La Compagnie générale transatlantique

Transcription

La Compagnie générale transatlantique
armateur au cabotage caraïbe
Roger Jaffray
La Compagnie générale
transatlantique
Roger Jaffray administrateur des Affaires maritimes 2 section
e
Préface de Jean-Louis Saulnier
Les « stationnaires », appelés ainsi par opposition aux
longs-courriers transocéaniques, constituent l’objet de
cette étude, qui est aussi un recueil des témoignages de
leurs marins, C’est l’autre histoire de la « Transat », Compagnie générale transatlantique, puis Compagnie générale maritime, aujourd’hui CMA-CGM.
L’auteur
Né en 1930, Roger Jaffray a d’abord navigué comme officier de la marine
marchande sur les principales lignes maritimes françaises de 1948
à 1960. Il a exercé une quinzaine d’années aux Antilles et en Guyane
en tant qu’administrateur des Affaires maritimes. Il vit à la Martinique
depuis 1988, d’où il continue de suivre avec passion l’évolution de la vie
maritime locale.
Illustration de couverture : Christine Laverne
www.scitep-editions.com
21,50 €
ISBN : 978-2-9540280-0-2
armateur au cabotage caraïbe
La Compagnie générale transatlantique a été le plus important armement de transport maritime français pendant
plus d’un siècle. Mais les Antilles étaient placées géographiquement au centre de son réseau, et elle y a souvent
armé des navires à bord desquels embarquaient des marins recrutés localement.
La Compagnie générale transatlantique
Documents
Histoire maritime des Antilles françaises
La Compagnie générale
transatlantique
armateur au cabotage caraïbe
Roger Jaffray
“transat_compo” — 2012/1/12 — 15 :52 — page 1 — #1
La Compagnie générale transatlantique,
armateur au cabotage caraïbe
“transat_compo” — 2012/1/12 — 15 :52 — page 1 — #3
R J
Administrateur général des Affaires maritimes (2e section)
Capitaine au long-cours
Fédération nationale du Mérite maritime et de la Médaille d’honneur des marins
Section de la Martinique
La Compagnie générale transatlantique,
armateur au cabotage caraïbe
Antilles et Guyane, 1930-1992
S Éditions
2012
“transat_compo” — 2012/1/12 — 15 :52 — page 2 — #4
La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alineas 2 et 3 de l’Article
41 d’une part que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage
privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part,
que les analyses et courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration,
toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans consentement de l’auteur ou de ses ayants-droits ou ayants-cause, est illicite (alinea
premier de l’Article 40).
MdF éditions – S
4, rue Paul-Bert 75011 Paris
ISBN : 978-2-9540280-0-2
Dépôt légal janvier 2012
“transat_compo” — 2012/1/12 — 15 :52 — page 3 — #5
à Mireille Jaffray,
présente à chaque ligne de chacun de mes ouvrages.
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Né en 1930, Roger Jaffray a d’abord navigué comme officier de la
marine marchande sur les principales lignes maritimes françaises
de 1948 à 1960. Il a servi ensuite dans l’administration, et a exercé
en tant qu’administrateur des affaires maritimes de 1960 à 1988,
dont une quinzaine d’années aux Antilles et en Guyane. Il vit à la
Martinique depuis cette date, d’où il continue de suivre l’évolution
de la vie maritime locale.
La Fédération nationale du mérite maritime et de la médaille
d’honneur des marins est une association destinée à maintenir des
liens entre les titulaires des deux distinctions spéci quement maritimes. La section de la Martinique et celle de la Guadeloupe ont
réalisé un travail de mémoire sur les activités maritimes locales.
Ce travail a été coordonné et mis en forme par Roger Jaffray.
Jean-Louis Saulnier est entré à la Transat en 1970 comme cadre
sédentaire. Son premier contact avec les Antilles a été en 1974 où il
a séjourné sans interruption jusqu’en 2004. Il a été successivement
secrétaire général, puis représentant général Antilles, Guyane,
Côte Ferme (1980-1985) ; sous-directeur, puis directeur Amérique
latine – Caraïbes ; directeur général de la liale Antilles-Guyane
(1990-1996), directeur général CGM pour les DOM-TOM, viceprésident-directeur général CMA-CGM Antilles-Guyane, Amérique du sud et Caraïbes (1996- 2004), et en n président-directeur
général de la S jusqu’en 2009.
Du même auteur
Les transports maritimes aux Antilles et en Guyane françaises depuis
1930, L’Harmattan, Paris 2009, prix de l’Académie de Marine 2010.
“transat_compo” — 2012/1/12 — 15 :52 — page 5 — #7
Sommaire
Préface
7
Avant-propos
9
1. Les services postaux annexes
1. Antilles . . . . . . . . . . .
2. Biskra . . . . . . . . . . .
3. Saint-Raphaël . . . . . . .
4. Saint-Domingue (II) . . . .
5. Duc d’Aumale . . . . . . .
6. Gascogne . . . . . . . . .
7. San Mateo . . . . . . . . .
8. Guyane . . . . . . . . . .
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2. Les anciens caboteurs stationnaires jusqu’en 1953
1. Matouba . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2. Marie-Galante . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3. Espéranto . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
4. Taza . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
5. Trois-Îlets . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
6. Balata (II) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
7. Miranda . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
8. Saint-Laurent-du-Maroni . . . . . . . . . . . . .
9. Nemours . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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74
3. Le bananier Guadeloupe
79
4. La Compagnie générale d’armement maritime des années 1940
1. Angoulême . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2. Limoges . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
85
85
89
5. Les « liberty ships de poche »
95
1. Bresle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
2. Canche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102
6. Les nouveaux caboteurs stationnaires de 1950 à 1964
107
1. Pinta et Nina . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107
2. Commandant Milliasseau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 124
5
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LA COMPAGNIE GÉNÉRALE TRANSATLANTIQUE
7. Les cargos de 5 500 tonnes et les cargos de type W
1. Les cargos de 5 500 tpl . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2. Les navires de type « La » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3. Les trois 5 500 tonnes ex-compagnie France navigation (CFN).
4. Désirade (II) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
5. Guadeloupe (V) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
6. Martinique (III) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
7. Wyoming et Winnipeg . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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8. Le remorquage de mer de 1971 à 1980
153
1. La otte de remorquage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153
2. Activité des chalands . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155
9. La reprise du cabotage Antilles-Guyane de 1976 à 1992
163
1. Carimaré et Carbet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164
2. Bretagne et Maripasoula . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 166
10. Les ottilles de rade
1. Martinique . . . .
2. Guadeloupe . . . .
3. Guyane . . . . . .
4. Chalands . . . . .
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11. Les escales des stationnaires
1. Antilles françaises . . . . .
2. Guyane française . . . . .
3. Grandes Antilles . . . . .
4. Petites Antilles . . . . . .
5. Guyanes étrangères . . . .
6. Îles sous le vent . . . . . .
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12. Les équipages des paquebots et stationnaires
1. Paquebots postaux . . . . . . . . . . . . . .
2. Petits cargos caboteurs stationnaires . . . . .
3. Grands cargos armés localement . . . . . . .
4. Surnoms . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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13. Les agences locales de la CGT et de la CGM
1. À la Martinique . . . . . . . . . . . . . . .
