L`imagerie bizarre et la mémoire

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L`imagerie bizarre et la mémoire
Psychologie française 56 (2011) 203–208
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Article court
L’imagerie bizarre et la mémoire
Bizarre imagery and memory
S. Nicolas ∗, Y. Gounden
CNRS UMR 8189, laboratoire de psychologie et neurosciences cognitives, université Paris Descartes,
71, avenue Édouard-Vaillant, 92774 Boulogne-Billancourt cedex, France
i n f o
a r t i c l e
Historique de l’article :
Reçu le 23 janvier 2009
Accepté le 1er octobre 2011
Mots clés :
Mémoire
Dessins
Bizarrerie
Rappel
r é s u m é
Une expérience a examiné le souvenir de dessins bizarres et
communs en rappel libre. Les dessins bizarres ont été réalisés
soit en supprimant (dessins SB), soit en ajoutant certains traits de
surface (dessins AB). Un effet classique de bizarrerie a été obtenu
seulement pour les dessins AB. En effet, aucun effet de facilitation
n’a été obtenu quand des dessins fragmentés incomplets ont été
utilisés. Les résultats ont été discutés à la lumière des théories
intéressées par l’explication de l’effet de bizarrerie en mémoire.
© 2011 Société française de psychologie. Publié par Elsevier
Masson SAS. Tous droits réservés.
a b s t r a c t
Keywords:
Memory
Pictures
Bizarreness
Recall
One experiment examined free recall memory performance for
bizarre and common pictures. Bizarre pictures were designed
either deleting some components (SB pictures) either adding some
components (AB pictures). A classical bizarreness effect was only
obtained for AB pictures. Indeed no facilitative effect of bizarreness
was obtained when incomplete fragmented pictures were used.
Results were discussed in light of theories interested by the explanation of the bizarreness effect in memory.
© 2011 Société française de psychologie. Publié par Elsevier
Masson SAS. Tous droits réservés.
∗ Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (S. Nicolas).
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doi:10.1016/j.psfr.2011.10.002
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La manipulation du traitement perceptif durant l’étude constitue une méthode originale pour
comprendre le fonctionnement de notre mémoire. Un champ de recherche en plein développement est actuellement constitué par tout un ensemble de travaux intéressés par la question de la
distinctivité en mémoire (pour une revue récente : Hunt et Worthen, 2006).
De nombreux résultats expérimentaux ont montré que les événements distinctifs et inhabituels
sont par nature mieux mémorisés que les événements communs. Schmidt (1991) a montré que les
stimuli peuvent être distinctifs soit par rapport à un contexte spécifique (on parle de distinctivité
primaire ou intraliste), soit par rapport à toutes nos connaissances stockées en mémoire (on parle
de distinctivité secondaire ou extraliste). L’effet von Restorff (1933), appelé aussi effet d’isolation, est
un exemple de distinctivité primaire (Hunt, 1995) : lorsqu’un des membres d’une liste d’étude est
dissemblable sur une dimension quelconque (par exemple, perceptive ou conceptuelle), le souvenir
pour cet item atypique sera plus important que pour tous les autres membres de la liste étudiée. Un
exemple de distinctivité secondaire nous est fourni par l’effet de bizarrerie (Einstein et McDaniel,
1987 ; McDaniel et Einstein, 1986). Dans ce cas, les dessins ou les images étranges sont en minorité
lorsqu’on les compare à toutes les connaissances déjà stockées dans notre mémoire. Du fait de cette
minorité, ils deviennent plus distinctifs et mieux mémorisables.
