Immersion, représentation et coopération : discussion et

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Immersion, représentation et coopération : discussion et
Intellectica, 2007/1, 45, pp. 59-87
Immersion, représentation et coopération : discussion et
perspectives de recherches empiriques pour l’ergonomie
cognitive de la Réalité Virtuelle
Jean-Marie BURKHARDT
RESUME : Les premières recherches ergonomiques sur les technologies de la Réalité
Virtuelle ont porté sur les dimensions physiques de l’interaction et les dimensions
physiologiques de l’exposition aux Environnements Virtuels. Avec le début
d’implantations industrielles, l’ergonomie doit intégrer la dimension cognitive des
activités associées à ces technologies. Après un rappel des apports de l’ergonomie
cognitive à la conception et à l’évaluation des Environnements Virtuels, cet article
discute les résultats actuels de la recherche et envisage les perspectives de contributions des recherches empiriques à la compréhension des situations d’interaction de
l’utilisateur humain avec un Environnement Virtuel. Trois thèmes sont abordés : (a)
l’influence de l’immersion sur les processus cognitifs associés à la réalisation d’une
tâche finalisée ; (b) les représentations de l’utilisateur et de son comportement (e.g.
avatar) et l’usage de techniques analogues pour créer des représentations anthropomorphes d’entités logicielles ; (c) les activités coopératives mettant en jeu des utilisateurs au sein des environnements virtuels.
Mots-clés : réalité virtuelle, ergonomie cognitive, immersion, avatar, anthropomorphisme, coopération.
ABSTRACT: Immersion, representation and collaboration in Virtual Reality:
discussion and empirical perspectives in cognitive ergonomics. Studies in
ergonomics of Virtual Reality were initially centred on the physical dimensions of
user interaction and on some physiological aspects related to the exposure to Virtual
Environments. The development of new generations of usable and useful Virtual
Environments will be based on the actual needs and consequently implies to integrate
the cognitive dimension of complex human activities associated with these technologies. After a brief presentation of cognitive ergonomics contributions to the design
and the evaluation of Virtual Environments, this article relates the results of current
research and discusses some empirical perspectives for three topics related to the
users behaviours and interaction in Virtual-Environments: (a) the influence of immersion on the cognitive processes while achieving a task; (b) the representations of users
and of their behaviours (e.g. avatars) and the use of the same techniques to create
anthropomorphic representations of software agents; (c) the cooperative aspects of
users activities within virtual environments.
Keywords: virtual reality, cognitive ergonomics, immersion, avatar, anthropomorphism, cooperation.
Université Paris Descartes, laboratoire Ergonomie Comportement Interaction (ECI), 45, rue des
Saints-Pères, 75006 Paris. Courriel : [email protected]
© 2007 Association pour la Recherche Cognitive.
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J. M. BURKHARDT
INTRODUCTION
Les termes de « Réalité virtuelle » (RV) se réfèrent aux recherches nées au
début des années 70 dont l’une des principales préoccupations est l’obtention
d’une interaction plus naturelle par l’intermédiaire de périphériques et
d’interfaces multimodales de navigation et de manipulation en trois dimensions
(casques ou écrans 3D, gants de manipulation, systèmes avec retours d’effort,
etc.) et/ou de communication à distance médiatisées (Multi User Domains etc.).
L'expression est mise tantôt au singulier (Burdea et Coiffet, 1993 ; Fuchs et al.,
2001), tantôt au pluriel (Cadoz, 1994). D’autres termes tels que « cyberespace », « environnement synthétique », « monde numérique », « réalité artificielle », etc. ont été proposés pour remplacer cette formule ambiguë et
critiquable à plusieurs titres (voir en particulier les discussions dans Cadoz,
94 ; Tisseau 2001), sans succès jusqu’ici.
La réalité virtuelle exploite et développe quatre catégories de dispositifs
d’interaction : les dispositifs de capture de position et de mouvement (capteurs,
gant, combinaison, etc.) ; les dispositifs de présentation visuels (grand écran,
visiocasque, etc.) ; les dispositifs de retour proprioceptifs et cutanés (toucher,
chaleur, etc.) ; les dispositifs d’entrée et de présentation sonore (son spatialisé,
reconnaissance vocale, etc.). Fuchs (1996) parle à ce propos d’interfaces comportementales, soulignant ainsi l’orientation des recherches vers la conception
de systèmes « visant à exploiter un comportement humain, naturel et sans
acquis préalable ». Des configurations variées de ces dispositifs existent, en
association éventuelle avec des dispositifs plus traditionnels (souris, clavier,
menu déroulant,…), formant ainsi des systèmes interactifs particuliers – les
environnements virtuels (EV) - conçus pour recréer certaines des sensations et
expériences qui caractérisent l’environnement du monde réel (Witmer et
Sadowski, 1998).
Après une présentation rapide de l’ergonomie dans le champ de la conception des EV, cet article discute les résultats actuels de la recherche et envisage
les perspectives de contributions empiriques à la compréhension des situations
d’interaction de l’utilisateur humain avec un EV. Trois thèmes sont abordés :
(a) l’influence de l’immersion sur les processus cognitifs associés à la réalisation d’une tâche finalisée ; (b) les représentations de l’utilisateur et de son
comportement (e.g. avatar) et l’usage de techniques analogues pour créer des
représentations anthropomorphes d’entités logicielles ; (c) les activités coopératives mettant en jeu des utilisateurs au sein des environnements virtuels.
ERGONOMIE DES ENVIRONNEMENTS VIRTUELS
RECENTE DES THEMATIQUES COGNITIVES
(EV) : EMERGENCE
La conception des EV est abordée depuis quelques années dans les manuels
1
d’Ergonomie e. g. (Helander et al., 1997; Salvendy, 1997), en particulier ceux
1
Dérivée du grecque ergon (travail) et nomos (règles) pour signifier la science du travail, « l’ergonomie
– ou facteurs humains – est la discipline scientifique qui vise la compréhension fondamentale des
interactions entre les humains et les autres composants d’un système ». Selon une approche systémique,
l’ergonomie vise à prendre en compte « les facteurs physiques, cognitifs, sociaux, organisationnels,
environnementaux (…) dans la conception et l’évaluation des tâches, des emplois, des produits, des
organisations, des environnements en vue de les rendre compatibles avec les besoins, les capacités et les
limites des personnes » (extrait de la définition de l’International Ergonomics Association en 2000 ;
pour une introduction plus complète voir par exemple Falzon, 2004 ; Helander, Landauer,
Prabhu,1997).
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spécialisés dans les domaines de l’informatique et des nouvelles technologies
e. g. (Jacko et Sears, 2000; Hix et al., 1993). Réciproquement, certaines dimensions de l’ergonomie des environnements virtuels sont traitées dans des
manuels récents dédiés aux environnements virtuels ou à certaines techniques
d’interaction associées (Fuchs et al., 2001 ; Stanney, 2002 ; Bowman et al.
2004). Les dimensions physiques et physiologiques de l’interaction et de
l’exposition aux Environnements Virtuels (EV) ont été les premières à être
étudiées en ergonomie (Nichols, 1999). Les recherches ont concerné des questions tels l’amenuisement des contraintes liées au poids et à l'encombrement
des casques de visualisation, l'aménagement des zones de contact, le confort,
etc., Dans le même temps, trois principaux effets consécutifs à l'exposition aux
premiers EV commencent à être étudiés : le mal du simulateur parfois
dénommé « cyber-sickness », les troubles de l'orientation tels que les vertiges
ou l'instabilité posturale (voir, par exemple Cobb, 1999) et enfin les troubles
oculomoteurs tels que fatigue visuelle, diplopie, maux de têtes, etc. Ces trois
points font toujours l’objet de recherches.
Ergonomie cognitive des environnements virtuels
L’ergonomie cognitive s’intéresse aux processus mentaux, tels la perception, la mémoire, le raisonnement et les réponses motrices, dans leurs effets sur
les interactions entre les personnes et d’autres composantes d’un système. La
dimension cognitive des activités associées à ces technologies est un enjeu plus
récent, né de la volonté de développer des applications industrielles ou grand
public utilisables et répondant à des besoins effectifs. Pour répondre à cet
enjeu, l’ergonomie met en avant la participation des utilisateurs à la conception
et son accompagnement par diverses techniques et méthodes.
