands nombres d’adultes, (1) et
(2) définissant, pour la Camargue, les périodes de l’année et de la journée les plus
favorables à un suivi sur le long terme par des méthodes comme le transect (e.g.
POLLARD & YATES, 1993) ou les carrés de présence/absence (MCKENZIE et al., 2002).
Site d'étude et méthode
Cette étude a été réalisée du 7 mai au 14 juillet aux Marais du Vigueirat (Bouchesdu-Rhône, Camargue), un site naturel protégé qui appartient au Conservatoire du littoral.
L’un au moins des quatre gardes-gestionnaires du site est présent sur le site à tout
moment, ce qui permet de détecter la présence de l'espèce en continu tout au long de
l’année. Ce site couvre 1050 ha et renferme différents marais. L'un d'eux, la Baisse des
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Marcels (BdM, 43°32’10’’N / 04°45’15’’E), est un marais temporaire où des dizaines de
Lestes macrostigma sont vues chaque année depuis 2005. La végétation de ce marais est
principalement composée de Bolboschoenus maritimus, de Juncus maritimus et de J.
subulatus, mais aussi d’Eleocharis palustris, de Schoenoplectus tabernaemontani et de
Phragmites australis ; ses bords sont colonisés par Tamaris anglica, J. acutus et
Arthrocnemum spp.
Les données ont été collectées le long d'un transect tracé dans la végétation de BdM
où la plupart des adultes sont habituellement observés. Ce transect qui mesurait environ
290 m de long et cinq de large (2,50 m à gauche et autant à droite de l'observateur) était
parcouru en 15-20 minutes au moins une fois par semaine. Comme Lestes sponsa
(Hansemann, 1823) volait durant la même période, j'ai utilisé une paire de jumelles pour
identifier de manière certaine les individus repérés en vol une fois qu'ils étaient posés,
ainsi que ceux qui étaient trop éloignés pour être identifiés à l'œil nu (en effet, si je ne
comptais jamais ceux qui étaient derrière moi, je ne me suis pas fixé de distance limite en
avant). La courbe d'émergence (sensu CORBET, 2004: 244) a été évaluée en dénombrant
les ténéraux (en admettant que les individus qui ont déjà des couleurs mais la cuticule
encore souple et surtout les ailes brillantes soient encore des ténéraux ; voir CORBET,
2004: 257) à 12 h 30 ± 30 minutes (heure d'été, GTM + 2). En dehors de ces ténéraux, les
adultes ont été comptés entre 12 h 30 et 13 h 30, indépendamment de leur âge. Afin
d'estimer les chances de détecter une population durant la journée, j'ai parcouru le
transect toutes les deux heures (pour réduire le biais dû à mon dérangement) de 6 h 30 à
20 h 30 le 9 juin. J'ai répété l'opération le lendemain mais en commençant une heure plus
tard ; ce jour-là j'ai différencié les ♂ des ♀. Les jours trop venteux (au delà de 4
Beaufort) et pluvieux n'ont pas été retenus pour les comptages.
Résultats
Les tout premiers ténéraux ont été vus le 13 mai. Les émergences ont été très
synchronisées (Fig. 1a) : l'EM50 (voir CORBET, 2004 : 245) a été atteint le quatrième ou
cinquième jour, ce qui représente environ un tiers de la durée totale de la phase
d'émergence. Une seule génération par an a été observée. Les premiers tandems ont été
vus le 28 mai, ce qui suggère que la durée de la phase de maturation est d'au moins 15
jours (voir CORBET, 2004 : 258).
Martinia
22
120
100%
y = 0,003x3 - 0,342x2 + 10,090x - 8,073
R2 = 0,834
100
80%
70%
No. d'adultes
No. d'émergence (effectifs cumulés)
90%
60%
50%
40%
80
60
40
30%
20
20%
10%
0
0%
14 16 18 20 22 24 26 28 30 0103 05 0709 11 13 15 17 19 2123 25 27 29 0103 05 0709 11
0
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
M ai
Juin
Juillet
Jours après la prem ière émergence
Date
a)
b)
Figure 1. Courbes d'émergence (a) et de phénologie (b) de Lestes macrostigma à la Baisse des Marcels
(Marais du Vigueirat, Camargue)
Au sujet de la phénologie (Fig. 1b), la population a crû durant les deux premières
semaines pour atteindre un pic d'abondance entre le 31 mai et le 9 juin, respectivement
18 et 27 jours après les premières émergences. Puis la population a commencé à
décroître, selon une pente plus douce que durant la phase de croissance, jusqu'au 12
juillet, date après laquelle plus aucun individu n'a été vu.
