Gravures un voyage dans l`Europe des XVIIe et XVIIIe siècles

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Gravures un voyage dans l`Europe des XVIIe et XVIIIe siècles
Les dossiers pédagogiques
du Service éducatif
Gravures
Un voyage dans l'Europe
des XVIIe et XVIIIe siècles
Choix de gravures de la collection Mancel
Giambattista Brustoloni, Venise : le Bucentaure quitte San Nicoló di Lido, vers 1766
Eau-forte, Musée des Beaux-Arts de Caen.
Dossier réalisé par les professeurs relais du Service éducatif : Annick Polin, professeur
relais Lettres, Gérard de Foresta, professeur relais Arts plastiques, Françoise Guitard,
professeur relais Histoire, Jean-Marc Léger, professeur relais 1er degré.
Disciplines concernées : Histoire, Lettres, Histoire des Arts
Niveaux : Primaire - Collège - Lycée
Musée des Beaux-Arts de Caen / Service Educatif
A. L’exposition : une sélection de gravures invitant au
voyage dans l'Europe des XVIIeme et XVIIIeme siècles.
Les graveurs se sont tôt attachés à représenter les lieux et les édifices prestigieux du monde occidental. Aux
XVIIe et XVIIIe siècles, de longues séries d'images sont ainsi imprimées dans un but souvent didactique, dressant
l'inventaire des ruines romaines les plus illustres ou montrant les châteaux royaux de France et les plus fameuses
villas de Toscane.
S'animant sous la pointe d'un Jacques Callot ou d'un Israël Silvestre d'une foule de personnages, la vue urbaine
constitue alors un genre en soi, œuvre d'art autant que document précieux sur l'architecture et les mœurs. Avec
Piranèse l'illustration archéologique se fait à la fois exacte et visionnaire tandis que l'anglais Stadler magnifie en
les relevant d'aquatinte les principaux monuments londoniens.
Assortis parfois de cartes et de plans, plusieurs albums du fonds Mancel déclinent ainsi à l'envi des vues de
Paris, de Versailles, de Venise, de Florence mais aussi de Stockholm ou d'Amsterdam, quelques unes des cités
phares de l'Europe aux XVIIe et XVIIIe siècles.
Pistes pédagogiques
1er degré
- Les techniques de la gravure et un exemple de gravure facile à faire en classe : le « dessinempreinte ».
- Les gravures de la collection Mancel : une invitation au voyage (applications en Histoire –
Géographie)
- La gravure, un moyen de diffusion, avant la photographie
2d degré
- les techniques de la gravure (la gravure en creux, la taille douce, la gravure sur cuivre, le burin, l’eau
forte, notion de gravure, épreuve, estampe…)
- la gravure, mode de reproduction et de diffusion
- la fonction sociale et politique de la gravure
- le trait
- les artistes voyageurs et le carnet de voyage / inventaire "touristique" / "Grand Tour" des villes
d'Europe / découverte de Rome et de ses monuments (pour les professeurs de langues anciennes) /
vues de Venise « vedutta »
- Architecture, urbanisme / perspective et panorama (codes et composition)
- L'esprit des Lumières (textes en écho), etc…
Dossier pédagogique : Voyage dans l’Europe des XVIIème et XVIIIème siècles, choix de gravures de la collection Mancel.
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Musée des Beaux-Arts de Caen / Service Educatif
B. Rappel : des gravures issues de la collection Bernard
Mancel
1. Bernard Mancel, un généreux donateur
Bernard Mancel naît le 6 janvier 1798, d’un père boulanger. Il a la passion des livres et à 18 ans s’associe avec le
libraire Augustin Clérisse.
Un libraire plongé dans la vie littéraire caennaise du XIXème siècle
En 1820, il obtient son brevet de libraire et crée sa propre maison au 87 de la rue Saint Jean à Caen, puis en
1829, au 66 de la même rue. Il se lance dans l’édition d’ouvrages d’intérêt local : poésie de Malfilâtre, histoire des
ducs de Normandie, de Guillaume de Jumièges, vie de Guillaume le Conquérant, de Guillaume de Poitiers,
histoire de la Normandie d’Orderic, Vital, en quatre volumes. Il est éditeur de la Société des Antiquaires de
Normandie, de l’historien caennais l’Abbé de la Rue, doyen de la faculté des Arts et membres de l’Académie des
Arts et Belles Lettres de Caen. Il publie en 1834 «Essais historiques sur les bardes, les jongleurs et les trouvères
Normands et Anglo-Normands». Grâce à son ami Guillaume Stanislas Trébutien (homme de lettres, orientaliste,
libraire et conservateur-adjoint de la Bibliothèque de Caen), il publie en 1845 «Du dandysme et de Georges
Brummel» de Jules Barbey d’Aurevilly et «Le dictionnaire du patois normand» d’Edelestand du Méril.
En 1850, il abandonne son commerce et s’installe au 14 de la rue de l’Engannerie. Il se consacre alors à ses
collections et fait de nombreux voyages entre 1830 et 1840.
Un amateur d’art à la tête d’une superbe collection.
En 1844, se tient à Rome la vente des collections du cardinal Fesch, oncle de Napoléon Ier, grand amateur d’art.
Joseph Fesch
Oncle maternel de Napoléon Ier, archevêque de Lyon en 1802, cardinal en 1803,
ambassadeur à Rome de 1804 à 1806.
Quitte Lyon à la chute de l’Empire pour se consacrer aux arts et aux lettres à Rome et réunit
à partir de 1815, dans son Palazzo Falconieri, via Giulia, un véritable musée.
Décède en mai 1839.
L’inventaire après décès conservé à l’Archivia di Stato à Rome, donne une liste
impressionnante de tableaux à l’unité ou par lots : sont recensés 17 626 objets et près de
16 000 tableaux.
«... Un libraire caennais achète pour 11 000 F, 40 000 estampes de toutes les écoles
réunies par le Cardinal Fesch en 300 portefeuilles...».
Article de 1844 du "Cabinet de l’amateur et de l’antiquaire».
En 1845, Mancel est de nouveau à Rome pour la troisième vente Fesch. Il achète des peintures, notamment «Le
Porc éventé» d’Adrian van Ostade, «St Sébastien et st Georges» de Pierre Paul Rubens, «Intérieur d’église»
d’Hendrick van Steenwick, « St Jacques» de Cosmè Tura, «Nature morte de fleurs et d’insectes» de Jacob van
Walscapelle, «La Vierge et l’Enfant» de Rogier van der Weyden…
Un formidable legs pour la ville de Caen
Bernard Mancel rédige quatre testaments entre 1863 et 1870. En 1870, dans son quatrième testament il lègue
tous ses biens à la ville (Mancel célibataire avait trois soeurs, l’une veuve et les deux autres célibataires). Il
décède le 25 mai 1872. Par délibération municipale de 28 juin 1872, ratifiée le 4 février 1874 par le ministre de
l’intérieur Mac Mahon, la ville de Caen accepte le legs.
La collection Mancel
En mai 1875, la Galerie Mancel, installée dans l’Hôtel de Ville, est ouverte au public. Dans trois salles de l’ancien
couvent des Eudistes, place de la République sont présentés 60 tableaux, 40 000 gravures, 300 manuscrits,
2 000 livres imprimés, des objets d’art, meubles, faïences et porcelaines.
En 1940, pour la protéger des risques de la seconde Guerre Mondiale, la collection est dispersée (les tableaux
sont emmenés à Juaye Mondaye et près de Vire avec ceux du musée, les gravures sont remisées dans une tour
de l’Abbaye aux Hommes, les livres et manuscrits confiés aux archives du département). Les objets d’art, restés
pour la plupart à l’Hôtel de Ville, disparurent lors du bombardement.
En 1970, la collection trouve sa place dans le musée des Beaux-Arts nouvellement construit dans l’enceinte du
château de Caen. En juin 1972, le musée organise une exposition «Hommage à Bernard Mancel».
Dossier pédagogique : Voyage dans l’Europe des XVIIème et XVIIIème siècles, choix de gravures de la collection Mancel.
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2. La collection Mancel
La collection de gravures du musée se compose aujourd’hui du legs Bernard Mancel (provenant pour l’essentiel
de la vente de la collection du Cardinal Fesch) qui constitue le cœur de la collection et auquel s’ajoutent des dons
postérieurs (Albums Buhot, gravures rassemblées dans un but iconographique, fonds Gombeaux pour
l’iconographie locale, don Delâtre, legs Jardin, achats de la commission Mancel et du musée).
La collection couvre la production graphique des pays européens du XVI ème au début du XIXème siècle. Elle
contient 492 volumes et 50 245 estampes :
- 190 pour les Français (Ecole de Fontainebleau, Callot, Nanteuil, Bourdon, Mellan, Demarteau,
Moreau le Jeune, caricatures de la Révolution, Daumier, Boilly, Garvarni)
- 99 pour les Allemands, Flamands et Hollandais (Aldegrever, Altdorfer, Dürer, Brueghel, Lucas de
Leyde, Cock, Goltzius, Rembrandt)
- 88 pour les Italiens (Mantegna, Raimondi, Roberta, Tempesta, Della Bella, Tiepolo, Piranèse...)
- 22 pour les Anglais (Gravure dite de manière noire et portrait) et Espagnols (Goya et Ribera)
Dans le fonds Mancel cohabitent :
- les oeuvres originales des grands peintres-graveurs et graveurs : Dürer, Callot, Rembrandt, Hollar,
Goya...
- les oeuvres d’interprétation d’après Rubens, Carrache, Le Guerchin, Raphaël, Titien, Van Dyck,
Poussin, Champaigne... (Le cardinal Fesch, ayant été un collectionneur de tableaux plus qu’un
amateur d’estampes, la collection accorde une grande importance à la gravure de reproduction, en
nombre plus important que la gravure originale) ;
- des volumes formant un tout homogène par exemple la Galerie Farnèse d’après Carrache, les
Batailles d’après Van der Meulen ;
- des recueils de portraits, de vues topographiques, des scènes de batailles, de costumes, de fastes
royaux, d’ornements...
Diverses techniques y sont représentées :
- bois,
- burin,
- eau-forte,
- manière noire,
- manière de crayon.
Les gravures sont soit collées dans des albums soit isolées et contre-collées.
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C. Les techniques de la gravure
Il est peu d'objets d'art qui soient aussi complexes que la gravure. D'une part, la fabrication mécanique s'ajoute à
la création de l'artiste; d'autre part, la gravure peut être à la fois une œuvre d'art originale et, du fait de sa
reproduction à de multiples exemplaires, un moyen de communication de masse. Par conséquent, elle s'adresse
autant à l'esthète qu'au grand public. Dans cette production qui, comprise au sens large, va de la photo de journal
à l'estampe d'artiste, il faut évidemment faire des distinctions. L'estampe se situe souvent aux confins de l'oeuvre
d'art; or, bien peu d'images gravées méritent ce titre. On ne peut cependant trouver aucune définition objective
qui soit exhaustive. Le fait qu'il y ait toujours eu des restrictions quant à l'appartenance de la gravure à ce qu'on
nomme « le grand art » oblige à se demander dans quelle mesure la gravure répond à la définition actuelle de
l'art. Les premières gravures furent produites pour populariser les œuvres d'art; il est certain aussi que ce
procédé a donné naissance à un nouvel art original. Il faut donc saisir à différents niveaux le rapport de la
fonction utilitaire de la gravure à sa fonction esthétique sous ses divers aspects (commercial, social, sémantique
et technique).
Née avec la Renaissance, la gravure s'est surtout affirmée comme l'art de la bourgeoisie dont elle diffuse les
genres et les thèmes, entre l'art aristocratique et l'art populaire. Pour l'artiste, elle dépasse de beaucoup ce cadre;
elle est un moyen d'expression riche qui a pu satisfaire à tous les styles, encore utilisé largement par les écoles
d'avant-garde.
(…)
D'un point de vue technique, on peut ainsi définir la gravure : après avoir entaillé une plaque de métal ou de bois
on obtient un dessin gravé qui, encré et passé sous la presse, peut être reproduit, à l'envers, sur un support. Or, il
est impossible actuellement de limiter la gravure à cette définition. La possibilité de reproduction est, à l'origine, le
fait essentiel de la gravure, de là ses grandeurs et ses misères.
(…) La reproduction n'est pas toujours le principal attrait de la gravure. Ceux-ci trouvent en elle un langage plus
puissant que celui du simple dessin et ses qualités plastiques déterminent souvent seules leurs essais dans cet
art.