Lorsqu’on considère la littérature sur l’effet de bizarrerie, que nous allons étudier ici, de très nombreuses différences existent entre les études déjà réalisées (Einstein et McDaniel, 1987). En effet, une
variété considérable de méthodes et de matériels a été utilisée. Dans la majorité des expériences, on
présente habituellement un matériel verbal (par exemple, des phrases) qui se rapporte soit à un événement bizarre, soit à un événement normal. Par exemple, le contexte bizarre pour les items chien,
bicyclette et rue pourrait être : « Le chien roule à bicyclette dans la rue » ; le contexte normal pourrait
être : « Le chien aboie à la bicyclette dans la rue ». Dans d’autres expériences, on fournit aux sujets
des dessins (normaux ou bizarres) représentant des noms concrets. Par exemple, dans leurs fameuses
expériences, Wollen et al. (1972) ont présenté à leurs sujets des paires de mots (par exemple : cigarepiano) accompagnées de dessins. Dans la condition interactive-bizarre, le dessin représentait un piano
fumant un cigare ! Dans les expériences les plus récentes réalisées au laboratoire (Marchal et Nicolas,
2000 ; Nicolas et Gounden, 2010 ; Nicolas et Marchal, 1996, 1998 ; Nicolas et Worthen, 2009), nous
avons préféré utiliser des dessins isolés représentant un concept pour étudier l’effet de bizarrerie.
Ces expériences ont manipulé le format du dessin (commun ou bizarre) et ont comparé les performances à divers tests de mémoire. Habituellement, on se souvient mieux en rappel libre (test de
mémoire consciente) des dessins bizarres que des dessins communs. Puisque ces résultats sont en
accord avec la littérature sur l’effet de bizarrerie qui utilise le plus souvent des phrases comme matériel expérimental, nous avons décidé ici d’employer ce type de matériel à cause de sa simplicité de
mise en œuvre et des possibilités de manipulations perceptives. En effet, il est possible de rendre
un dessin bizarre en utilisant plusieurs règles différentes. Dans nos travaux antérieurs (Marchal et
Nicolas, 2000 ; Nicolas et Gounden, 2010 ; Nicolas et Marchal, 1998 ; Nicolas et Worthen, 2009), la
seule règle de construction suivie pour produire des dessins bizarres consistait à multiplier une des
caractéristiques (par exemple, un landau à six roues) sans rendre pour autant l’image grotesque. Afin
de généraliser nos résultats à d’autres situations, l’objectif dans ce travail a été d’utiliser une autre règle
de construction des dessins bizarres consistant simplement à supprimer certaines caractéristiques de
l’image.
On sait aujourd’hui qu’un effet de bizarrerie ne peut apparaître que dans certaines conditions
d’étude et de test. Un premier facteur critique déterminant l’efficacité mnésique de la bizarrerie est
la méthode de test utilisée. L’effet de bizarrerie est obtenu lorsque des tests de rappel libre sont
proposés mais n’apparaît généralement pas lorsque des tests de rappel indicé ou de reconnaissance
sont administrés (Cornoldi et al., 1988 ; Cox et Wollen, 1981 ; McDaniel et Einstein, 1986 ; Pra Baldi
et al., 1985). L’apparition de cet effet en rappel libre ne dépend pas habituellement du moment où le
test est proposé (immédiatement après la présentation ou après un délai de quelques minutes ou de
quelques jours). Un autre facteur important dans l’apparition de ces effets est la structure de la liste
d’étude. Des listes panachées, dans lesquelles le matériel bizarre et commun est présenté (McDaniel
et Einstein, 1986 ; O’Brien et Wolford, 1982 ; Pra Baldi et al., 1985), conduisent à une supériorité de la
condition inhabituelle contrairement à ce que l’on peut observer dans des listes homogènes (Collyer
et al., 1972 ; Marshall et al., 1980 ; Wollen et Cox, 1981). Ces conditions de présentation et de test seront
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respectées dans l’étude proposée ici : listes panachées de dessins normaux et bizarres présentés à des
sujets jeunes dont la mémoire sera testée immédiatement et de manière différée avec une épreuve de
rappel libre.