2. En Guadeloupe . . . . . . . . . . . . . . .
3. En Guyane . . . . . . . . . . . . . . . . .
4. Dans la Caraïbe . . . . . . . . . . . . . . .
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Épilogue
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6
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Préface
     de faire cette préface puisque ma vie professionnelle
se sera déroulée intégralement à la « Transat », même si elle est devenue (sans
aucune interruption juridique depuis 1855 !) la CGM, puis la CMA-CGM et, pour
l’essentiel, dans ces Antilles, Guyane et Caraïbes qui me restent par conséquent très
chères.
Le second sentiment, en découvrant tout ce qui a été fait, est un sentiment
de profonde humilité, d’admiration et de respect pour toutes ces femmes et ces
hommes, tous ces marins et sédentaires, tous ces Antillais, ces Guyanais et ces
Métropolitains qui, bien avant nous, ont créé, développé, innové pour faire de la
Transat l’acteur maritime principal de cette zone, alors beaucoup moins fermée ou
repliée qu’aujourd’hui, quand on voit tous ces échanges de personnes et de biens
entre toutes les îles de la Caraïbe, de la côte Ferme, du Centre Amérique, de la
Louisiane et même jusqu’à New York : une époque.
Comme l’a dit Claude Abraham, grand président de la CGM, « Rien ne se
fait sans les hommes et encore moins contre les hommes » et ce livre a l’immense
mérite de nommer tous ces acteurs modestes et inconnus, mais aussi appelés aux
plus hauts commandements puisqu’on voit débuter tous les futurs commandants
des prestigieux paquebots dont le France et tous les commandants des futurs cargos, bananiers et porte-conteneurs de la compagnie, tant, à l’époque, les AntillesGuyane étaient « le cœur de la Transat ».
C’est ainsi que de très nombreux liens d’amitié se sont créés grâce au « brassage » entre navigants et sédentaires, entre Antillais et Métropolitains : ce fut et
c’est toujours mon cas !
Mais, à cet égard, je suis sûr de me faire le porte-parole de très nombreux
Antillais et de très nombreux marins pour rendre hommage à Félix Rose-Rosette,
exportateur de bananes mais surtout véritable artiste photographe, célèbre pour
ses cartes postales. Il connaissait mieux que quiconque et aimait tous les navigants, de la Transat en particulier, auxquels il faisait inlassablement découvrir les
beautés de son île qu’il aimait tant. Ce fut aussi mon cas et celui de ma famille.
En 2012, j’espère que l’on saura se rappeler le premier voyage d’un navire
Transat sur les Antilles. . . c’était la Louisiane et cela fera 150 ans de présence
ininterrompue !
Je reste con ant que les successeurs sauront poursuivre et développer ce magni que héritage pour continuer à faire de notre Transat et de son héritière qu’est
la CMA-CGM un acteur toujours pleinement conscient de son rôle, de ses responsabilités et de ses devoirs et qui, par conséquent, restera reconnu des Antilles avec
et dans la France.
J
Jean-Louis Saulnier
7
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Collection Association French Lines
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Avant-propos
Cette étude est consacrée aux navires armés aux Antilles et en Guyane françaises
par la Compagnie générale transatlantique (CGT), puis par la Compagnie générale maritime (CGM). Elle constitue le prolongement d’un ouvrage intitulé
Les transports maritimes aux Antilles et en Guyane françaises depuis 1930, qui
expose les circonstances générales et locales dans lesquelles s’exerce le transport maritime dans la Caraïbe, l’histoire sommaire des armateurs français et
des principaux armateurs étrangers, les ports des territoires français, les professions du secteur maritime, les gens de mer, ainsi que les principaux accidents
et événements de mer.
La Compagnie générale transatlantique, née Compagnie générale maritime, redevenue par la suite Compagnie générale maritime, puis Compagnie
maritime d’affrètement – Compagnie générale maritime (CMA-CGM), a été
le plus important armement de transport maritime français pendant plus d’un
siècle. Exerçant une activité internationale, avec son siège à Paris, exploitant
des lignes qui couvraient presque la moitié du globe, ayant des représentants à
l’étranger en dehors de son réseau de lignes, la « Transat », comme l’appelaient
les marins, était présente sur presque toute la planète. Cette compagnie mérite
pourtant l’appellation d’ « armateur antillais et guyanais » pour au moins deux
raisons. La première est que les Antilles étaient placées géographiquement au
centre de son réseau, la seconde est qu’au cours de son histoire, la compagnie
a souvent armé des navires aux Antilles et en Guyane françaises, à bord desquels embarquaient des marins locaux. Redevenue Compagnie générale maritime après sa fusion avec les Messageries maritimes, l’entreprise a exploité
ensuite un réseau mondial, qui n’excluait que la côte occidentale d’Afrique 1 .
Les lignes de long-cours ou de cabotage exploitées par la CGT, puis la CGM,
avaient généralement leur port d’armement en France métropolitaine 2 . Mais
certains navires, assurant des services locaux aux Antilles et en Guyane ou ne
regagnant qu’exceptionnellement l’hexagone, étaient armés sur place. Ces navires sont souvent quali és de stationnaires, par opposition aux navires longs
courriers affectés aux lignes transocéaniques. Ce sont ces stationnaires qui sont
étudiés ici, sur la période de 1930 3 à 1992 4 .
1. Plus récemment, en prenant le contrôle de l’armement Delmas, la CMA-CGM a réalisé un
réseau mondial.
2. Le Havre, Saint-Nazaire, Bordeaux, Dunkerque, Marseille.
3. Le présent travail est largement fondé sur la mémoire vivante. Les souvenirs les plus anciens
qui ont pu être recueillis sont rarement antérieurs à 1930.
4. La CGT est intégrée à la Compagnie générale maritime en 1976. La Compagnie maritime
d’affrètement – Compagnie générale maritime est constituée en 1996. Après 1992, les navires
exploités aux Antilles le sont sous pavillons étrangers.
9
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LA COMPAGNIE GÉNÉRALE TRANSATLANTIQUE
Comme les navires long-courriers, les navires de cabotage antillais étaient
pourvus d’une cheminée rouge à sommet noir et battaient le pavillon à boule
rouge portant l’inscription « Cie Gle Transatlantique ». Ces marques furent remplacées après 1976 par celles de la Compagnie générale maritime : une cheminée
blanche à sommet noir portant l’écusson CGM, gurant une étrave de navire de
couleur rouge chevauchant une vague bleue. À l’exception de quelques navires
entièrement peints en blanc, les caboteurs locaux avaient une coque de couleur
noire, alors que les superstructures et les pavois étaient peints en blanc.
L’histoire des navires locaux a été reconstituée à partir de souvenirs de marins antillais, guyanais et métropolitains, a n que ne disparaisse pas la mémoire d’une période encore proche mais révolue, pendant laquelle la navigation
dans la marine marchande, notamment aux Caraïbes, était bien différente de ce
qu’elle est devenue. La mémoire vivante a été complétée d’informations tirées
en grande partie de sources locales.