1. Évolution technique de l'estampe en Occident : du criblé à la sérigraphie
Tout a son importance dans la réalisation d'une estampe, jusqu'à la presse, l'encre ou le papier utilisés. Pourtant
on définit généralement une estampe par le seul élément d'impression - gravure sur bois, sur métal (cuivre, zinc,
acier) ou sur pierre (lithographie) - ou par la technique utilisée pour tracer sur cet élément le dessin que l'on veut
reproduire : on parlera alors d'un bois de fil ou d'un bois de bout, d'un burin, d'une eau-forte, d'une pointe sèche,
d'une aquatinte ou d'un vernis mou, d'une autographie, d'une lithographie à la plume ou au pinceau. La
multiplicité des techniques de l'estampe a de quoi dérouter l'amateur. Elles sont pourtant le reflet d'une pratique à
la fois empirique et rationnelle, individuelle et collective, artisanale sous certains aspects, presque industrielle par
d'autres. Résultant de lentes mutations ou au contraire d'innovations ponctuelles aux conséquences parfois
considérables, les progrès techniques de la gravure ont toujours répondu à une demande, demande d'images
plus lisibles, plus nombreuses ou simplement plus belles. Retracer leur évolution n'est pas simplement introduire
à une meilleure appréciation du travail du graveur: c'est en réalité retracer un pan de l'histoire du goût.
La gravure en relief
Les premières gravures occidentales apparaissent dans les derniers siècles du Moyen Âge. Ce sont des gravures
sur bois, matière première peu coûteuse, facile à trouver et à travailler. Le procédé repose sur l'impression d'un
dessin en relief : le graveur en dégage les lignes à l'aide de gouges et de ciseaux. La planche est ensuite encrée,
la presse utilisée étant analogue à la presse typographique. Aussi la gravure sur bois se distingue-t-elle par
l'uniformité de ses noirs, sans nuances, qui présentent partout la même intensité, à la manière d'une page
imprimée. Elle se caractérise aussi par un dessin forcément linéaire. Très tôt, les gravures sur bois ont été des
oeuvres collectives, l'auteur de la composition n'étant pas forcément celui de la gravure proprement dite. Très tôt
aussi, les graveurs sur bois ont été proches des métiers de l'imprimerie (pourtant d'un siècle et demi postérieure),
dans un milieu assez clos sur lui-même, distinct et séparé de celui des graveurs en taille-douce, ce qu'expliquent
évidemment l'analogie des principes et l'usage du même matériel. Les uns comme l'autre évoluèrent assez peu
pendant trois siècles, seules l'habileté manuelle et une virtuosité accrue faisant la différence. En réalité, la
gravure sur bois apparaissait comme un art relativement mineur vers 1750, confiné aux affiches et à l'imagerie
populaire, aux reproductions à bon marché et aux illustrations courantes ou décoratives.
Survint alors un progrès considérable, le bois de bout, qui allait complètement la relancer. Jusque-là, on utilisait
des planches prises dans le fil du bois. En les formant de carrés pris dans le coeur d'arbres très résistants
comme le buis, assemblés ensuite pour former de plus grandes surfaces, on put désormais obtenir des planches
beaucoup plus résistantes, qui permettaient en outre des travaux d'une grande finesse, équivalente à celle de la
gravure en taille-douce. Le bois de bout résulte davantage d'une lente innovation, poursuivie tout au long du
XVllle siècle, que d'une invention précisément datée. (…) Cette nouvelle technique assura le renouveau et la
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formidable expansion de la gravure sur bois tout au long du XIXe siècle. Ni les principes ni la technique de la
gravure en relief n'ont fondamentalement changé depuis lors, à l'exception de l'introduction de nouveaux
matériaux pouvant remplacer le bois, en particulier le linoléum (on parle alors de linogravure).
Le métal avait parfois été employé en remplacement du bois, essentiellement pour la gravure d'ornementation. La
seconde moitié du XVe siècle a vu également fleurir, en France et en Allemagne, une technique de gravure sur
métal très spécifique, le criblé, où le relief est cassé par une multitude de petites bosses obtenues en le
martelant. II en ressort un noir uniforme tacheté de points blancs. II faut attendre le cas de William Blake (17571827), exceptionnel et sans lendemain (ses procédés, uniques, ne sont pas encore tous élucidés), pour retrouver
une gravure en relief sur métal d'une réelle valeur.
La gravure en creux : le trait
Comme le bois est le médium privilégié de la gravure en relief, le métal est celui de la gravure en creux ou
gravure en taille-douce, du nom de la presse utilisée. Le dessin est gravé en creux sur la plaque, d'un trait plus
ou moins large et plus ou moins profond qui donnera, à l'impression, des tonalités de noir différentes. Une fois le
travail de gravure achevé, on encre la plaque en passant dessus une couche uniforme, avant de l'essuyer
soigneusement. L'encre ne reste plus que dans le creux du dessin. La plaque est alors fixée sur le plateau de la
presse, et l'on pose dessus une feuille de papier humidifiée, le tout étant recouvert de tissu afin d'atténuer la
pression, très forte, qui s'exerce lorsqu'on fait passer le plateau entre deux rouleaux resserrés entraînant
l'impression du dessin encré de la plaque sur la feuille. Une dépression correspondant à la plaque, la cuvette,
caractéristique de l'impression en taille-douce, se forme sur la feuille (dite épreuve après impression). Le rôle de
l'imprimeur est donc essentiel dans la création d'une estampe en taille-douce, non seulement dans te choix, mais
aussi dans le dosage des matériaux. On peut ainsi essuyer imparfaitement une planche et obtenir des effets
d'encrage particuliers. Le travail est d'ailleurs parfois réparti entre plusieurs spécialistes, qui se partagent
l'encrage, la mise en place de la plaque et du papier sur la presse, l'impression, le séchage et la découpe
éventuelle des épreuves.
Dans l'estampe en creux, le dessin n'a été dans un premier temps qu'exécuté au trait, obtenu par une attaque
directe ou indirecte de la plaque, généralement du cuivre. On utilise dans le premier cas un burin, pointe de métal
taillée en losange, le copeau dégagé étant ensuite enlevé (ou « ébarbé »). Dans le second, la gravure est
mécanique et provoquée par le passage de la planche dans un bain d'acide, aqua fortis en latin, qui a donné le
terme d'eau-forte. La planche est d'abord recouverte d'une couche de vernis protecteur, résistant à l'acide. Le
graveur dessine à la pointe le dessin sur le vernis, ce qui laisse apparaître le cuivre. L'acide creusera te métal là
où il a été dégagé. Le vernis enlevé, la plaque présente un dessin en creux, différent toutefois dans sa
configuration microscopique de celle, beaucoup plus nette, d'un trait au burin. L'apprentissage de celui-ci est long
et délicat, le buriniste, à l'habileté et à la technicité reconnue, n'est souvent l'homme que de son seul métier. II en
va différemment de l'aquafortiste, le dessin à la pointe sur le vernis ne requérant pas une très longue formation.
Aussi, jusqu'au XIXe siècle, le burin a-t-il été généralement l'affaire de spécialistes (avec des connexions dans le
milieu des orfèvres), et l'eau-forte le procédé privilégié par les peintres graveurs, comme Rembrandt. Les
premières gravures sur métal, des burins, ont été imprimées en Allemagne peu avant le milieu du XVe siècle,
avant que la technique ne se répande rapidement dans toute l'Europe. L'attaque par l'acide, d'abord employée
pour la décoration des armures, ne trouva son application dans l'estampe que plus tard, l'eau-forte la plus
ancienne précisément attestée, due à Urs Graf, datant de 1513. Travail au burin et eau-forte furent les seules
techniques de gravure en taille-douce pratiquées durant la Renaissance, avec ta pointe sèche, variante du burin
où for emploie une fine pointe d'acier qui incise à peine le métal, et où on laisse de chaque côté du trait les fines
griffures de métal ainsi produites. L'encre se fixe dans ces barbes, et ron obtient ainsi une impression de velouté,
malheureusement limitée à quelques épreuves, te passage sous la presse finissant par les écraser. Remarquons
que tous ces procédés, comme ceux dont il va être question, peuvent être employés de façon concomitante sur
une même plaque.
La gravure en creux : la teinte
Dans tous les cas, le graveur ne dessine que des traits. Aussi rechercha-t-on d'autres techniques pour obtenir
des effets de teinte dès le XVlle siècle, la plupart des procédés n'étant cependant mis au point et abondamment
pratiqués qu'au XVllle. Le premier d'entre eux, la manière noire ou mezzotinte, fut inventé par un Allemand,
Ludwig von Siegen, en 1642, perfectionné peu après puis diffusé par le prince Rupert de Nassau. Le graveur
prépare sa plaque en la quadrillant de lignes constituées de grains réguliers au moyen d'un outil spécial, le
berceau. Si on tirait alors une épreuve de la planche, elle présenterait une surface d'un noir uniforme, dont la
qualité dépend de celle du grainage initial. C'est de ce noir que le graveur obtient ensuite son sujet, en dégageant
progressivement, avec des instruments adaptés, les blancs et les gris à partir du noir. Il inverse donc le schéma
habituel de l'estampe en taille-douce, qui consiste au contraire à dégager le noir du blanc. La mezzotinte devint
rapidement une spécialité britannique (on pariait couramment de « manières anglaises ») et resta, pendant près
d'un siècle, le seul procédé de teinte, avant d'être concurrencée par l'aquatinte, la gravure au pointillé et les
différents procédés d'imitation du dessin. L'aquatinte, variante de l'eau-forte, attestée au XVIIe siècle, n'a été en
réalité exercée qu'après sa « réinvention », en 1768. (…) On emploie, en guise de vernis, des grains de résine,
résistant eux aussi à l'acide, que l'on fait adhérer à la plaque par chauffage. L'acide creuse le métal autour de
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chaque grain, l'effet produit à l'impression étant analogue à celui d'un lavis uniforme. II est possible d'en varier la
teinte par la grosseur des grains utilisés, non d'obtenir un trait. Dans la manière de crayon, inventée en 1757 par
le Français Jean Charles François (1717-1769), et développée par ses compatriotes Gilles Demarteau (17221776) et Louis-Marin Bonnet (1736-1793), on attaque le vernis avec des outils particuliers, tige à trois pointes,
roulette dentelée, matoir. L'imitation d'une sanguine ou d'un pastel est réalisée à l'impression grâce à l'emploi
d'encres de couleur et de papiers ad hoc. II est parfaitement possible d'attaquer directement le métal : on parie
alors simplement de roulette, de gravures « aux outils », ou de pointillé lorsque le graveur se contente d'inciser la
plaque au moyen d'un ciselet, pointe longue et très finement aiguisée, multipliant les points plus ou moins serrés
afin d'obtenir, par leur accumulation, des teintes plus ou moins sombres. Le vernis-mou, dont il existe des
exemples datés de 1640-1650, fut lui aussi « réinventé », probablement par François, dans la suite de ses
précédentes expérimentations. Le vernis passé sur la plaque est rendu plus mou par l'adjonction de suif, et le
graveur fixe dessus une feuille de papier. Il dessine, le vernis adhérant à la feuille à l'endroit du dessin. Lorsqu'il
enlève la feuille, le vernis se détache en partie, la morsure de l'eau-forte, irrégulière, donnant un trait qui, à
l'impression, imitera celui d'un crayon. II n'y eut plus, par la suite, d'innovations techniques majeures, sinon le
perfectionnement des presses, et surtout la possibilité d'utiliser de nouveaux métaux pour les plaques, plus
résistants que le cuivre, en particulier l'acier, permettant ainsi des tirages beaucoup plus importants. La gravure
en taille-douce, comme la gravure en relief, avait pratiquement atteint sa maturité au début du XIXe siècle. (…)
La couleur
Dés l'origine, certaines estampes étaient coloriées à la main. La recherche d'une impression en couleurs s'étend
à tous les procédés. A la fin du XVe siècle on imprimait ainsi des gravures sur bois en plusieurs couleurs, grâce à
l'emploi de planches différentes, chacune déposant une couleur uniforme sur une même épreuve au fil de
passages successifs sous la presse (on parie alors d'impressions en camaïeu). En ce qui concerne la gravure en
taille-douce, deux techniques, après divers essais, furent parallèlement expérimentées puis pratiquées au XVllle
siècle. La première, inventée vers 1710 par Jacob Christoph Le Blon (1667-1741), met en oeuvre la théorie
newtonienne de la couleur. Une même épreuve est imprimée par une suite de plaques encrées de couleurs
primaires qui se mélangent les unes les autres. Dans la seconde, on encre une seule plaque avec les différentes
couleurs, en utilisant une boule de chiffons au bout d'un bâtonnet, la poupée, d'où le nom d'encrage à la poupée,
la méthode de Le Blon étant pour sa part quelquefois appelée « au repérage », puisque l'imprimeur doit indiquer
des repères sur l'épreuve afin de bien superposer les différentes plaques. (…)
2. La gravure, mode de reproduction ou mode d'expression
La gravure n'est pas née de volontés esthétiques mais de la nécessité pratique de multiplier les images, dans ce
même mouvement qui assurait la diffusion des textes par l'imprimerie. Sur ces origines très obscures on ne peut
faire que des hypothèses. A la fin du XIVe siècle, les gravures sur bois, ou xylographies, faisaient l'objet d'un
commerce de colportage, en particulier dans les lieux de pèlerinage. Le graveur était sans doute aussi imprimeur
et vendeur, et son principal souci devait être lucratif.