Au plan théorique, la distinctivité se rapporte à une forme spéciale de traitement conduisant à
une meilleure mémoire pour des items qui sortent de l’ordinaire (pour une discussion, voir Hunt,
2006). Selon Einstein et McDaniel (1987) ainsi que McDaniel et al. (2000), la distinctivité constituera
dans l’avenir le cadre théorique le plus prometteur pour intégrer les résultats de la littérature sur la
mémoire humaine. Plus précisément, la distinctivité d’un item enregistré en mémoire fournirait un
indice de saillance perceptive utilisable lors de la récupération. Cette saillance perceptive accentuerait
ainsi les chances de retrouver les dessins bizarres. L’avantage pour la mémoire des items inhabituels
ou saillants se situerait tant au niveau de l’encodage que de la récupération (McDaniel et al., 1995 ;
Riefer et Rouder, 1992 ; Waddill et McDaniel, 1998). Par exemple, l’épreuve de rappel libre impliquerait
la délimitation d’un espace de recherche au sein duquel le type codage de l’information dictinctive
réalisé lors de l’étude constituerait la dimension la plus importante qui détermine le rappel. Dans
ce cadre, il apparaît qu’un effet de bizarrerie devrait se produire en rappel libre immédiat ou différé (Sharpe et Markham, 1992) quelles que soient les règles de construction des dessins bizarres
employées. Afin de tester cette hypothèse, nous avons décidé de présenter à un groupe de jeunes
adultes des dessins normaux et des dessins bizarres, ces derniers étant produits soit en ajoutant
(exemple, girafe à six pattes), soit en enlevant certaines caractéristiques (exemple, girafe à deux
pattes).
1. Expérience
1.1. Sujets
Vingt sujets, tous étudiants en seconde année de psychologie à l’université Paris Descartes, ont
passé l’expérience.
1.2. Plan
Tous les sujets ont été confrontés successivement à l’étude de deux listes de dessins (L1 et L2)
comprenant des dessins normaux (N), des dessins bizarres avec ajout de caractéristiques (BA), et des
dessins bizarres avec suppression de caractéristiques (BS). Enfin, on demandait à tous les sujets de
réaliser deux tests de rappel immédiat (un test pour chaque liste) et un test final de rappel différé.
Ainsi, le format de présentation (dessins N, BA et BS) ainsi que le moment du test de rappel libre (test
immédiat vs test différé) étaient des facteurs intrasujets.
1.3. Matériel
Quarante dessins différents en noir et blanc, aisément dénommables, ont d’abord été sélectionnés.
Chaque dessin normal (N) a ensuite été décliné dans une version bizarre avec ajout d’une caractéristique (BA) et dans une version bizarre avec suppression d’une caractéristique (BS). On s’est assuré
que l’ajout ou la suppression d’une caractéristique pour chaque dessin s’est fait en évitant des configurations grotesques ou comiques ; seules des positions « plausibles » ont été retenues. Deux listes
(L1 et L2) ont été construites, comprenant chacune 20 dessins : dix dessins normaux (N), cinq dessins
bizarres (BS) et cinq dessins bizarres (BA). Pour les besoins de la procédure de contrebalancement,
quatre sous-listes ont dû être alors constituées pour chaque liste L1 et L2. De manière à atténuer les
effets de récence et de primauté, quatre dessins supplémentaires différents, pour moitié en début de
liste et pour moitié en fin de liste sont présentés lors de l’étude de chaque liste.
1.4. Procédure
Pour chacune des deux listes, les 24 dessins sont présentés sur un écran d’ordinateur, chacun
pendant une durée de trois secondes, avec pour consignes de regarder attentivement chaque image.
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Tableau 1
Proportion d’items cibles correctement rappelés (les écarts-types sont entre parenthèses) en fonction du type d’images étudiées
(N vs BS vs BA) et du moment du test (I vs D).
Proportion of target items correctly recalled (standard deviations are in parentheses) as a function of picture type and moment of
recall test (immediate vs differed).
Type d’images
Test
Images normales (N)
Images bizarres (BS)
Images bizarres (BA)
Immédiat (I)
0,35 (0,10)
0,32 (0,14)
0,50 (0,13)
Différé (D)
0,32 (0,14)
0,23 (0,14)
0,39 (0,13)
Après la présentation de la première liste, les sujets subissent un premier rappel immédiat (durée :
deux minutes) où ils doivent écrire tous les noms de dessins dont ils se souviennent sans se soucier
de l’ordre de présentation. Une première tâche interpolée est ensuite proposée consistant à écrire
sur une feuille de papier tous noms des pays d’Europe qu’ils connaissent (durée : deux minutes). Une
seconde liste d’étude, différente de la première, est donnée par la suite, suivie à nouveau d’un rappel
immédiat (durée : deux minutes). Une nouvelle tâche interpolée est ensuite proposée consistant à
écrire sur une feuille de papier tous les noms des pays d’Afrique qu’ils connaissent (durée : deux
minutes). Pour finir, on propose aux sujets d’écrire tous les noms de dessins des deux listes présentées
dont ils se souviennent (durée : quatre minutes). Il s’agit de l’épreuve de rappel final.
