Troubles du comportement alimentaire
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Troubles du comportement alimentaire
COPYRIGHT Troubles du comportement alimentaire 43 1. Introduction | Pathogenèse1-5 ——Les troubles du comportement alimentaire (TCA) sont très fréquents, et sont en augmentation dans les pays développés depuis la fin des années 1990. ——Ils touchent plus fréquemment les femmes que les hommes. ——En 2002, une étude helvétique a mis en évidence les proportions suivantes : 70 % des adolescentes désirent maigrir, 30 % suivent un régime, 20 % se disent préoccupées de manière permanente par leur ligne, 16 % mangent énormément sans pouvoir s’arrêter plusieurs fois par semaine et 3 % se font vomir plusieurs fois par semaine. ——La prévalence des TCA est augmentée chez les adolescents diabétiques de type 1, en cas d’atteinte d’un proche de troubles affectifs ou de dépendances, ainsi que chez les adultes obèses chez qui elle avoisine les 50 %. ——D’une façon générale, les TCA sont fréquemment associés à des comorbidités psychiatriques comme les troubles affectifs, les troubles anxieux, les troubles de la personnalité ainsi que les abus de substances et syndromes de dépendance. ——La présence d’un TCA est un marqueur important de surmortalité et a un impact majeur sur la qualité de vie d’un patient. Le bénéfice d’une prise en charge sur la qualité de vie justifie un diagnostic précoce par le médecin de premier recours, dont la responsabilité consiste à veiller à la prise en compte conjointe des aspects somatique et psychiatrique de ces pathologies tout en orchestrant la prise en charge spécialisée. Troubles mentaux 593 2. Définition | Classification Définition générale ——Les troubles du comportement alimentaire font partie des conduites de dépendance, si l’on considère dans leur définition qu’un individu consacre une partie importante de ses pensées et ses actions au produit incriminé. Dans ce sens, ils peuvent être considérés comme des addictions comportementales. ——Les TCA comprennent : l’anorexie mentale, la boulimie, et les troubles alimentaires non spécifiés (ou atypiques) dont l’hyperphagie boulimique et le grignotage. A Anorexie mentale ——Les critères diagnostiques de l’anorexie mentale selon le DSM-IV sont : ‒‒A) Refus de maintenir un poids dans la norme : IMC < 17,5 kg /m2 ‒‒B) Peur intense de prendre du poids ‒‒C) Perturbation de la perception de l’image corporelle, de l’appréciation de son poids ou déni de l’importance de la perte pondérale ‒‒D) Chez les femmes, aménorrhée primaire ou secondaire de plus de 3 cycles consécutifs N.B. L’aménorrhée peut précéder la perte de poids. Après exclusion d’une grossesse, toute aménorrhée doit faire suspecter une anorexie chez l’adolescente. Mais attention, la pilule masque ce signe cardinal ! ——On distingue deux types d’anorexie mentale : ‒‒l’anorexie restrictive ; ‒‒l’anorexie avec crises de boulimie et/ou vomissements et/ou prise de purgatifs. N.B. Ce dernier type est particulièrement susceptible de provoquer des complications somatiques, au 1er rang desquelles des troubles électrolytiques et ceci même en l’absence d’une perte de poids majeure. 594 43. Troubles du comportement alimentaire B Boulimie ——Les critères diagnostiques de la boulimie selon le DSM-IV sont : ‒‒A) Episodes récurrents d’hyperphagie (ou crises de boulimie) se définissant par l’ingurgitation de larges quantités de nourriture en un temps limité associée à un sentiment de perte de contrôle. ‒‒B) Comportements compensatoires répétés et inappropriés pour limiter la prise de poids, tels que vomissements provoqués, abus de laxatifs ou de diurétiques, jeûne, régime ou hyperactivité physique. ‒‒C) Au moins 2 épisodes d’hyperphagie et de comportements compensatoires par semaine pendant 3 mois. ‒‒D) Estime de soi influencée