Métastase cérébrale d`un cancer de la prostate

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Métastase cérébrale d`un cancer de la prostate
CAS CLINIQUE
Progrès en Urologie (2001), 11, 1298-1301
Métastase cérébrale d’un cancer de la prostate :
régression sous traitement hormonal
Ahmed AMEUR (1) , Driss TOUITI (1), Brahim EL MOSTARCHID (2), Mohammed EL ALAMI (1) ,
Hassan JIRA (1) , Mohammed ABBAR (1)
(1) Service
d’Urologie, (2) Service de Neurochirurgie, Hôpital Militaire d’Instruction Mohammed V, Rabat, Maroc
RESUME
Les métastases du névraxe secondaires au cancer de la prostate sont des localisations
secondaires inhabituelles et exceptionnelles, rapportées dans moins de 4% des cas en
post-mortem. Les auteurs décrivent un cas inhabituel de métastase cérébrale d’un
cancer de la prostate survenant chez un homme de 44 ans ayant régressé temporairement sous traitement hormonal.
Mots clés : Cancer, prostate, métastases cérébrales, traitement hormonal.
Le cancer de la prostate est le plus fréquent des cancers
de l’homme de plus de 50 ans et constitue la deuxième
cause de mortalité par cancer chez l'homme après le
cancer du poumon [14]. Les métastases les plus fréquentes sont ganglionnaires et osseuses. Les lésions
secondaires viscérales et cérébrales sont inhabituelles,
rares et terminales, rapportés dans moins de 4% des cas
et souvent en post-mortem [3,4,6,11,12]. Les auteurs
rapportent un cas original de métastase cérébrale d’un
cancer de la prostate, qui a régressé temporairement
sous blocage androgénique complet.
OBSERVATION
EL. O. Khalifa, … 44 ans, a été hospitalisé en septembre
1998 pour des lésions osseuses rachidiennes d’allures
secondaires. Trois mois auparavant, le patient avait
accusé des douleurs vertébrales lombosacrées avec des
sciatalgies, bilatérales, avec troubles mictionnels de type
irritatif (pollakiurie et impériosité), associées à un amaigrissement d’environ huit kilogrammes. Quelques jours
après, le patient avait présenté des signes d’hypertension
intracrânienne avec céphalées, une baisse de l’acuité
visuelle et des vomissements. A l’admission, le patient
était en mauvais état général, pâle, apyrétique. Sa tension artérielle était de 13/8cmHg. Au toucher rectal, la
prostate était dure, augmentée de volume, nodulaire.
L'examen somatique était sans particularité, en particulier, l'e xamen neurologique. Les aires lymphonodales
étaient libres. Au bilan biologique, l’hémoglobine était à
4,2g/100ml, l’hématocrite à 12,4%. L’urée sanguine
était à 0,17g/l, la créatinémie à 6mg/l. Le taux de PSA
total était à 66,68 ng/ml. La vitesse de sédimentation
était de 25mm à la 1ère heure. La radiographie pulmo-
Figure 1. IRM du rachis lombaire montrant de multiples ano malies de signal diffuses infiltrant l’ensemble des vertèbres
d’aspect mixte lytique et condensante.
naire n'a pas montré d’images suspectes. A l’échographie pelvienne, la prostate était augmentée de volume de
35g avec des zones hypoéchogènes diffuses sans résidu
post-mictionnel. Les reins étaient de taille normale, sans
dilatation. Une biopsie échoguidée de la prostate avait
révélé, à l’histologie, un adénocarcinome bien différencié, score de Gleason 4. La radiographie du rachis avait
montré une déminéralisation osseuse vertébrale diffuse
confirmée à l’IRM thoraco-lombaire qui avait trouvé
une infiltration diffuse de la médullaire osseuse dorsolombaire et sacrée lytique et condensante (Figure 1). La
scintigraphie osseuse avait montré une hétérogénéité de
fixation de la voûte crânienne en l’occurrence l’os occipital avec une franche fixation du gril costal, la colonne
Manuscrit reçu : février 2001, accepté : juillet 2001.
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Adresse pour correspondance : Dr. A. Ameur, Service d’Urologie, Hôpital
Militaire d’Instruction Mohammed V, BP 1018, Rabat, Maroc.
e-mail : ahmed [email protected]
A. Ameur et coll., Progrès en Urologie (2001), 11, 1298-1301
Figure 2. Scintigraphie osseuse révélant une fixation hétéro gène du crâne (os occipital), gril costal, vertèbres et bassin.