2. Résultats
Tableau 1
Les résultats de l’analyse de variance indiquent un effet du facteur moment du rappel (immédiat
vs différé) (F[1, 19] = 35,1 ; p < 0,001) et du facteur type de dessin (normal vs bizarre avec ajout vs
bizarre avec suppression) (F[2, 38] = 11,1 ; p < 0,001]. L’interaction entre ces deux facteurs n’atteint
pas le seuil de signification fixé à 0,05 (F[2, 38] = 2,27 ; p > 0,10). Ainsi, les performances en rappel
libre immédiat (m = 0,39 ; sd = 0,14) sont significativement supérieures aux performances en rappel
libre différé (m = 0,32 ; sd = 0,15), indiquant un effet d’oubli classique. Les comparaisons planifiées
(Tukey) indiquent que seuls les dessins bizarres avec ajouts d’attributs (BA) sont mieux rappelés que
les dessins N (p < 0,01). Ainsi, l’utilisation des dessins BA conduit à un effet de bizarrerie, un résultat en
accord avec la littérature sur le sujet (Marchal et Nicolas, 2000 ; Nicolas et Gounden, 2010 ; Nicolas et
Marchal, 1996, 1998 ; Nicolas et Worthen, 2009). En revanche, il apparaît clairement que les dessins
bizarres construits avec suppression de caractéristiques (BS) ne conduisent pas à observer un effet
classique de bizarrerie en rappel libre.
3. Discussion
Ce travail expérimental était destiné à prolonger certains travaux classiques sur l’effet de bizarrerie
en rappel libre en manipulant une dimension relativement nouvelle : la suppression plutôt que l’ajout
d’éléments dans les dessins bizarres. Le principal résultat obtenu est que l’effet de bizarrerie n’apparaît
qu’avec des dessins construits par ajout de certaines caractéristiques perceptives. Ainsi, nous avons
ici des éléments objectifs qui nous indiquent que les effets facilitateurs sur la mémoire obtenus avec
des dessins bizarres sont limités à des types d’images particulières (Marchal et Nicolas, 2000 ; Nicolas
et Gounden, 2010 ; Nicolas et Marchal, 1996, 1998 ; Nicolas et Worthen, 2009). Comment expliquer
alors que les dessins incomplets (considérés comme étranges) n’ont pas été mieux rappelés que les
dessins normaux ? Pour répondre à cette question, il est tout d’abord nécessaire de dire quelques
mots à propos du concept de distinctivité (Hunt, 2006) avant de poursuivre au plan théorique sur la
problématique de l’origine de l’effet de bizarrerie.
Nous avons souligné, en introduction, l’importance du concept de distinctivité pour rendre compte
des résultats de la littérature sur l’effet de bizarrerie (Einstein et McDaniel, 1987 ; McDaniel et al.,
2000). En effet, les recherches sur la bizarrerie ont permis depuis longtemps déjà d’établir des
analyses théoriques basées sur le concept de distinctivité (Eysenck, 1979 ; Hunt et Elliott, 1980 ;
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Nelson, 1979). Même si plusieurs explications ont été proposées pour rendre compte des effets
facilitateurs de la bizarrerie, il est possible de les regrouper en deux grandes classes : les théories de
l’encodage et les théories de la récupération (pour une revue : Worthen, 2006). Cependant, il est clair
qu’une compréhension d’ensemble du phénomène doit aujourd’hui inclure des éléments appartenant
à ces deux théories. Cette option a d’abord été défendue par Riefer et ses collaborateurs (Riefer et
Lamay, 1998 ; Riefer et Rouder, 1992) qui ont proposé l’idée que l’information bizarre est moins bien
stockée en mémoire mais plus facilement récupérable que l’information commune. Une synthèse plus
récente a été fournie par Worthen (2006) sur la base de ses propres travaux et de ceux de McDaniel
et al. (2000). Selon Worthen (2006), l’avantage de la bizarrerie est principalement le résultat d’un
codage de nature différente pour les items bizarres par rapport aux items normaux. La bizarrerie
induirait ainsi une forme spéciale de traitement qui conduirait au stockage de certaines composantes
spécifiques aux items bizarrres. Bien que les détails perceptifs des items rendus bizarres (qui ont
des traces mnésiques distinctives) soient codés de manière appauvrie, la représentation mnésique
résultante serait plus facilement et plus rapidement récupérable. Avec McDaniel et al. (2000), on
peut supposer que les traces mnésiques distinctives correspondantes à cette représentation bizarre
peuvent être plus facilement activées lors du rappel libre, à cause d’une meilleure discrimination.