120
30
28
100
26
24
22
60
20
Ta (°C)
No. d'adultes
80
18
40
16
14
20
12
21:30
20:30
19:30
18:30
17:30
16:30
15:30
14:30
13:30
12:30
11:30
10:30
09:30
08:30
07:30
06:30
10
05:30
0
Heure
Figure 2. Variation de la température ambiante Ta (pointillés ; © Météo France)
et du nombre d'adultes les 9 (□) et 10 (■) juin.
Durant la période de reproduction, le nombre d'adultes détectés durant la journée a
considérablement varié (Fig. 2) : le nombre maximal était respectivement 2,34 et 2,07
fois plus élevé que le nombre minimal les 9 et 10 juin. Les plus grands nombres ont été
observés tôt le matin, le midi et en début de soirée. En revanche, il n'y pas eu de variation
significative du sex-ratio durant la journée (p > 0.05, χ² = 1.30, df = 7) : les ♂ étaient en
moyenne 1,75 fois plus nombreux que les ♀ (min = 1.46, max = 2.00, 42 < n < 88).
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Discussion
Conformément aux caractéristiques de la famille des Lestidae (voir CORBET et al.,
2006), le monovoltisme est décrit chez Lestes macrostigma implicitement (e.g. NIELSEN,
1954 ; PICARD & MEURGEY, 2005) et des émergences synchronisées ont déjà été
rapportées (NIELSEN, 1954), tout comme des émergences massives (DIJKSTRA &
KALKMAN, 2001). Ceci est lié à la biologie classique de l'espèce, puisque les œufs des
Lestidae européens sont connus pour subir une longue diapause et n'éclore qu'au
printemps suivant (voir CORBET, 2004 : 56). MONTES et al. (1982) ont rapporté que les
larves de dernier stade et les adultes étaient les plus abondants en mars et en avril tandis
que ces derniers pouvaient être observés dès février. Aussi, à défaut de données plus
précises sur les dates d'éclosion des œufs, un cycle bivoltin ne peut être complètement
exclu en Espagne du sud (R. Jödicke, com. pers.). Un tel cycle implique une relative
permanence de l'eau non conforme avec le fonctionnement hydrologique d’un marais
temporaire dans le sud de la péninsule Ibérique (J.-P. Boudot, com. pers.). Il est plus
probable que les observations précoces de MONTES et al. (1982) reposent sur une phase
d'émergence qui dure plus longtemps dans cette région beaucoup plus chaude que la
Camargue. En effet, AGUESSE (1961) révèle que la durée d'exposition au froid des œufs
de L. macrostigma a un impact sur la synchronisation des émergences, un hiver plus
rigoureux induisant une synchronisation plus marquée. On peut donc s’attendre à ce
qu’un hiver du sud espagnol induise une plus longue phase d’émergence. Aussi, après un
hiver particulièrement froid, les émergences, concentrées dans le temps, peuvent être
facilement manquées, à moins de les rechercher deux à trois fois par semaine. En d'autres
termes, afin de définir si l'espèce se reproduit ou non dans un point d'eau donné, on se
doit de visiter ce point d'eau tous les trois jours de la fin de la première décade de mai au
début de la dernière du même mois, du moins en Camargue. Cela rend le nombre de
points d'eau pouvant être suivis directement dépendant de la distance qui les sépare et du
nombre de personnes engagées dans ce travail. On peut bien sûr trouver des exuvies
après les émergences mais celles-ci sont très légères et par conséquent susceptibles d'être
rapidement emportées par le vent, qui est très fort en Camargue (PICON, 1980). En outre,
si l'on veut estimer des taux d'émergence et faire des comparaisons, des visites
quotidiennes deviennent alors obligatoires afin de ne pas manquer le pic d'émergence
(PE). En effet, comparer le nombre d'émergences le jour J(PE) pour une année A au
nombre d'émergences le jour J(PE-1) pour l'année A+1 induirait un grand biais et ne serait
pas fiable. L'ensemble de ces éléments rend le suivi des émergences très chronophage.