En amont des projets, différentes méthodes de l’ergonomie permettent
d’instruire l’analyse des besoins des utilisateurs (pour un recensement des travaux récents et la comparaison des apports et limites de différentes méthodes,
voir e.g. Anastassova, 2006; Anastassova, Burkhardt, Mégard, Leservot, 2005;
Anastassova, Mégard, Burkhardt, 2007). Par la suite, les méthodes d’analyse
ergonomique de l’activité fondent l’élaboration de modèles explicites des
utilisateurs concernés, de la tâche où s’insère l’environnement virtuel, ainsi que
de l’activité future probable qui en découle. Ces modèles sont utiles à la
conception de deux façons, selon que l’on considère la description à un niveau
abstrait des objectifs ou un niveau détaillé des actions. Au niveau des objectifs
poursuivis par les utilisateurs, ils permettent de guider la sélection, la définition
précise et la hiérarchisation des fonctionnalités adaptées. A un niveau plus
détaillé, ces modèles sont utiles pour définir l’organisation et la mise en forme
du contenu informationnel à présenter à l’utilisateur (e. g. absence ou présence
d’une information particulière, format ou métaphore utilisée, capacités d’action
et schèmes sollicités chez l’utilisateur etc…) afin d’apparier l’interface avec la
logique des traitements cognitifs réalisés par l’utilisateur. Ces traitements
varient en effet au cours de l’interaction suivant l’étape de l’activité, sa nature
et l’objectif courant de l’utilisateur et vont impliquer des contraintes et des
exigences différentes selon le type de traitement (comparaison de valeur, prise
de décision, abstraction, etc.), selon le contexte environnemental (espace de
travail, caractéristiques des ambiances physiques, etc.) et selon le contexte
social de la tâche. Or dans beaucoup de projets de conception, ces modèles sont
encore absents, remplacés par un modèle métrique de la réalité à reconstruire
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virtuellement, en faisant l’hypothèse rarement vérifiée que ce réel virtuel va
faire « disparaître » l’interface (Burkhardt, 2003). L’utilisabilité comme
l’utilité des prototypes en sont alors directement affectées. L’ergonomie
cognitive contribue enfin, par des études et par des synthèses, à l’ancrage
empirique des choix en matière de propriétés de l’interfaçage avec l’environnement virtuel, de dialogue et d’interaction tout au long de la conception.
Les études empiriques menées se différencient suivant la centration privilégiée : le domaine de la perception et de la motricité, d’une part, et le domaine
du raisonnement et de la cognition, d’autre part.
Les études centrées sur la perception et la motricité correspondent plutôt
aux travaux ciblant de nouveaux dispositifs d'interaction ou des techniques
d'interaction génériques. Trois types d’activité sont majoritairement considérés
dans ces études : la sélection d’objets virtuels, leur manipulation et la navigation dans un environnement tridimensionnel (3D). L’implantation des
nouveaux concepts d’interaction proposés en soutien à ces activités se fait
souvent au moyen de dispositifs dont le paramétrage, construit par tâtonnement, est extrêmement spécifique (Poupyrev et Ichikawa, 1999). De plus, les
tests expérimentaux sont souvent réalisés sur la base d'un dispositif isolé, ce
qui rend difficile d'observer et d'anticiper les éventuels effets sur l’activité,
dans une configuration assemblant plusieurs dispositifs d’interface sensoriels et
moteurs. La généralité des résultats et leur applicabilité pour d’autres contextes
s’en trouvent ainsi fortement affectées. Enfin, ces études aboutissent fréquemment à mettre en exergue la distance à parcourir entre, d’une part, les ambitions
affichées par la Réalité Virtuelle en termes d’interaction naturelle, directe et
intuitive et, d’autre part, l’observation récurrente des difficultés des sujets, les
défauts d’utilisabilité et le caractère souvent médiocre des performances obser2
vées en référence à une tâche similaire en environnement réel . Parallèlement,
d’autres travaux exploitent la réalité virtuelle comme un moyen puissant
d’expérimentation (Burkhardt et al. 2003) pour étudier certains mécanismes
liés à la perception et à la navigation dans l’espace. Le contexte expérimental
simplifié place les sujets dans des situations où la nature, la variété et la combinaison des processus cognitifs requis par la tâche expérimentale s’avèrent
souvent fort éloignées des exigences réelles des situations futures d’utilisation.
Centrés sur la compréhension de mécanismes élémentaires ou encore sur la
validation de mécanismes génériques de la cognition, ces travaux renseignent
peu quant aux problèmes et aux solutions adaptées pour soutenir une activité
finalisée du même niveau de complexité que les activités prenant place dans le
monde professionnel.
Utiles, ces études ne sont donc pas suffisantes dès lors qu’il s’agit de
concevoir et évaluer des applications complètes. L’activité humaine est en effet
plus complexe que le fait de percevoir ponctuellement un signal, manipuler un
objet ou actionner des outils mis à disposition. Les utilisateurs disposent, avant
même l’interaction, de connaissances concernant leurs tâches (procédurales,
déclaratives, routinières, heuristiques pour le diagnostic et la résolution de
problèmes, etc.), de connaissances concernant leurs propres capacités (on parle
alors de métacognition) et enfin de connaissances concernant les systèmes et
outils, notamment informatiques. En outre, d’autres facteurs contribuent à la
2
Il existe une propension forte dans le domaine de la Réalité Virtuelle à chercher à « copier » ou
simuler des situations réelles dans les environnements virtuels, ce qui pose des problèmes à la fois
théoriques et pratiques (pour une discussion, voir e.g. (Burkhardt, 2003, p. 1040).
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performance et à l’explication du comportement des sujets interagissant avec
les environnements virtuels, tels les conditions physiques, sociales et psychologiques particulières de réalisation de l’activité, ainsi que l’engagement du
sujet et l’atteinte de ses objectifs propres. Ainsi les défauts avérés des environnements virtuels sur le plan de l’utilité et de l’utilisabilité proviennent aussi du
fait que ces connaissances – et les attentes qu’elles engendrent chez
l’utilisateur – sont mises en défaut dans l’environnement virtuel proposé, sans
possibilité de compensation par l’apprentissage ou par la sélection d’une autre
connaissance disponible et plus adaptée chez l’utilisateur. Il est donc nécessaire
aujourd’hui, sur le plan théorique comme sur le plan pratique, de développer
des études sur l’activité humaine, incluant en particulier ces dimensions cognitives telles le raisonnement, la mémorisation, l’apprentissage (les environnements virtuels pour la formation et l’éducation sont un champ d’application
majeure de ces technologies) etc., dans des approches respectant au mieux
l’écologie des situations d’étude.
Approche pluri-modèles et pluri-paradigmatique pour l’étude des dimensions cognitives associées à l’activité en environnement virtuel
Fondée au début du siècle dernier et s’appuyant à l’origine sur la physiologie du travail, la psychologie scientifique, la biomécanique et les sciences pour
l’ingénieur (Wisner,1996), l’ergonomie a évolué et les emprunts et les relations
avec d’autres disciplines se sont développés (e. g. sociologie du travail, ethnologie) en même temps qu’évoluaient les situations de travail, les outils et les
produits à concevoir.
En ergonomie cognitive, l’approche longtemps prépondérante fut celle de la
psychologie cognitive. L’opérateur humain y est vu comme un système de
traitement de l’information, selon un paradigme d’étude établissant une causalité linéaire entre les propriétés d’une situation ou d’un stimulus et les réponses
observées (S→R). Il s’agit d’une approche fonctionnelle, dans la mesure où on
cherche à rendre compte de l’activité mentale de façon (relativement) indépendante du substrat neurophysiologique. Les comportements sont étudiés dans le
contexte de tâches donnant lieu à une activité symbolique, laquelle est vue
essentiellement comme un calcul rationnel (la rationalité considérée pouvant
être limitée, par exemple par les connaissances ou les informations dont dispose le sujet). Des critiques nombreuses ont été formulées quant à cette
approche pour la conception ergonomique (voir e. g. Bannon, 1992). Ainsi la
dimension symbolique et planificatrice stricte de l’activité cognitive est aujourd’hui relativisée par de nombreuses approches, mettant l’accent sur les
différentes facettes de l’activité humaine, telle la nature improvisée et contingente à l’environnement des décisions d’action (e. g. théories de l’activité, voir
Bedny, Seglin, Meister, 2000; Nardi, 1996), ou encore la nature éminemment
développementale du couple homme-artefact (e. g. théorie instrumentale, voir
Rabardel et Beguin, 2005) voire du couple homme-environnement (e.g.
énaction, voir Varela, Thompson, Rosch, 1991 ; Stoffregen, Bardy, Mantel,
2006).
Dans le contexte des environnements virtuels, la cognition n’est donc généralement pas « purement » symbolique ni « désincarnée », du fait de
l’implication croissante du corps et de la gestion du geste et du mouvement
dans l’interaction. Les actions de l’utilisateur sont généralement instrumentées
par des dispositifs ayant plusieurs degrés de liberté dans un espace physique
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variable (pouvant aller jusqu’à l’échelle d’une pièce complète), éventuellement
en association avec des dispositifs de commande plus traditionnels (souris,
joystick,…) et la voix. Les modalités visuelle (celle ci reste aujourd’hui majoritairement exploitée) mais également tactile, kinesthésique et sonore prennent
ainsi place dans la boucle perception-cognition-action. Il en résulte la nécessité
d’adopter conjointement ou complémentairement d’autres approches et
d’autres cadres paradigmatiques pour analyser l’activité et les comportements
observés dans les environnements virtuels. Deux épistémologies principales
peuvent se différencier dans les sciences étudiant le comportement (Paillard,
1986) : d’un côté la Neurophysiologie du mouvement et, de l'autre côté la Psychologie Cognitive évoquée plus haut. En neurophysiologie du mouvement, le
geste et le contrôle moteur sont en effet abordés selon un paradigme de « causalité circulaire » établissant les liens et les dépendances entre les différents
systèmes et sous systèmes du mouvement. Le comportement y est abordé selon
trois aspects d’étude privilégiés que sont les postures, les attitudes et le mouvement. L’approche est fortement liée au substrat neurophysiologique et à la
modélisation des différentes boucles de régulation et niveaux de contrôle. Le
versant cognitif de ces activités est à l’inverse peu étudié et peu intégré dans
les situations expérimentales et les modèles du domaine, si ce n’est à travers
les différences liées à la variable « expertise » souvent invoquée dans les travaux du domaine (Paillard, 1986).
