Le triptyque de l`engagement associatif

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Le triptyque de l`engagement associatif
social
Bénévolat, volontariat, salariat... les trois piliers des ressources humaines
de l’association. Trois formes distinctes d’engagement, dont les frontières respectives
peuvent s’avérer délicates à appréhender. Les décisions jurisprudentielles illustrent
régulièrement les pièges que l’association doit absolument éviter en matière
de gestion de ses bénévoles. À quand les premières décisions impliquant
des volontaires ?
> PIERRE ALDROVANDI*
«
ux côtés des autres formes d’engagement Un contrat de travail est caractérisé par la réunion de
et sans se substituer à l’emploi associatif, deux éléments : l’existence d’un lien de subordination
le volontariat doit devenir le troisième et la perception d’une rémunération.
pilier des ressources humaines des associations et
constituer un levier important pour le développement Doctrine et jurisprudence sont à l’origine de la définidu mouvement associatif 1. » Le volontariat associatif tion du contrat de travail : « Le contrat de travail est la
est en ordre de marche 2.
convention par laquelle une personne (le salarié) s’enDésormais, les diverses formes de volontariat qui trou- gage à mettre son activité à la disposition d’une autre
vent une résonance dans le secteur associatif sont pré- (l’employeur), sous la subordination de laquelle il se
cisées : solidarité internationale, cohéplace, moyennant une rémunérasion sociale et de solidarité, volontariat
tion 5. » De cette définition se dégaLA REQUALIFICATION
3
gent deux éléments essentiels qui pereuropéen … Un cadre législatif —
DE L’ACTIVITÉ BÉNÉVOLE
complexe et confus — pour le volonmettent de déterminer la frontière,
EN ACTIVITÉ SALARIÉE EST
tariat. Le vide juridique, toujours, pour
ténue, entre salariat et bénévolat :
LOURDE DE CONSÉQUENCES :
le bénévolat.
une rémunération et un lien de subASSUJETTISSEMENT
ordination. Ces deux éléments ont
AUX COTISATIONS SOCIALES,
été relevés régulièrement dans des
REQUALIFICATION DU LIEN
Indispensable salariat
affaires entraînant la requalification
CONTRACTUEL.
de l’activité bénévole en activité salaLes associations emploient 1,92 million
riée avec toutes les conséquences
de salariés, soit 1 045 800 équivalents temps plein sociales qui en découlent : assujettissement des sommes
(ETP). Parmi les quelque 172 000 associations versées aux cotisations sociales, requalification du
employeurs, celles relevant du secteur sanitaire et lien contractuel (voir encadré).
social restent la principale source d’emploi avec
512 500 ETP.
La notion de rémunération ne pose pas de problème
Arrivent ensuite le secteur éducatif avec 180 900 ETP majeur (voir ci-après). En revanche, le lien de
et les secteurs culturels et sportifs avec respectivement subordination — élément central de la relation de tra83 700 et 72 200 ETP 4. Le mouvement de profes- vail — est plus délicat à appréhender. Là encore, l’apsionnalisation dans le secteur associatif ne se dément port de la jurisprudence s’est avéré fondamental : le lien
donc pas : un recours au salariat qui s’avère de subordination « est caractérisé par l’exécution d’un
indispensable.
travail, sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir
A
* Rédacteur en chef de Juris associations.
1. Exposé des motifs du projet de loi relatif au volontariat associatif et à
l’engagement éducatif ; voir JA no 319/2005, p. 31.
2. L. no 2006-586 du 23 mai 2006, JO du 25, p. 7730 ; voir JA no 349/2006, p. 32.
3. Pas moins de six dispositifs cohabitent dans le secteur associatif. Cinq autres
formes de volontariat ne sont pas accessibles aux associations. Il existe donc, au
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final, onze formes différentes de volontariat. Pour un dossier exhaustif sur le
volontariat, voir JA no 360/2007, p. 12 et s.
4. VIVIANE TCHERNONOG, in Le Paysage associatif français : mesures et évolution, 2007,
éd. Juris-associations-Dalloz.
5. GUILLAUME-HENRI CAMERLYNCK, Le Contrat de travail, éd. Dalloz, 2e éd.
Spécial Forum national des associations et fondations – 2007
© Juris éditions – Dalloz | Reproduction et diffusion interdite sans autorisation écrite de l'éditeur.
Le triptyque
de l’engagement associatif
Le triptyque de l’engagement associatif
Le bénévolat
essence de la vie associative
La France compte environ 14 millions de bénévoles
actifs 8. En équivalent temps plein, le bénévolat représente ainsi 935 000 emplois ! Dès lors, comment expliquer que le droit n’appréhende pas un phénomène
sociétal de cette ampleur ? En somme, comment justifier que le bénévolat ne fasse toujours pas l’objet
d’un statut spécifique ? Peut-être parce que, à l’exception de certains bénévoles pragmatiques et soucieux
d’obtenir des réponses concrètes à leurs légitimes
interrogations, personne n’en veut ! En effet, la plupart
des acteurs associatifs craignent, en substance, que le
bénévolat perde de sa liberté, de son hétérogénéité et de
sa richesse à partir du moment où il ferait l’objet d’un
encadrement juridique.