La vallée du haut Rhin au XVe siècle, Anvers au XVIe, la rue Saint-Jacques à Paris furent les grands centres de
diffusion de ces gravures d'un maigre intérêt artistique. Ces gravures commerciales n'ont jamais été le reflet d'un
art vraiment populaire, car les éditeurs, groupés en familles et en quartiers, diffusaient les thèmes les plus
rentables, à partir souvent de la mode parisienne.
Le plus notable effet de ce commerce fut de faire circuler dans toute (Europe certains thèmes et motifs. Les
mêmes vignettes typographiques illustraient les premiers livres des éditeurs flamands, allemands ou italiens ;
elles étaient, en outre, interchangeables. Au XIXe siècle encore, des gravures changeaient de titre selon
l'actualité. Ainsi apparaît l'un des traits essentiels de la gravure : sa mobilité. Ce commerce international de la
gravure, qui fut sa première raison d'être, permit la diffusion des thèmes plastiques de la Renaissance, les
échanges entre l'art du Nord et l'art italien.
On a peine à imaginer aujourd'hui l'importance de la gravure pour la diffusion des oeuvres d'art, dans un monde
qui ne connaissait ni les musées ni la photographie. C'est ce désir de diffusion des oeuvres qui suscita les
premières gravures florentines sur métal. La tradition attribue à l'orfèvre Maso Finiguerra (1426-1464) l'idée
d'encrer ses plaques incisées destinées à l'origine à faire des nielles, pour reproduire sur un papier le dessin de
ses couvres. Ainsi pouvait-il contrôler son travail, et fournir à ses clients ou à ses élèves des échantillons de son
style.
Ce même désir de populariser leurs œuvres décida Andrea Mantegna, puis Raphaël, à utiliser la gravure qui
apparaît ainsi comme indissolublement liée, dans son origine comme dans son principe, à l'éclosion d'un monde
où l'oeuvre d'art conquiert son indépendance, déborde le cadre des cours féodales et entre dans le circuit du
commerce international.
Dès Mantegna, la gravure atteint à une qualité qui la situe d'emblée comme un art presque autonome de
reproduction ; cependant elle assurera une fonction jusqu'à l'invention de la photographie en 1839 et la
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monopolisation du commerce de la peinture. Rubens, comme Raphaël, s'attacha des graveurs pour reproduire
ses oeuvres, pratique qui augmentait le prestige des peintres. Le rapport de ces gravures à succès dépassait
souvent celui des tableaux. Certains graveurs se disputaient l'exclusivité des reproductions des peintres en
renom.
Au XVllle siècle, les grands collectionneurs recouraient à la gravure pour faire reproduire leurs galeries, et la
plupart des peintres cultivèrent ce commerce. Avec Chardin et Greuze, on multiplia même les raretés capables
de valoriser les gravures. Depuis ce temps on distingue, entre les « états », les épreuves avant et après la lettre
(la légende), les « remarques » (esquisses jetées par le graveur sur la marge de sa plaque). La gravure acquiert
ainsi peu à peu une valeur intrinsèque.
Au XIXe siècle, la gravure est l'intermédiaire indispensable entre l'artiste et son client devenu anonyme. Entre la
disparition du mécène et l'apparition du marchand, la gravure de reproduction joue un rôle considérable, parallèle
à celui des Salons et des critiques d'art; les premiers marchands de tableaux font appel à elle pour illustrer leurs
catalogues. L'importance du mécène dans le développement de l'estampe s'est affirmée pareillement au Japon
où certaines gravures sont signées par l'amateur qui les a commandées avant de l'être par l'artiste.
Ce rôle de la gravure, complément et support commercial de la peinture de chevalet, posa avec acuité le
problème de la propriété artistique et inquiéta souvent les artistes. Déjà Dürer se plaignait d'être copié par l'Italien
Marc-Antoine Raimondi et l'on raconte que Mantegna aurait assailli et laissé pour morts deux graveurs qui le
copiaient outrageusement. C'est en Angleterre que la loi protégea le mieux les artistes, pour des raisons
strictement commerciales. En revanche, la Royal Academy n'admettait pas les graveurs en son sein, tandis qu'en
France le graveur Robert Nanteuil avait obtenu de Louis XIV, pour ses confrères, un statut d'artistes libéraux qui
leur permettait d'entrer à l'Académie, où ils étaient d'ailleurs assez souvent méprisés.
L'invention de la photographie entraîna à long terme la disparition de la gravure de reproduction. Elle se
transforma, avant de disparaître, en une gravure « d'interprétation », souvent à l'eau-forte. Cependant, la gravure
était devenue depuis bien longtemps autre chose qu'un simple moyen de reproduction, et les peintres l'utilisaient
de plus en plus comme un art original, à cause de la richesse de ses procédés. Si bien que pour l'artiste il y eut
toujours deux genres de gravures: l'une, moyen de reproduction pratique et nécessaire, l'autre, moyen
d'expression individuel non lié à la diffusion, tangage spécifique qu'ont utilisé, depuis le XVlle siècle, presque tous
les peintres.
Après la crise du milieu du XIXe siècle où la première formule fut condamnée, la seconde s'affirma avec plus
d'ampleur pour créer ce qu'on a appelé le « renouveau de l'estampe originale ». La gravure est alors assimilée au
tableau de chevalet, elle est avant tout une recherche d'artiste. Les tirages des épreuves sont limités, tous signés
de l'artiste, vendus par de rares marchands à un petit nombre de collectionneurs. Son prix, tout. en l'éloignant du
grand public qui n'en connaît généralement que les formes industrielles, composées à partir de moyens
photomécaniques, la rend abordable à une clientèle plus vaste que celle, réduite par la spéculation, des peintres
de chevalet. La gravure proprement dite, apanage aujourd'hui des artistes, s'est libérée en même temps qu'eux
de toutes ses servitudes sociales. Mais elle semble prisonnière de cette liberté dans un monde submergé
d'images d'où l'art est le plus souvent absent.
3. Fonction sociale de la gravure
Les procédés mécaniques qui entrent dans sa production n'ont jamais altéré le caractère magique de l'image.
Son succès vient de ce qu'elle pouvait satisfaire, à l'échelle sociale, les différents besoins de représentation de la
vie mythique.
Cette fonction apparaît dès les premières xylographies, essentiellement des crucifix et des images pieuses, qui
protégeaient leurs possesseurs. On garnissait de gravures, pour les mêmes raisons, l'intérieur de coffrets, on en
affichait au seuil des maisons ; les confréries faisaient graver leur saint patron, et les pèlerins se reconnaissaient
aux « drapelets » (petits drapeaux imagés) qu'ils arboraient. La première fonction de la gravure fut donc de
mettre à la portée de tous des images religieuses de caractère prophylactique.
Simultanément l'image gravée fut utilisée à des fins didactiques grâce aux almanachs et calendriers populaires;
ce fut le début d'une fructueuse production de moyens éducatifs: jeux, calligraphies, estampes documentaires.
L'art du graveur doit beaucoup à l'artisanat du cartier et du dominotier, qui fabriquent des cartes à jouer et des
motifs pour les papiers peints. L'un des premiers maîtres de la gravure sur métal est appelé à cause de ses
œuvres « Maître des cartes à jouer », et l'une des premières séries de gravures italiennes fut longtemps appelée
« tarots de Mantegna ».
La gravure trouva dans le portrait un champ d'activité vaste et logique. Les plus anciens sont dus à Dürer et au
Maître
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du cabinet d'Amsterdam. Les burinistes du XVlle siècle français en furent prodigues. Le portrait bon marché,
réclamé par une nouvelle clientèle bourgeoise, fut répandu avant la photographie par des procédés tels que le «
physionotrace ».
La puissance de l'image a fait de la gravure un instrument privilégié de propagande dans tous les domaines.
François ler avait utilisé (affiche illustrée. Louis XIV chargea les graveurs de magnifier sa gloire dans des recueils
qu'il remettait en présent aux ambassadeurs. On sait le rôle politique que joua la gravure sous la Révolution et la
véritable guerre graphique que livrèrent les Anglais contre Napoléon ler. Napoléon III doit en grande partie aux
estampes diffusées partout dans les campagnes la formation de la « légende napoléonienne » qui le porta au
pouvoir.
Les Jésuites utilisèrent largement la gravure pour conquérir la Flandre. De tout temps, mais plus particulièrement
au XVIIIe siècle, on demanda à l'image d'édifier ou de stigmatiser. William Hogarth, en Angleterre, fut le graveur
le plus attaché à détruire par la caricature les vices de son temps. La droite conservatrice anglaise, avec Isaac
Cruikshank (1756-1816), ou la gauche républicaine française, avec Honoré Daumier, eurent, grâce à la gravure,
des armes redoutables. C'est pourquoi les images furent souvent l'objet d'une censure plus stricte encore que
celle de la presse écrite ; elles apparaissaient plus agressives et étaient considérées déjà comme une « voie de
fait ». Rares furent les moments de liberté, en France au XIXe siècle, pour les caricaturistes des journaux.
A l'époque industrielle, le commerce s'empara de l'image pour en faire l'instrument essentiel de la publicité. Dès
le XVlle siècle, des gravures de mode étaient vendues pour divulguer les modes de la Cour. Par l'image, on
idéalise la condition féminine, on érige en critère le goût d'une classe. La gravure a été le plus efficace des mass
media qui véhiculent les idéologies.
Dans ce travail de propagande, l'information, longtemps dévolue à la gravure, n'était souvent qu'un prétexte. La
gravure de mode ou de mœurs, illustrée par Abraham Bosse au XVlle siècle, est en fait une image embellie d'une
société. On s'en rend mieux compte avec la gravure d'actualité pratiquée d'abord pour commémorer un
événement important ou une fête brillante. L'apparition des premiers quotidiens illustrés, en 1830, lia toute une
technique et un style à la reproduction des événements et des personnages du jour. II y eut, au XIXe siècle, des
artistes qu'on a justement appelés des « reporters-lithographes ».
Dans certains domaines cependant, la gravure tend à faire œuvre objective, quoique la fantaisie de l'artiste ôte
toute garantie scientifique aux informations données. C'est le cas des gravures topographiques - vues purement
descriptives, paysages de fantaisie de la Venise du XVllle siècle, « vues d'optique » au charme naïf, ou «
voyages pittoresques » romantiques. Pour les archéologues, elles sont une source précieuse mais incertaine. Les
cartographes sont aussi des graveurs et certains des plus anciens, comme Théodore de Bry (XVIe siècle), étaient
en même temps des ornemanistes.
La gravure quitte là le domaine de l'art pour pénétrer dans celui de l'information. Ce rôle lui a été repris par la
photographie ; cependant, dans bien des cas, on peut préférer les informations données par le dessin à celles,
apparemment plus rigoureuses, de la photo. Ainsi la gravure de mode a survécu longtemps à l'invention de la
photographie et les couturiers préfèrent souvent un croquis expressif, mettant mieux en valeur les détails du
vêtement, à la photo, qui privilégie le mannequin.
Aujourd'hui que la gravure s'est séparée des arts « utiles » pour devenir un art désintéressé, il s'en faut qu'on
puisse lui dénier tout rôle social. Comme succédané de la peinture, elle a toujours signifié, dans te décor d'un
salon ou les cartons d'un amateur, un certain niveau culturel. Le choix d'une gravure caractérise souvent une
position sociale et intellectuelle, comme en témoignent les romanciers du XIXe siècle. Utilisée comme décor, la
gravure manifeste encore l'appartenance à une classe, depuis les « chromos » accrochés dans les maisons
simples, aux « posters » des chambres d'étudiants. Les « multiples » cherchent aujourd'hui à rendre à la gravure
sa fonction décorative de qualité.
Ce rôle social est proche du rôle décoratif. Plus que la peinture, lieu de recherches originales, la gravure a été
souvent un art décoratif. Des motifs d'orfèvrerie ou des papiers peints, on tirait des objets décorés de toutes
sortes, tels les recueils de motifs que publiaient les graveurs ornemanistes et où les artisans venaient puiser.
L'école de Fontainebleau au XVIe siècle était essentiellement une école d'art décoratif cherchant à imposer en
France les thèmes d& la Renaissance italienne.
Mais parfois les artistes demandent leur inspiration aux gravures des autres pays et des autres époques. On sait
l'influence des estampes japonaises sur les principaux peintres de la fin du XIXe siècle. II faut rappeler enfin le
rôle essentiel que- joue la gravure dans ta création artistique elle-même. « Un peintre se nourrit de gravures », du
moins était-ce la règle, laborieusement inculquée dans les ateliers.