Aux côtés de ces deux paradigmes qu’il conviendra d’associer ou de combiner, d’autres sont convoqués selon le questionnement, tels les modèles
psychophysiques (liens et lois associant des grandeurs physiques mesurables et
des événements élémentaires perceptifs et mentaux), les modèles issus de la
psycholinguistique pour analyser les situations de communication dans les
environnements virtuels coopératifs, ou encore les modèles des réseaux d’ acteurs pour analyser le fonctionnement social des groupes.
Perspectives des recherches empiriques en ergonomie cognitive pour la
Réalité Virtuelle
Le domaine du virtuel s’inscrit dans une évolution générale des médias et
des dispositifs de communication vers une forme « d’incorporation » (Biocca,
1997), c’est-à-dire de rapprochement progressif du corps et de l’interface. Il
existe simultanément une relation de contrôle croissante entre l’utilisateur et sa
figuration dans le monde virtuel (Biocca, 1997). L’action de l’utilisateur et son
reflet dans le monde virtuel se trouvent de plus en plus directement liés par une
transmission en temps réel d’information et d’indicateurs : morphologie, geste
et mouvement, son-parole, force physique appliquée, retour d’effort, etc.
La problématique de l’immersion, discutée plus loin, est au cœur de cette
orientation des technologies de la Réalité Virtuelle. Cette proximité et
l’entrelacement croissants entre les mondes « réels » et les mondes « virtuels »
se traduisent en effet pour l’utilisateur, par une expérience tout à la fois avec le
monde physique et le monde virtuel. Les caractéristiques de cette expérience
peuvent être analysées sous l’angle de la dissociation que la situation implique
chez l’utilisateur i.e. l’expérience de l’environnement réel actuel vs. un monde
distant ou virtuel. De façon complémentaire, l’expérience peut être analysée
sous l’angle de sa fidélité, i.e. le fait que la stimulation du monde réel-matériel
soit indiscernable pour le sujet comparativement à son simulacre virtuel. Dans
les approches récentes plus cognitives – notamment ergonomiques –, on notera
Immersion, représentation et coopération
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que c’est moins la fidélité perceptive que la fidélité psychologique et la compatibilité avec les besoins informationnels et l’activité qui prévalent
(Burkhardt, Bardy, Lourdeaux, 2003). On peut d’ailleurs constater une tendance à fournir une information de synthèse comme moyen « d’enrichir » et
d’améliorer l’utilisabilité des objets du monde réel (réalité mixte, réalité augmentée). Réciproquement, l’exploitation d’objets et d’autres éléments variés du
monde matériel est mobilisée de plus en plus comme un moyen d’enrichir
l’interaction en environnements virtuels (réalité virtuelle augmentée) et ainsi
améliorer l’utilisabilité des dispositifs (props, interfaces tangibles).
Ces questions et plus généralement l’étude de cette expérience et sa prise en
compte pour la conception nécessitent un élargissement des thématiques ergonomiques et des sphères considérées de l’activité humaine : par exemples le
raisonnement, l’apprentissage, la communication interpersonnelle, ou plus
récemment encore l’identité sociale et le processus de construction des « communautés virtuelles ». Les différents transferts potentiels entre le virtuel et le
réel sont en effet à la fois riches et porteurs de bénéfices potentiels (lorsqu’ils
permettent d’améliorer l’efficacité, d’apprendre etc.) mais aussi porteurs de
certains dangers tant pour l’individu que pour la société (transferts négatifs,
désocialisation, addiction etc.). Bien des questions sont cependant encore peu
abordées comme indiqué dans les parties suivantes de cet article.
LA THEMATIQUE DE L’IMMERSION
Vers une métrique précise de description des situations d’interaction en
environnements virtuels
La notion d’immersion, considérée comme centrale par beaucoup d’auteurs
du domaine de la Réalité Virtuelle, est couramment mobilisée dans la communauté (e. g. immersion dans un monde virtuel, environnements immersifs,
utilisateur immergé). Elle a donné lieu à des acceptions variées sur le plan du
contenu et de la précision formelle (pour une tentative de synthèse, voir par
exemple Burkhardt et al., 2003). Un relatif accord semble se faire sur une définition de l'immersion comme correspondant au degré et à la qualité avec
lesquels l’interface du système contrôle les entrées sensorielles pour chaque
modalité de perception et d’action, i.e dans les termes des dispositifs logiciels
et matériels particuliers utilisés (Biocca, 1997 ; Burkhardt et al., 1999). Le
degré d’immersion3 se caractériserait alors au moins par :
a) le sous-ensemble des modalités mises en œuvre dans l’interaction
(Burkhardt et al., 2003). Des auteurs (e. g. Biocca, 1997) distinguent les
modalités sensorielles liées à la perception (sensory channel) et celles
liées à l’action (motor channels) ;
b) les propriétés (degré de complétude, qualité, paramètres du signal, etc…)
des dispositifs d’interaction pour chacune des modalités visées,
correspondant soit au degré de fidélité perceptive (Burkhardt et al., 2003),
soit aux paramètres typiques des dispositifs considérés, e. g. pour un
dispositif visuel la résolution et la fidélité des couleurs ;
3
Dans le cas où une situation de référence existe dans le monde physique, l’immersion est analogue à la
notion théorique de « fidélité du stimulus » (Stoffregen, Bardy, Smart, Pagulayan, 2003) proposée par
ces auteurs pour être un indicateur de la distance entre le monde physique et sa simulation.
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c) les propriétés de l'environnement physique dans lequel se déroule l'expérience ;
d) la répartition et la contribution relative des informations délivrées par les
dispositifs d’interaction et de l’information issue de l’environnement
physique ; cet aspect englobe les notions distinguées par Biocca (1997) de
niveau de saturation sensorielle (i.e. % d’un canal sensoriel occupé par les
stimuli virtuels, par opposition à l’environnement physique) et de
suppression sensorielle de l’environnement immédiat (i.e. propriétés de
l’environnement immédiat qui peuvent éliminer ou minimiser l’impact
des canaux sensoriels non pris en charge (ou non « saturés ») par les
interfaces.)
e) la cohérence interne et la latence globale de l’information et des réactions
délivrées en temps réel par le système.
Délimiter des propriétés mesurables concernant l’artefact et la façon dont il
est « connecté » à l’utilisateur constitue un premier enjeu pour les recherches,
afin d’étudier leurs effets sur les utilisateurs (par exemple en termes de présence, d’utilisabilité et l’utilité, de crédibilité, de performance, etc.) et sur les
processus cognitifs associées à des activités finalisées. Au-delà de l’objectif de
clarification concernant les conditions variées rencontrées dans les diverses
études sur l’immersion, un second objectif est, le cas échéant, de mieux définir
le périmètre des variables actives associées à la notion d’immersion.
Des résultats peu clairs concernant l’effet sur l’activité
Il est rare que l’ensemble des informations permettant de caractériser
l’immersion soit accessible dans les recherches qui abordent aujourd’hui la
question. En outre, la cohabitation d'acceptions variées rend difficile la lecture
des résultats.
Il n’y a pas de conclusion claire sur l’effet de l’immersion sur l’activité,
généralement vue sous l’angle restrictif de la seule performance (temps, exactitude…). Quelques études expérimentales ont cherché à évaluer l'effet de
systèmes immersifs (généralement constitué de systèmes de visualisation en
3D, souvent au moyen d'un casque ou de lunettes), par comparaison avec d'autres environnements non-immersifs (généralement de type micro-ordinateur
présentant des images en 2 ou 3 dimensions, voire un outillage plus traditionnel). Certaines études montrent une supériorité des conditions immersives.
Adams et Lang (1995) observent par exemple une meilleure efficacité de la
condition immersive sur l’apprentissage du pilotage d’un processus industriel,
mais notent qu’elle découle probablement de la plus grande motivation des
utilisateurs. Dans un contexte assez artificiel, Pausch, Proffitt et Williams
(1997) trouvent une tendance à identifier plus rapidement une cible parmi des
distracteurs avec le dispositif immersif. D’autres études concluent inversement
sur la meilleure efficacité des dispositifs non-immersifs. Par exemple,
Linebarger et Kessler (2002 ; étude 2) comparent la performance dans une
tâche de manipulation de pièces avec un dispositif immersif (visiocasque
immersif HMD4) et avec sa version écran-souris. Le dispositif non-immersif
s’avère significativement meilleur en termes de temps de réalisation de la tâche
pour des performances équivalentes en termes de nombre d’erreurs. Une
4
Head-Mounted Display.