de manière excessive par le poids et la silhouette. ‒‒E) Le trouble ne survient pas exclusivement pendant des périodes d’anorexie mentale. N.B. Des crises de boulimie peuvent survenir au cours ou au décours d’une anorexie mentale. Il s’agit d’ailleurs d’une évolution fréquente puisqu’environ la moitié des patients souffrant d’anorexie mentale en présentent en cours d’évolution. C Troubles alimentaires atypiques ——Les TCA atypiques ou non spécifiques sont définis par le DSM-IV comme des troubles ne remplissant pas tous les critères de l’anorexie mentale ou de la boulimie. Il s’agit par exemple des situations suivantes : ‒‒présence de tous les signes cliniques d’anorexie mentale, à l’exception de l’aménorrhée ; ‒‒présence de tous les signes cliniques d’anorexie mentale, mais le poids reste dans la norme ; ‒‒présence de tous les signes cliniques de boulimie, à l’exception du nombre requis de crises de boulimie ou de la durée du trouble ; ‒‒épisodes récurrents de crises de boulimie en l’absence de comportements compensatoires réguliers ; ‒‒comportements compensatoires réguliers suite à l’ingestion de petites quantités de nourriture ; Troubles mentaux 595 ‒‒tendance à mâcher et recracher sans les avaler de grandes quantités de nourriture ; ‒‒grignotage, défini comme étant l’ingestion régulière de petites quantités de nourriture sans comportement compensatoire. Il est fréquemment associé à une prise pondérale ; ‒‒hyperphagie boulimique (frénésie alimentaire), définie par : des épisodes récurrents de frénésie alimentaire, au minimum 2 fois par semaine depuis 6 mois, avec au moins 3 des critères suivants : mange rapidement, jusqu’à se sentir mal ; mange sans faim ; mange seul ; sentiment de dégoût, de déprime et de culpabilité après la prise alimentaire. Absence d’épisode récurrent de jeûne, d’effort physique ou de manipulations purgatives et absence d’anorexie mentale. L’hyperphagie boulimique est fréquemment associée à une prise pondérale. 3. Drapeaux rouges 6 Critères d’urgence ——Aphagie totale ou presque totale ——Amaigrissement très rapide (> 5 kg/mois) ——IMC < 13 kg/m2 ——Bradycardie sinusale < 40 /min, trouble du rythme ——Hypotension : TA < 80/50 mmHg ——Anomalies biologiques : ‒‒potassium < 2,5 mmol/l (si < 2,0 mmol/l : critère pour soins intensifs) ‒‒phosphore < 0,5 mmol/l ‒‒sodium < 125 mmol/l ou > 150 mmol/l ‒‒hypoglycémies répétées < 2,5 mmol/l ——Température centrale < 35 °C ——Troubles de l’état de conscience : ralentissement verbal et idéique ÄUne Ä hospitalisation en urgence en milieu somatique est à envisager. 596 43. Troubles du comportement alimentaire Situations à risque ——Absence de critères somatiques d’urgence mais situation instable : ‒‒amaigrissement > 30 % ou IMC < 14 kg/m2 ‒‒malaises de type orthostatique à répétition ‒‒fatigabilité extrême, épuisement avec hypoactivité physique ‒‒troubles électrolytiques ‒‒troubles digestifs (œsophagite, symptômes d’occlusion) hospitalisation élective en milieu somatique ou dans une ÄUne Ä unité spécialisée dans les TCA est à discuter avec un spécialiste. Critères psychiatriques ——Echec des prises en charge ambulatoires avec notamment persistance d’une perte pondérale ou stagnation d’un état de dénutrition. Il peut s’agir chez le patient d’une incapacité à modifier son comportement alimentaire (ce que l’on observe fréquemment dans les états de dénutrition avancés), d’un refus de collaborer aux soins proposés jusque-là ou d’un état de déni profond de la pathologie. ——Apparition ou majoration d’une symptomatologie anxieuse et/ou dépressive, d’automutilations ou d’idées suicidaires. ——Incapacité à réfreiner une hyperactivité, un comportement purgatif (vomissements provoqués, abus de laxatifs et/ou de diurétiques), une potomanie ou des crises de boulimie qui se succèdent les unes après les autres (état de mal boulimique). ——Etat d’épuisement du patient ou de son entourage. ——Nécessité de retirer au moins temporairement le patient d’un environnement stressant (conflit voire violence familiale ou conjugale, précarité sociale, solitude, situation de deuil, échec scolaire ou professionnel, etc.). ÄUne Ä hospitalisation en milieu psychiatrique ou dans une unité spécialisée dans les TCA est à discuter avec un spécialiste. N.B. Une hospitalisation en milieu psychiatrique sans lien étroit avec un service de soins somatiques ne peut être envisagée que lorsque l’état somatique du patient ne présente plus de critères d’urgence. Troubles mentaux 597 4. Diagnostic6,7 ——L’anamnèse investigue le type d’alimentation, les pratiques purgatives, l’évolution du poids dans le temps et l’utilisation de médicaments comme des laxatifs, des diurétiques ou des coupe-faim. Elle recherche plus précisément : ‒‒la notion d’un régime à l’adolescence (facteur prédictif important) ; ‒‒l’expression d’un idéal de minceur ou la pratique d’un sport pour lequel la minceur est préconisée. ——La symptomatologie : fatigue, nausées, satiété précoce, ballonnements postprandiaux, distorsion de la perception de l’image corporelle, déni, troubles cognitifs (troubles de la mémoire, difficultés de concentration). ——L’anamnèse psychosociale personnelle ou familiale peut révéler des affections telles que : antécédents de TCA (surtout au moment de l’adolescence), troubles affectifs ou anxieux, tentatives de suicide ou mise en danger, comportement d’automutilation ou abus de substances. On retrouve fréquemment une faible estime de soi et une tendance élevée au perfectionnisme. Il faut également rechercher les facteurs de stress comme une « rupture d’étayage » (séparation, deuil, échec professionnel, etc.) responsables d’une majoration des symptômes alimentaires et psychiatriques. ——L’anamnèse peut être complétée par la tenue d’un journal alimentaire, notamment dans l’hyperphagie boulimique et la boulimie. Examen physique ——Mesure de la taille, du poids, calcul de l’IMC, suivi de la courbe pondérale ——Chez l’adulte, évaluer les réserves de graisse (pli cutané) et l’état d’hydratation pour les IMC < 15 kg/m2. ——Chez l’adolescent en phase pubertaire, utiliser les courbes d’IMC par âge. Dans ce cas, le bilan nutritionnel détaillé n’est pas nécessaire en début d’évolution. 598 43. Troubles du comportement alimentaire Tableau 1. Signes physiques ou complications associées au TCA Cardiovasculaire Gastro-intestinal Peau-phanères Hypotension Hypertrophie parotides Ichtyose ou xérose cutanée Acrocyanose Caries dentaires Hypercarotinémie Bradycardie sinusale Œsophagite Lanugo ± hypertrichose Arythmie auriculaire Hématémèse, Mallory-Weiss et ventriculaire Ongles et cheveux cassants Prolapsus mitral Œsophage de Barret Lésions digitales Atrophie ventriculaire G Rupture œsophagienne Perte de cheveux Insuffisance cardiaque Retard vidange gastrique Œdème prenant le godet Neurologique Dilatation gastrique, rupture Métabolique Convulsions Constipation Signes d’hypothyroïdie Myopathie Diarrhées sanglantes Signes d’hypercorticisme Neuropathie périphérique Atonie intestinale Oligo-aménorrhée Atrophie corticale Stéatose hépatique Retard pubertaire Rénal Nécrose focale Arrêt croissance (IGF-1 ) Calculs Pancréatite aiguë Ostéopénie, ostéoporose Immunité Syndr. a. mésentérique sup. Fractures Immunité cellulaire Cholélithiase Diabète insipide partiel Examens de laboratoire 8 ——Les paramètres sanguins et biologiques restent stables tant que la chute pondérale n’excède pas 30 % du poids initial en l’absence de vomissements, d’utilisation de diurétiques, de laxatifs ou de potomanie. ——Dans la démarche diagnostique, le laboratoire permet d’écarter certains diagnostics (cf. Tableau 1) et de mesurer l’impact du TCA sur