4. Langage et signification
L'intérêt de la gravure et sa richesse viennent en grande partie de ce que ses fonctions utilitaires ne l'ont jamais
empêchée d'être simultanément un art original et non fonctionnel. De là les insolubles querelles entre graveurs et
artistes, qui se reproduisirent en 1839 entre graveurs et photographes, pour savoir si la gravure appartient ou non
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à un art. Cette réticence vient surtout de la présence d'un élément mécanique qui entre dans la fabrication des
gravures et qui semble s'opposer à la notion de création individuelle. La fonction d'abord reproductrice de la
gravure a trompé bien des esprits. En termes linguistiques, on a pu croire - l'intervention mécanique étant
surestimée - que la gravure n'avait d'autre possibilité que de produire un signe analogue au référent: c'était
évidemment le cas des nielles où le motif d'orfèvrerie était rendu intact par le tirage sur papier. Dès que l'on quitte
ces exemples grossiers, l'illusion devient évidente. Le référent ne se confondit pas longtemps avec le motif
reproduit. Ainsi, une gravure de portrait ne reproduit pas que les traits d'un visage mais toute une personnalité
avec ses caractères et ses goûts. L'art se situe entre le rendu exact du motif- qui est affaire de praticien ou de
machine - et l'adjonction de notations discrètes. Pour rendre la complexité du référent, la reproduction doit
dépasser de beaucoup le produit mécanique qui ne rend que le sujet « dénoté ». Pour ajouter à ce sujet neutre
(de nature descriptive) les notations qui révéleront sa totalité expressive, le graveur-artiste doit avoir recours à
une infinité d'artifices souvent indéfinissables (choix du sujet, échelle, composition, écriture, profondeur des
tailles, lumières, stylisation, encrage) qui sont proprement le langage de l'art et que seuls son talent et son
intelligence peuvent lui fournir.
Dans la mesure où l'artiste est prisonnier de la technique indirecte de la gravure, soit qu'il y accorde trop, soit qu'il
en tire des effets faciles, la production gravée sera plus irrégulière mais aussi plus vaste que celle de la peinture
dont elle s'inspire généralement. La gravure et la peinture suivant une évolution analogue peuvent être mieux
connues l’une grâce à l'autre. Peintres et graveurs ont toujours collaboré ; bien des tableaux perdus ne sont
connus que par leur reproduction gravée. Par leur nombre, les gravures aident à retracer les évolutions, les
inspirations, les courants, dont les toiles ne fournissent que des jalons.
La gravure est issue de la même civilisation qui a vu naître la peinture de chevalet, et suscita un art destiné à une
clientèle plus vaste. La peinture reste le privilège d'une aristocratie et la gravure a toujours marqué une
prédilection pour les thèmes ordinaires adaptés à la légèreté de son support. On accorde moins d'importance à
une gravure qu'à un tableau et l'on y représente plus volontiers des thèmes plus bourgeois que nobles qui
paraîtraient triviaux en peinture et se trouvent en bas de la hiérarchie des genres reconnue dans l'art classique.
Ainsi en est-il de la gravure japonaise au XVlle siècle ; les nouvelles classes remplaçant la féodalité, tout en
continuant j de préférer la peinture, trouvèrent dans l'estampe une expression du « monde éphémère » en rapport
direct avec leurs préoccupations quotidiennes, simples scènes de genre, séries érotiques, portraits d'acteurs, et,
à partir du XIXe siècle, avec Hokusai et Hiroshige, paysages.
La gravure occidentale s'est aussi illustrée dans ces genres, qu'on peut appeler « bourgeois » : le portrait et la
caricature, par exemple, le paysage aussi dans le XVlle siècle hollandais et le XIXe siècle français, la scène de
genre surtout. Celle-ci apparaît dès le XVe siècle avec Martin Schongauer qui représente des paysans allant au
marché ou des ouvriers orfèvres se battant.
L'iconographie, particulièrement développée et riche, de la gravure, lorsqu'elle n'est pas reproduction de peinture
de « grands genres », conduit généralement à la société qui l'a suscitée, et offre un répertoire complet de ses
goûts et de ses aspirations.
Dans la gravure populaire, les connotations par lesquelles l'artiste veut exprimer l'indicible sont généralement trop
grossières ou explicites pour donner lieu à un art raffiné et puissant. Rares sont ceux, comme Daumier ou comme
certains r dessinateurs d'affiches modernes, qui savent, par des moyens graphiques frappants, créer une
imagerie destinée au grand public sans altérer la qualité de leur art.
Chez les meilleurs graveurs, les styles propres à la gravure peuvent être utilisés comme un langage, si la
technique est parfaitement maîtrisée à des fins expressives.
Dans le goût classique, le choix de la gravure comme medium correspondait, par sa rigueur, la netteté de son
écriture, aux aspirations scientifiques de l'art et à un monde hiérarchisé, où il fallait croire à un ordre des choses,
sublimé par leur représentation cohérente dans l'espace. Le burin était l'instrument privilégié de ce langage.
D'autres moyens mieux adaptés ont permis à l'artiste d'exprimer le monde moderne. Par l'eau-forte baroque ou la
lithographie romantique, l'artiste a pu exprimer plus spontanément son être intime, et dissoudre peu à peu la
réalité tactile. Le choix de la technique prend alors de plus en plus d'importance au fur et à mesure que la forme
se libère,
L'art de la liberté, où l'artiste exprime un inconscient personnel et non plus collectif, fut difficile à admettre par le
public bourgeois de la gravure, tant que cette liberté ne compta pas au nombre de ses propres mythes. Cet art
aboutit aux formes diversifiées et incontrôlables de la gravure actuelle, demeurée en majeure partie fidèle à
l'abstraction.
La multiplication et la combinaison infinies des techniques font que le choix du medium est, à lui seul, devenu
significatif, et que la signification ne réside plus tant à l'intérieur de l'oeuvre que dans sa relation, choisie par
l'artiste, entre son existence et sa situation.
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5. Gravures et styles
II apparaît que les procédés de gravure peuvent se multiplier à l'infini. Cette richesse a permis à la gravure de
s'adapter à tous les styles, et d'être redécouverte par les artistes à chaque époque.
La Renaissance trouva dans la gravure le moyen de poser différemment les problèmes de géométrie de l'espace
et de sa représentation rigoureuse. Le Strasbourgeois Schongauer fut l'un des premiers à s'affranchir de
l'orfèvrerie pour considérer la gravure en elle-même, mais c'est Dürer qui donna toute sa souplesse à la ligne.
Celle-ci semble économisée et personnalisée dans ses compositions qui ne sont plus touffues mais rationnelles
et géométriques. Avec peut-être moins de technique mais un sens artistique plus développé, les Italiens ont
cherché le rendu net de l'espace par les formes gravées. Si dans la Bataille d'hommes nus, la plus ancienne
gravure italienne sur métal qu'on puisse attribuer à un peintre, Antonio Pollaiuolo (1431 env.-1498) ne réussit
qu'une merveilleuse composition d'ensemble où les plans se dégagent mal, Mantegna parvint à donner à ses
personnages l'aspect sculptural qui caractérise son style. Le classicisme triompha très tôt en gravure et les
artistes du Nord, comme Lucas de Leyde (1494-1533) l'adoptèrent rapidement.
Le maniérisme, avec ses goûts décoratifs, chercha des formules plus souples, mêlant l'eau-forte au burin. En
1520, le Parmesan fut le premier à l’utiliser en Italie. Les formules italiennes trouvèrent une ligne ondoyante qui fit
fortune aux Pays-Bas, avec Hendrick Goltzius (1558-1617) par exemple. La gravure a largement contribué à
répandre, au milieu du XVIe siècle, un style maniériste international.
Les artistes baroques demandaient plus de mouvement et de sensibilité. La gravure dut se prêter à leur écriture
ouverte et libre. Jacques Callot joua subtilement sur la composition des vernis et les morsures de l'eau-forte. Ses
procédés permirent à Claude Lorrain de traiter des impressions d'atmosphère dans des paysages à l'eau-forte,
tandis que Van Dyck, dans son Iconographie, inaugurait le portrait moderne où le caractère est rendu par une
ligne rapide et résolument libre. Incompris, il dut terminer sa série au burin. Les clairs portraits de Van Dyck
s'opposent aux eaux-fortes de Rembrandt qui découvrit les riches possibilités du procédé. Grâce à la liberté
acquise par la ligne, alliée à la puissance de contraste du papier blanc et de (encre noire, ce dernier crée un
univers complexe qui semble se dissoudre dans le clair-obscur.
Les écoles se libèrent alors de (emprise italienne. Les Hollandais découvrirent, par réaction esthétique, (équilibre
de leurs paysages. La gravure anglaise apparut vers 1600. A Bologne, les Carrache travaillaient au burin mais
avec un système de lignes plus ouvert. Le classicisme français du XVlle siècle se manifesta surtout par une série
de portraitistes virtuoses qui demandèrent tout à la belle taille « rangée » et affirmèrent la prééminence de la
ligne dans la gravure.
Les artistes modernes attendent des techniques de la gravure d'accroître la distance qu'ils entendent mettre entre
le réel et eux, grâce aux nuances tirées des leçons de Rembrandt. Au XVllle siècle, Giambattista Tiepolo réussit à
faire passer dans la gravure, par la rapidité de sa ligne et la légèreté de sa taille, la « blondeur » vénitienne,
tandis que Piranèse obtenait des effets aussi riches des contrastes violents entre les masses solides et les effets
de lumière. Tiepolo, qui avait produit une série de Caprices, mourut à Madrid en 1770. II y fut connu de Goya qui
donna, dans un pays troublé par les guerres, une nouvelle dimension au langage de la gravure. Ses
compositions inquiétantes sur fond d'aquatinte utilisent la gravure comme moyen de traduire le fantastique et la
laideur, qui fait son entrée dans l'art.
C'est certainement par les libertés graphiques de la caricature que la gravure eut le plus grand rôle dans
l'évolution de l’art moderne. Alors qu'une caricature semblerait encore inconvenante dans la « grande » peinture,
le genre s'en répand en Angleterre puis en France, par la gravure. C'est ta réaction d'un milieu libéral contre
l’absolutisme politique st l’académisme esthétique. La lutte durera pendant tout le XIXe siècle. Après Goya, c'est
Delacroix qui porta les meilleurs coups avec son Faust, d'un graphisme réellement endiablé, incompris de la
plupart de ses contemporains. Pourtant cette libération des formes, exprimant tout à la fois relief et mouvement,
permit les créations de Picasso. Le dynamisme devenait valeur esthétique. La ligne schématique, les
compositions vigoureuses de Daumier contribuèrent à ce changement de valeurs. La gravure révèle la
profondeur de ce mouvement stylistique qui ne veut plus être soumis à la réalité mais désire marquer toute la
soumission que la réalité doit à la liberté créatrice de l’homme.
A partir du milieu du XIXe siècle, la commercialisation de l’image abandonne à l'estampe le domaine de la
création artistique pure. (…)
D'après Michel MELOT, Article de l’Encyclopédie Universalis, 2007, extraits
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D. Graveurs et vues de ville aux XVIIème et XVIIIème
siècles
1. Jacques Callot
(Nancy 1592 - Nancy 1635)
Né à Nancy en 1592, Jacques Callot est le fils de Jean Callot, héraut d'armes du duc de Lorraine Charles III. En
1607, son père le met en apprentissage pour quatre ans chez l'orfèvre Demange Crocq auprès duquel il apprend
le dessin avec Jacques de Bellange. Sa première gravure connue, un Portrait de Charles III, est datée de 1607.
Lors d'un séjour à Rome qui se situe entre 1608 et 1611, il se perfectionne dans l'art de manier le burin chez
Philippe Thomassin, un graveur originaire de Troyes.
En 1612, il s'installe à Florence et en octobre 1614, le jeune Lorrain obtient des subsides de la Cour des Médicis et
un atelier aux Offices. Commence alors une période d'intense activité qui va durer sept ans. L'architecte Giulio
Parigi, chargé en particulier de la mise en scène des grandes fêtes ducales, lui enseigne la perspective. Il dessine
beaucoup et réalise plusieurs suites et gravures isolées, parmi lesquelles L'Éventail et La Foire d'Impruneta, une
planche comportant quelque mille trois cents figures humaines et animales.
Après la mort de Cosme II de Médicis en 1621, Callot perd sa pension et, comme beaucoup d'autres artistes
étrangers, doit quitter la Cour de Florence. Il s'établit à Nancy où il grave de nombreux dessins inspirés par la vie
florentine et la commedia dell'arte, en particulier la série des Gobbi et celle des Balli di Sfessania.
À partir de 1623, Callot reçoit un soutien financier du duc de Lorraine. Il grave Le Combat à la Barrière donné en
1627 au palais ducal de Nancy en l'honneur de la duchesse de Chevreuse, un carrousel dont il est avec le peintre
Claude Deruet le principal ordonnateur. L'infante Isabelle, gouvernante des Pays-Bas, lui commande en 1626 le
Siège de Breda pour célébrer la victoire de l'armée espagnole sur les Provinces-Unies. Composée de six
planches, cette gravure virtuose propose un plan synoptique du siège en combinant des éléments de cartographie
et de scénographie. Plus tard, il réalisera sur ce modèle le Siège de Saint-Martin-de-Ré et le Siège de La Rochelle
commémorant les victoires de Louis XIII sur les Huguenots.