Figure 4. TDM cérébrale de contrôle : absence de lésion
parenchymateuse.
Figure 3. IRM cérébrale : processus occipito-pariétal gauche
à déterminisme ostéo-dural.
lombaire, le bassin et les deux scapulo-humérales
(Figure 2).
Le fond d’œil avait retrouvé un œdème papillaire
important bilatéral. A l’examen ophtalmoscopique, il
existait une hémorragie rétinienne intermaculo-papillaire.
Une IRM cérébrale avait montré la présence d’un processus expansif de type extra-axial, pariéto-occipital
gauche, de signal tissulaire, globalement iso-intense,
comportant des zones hyperintenses hémorragiques.
L’injection de Gadolinium avait déterminé un rehaussement hétérogène modéré et avait souligné l’extension
dure-mérienne au contact. L’os occipital présentait une
lyse de sa table interne en infiltrant la dure-mère sousjacente. Ce processus s’accompagnait d’un important
effet de masse sur le parenchyme encéphalique sousjacent associé à un œdème diffus (Figure 3). Une transfusion du patient a été réalisée. Une corticothérapie à
base d'hydrocortisone, à la dose de 400mg/jour par
voie intraveineuse pendant une semaine puis relayée
par la prednisone par voie orale à l a dose de
1mg/kg/jour pendant un mois et un traitement hormonal à base d’acétate de cyprotérone pendant un mois
avec la goséréline 3,6mg mensuelle associée à une
radiothérapie de 30 grays sur les métastases vertébrales
de T12 à S1 ont été prescrits. Huit mois après, le nadir
du PSA était de 2,60 ng/ml. Les signes cliniques
s’étaient amendés avec une prise du poids au contrôle,
un scanner cérébral avait montré l’absence de lésion
parenchymateuse (Figure 4). Dix mois après, le patient
avait présenté une réascension du PSA avec accentuation des douleurs osseuses, rachidiennes et installation
d’une cécité. La TDM cérébrale avait noté des métastases parenchymateuses diffuses. Quelques semaines
après, le patient est décédé dans un tableau de
cachexie.
DISCUSSION
Le cancer de la prostate est le plus souvent découvert à
l’occasion d’un dosage de PSA pour des troubles urinaires ou révélés par une localisation secondaire. Les
métastases les plus fréquentes sont lymphonodales et
osseuses. L’extension lymphonodale est d’abord pelvienne puis rétropéritonéale. L’atteinte osseuse prédomine sur le squelette axial, touchant préférentiellement
la colonne vertébrale, les côtes et le sternum. Les autres
localisations (pulmonaire, hépatique, rénales, testicu-
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laires, surrénaliennes, cutanées, musculaires et caverneuses) sont exceptionnelles (4,5%) [5] et souvent terminales. Elles justifient rarement un traitement spécifique. Classiquement, l’atteinte neurologique liée au
cancer de la prostate est marquée par une compression
médullaire ou radiculaire en rapport avec une atteinte
vertébrale et/ou une épidurite métastatique pouvant se
mani fest er par une sciatique ou une paraplégie.
Toutefois, les métastases cérébrales (M.C) du cancer de
la prostate représentent un événement inhabituel et rare
rencontrées chez 8 patients sur 1314 soit 0,6% dans la
série de CHUNG à 5% [2, 3, 4, 7, 8, 11, 12, 13]. Ces
localisations secondaires sont le fait d’une dissémination hématogène ou d’une propagation de contiguïté à
partir de métastases osseuses du crâne. Chez notre
patient, la première métastase occipito-pariétale serait
secondaire à la métastase localisée au niveau de l’os
occipital retrouvée à la scintigraphie osseuse et à l’IRM
cérébrale, alors que les secondes localisations cérébrales diffuses, apparues dix huit mois après, seraient le
fait d’une extension hématogène. Ces M.C. pourraient
être isolées, sans autre localisation métastatique [7, 11]
ou entrant dans le cadre d’une maladie métastatique
généralisée (notre observation). Après une prostatectomie radicale, la localisation cérébrale peut constituer le
seul site métastatique, rapportée dans trois cas dans la
littérature [8, 9, 11].