la fonction biologique. ——Dans le suivi, la fréquence de recours aux paramètres sanguins dépendra du type de TCA et de sa phase (p. ex. phase de Troubles mentaux 599 renutrition à risque), des modes de compensation et/ou de purge (vomissements induits, laxatifs, diurétiques), de l’IMC et de la rapidité de la fluctuation pondérale. ——Situations cliniques et tests recommandés : ‒‒suspicion d’anémie, hémodilution en cas de potomanie : FSS, ferritine ‒‒processus infectieux ou inflammatoire : FSC, CRP, VS ‒‒diabète : glycémie à jeun, bandelette urinaire ‒‒aménorrhée : bêta-HCG ‒‒vomissements, prise de laxatifs, diurétiques (alcalose hypochlorémique), atteinte de la fonction rénale : créatinine, urée, Na, K, Cl, HCO3 ‒‒déshydratation, vomissements, potomanie : pH et densité urinaire ‒‒hypomagnésémie, hypophosphatémie suspectée : Mg, PO4, Ca, albumine ‒‒affection abdominale : ASAT, ALAT, amylase, lipase ——Dans certains cas, il peut être utile d’ajouter les examens suivants : ‒‒TSH, T3 et T4 libre ‒‒protéines totales, magnésium érythrocytaire, zinc, vitamines B1, B2, B6, B12, D3, PTH Tableau 2. Les diagnostics différentiels des TCA ––maladies inflammatoires du tube digestif (maladie de Crohn, RCUH) ––hyperthyroïdie ––grossesse ––maladie d’Addison ––insuffisance hypophysaire ––syndrome de Bartter ––diabète insipide 600 ––maladie auto-immune ––masse abdominale ––tumeurs du SNC ––tuberculose, brucellose, sida ––méga-œsophage ––dépression majeure ––schizophrénie débutante 43. Troubles du comportement alimentaire Autres examens paracliniques ——ECG : en cas de bradycardie < 45 /min ou d’arythmies (ESSV, blocs de branche, QT long et autres troubles de la repolarisation, axe droit). ——Echographie cardiaque : pour évaluer, selon le contexte clinique, la diminution de la masse et de la taille du ventricule G, cardiomyopathie, prolapsus mitral, insuffisance cardiaque, épanchement péricardique. Questionnaire de dépistage 9-12 ——Il existe plusieurs questionnaires de dépistage en anglais. Le questionnaire BITE en français a une sensibilité élevée pour dépister les TCA de type boulimiques ou des frénésies alimentaires (cf. Annexe en fin de chapitre : Questionnaire de dépistage de la boulimie et interprétation). 5. Prise en charge | Traitement A Anorexie mentale 8,13,14 ——La prise en charge tend à être retardée par la valorisation de la maigreur dans notre société et le déni de la maladie par le patient inhérent à la pathologie. Le risque, pour les proches et le médecin, est de se laisser aveugler, de minimiser la situation et de fortement retarder la prise en charge spécialisée ! ——Un dépistage précoce est de première importance, afin qu’un cadre thérapeutique puisse être le plus rapidement mis en place. Le rôle du médecin de premier recours (MPR) est de ce fait primordial. ——Il est recommandé d’évaluer rapidement l’intervention d’autres professionnels et de travailler en réseau : psychiatres ou psychologues et diététicien-ne-s. Le recours à des physiothérapeutes, ergothérapeutes et assistants sociaux peut souvent s’avérer fructueux. Le MPR est l’interlocuteur privilégié du patient anorexique, mais également de l’ensemble de la famille. Il s’avère en effet essentiel que celle-ci puisse être partie prenante au projet thérapeutique qui, dans la majorité des cas, se déroulera sur de longs mois. Troubles mentaux 601 ——Lorsque le patient n’est pas en mesure de collaborer, il est souvent utile de définir un poids limite en dessous duquel une hospitalisation sera requise. Cela permet d’aborder l’ensemble de la problématique, de la nommer et de définir le rôle que peut jouer une hospitalisation. ——Le patient anorexique a un besoin de maîtrise dans la relation et a tendance à projeter ses conflits internes à l’extérieur. Ainsi, il est important de soigner la communication