Quoi qu’il en soit, à l’heure actuelle, pour déterminer
ce qu’il faut entendre par « bénévole », le lexique des
termes juridiques ne sera d’aucun secours. « Est bénévole toute personne qui s’engage librement pour mener
une action non salariée en direction d’autrui, en dehors
de son temps professionnel et familial 9. » « Pour
mener une activité non salariée » : une définition qui
sonne comme une négation. Est donc bénévole celui
qui n’est pas salarié.
Le bénévolat se caractérise par la participation d’une
personne au fonctionnement de l’association sans percevoir, en contrepartie, aucune rémunération sous
quelque forme que ce soit. L’absence de contrepartie
financière est la caractéristique essentielle du bénévolat. Elle implique qu’un bénévole ne peut recevoir
aucune rémunération, non seulement en espèces, mais
également sous la forme d’avantages en nature.
Il faut entendre par rémunération toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l’occasion du
6. Cass. soc., 13 novembre 1996, no 94-13.187.
7. Procédé qui s’avérera insuffisant en présence d’éléments caractérisant l’existence
d’un contrat de travail ; Cass. soc., 29 janvier 2002, no 99-42.697, Association CroixRouge française c/Huon et autres ; voir JA no 256/2002, p. 29.
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Du bénévolat au salariat
il n’y a qu’un pas
D
es bénévoles, appelés en l’espèce « volontaires », interviennent sur des chantiers de
rénovation gérés par une association d’insertion sociale et professionnelle. Pour ce faire, ils
sont encadrés par un animateur salarié et perçoivent des indemnités et avantages en contrepartie
de leur travail. Il n’en faut pas plus aux juges pour
établir l’existence d’un lien de subordination entre
les intéressés et l’association. Les éléments d’une
requalification de la relation sont clairement établis : les volontaires ayant été, dans l’exécution de
leur activité, encadrés par un animateur salarié de
l’association et ayant également perçu de celle-ci
des indemnités et avantages en contrepartie de
leur travail, les juges on pu déduire qu’ils avaient
agi sous le contrôle et la direction de l’association.
Aucune activité, pas même celle qui poursuit
un objectif d’insertion sociale et professionnelle,
n’est incompatible avec l’existence d’un lien de
subordination.
Cass. 2e civ., 20 septembre 2005, no 1347, Association
Compagnons bâtisseurs.
travail, notamment les salaires ou gains, les indemnités
de toute nature, les primes de toute nature et les gratifications et tous les avantages en argent.
Cette qualification englobe également les avantages en
nature. Les avantages en nature sont des prestations fournies gratuitement par l’employeur au bénévole ou
moyennant une participation très modique, très inférieure
à la valeur réelle des prestations. Sont considérés comme
des avantages en nature : l’hébergement ou le logement
du collaborateur par l’association, les repas, la mise à
disposition d’un véhicule et, d’une façon générale, la participation financière de l’association à toute dépense
incombant normalement à un salarié.
Le volontariat, la troisième voie
Entre le 1er octobre 2006 et le 1er mars 2007, 477 associations ont été agréées, proposant 4 472 places de
volontaires. Dans le cadre du budget 2008, le gouvernement entend accorder une « importance particulière »
8. Voir V. TCHERNONOG préc.
9. CES, avis du 24 février 1993 relatif à l’exercice et au développement de la vie
associative dans le cadre de la loi du 1er juillet 1901.
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de donner des ordres et des directives, d’en contrôler
l’exécution et d’en sanctionner les manquements6. »
Sur la base de cette définition et a contrario, le collaborateur bénévole doit impérativement bénéficier
d’une véritable autonomie dans l’exécution de sa prestation de travail, d’un réel pouvoir de négociation.
D’où une absence (partielle) d’ordres et de directives
de la part de l’employeur. Sur ce point, il est vivement
conseillé aux associations d’établir un contrat de bénévolat 7. Objectif : mettre l’accent sur la liberté laissée
aux bénévoles dans l’organisation de leur mission.