La forme de la courbe de phénologie, une courbe de Gauss étirée à droite,
correspond à ce qui a été trouvé précédemment (JOURDE, 2003 ; MARINOV, 2005 ;
PRECIGOUT et al., 2009). L'abondance des adultes a augmenté tout au long de la phase
d'émergence (deux semaines) pour atteindre un maximum sur une dizaine de jours.
CANO-VILLEGAS & CONESA-GARCIA (2009) ont également observé une abondance
maximale deux semaines après leurs premières observations d'adultes. Cette
augmentation progressive de l'abondance reflète certainement un taux d'émergence
supérieur aux taux de mortalité et de dispersion, ce qui se traduit par un apport constant
de nouveaux adultes. La durée du maximum d'abondance – qui est proche de la durée de
24
Martinia
maturation – pourrait quant à elle être due à l'arrivée sur le site de reproduction des
individus ayant achevé leur maturation. Puis, la mortalité (et/ou la dispersion) aurait pris
le pas sur ces deux apports. Aussi, un ou deux passage(s) (selon le temps disponible)
durant la troisième semaine après les premières émergences devraient suffire au suivi
d'une population d'adultes en Camargue. Toutefois, la durée de la maturation des
Lestidae varie avec la latitude et les années, mais aussi selon les populations durant une
même année (UTZERI et al., 1988) ; il est donc nécessaire d'évaluer la constance de cette
durée de maturation, ainsi que l'impact de cette durée sur toute la phénologie.
Comme cela a été décrit chez Lestes barbarus (Fabricius, 1798) (UTZERI et al.,
1988), la période de vol varie selon la latitude. En effet, alors que la phénologie
camarguaise correspond à celles de l'Ukraine (MARTYNOV & MARTYNOV, 2008), de la
Hongrie (MARINOV, 2005) et de l'Italie (NIELSEN, 1954), la période de vol de L.
macrostigma débute plus tôt au sud de son aire de répartition et s'achève plus tard au
nord : de février-mars en Turquie, en Grèce, en Espagne... jusqu'à août en Roumanie, en
Autriche, sur la côte atlantique française... (PLATTNER, 1967 ; MONTES et al., 1982 ;
GONZALES DEL ROSARIO, 1994 ; KALKMAN & VAN PELT, 2006 ; CANO-VILLEGAS &
CONESA-GARCIA, 2009 ; PRECIGOUT et al., 2009 ; T. Benken, com. pers. ; LOPAU, 2010 ;
J.-G. Robin, com. pers.). Mais l'influence de la température et des pluies (ou du moins du
régime hydraulique) pourrait bien interférer notablement avec celle de la latitude et
parfois même être déterminante. En effet, la température a un impact sur les émergences
(op. cit.). L'eau est évidemment nécessaire au développement larvaire mais déclenche
également tant le développement post-diapause de l’œuf (SAWCHYN & GILLOT, 1974)
que l'éclosion des œufs chez les Lestidae, même chez des espèces pondant bien au-dessus
de la surface de l'eau comme Chalcolestes viridis (PIERRE, 1904 ; GAMBLES, 1960 ; F.-S.
Schiel, com. pers.). Il peut néanmoins exister des exceptions (BICK & BICK, 1970). On
doit logiquement s'attendre à ce que la mise en eau active l'éclosion des œufs de L.
macrostigma, espèce caractéristique des marais temporaires, si ces derniers étaient
encore « au sec » au printemps. La période de vol peut débuter à des dates différentes
d'une année à l'autre pour une même latitude mais aussi pour une même région : J.-P.
Boudot, com. pers. a observé des émergences de L. macrostigma en Sardaigne, à l’île
d’Asinara, le 29 juin 2008 et des adultes ont déjà été vus en Camargue en septembre
(AGUESSE, 1968 ; com. pers.) (voir aussi CANO-VILLEGAS & CONESA-GARCIA, 2009).
La phénologie serait donc souple et fonction des températures et de l’hydrologie d’une
année particulière. Là encore, seul un suivi permettra d’évaluer la variabilité de la
période de vol en fonction de ces conditions.