dans le réseau et donc de limiter au maximum les risques de clivage. Il convient également d’être vigilant au fait que l’ambivalence voire l’opposition du patient face au traitement peut susciter chez les soignants des contre-attitudes pouvant compromettre l’ensemble du projet thérapeutique. ——Il est utile d’avoir des connaissances minimales des processus psychodynamiques en jeu dans l’anorexie. Cette pathologie peut ainsi être conçue comme le résultat d’un défaut de structuration identitaire initié au cours de la petite enfance. Il contribue à rendre ces patients dépendants de leur entourage au détriment de leurs propres investissements. En même temps qu’ils ont besoin des autres pour leur équilibre, ces derniers constituent une menace pour leur identité. Ce paradoxe illustre l’importance du conflit dépendance/autonomie de même que l’extrême vulnérabilité de ces patients. Dans ce sens, le fait de rejeter la nourriture et les soins médicaux représente un sursaut vital dont la finalité est de regagner une identité propre. A1. Prise en charge médicale 6 ——Le suivi médical consiste en des consultations régulières pour une surveillance de l’état nutritionnel et des fonctions vitales, dont la fréquence sera déterminée par la gravité de la situation. Le suivi s’intéressera aux taux des électrolytes (K, Mg et P) avec une surveillance clinique des œdèmes, de signes cardiaques congestifs et d’un changement du status mental. ——Le MPR évitera de se focaliser uniquement sur le poids et s’intéressera à l’évolution globale intégrant le suivi nutritionnel, le suivi psychothérapeutique individuel et/ou familial et proposera un soutien à l’ensemble de la famille. D’autres approches comme de 602 43. Troubles du comportement alimentaire la physiothérapie, de l’hypnose ou de la relaxation pourront également être proposées. ——Suppléments vitaminiques et oligo-éléments sont indiqués systématiquement pour tout objectif de reprise de poids si l’IMC < 17 kg/m2. ——La substitution en calcium et vitamine D est recommandée dans tous les cas. ——La densitométrie osseuse est recommandée chez la femme adulte dès 12 mois d’aménorrhée mais n’est en principe pas remboursée par l’assurance obligatoire de soins en Suisse (cf. p. 649). ——Il n’existe aucune preuve d’efficacité de la substitution hormonale sur la densité osseuse de l’adolescent et de l’adulte. Si un IMC reste < 16 kg/m2 durant plus d’un an, une densitométrie peut être envisagée. L’indication aux biphosphonates est posée par les spécialistes. ——Substitution en potassium en cas de purgations fréquentes amenant à une hypokaliémie. ——Autres approches : dompéridone 10 mg 1 cp 3-4 ×/j, traitement symptomatique pour favoriser la vidange gastrique, enzymes pancréatiques à discuter pour diminuer les ballonnements abdominaux. A2. Prise en charge nutritionnelle ——Le bilan nutritionnel permet d’explorer les représentations sociales, familiales, personnelles du repas et de l’alimentation. Il identifie les idées préconçues, les convictions alimentaires, les régimes et modes alimentaires spécifiques et le contexte des prises de repas. L’évaluation alimentaire prévoit trois étapes : 1. analyse de la répartition alimentaire sur la journée, 2. analyse qualitative, 3. analyse quantitative. ——Chez l’adulte, en fonction du type de TCA, de sa phase et des risques de dénutrition, une intervention nutritionnelle doit être proposée. Les objectifs sont une éducation aux principes d’équilibre alimentaire et de prise en charge nutritionnelle. Troubles mentaux 603 ——Pour prévenir le syndrome de renutrition inappropriée (refeeding syndrome, voir plus loin), la renutrition doit être très progressive. La prise de poids visée pour un patient anorexique en ambulatoire est de 0,2-0,5 kg/sem. A3. Prise en charge psychiatrique et psychothérapeutique ——Il