Remboursements de frais :
l’exception qui confirme la règle
S
i, par définition, un bénévole ne doit pas
s’enrichir dans le cadre de son activité associative, on admet néanmoins, par tolérance,
qu’il puisse être défrayé des dépenses engagées
pour le compte et dans l’intérêt de l’association. En
effet, à la différence des avantages en nature qui
constituent des éléments de rémunération, les
remboursements de frais, s’ils correspondent à des
dépenses réelles et justifiées pour le collaborateur
dans le cadre de son activité associative, ne font pas
disparaître sa qualité de bénévole. En cas de
contrôle ultérieur par l’Urssaf, il est recommandé à
l’association de pratiquer le remboursement des
frais sur la base des dépenses réellement engagées
(avec factures à l’appui) au détriment du remboursement forfaitaire.
au développement du volontariat associatif : 5,1 millions
d’euros et 10 000 recrutements de volontaires.
Le volontariat est un contrat hybride, sui generis, à michemin entre le bénévolat et le salariat. Était-il nécessaire, comme l’a affirmé Jean-François Lamour lors de
la présentation du projet de loi, « de reconnaître l’existence et de permettre le développement du volontariat
associatif » ? Rien n’est moins sûr. Au final, il est créé
un statut particulier de l’engagement associatif, dérogatoire au droit du travail mais intégrant des avantages
sociaux résultant, en principe, d’une relation de travail.
Tout cela semble un peu compliqué même si l’on ne
peut que se réjouir que les volontaires associatifs
bénéficient d’une couverture sociale et de divers autres
avantages sociaux 10. Rappel succinct des éléments de
ce dispositif 11. Un contrat de volontariat peut être
conclu avec une association ou une fondation reconnue
d’utilité publique agréée. L’obtention de l’agrément
dépend notamment « des motifs du recours au volon10. À titre d’exemple : 634,79 € d’indemnités n’ayant « pas le caractère de
salaire » ; 2 jours de congés par mois de mission ; règles encadrant la rupture du
contrat ; accès à la validation des acquis de l’expérience ; titres-repas ; couverture
des risques maladie, maternité, invalidité, décès et accidents du travail, vieillesse.
11. Décr. no 2006-1205 et no 2006-1206 du 29 septembre 2006, JO du 30, p. 14562
et 14564 et Arr. du 30 septembre 2006, JO du 7 octobre 2006, p. 14923 ; voir JA
no 347/2006, p. 33. Instr. no 06-164 du 10 octobre 2006, MJSVA ; voir JA
no 349/2006, p. 6.
12. Sur les contours de cette qualification en matière fiscale, voir JA no 330/2005, p. 29.
13. Pour une assimilation de la situation des volontaires à celle des stagiaires, voir
MAUD SIMONET, « Entre emploi et bénévolat : le volontariat associatif », in
Connaissance de l’emploi no 45, août 2007.
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tariat, de la nature des missions confiées [...] et de la
capacité de l’organisme à assurer leur prise en charge ».
Le contrat écrit organise une « collaboration désintéressée » à « durée déterminée » (trois ans au plus), sans
relever du code du travail puisqu’il « n’emporte pas de
lien de subordination juridique ». Question : cette précision législative péremptoire empêchera t-elle les
juges soumis à un contentieux de rechercher l’existence
d’un véritable lien de subordination ? Sans préjuger de
l’avenir, une telle attitude détonnerait avec les us et
coutumes en la matière des juridictions sociales.
Le contrat « a pour objet l’accomplissement d’une
mission d’intérêt général [...] revêtant un caractère
philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel ou concourant à la mise
en valeur du patrimoine artistique, à la défense de
l’environnement naturel, à la défense des droits ou à la diffusion de la culture, de la langue française et des connaissances scientifiques ». Si les caractères de la mission sont
suffisamment nombreux pour intégrer la quasi-totalité des
associations, une notion restreint tout de même le champ
d’application de ce dispositif : l’intérêt général. Notion
floue, fluctuante et à géométrie variable 12.
Alors, pourquoi restreindre ? Certainement pour ne pas
trop inciter les organisations à développer, pour leurs
activités de droit commun, le recours à cette catégorie
particulière de main-d’œuvre. Une sorte de sous-salariat 13. Un ersatz de contrait aidé. Des individus certes
indemnisés, mais bien moins protégés que s’ils s’inscrivaient dans une relation de travail. Seule une notion
comme celle tirée de l’intérêt général peut légitimer les
nombreuses dérogations aux règles sociales.
À retenir
> Entre bénévolat et salariat, la frontière est ténue.
> Les associations doivent rester vigilantes dans
la gestion de leur bénévoles. La jurisprudence
est constante en la matière : il suffit d’un
mode quelconque de rémunération et d’un
lien de subordination pour basculer d’un statut
à un autre.
> Pour autant, cela n’empêche pas ces deux statuts d’œuvrer dans le sens du projet associatif :
14 millions de bénévoles et 1,9 million de
salariés... les chiffres parlent d’eux mêmes.
> Avec la reconnaissance d’un statut juridique
spécifique aux volontaires associatifs, trois
catégories cohabitent au sein des associations :
les salariés, les bénévoles et les volontaires.
Spécial Forum national des associations et fondations – 2007
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