Habituellement, les M.C. sont découvertes en postmortem. Parfois, elles sont synchrones ou révélatrices
d’un cancer de la prostate [2, 7, 13].
Cliniquement, elles revêtent des tableaux sémiologiques différents en fonction de la localisation cérébrale [1] et de l’existence d’œdème cérébral ou d’hémorragie cérébrale [3], sous-durale ou intraventriculaire
[12].
Elles se manifestent par des troubles cognitifs, agitation, syndrome confusionnel, aphasie, hémiplégie,
céphalées, cécité ou syndrome d’hypertension intracrânienne, comme pour notre patient. Le diagnostic topographique repose essentiellement sur l’imagerie par
résonance magnétique [1, 2], tandis que la preuve histologique repose sur la biopsie stéréotaxique [11] ou
par crâniotomie [2].
La prise en charge de ces patients repose sur le traitement de l’hypertension intracrânienne (corticoïdes,
diurétiques), la prévention des crises convulsives, le
traitement antalgique des douleurs osseuses vertébrales, le traitement d'une éventuelle anémie, la correction des troubles hydroélectrolytiques. Le traitement étiologique fait appel à un blocage androgénique
[10] associé à la radiothérapie cérébrale [5, 11, 15].
Celle-ci entraîne une régression des signes cliniques
avec modification de la survie. CHUNG [4] a traité deux
cas de métastases cérébrales sur quatre par une radiothérapie cérébrale et a noté une survie de plus d’un an
et demi. La chirurgie serait une alternative en cas de
métastase unique accessible permettant parfois une
longue survie [2, 10, 13]. Pourtant, chez notre patient,
le contrôle de la métastase cérébrale a été obtenu par
un blocage androgénique seul avec une survie de 18
mois.
HALL [8], sur une étude rétrospective de 740 cas de
M.C. de tout cancer primitif confondu, menée sur une
période de 20 ans, a remarqué que les M.C sur cancer
du rein seraient de bon pronostic, alors que celles sur
cancer de vessie ou de la prostate sont de mauvais pronostic avec aucune survie à 5 ans. A travers cette étude,
il a relevé les variables liées à une longue survie, qui
sont : le jeune âge, métastase unique, résection chirurgicale et la radiochimiothérapie.
Quant aux atteintes osseuses de la base du crâne, elles
représentent des localisations peu fréquentes et se font
par voie hématogène [5]. Il existe une atteinte osseuse
puis des parties molles sous-jacentes. Le début est progressif. La symptomatologie clinique est variée en
fonction du site anatomique lésé. Habituellement, elles
se manifestent par des déficits neurosensoriels associés
parfois à des algies. Le diagnostic repose sur l’examen
clinique, neurologique, ophtalmique, ORL, la tomodensitométrie et l’IRM. Ces atteintes répondent généralement à l’irradiation qui fait régresser les syndromes
neurologiques et douloureux dans 90% des cas. Il reste
quelques indications aux atteintes osseuses de la base
du crâne, d’un traitement chirurgical ou percutané
(Biopsie, thermocoagulation, fixation d’une lésion
instable ou exérèse de la tumeur).
CONCLUSION
Les métastases cérébrales du cancer de la prostate sont
rares, souvent découvertes en post-mortem. Leur diagnostic repose sur l’IRM réalisée devant des signes
d’appel neurologiques. Le traitement repose sur le blocage androgénique et la radiothérapie. Leur pronostic
est relativement mauvais.
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SUMMARY
Cerebral metastasis from prostate cancer: regression in response to endocrine therapy.
11. LIARENA I.R., ZABALA E.J.A., ACHA P.M., PERTUSA P.C.,
GARIBI U.J. : Cerebral metastasis of prostatic adenocarcinoma.
Hormonal control and review of the literature. Arch. Esp. Urol., 1991,
44, 831-832.
Central nervous system metastases from prostate cancer are
exceptional secondary sites, reported in less than 4% of postmortem cases. The authors describe an unusual case of cerebral
metastasis from prostate cancer in a 44-year-old man that tem porarily regressed during endocrine therapy.
12. SALVATI M., CERVONI L. : Carcinoma of the prostate : brain stem
metastasis as the only site of spread. Tumori, 1997, 836, 776-778.
Key-Words. Cancer, prostate, cerebral metastases, endocrine
therapy
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