s’agit le plus souvent de traitements psychiatriques psychothérapeutiques intégrés ou de psychothérapies au sens strict. Diverses modalités peuvent être employées. Elles doivent nécessairement tenir compte et s’adapter à l’état physique et cognitif du patient. Les références théoriques les plus souvent utilisées sont analytiques, cognitivo-comportementales et systémiques. L’implication de la famille dans le traitement doit être favorisée. ——L’utilité des psychotropes est limitée. Ils sont essentiellement indiqués dans le traitement des comorbidités psychiatriques associées à l’anorexie comme les épisodes dépressifs et les troubles anxieux. Ce sont les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine qui sont le plus souvent employés. En outre, les antipsychotiques atypiques (olanzapine, rispéridone, quétiapine) permettent de diminuer l’anxiété et les obsessions alimentaires souvent massives et envahissantes de même que les distorsions cognitives. B Boulimie et hyperphagie boulimique ——Le MPR joue un rôle déterminant dans le dépistage de ce trouble souvent méconnu et ayant des répercussions psychologiques et socioprofessionnelles majeures. ——La honte, teintant toute la problématique, empêche souvent le patient d’aborder spontanément le sujet. Une mise en confiance préalable est donc primordiale. ——Le médecin doit activement investiguer le TCA, mais également régulièrement poser des questions pour déterminer s’il y a eu un changement de mode compensatoire ou des abus concomitants, notamment d’alcool ou de cocaïne. ——Là aussi, il s’agira de s’entourer d’autres thérapeutes tels qu’un-e diététicien-ne et un-e psychiatre/psychothérapeute. 604 43. Troubles du comportement alimentaire B1. Prise en charge médicale ——Un examen médical régulier est recommandé. La prise en charge comprend les conséquences physiques ou métaboliques d’une éventuelle surcharge pondérale (en cas d’hyperphagie boulimique), notamment en termes de risques cardiovasculaires. ——Le recours aux tests de laboratoire est favorisé en cas de vomissements réguliers : créatinine, Na, K, etc. B2. Prise en charge nutritionnelle ——Un travail sur la restructuration progressive de l’alimentation est fait avec l’utilisation préconisée d’un carnet alimentaire en collaboration avec un-e diététicien-ne, en mettant l’accent sur la réappropriation des sensations corporelles (faim, satiété). N.B. La prescription d’un régime est formellement contre-indiquée. B3. Prise en charge psychiatrique et psychothérapeutique15-19 ——Différentes psychothérapies sous diverses formes (principalement analytiques, cognitivo-comportementales et systémiques) et diverses modalités (par exemple, en traitement individuel ou en groupe) ont montré leur efficacité. Parmi celles-ci, la thérapie cognitivo-comportementale est associée aux meilleurs résultats à court terme. Certaines techniques d’auto-traitement par des manuels ou des programmes informatiques de même que par internet semblent montrer une certaine efficacité. ——Les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (SSRI) à haute dose (par exemple, la fluoxétine 60 mg/j) s’avèrent efficaces chez environ la moitié des patients, permettant de diminuer transitoirement la fréquence et l’intensité des crises de boulimie. Le taux de rechute à l’arrêt du traitement est très élevé et rend nécessaire son association à une psychothérapie. D’autres traitements semblent montrer une efficacité pour la réduction des épisodes d’hyperphagie boulimique, mais ont plus d’effets secondaires : le topiramate, la naltrexone et l’ondansétron. Ils ne font pas encore partie des traitements médicamenteux de référence. Troubles mentaux 605 6. Suivi | Complications | Pronostic A Anorexie mentale Suivi ——IMC > 14 kg/m2 et vomissements > 2 ×/sem régulièrement : K, Cl, urée, créatinine 