10
MEXIQUE
Carte sommaire du bassin caraïbe
11
500 km
OCÉAN PACIFIQUE
La Havane
PANAMA
Balboa/Panama
Cristobal/Colón
(Canal de Panama)
Carthagène
Jacmel
HAÏTI
Puerto Plata
COLOMBIE
Maracaibo
VENEZUELA
La Guaira
Cumana (Sucre)
Margarita
Port of Spain
Trinidad
Tobago
Grenade
CANADA
SURINAM
Paramaribo
Belém
BRÉSIL
New York
GUYANE
BRÉSIL
Saint-Laurent-du-Maroni
Iles du Salut
Cayenne (Dégrad-des-Cannes)
ÉTATS-UNIS
Vancouver
Georgetown (Demerara)
GUYANA
Sainte-lucie
Barbade
Saint-Vincent
Martinique/Fort-de-France
Guadeloupe/Pointe-à-Pitre
Marie-Galante
Dominique
Iles vierges
St-Thomas Saint-Martin/St Maartins
Saint-Barthélemy
Ponce
St-Christophe
Antigua
Porto-Rico
San Juan
OCÉAN ATLANTIQUE
Bonaire
Curaçao
Saint-Domingue
Ciudad Trujillo
RÉP. DOMINICAINE
Cap-Haïtien
s
aik
o
tK
MER DES CARAÏBES
( Mer des Antilles)
Barranquilla
Santiago de Cuba
Kingston
JAMAÏQUE
CUBA
Tur
ks
e
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AVANT-PROPOS
“transat_compo” — 2012/1/12 — 15 :52 — page 13 — #15
1
Les services postaux annexes
Dans le cadre de conventions avec l’État, la Compagnie générale transatlantique
a exploité depuis 1880 des services postaux entre la France métropolitaine, les
Antilles françaises et certains pays de l’Amérique centrale, ainsi que deux services postaux annexes, l’un vers le nord, l’autre vers le sud. Partant de Fortde-France, le service annexe nord touche Pointe-à-Pitre, certaines des petites
Antilles jusqu’à Porto-Rico, la République dominicaine, Haïti et Cuba. Partant
également de Fort-de-France, le service annexe sud touche certaines des petites Antilles jusqu’à Trinidad, les Guyanes française, hollandaise, britannique
et quelquefois le Brésil. Tous deux fonctionnent en liaison avec le service postal
transatlantique entre la France métropolitaine et Colón (Panama).
Le paquebot annexe quitte la Martinique après l’arrivée d’Europe du paquebot transatlantique et y revient avant l’escale de retour de celui-ci. Les deux
services postaux annexes sont interrompus par la guerre en 1939. Quelques
voyages sont effectués jusqu’en 1945, et par la suite, seul le service annexe sud
reprend jusqu’en 1949. De 1949 à 1951, une ligne Antilles-Guyane françaises
est maintenue dans le prolongement du service transatlantique.
Le service est assuré successivement par les paquebots Saint-Domingue (I),
de 1880 à 1916 ; Abd el Kader, de 1909 à 1922 ; Antilles (I), de 1913 à 1922 ;
Biskra, de 1922 à 1931 ; Antilles (I), de 1928 à 1936 ; Saint-Raphaël, de 1931 à
1934 ; Duc d’Aumale, de 1936 à 1949 ; Saint-Domingue (II), de 1934 à 1946 et
Gascogne de 1949 à 1952. Le paquebot Guyane, qui aurait dû prendre la suite,
n’entrera jamais en service. Sans compter ce dernier, six navires se succèdent
donc à partir de 1930 sur les services postaux annexes.
1. Antilles
Navire à passagers construit en 1912 par les chantiers de Penhoët (SaintNazaire), Antilles est mis en service par la CGT en 1913.
La coque est peinte en blanc. Le navire dispose de cabines très confortables
pour l’époque. Chargé dans les hauts, il possède la particularité de conserver de
la gîte, tantôt d’un bord, tantôt de l’autre, quel que soit son état de chargement.
Le second capitaine et le chef mécanicien doivent veiller avec une attention
permanente et dans le meilleur esprit de coordination à répartir l’eau, le charbon
et les marchandises de façon à ne pas augmenter catastrophiquement une gîte
inévitable. Les mauvaises langues prétendent que l’ingénieur responsable des
13
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LA COMPAGNIE GÉNÉRALE TRANSATLANTIQUE
études s’est suicidé, transposant ainsi dans le domaine maritime le drame du
cuisinier Vatel, déshonoré d’avoir manqué son chef-d’œuvre.
Parmi les officiers, plusieurs marins martiniquais sont embarqués, tels que
les lieutenants Éloi Ravaud, Ange Manioc et Georges Martinon. L’équipage du
pont, de la machine et du service général est composé de marins antillais.
Antilles navigue sur le service postal annexe des Antilles dès sa mise en
service.
1.1 – Le paquebot Antilles (croquis R. Jaffray).
Longueur : 85 m – 90,60 m
Largeur : 11,60 m
Creux : 6,60 m
Jauge brute : 2 343 tx
Port en lourd : 882 t
Passagers : 620
Machine à vapeur alternative
Puissance : 1 800 CV
Vitesse : 13,5 nds
Chaudière au charbon
Embarcations sous bossoirs
Radiotélégraphie
Sondeur mécanique
Pendant la Première guerre mondiale, il est pourvu d’un armement militaire
de bâtiment de commerce (ambc) 1 et équipé d’un canon de 47 mm. Ce qui lui
vaut d’être considéré comme navire de guerre par les autorités hollandaises, non
belligérantes, et d’être retenu à Paramaribo (Surinam). La venue d’un croiseur
français au large permet de reconsidérer la situation.
De 1923 à 1928, le navire demeure désarmé au Havre, puis reprend le service
aux Antilles.
□ Le 12 septembre 1928, un cyclone dévaste la Guadeloupe. Antilles arrive
à Pointe-à-Pitre le 18 et participe aussitôt à la réorganisation. En particulier, les
installations télégraphiques et radiotélégraphiques ayant été détruites, l’officier
radio Ganter écoule un important tra c de radiocommunications vers Fort-deFrance, relais vers le monde extérieur 2 . □
En 1933, succédant au Saint-Raphaël, Antilles fait dix voyages sur le service
annexe sud. Les années suivantes, il continue d’assurer un voyage mensuel sur
cette ligne. Il est retiré du service le 23 décembre 1936 et démoli à Saint-Nazaire
en 1938.
1. Une liste des abréviations est présentée en n d’ouvrage, p. 245
2. Les carrés blancs (□) en début et en n de paragraphe signalent les témoignages recueillis par
l’auteur (NdE).
14
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1. LES SERVICES POSTAUX ANNEXES
2. Biskra
Navire à passagers construit en 1914 à Middlesbrough (Grande-Bretagne),
ayant porté le nom de Asia sous pavillon grec, le Biskra est acquis par la CGT dès
1915-1916 pour ses lignes de Méditerranée. Il porte le nom d’une ville d’Algérie,
au pied du massif de l’Aurès. Sa coque est peinte en noir.
Pendant la Première guerre mondiale, le navire a une brillante histoire,
repoussant deux attaques de sous-marins allemands et coulant peut-être l’un
d’eux. Il navigue en Méditerranée jusqu’en 1922, puis est affecté aux AntillesGuyane. Il quitte Bordeaux pour Haïti le 8 novembre.
1.2 – Le paquebot Biskra (croquis R. Jaffray).