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absence d’effet sur les performances est constatée dans d’autres travaux. Byrne
(1996) a étudié l'effet de l'immersion et de l'interactivité sur l'apprentissage
dans le domaine de la physique moléculaire ; l’auteur observe que seul le facteur interactivité du matériel a un effet positif. Dans un contexte collaboratif,
Garau et al., (2003) n’observent pas d’effet lié au dispositif immersif (visiocasque) ou semi-immersif (CAVE – Cave Automatic Virtual Environment) sur le
degré de présence et la qualité perçue de la communication entre utilisateurs
dans une tâche de résolution de problèmes en binôme. Pour d’autres enfin, les
résultats diffèrent suivant les indicateurs de performances retenus. Par exemple, Bochenek, Ragusa et Malone (2001) montrent que la condition écran nonimmersive est la mieux placée en ce qui concerne le nombre d’erreurs détectées par les utilisateurs tandis que le visiocasque est le meilleur en ce qui
concerne le temps moyen mis pour détecter une erreur. Dans cette étude, les
sujets utilisateurs évaluent subjectivement (e. g. difficulté perçue, préférence)
le dispositif non-immersif de type écran comme un peu meilleur que le casque
de visualisation. Rand et al., (2005) mettent aussi en évidence la supériorité du
grand écran sur le visiocasque immersif sur trois indicateurs tandis qu’une
performance moins bonne est observée pour un quatrième indicateur. Cette
dernière étude souligne aussi clairement que d’autres facteurs interagissent
avec le degré d’immersion telles les caractéristiques des tâches impliquées
dans la mesure et certaines caractéristiques des sujets tels le sexe ou l’âge.
Les résultats précédents suggèrent que le seul indicateur de performance est
insuffisant. Il convient d’étudier plus finement le mode de fonctionnement
cognitif des sujets et les éventuelles stratégies qui sont adoptées face aux exigences associées à ces différentes configurations techniques. Quelques rares
études se sont quand même intéressées à l'effet de l'immersion sur l’activité et
les processus cognitifs sous-jacents plutôt qu’à la seule évaluation des dispositifs. Par exemple, Morineau (2000) observe une dégradation de la performance
de sujets jeunes à des épreuves cognitives issues des tests piagétiens. Entre
autres hypothèses, l'immersion dans l'EV pourrait avoir pour effet de distraire
l'attention des sujets du contenu à apprendre ou à traiter, au moins dans les
premières expositions (Gay, 1994 ; Morineau, 2000). Slater, Pertaub et Steed
(1999) s’intéressent quant à eux à une tâche de présentation orale devant un
public (virtuel). Dans la condition immersive (Visiocasque), les sujets apparaissent sensibles au comportement positif ou négatif exhibé ostensiblement
par les personnages virtuels formant le public. Cet effet se traduit par une corrélation positive entre l’estimation subjective de la réussite et la perception
d’un degré élevé de co-présence quand l’audience est positive, tandis qu’à
l’inverse une corrélation négative entre les deux mesures est observée dans le
cas où l’audience a un comportement négatif vis-à-vis du présentateur. Dans la
situation non-immersive, la corrélation entre l’estimation de sa propre performance et le niveau perçu de co-présence n’est pas affectée par le comportement (positif ou négatif) du public virtuel. En d’autres termes, la capacité à
engendrer une réaction sociale chez des sujets face à des personnages de
synthèse serait, entre autres facteurs, favorisée par l’immersion.
Perspectives ouvertes
Que peut-on dire, aujourd’hui, en ce qui concerne l’immersion ? En pratique, l’effet (souvent) négatif des systèmes très « immersifs » est le mal du
simulateur. Toutefois, le degré et la qualité de l’immersion ne constituent pas
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J. M. BURKHARDT
les seuls facteurs : moyennant des précautions sur le contenu des scènes et sur
les lois de contrôle en cas de commande de déplacement, il semble possible de
minimiser le risque d’apparition de ces symptômes.
L’immersion est aussi liée à la notion de présence développée notamment
dans le champ des études menées à propos de la communication médiatisée par
ordinateur (voir e. g. la discussion dans Burkhardt, Bardy, Lourdeaux, 2003).
Or, dans beaucoup de situations envisagées aujourd’hui pour l’implantation
d’environnements virtuels, la communication est située dans le cadre de tâches
complexes à réaliser. Or, d’une part, peu d’études ont investigué la relation
entre le degré de présence et la performance dans la tâche (Burkhardt, 2003 ;
Burkhardt et al., 2003 ; Linebarger et Kessler, 2002). Suivant les études, il
semble n’y avoir aucun lien (e. g. Mania et Chalmers, 2001) ou bien une
liaison négative ou encore une liaison positive (e. g. Slater et al., 1996).
D’autre part, il y a aujourd’hui trop peu d’études qui prennent en compte les
mécanismes cognitifs, le raisonnement et les propriétés particulières de
l’activité en situation d’immersion, d’une façon intégrée avec les dimensions
plus étudiées que sont les aspects perceptifs et la « présence ». Une ligne de
recherches devrait ainsi se développer à propos de l'effet sur l’activité de la
combinaison de plusieurs modalités sensorielles et motrices dans les dialogues,
ainsi que sur la répartition et le mode de présentation de l'information entre les
modalités considérées. D'une part, en effet, des situations perceptivement et
cognitivement inédites sont en cours d'étude dans le cadre du développement
des dispositifs d'interaction pour les EV (par ex. : les dispositifs pseudohaptiques qui visent à engendrer une information haptique « augmentée » ou
modifiée par l'effet d'une autre modalité (Lecuyer et al., 2001). D'autre part,
des travaux (Dede et al., 1996) montrent que l'ajout d'information par l'intermédiaire d’autres modalités sensorielles que la vision peut apporter un gain dans
l'utilisabilité mais aussi dans l'efficacité des EV.
Il semble enfin que l’immersion ne soit pas une nécessité pour une majorité
d’application industrielle et grand public. Des besoins spécifiques sont à étudier plus avant dans le domaine thérapeutique et celui de l’apprentissage, par
exemple lorsque la dimension émotionnelle et la mise en situation hors de
l’endroit présent sont recherchées.
ET
AGENTS
ANTHROPOMORPHES :
RETROACTIONS,
AVATAR
REPRESENTATIONS DE L’UTILISATEUR ET REPRESENTATION D’ENTITES
LOGICIELLES
Un élément central pour l’utilisabilité des systèmes interactifs réside dans la
notion de rétroaction (feedback) désignant l’information qu’un système reçoit
de son environnement subséquemment à son comportement (Wiener, 1948).
Dans les environnements virtuels, la question de la rétroaction vers l’utilisateur
est intimement liée à celle de sa représentation dans le monde virtuel. Par
représentation, il faut entendre la (ou les) modalité(s) concrète(s) des rétroactions vers l’utilisateur, en termes d’information fournie en retour sur son
action, sa position ou encore sur ces possibilités d’action dans l’EV5. Quatre
5
Et non pas le modèle interne au système représentant l’utilisateur, autre acception courante de
l’expression « représentation de l’utilisateur ».
Immersion, représentation et coopération
69
catégories de rétroactions coexistent pour l’interaction UtilisateurEnvironnement Virtuel (Burkhardt et al., 2006)6 :
• les rétroactions concernant les événements internes à l’EV à propos
desquels l’utilisateur doit être averti (rétroaction système) ;
• les rétroactions concernant les erreurs commises au cours de l’interaction ;
• les rétroactions ayant pour objet de guider l’utilisateur dans son dialogue
et la réalisation de sa tâche, en lui proposant une information permettant
d’orienter la suite de ces actions ;
• les rétroactions spécifiquement conçues pour accompagner un apprentissage.
Alors que le terme de rétroaction est plutôt utilisé pour désigner une information transitoire de changement liée à une action, une commande ou un
évènement, le terme de représentation tendrait plutôt à désigner les moyens
d’affichage (visuels, sonores, haptiques..) permettant de présenter avec une
certaine invariance les utilisateurs, les objets et les lieux. Dans ce sens, la
représentation humanoïde d’un utilisateur peut dans le même temps être considérée comme la rétroaction que lui renvoie l’environnement virtuel par exemple concernant sa situation dans une pièce virtuelle. Pour la suite, nous
considérerons les deux termes comme équivalents pour discuter de la façon
dont les utilisateurs et leurs actions sont « représentés » dans un EV.
Les types de rétroactions et de représentations exploités aujourd’hui sont
fort variés. Une analyse récente de 17 environnements virtuels pour
l’apprentissage (Burkhardt et al., 2005) montre que l’utilisateur est représenté
graphiquement dans l’environnement virtuel sous la forme d’un avatar humanoïde dans plus de la moitié des cas. L’autre façon la plus courante de renvoyer
une information de retour à l’utilisateur réside dans l’affichage visuel d’un
outil (flèche, rayon, tournevis, pince etc.) dans l’environnement virtuel, de la
même façon que les différents formats du curseur sont associés aux mouvements de la souris dans les applications de bureautique classique. Enfin, on
rencontre la mise en scène d’une partie du corps humain (une main virtuelle, le
plus souvent), voire l’absence de représentation graphique (généralement compensée par un retour haptique couplé à la scène), etc.
Les avatars : représentation de soi pour soi vs pour les autres
La question de la représentation de l’utilisateur dans les environnements
virtuels semble avoir d’abord été étudiée dans le contexte des environnements
multi-utilisateurs en ligne pour le jeu et la conversation. En particulier, le terme
d’avatar7 a été consacré dans ce contexte pour désigner le personnage ou
l’entité apparente correspondant à l’utilisateur dans le monde virtuel (e. g.
Blade et Padgett, 2002). Certains auteurs considèrent plus largement dans le
contexte des environnements virtuels que toute représentation virtuelle d’une
6
Techniquement, ces rétroactions se traduisent par des présentations et effets sonores, visuels,
haptiques, voire des messages et des dialogues. Les rétroactions peuvent se combiner les unes aux
autres, afin de permettre à l’utilisateur de contrôler son activité et de comprendre l’évolution de la
situation.