1 ×/mois ——IMC < 14 kg/m 2 : FSS, glycémie, Na, K, Cl, HCO3, phosphate, Mg, créatinine, ASAT, ALAT ——IMC < 12 kg/m2 ou phase de renutrition : phosphate régulier ——Bradycardie < 45/min ou arythmies : ECG ——Suivi clinique : état nutritionnel, fonctions vitales, surveillance des œdèmes, de signes cardiaques congestifs et d’un changement du status mental. Complications 20-22 ——Ostéopénie ou ostéoporose avec risque augmenté d’un facteur 3 pour les fractures ——Avant la fin de la puberté : retard de croissance ——Problèmes cardiaques : ‒‒prolapsus mitral (jusqu’à 60 % des anorexiques, 6-22 % de la population générale) ; ‒‒allongement du QT ( jusqu’à 33 %) marqueur indépendant d’arythmies et de mort subite ; ‒‒insuffisance cardiaque (risque lors des 2 premières semaines de renutrition). ——Emphysème pulmonaire ——Dysfonction intestinale : ralentissement intestinal, nausées ou ballonnements, rupture œsophagienne ou gastrique, œsophagite, dilatation gastrique ——Modifications endocriniennes multiples ——Anomalies métaboliques : hypokaliémie, hyponatrémie, alcalose métabolique ——Erosions dentaires, sinusites et parotides volumineuses ——Règles irrégulières ou aménorrhée, infertilité ——Céphalées ——Altérations cognitives, isolement et désinsertion sociale 606 43. Troubles du comportement alimentaire ——Crise suicidaire ——Syndrome de renutrition inappropriée (refeeding syndrome) : il apparaît dans les anorexies sévères (< 75 % du poids idéal) ou lorsqu’il y a eu une perte pondérale importante récente et rapide. Le risque est maximal dans les 2-3 premières semaines de renutrition. Il se manifeste par les signes cliniques d’une hypophosphatémie (collapse cardiovasculaire, rhabdomyolyse, convulsions, délire, insuffisance cardiaque), par une hypokaliémie, une hypomagnésémie et un déficit en thiamine (encéphalopathie de Wernicke). Pronostic23,24 ——Pronostic à 10 ans : environ 45 % de guérison, 30 % d’amélioration, 20 % d’évolution chronique. Le taux de mortalité brute est d’environ 4 % pour l’anorexie et la boulimie. ——Les rechutes sont fréquentes et la guérison lente, rarement obtenue avant quatre ans. ——L’anorexie peut fréquemment évoluer vers la boulimie. ——Les facteurs de mauvais pronostic sont : l’âge élevé du début de la maladie, sa durée, un IMC bas au début de la prise en charge et la présence d’une ou de plusieurs comorbidités psychiatriques. La prévalence d’une dépression majeure, d’une dépendance à l’alcool et de troubles anxieux ou de la personnalité est élevée. La qualité de l’insight qui représente la capacité d’introspection ainsi que de bonnes relations familiales, sociales et sexuelles constitueront des facteurs de bon pronostic. 7. Message ›› Le dépistage des troubles du comportement alimentaire peut se faire à l’aide du questionnaire BITE. ›› La prise en charge de l’anorexie mentale doit se faire en réseau. ›› Le MPR évitera de se focaliser uniquement sur le poids et s’intéressera à l’évolution globale intégrant le suivi nutritionnel ainsi que le suivi psychothérapeutique individuel et/ou familial. ›› Dans la phase de renutrition, prendre garde au risque de syndrome de renutrition inappropriée. Troubles mentaux 607 8. Annexe Tableau 3. Questionnaire de dépistage de la boulimie Questionnaire auto-administré BITE: Bulimic Investigatory Test, Edinburgh. Hendersen M, Freeman CP. Consignes ––Dépistage : sentiments et comportements durant les 3 derniers mois. ––Mesure de réponse au traitement : seul le dernier mois doit être pris en compte. oui non 1. Mangez-vous quotidiennement selon un schéma régulier ? 