Longueur : 83,30 m
Largeur : 12,19 m
Creux : 6,85 m
Tirant d’eau : 4,70 m
Jauge brute : 2 218 tx
Port en lourd : 1 353 t
Passagers : 154
Machine alternative à vapeur
Puissance : 1 800 CV
2 chaudières à charbon
Vitesse : 13 nds
Embarcations sous bossoirs
Radiotélégraphie
Sondeur mécanique
□ En 1923, Biskra remplace Antilles sur le service postal annexe sud. C’est à
cette ligne qu’il va être le plus souvent affecté. Moins rapide et moins confortable
que son prédécesseur, il est moins apprécié de la clientèle, comme le rappelle
M. Tréhin, alors en poste au service technique de Fort-de-France. □
L’état-major comprend surtout des officiers d’origine métropolitaine, mais
des officiers du cadre local sont également embarqués : ainsi, François SaintOmer, Notrelet, Marc Donnat, Georges Martinon et Crévecoeur sont embarqués comme lieutenants vers 1930. Le personnel pont, machine et du service
général est presque entièrement antillais.
□ Gabriel Jeanne-Rose, embarqué de 1927 à 1930, raconte comment il est
devenu marin après une traversée comme passager à bord du paquebot. À la n
de ses obligations militaires dans l’armée de terre, le jeune homme est rapatrié
à la Martinique. Le maître d’hôtel du Biskra, ayant apprécié sa présentation, lui
propose de postuler pour un poste de garçon de salle à manger. Gabriel suit le
conseil et se porte candidat peu après son retour à Fort-de-France. En l’absence
de formation maritime et hôtelière, les critères de recrutement de la Transat sont
subjectifs. Le jeune homme est agréé sur sa bonne mine et embarque comme
garçon. Au bout de quelques mois, il s’aperçoit qu’il n’est pas fait pour ce travail,
qui exige trop d’obséquiosité. Mais il s’est habitué à la vie du marin et n’envisage
15
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LA COMPAGNIE GÉNÉRALE TRANSATLANTIQUE
pas de travailler à terre. Il demande donc de passer dans le personnel de la
machine. Il embarque comme soutier et deviendra chauffeur par la suite. Il a
troqué une fonction dans laquelle il devait ployer moralement l’échine pour
une autre dans laquelle il doit le faire physiquement. Les fonctions de soutier et
celle de chauffeur au charbon sont les plus dures parmi les métiers de la mer. Le
soutier sort le charbon de la soute et le place à la disposition du chauffeur. Le
chauffeur charge les fourneaux, règle la combustion et sort les escarbilles. Les
résidus sont repris par le soutier qui les remonte sur le pont et les jette à la mer.
Ce travail est exténuant, dans une chaleur extrême que l’on ne mesure même
plus. Un court instant de repos sous la manche à air donne un avant-goût du
paradis. Le personnel boit d’énormes quantités d’eau. Certains ont la tentation
d’y ajouter du rhum. Le quart 3 dure quatre heures, deux fois par jour, comme
pour tout le personnel du pont et de la machine. Il y a deux soutiers par équipe
de quart. Par la suite, Gabriel Jeanne-Rose embarquera sur des navires à moteur
ou les conditions de travail sont moins sévères. Malgré ses débuts très difficiles,
il dépassera l’âge de cent ans, en pleine possession de ses moyens.
Le Biskra dessert Fort-de-France, Saint-Laurent du Maroni, Cayenne et, au
retour, Demerara (Guyane britannique), ainsi que d’autres escales exceptionnelles. Les voyages les plus courts durent 17 jours et les plus longs 24 jours.
Jeanne-Rose se souvient également du transport de bagnards qui se fait dans
des locaux, spécialement mais sommairement aménagés dans les entreponts.
Ces passagers assez particuliers sont vêtus de treillis bien reconnaissables. À
Cayenne, la rivière s’est alors désenvasée naturellement et permet l’accostage à
quai, en ville. À Fort-de-France, entre deux voyages, le navire est désarmé 4 et
le personnel subalterne est débarqué. Les maîtres du pont, de la machine et du
service général recrutent parmi les marins du personnel journalier pour l’entretien. □
En août 1928, des dispositions sont prises pour le transport en Guyane de
militaires stationnés en Guadeloupe, en raison de troubles consécutifs à la mort
du député Jean Galmot 5 . Le transport est annulé in extremis, le calme étant
revenu.
□ Vers 1930-1931, Hermann Lamar, alors embarqué, se souvient d’un incendie survenu dans la machine au cours d’un voyage de retour de Guyane. □
En juin 1931, alors que des troubles se produisent à Saint-Jean-du-Maroni,
le Biskra amène des troupes coloniales à Saint-Laurent où il arrive le 22 du mois.
Le capitaine Bourdet, qui commande le détachement, a reçu du gouverneur
instructions de « prêter le secours de ses troupes pour contenir et, au besoin,
réprimer les désordres ».
3. Le quart est la période de base de l’organisation de la veille, de la navigation, de la conduite des
machines et de la sécurité. Étant de 6 heures à l’origine (le quart de la journée), il est maintenant
de 4 heures.
4. Placé en inactivité.
5. Député d’origine métropolitaine, ayant acquis une grande popularité en Guyane. Sa nonréelection, puis son empoisonnement avaient provoqué des troubles.
16
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1. LES SERVICES POSTAUX ANNEXES
□ Prudent Nicole, embarqué à la n de l’exploitation du navire, alors que
les rotations sont de 22 à 25 jours, évoque le transport de bagnards entre Fortde-France et Saint-Laurent du Maroni et, quelquefois, entre ports guyanais, par
exemple entre Saint-Laurent et les îles du Salut. Accompagnés de surveillants
intraitables, les condamnés ne donnent pas lieu à incidents notables. □
En 1931, le Biskra est désarmé au Havre. Il est utilisé pour l’entraînement
des pompiers du port et des personnels de sécurité des navires, ainsi que pour
des essais de matériaux résistant au feu. Après un incendie, l’arrière du navire
est détruit. Le paquebot est vendu en 1933 et démoli.
3. Saint-Raphaël
Navire à passagers construit à Newcastle en 1908, ayant porté le nom
d’Americano sous pavillon chilien et de Flora sous pavillon britannique, le
Saint-Raphaël est acquis par la Compagnie générale transatlantique en 1920. Il
porte le nom d’une ville du littoral méditerranéen de la France.
1.3 – Le paquebot Saint-Raphaël (croquis R. Jaffray).
Longueur : 80,20 m
Largeur : 11,58 m
Creux : 5,48 m
Tirant d’eau : 5 m
Jauge brute : 1 899 tx
Port en lourd : 1 700 t
Passagers : 151
Machine à vapeur alternative
Puissance : 1 065 CV
2 chaudières
Vitesse : 12 nds
Embarcations sous bossoirs
Radiotélégraphie
Sondeur mécanique
Le navire possède une disposition générale et des aménagements très particuliers. Les locaux à passagers occupent la totalité du pont principal, à l’exception de petites plages de manœuvre à l’extrême avant et arrière. Les cales ne
sont pas accessibles verticalement par des panneaux, mais par des ouvertures
verticales dans le bordé de coque. Les mâts de charge et les treuils sont disposés
au-dessus, à la verticale, en abord des coursives. La silhouette caractéristique
est marquée par une cheminée haute et étroite sur un rouf et une passerelle de
navigation placée très à l’avant et surmontée du mât de misaine.
Après avoir navigué en Méditerranée entre 1920 et 1931, le navire est affecté
au service annexe des Antilles.
Comme sur les autres paquebots stationnaires, l’état-major est composé
d’officiers du cadre général de la Transat, complété d’officiers du cadre local.
