pas d`AMAP à Vénissieux? - Antenne sociale de Lyon
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1 Antenne Sociale de Lyon Novembre 2014 Les quartiers de banlieue, désert du circuit court ? L'exemple des Minguettes Nature du document Ce document constitue un résumé du mémoire de Géographie, préparé à l'ENS de Lyon par Alice NIKOLLI entre mars et juin 2014, sous la direction de J. Le Gall et L. Merchez. Il repose sur l’exploitation de questionnaires, de sondages, d'entretiens menés avec des habitants du quartier et des élèves du collège Elsa Triolet de Vénissieux, des responsables municipaux, divers acteurs associatifs et des agriculteurs de la région lyonnaise. Fresque murale du jardin de la Passion, quartier Darnaise – Cliché : NIKOLLI, 2014 67, Laennec- 69008 LYON – tél : 04 78 61 77 18 – courriel : [email protected] – site http://antennesocialelyon.org 2 Antenne Sociale de Lyon Point de départ de la réflexion Dans les médias comme dans les sciences sociales, on parle de plus en plus de la consommation de produits locaux, qui prend souvent la forme de ce que l'on appelle les « circuits courts ». En France, les circuits courts ont été définis officiellement en 2009 : il s'agit d'une filière de commercialisation agricole au 1 sein de laquelle on compte 0 ou 1 intermédiaire entre le producteur et le consommateur . La définition officielle ne mentionne pas le critère de la distance, mais celui-ci est bien souvent mis en avant par les travaux de recherche et les porteurs de projet : on retient en général le seuil de 80 km. Un circuit court, c'est donc une filière de commercialisation des produits agricoles dans laquelle il y a au maximum un 2 intermédiaire entre le producteur et le consommateur, qui se situent à moins de 80 km l'un de l'autre . Ces circuits courts prennent des formes diverses : vente directe sur les marchés, vente à la ferme, AMAP, magasins de producteurs... Dans le cadre de ce travail, on s'intéressera également aux jardins urbains (jardins partagés, jardins familiaux), dans la mesure où, au-delà de la simple consommation locale, ils permettent une autoproduction alimentaire qui est intéressante à la fois en termes d'alimentation de qualité et de lutte contre la précarité économique. Dans l'agglomération lyonnaise, les circuits courts se sont multipliés, du fait de la proximité d'une agriculture dynamique qui a depuis longtemps une tradition de vente directe sur les marchés. Ainsi, le département du Rhône est le premier département de Rhône-Alpes par la place des circuits courts avec 42 % des exploitations agricoles qui les utilisent. Néanmoins, les circuits courts ne sont pas présents dans 3 tous les quartiers de l'agglomération lyonnaise . En effet, ils sont surtout concentrés dans les quartiers du centre-ville de Lyon et dans les communes des périphéries Ouest, connues pour être de sociologie plutôt bourgeoise. A l'inverse, la banlieue Est, qui est beaucoup plus populaire, apparaît moins pourvue en circuits courts. Et au sein de cette banlieue Est, le cas de Vénissieux est encore plus marquant : il n'y a quasiment aucun circuit court dans la commune. Cette inégalité socio-spatiale entre quartiers aisés et quartiers populaires est à l'origine du questionnement de ce mémoire. Il s'agissait de se demander si les quartiers populaires, voire défavorisés, étaient forcément moins pourvus en circuits courts et de chercher des explications à cette distribution spatiale de l'offre en produits locaux. C'est le quartier des Minguettes qui a été choisi pour mener ce travail de terrain car c'est un quartier connu, qui a une image forte, et qu'il était intéressant d'étudier l'offre en produits locaux dans un quartier de banlieue, plutôt que dans un quartier de centre-ville comme la Croix-Rousse, où les circuits courts sont déjà bien développés. Ce travail de recherche s'inscrit ainsi dans les réflexions 4 autour de la notion de justice alimentaire : il s'agit de se demander si l'alimentation de qualité, et en l'occurrence l'alimentation locale, est à la portée de tous, ou si elle est réservée aux classes sociales supérieures. 1 Plan Barnier pour le développement des circuits courts, 2009. En ligne : http://agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/4p-CircuitsCourts.pdf Pour plus de précisions sur les définitions des circuits courts, voir CHAFFOTE & CHIFFOLEAU, 2007, en ligne : http://psdrcoxinel.fr/IMG/pdf/Cahier_de_l_Obs1-INTERNET.pdf 3 Voir la carte interactive réalisée par le site de presse en ligne Rue89 Lyon, disponible à l'adresse : http://www.rue89lyon.fr/circuitcourt/ 4 Cette notion a été développée par des chercheurs et des militants en Amérique du nord, dans le cas des quartiers défavorisés. En anglais, on parle ainsi de food justice. 