La variabilité au cours de la journée du nombre d'adultes comptés durant la période
de reproduction (Fig. 2) devrait être liée au comportement de reproduction, car il est bien
connu que les ♂ attendent les ♀ au lieu de « rendez-vous » (CORBET, 2004: 538). Ceci a
été avancé par UTZERI et al. (1988) afin d'expliquer pourquoi le sex-ratio était biaisé en
faveur des ♂ alors qu'il était équilibré au moment de l'émergence. Mais dans le cas
présent, la stabilité du sex-ratio au cours de la journée suggère que les ♀ étaient toujours
présentes sur le lieu de reproduction et qu'elles ne se déplaçaient pas à l'échelle du
macro-habitat. Cette variabilité pourrait plutôt s'expliquer par des variations du rythme
d'activité. L'activité des Odonates dépend de la température ambiante (Ta) et de leur
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capacité à réguler leur température corporelle (Tc) (e.g. MAY, 1980 ; HILFERT-RÜPPEL,
1998 ; DE MARCO & RESENDE, 2002 ; SFORMO & DOAK, 2006 ; MCKAY & HERMAN,
2008). Selon la classification des Odonates comme patrouilleur (flyer) ou percheur
(percher) (CORBET, 1962 ; CORBET & MAY, 2008), les Lestidae sont des percheurs qui
régulent Tc par des adaptations posturales et comportementales (ROBERT, 1958; MCKAY
& HERMAN, 2008). L'activité désigne plusieurs comportements tels que la reproduction,
l’alimentation, la dispersion... Cependant, CORBET & MAY (2008) soulignent que la
susceptibilité de voler serait plus à même de définir si un individu est « actif » ou
« inactif ». La variabilité du nombre d'adultes compté pourrait bien refléter différentes
phases d'activité, le nombre maximal traduisant la période d'activité la plus intense de la
journée. J'émets l'hypothèse que ces différentes phases sont, du matin au soir : (1)
recherche d'une partenaire et mise en tandem [phase de vol pv], (2) augmentation de Tc
[phase perchée pp], (3) accouplement et oviposition [pv], (4) adaptation aux heures les
plus chaudes de la journée [pp] et (5) chasse [pv]. Il est recommandé, dans le cadre d'un
suivi, d'éviter les températures supérieures à 30°C (PONT et al., 1999 ; KETELAAR &
PLATE, 2001) et cela peut devenir contraignant dans certains pays du Bassin
méditerranéen puisque des températures inférieures ne sont parfois enregistrées, le
printemps et l'été, que le matin ou en fin d'après-midi. L'amplitude de la variabilité
évoquée rend les données de la présente étude insuffisantes pour définir la période de la
journée la plus propice à la détection de L. macrostigma. D'autres recherches s'avèrent
nécessaires pour confirmer ou infirmer l'hypothèse émise ci-dessus, et ainsi déterminer le
moment de la journée le plus convenable à un suivi.
Conclusion
Durant le symposium « Monitoring Dragonflies in Europe » (13 et 14 juin 2008,
Wageningen, Pays-Bas), Vincent J. Kalkman a souligné l'intérêt d'une coordination
européenne entre les odonatologues, et ce tout particulièrement au regard des suivis.
Certaines caractéristiques de la biologie de Lestes macrostigma, comme la permanence
des eaux où il se reproduit ou leur salinité, semblent varier à travers son aire de
distribution, si bien qu'un suivi à l'échelle européenne permettrait certainement de mieux
comprendre les besoins de l'espèce (voir LAMBRET et al., 2009). En France, un suivi bien
standardisé doit être testé en 2010 sur plusieurs sites des façades méditerranéenne et
atlantique. Une prochaine étape sera de développer le réseau d'acteurs travaillant sur
l'espèce à l'échelle européenne, ce qui devrait être fait lors du premier congrès européen
d'odonatologie à Porto en juillet 2010.
Remerciements
Je remercie chaleureusement N. Sadoul pour m'avoir livré ses impressions durant la
phase de terrain et au cours de l'analyse des résultats. Je suis également vivement
reconnaissant envers non seulement P. Aguesse, T. Benken, F.J. Cano Villegas, M. De
Block, K.-D.B. Dijkstra, R. Jödicke, V.J. Kalkman et J.-G. Robin pour nos fructueuses
correspondances à propos du présent sujet, mais aussi envers J.-P. Boudot et J. Ott pour
leurs suggestions et corrections de la première version du manuscrit.
26
Martinia
Travaux cités
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doctorat. Sciences naturelles, Faculté des Sciences de l’Université de Paris, Imp. CRDP
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