Parmi ces derniers, on trouve les lieutenants Georges Martinon, Marc Donat,
17
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LA COMPAGNIE GÉNÉRALE TRANSATLANTIQUE
Éloi Ravaud, Ange Manioc et Hermann Lamar. Le personnel subalterne est
presque entièrement d’origine antillaise.
À l’époque, le Saint-Raphaël, doyen des stationnaires en service aux Antilles,
est apprécié des passagers malgré ses installations modestes.
Après quelques voyages sur le service annexe nord, le navire demeure ensuite sur le service annexe sud.
Le 22 septembre 1931, en rade de Port of Spain (Trinidad), le tirailleur de
2e classe Kambou Sié, natif de Haute-Volta, venant de Cayenne et se rendant en
congé de convalescence à Fréjus, décède à bord.
Le 27 mai 1932, M. Ajoucef Amara Ben Othman, passager algérien embarqué à Cayenne et destiné au Havre, décède à bord alors que le navire se trouve
en mer. Le paquebot arrive à Fort-de-France le 4 juin.
En 1933, après deux voyages au sud, le Saint-Raphaël est remplacé par le
paquebot Antilles.
Le 9 novembre 1934, il est vendu pour la démolition.
4. Saint-Domingue (II)
Ce navire à passagers, lancé en 1911 à Sunderland (Grande-Bretagne) sous
le nom de Rawson, est acquis par la CGT en 1917 et rebaptisé Oregon. Devenu
Pologne en 1919, il prend nalement le nom de Saint-Domingue, déjà porté
entre 1890 et 1916 par un navire de la compagnie aux Antilles.
Après un désarmement de trois mois au Havre, le paquebot est placé, en
mars 1932, sur un service Bordeaux – Haïti – Porto-Rico.
De 1932 à 1934, le Saint-Domingue (II) navigue en Méditerranée.
En juin 1934, il est affecté au service postal annexe nord des Antilles, qui
dessert alors Fort-de-France, Pointe-à-Pitre, Saint-Barthélemy, Saint-Martin,
Saint-omas, San Juan, Santo Domingo, Jacmel, Les Cayes et Santiago de
Cuba.
L’état-major comprend 4 officiers du pont, 4 officiers de la machine, un
commissaire, un officier radio et un médecin. L’équipage du pont comprend un
maître, un charpentier, 12 matelots et un novice. L’équipage dans la machine
groupe 4 graisseurs, 6 chauffeurs, 4 soutiers. Au service général, on trouve un
maître d’hôtel, 2 écrivains 6 , un chef de cuisine, un cuisinier d’équipage, 2 aides
de cuisine, un chef d’office, un boulanger, un boucher, 18 garçons et une femme
de chambre. Au total, 59 marins sont embarqués. Cet effectif est quelquefois
dépassé. Les marins se rassemblent le soir autour du panneau de la cale arrière,
baptisé « la cour des miracles ».
□ En 1935, André Midelton fait deux voyages comme matelot, sous les
ordres du cdt Lescaret. Pendant le séjour à Fort-de-France, le personnel subalterne est, en grande partie, congédié. Les matelots désirant continuer à travailler
doivent être recrutés comme journaliers par le maître d’équipage. À bord du
Saint-Domingue, le bosco 7 Simoneau recrute en fonction des travaux à effec6. Secrétaires.
7. Maître d’équipage.
18
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1. LES SERVICES POSTAUX ANNEXES
tuer et de la compétence des candidats, mais aussi selon des critères personnels.
André Midelton, jeune matelot encore inexpérimenté, est choisi dès le premier
retour pour l’entretien de la cheminée et des mâts, travaux sales, pénibles et
même dangereux auxquels il ne répugne pas. Mais le jeune marin aimerait faire
aussi les travaux courants et, surtout, être maintenu au rôle en permanence. Simoneau le trouve trop jeune. Heureusement, le second capitaine apprécie le travail d’André, notamment ses travaux de matelotage soignés, et le recrute parmi
les permanents dès le second retour. Pas pour longtemps, hélas, car l’appel au
service militaire intervient. Par la suite, Midelton réembarquera. □
1.4 – Paquebot Saint-Domingue (photo cdt Loreau).
Immatriculation LH 1936
Indicatif d’appel FNTU
Longueur : 99,05 m
Largeur : 13,41 m
Creux : 6,70 m
Tirant d’eau : 6,68 m
Jauge brute : 3 090 tx
Jauge nette 1 827 tx
Port en lourd : 4 100 t
Passagers : 196
Équipage : 59-68
Machine alternative à vapeur
Puissance : 2 000 CV
Chaudière Hoden au charbon
Vitesse : 12,5 nds
Ventilateurs de tirage forcé 7 kg
Embarcations sous bossoirs
Radiotélégraphie
Sondeur Thompson Warluzel
Le 6 juillet 1937, l’équipage participe à la grève des inscrits maritimes.
Jusqu’en 1939, le Saint-Domingue demeure sur le service nord selon un
rythme mensuel, partant de Fort-de-France vers le 21 de chaque mois, pour revenir entre le 10 et le 12 du mois suivant. Outre les escales régulières, le voyage
peut comporter des escales occasionnelles, au total jusqu’à 25. Il y a souvent
plusieurs escales dans la même journée, en particulier sur la côte d’Haïti. Au retour, la correspondance avec le navire partant pour la métropole se fait souvent
à Pointe-à-Pitre et non à Fort-de-France.
19
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LA COMPAGNIE GÉNÉRALE TRANSATLANTIQUE
1.5 – Le commandant Loreau (photo Famille Loreau).
Pendant cette période, le navire est commandé par les cdts E. Loreau, B.
Ceccaldi (en remplacement), Toqué, et Orhand (en remplacement).
□ Le 4 septembre 1938, le jeune Laurent Boucain devient inscrit maritime
au quartier de Saint-Nazaire (ou sont inscrits les marins de la marine marchande
martiniquais) et embarque comme novice à bord du Saint-Domingue. Son père
appartient à la Transat. Lui-même peut fournir comme références d’avoir été
embarqué en navigation côtière à bord de la « pirogue » 8 Victoire entre Fort-deFrance et Trinité, par le canal de la Dominique. Le nouveau marin participe à
un voyage classique de Martinique à Cuba. Au retour, le chargement comprend
du bois de campêche, des traverses de chemin de fer, du cacao et du maïs.
Pendant le séjour à Fort-de-France, Boucain est victime d’un accident du travail,
faisant une chute près du panneau de la cale quatre. Il est soigné par le Dr
Bélier, médecin du bord, et par l’in rmier Saint-Aimé, puis envoyé à l’hôpital
Clarac. Guéri, le novice n’est pas réembarqué, mais placé en formation à terre
auprès de M. Bovin qui enseigne à quelques jeunes le matelotage, le piquage
de la rouille, la confection d’échafauds 9 , etc. Parallèlement, Laurent Boucain
8. Appellation martiniquaise pour un petit voilier non ponté.
9. Plancher maintenu horizontal par des cordages pour permettre le travail à l’extérieur de la
coque.