7
Avatar, du Sanskrit avatara désigne les multiples incarnations du dieu Vishnou dans la religion
hindoue. Le terme a été ensuite repris dans le domaine des jeux et en informatique pour désigner la
représentation apparente d’un utilisateur dans un monde virtuel.
70
J. M. BURKHARDT
entité ayant un référent réel est un avatar de cette entité. Certains auteurs parlent ainsi d’avatars d’objets, ceux – ci représentant dans l’environnement
virtuel des objets réels (e. g. Lok et al., 2003). Le terme d’avatar est enfin également utilisé dans le sens de représentation anthropomorphe d’agents logiciels
ou plus généralement d’humains virtuels animés (e. g. Salem et Nearle, 2000 ;
Slater et al., 1999). Les deux thématiques – d’un point de vue ergonomique sont toutefois différentes et il importe de les distinguer. Certes, il y a bien en
partie une proximité technique sur le plan de la synthèse graphique et de
l’animation comportementale entre les avatars et les représentations anthropomorphes d’agents. Toutefois, leur fonctions sont opposées : l’avatar est
contrôlé par l’utilisateur et a pour fonction de l’assister de façon la plus efficace possible tout au long de ses interactions avec les autres utilisateurs ; le
personnage de synthèse est là, soit pour « habiller » l’environnement afin de le
rendre moins « vide », soit pour fournir une interface de dialogue anthropomorphe permettant aux utilisateurs de dialoguer avec un programme.
8
Pour notre part, nous distinguons les avatars , en tant que représentation
d’un ou plusieurs utilisateurs de l’usage de représentations (éventuellement
identiques) d’agents logiciels que nous désignons par les termes d’agents
anthropomorphes. Le contexte des Environnements Virtuels Collaboratifs implique en outre que l’utilisateur puisse accéder à une information fiable
9
concernant son interaction avec l’EV mais aussi son « interaction » avec les
intentions, les actions et la position des autres utilisateurs. Trois grands groupes d’avatars peuvent ainsi être distingués :
• Les avatars en tant que représentation de soi pour soi : l’avatar – généralement humanoïde et visant à représenter une entité individuelle a pour
fonction essentielle de fournir une information à destination de
l’utilisateur lui-même ; en général, l’objectif de l’avatar est alors de
faciliter la navigation dans l’environnement virtuel, voire l’action ;
• Les avatars en tant que représentation de soi pour les autres : l’avatar a
pour fonction de fournir une information à destination des autres
utilisateurs, comme dans le cas des jeux ou des environnements virtuels
collaboratifs à distance ; le terme de rétroaction distante est également
utilisée.
• Les autres représentations de l’utilisateur, qui ne sont pas forcément
étudiées sous la thématique des avatars, mais dont la fonction première
reste néanmoins une représentation de l’utilisateur dans l’environnement
virtuel, lui restituant une information sur sa localisation et le feedback sur
ces actions et leur effet ; ce dernier point est peu abordé en que tel dans
les études sur l’interaction en environnement virtuel (Kadri et al., sous
presse), mais aussi dans le domaine des interfaces plus classiques (Po,
2005).
Les études menées dans les années 90 ont porté sur les premiers
environnements virtuels collaboratifs, pour l’essentiels textuels (e. g. MUDs Multi-User Domains ; MOO - MUDs Object Oriented ; voir e. g. Curtis et
8
Le terme de clone est également utilisé pour caractériser cette figuration de l’utilisateur dans les
environnements virtuels multi-utilisateurs.
9
Il doit être bien clair ici que même si le même terme est utilisé, la notion d’interaction utilisateur-EV
n’est pas de la même nature que l’interaction homme-homme, y compris dans le cas où cette interaction
est médiatisée à travers un EVC.
Immersion, représentation et coopération
71
Nichols, 1993 ; Bruckman et Resnick, 1995 ; Dillambourg et al., 1997). Ces
études se sont essentiellement penchées sur le versant social de l’usage des
avatars. Il a ainsi été proposé des typologies (voir e. g. l’étude de Suler, 199610
concernant l’environnement « The Palace ») selon des critères techniques
(avatar standard fourni par le logiciel, e. g. Smileys vs création de l’utilisateur),
de forme (e. g. animal, personnage dessiné, photo de l’apparence réelle, etc.)
ou encore selon l’intention de communication véhiculée par l’avatar choisi.
Trois grands domaines d’application abordent par la suite la question de la
représentation des utilisateurs de façon explicite : les études portant sur la
représentation des patients dans le contexte d’un usage thérapeutique des
environnements virtuels, les études ayant vocation à assister un travail
collaboratif (par opposition aux jeux et aux environnements de conversation) et
enfin les études récentes sur les jeux en lignes impliquant un nombre
extrêmement grand de joueurs (Massively Multi-player Online Games –
MMOGs ; Ducheneaut et al., 2006), e. g. 50 000 personnes in US pour
EverQuest Online Adventure (Ducheneaut et Moore, 2004).
Aujourd’hui, une majorité de travaux s’intéresse aux solutions de
commandes de l’avatar qui pourraient être les plus simples pour l’utilisateur, e.
g. par capture directe sur l’utilisateur11 ; à partir des textes échangés dans les
systèmes de Chat, voire sur la base de la reconnaissance de parole (Salem et
Nearle, 2000). Des modèles et des ontologies pour l’animation commencent
aussi à être proposés (e. g. Kujanpää et Manninen, 2003). L’aspect technique y
est prédominant (e. g. Pfeiffer et al., 2005 ; Salem et Earle, 2000 ; Gagglioli et
al., 2003) sans qu’il y ait toujours de réelles évaluations empiriques. Certains
travaux tentent de formuler des principes de conception (e. g. Salem et Nearle,
2000 ; Gaggliolo et al., 2003) qui portent sur les propriétés des représentations
et sur l’information convoyée par l’avatar à différent niveaux : social,
conversationnel (postures, expression faciale, gestes de la main), en relation
plus ou moins explicite avec les caractéristiques des utilisateurs et la tâche
concernée. Par exemple pour faciliter la communication entre utilisateurs
distants, les types d’information à transmettre diffèrent suivant le moment. Les
informations peuvent concerner (Benford et al., 1997 ; Leung et Chen, 2003)
l’identité de l’utilisateur ainsi représenté, sa localisation dans l’environnement
(incluant l’orientation générale de la personne vis-à-vis de l’observateur et/ou
de l’environnement), sa disponibilité et son degré de présence réelle (la vision
de l’avatar dans l’EV ne présume pas que son propriétaire soit disponible voire
même réellement présent à ce moment), la zone de l’espace regardée et celle
où la personne peut manipuler, l’expression faciale (joie, colère, surprise,
tristesse, peur, dégoût), la synchronisation des lèvres, le contact et les
mouvements oculaires et les gestes communicationnels, etc.
Les principes proposés ne sont pas toujours fondés sur des résultats ni évalués de façon systématique. Sur le plan ergonomique, plusieurs sphères
d’interrogation coexistent. Schématiquement, on peut séparer les questions
associées à l’effet des propriétés de l’avatar de celles liées à sa commande.
10
Animaux ; personnage de dessin animé ou de bande dessinée ; personnage célèbre, personnalité du
moment ; personnage démoniaque, démon, avatar agressif ; photo de son propre visage ; représentation
du pouvoir, de la force et de la puissance ; personnage de séduction/érotique, etc., autres.
11
Mais attention au caractère intrusif des dispositifs utilisés pour cette capture.
72
J. M. BURKHARDT
Propriétés de l’avatar : de la cognition au développement social
L’interrogation sur le choix ou l’effet des avatars n’est pas nouvelle dans
les recherches concernant la RV (e. g. Biocca, 1997 ; Gerhard et al., 2004),
pourtant peu parmi les questions envisageables sont investies. L’effet des avatars peut s’analyser relativement à l’utilisabilité du dispositif et à la
performance des utilisateurs (en termes de facilitation de l’interaction avec le
dispositif, de tâches à réaliser ou d’objectif à atteindre). Les propriétés de
l’avatar peuvent être étudiées relativement à l’efficacité de la communication
entre pairs distants. On peut s’intéresser enfin aux dimensions de l’avatar et à
leur effet relativement à la psychologie des utilisateurs et aux processus psychosociologiques en œuvre dans les mondes virtuels.
Les études exploitent des cadres théoriques et des paradigmes extrêmement
variés, se centrant sur des dimensions elles-mêmes fort variées de la conception des avatars : dimensions cognitive, sociale, perceptivo-motrice, etc. Ces
études sont aussi variées sur le plan du contexte et des objectifs d’application :
jeux, interaction, communication inter-personnelles, tâches expérimentales ou
professionnelle, objectif thérapeutique etc. On peut cependant distinguer deux
grandes lignées de travaux. Les premières, plus expérimentales, tentent de
montrer l’influence de tel ou tel aspect de l’avatar sur des degrés très variés de
l’activité des utilisateurs. Les secondes concernent les usages établis, essentiellement par le truchement de méthodes d’investigation d’inspiration
ethnologique.
Les études expérimentales qui étudient l’effet de propriétés des avatars (e.
g. réaliste/non réaliste) sont basées plutôt sur des questionnaires et exploitent la
mesure de variables telle la présence ou la co-présence (e. g. Casanueva et
Blake, 2001 ; Garau, et al., 2003 ; Nowak et Biocca, 2003 ; Vinayagamoorthy
et al., 2004 ; Gerhard et al., 2004).