La collaboration avec l'éditeur Israël Henriet lui fournit l'occasion de faire plusieurs séjours à Paris entre 1628 et
1631.
Définitivement de retour à Nancy en 1632, il assiste à la fin de l'indépendance du duché de Lorraine. Les fameuses
eaux-fortes des Grandes Misères de la Guerre, ― dix-huit pièces décrivant tous les aspects de la vie militaire, de
l'enrôlement jusqu'aux scènes de pillage et de châtiments corporels ―, sont publiées en 1633 par son ami Henriet.
Callot meurt le 24 mars 1635.
Ses gravures le mettent au rang des plus grands maîtres lorrains du XVII ème siècle aux coté de Claude
Gellée et de Georges de La Tour. Ses gravures, essentiellement des eaux-fortes - technique qu'il
perfectionna - sont répandues dans toute l'Europe et font preuve d'une maîtrise exceptionnelle :
extrêmement chargées, composées d'innombrables personnages mais ne sacrifiant jamais au détail le
sujet lui-même.
« Quand on regarde une gravure de Callot, on éprouve une sensation d’aisance, d’air, d’espace ;
on a l’impression de respirer ».
Daniel Ternois
* Au fil de sa carrière, Callot grave de plus en plus de paysages. Dans la grande majorité des cas nous sommes
en présence d’œuvres mixtes qui sont à la fois des scènes de mœurs ou de guerre et des paysages. C’est le
cas par exemple pour Le Parterre et La Carrière de Nancy (présentés dans cette exposition). Il n’existe que deux
groupes d’œuvres où le paysage est le sujet principal : les dix Paysages italiens et les deux Vues de Paris
(présentées dans cette exposition).
Pour donner l’impression de profondeur, Callot utilise la technique de la perspective aérienne, qui dans les
œuvres en noir et blanc se réduit à l’utilisation du trait et aux dégradés de valeurs. Chez Callot, la fermeté ou la
légèreté du tracé, la dimension des hachures, longues au premier plan, réduites dans les lointains à de petits
traits ou à des points, traduisent les distances. Callot n’utilise pas l’estompement : ses paysages gravés sont
d’une limpidité de cristal, les formes même les plus éloignées sont précises, ciselées, nettes. En ce qui concerne
le dégradé des valeurs, on remarque quelques procédés constants :
- l’alternance des plans clairs et foncés, du premier jusqu’au dernier plan,
un dégradé par palier plutôt que continu,
- la présence d’une masse sombre au premier plan se détachant sur le gris plus clair des plans suivants,
rendant les lointains ainsi toujours lumineux et les mettant en valeur par contraste (des arbres ou
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des figures à contre jour au premier plan sont en effet disposées comme des écrans ou des portants
de théâtre repoussant les fonds et amplifiant le phénomène de perspective ; Le contre jour simplifie la
forme et organise l’espace de façon simple en jouant sur les oppositions. Callot dispose les zones
d’ombre où bon lui semble, sans chercher à les justifier, simplement dans un objectif de netteté et pour
attirer le regard sur le plan principal. De plus, cette masse sombre (personnage ou groupe de
personnage) est en général comme surélevée - sur une terrasse, un monticule…- et de taille plus
grande que le reste des personnages - parfois de manière démesurée, hors du système de perspectives
et des lignes de fuite générales – faisant alors paraître encore plus petites les figures de l’arrière plan.
Ce dernier principe est cependant atténué dans les œuvres de l’époque lorraine.)
Cette déclinaison des plans, l’utilisation des ombres et lumières, sont conduites d’une façon logique et
rendent parfaitement lisible l’espace généralement immense des compositions de Callot, les choses s’y trouvent
bien à leur place, ordonnées.
L’exiguïté de la surface dont il dispose incite Callot à agrandir l’espace dans le seul sens possible : celui de la
troisième dimension et grâce à sa grande virtuosité et à sa parfaite maîtrise de la perspective, il parvient à
creuser toujours d’avantage les surfaces (ex : la Carrière de Nancy). L’espace est agrandi dans tous les sens, au
maximum et une foule immense s’y déploie à son aise. Callot peut ainsi transformer à sa fantaisie des sites et
des monuments. Dans la Carrière de Nancy, la fuite des maisons qui bordent les deux cotés de la longue place
est arbitraire et la largeur de cette place parait infiniment plus grande qu’elle ne l’est en fait.
De plus, Callot exhausse l’horizon pour que les éléments ne se cachent pas les uns les autres et que les détails
les plus éloignés soient nettement visibles.
Cet « irréalisme spatial » nous montre que la perspective peut être à cette époque non plus seulement la
science de la réalité, mais un nouveau moyen de création artistique. Plus qu’à des schémas rigoureux, Callot se
fie à sa sensibilité pour créer une composition vaste et complexe donnant une grande impression de naturel.
Cet intérêt pour la perspective n’est pas propre à Callot, mais général en Italie depuis le XVème siècle (le
Maniérisme et le Baroque favorisent les recherches). Les traités de perspective se multiplient au XVIIème siècle.
Mais l’innovation de Callot est d’appliquer ce principe à de très petits formats.
On peut aussi imaginer que Callot fut influencé par les innovations nombreuses dans la création des décors de
théâtre au XVIIème siècle (décors en trompe l’œil donnant l’illusion de profondeur, etc…).
Un dernier élément est caractéristique des gravures de paysage de Callot : tout est prétexte pour lui à la
peinture de la multitude, de la foule (entrées princières, cortèges, carrousels, feux d’artifices, joutes nautiques,
opéra, foire, fêtes de village…). Très souvent, Callot fait de la foule l’acteur principal de son théâtre. Pour
expliquer cette importance de la représentation de la foule dans les œuvres de Callot, les historiens avancent
plusieurs explications :
- Callot aurait été frappé par les inventions optiques de Galilée qui venaient d’ouvrir aux hommes le
domaine de l’infiniment petit (invention du microscope au début du XVIIème siècle)
Les collectionneurs d’estampes, de petits tableaux de cabinet, prenaient un grand plaisir à regarder
longuement des images, à examiner un à un les personnages, à découvrir un détail minuscule qui leur
avait échappé à première vue.
De plus, la virtuosité (habileté de la main, variété, précision des figures) était considérée comme une
qualité suprême chez un artiste.
Enfin, origine ou conséquence, les innovations que Callot avait lui-même introduites dans la gravure à
l’eau-forte, en particulier le vernis dur et la taille simple, permettaient un travail fin, léger, précis, donc la
gravure d’une multitude de figures jusque dans les fonds.
* D’après : L’art de Jacques Callot par Daniel Ternois, F de Nobele, 1962 ; Dictionnaire de la Peinture, Editions Larousse
Quatre exemples présents dans l’exposition
D’après : Jacques Callot, 1592 – 1635, Musée historique lorrain – Nancy, sous la direction de Paulette Choné, Editions RMN, 1992
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Jacques Callot, Paris : vue du Pont-Neuf, v. 1629
Achevé en 1604, en plein centre de la capitale, prolongé par la place Dauphine et complété en 1614 par la statue équestre
d’Henri IV, le Pont neuf était vite devenu le lieu de promenade favori des Parisiens. La tour de Nesle, partie des fortifications de
Philippe Auguste, sera détruite en 1663. Cette gravure mêle exactitude topographique et qualités esthétiques.
Jacques Callot, Paris : vue du Louvre, v. 1629
Au premier plan coule la
Seine avec une fête
nautique. Des jouteurs
sont à l’avant des
bateaux (barques et
galères), aux mâts
desquels flottent des
oriflammes aux fleurs de
lys (en bas à droite). A
gauche, quelques
maisons du vieux Paris,
puis la porte et la tour de
Nesle. A droite, le Petit
Bourbon dans lequel
Callot logea chez son
compatriote et ami, I.
Henriet et plus loin la
grande galerie du Louvre
avec la tour de la
Prévosté. Tout au fond
les coteaux que domine aujourd’hui l’Arc de Triomphe de l’Etoile.
Jacques Callot, Le Parterre de Nancy
La gravure représente les jardins du palais ducal dans toute leur splendeur ; au premier plan s’étend le parterre d’en bas avec
ses broderies de buis, au fond le parterre d’en haut disposé sur les fortifications. Au premier plan, dans le jardin du bas, des
joueurs de ballon sont observés par une foule de personnages isolés ou se pressant en groupes animés (femmes, enfants,
jardiniers, jardinières…) autour de la Duchesse Nicole à qui la planche est dédiée. Si les jardins, répondent assez bien à la
réalité, la fant aisie de Callot s’est déployée à droite. Il a remplacé l’Orangerie par un édifice évoquant une villa florentine.
Jacques Callot, La Carrière de Nancy
Dans cette vie urbaine exceptionnelle, fidèle à la perspective centrée qui lui est chère, Callot offre un panorama de la Carrière
ou Rue Neuve, place établie sur les fortifications à l’est de la Ville-Vieille. Dans la partie supérieure, une banderole avec
l’inscription Carier et rue neufve de Nancy ou se font les ioustes et tournois, Combats, et au(tr)es ieux de recreation s’enroule
autour des armes de Lorraine. Les deux faces sont bordées par des constructions à peu près semblables ; à gauche, du côté
est, les maisons entièrement dans l’ombre sont d’aspect modeste ; Callot qui y habitait à donc voulu représenter ce lieu en plein
après-midi ; du côté ouest, les façades bien éclairées, mieux ordonnées, appartiennent à des demeures aristocratiques. Au
Dossier pédagogique : Voyage dans l’Europe des XVIIème et XVIIIème siècles, choix de gravures de la collection Mancel.
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fond s’élève le palais ducal, décor pour toutes les scènes qui se déroulent sur cette place. Callot a-t-il souhaité montrer une fête
particulière ? On opte pour le carnaval en raison de la présence d’un traîneau qui fait songer à l’hiver. Peut-être Callot a-t-il eu
l’intention de donner un vaste aperçu simultané de tous les spectacles que cet espace pouvait accueillir, y compris au moment
du « gras temps », et son imagination s’est alors largement déployée.
De gauche à droite, on voit un cheval et des bateleurs montés sur une estrade qui attirent l’attention des badauds. Un acrobate
sur des échasses excite la convoitise des galopins et l’hilarité des pantaloni en lançant quelques piécettes. Au centre, des
spadassins se battent en duel. Un groupe de cavaliers, lance de combat au poing, s’apprête à entrer en lice, devant un char en
forme de gros rocher ; deux amours – Eros et Antéros, l’amour aux yeux bandés et l’amour clairvoyant – précèdent le
promontoire supportant le dieu Mars qui domine quatre captifs enchaînés.
Quelques gentilshommes et leurs dames admirent le défilé devant l’hôtel de Salm aux fenêtres duquel se pressent d’autres
spectateurs.
Au milieu de la place, la « carrière » du tournoi est délimitée par une clôture de bois de chêne. A droite, les spectateurs
regardent les combattants depuis une tribune, ou montés sur des chevaux, alors qu’à gauche la foule plus plébéienne et plus
éloignée de la lice n’hésite pas à escalader les clôtures.
2. Stefano Della Bella
(Florence 1610 - Florence 1664)
Né à Florence en 1610, Stefano Della Bella est le cinquième enfant du sculpteur Francesco di Girolamo Della
Bella. Après un apprentissage chez différents maîtres orfèvres, le jeune Stefano complète sa formation initiale
auprès des peintres Giovan Battista Vanni et Cesare Dandini. L'exemple de Jacques Callot et les
encouragements du graveur Remigio Cantagallina l'incitent pourtant à choisir l'art de la gravure. Il signe ses
premières eaux-fortes dès 1626-1627.
À partir de 1633, Della Bella séjourne à Rome grâce à la protection des Medicis. N'ayant d'autre obligation que
celle d'étudier, il a tout loisir de copier les antiques et d'admirer la grande peinture romaine. De retour à Florence
en 1636, il grave plusieurs planches commémorant les fêtes et les cérémonies ducales. La plupart des tableaux
connus de Della Bella datent de cette période d'intense activité. Stefano Della Bella arrive à Paris en octobre
1639 avec la suite de l'Ambassadeur du grand-duc de Toscane auprès de Louis XIII. Il se lie rapidement d'amitié
avec les éditeurs parisiens, Pierre Ier Mariette, Israël Henriet et François Langlois, pour lesquels il réalise
plusieurs suites de pièces militaires, de caprices et de paysages. Des planches plus ambitieuses, comme La
Vue de la ville d'Arras, Le Pont-Neuf et Le Reposoir du Saint Sacrement, appartiennent à ces années
parisiennes.
Il grave des planches pour Silvestre, le
Cardinal de Richelieu l'emploie pour des
gravures de la prise d'Arras et du siège de La
Rochelle, quant à Anne d'Autriche elle lui
commande les divertissements du théâtre du
Petit Bourbon.