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1. LES SERVICES POSTAUX ANNEXES
apprend la boulangerie dans le cadre familial. Ce sera sa spécialité à bord par la
suite. □
À partir de novembre 1939, le service postal annexe nord est suspendu en
raison de la guerre et ne reprendra plus. Des voyages exceptionnels ont lieu à intervalle entre les Antilles françaises et les grandes Antilles. Le Saint-Domingue
commence à alterner des voyages au sud et des voyages au nord. Ainsi, il appareille de Fort-de-France :
– le 29 décembre 1939 vers Cayenne, avec 9 escales ;
– le 8 janvier 1940 vers Haïti et Cuba, pour un voyage normal ;
– le 6 février 1940 vers Haïti, pour un voyage court ;
– le 2 mars 1940 vers Cayenne et Saint-Laurent du Maroni ;
– le 23 mars 1940 vers Haïti et Cuba ;
– le 15 avril 1940, vers la Guyane, avec toutes les escales habituelles.
Le 28 avril 1940, à l’escale de Georgetown, l’aide de cuisine Ernest Rosemain
est débarqué malade et décède à l’hôpital.
Arrivé à Fort-de-France le 2 mai 1940, le Saint-Domingue en repart pour la
Guyane.
En juin et juillet 1940, le paquebot fait un voyage vers le Mexique pour
le rapatriement de Français. L’équipage comprend alors 89 marins. Les escales
sont Puerto Mexico, Veracruz, Santiago de Cuba, Port-au-Prince, Saint-omas
et Pointe-à-Pitre, avec retour à Fort-de-France le 11 août.
Après l’armistice, le Saint-Domingue continue sa navigation en mer des
Antilles avec l’autorisation des autorités anglaises et allemandes 10 . Il porte les
marques extérieures de navire neutre (le nom, en lettres de grande dimension,
entre deux pavillons français) peint sur le bordé au milieu de la longueur. Les
autorités françaises ont prescrit l’installation d’un dispositif de sabordage. Une
charge explosive est placée dans les fonds du navire. L’équipage la baptise « pété
bonda » 11 . La commande se trouve sur la passerelle. Les batteries d’accumulateurs du poste radio l’alimentent et une sécurité existe dans la machine. Selon
les instructions données au commandant, le navire doit être sabordé en cas de
risque de capture aussi bien par les forces alliées que par les forces de l’Axe. En
pratique, le risque majeur est celui d’un torpillage aveugle par un sous-marin
allemand. Avec le temps, le risque de capture par les marines alliées devient
important.
D’août à novembre 1940, le Saint-Domingue fait deux voyages vers Cayenne
et Saint-Laurent.
Puis le navire est à l’arrêt à Fort-de-France du 6 novembre 1940 au 2 janvier
1941. Le cdt de Fromont de Bouaille est alors embarqué.
□ Laurent Boucain est à bord en qualité de novice. Le paquebot est amarré
sur coffre 12 , face au grand quai, par le travers de l’hydrobase. Le novice participe
10. Le document dit navicert atteste la qualité de navire non-belligérant.
11. En langue créole, le mot « bonda » désigne les parties arrière, basses et charnues d’un individu.
12. Un coffre est un otteur cylindrique retenu au fond par une chaîne xée à un corps-mort.
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LA COMPAGNIE GÉNÉRALE TRANSATLANTIQUE
à la sécurité et à l’entretien. Il lui arrive d’assurer des liaisons entre le bord et le
quai dans une annexe qu’il manœuvre à la godille. □
Du 2 au 25 janvier 1941, le Saint-Domingue fait un voyage vers New York.
Des marins du commerce, au nombre de 55, sont embarqués comme passagers,
étant destinés à différents navires immobilisés dans des ports des États-Unis.
Après une escale d’une semaine, pendant laquelle des travaux sont effectués, le
paquebot regagne la Martinique en faisant escale à Pointe-à-Pitre.
Le conseiller général de Guadeloupe Paul Valentino, accusé « d’avoir, par
parole et par écrit, porté atteinte à l’intégrité du territoire national en temps de
guerre », est amené à Fort-de-France à bord du Saint-Domingue. Il est acquitté
par le tribunal militaire permanent le 29 janvier 1941, mais placé en internement administratif et ramené en Guadeloupe, puis aux Saintes.
En 1941, le marin Léon Saint-Gilles est trouvé pendu dans sa cabine.
Entre le 1er février 1941 et le 24 avril 1942, le Saint-Domingue fait 11 voyages
au départ de Pointe-à-Pitre et Fort-de-France vers Cayenne et Saint-Laurent du
Maroni, avec prolongation vers Belém (Brésil). Le cdt de Fromont de Bouaille
est embarqué.
Pendant le voyage de mars 1941 le navire touche Saint-Laurent, les îles
du Salut, Cayenne, Belém, Cayenne à nouveau, les îles du Salut, Fort-deFrance, Basse-Terre, Pointe-à-Pitre et Fort-de-France. Le courant sur la côte
des Guyanes est plus faible que normalement. À l’aller, lant 10,6 nœuds, le
navire a quatorze heures d’avance sur l’horaire à son arrivée dans l’estuaire du
Maroni. Le pilote de Saint-Laurent du Maroni n’a pu être prévenu par radiotélégramme du navire relayé par le télégraphe terrestre. Un marin pratique 13
local est embarqué pour la montée du euve et le pilote est rencontré à la crique
Coswijne.
À Cayenne, le commandant de la marine refuse le poste à quai, occupé par
un aviso, et les opérations doivent avoir lieu au mouillage du Larivot. Pour le
voyage vers Belém, l’agent de la CGT, M. Marty, est embarqué. À l’arrivée au
Brésil, le navire perd une journée au mouillage de Salinas, dans l’attente du
pilote. Il perd encore du temps en attente de chargement.
Le voyage d’avril 1941 ne comprend pas d’escale à Belém. À l’aller, 77 passagers embarquent à Fort-de-France, 39 à Saint-Laurent du Maroni. Le chargement aller comprend : 33 tonnes de farine, 71 de vins et spiritueux, 33 de
ciment, 80 de pommes et oignons, 80 tonnes de divers. À Cayenne, l’entreprise
Tanon qui assure la manutention manque de personnel quali é. Le bord fournit
des treuillistes et des chefs de panneaux 14 . Le rendement s’améliore radicalement avec l’utilisation des marins et passe de 4,5 t/h à 6,2 t/h. À Saint-Laurent
du Maroni, avec un tirant d’eau de 5 m (5,10 m en eau douce), le navire ne peut
s’approcher à moins de trois mètres du quai à cause de l’envasement. À la sortie
du Maroni, le feu de la bouée hollandaise est en panne et doit être remplacé par
une vedette portant un phare d’automobile. Le rapport de voyage contient cette
13. Marin ayant une connaissance pratique d’une zone donnée.
14. Chefs de l’équipe de dockers affectée à un panneau de cale.
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1. LES SERVICES POSTAUX ANNEXES
description pittoresque des opérations commerciales : « Le déchargement du
charbon accompagnait le déchargement de la farine. Ainsi, s’élevaient au-dessus
du navire deux nuages de fumée, l’un blanc, l’autre noir. Le noir retombait sur
les peintures blanches et le blanc sur les peintures noires. Au départ de Cayenne,
le navire est dans un état indescriptible. La présence de pieux sur l’arrière n’en
rehaussait pas l’éclat ». Au retour, 77 passagers embarquent à Cayenne. Le chargement comprend 80 tonnes de bois, 17 de peaux salées et 17 tonnes de rhum.