L’hypothèse d’une supériorité de la fourniture d’avatars réaliste est souvent
évoquée, avec une forte dominante d’orientation vers des situations d’étude de
type communication interpersonnelle médiatisée (e.g. Slater et Steed, 2002 ;
Leung et Chen, 2003 ; Guye-Villeme et al., 1998) et constitue l’une des thématiques principales des études empiriques, à côté (ou en lien avec) des
thématiques telles l’immersion et le phénomène de présence. Un problème est
la variété des dimensions manipulées dans les conditions expérimentales des
études s’intéressant au « réalisme »12 des avatars. Pour certains auteurs, les
avatars « réalistes » correspondent à une figuration précise de la personne
réelle, par exemple en utilisant le flux vidéo (Salem et Nearle, 2000). Pour
d’autres, le réalisme qualifie le rendu graphique, par exemple au niveau de
l’animation du visage (e. g. Magnenat-Thalman et al., 2003), le personnage
apparaissant néanmoins comme un humain de synthèse (e.g. Garau et al.,
2003 ; Nowak et Biocca, 2003 ; Vinayagamoorthy et al., 2004). D’autres souscatégories sont introduites telles les avatars « naturels » présentant une forme
humanoïde avec peu de niveau de détail mais ce qu’il faut de traits « naturels »
pour que certaines dimensions de la communication « naturelle » puissent être
reconnus, les avatars abstraits / symboliques, i.e. ayant une forme symbolique
ou abstraite sans sémantique (e. g. Linebarger et Kessler, 2002). Enfin une
12
On retrouve là un problème déjà souligné dans le cadre plus large de la conception des scènes dans les
EV (e. g. Burkhardt, Bardy, Lourdeaux, 2003).
Immersion, représentation et coopération
73
catégorie d’avatars souvent exploitée dans les études comparatives concerne le
style « dessin animé ». La modalité visuelle de présentation des avatars semble
la plus couverte dans les études publiées. La même problématique existe
néanmoins dans les autres modalités : sonore, haptique, etc.
Les résultats actuels sont les suivants. Fondés sur la mesure de la perception
de différentes dimensions de la « présence »13 Nowak et Biocca (2003) rapportent que le fait de fournir une représentation graphique de l’utilisateur est
généralement meilleur qu’aucune représentation. Casanueva et Blake (2001)
montrent qu’un avatar humanoïde semble augmenter le sentiment de coprésence14, par comparaison avec un avatar de type dessin animé, de même que
l’ajout d’indices fonctionnels à l’avatar tels le geste ou l’expression faciale. A
l’inverse, Slater et al., 2003 n’observent pas globalement de supériorité liée au
réalisme sur différentes dimensions de la communication perçue. En fait, différents travaux (Slater et al., 2003 ; Vinayagamoorthy et al., 2004) suggèrent que
c’est moins la caractéristique anthropomorphe « réaliste » que l’homogénéité
en termes de « réalisme » entre les différents éléments présents qui amène les
meilleurs résultats. Slater et al., (2003) observent ainsi que la cohérence entre
une apparence picturale réaliste et certaines propriétés « réalistes » du
comportement peut avoir un effet (i.e. le modèle de mouvement des yeux plus
réaliste comparé à un mouvement aléatoire). Les auteurs en concluent que plus
un avatar est d’apparence réaliste, plus les sujets développent des attentes
quant au réalisme de son comportement. En d’autres termes, on a la même
efficacité lorsque l’avatar est picturalement réaliste en même temps que son
comportement d’animation est « réaliste », ou à l’inverse si rien de l’apparence
et du comportement n’est réaliste. Dans les autres cas, il y a une incohérence et
de nombreuses dimensions de la communication sont évaluées négativement.
Vinayagamoorthy, et al., (2004) observent que cet effet se retrouve quant à la
cohérence ou non entre le degré de réalisme de l’avatar et les propriétés de
réalisme visuel des autres éléments de la scène (en l’occurrence la variété des
textures utilisées dans le décor). L’évaluation subjective du degré de présence
dans une scène est ainsi moins bonne dans le cas d’une incohérence, c’est-àdire si le personnage virtuel a une apparence hautement « réaliste » mais
qu’une seule texture répétée est utilisée dans l’environnement, par comparaison
aux deux situations de cohérence.
Peu de données existent quant à l’effet sur la performance. Linebarger et
Kessler (2002) testent deux modes de structuration de l’avatar : la connexité
des composants de l’avatar (tête et mains sont représentées par deux composants disjoints dans la scène virtuelle vs. Tête et mains sont connectées par une
représentation corporelle) et la corrélation (visuellement, un code de couleur
permet d’identifier chaque composant d’un avatar individuel vs. pas de code de
couleur). Lorsqu’il s’agit d’une tâche où la représentation est destinée à
l’utilisateur lui-même, les auteurs trouvent un effet d’amélioration du facteur
connexité sur le temps et le taux de réussite, pour la première tâche uniquement, pas d’effet sur les autres tâches. Lorsque la représentation de l’utilisateur
dans l’EV est à destination des autres, Linebarger et Kessler (2002) soulignent
l’importance de distinguer deux types de tâches en termes de performance et
d’impact de la représentation (avatar) choisie. Il y a d’une part les tâches di13
En l’occurrence coprésence, perception de la coprésence des autres, présence sociale, télé-présence.
La co-présence, dimension subjective caractérise la conscience qu’a l’utilisateur des autres et
comment il perçoit leur proximité (virtuelle).
14
74
J. M. BURKHARDT
rectes réalisées sur les objets de l’environnement virtuel e. g. un bloc à poser
sur un autre bloc et, d’autre part, les tâches médiatisées par l’avatar pour lesquelles l’action ne peut être réalisée qu’en référence à une position ou une
action de l’avatar représentant l’autre utilisateur (e. g. interpréter une référence
déictique). Les propriétés de la représentation ne semblent pas affecter la performance dans le cas de la tâche directe. A l’inverse dans le cas d’une tâche
médiatisée par l’avatar, les deux propriétés de connectivité et de corrélation
sont en interaction et affectent significativement la performance et la préférence exprimée par les sujets (Linebarger et Kessle, 2002), en interaction
également avec le type de dispositif d’interaction (visiocasque vs. écran). Les
meilleurs résultats sont obtenus avec une représentation corrélée et non
connectée tandis que les moins bonnes performances sont observées dans le cas
de l’absence de connectivité et de corrélation. Enfin, la préférence exprimée
par les utilisateurs pour un avatar semble aussi dépendre de la tâche
(Linebarger et Kessler, 2002). Par exemple, les sujets préfèrent l’avatar ayant
la forme d’un stylet pour insérer des objets dans une boîte, tandis qu’ils préfèrent une main dans une tâche de manipulation de pièces sur un échiquier. Ces
auteurs soulignent que cette préférence n’est pas toujours le reflet des performances objectives des sujets dans la tâche.
Les études sur les usages, ou celles adoptant une approche longitudinale,
apportent un point de vue complémentaire sur cette question des avatars. Elles
suggèrent notamment que les avatars sont plus proches fonctionnellement du
masque ou du costume qu’il plait à l’utilisateur d’endosser que du reflet
réaliste, « sans fard », de la personne dans le monde réel. La possibilité de
créer et de changer d’avatars est ainsi une caractéristique importante des usages
dans les environnements collaboratifs de communication, en même temps
qu’une demande explicite des utilisateurs (e. g. Persson, 2003). L’avatar
s’avèrerait aussi un instrument essentiel pour la construction d’une identité
sociale et d’une réputation à l’intérieur de la communauté des joueurs
(Ducheneaut et al., 2006). Dans ce sens, il ne s’agit pas seulement de considérer les propriétés d’apparence de l’avatar comme facteur, mais également en
quoi les propriétés et les fonctionnalités de création et de gestion des avatars
facilitent ou non la construction et la persistance d’une identité sociale à
l’intérieur du collectif interagissant dans l’environnement virtuel. Ducheneaut,
Yee, Nickell et Moore (2006) soulignent ainsi que les approches actuelles de
conception de jeu sont trop focalisées sur le soutien à la communication
directe, et pas assez au soutien des différents processus de construction et
d’appartenance à une communauté sociale. Le même constat est fait plus généralement dans la communauté sur le travail coopératif assisté par ordinateur (e.
g. Bodker et Christiansen, 2006).
Contrôle des dimensions communicationnelles de l’avatar et activités
dans les environnements virtuels
L'acceptabilité faible des périphériques d'interaction (capteurs, exosquelette) et l’état des technologies de commande peu matures (capture vidéo)
font qu’il est aujourd’hui difficile de médiatiser les différents composants de
l’activité avec un avatar animé, tels les gestes de communication et de manipulation d'un objet virtuel d’une façon qui soit « naturellement » comprise et
efficace pour les utilisateurs (Burkhardt, et al., 2006).