2 67, Laennec- 69008 LYON – tél : 04 78 61 77 18 – courriel : [email protected] – site http://antennesocialelyon.org Tel : 04 78 61 77 18 3 Antenne Sociale de Lyon Les Minguettes, un désert du circuit court L'état des lieux de l'offre en produits locaux est sans appel : à l'exception de quelques producteurs vendant en direct sur le marché, il n'y a aucun accès aux produits de l'agriculture locale dans le quartier des Minguettes (Tableau 1). Le quartier constitue ainsi un désert du circuit court au sens où il est presque impossible d'y acheter ou d'y obtenir de quelque façon que ce soit (aide alimentaire, restauration collective...) des produits issus de l'agriculture locale. Mais si les circuits courts sont absents du quartier, les jardins urbains, quant à eux, sont nombreux. On en 5 compte 12 dans la commune de Vénissieux , dont deux aux Minguettes (le jardin d'insertion de l'Envol et le jardin partagé de la Passion) tandis qu'un troisième s'y situait jusqu'en 2007, avant de déménager en contrebas du plateau (les jardins familiaux de la rue Komarov). En plus de créer du lien social, ces jardins permettent une autoproduction alimentaire. La production moyenne par jardinier représente 31 % (jardin de l'Envol) et 20 % (jardin de la Passion) de la consommation annuelle moyenne de fruits et légumes par 6 personne en France . On est loin de l'autosuffisance alimentaire mais il s'agit néanmoins d'une contribution importante à l'accès à des produits frais et hyperlocaux pour les familles concernées. Certes, les personnes qui bénéficient de ces jardins sont peu nombreuses, au regard des quelques 20 000 habitants du plateau, mais le cercle des personnes qui bénéficient de cette production hyperlocale dépasse le seul groupe des jardiniers et de leur foyer. Parmi l'échantillon d'habitants interrogés, seulement 6 % cultivent un jardin mais ce sont 17 % qui bénéficient de dons ou d'échanges de la part d'un membre de leur famille ou d'un ami qui en cultive un. D'autre part, plusieurs projets de distribution de produits alimentaires et de produits locaux sont en émergence dans le quartier, qui viennent nuancer le constat d'un désert du circuit court. Ces quelques projets peuvent ainsi laisser penser que l'offre en produits locaux s'étoffera à l'avenir dans le quartier. • L'épicerie solidaire En Faim nourrit le projet de développer des partenariats avec des producteurs locaux afin de proposer aux usagers de l'épicerie des produits frais issus de l'agriculture locale (source : entretien). • L'association VRAC, créée en décembre 2013, a de son côté le projet de mettre en place des groupements d'achats, sur des produits à la fois alimentaires et non-alimentaires. Leur objectif est de permettre aux habitants du quartier d'avoir accès à des produits de qualité à moindres frais (source : entretien). 5 6 Source : le Passe-jardin Soit 187 kg de fruits et légumes consommés par personne en France en 2008. Source : France AgriMer / INSEE. 67, Laennec- 69008 LYON – tél : 04 78 61 77 18 – courriel : [email protected] – site http://antennesocialelyon.org Tel : 04 78 61 77 18 4 Antenne Sociale de Lyon Tableau 1 : bilan de l'offre en produits locaux dans le quartier des Minguettes Moyen d'accès potentiel à des produits locaux Estimation du public touché Accès de fait aux produits de l'agriculture locale ? 480 personnes dans 12 jardins (partagés et familiaux) à l'échelle de la commune (1) Autoproduction alimentaire effective mais accès aux jardins très limité en termes de public Marché des Minguettes Fréquenté par 75 % de l'échantillon (2) Accès effectif mais très limité aux produits de l'agriculture locale (environ 10 % de producteurs) Alterconso 30-40 adhérents à Très peu de public touché sur le plateau des Minguettes l'échelle de la commune (constat empirique des responsables de la distribution) (2) Agriculture urbaine Jardins collectifs Circuits courts Expériences de distribution de paniers à Bioforce ND Public interne à Bioforce, pas d'ouverture sur le quartier (deux expériences qui ne sont plus d'actualité) Approvisionnement local de l'aide alimentaire Epicerie solidaire 174 familles (janvier 2014) (2) Un projet d'approvisionnement local en partenariat avec des producteurs qui se trouve actuellement en suspens Restos du Cœur 1230 familles (hiver 2013-2014) (3) Pas d'accès aux produits de l'agriculture locale Secours Populaire 450 familles (2014) (2) Approvisionnement local très minoritaire (accord informel du comité de Vénissieux avec un