□ Le 14 septembre 1941, le paquebot, faisant route de Pointe-à-Pitre à Fortde-France, relâche aux Saintes. Une embarcation l’accoste et amène à bord le
conseiller général guadeloupéen Paul Valentino, gardé par des gendarmes. Placé
en internement administratif au fort Napoléon de Terre-de-Haut, il s’en était
évadé, avait été repris et devait être interné aux îles du Salut. À bord, M. Valentino est en cellule, par une température élevée et soumis à l’isolement. Le
cuisinier Armand Constant parvient à lui faire passer quelques vivres pour améliorer son ordinaire et fait transmettre des nouvelles à sa famille. Le prisonnier
est débarqué à l’île Royale où il restera jusqu’au 9 mars 1943, lorsque la Guyane
française ralliera la France combattante. □
En décembre 1941, l’arrivée du Saint-Domingue à Cayenne est attendue avec
impatience, car le stock de farine est épuisé. Le gouverneur prend des mesures
de rationnement. Le pain ne doit être vendu que rassis. Par la suite, des arrêtés
xent la quantité de farine à utiliser en fonction de l’arrivée des paquebots.
Le 28 mars 1942, par 11°36′N et 57°45′W, survient la naissance à bord de
Raymond Gabriel, ls de Auguste Delannon, commis greffier à Basse-Terre, et
de Gabrielle Bassières.
Jusqu’en février 1943, le Saint-Domingue fait des rotations de cinq à six
semaines entre Fort-de-France, Pointe-à-Pitre, Basse-Terre, Cayenne, SaintLaurent du Maroni et Belém. Le cdt Codet est à bord. En mars 1943, la Guyane
rallie la France combattante, mais comme les Antilles françaises restent dèles
à l’État français, les relations sont interrompues.
□ Au début de 1943, l’équipage, dont les sympathies vont de plus en plus
à la France combattante et aux alliés, craint que le commandant se conforme
à ses instructions de sabordage en cas de capture par un bâtiment allié. Selon
l’officier radio Ganter, il y a peu de chances que « pété bonda » puisse fonctionner, la sécurité placée dans la machine étant contrôlée par certains membres de
l’équipage. □
Entre le 16 février et le 9 mai 1943, le paquebot fait deux voyages entre la
Martinique et Puerto Plata.
Au second de ces voyages, le 14 avril, deux officiers, le premier lieutenant
Noël Legal de Kerangal et le deuxième lieutenant Louis Pichon « désertent »
pour passer à la dissidence 15 . Le paquebot est alors saisi par les autorités dominicaines. Des militaires se présentent à bord à la nuit tombée et saisissent les
15. Les objets personnels de M. Legal de Kerangal, demeurés à bord, sont remis à son épouse par
l’inscription maritime de Fort-de-France le 14 mai 1943. M. Pichon se présente lui même le 28
juillet pour récupérer son sac.
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LA COMPAGNIE GÉNÉRALE TRANSATLANTIQUE
quelques armes qui s’y trouvent. Les officiers et l’équipage sont arrêtés et détenus pendant plusieurs jours. Les locaux sont fouillés.
□ Les officiers, généralement en vêtements de nuit, sont conduits à la citadelle. Deux militaires entrent dans la cabine de l’officier radio Ganter. La présence d’un tract de la France libre lui vaut un traitement de faveur et il lui est
permis de se vêtir.
Ernest Pain, embarqué comme soutier, connaît l’incarcération à la fortalezza. Il y arrive vers 22 heures et est d’abord placé dans un local exigu avec de
nombreux autres marins.
André Midelton, embarqué comme matelot, est lui aussi conduit à l’intérieur du fort et installé dans un hangar situé sur un terre-plein dominant le
port. De là, on peut voir le Saint-Domingue. Plusieurs membres de l’équipage
enfermés ont acheté des coqs de combat et s’inquiètent de leurs volatiles qu’ils
n’ont pu emmener. Mais leurs craintes sont vaines, car les Dominicains se trouvant à bord nourrissent les animaux et organisent même des combats. Après
plusieurs jours, pendant lesquels les échanges diplomatiques sont intenses, les
marins sont libérés en n de journée et réembarquent. Au retour à bord, c’est
un spectacle de désolation. Tous les caissons, tiroirs et placards ont été vidés à
terre, mais ils retrouvent tous leurs effets personnels.
De crainte que les autorités dominicaines reviennent sur leur décision, le
dt
c Codet décide un appareillage immédiat. Les chaudières sont éteintes et il n’y
a pas d’éclairage. Le chef mécanicien Crenn fait allumer les chaudières, et dès
que la pression atteint 4 kilos, le Saint-Domingue appareille. L’hélice ne tournant
qu’à quelques tours/minute seulement, la manœuvre de sortie est difficile. Mais
la pression augmente et le navire peut atteindre Fort-de-France. □
En juillet 1943, les Antilles françaises rallient la France combattante. Le
Saint-Domingue abandonne son apparence de navire non belligérant et reçoit
un armement militaire de bâtiment de commerce (ambc), avec un canon de
75 mm à l’avant et un autre à l’arrière, ainsi que deux mitrailleuses de 12,7 mm,
servis par une équipe de 5 canonniers.
En juillet et août 1943, le Saint-Domingue fait quatre voyages à la Dominique, au cours desquels il ramène en Guadeloupe et en Martinique une partie
des dissidents antillais français. 755 sont embarqués le 2 août à Roseau pour
Pointe-à-Pitre, 368 le 3 pour Fort-de-France. Il ramène également des embarcations de pêche de type gommier 16 utilisées pour le passage à la dissidence.
Du 6 au 25 août 1943, un voyage touche la Guadeloupe, Puerto Plata (SaintDomingue), Ciudad Trujillo et Ponce (Porto-Rico). Des bœufs et de la farine de
manioc sont ramenés.
Le Saint-Domingue (II) fait ensuite cinq voyages sur la Guyane et le Brésil de
septembre 1943 à mai 1944. Ces voyages durent de 5 à 6 semaines et touchent
Cayenne, Saint-Laurent du Maroni, Belém et Port of Spain, avec retour à Pointeà-Pitre et Fort-de-France. Deux voyages font escale à Sainte-Lucie et un au Surinam. Aux Antilles, du sucre et du rhum sont chargés vers la Guyane. À Belém
16. Gommier : embarcation d’origine caraïbe taillée dans le tronc d’un gommier.
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1. LES SERVICES POSTAUX ANNEXES
il embarque des volailles. Le navire charbonne à Port of Spain, car le stock martiniquais est au plus bas. Le 16 octobre 1943, 20 engagés volontaires guyanais
sont embarqués à Cayenne, puis 50 le 21 mars 1944.
Le navire se rend aux États-Unis (Charleston ? Tampa ?) pour transporter
des dissidents de Sainte-Lucie et de Dominique.
Au cours d’une de ces traversées, le chauffeur Counali est emporté par une
lame. Traîné sur le pont, il est abandonné une dizaine de mètres plus loin par la
mer.
En juin et juillet 1944, le paquebot fait un voyage Fort-de-France – Curaçao,
puis un voyage Fort-de-France – Cayenne avec escale à Curaçao.
Du 18 au 30 août 1944, un voyage a lieu sur Ciudad Trujillo (SaintDomingue) pour en ramener du bétail sur pied.