Stefano Della Bella, Paris : Le Pont-Neuf, 1646
Vers la fin de 1644, Della Bella entreprend
un long périple qui, passant par la Crète et
par Rhodes, le conduit jusqu'en Égypte. De
ce voyage au Levant, il rapporte plusieurs
dessins. En 1647, il se rend à Amsterdam en
longeant les côtes de Flandre, itinéraire dont
témoigne la série des Vues de ports de mer.
Fuyant les troubles engendrés par la Fronde,
Stefano Della Bella revient à Florence où il
retrouve son rôle d'illustrateur des fastes du
duché. De nouveaux séjours à Rome, en
Dossier pédagogique : Voyage dans l’Europe des XVIIème et XVIIIème siècles, choix de gravures de la collection Mancel.
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compagnie de son élève Cosme de Médicis, lui permettent également de renouer avec l'étude des antiques. De
cette période datent les Vues de la villa de Pratolino, les Vues du port de Livourne et Il Mondo festeggiante,
carrousel donné dans les jardins de Boboli pour fêter les noces du prince héritier et de Marguerite Louise
d'Orléans.
Les dessins de cette époque, d'un style ample et libre, sont volontiers rehaussés de lavis. Della Bella obtient des
effets de teinte similaires sur certaines gravures en peignant directement sur le cuivre avec un pinceau trempé
d'acide plus ou moins dilué. Un portrait grandeur nature du futur grand-duc Cosme III de Médicis, peint en 1661,
constitue l'une des dernières œuvres importantes de l'artiste. Très affaibli par la maladie, Stefano Della Bella
meurt à Florence le 22 juillet 1664.
Rome : le temple de la Concorde (temple de Vespasien)
et le Forum Romanum
> voir aussi :
- Stefano Della Bella, Rome : vue du château Saint-Ange
- Stefano Della Bella, Rome : le temple d'Antonin et le Campo Vaccino,
1656
3. Israël Silvestre : un témoin précieux pour les historiens
(Nancy 1621 – Paris 1691)
Né à Nancy en 1621, Israël Silvestre apprend son métier chez son oncle Israël Henriet, éditeur établi à Paris, qui
le recueille à la mort de ses parents. Celui-ci a fondé un commerce d’estampes très étendu dont le fonds se
compose entre autres des planches de son ami Jacques Callot dont il est l’éditeur exclusif. C’est donc chez son
oncle que Silvestre voit les travaux de ce grand maître de la gravure dont il va s’inspirer.
Il parfait sa formation en faisant des voyages en France mais aussi en Italie où il se lie d’amitié avec Stefano
Della Bella dont l’influence italienne se mêle à sa formation lorraine.
« Il en [des gravures] rapporta dit Mariette, de tous les endroits qu’il avait parcourus, de manière qu’on peut le
suivre pour ainsi dire pas à pas et se trouver avec lui dans tous les lieux qu’il a fréquentés, car il était si adroit à
ne rien laisser échapper de remarquable, si prompt à exécuter, que lors même qu’il ne faisait que passer par
un endroit et qu’il avait à peine le temps de s’y reconnaître, il savait si bien ménager les moments, qu’il n’en
sortait point sans en emporter quelques vues, de sorte que ses dessins forment comme le journal de ses
voyages. »
Au décès de son oncle, il hérite du fonds de planches gravées et continue le commerce familial.
Dessinateurs, graveur, imprimeurs.
Les graveurs réalisent leurs gravures soit à partir de leurs propres dessins originaux (ex : Stefano Della Bella, Paris : Le
Pont-Neuf, 1646, Israël Silvestre, Lyon : le palais et le port royal, 1652…) soit à partir de dessins ou tableaux réalisés par
d'autres peintres et dessinateurs (ex : Joseph Constantine Stadler, d'après H. Joseph Farington, Londres : London Bridge,
1790 ; Giambattista Brustoloni, d'après Canaletto, Venise : visite annuelle du Doge à Santa Maria della Salute). Un même
artiste peut à différents moments de sa carrière user des deux procédés.
Ils sont eux même marchands de leurs gravures - cette double activité n'est pas rare ( ex : Israël Silvestre à partir de 1661, à
la mort de son Oncle Israël Henriet qui était son éditeur ) ou travaillent pour ou avec un éditeur (Israël Henriet est le
marchand exclusif des gravures de Jacques Callot dont il détient les plaques, Stefano Della Bella travaille avec les
imprimeurs Pierre Ier Mariette, Israël Henriet et François Langlois).
Ses gravures, très nombreuses (plus de mille – il dessine et grave très vite) aussi précises que sèches lui
valurent un très grand succès : en 1662, il est nommé Dessinateur et graveur ordinaire du Roi et en 1670, il
accède au titre d’Académicien.
Silvestre grave en 1664 en neuf pièces, Les Plaisirs de l’Ile enchantée ou les Fêtes et les divertissements du Roi
à Versailles divisées en trois journées. Entre 1664 et 1684, il grave les onze Grandes vues du château de
Versailles.
« A Israël Silvestre, graveur de sa Majesté pour ses gages, pour faire les dessins d’Architecture, veues et
perspectives des maisons Royalles, carrousels et autres assemblées publiques, la somme de quatre cent livres
pour les gages et appointemens que sa majesté lui a accordés par brevet de laquelle il sera payé
entièrement. »
Registre des comptes de dépenses de Louis XIV, 1664
Silvestre impose un style bien particulier : la présentation du motif avec un premier plan ombré en portant de
théâtre qui dégage largement l’arrière et fait régner la lumière latéralement ; l’élargissement des espaces
d’environnement pour saisir le thème avec un grand angle, l’amplification de certaines verticales qui pointent sur
le ciel, le décrochement des campaniles ou les flèches des clochers… Il affectionne les vues qui laissent le
regard percer vers une colline, un jardin, un fleuve, l’horizon campagnard, quitte à exagérer le champ d’ouverture.
Enfin, il emprunte à Callot son répertoire de personnages pour peupler ses places, ses rues, ses carrefours, ses
chemins ; une foule qui se promène, qui se hâte ou qui bavarde… des cavaliers, des carrosses, des silhouettes
Dossier pédagogique : Voyage dans l’Europe des XVIIème et XVIIIème siècles, choix de gravures de la collection Mancel.
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inquiétantes… Au dessus des toits, des dômes et des clochers, le ciel est parfois obscurci de gros nuages, plus
souvent pâle et serein.
Son grand talent de dessinateur, son travail sérieux et son métier propre donnent des gravures
indispensables pour l’étude de la topographie de la France et de l’Italie au XVIIème siècle.
Ses gravures constituent en effet le répertoire topographique le plus important et le plus complet de la France
(Vues des châteaux de France – Tuileries, Versailles, Marimon - Vues de Lyon, de la citadelle de Verdun), plus
particulièrement de Paris (Les lieux les plus remarquables de Paris et de ses environs) et parfois même de l’Italie
(Vues de Rome). Véritable témoin, Silvestre est le dernier graveur à accorder une importance égale au relevé
architectural et à l’évocation de la vie quotidienne, ce qui ravit à la fois l’amateur d’art, le sociologue et l’historien.
Il appréhende son environnement dans son ensemble mais aussi dans ses détails. Parfois, pour les besoins de
son art, il métamorphose le cadre ambiant, transforme une perspective mais ces concessions à la vérité sont très
rares. On peut en général se référer à Israël Silvestre comme un témoin privilégié, impartial, exact et capital pour
l’historien.
D’après : Paris et Rome vus par Israël Silvestre, Délégation à l’Action Artistiques de la Ville deParis, 1981 ; Catalogue raisonné de toutes les
estampes qu forment l’œuvre d’Israël Silvestre précédé d’une notice sur sa vie par L. E. faucheux, membre de la Société d’Archéologie Lorraine,
F de Nobele, Paris ; Dictionnaire de la Peinture, Larousse.
> Voir de Silvestre : - Lyon : le palais et le port royal, 1652 ; Vue du
château de Chambord, 1678 ; Vue du collège des Quatre Nations
(aujourd'hui l'Institut de France), 1670
> Voir aussi les gravures de François Collignon (Nancy 1610 – Rome 1687) :
La Ville de Tours ; La Ville de Saumur ; La Ville de Saint-Cloud ; La Ville
d'Angers ; La Ville de Nantes
La signature.
C'est vers la fin du XVème siècle que les graveurs commencent à signer leurs plaques en incisant quelques initiales dans la
matrice. Ces initiales très simples sont peu à peu remplacées par des monogrammes ou emblèmes plus élaborés. Puis vers le
XVIIème siècle, les artistes se mettent à signer in extenso, c'est-à-dire en indiquant leur nom complet dans un coin de la planche,
ou gravé dans un cadre prévu à cet effet dans la composition. Attention, tous les artistes ne signent pas systématiquement
leurs œuvres. Aucune règle ne peut être appliquée en la matière.
Les estampes anciennes sont marquées en bas ou dans la marge inférieure, en latin, et font référence aux différentes
personnes intervenues dans leur élaboration. Comprendre leur signification est d'une grande aide, surtout devant une gravure
d'interprétation, car on peut alors connaitre les auteurs de la composition, de la matrice, de l'impression et parfois le prix et
l'endroit de la vente.
Exemple de signatures présentes dans l'exposition :
> Isr. Silvestre del. Et sculps. – 1678
Dessiné (delineavit) et sculpté par (sculpsit) Israël Silvestre en 1678
> Israël Silvestre del. Et fecit. 1652 / Israël excudit cum privit. Regis
Dessiné (delineavit) et fait par (fecit ou faciebat) Israël Silvestre en 1652 / Gravé avec privilèges du Roi par
Israël (sous entendu Henriet !! Henriet ne signait le plus souvent que du nom d’Israël les planches qu’il
publiait : cela a été la cause de l’erreur commise par plusieurs personnes qui ont attribué à Silvestre des
planches publiées par Henriet.)
> Jac Callot In et Fecit
Inventé (Invenit) et fait (fecit ou faciebat) par Jacques Callot
> Antonius Canal pinxit / Jo Bap. Brustolon inc.
Peint (pinxit) par Canaletto / gravé (incidit ou incidebat) par Brustoloni.
> Collignon sculpsit cum privid Regis Mariette excudit Parisiis
Gravé (sculpsit) par Collignon avec privilège du roi, Mariette éditeur (excudit) à Paris
Compte tenu de la multiplicité, qui est une des principales caractéristiques de la gravure, il était normal que l'on réalise, à partir
d'une matrice, une impression pouvant compter un nombre indéterminé de tirages. Au fil des ans, on imprimait une, deux, trois
éditions d'une même planche, souvent encore même après la mort de l'artiste. A l'époque, les estampes n'étaient pas encore
numérotées. Le principe de l'édition contrôlée, limitée et numérotée ne fut mis en place qu'à la fin du XIXème siècle.
D'après : La gravure, les techniques et les procédés de reproduction en relief et en creux,
Jordi Catafal et Clara Oliva, Gründ, 2004
4. Gabriel Perelle
(Vernon v. 1602 – Paris 1677)
Elève de Simon Vouet, Perelle grave le paysage d'après Poussin, Asselijn et Silvestre mais il est surtout apprécié
pour ses créations personnelles. Aidé de ses fils, Nicolas et Adam, il grave des centaines de paysages dans une
grande unité de style, mais en sachant sans cesse varier sur le même thème. Il est célèbre pour ses Vues des
châteaux de Versailles, Chantilly, Meudon, Marly et Saint Cloud ; Vues du Louvre, du Luxembourg, des jardins
du palais Royal et des Tuileries. Son œuvre témoigne de la vitalité du paysage français au XVIIème siècle.
Dossier pédagogique : Voyage dans l’Europe des XVIIème et XVIIIème siècles, choix de gravures de la collection Mancel.
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Gabriel Pérelle, d'après Jan Asselijn, Rome : vestiges des thermes de
Dioclécien
Gabriel Pérelle,
Paris : le Palais Royal,
détail
> voir aussi : Gabriel Pérelle, Le Château de Saint-Germain-en-Laye ; Rome : la vue de l'arc de Constantin et du
Colisée; d'après Jan Asselijn, Rome : intérieur du Colisée; Rome : intérieur du Colisée ; Rome : vestiges du
Septizodium
5. Canaletto, Guardi, Brustoloni : Un exemple de gravure "d'interprétation"
La gravure de Giambattista Brustoloni (Venise 1712 -1796), Venise : le Bucentaure quitte San Nicoló di Lido est
un très bel exemple de gravure de diffusion. En effet, cette gravure fut réalisée par Brustoloni vers 1766 d’après
un dessin de Canaletto (Venise 1697 -1768). Elle fut elle-même la base du travail pictural de Guardi vers 17751780.