producteur de pommes d'Irigny) Approvisionnement local de la restauration collective Restauration collective 4000 repas/jour (2) Approvisionnement local très minoritaire (le fournisseur en viande s'approvisionne dans les Monts du Lyonnais) Offre en produits locaux dans le commerce conventionnel Commerces alimentaires du plateau Fréquentés par 62 % de l'échantillon (2) Pas d'accès aux produits de l'agriculture locale Sources : (1) Le Passe-Jardin (2) Travail de terrain, NIKOLLI, 2014 (3) Site des Restos du Cœur du Rhône 67, Laennec- 69008 LYON – tél : 04 78 61 77 18 – courriel : [email protected] – site http://antennesocialelyon.org Tel : 04 78 61 77 18 5 Antenne Sociale de Lyon Comment expliquer cette absence d'offre en produits locaux dans le quartier ? Plusieurs hypothèses ont été testées pour tenter d'expliquer l'absence d'offre en produits locaux dans le quartier. L'inefficacité de l'explication par les habitudes alimentaires La première hypothèse était que les habitudes alimentaires des habitants du quartier ne correspondaient pas à l'offre en produits locaux. En effet, dans la mesure où les Minguettes sont un quartier multiethnique, on aurait pu penser que les cultures culinaires de la population nécessitaient des produits impossibles à cultiver à proximité tout au long de l'année (fruits exotiques, légumes d'été...). Cela aurait expliqué qu'il n'y ait pas de demande particulière pour les produits locaux dans le quartier, et donc pas d'offre en conséquence. Mais les réponses au questionnaire montrent qu'il n'en est rien : les habitants interrogés consomment massivement les produits commercialisés en circuits courts dans la région de Lyon. Par exemple, les légumes sont consommés de manière fréquente par 87 % de l'échantillon, et sont commercialisés en circuit court par 69 % des exploitations agricoles de Rhône-Alpes. Ce ne sont donc pas les habitudes alimentaires qui expliquent que les Minguette soient un désert du circuit court. L'ambivalence de l'explication financière La seconde hypothèse s'appuyait sur le profil socio-économique du quartier. Les Minguettes sont en effet un quartier défavorisé et on faisait l'hypothèse que les producteurs qui vendent en circuit court font ce choix pour valoriser au mieux leur production (par opposition à la vente à la grande distribution, peu rémunératrice pour eux) : ils n'iraient donc pas dans des quartiers qu'ils considèrent comme pauvres. D'un côté, l'hypothèse se vérifie. Ainsi, les réponses au questionnaire montrent que le prix des produits alimentaires est un critère d'achat très important pour les habitants du quartier (il est cité par 91 % des répondants avec un rang moyen de 1,72 sur 3) tandis que les entretiens avec les agriculteurs soulignent bien qu'ils cherchent à vendre au meilleur prix. Cela expliquerait donc qu'ils ne viennent pas dans ce quartier où les habitants recherchent au contraire des prix bas. Mais d'un autre côté, certains agriculteurs soulignent que les quartiers populaires sont un débouché intéressant dans la mesure où la clientèle y est nombreuse et consomme en quantité, bien qu'elle ne soit pas prête à payer des prix élevés. De plus, plusieurs agriculteurs rencontrés mettent l'accent sur la concurrence entre producteurs et revendeurs sur les marchés de plein vent, plus que sur le pouvoir d'achat de la population. Ce ne serait donc pas tant le faible pouvoir d'achat dans le quartier qui expliquerait l'absence d'offre en produits locaux, mais bien la concurrence : les producteurs ne viennent pas sur le marché des Minguettes car ils ne font pas le poids face aux revendeurs, pour une population qui recherche avant tout des prix bas. 67, Laennec- 69008 LYON – tél : 04 78 61 77 18 – courriel : [email protected] – site http://antennesocialelyon.org Tel : 04 78 61 77 18 6 Antenne Sociale de Lyon L'explication par l'offre : réseaux sociaux et géographie de l'agriculture lyonnaise La dernière hypothèse testée s'appuyait sur la configuration des réseaux de circuits courts lyonnais. A Lyon, les producteurs qui vendent en circuits courts se situent pour l'essentiel à l'Ouest et implantent leurs lieux de vente dans l'agglomération en fonction d'un réseau social d'interconnaissance et de contacts professionnels. Il semble ainsi que ces deux éléments handicapent le quartier des Minguettes, qui se situe à l'Est – soit à l'opposé de cette agriculture – et où les acteurs ne sont pas forcément intégrés dans les réseaux de circuits courts. Il est ainsi intéressant de remarquer que tous les producteurs vendant en circuits courts qui ont été rencontrés ont leur exploitation dans l'Ouest lyonnais