2. Faites-vous un régime strict ? M M 3. Si vous abandonnez une fois votre régime, est-ce un échec ? M M 4. Calculez-vous les calories de tout ce que vous mangez, même lorsque vous ne suivez pas de régime ? M M 5. Vous arrive-t-il de jeûner pendant toute la journée ? M M 6. Si oui à quelle fréquence ? (entourer le chiffre approprié) 1. une fois seulement 4. deux ou trois fois par semaine 2. de temps en temps 5. tous les deux jours 3. une fois par semaine 7. Avez-vous recours aux moyens suivants pour perdre du poids ? (entourer le chiffre approprié) Coupe-faim Diurétiques Laxatifs Vomissements provoqués M M Jamais Occasion nellement 1 ×/ sem. 2-3 ×/ sem. Quotidiennement 2-3 ×/ jour 5 ×/jour ou plus 0 0 0 2 2 2 3 3 3 4 4 4 5 5 5 6 6 6 7 7 7 0 2 3 4 5 6 7 8. Votre schéma d’alimentation perturbe-t-il sévèrement votre vie ? M M 9. Diriez-vous que la nourriture domine votre vie ? M M 10. Vous arrive-t-il de manger sans arrêt et de ne cesser que lorsque vous ressentez un malaise physique ? M M 11. Y a-t-il des moments où vous ne pouvez plus penser à rien d’autre qu’à la nourriture ? M M 12. Mangez-vous raisonnablement quand vous êtes en compagnie, tout en vous « rattrapant » quand vous êtes seul-e ? M M M M 13. Pouvez-vous toujours arrêter de manger lorsque vous voulez ? 608 43. Troubles du comportement alimentaire oui non 14. Vous est-il arrivé d’éprouver un besoin irrésistible de manger d’énormes quantités de nourriture ? M M 15. Avez-vous tendance à beaucoup manger lorsque vous êtes angoissé-e ? M M 16. Etes-vous terrifié-e à l’idée de devenir gros-se ? M M 17. Vous est-il arrivé de manger de grandes quantités de nourriture rapidement ? (en dehors des repas) M M 18. Avez-vous honte de vos habitudes alimentaires ? M M 19. Craignez-vous de ne plus avoir le contrôle sur la quantité de nourriture que vous mangez ? M M 20. Vous raccrochez-vous à la nourriture pour vous réconforter ? M M 21. Pouvez-vous laisser des restes sur votre assiette à la fin de repas ? M M 22. M M M M Cachez-vous aux autres combien vous mangez ? 23. La faim détermine-t-elle la quantité de ce que vous mangez ? 24. Vous et-il arrivé de dévorer irrésistiblement d’énormes quantités de nourriture ? M M 25. Si oui, cela vous rend-il très malheureu-x-se ? M M 26. Lorsque vous dévorez d’énormes quantités de nourriture, le faites-vous uniquement en cachette ? M M 27. A quelle fréquence moyenne le faites-vous ? (voir question 26) (entourer le chiffre approprié) 4. 2 à 3 fois par semaine 1. presque jamais 2. une fois par mois 5. quotidiennement 3. une fois par semaine 6. 2 à 3 fois par jour 28. Seriez-vous capable de faire des démarches considérables pour satisfaire ce besoin irrésistible de manger ? M M 29. Vous sentez-vous très coupable lorsque vous avez trop mangé ? M M 30. Vous arrive-t-il de manger en cachette ? M M M M 31. Considérez-vous vos habitudes alimentaires comme normales ? 32. Vous considérez-vous comme un(e) mangeu-r-se compulsi-f-ve ? M M 33. Votre poids fluctue-t-il de plus de 2 kg par semaine ? M M Troubles mentaux 609 Interprétation du score BITE par le professionnel Echelle de symptômes Questions en noir gras 1 13 21 23 31 2 3 Questions en noir 15 16 17 18 19 20 22 24 4 5 8 Nombre de NON 9 10 11 12 14 25 26 28 29 30 32 33 Nombre de OUI Total Interprétation Points Score Interprétation < 10 bas Comportement dans la norme 10-19 moyen Frénésie alimentaire à investiguer ≥ 20 élevé Probabilité de boulimie élevée Echelle de sévérité Questions en rouge 6 7 27 23 31 Somme des résultats obtenus Interprétation 610 Points Score Interprétation <5 bas Cliniquement non significatif 5-10 moyen Cliniquement significatif ≥ 10 élevé Haut degré de sévérité 43. Troubles du comportement alimentaire 9. Références bibliographiques | Liens 1. Eaton DK, Kann L, Kinchen S, Ross J, Hawkins J, Harris WA, et al. Youth risk behavior surveillance - United States, 2005. MMWR Surveill Summ. 2006 ; 55 : 1-108. 2. Narring F, Tschumper A, Inderwildi Bonivento L, Jeannin A, Addor V, Bütikofer A,et al. 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