1 - CANALETTO
Giovanni Antonio Canaletto, Le Doge de Venise partant pour le Lido,
Dessin, British Museum
Antonio Canal di Canaletto
(Venise 1697 – 1768)
Fils d’un peintre de théâtre, il débute sa carrière
comme scénographe (il réalise des décors de
théâtre pour les opéras de Scarlatti). A Rome, il
côtoie des peintres de vedute (voir définition page
suivante) qui lui communiquent une conscience
précise de la perspective, le goût de l’esquisse et
des scènes populaires. Dès son retour à Venise, il
peint des « vues idéales » de sa ville. Puis vers
1730, les vues idéales font place à des vues
réelles de la ville et de la lagune. L’utilisation de la
« chambre
optique »
montre
sa
volonté
pointilleuse de saisir la vérité dans l’espace et de
la peindre de la façon la plus rationnelle et la plus
objective possible. Les places, les « campielli »,
les canaux, les quais, toute la ville est fouillée par
le lumière limpide. Il peint l’histoire de Venise, ville
gaie et ensoleillée. Après 1730, Canaletto exécute
une série de vues vénitiennes pour le duc de
Bedford : la ville y est contemplée sereinement,
jamais transfigurée, toujours exactement rendue
dans le cadre de ses monuments et dans la
couleur de son atmosphère. Vers 1740 - 43,
Canaletto se consacre à la gravure et tend à
diminuer les dimensions des édifices et des
silhouettes
et
à
agrandir,
par
contre,
démesurément l’espace.
Il réalise un album de 31 eaux fortes (Vues les unes d’après nature ou inventées par A. Canal, gravées et mises en perspective par lui),
en partie idéales, en partie copiées sur la réalité (le dessin présenté ci-dessus est un dessin préparatoire pour l’une de ces gravures).
Antonio Canal dessine Venise telle qu’il la voit, qu’il l’aime et mêle harmonieusement ville imaginée et naturelle vérité pour construire
un paysage parfait (il modifie les architectures, intervient sur les relations entre les édifices, élargit ou rétrécit les canaux,
déplace les îles, majore l'espace des Campi, ajoute ou soustrait des éléments…). Il faut donc vraiment relativiser l'image de ce
peintre quasi photographe que la tradition critique avait fini par imposer. Dans la vue Canalettienne, Venise devient multiple !
Cet album est dédié à John Smith, Consul de sa majesté britannique auprès de la république de Saint-Marc mais aussi érudit et
« mécène marchand » de Canaletto. Celui-ci lui sert d’intermédiaire auprès des acheteurs anglais qui découvrent les œuvres de
Canaletto à l’occasion de leur Grand Tour et souhaitent rapporter des souvenirs dans leur pays. On peut affirmer qu’Antonio Canal ouvrit
la route qui mena au paysagisme anglais du XVIIIème et du XIXème siècles.
Dossier pédagogique : Voyage dans l’Europe des XVIIème et XVIIIème siècles, choix de gravures de la collection Mancel.
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2 - BRUSTOLONI
Giovanni Battista Brostoloni ou Giambattista
Brustoloni (Venise ou Verone v. 1726 – 1796)
On sait peu de choses de la carrière de Brustoloni.
On pense qu’il fut l’élève de Joseph Wagner. On cite
de lui deux suites de gravures d’après Canaletto
représentant des vues de Venise. La gravure le
Bucentaure quitte San Nicoló di Lido fait partie de ces
séries.
> Voir aussi :
- Venise : procession du Corpus Christi sur la
place Saint-Marc
- Venise : visite du Doge à San Zaccaria le jour
de Pâques
- Venise : visite annuelle du Doge à Santa Maria
della Salute
Giambattista Brustoloni, Venise : le Bucentaure
quitte San Nicoló di Lido, vers 1766
Gravure, Musée des Beaux-Arts de Caen.
3 - GUARDI
La toile de Guardi fait partie d'une série de
douze dont dix sont aujourd'hui au musée
du Louvre. Elles représentent toutes un
événement historique lié aux fêtes du
couronnement du doge Alvise Mocenigo
en 1763. Après les cérémonies du Mariage
de la mer, le Doge se rend à San Nicolò
pour écouter la messe avant de retourner
à Venise. Il s'apprête à remonter à bord du
Bucentaure après être passé sous un dais
tendu pour l'occasion.
Francesco GUARDI (Venise, 1712 -1793), Le Doge de Venise sur le Bucentaure,
à San Nicolò di Lido, le jour de l'Ascension, Vers 1775-1780
© Musée du Louvre/A. Dequier - M. Bard
Contexte historique
Guardi et avant lui Canaletto ont
représenté cette splendide cérémonie
avec l'embarcation du Doge tendue de
toiles rouges et couverte de sculptures
dorées ; des bateaux plus petits, dorés eux
aussi, et les noires gondoles lui font
escorte. Depuis le XIIème siècle, à
l'occasion de la fête de l'Ascension, la
Sensa, le doge célèbre la cérémonie du
Mariage de la mer en jetant depuis le
Bucentaure, un bateau d'apparat, un
anneau dans l'Adriatique.
Accompagné d'un cortège, il traverse le bassin de Saint-Marc et se rend jusqu'au Lido, où la lagune de Venise communique
avec la mer. Il jette un anneau d'or dans l'Adriatique pour rappeler la domination maritime de la ville et assiste à une messe.
La République de Venise a fait construire le dernier Bucentaure, celui représenté ici, en 1728. Cette merveille finit
misérablement, détruite lors de l'arrivée des troupes de Bonaparte en 1797.
Une interprétation vibrante de poésie
Le peintre illustre le moment où le doge s'apprête à remonter à bord du Bucentaure après être passé sous un dais tendu pour
cette occasion, entre l'église et l'embarcadère. L'affluence est considérable : des gondoles de toutes sortes envahissent la
lagune et forment des taches colorées se détachant précieusement sur le vert tendre de l'eau, pendant que les figures
masquées bondissent, rappelant la célébration du carnaval.
Au grand ciel caressé par une lumière argentée de la partie supérieure, la moitié inférieure oppose un fourmillement de formes
et de détails multicolores. Les touches de couleurs claires donnent une animation particulière à l'ensemble.
Guardi s'est inspiré de gravures réalisées en 1766 par Brustoloni d'après des dessins de Canaletto sur le même sujet, dont le
style plus sec et statique dénote d'un souci topographique ; il a interprété ces scènes librement avec une touche scintillante et
une recherche d'effets atmosphériques. La scène sert de prétexte à une description insolite de Venise et de ses monuments,
dans une luminosité diaphane et argentée. L'image baigne dans le jeu mobile de la lumière, évocation fantaisiste et fugace.
Une datation postérieure à 1775
La datation de cette série n'est pas antérieure à 1775, les panaches de plumes des comparses féminines sur les embarcations
étant des coiffures créées à Paris à cette date. Les toiles de Guardi de la décennie précédente sont davantage topographiques
et leurs coloris sombres sont plus contrastés. L'évolution du langage pictural de Guardi, nerveux et brossé, est frappante : une
Dossier pédagogique : Voyage dans l’Europe des XVIIème et XVIIIème siècles, choix de gravures de la collection Mancel.
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lumière blonde rythme les espaces et fond les couleurs dans un jeu varié de clair-obscur et dans le traitement vif et saccadé de
la touche. Les "vedute" ou vues, représentations de paysage urbain d'une grande rigueur topographique, prennent chez Guardi
des allures fantaisistes et brillantes. En effet, on ne peut pas dans la réalité voir tous les bâtiments représentés ici, trop éloignés
du Lido !
D’après www.louvre.fr
> Voir aussi les vues de Venise de Antonio
Visentini (Venise 1688 –1782), d'après Canaletto
- Venise : le campo San Zanipolo
- Venise : le campo San Salvatore
- Venise : le campo Santo Stefano
- Venise : la place et l'église Saint-Marc
En 1735, Antonio Visentini grave Prospectus Magni
Canalis Venetiarum, 14 eaux fortes d'après des vues
de Canaletto. En 1742, il ajoute 12 autres vues du
Grand Canal et change le titre en Urbis Venetiarum
prospectus Celebriores. La première série fait parcourir
idéalement tout le grand Canal à partir du pont Rialto,
centre commercial traditionnel de Venise, tandis que la
seconde débute à l'entrée nord de la cité et procède
jusqu'à la zone de Saint-Marc en un mouvement
alterné de champs et de contre champs.
La veduta
Le «vedutisme » vient de veduta mot d’origine italienne signifiant « vue » et désigne l’art du paysage d’architecture
à Venise au XVIIIème siècle et plus généralement une représentation de grand format d'un paysage urbain ou d'autres
panoramas (la vedute).
Les avis sont partagés sur l’origine de cet "art de peindre les vues". Si certains veulent y voir une création italienne et plus
spécifiquement vénitienne, force est de constater la forte influence hollandaise dans les premières vedutes, décelable
dans la parenté de ces vues de Venise, réelles ou imaginaires, avec les paysages hollandais du XVIIème siècle détaillés et
précis.
C’est à Gaspard Van Wittel (1652-1736), né et formé en Hollande, connu dans la péninsule sous le nom de Vanvitelli, que
l’on doit la première veduta italienne. L’arrivée du peintre hollandais à Rome marque un tournant dans la peinture de vues.
Sa façon de procéder ne passe pas inaperçue, qu’il s’agisse de l’utilisation d’une chambre noire, de l’analyse de la lumière
ou des détails de ses vues.
Luca Carlevajis (1663 - 1730) mathématicien, architecte et scénographe, applique le travail de son compatriote à Venise,
avec sa série de 103 eaux-fortes intitulée Le fabriche e vedute di Venetia, qui marque une étape décisive dans l’histoire de
l’art de la peinture de vues vénitienne et constitue le début d’une tradition qui connaîtra une grande fortune artistique.
C’est aussi à un hollandais, Giuseppe Wagner (1706 -1786) et à son école atelier, que l’on doit la diffusion de la technique
qui allait devenir caractéristique de l’école vénitienne : l’eau forte retouchée au burin. Son école, considérée comme la plus
grande école de gravure du XVIIIème siècle a formé de nombreux élèves italiens comme par exemple Giambattista
Brustoloni.
Ce type de production connaîtra au XVIIIème siècle un essor extraordinaire (dû en partie à la riche activité éditoriale de
Venise, qui va largement solliciter des graveurs). Son plus grand représentant étant Antonio Canal, dit Canaletto (1697 –
1768), qui grava des vedutes réelles ou imaginaires de la cité de Venise et de ses alentours, eaux fortes marquées
d’aspects véridiques juxtaposés à des visions de rêve.
Les védutistes tels que Canelotto, Bellotto, Vasi, Visentini, Tiepolo vont propager l’image d’une ville fière et magnifique :
richesse décorative des façades, alignement de palais recouverts de marbre, monuments rues et places, se reflétant dans
les canaux, splendeur d’un art de vivre et de ses fêtes, admirées et enviées dans toute l’Europe.
La vedute est donc une description assez fidèle de l’architecture de villes telles que Rome ou Venise, mais pas de
l'urbanisme : points de vue et compositions sont retravaillés pour agrandir des angles et représenter dans une
même vues des éléments éloignés in situ. Les vedutes peuvent donc être des "vues impossibles" réalisées à coup
d'expédients perspectifs (utilisation de multiples points de station, surdimensionnements d'espaces, effets "grand angle" ou
au contraire comme au téléobjectif…) pour répondre à un idéal de beauté et renforcer la lisibilité et le dynamisme. Malgré
ces nombreux "aménagements" et "retouches", les vedutistes sont passés pour des artistes objectifs. Mais la notion
d'objectivité est anachronique dans la première moitié du XVIIIème siècle, car ce que cherchent les artistes c'est produire
seulement l'effet de "réalité". Il ne faut en effet pas confondre précision de la gravure, de la représentation et exactitude de
l'observation. Chaque artiste donne sa lecture de la ville.
La vedute constitue en outre un exercice de perspective fabuleux.
D'après : Une Venise imaginaire, Architectures, vues et scènes capricieuses dans la gravure vénitienne du XVIIIè siècle,
Rainer Michael Mason, Cabinet des Estampes du musée d'art et d'Histoire – Genève 1991
Le Grand Tour
Aux XVIIème et XVIIIème siècles, le Grand Tour est un long voyage effectué par les jeunes gens des plus hautes classes de la
société britannique en Europe continentale, destiné à parfaire leur éducation pendant ou après leurs études. Ce voyage, d’un
Dossier pédagogique : Voyage dans l’Europe des XVIIème et XVIIIème siècles, choix de gravures de la collection Mancel.
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an environ, très formalisé, passe par la France, les Pays-Bas, l'Allemagne, la Suisse et surtout l’Italie, puis plus tard la Grèce
et l'Asie mineure. Ce voyage est quasi obligatoire à quiconque veut devenir un « compleat gentleman » pour compléter sa
formation, étudier les langues étrangères et nouer des contacts politiques, diplomatiques, militaires, ou commerciaux dans
les autres pays.