tandis que les rares producteurs rencontrés sur le marché des Minguettes, viennent de l'Est et du Sud de l'agglomération. La géographie de l'agriculture en région lyonnaise (Carte 1) constitue ainsi une piste d'explication du décalage de l'offre en circuits courts entre l'Ouest et l'Est de l'agglomération, qui permet de dépasser la seule explication financière en lien avec le clivage social Ouest riche / Est populaire. L'agriculture qui vend en circuits courts se situe à l'Ouest et vend donc au plus proche. A l'inverse, l'agriculture qui se situe dans les plaines de l'Est lyonnais est davantage tournée vers les grandes cultures (céréales, oléagineuses) et intégrée aux industries agro-alimentaires : elle ne bénéficie donc pas aux quartiers de banlieue qui se situent à proximité immédiate, puisqu'elle ne pratique pas les circuits courts. 67, Laennec- 69008 LYON – tél : 04 78 61 77 18 – courriel : [email protected] – site http://antennesocialelyon.org Tel : 04 78 61 77 18 7 Antenne Sociale de Lyon Quelles perspectives pour les circuits courts dans le quartier ? Dans l'optique d'une amélioration de la justice alimentaire, quelles pistes peuvent être retenues pour envisager le développement de l'offre en produits locaux dans un quartier comme les Minguettes ? Principe de fonctionnement • Tout d'abord, il semble que le développement des circuits courts dans les quartiers défavorisés nécessite de repenser leur fonctionnement. Les circuits courts, notamment les AMAP, ont en effet été initialement pensés pour soutenir des producteurs en difficulté : dans une AMAP, on paie en avance et on n'est pas assuré des quantités qui seront disponibles, ni du contenu du panier. Or, ce type d'incertitudes est incompatible avec des populations précaires, qui n'ont pas forcément de visibilité budgétaire sur le moyen terme et cherchent à optimiser leur approvisionnement d'un point de vue quantité/prix. Dans le cas des quartiers défavorisés, il faudrait peut-être inverser la relation de solidarité : ce pourrait être au tour des 7 producteurs de soutenir des consommateurs . De nouveaux projets sont à inventer dans cette optique... Soutien politique • Ensuite, il semble qu'un soutien politique soit nécessaire à la pérennité des initiatives de circuits courts dans les quartiers défavorisés. Les rares exemples de circuits courts dans des quartiers de banlieue lyonnaise qui ont explicitement un but de démocratisation des produits locaux sont en effet soutenus par les pouvoirs publics : c'est par exemple le cas de la Ferme des Buers à Villeurbanne, qui est 8 subventionnée au titre de la Politique de la Ville . Or, à Vénissieux, l'alimentation locale n'est pas encore un axe de travail politique (source : entretien au service Environnement). Sensibilisation • La dernière piste est celle de la sensibilisation. Un projet de sensibilisation aux questions alimentaires et agricoles s'est déroulé avec une classe de 5° du collège Elsa Triolet tout au long de l'année scolaire 20132014. Ce projet permet de voir que les jeunes générations connaissent mal l'agriculture – et en particulier l'agriculture de proximité – mais peuvent s'y intéresser dès lors qu'elle leur est présentée de manière concrète (rencontre avec une agricultrice, visite d'une exploitation maraîchère). En ce sens, on peut penser qu'une sensibilisation aux opportunités d'approvisionnement alimentaire représentées par l'agriculture de proximité permettra à l'avenir de développer l'offre en produits locaux dans le quartier. 7 8 Sur ces questions, voir MUNDLER et al., 2006 et RIPOLL, 2013. Source : http://www.rhone-solidaires.org/legum-au-logis-des-paniers-solidaires-la-ferme-des-buers-villeurbanne 67, Laennec- 69008 LYON – tél : 04 78 61 77 18 – courriel : [email protected] – site http://antennesocialelyon.org Tel : 04 78 61 77 18 8 Antenne Sociale de Lyon Bibliographie sélective BARNIER M. (2009), « Renforcer les liens entre producteurs et consommateurs - Plan d’action pour développer les circuits courts », Paris, Ministère de l’Agriculture. CHAFFOTE L. et CHIFFOLEAU Y. (2007), « Vente directe et circuits courts : évaluations, définitions et typologie », Les Cahiers de l’Observatoire CROC, n°1. MUNDLER P., ANGELUCCI M.-A., COMTE E. et NEYRAT S. (2006), « Fonctionnement et reproductibilité des AMAP en Rhône-Alpes - Rapport final », ISARA Lyon. RIPOLL F. (2013), « Forces et faiblesses des AMAP et dispositifs apparentés », in Résister au quotidien, Presses de Sciences Po, pp. 161-188 67, Laennec- 69008 LYON – tél : 04 78 61 77 18 – courriel : [email protected] – site http://antennesocialelyon.org Tel : 04 78 61 77 18