□ À l’approche de la Martinique avec un chargement d’animaux vivants, le
matelot André Midelton est chargé de transférer un bœuf du pont avant au pont
arrière. Il passe un nœud coulant dans les cornes du quadrupède et l’oriente
dans la bonne direction. Il parvient à lui faire parcourir la coursive extérieure,
étroite, ce qui est déjà presque un exploit. Sur le pont arrière, encombré, l’animal
refuse d’avancer. Pour éviter un obstacle et laisser la place au bœuf, Midelton
commet l’erreur de monter sur le plat-bord de pavois, en se tenant d’une main à
la lière de tente, et exerce une traction sur le lasso, d’une main d’abord, puis des
deux mains. Le bœuf n’avance pas, mais tourne la tête, donnant du mou au lasso.
Midelton perd l’équilibre et tombe le long du bord, suspendu au lasso et donc à
la tête du bœuf. Personne ne l’a vu tomber. Il parvient à sortir de cette situation
critique en se hissant à la force du poignet, ce qui lui permet de poursuivre une
carrière qui fera de lui un maître d’équipage, puis un chef de la batellerie Transat
à la Martinique, carrière qui aurait bien pu s’achever ce jour-là. □
Un arrêt technique a lieu à Fort-de-France.
Du 4 décembre 1944 au 17 janvier 1945, le paquebot fait un voyage en
Guyane et au Brésil dans les conditions antérieures.
Fin janvier 1945, après avoir embarqué sucre et rhum au Robert (Martinique), il appareille de Fort-de-France le 26 pour Savannah (États-Unis) où il
arrive le 6 mars.
De mi-mars à mi-juin 1945, il effectue deux voyages classiques sur Cayenne
et Belém.
Du 30 juin au 8 août 1945, un voyage a lieu entre la Martinique et Savannah.
Le cdt Kerharo est embarqué.
Du 25 août au 6 novembre 1945, un voyage sur la Guyane, puis un voyage
sur Cayenne et Belém sont effectués, avec escales à Port of Spain. Le cdt Le
Rouzic est embarqué.
Du 11 novembre au 12 décembre 1945, deux voyages ont lieu vers Ponce
(Porto-Rico), avec escales à Pointe-à-Pitre.
Du 26 décembre 1945 au 5 septembre 1946, cinq voyages successifs sont
effectués vers la Guyane. L’un d’eux est très court, du 9 février au 1er mars,
et touche seulement Cayenne et Port of Spain. Les quatre autres comportent
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LA COMPAGNIE GÉNÉRALE TRANSATLANTIQUE
de nouvelles escales (Georgetown, Demerara, Sainte-Lucie), en plus des escales
habituelles. Les relations avec le Brésil diminuent, mais deux voyages touchent
encore Belém. Le cdt Bellance est embarqué à cette époque.
Le 23 février 1946, le Saint-Domingue se trouve au mouillage de Cayenne.
En ville, des militaires sénégalais attendent depuis des mois le rapatriement qui
leur a été promis, en métropole d’abord, puis en Afrique. L’exaspération croît
parmi eux. C’est la période du carnaval. Le 24, au « Dancing Palace », des Sénégalais causent du désordre ; certaines personnes présentes sont molestées. Le
25, de nouveaux désordres se produisent, en particulier au marché. Cayenne
se vide. Quelques Cayennais se réfugient à bord du paquebot. Les mutins sénégalais, ayant fracturé l’armurerie, disposent d’armes. Ils agressent la population : sept personnes sont tuées, une soixantaine blessées. Le gouverneur et le
commandant militaire décident l’évacuation d’urgence des Sénégalais à bord du
Saint-Domingue. Informés de cette décision, les intéressés se rassemblent assez
facilement et embarquent en n de matinée. Aussitôt, le Saint-Domingue appareille. Dans la précipitation, une partie des marchandises ne peut être déchargée
et revient à Fort-de-France. La traversée de retour se fait dans une atmosphère
tendue et inquiète.
Le 18 mars 1946, le syndicat des marins navigateurs de la Martinique
reprend une revendication, déjà plusieurs fois exprimée, qui concerne le logement des chauffeurs et des agents du service général. Après une visite
du capitaine Louisy-Dufer, inspecteur de la navigation, à Fort-de-France le
21 mars 1946, une permutation de trois locaux de couchage situés à l’arrière
permet de régler la plus grande partie du problème, mais laisse subsister le
problème de la chaleur anormale dans un poste. L’effectif de 69 personnes est
maintenu.
Au voyage suivant, en avril, moins de 100 tonnes de marchandises seulement sont chargées à la Martinique, où les stocks sont importants, tandis que
les besoins de la Guyane sont considérables.
Le 20 mai 1946, à 5 heures du matin, par 06°56′N et 56°38′W, le cdt Bellance,
informé par Mgr Marie, passager, constate le décès de M. Yves Pasquio.
À cette époque, 40 libérés du bagne sont transportés de Saint-Laurent du
Maroni à Fort-de-France en vue de leur rapatriement en métropole.
Le 29 août 1946, le chef cuisinier Auguste Brégeon décède à Fort-de-France.
Fin 1946, le Saint-Domingue (II) quitte les Antilles pour être affecté à la
Méditerranée.
□ André Celma embarque pour le dernier voyage, de Fort-de-France à Marseille, en octobre 1946. Des passagers antillais et guyanais font cette traversée.
En Méditerranée, le navire subit une forte tempête. La charpente du vieux navire craque énormément. À Marseille, Celma, qui découvre la métropole, va de
surprises en surprises. Il s’étonne de voir des prisonniers allemands. Il constate
le retour à une relative prospérité, par rapport à la Martinique. Ainsi, il achète
pour sa famille des ustensiles de cuisine, alors introuvables aux Antilles. Il est
rapatrié par le Sagittaire. □
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1. LES SERVICES POSTAUX ANNEXES
Quelques transformations ont lieu à bord. La jauge brute passe à 3 425 tonneaux.
En novembre 1946, un incendie se déclare à bord.
En 1948, le navire est utilisé sur la Corse. Il est vendu en 1949.
5. Duc d’Aumale
Navire à passagers de cabotage international, le Duc d’Aumale est construit
par les chantiers et ateliers de Provence à Port-de-Bouc en 1912-1913 pour la
Compagnie générale transatlantique. Son nom évoque le titre du quatrième
ls de Louis-Philippe 17 . Le navire a des caractéristiques voisines de celles des
paquebots Carthage et Timgad, avec une longueur moindre.
1.6 – Le Duc d’Aumale (photo Pierre Tréhin).
Immatriculation MA 873
Indicatif d’appel FNRU
Longueur hors tout : 110,09 m
Largeur : 15 m
Jauge brute : 4 452 tx
Jauge nette : 1 964 tx
Passagers : 312
Équipage : 88
2 machines à vapeur
pilon triple expansion
Puissance : 6 000 CV
4 chaudières cylindriques
Chauffe charbon
puis chauffe mazout (1923)
2 hélices
3 turbo/dynamos
8 embarcations sous bossoirs
Radiotélégraphie
Sondeur Thompson
Haut sur l’eau, le Duc d’Aumale est un navire sûr, dont les critères de sécurité
sont excellents pour l’époque. Ses cabines sont plus confortables que celles du
paquebot Antilles.
L’état-major comprend quatre officiers du pont, quatre de la machine, un
officier radio, un commissaire et un médecin. L’équipage du pont groupe un
maître, un charpentier et une dizaine de matelots ; l’équipage mécanicien un
1er chauffeur, quatre graisseurs, 6 chauffeurs, 3 soutiers ; le personnel du service général, un écrivain, un maître d’hôtel, un chef d’office, 30 garçons, une
17. Connu pour la prise de la smala d’Abd El Kader en 1843.
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