Le voyage passe par des étapes obligatoires, des hauts lieux culturels incontournables tels que les ruines antiques, Rome,
Venise, mais aussi Pompéi et Herculanum qui viennent au XVIIIème siècle d’être redécouverts.
Au retour, il est un élément de reconnaissance ou d'ascension sociale.
Les jeunes gens échangent alors anecdotes et souvenirs, affichent les nombreuses pièces d’art et antiquités achetées lors
des diverses étapes. Le récit de voyage a alors une fonction importante, celle de faire reconnaître cette expérience acquise
et cette culture commune qui renforcent les liens sociaux.
Le Grand Tour occasionne la publication de nombreux livres guides illustrés de gravures rassemblant les vedutes de lieux
bien connus, tels que le Forum romain ou le Grand Canal, ou des peintures de ruines, rappelant aux aristocrates anglais
leurs voyages de jeunesse. Nombre de graveurs comme Vanvitelli, Canaletto ou encore Guardi trouvèrent de nombreux
débouchés dans ces souvenirs de voyages extrêmement prisés. La sensibilité des œuvres de Canaletto et les vibrations de
lumière captées dans ses gravures seront riches en conséquence pour la naissance du paysage romantique en Angleterre.
> Voir aussi :
- François Denis Née (Paris 1735 – 1818), d'après Alexis Nicolas
Pérignon (Nancy 1726 – Paris 1782), Vue de Genève
- Jean-Baptiste Lienard (Lille 1750 – après 1807) , d'après Alexis
Nicolas Pérignon (Nancy 1726 – Paris 1782), Vue de Bâle
- Johann Georg Rosenberg (Berlin 1739 – 1808), Berlin : la place
d'Armes, 1780 / Berlin : la place de l'Opéra, 1782
- Andreas Ludwig Krüger (Postdam 1743 – Berlin vers 1805), Postdam :
vue méridionale du château royal, 1775 / Postdam : le Belvédère au
château de Sans Souci, 1776
- Joseph Constantine Stadler (Actif à Londres entre 1780 et 1822)
d'après Joseph Farington (Leigh 1747 – Manchester 1821), Somerset
Place à Londres, 1791 / London Bridge, 1790 / Wesminster Bridge,
1790 / Blackfriars Bridge et la cathédrale Saint-Paul, 1790 (ci-contre)
- Willem Swidde de Jonge (Stockholm 1661 – 1697), Vue de Stockholm
et de ses faubourgs, 1693
Au XVIIIème siècle, on expérimente en Angleterre des
techniques comme l’aquatinte pour produire des estampes plus colorées.
6. Giovanni Battista Piranesi dit Piranèse
(Mogliano, près de Mestre 1720 – Rome 1778)
Piranèse reçoit sa première formation à Venise où, ayant décidé de se consacrer à l’architecture, il étudie auprès
de différents architectes et scénographes. D’autre part, il acquiert ses premiers rudiments de perspective auprès
d’un graveur.
Peu à peu, séjournant à Rome, il s’oriente vers la gravure et plus spécifiquement l’eau forte qu’il va utiliser
comme unique moyen d’expression. En effet, si des artistes comme Canaletto furent peintre avant tout et
n’utilisèrent la gravure que comme un moyen d’expression temporaire, Piranèse est un graveur par excellence,
qui se consacra exclusivement à cette technique (il va prodigieusement perfectionner la technique de l’eau forte).
S’il garde son activité d’architecte, celle-ci reste toutefois secondaire et n’est que l’application des principes
énoncés dans ses gravures. On conserve plus d’un millier d’estampes de cet artiste.
Piranèse fréquente l’atelier de Tiepolo et étudie les œuvres de Canaletto. Il est l’un des représentants les plus
significatifs de la culture romaine du XVIIIème siècle et jouit de son vivant de tous les privilèges dûs à un artiste de
sa valeur.
Son travail de graveur est d’abord fortement marqué par une culture vénitienne architecturale, par une forte
imagination, un penchant pour le fantastique, le goût pour les architectures grandioses et par son expérience
dans le domaine de la scénographie. Il grave alors des compositions ornementales et fantastiques, dans le goût
vénitien, pleines d’esprit et de légèreté. Puis, dans un second temps, l’influence des dessinateurs de ruines et
des graveurs d’architecture romaine, prend le dessus et Piranèse s’oriente vers des vues de Rome et des
planches néo-classiques d’objets de fouille.
Dossier pédagogique : Voyage dans l’Europe des XVIIème et XVIIIème siècles, choix de gravures de la collection Mancel.
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En 1745 il aborde pour la première fois le thème de la veduta avec 27 petites planches publiées dans un recueil
d’illustrations de Rome par l’éditeur Amidei. On peut déceler dans ces gravures, le conflit entre l’attrait spontané
de Piranèse pour le fantastique et son exigence d’objectivité et son érudition.
Les 30 planches des Antichità Romane dei tempi della Republica (voir les 3 estampes suivantes présentées dans
l’exposition) publiées pour la première fois en 1748 sont le fruit de cette dialectique. Avec Piranèse, le mythe de
la Rome Antique s’affirme. Piranèse va vouloir lutter contre le temps qui détruit et enfonce dans l’oubli les
civilisations. L’artiste va passer les 30 dernières
années de sa vie à ressusciter le passé en fixant sur
le papier les images de monuments antiques
découverts par les fouilles ou de ruines majestueuses
qui servent de cadre à la vie contemporaine et à
établir des répertoires et proposer des reconstitutions
archéologiques. Ces tâches occuperont la fin de sa
carrière de manière obsédante. Un nombre incroyable
de pièces montrent la magnificence des ruines
romaines, œuvres complexes d’un architecte –
archéologue – graveur – poète, qui met en valeur les
monuments en les couvrant de ronces, d’arbustes…
et en y ajoutant figures humaines, éléments
anecdotiques ou pittoresques.
Vue du pont Fabricius (aujourd'hui ponte dei Quattro Capi)
Piranèse occupa donc une place assez particulière dans la culture européenne du XVIII ème siècle, refusant les
idéaux simplistes auxquels semblait vouloir s’arrêter l’archéologie, au moment où elle prenait forme de discipline
scientifique et donnant une portée philosophique à son œuvre.
> Voir Giovanni Battista Piranesi :
- La colonne Antonine (colonne de Marc Aurèle)
- Vestiges de la colonnade du temple d'Antoninus Pius
(temple d'Hadrien)
Giovanni Battista Piranesi, Le Antichità Romane, Rome, 1756
> Voir aussi :
- Giovanni Battista Piranesi, d'après Giuseppe Zocchi,
Toscane : la villa royale Ambrosiana
- Adrien Manglard (Lyon 1695 – Rome 1760), Rome :
intérieur du Colisée / Rome : tombeau de Cæcilia
Metella, 1753
Vues de ruines
Au XVIIIème siècle, beaucoup de changements ont lieu dans Rome : l’ouverture des ruines du Forum romain, les recherches
au pied du champs de Mars, les fouilles de la Via Appia, des thermes de Caracalla…La mode des ruines est désormais
complétée d’analyses topographiques, de recherches… qui ne peuvent pas laisser insensibles les peintres et graveurs de
l’époque.
F. Pistes d'exploitation en Arts plastiques et en Histoire
des arts
par Gérard de Foresta, professeur relais en Arts plastiques
Dossier pédagogique : Voyage dans l’Europe des XVIIème et XVIIIème siècles, choix de gravures de la collection Mancel.
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Le paysage et son importance au XVIIIème, pensée et imaginaire architectural, gravures topographiques, vues
descriptives, paysages de fantaisie de la Venise du XVlllème siècle (caprice, « voyages pittoresques »)
Rôle de la diffusion des images, la gravure de diffusion et statut de la copie : aspect social, commercial,
idéologique, didactique (copie d’œuvre fameuses, ricordo…), moyen d'expression artistique et/ou communication
de masse, lien avec les textes imprimés.
La gravure, mode de reproduction ou mode d'expression ?
Œuvre unique et multiple, question d'original…
Les techniques de la gravure : Pointe sèche, taille douce, eau forte, aquatinte.
Les techniques picturales et graphiques : gris optiques, contrastes, effets de lumière, mise en couleur, effets
d’inversion de l’image…
La représentation de l’espace : Panorama et « Vedute » : vues d'optique, cartographie.
Artifices de la perspective et composition : Echelles de grandeur, construction de points de vue, proportions,
étagements des plans, disposition des espaces vides, distorsions de perspectives.
Rapport entre ensemble et détails…
Réalisme et imaginaire :
Bien des gravures de cette exposition présentent des panoramas idéalisés par une combinatoire de constituants
réels prélevés sur le motif, par des distorsions de perspective (espace dilaté ou comprimé) ou par une intrication
subtile d’éléments de réalité documentaire et d’éléments imaginés, formant des rêveries urbanistiques et des
scénographies fantaisistes (caprice)
Rapport entre précision des détails et exactitude (l’exactitude n’est pas la vérité, Matisse)
G. Pistes en lettres
par Annick Polin, professeur relais en Lettres
Pour les professeurs de langues anciennes, l'exposition peut servir de support à la connaissance de la
civilisation romaine. On y trouve en effet des gravures représentant Rome et ses monuments les plus célèbres.
Le Colisée, le Capitole, les thermes de Dioclétien et ceux de Caracalla, l'arc de Marc-Aurèle, le théâtre de
Marcellus, la colonne de Marc-Aurèle, le temple d'Hadrien, le temple de la Concorde et le forum romanum, le
pont Fabricius, le tombeau de Cecilia Metella, le Septizodium et le Campo Vaccino.
Pour les professeurs de français, l'exposition est d’abord l'occasion d'un voyage dans le Paris des XVII ème
et XVIIIème siècles, puis dans toute l’Europe.
On pourrait presque y suivre l'itinéraire parisien de la mule du médecin M. Tomès dans la scène III de l'acte II
de L'amour médecin de Molière, du faubourg Saint-Germain à la place Royale. On évoquera aussi Molière et le
théâtre de rue avec la gravure du Pont Neuf. On peut encore choisir de marcher sur les pas des héros des
comédies de Corneille : La galerie du Palais, La Place Royale, ou Le Menteur dont la scène première se passe
devant les Tuileries.
Si l’on étudie le XVIIIème siècle, on verra le Palais Royal évoqué par Diderot dès l’incipit du Neveu de Rameau,
et plus globalement un Paris aussi grand qu’Ispahan comme le décrit Montesquieu dans la Lettre persane XXIV.
On montrera la gravure représentant le château de Versailles, pour apprécier combien le Roi de France est
magnifique, surtout dans ses bâtiments (Lettre persane XXXVII).
Un fois sortis de Paris, nous sillonnons l’Europe : Londres, comme un écho aux Lettres anglaises de Voltaire,
mais aussi Venise : les gravures nous révèleront si des tours et des mosquées sortent de l’eau, comme le dit
Rhedi à Usbek dans la Lettre persane XXXI. Y retrouverons-nous les cabarets, les cafés, les vaisseaux et les
barques que découvre Candide à la recherche de Cacambo (ch.XXIV) ? A moins qu’on ne préfère se référer aux
Confessions de Rousseau pour évoquer la musique vénitienne qu’on entend dans les scuole, celle de San Marco
par exemple. Nous pouvons encore concevoir un voyage à Rome, pour y contempler les ruines antiques et
apprendre de Diderot pourquoi les ruines font tant de plaisir (Salon de 1767).
Mais cette exposition est aussi une trace de l’esprit des Lumières, non seulement parce qu’elle montre
l’univers géographique de référence à cette époque, mais aussi parce que la gravure fait partie intégrante du
projet encyclopédique : il s’agit de répertorier les lieux visités et d’en diffuser la connaissance concrète par
l’image. On y reconnaît l’aspiration scientifique des Lumières, quand par exemple chaque élément de la gravure
est identifié par une lettre, et commenté par une légende ; mais on y trouve également l’imaginaire des Lumières,
quand, comme dans cette vue de Venise de Brustoloni : Le doge à bord du Bucentaure quitte le Lido le jour de
l’Ascension, la gravure offre une vue imprenable, au sens propre du terme : de quel quai en effet peut-on
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embrasser du regard à la fois la Giudecca avec San Giorgio Maggiore, puis Santa Maria della Salute, et l’entrée
de la place Saint Marc ?
L’exposition peut servir d’incitation à un travail interdisciplinaire (lettres / arts plastiques / histoire).
Si l’on envisage les gravures comme un media vulgarisant la connaissance des lieux prestigieux du XVIII ème
siècle, on peut demander aux élèves de produire à leur tour, dessin et/ou photographie et texte présentant un
lieu touristique contemporain.
Corneille, La galerie du palais, Théâtre complet, Bibliothèque de la pléiade,
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Molière, L'Amour médecin, Oeuvres complètes, GF Flammarion
Pierre Corneille, Le Menteur, Folioplus classiques
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Montesquieu, Les lettres Persanes, Œuvres complètes, La pléiade,
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