Immersion, représentation et coopération
75
La question du contrôle des comportements communicationnels sur un
mode explicite introduit tout d’abord un problème potentiel de double tâche :
quand les utilisateurs mobilisent déjà leurs mains au niveau des dispositifs
d’interaction pour agir avec les objets et réaliser leur tâche, ils ne peuvent les
mobiliser simultanément pour accéder à des fonctions de communication. Dans
le cas où l’activité relève de la communication interpersonnelle médiatisée par
des avatars, des principes pour la mise en place de l’interaction dans le cas de
tâches Homme/Homme médiatisées ont été proposés ; par exemple (Kuzuoka
et al., 2000) :
• multimodalité : les utilisateurs doivent être libres d'utiliser aussi bien des
expressions verbales que des mouvements et des expressions corporelles ;
• conscience mutuelle : les participants doivent pouvoir s'observer mutuellement ;
• maintien d’une cohérence dans les échanges (e. g. tours de paroles, chaine
d’actions) par exemple au moyen d’une synchronisation temporelle ou
thématique ;
• placement du corps et correspondance du corps et des outils : l'utilisateur
doit pouvoir voir ce qu'il fait sans faire d'efforts ;
• les postures, les outils et les gestes d'expression doivent être traduits sans
délais : la rétroaction du système doit être immédiate, etc.
En situation d’interaction, les sujets font naturellement appel tout à la fois à
leurs capacités gestuelles, prosodiques, et verbales, de même qu’ils jouent et
exploitent l’espace au sein du groupe. Pour l’utilisateur qui fait face à un ou
plusieurs avatars représentant ses interlocuteurs, le retour sur les actions et sur
les actes langagiers (verbaux ou non) aurait par conséquent un rôle indispensable pour une communication efficace. De surcroît, les gestes de communication
ne sont pas appréhendés de façon autonome, comme un tout discret, mais bien
dans un rapport à la parole comme le « co, para et non-verbal ». En d’autres
termes, il y a une influence réciproque des différents canaux sur la compréhension et l’interaction. Par exemple, un effet bien connu est l’influence de la
vision sur la perception auditive du signal de parole : il est possible sans problème technique majeur, de transmettre la voix « naturelle » des utilisateurs en
la spatialisant pour aider à discerner les utilisateurs distants les uns des autres.
Par contre, il reste difficile de synchroniser le mouvement des lèvres avec la
parole sans engendrer un problème d'interprétation connu sous le nom d’effet
« MacGurk (MacGurk et MacDonald, 1976). Un décalage même infime entre
d'une part, la voix d'un utilisateur et d'autre part, le mouvement articulatoire
des lèvres (visème) réalisé sur l’avatar amène l'utilisateur à avoir une compréhension déformée des items prononcés.
Parmi les solutions actuelles, les algorithmes de synthèse ou les bibliothèques d’animations prédéfinies sont privilégiées pour un usage en temps-réel.
Aussi, constituer une bibliothèque d'animations reflétant le comportement nonverbal d'utilisateurs engagés dans une tâche collaborative peut s'avérer indispensable. Différents travaux montrent que la modélisation via des situations
naturelles reste méthodologiquement viable surtout si l'on veut rendre compte
de la variabilité interindividuelle dans un collectif.
Des pistes complémentaires de travaux en découlent. D’une part, il y a la
modélisation des situations d’interaction et de communication interpersonnelles situées dans des tâches et dans des domaines particuliers, qu’elles soient
76
J. M. BURKHARDT
médiatisées ou se déroulent dans un cadre écologique. D’autre part, il sera
nécessaire d'évaluer empiriquement l'apport et l’impact de ces animations sur
la communication et sur diverses autres activités. Une compréhension fine des
influences respectives qu’entretiennent les différents canaux communicationnels est aussi clairement souhaitable.
Les agents anthropomorphes
La conception d’agents anthropomorphes (c’est-à-dire la tendance à attribuer aux agents logiciels une apparence et un comportement humains) est une
approche assez majoritaire (Benford et al., 1997), pas seulement dans le
domaine des EV mais plus généralement dans les interfaces et les environnements de communication médiatisées. Beaucoup de travaux portent sur les
aspects techniques de l’animation de représentations anthropomorphes pour
l’interaction avec des agents logiciels. Les mêmes solutions que pour
l’animation automatique d’avatar existent telles l’animation par synthèse ou à
l’autre extrémité l’exploitation de bibliothèques de gestes issus de l’analyse de
situations naturelles de communication (e. g. Cassel, 2002). Il y a comparativement peu d’études sur le comment et le pourquoi d'animer, et, moins encore,
sur l'effet de ces animations sur les utilisateurs (Burkhardt et al., 2006).
L’utilisation de représentations anthropomorphes des agents conversationnels
et leurs effets sur l’interaction et la performance sont aujourd’hui des questions
de recherche. Une hypothèse fréquente est que de telles représentations anthropomorphes devraient contribuer à « humaniser » l’interaction avec un système
e. g. (Cowell et Stanney, 2005). Une autre question porte sur l'efficacité et sur
la pertinence qu’il y a à simuler des comportements et une information nonverbale dans le déroulement et le contrôle des interactions entre l’agent et
l’utilisateur (gestes, mimique, mouvement des yeux et du visage, expressivité,
modalités de mise en scène, etc.).
Des travaux ont montré un effet bénéfique de l’utilisation de personnagesagents virtuels, sans que le réalisme de la représentation utilisée ait un effet
caractérisable. Par exemple une série d’expériences (Moreno et al., 2001) suggère que c’est l'activité qu'engendre l'interaction avec l’avatar plutôt que la
représentation « réaliste » de l’agent pédagogique animé qui a un effet bénéfique dans un contexte d’apprentissage assisté par ordinateur. Les performances
des sujets sont peu différentes suivant que l'avatar ait l'apparence d’un personnage de fiction exhibant peu de comportement de « communication sociale »,
ou qu’il s’agisse d’un visage humain réel (vidéo) exhibant un comportement
social de communication fort (fixation du regard appuyant l’explication). Dans
une autre étude, la présence d’un agent améliore également les performances,
en termes de mémorisation, cependant que le fait que l’agent soit doté d’une
apparence anthropomorphe n’a pas non plus d’effet (Beun et al., 2003, cité par
Buisine, 2005).
Cowell et Stanney, (2005) montrent inversement un fort effet des caractéristiques d’un agent-assistant exhibant des dimensions de communication nonverbale dans une tâche de classement. Dans cette étude, les propriétés anthropomorphes manipulées sur le plan du comportement non-verbal affectent non
seulement la performance, par exemple en termes de nombre d’erreurs mais
également le jugement de crédibilité de l’agent, la satisfaction des utilisateurs
et la difficulté perçue de la tâche. Au-delà de premiers principes de conception,
un enseignement majeur de cette étude est le suivant. La conception d’un ava-
Immersion, représentation et coopération
77
tar dont les paramètres vont à l’encontre de comportements de communication
anthropomorphes engendre des résultats encore moins bons que ceux obtenus
dans le cas d’un avatar n’ayant aucun comportement de communication
anthropomorphe. En d’autres termes, un avatar aux comportements mal spécifiés (i.e. en désaccord avec les caractéristiques habituelles de la communication
humaine non-verbale) induit une mauvaise efficacité et un niveau de satisfaction plus bas que si l’avatar n’exhibe aucun comportement de communication
non-verbale. Il semble possible de gagner aussi en efficacité et en satisfaction
par la coordination appropriée des différentes modalités communicationnelles
en sortie de l’agent. Par exemple, Buisine (2005) montre au travers d’une série
d’expériences que la redondance entre le geste et la parole au niveau de
l’avatar d’un agent « pédagogue » permet d’obtenir les meilleures performances de rappel chez les utilisateurs, par comparaison avec d’autres choix
d’implantation tel le découpage par complémentarité entre le geste et le discours, ou la spécialisation des modalités de présentation (geste vs. parole). En
outre, la redondance se traduit également par une évaluation subjective meilleure par les utilisateurs, en ce qui concerne la qualité de l’interaction avec le
logiciel.
Les caractéristiques de l’agent anthropomorphes ne sont pas les seuls facteurs en jeu dans ces situations. Par exemple l’appréciation portée sur les
agents peut être influencée par des caractéristiques des utilisateurs telles le
genre ou certaines dimensions de la personnalité (e. g. introversion-extraversion ; Buisine, 2005). Cet auteur observe aussi que les sujets sont sensibles aux
traits spécifiques de l’avatar, ce qui conduit à souligner la nécessité d’opérer un
pré-test sur les agents anthropomorphes avant toute utilisation. Les connaissances actuelles, même si elles permettent d’orienter certains choix de paramètre,
sont en effet insuffisantes pour prédire l’impact de l’apparence et du comportement d’un agent spécifique.
Perspectives
Plusieurs questions sont soulevées par cette seconde thématique de la représentation des utilisateurs associée à l’application des mêmes techniques pour la
création d’agents virtuels. Nous en évoquons trois. La première est le flou
voire l’absence de distinction entre les avatars et les agents anthropomorphes,
au motif de technologies similaires, ce qui pose plusieurs problèmes. Ainsi, la
validité des études empiriques est incertaine lorsqu’il il y a confusion entre l’un
ou l’autre en termes de conditions objectives, ou en termes d’information du
sujet d’expérience. Les utilisateurs, au regard des techniques actuelles, ne semblent pas forcément aptes à identifier la nature « réelle » ou artificielle de
l’interlocuteur représenté par un humanoïde de synthèse. Par exemple, Nowak
et Biocca (2003) montrent que le niveau de présence n’est pas évalué différemment selon qu’un interlocuteur est présenté initialement comme un agent
ou comme un utilisateur véritable. Si le caractère simple et peu interactif de la
tache utilisée par ces auteurs est possiblement à l’origine de ce résultat, il reste
que la question de l’avertissement de l’utilisateur est posée – ne serait ce que
sur le plan éthique. La question se complique du fait que la présence de l’avatar
d’un utilisateur réel n’exclut pas le fait que son propriétaire soit absent : des
travaux récents tendent à proposer des techniques hybrides agent-avatar où
l’interaction est prise en charge par un agent lors de l’absence de l’utilisateur
réel (Gerhard et al., 2004).