Plus précisément, lors du rappel libre de listes panachées d’items normaux et bizarres, le stockage
distinctif, bien qu’incomplet, des items bizarrres réalisé lors de l’encodage servirait d’indice saillant
de récupération. Ainsi, l’avantage en rappel libre des items bizarres sur les items normaux est aussi
à chercher, mais pas exclusivement, au niveau des opérations réalisées lors de la récupération
(McDaniel et Geraci, 2006 ; McDaniel et al., 1995 ; McDaniel et al., 2000 ; Waddill et McDaniel,
1998). Le rappel libre nécessite de délimiter un espace mental de recherche à l’intérieur duquel la
distinctivité du codage devient une dimension primordiale déterminant les performances.
Le problème est maintenant de comprendre pourquoi, dans notre expérience, les dessins incomplets (qui peuvent être assimilés des représentations bizarres) n’ont pas conduit ultérieurement à
un meilleur rappel par rapport aux dessins complets normaux. D’après la position théorique basée
à la fois sur les opérations d’encodage et de récupération exposée plus haut, il s’ensuit certainement que le codage des dessins incomplets n’a pas conduit à une représentation distinctive en
mémoire. Afin d’appuyer cette proposition, il est intéressant, a posteriori, d’établir un lien entre
la recherche présentée ici et les travaux réalisés par Snodgrass et Feenan (1990). Ces auteurs ont
étudié la mémoire de dessins fragmentés (par effacement aléatoire de certains traits composant la
figure) ou intacts présentés lors d’une phase d’étude préalable. Leurs résultats ont montré que la
manipulation du niveau de fragmentation des dessins à l’étude n’avait aucun effet significatif sur
les performances en rappel libre. En fait, les dessins fragmentés n’étaient pas considérés par les
sujets comme des dessins bizarres en tant que tels (car il n’y avait pas de parties entières manquantes) mais plutôt comme des figures perceptivement incomplètes. Sur la base de dessins d’un
niveau de fragmentation aléatoire moyen, un phénomène de complétion perceptuelle active basé sur
les lois de la gestalt (continuité, clôture) (Koffka, 1935), a certainement permis de créer en mémoire
quelque chose de quasiment équivalent à une représentation complète de l’objet. Ce phénomène
actif n’aurait pas de conséquences visibles en rappel (mais conduisait à des performances remarquables en amorçage). Dans l’expérience rapportée ici, un phénomène de complétion perceptive
fondé, non sur des lois d’organisation perceptive, mais sur les connaissances préalables des sujets,
a probablement conduit à créer en mémoire une représentation pour des dessins incomplets équivalente à une représentation complète de l’objet. De ce fait, le codage des dessins incomplets n’a
pas constitué une représentation distinctive en mémoire car le codage était non seulement appauvri
perceptivement parlant mais aussi de nature non distinctive à cause de l’absence de traits nouveaux par rapport aux dessins normaux. En effet, l’effet de bizarrerie n’est pas apparu car il n’y
avait aucune possibilité de stockage de certaines composantes spécifiques aux items bizarrres qui
auraient pu être facilement activées lors du rappel libre (voir plus haut la position de Worthen,
2006).
Des recherches ultérieures devront, cependant, être menées afin de déterminer avec précision
les conditions au cours desquelles des effets facilitateurs peuvent être obtenus avec des dessins et
s’intéresser à la notion de richesse ou de complexité du codage.
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Déclaration d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
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