78
J. M. BURKHARDT
Une seconde question réside dans le statut de l’avatar relativement aux
caractéristiques physiques et à l’identité de la personne représentée. Cette
question est souvent posée dans les termes d’une opposition entre la représentation fidèle ou sa création complète par l’utilisateur. Trois axes de réflexion en
découlent notamment. Le premier relativise cette opposition : le choix d’une
représentation de l’utilisateur devrait être en lien avec le type d’activité de
l’utilisateur et la configuration sociotechnique où prend place cette activité
(Burkhardt et al., 2005). Ainsi la représentation de l’utilisateur ne peut se
résumer à l’énonciation de principes simples et universaux : au contraire, poursuivre et multiplier les études pour préciser les limites et les conditions
spécifiques d’application des différentes alternatives de représentation existantes est nécessaire. Le second axe concerne la dimension du « réalisme »
telle qu’elle est traitée dans le domaine des avatars et des agents anthropomorphes. Cette notion de réalisme gagnerait à être précisée (e. g. Burkhardt et al.,
2003) dans les investigations empiriques de la réalité virtuelle. Dans le champ
thérapeutique, certaines règles sont proposées comme de favoriser le réalisme
visuel ou le réalisme du comportement du personnage (fidélité psychologique)
uniquement lorsqu’ils constituent le focus de la tâche clinique (e. g. autoévaluation dans le cas de troubles alimentaires, phobies sociales) tandis que cela
n’est pas nécessaire lorsque le focus concerne des objets externes (e. g. arachnophobies). L’importance de la fidélité psychologique est aussi soulignée pour
certaines applications de la réalité virtuelle à la formation (Burkhardt, 2003).
Quel que soit le domaine d’application, la spécification puis l’évaluation de
l’atteinte de ce niveau de fidélité impose la modélisation précise du comportement en situation de sujets de référence (des opérateurs dans le cas de la
formation), ce qui a été peu réalisé encore, et généralement de façon ad hoc
dans quelques systèmes parmi lesquels historiquement STEVE (Rickel et
Johnson, 1999). Enfin, un lien est parfois fait entre la notion de réalisme et la
notion de crédibilité (believability ; voir e. g. Vinayagamoorthy et al., 2004) ce
qui introduit un troisième axe de réflexion concernant la crédibilité – au sens
du degré de confiance et de la véracité – des apparences, des attitudes et des
comportements entre utilisateurs dans le cas d’interactions médiatisées en environnement virtuel. Par exemple, on peut se demander comment aider un
utilisateur à évaluer la crédibilité d’un interlocuteur dont l’apparence est entièrement contrôlée au travers de son avatar, voire lorsqu’il y a automatisation
partielle des stratégies de communication.
Enfin, une troisième question concerne l’impact des choix techniques et
fonctionnels de la réalité virtuelle collaborative sur les mécanismes de régulation et la construction d’identité sociale au sein des communautés virtuelles.
Peu abordée aujourd’hui, alors qu’elle concerne déjà des communautés fortes
de plusieurs millions d’utilisateurs, cette question est un enjeu pour le développement d’environnements virtuels facilitant l’apprentissage social et
l’évolution sociologique des groupes. Par exemple, l’usage de plusieurs avatars
aurait pour effet de supprimer la continuité identitaire au fur et à mesure des
rencontres entre utilisateurs. Des fonctionnalités associées à la création
d’avatars ont été proposées pour minimiser un tel effet (e. g. Ducheneaut et
Moore, 2004). Pour les sciences humaines et sociales, c’est aussi une opportunité pour étudier les mécanismes de la régulation sociale dans des espaces
relativement circonscrits, de surcroît en autorisant l’enregistrement de nombreuses données concernant les échanges et l’histoire des groupes observés.
Ainsi d’autres travaux sont nécessaires pour mieux comprendre les implica-
Immersion, représentation et coopération
79
tions des technologies pour la collaboration en environnement virtuel sur la
construction sociale. De même, la façon dont le contrôle et le pouvoir
s’exercent dans ces nouvelles communautés est une thématique de recherche à
entreprendre.
COOPERATION H/H AU SEIN D’ENVIRONNEMENTS VIRTUELS
Dans les Environnements Virtuels Collaboratifs (EVC), plusieurs utilisateurs travaillent, jouent, apprennent de manière simultanée en interagissant
avec des environnements informatiques dont l'interface utilisée peut être en 3D
-et en 2D/3D. La dimension ergonomique ne peut s’y réduire à un simple problème d’échange et de fidélité de l’information, dans la mesure où il s'agit de
récréer un espace de travail où s'élaborent des activités humaines complexes
qui renvoient à des actions et co-actions, à des comportements, à des règles
sociales, à des modalités d'échange et de coordination sociales, bref à d'autres
formes de représentations qui dépassent la notion d’Utilisateur et de dialogue
Humain/Machine.
Tromp, Steed et Wilson (2003) décrivent une hiérarchie des principaux
objectifs dont l’environnement virtuel collaboratif doit faciliter la réalisation
aux utilisateurs. Dans ce modèle, les aspects spécifiques à la dimension collaborative concernent les tâches associées à la recherche des autres utilisateurs
(localisation, identification, établissement du contact, incarnation dans
l’environnement pour l’interaction) et les tâches spécifiques de collaboration.
Pour la collaboration, différents objectifs et difficultés associées ont, pour certains depuis longtemps :
• la connaissance du fait que des utilisateurs sont présents dans
l’environnement, leur localisation ;
• l'identification ou la reconnaissance d'un utilisateur précis (Benford et al.,
1997 ; Tromp et al., 2003) ;
• le suivi et l’identification des locuteurs au fur et à mesure des tours de
paroles dés que le nombre de participants est supérieur à 2 ;
• le décodage de l'intentionnalité des interlocuteurs (Kuzuoka et al., 2000) ;
• le maintien d’un reférentiel commun durant les interactions conversationnelles (common ground ; Clark, 1996) ;
• le focus et le degré d’attention des partenaires impliqués dans la tâche
collaborative (Heath et Luff, 1991).
Un aspect majoritairement étudié est l’activité directement dédiée à la
communication. Les contraintes technologiques entraînent une perte importante pour la conduite de l’interaction dès lors que l’interaction est médiatisée
(Olson et Olson, 2000). La communication n’est pas que verbale, elle est par
nature multimodale. Il existe de nombreuses dimensions non-verbales de la
communication (geste, direction et durée du regard, mimiques, attitude corporelle, prosodie, etc.) incluant la gestion de l’espace dans l’interaction
(codification culturelle et exploitation des distances et des espaces corporels et
péri-corporels, rapprochement ou éloignements entre deux interlocuteurs, coréférence). La rupture de l’espace physique qui n’est plus partagé (à laquelle
vient éventuellement s’associer une rupture temporelle), s’accompagne de
modifications des stratégies et de l’apparition de surcoûts ou d’effets indésirables pour la conduite des activités au cours de la collaboration :
80
•
J. M. BURKHARDT
la compensation de l'absence d'une modalité par des éléments verbaux ou
d'autres comportements non-verbaux non contraints pour la situation
considérée (Burkhardt et al., 2006). Par exemple, lorsque les locuteurs
n'ont pas de vision mutuelle, l'adressage n'est possible que verbalement.
S'il y a plus de deux interlocuteurs, la désambiguïsation de l'adressage
devient récurrente (Cahour et al., 2002) et peut même changer la nature de
la tâche par l’ajout d’une tâche secondaire coûteuse relativement à la
tâche principale ;
• la modification de la structure conversationnelle et l'augmentation des
déictiques (Fussel, Kraut et Jane, 2000). On voit ainsi apparaître des
dialogues prenant la forme d'une aide à la navigation [« plus haut... non
plus bas »]. Ces derniers renforcent à leur tour la frustration des individus,
dans la mesure où la désignation via des gestes reste inopérante par
manque de partage d'un espace physique commun ;
• les déphasages corporels et la désincarnation de l’action (Heath et Luff,
1991 ; Kuzuoka et al., 2000). Lorsqu’ils sont médiatisés, les gestes, les
postures et les attitudes semblent être réalisés de façon accentuée,
exagérée, par comparaison avec la situation de communication en face-àface. Dans le même temps, les interlocuteurs montrent une inefficacité à
ajuster mutuellement leur stratégie gestuelle de conduite de l’interaction
(Heath et Luff, 1991).
La communication n’est pas le seul objectif, qu’il s’agisse de jeux ou
d’environnements virtuels collaboratifs ayant vocation à soutenir une activité
professionnelle. Deux centres potentiels d’intérêt peuvent être distingués
(Navarro, 2001) : l’information sur le ou les autres partenaires engagés dans
l'action commune, d’une part, et l'information visuelle sur la tâche, d’autre
part. En effet selon la tâche et l’étape, les utilisateurs préfèrent voir les objets
sur lesquels ils travaillent plutôt que leurs interlocuteurs (Gaver et al., 1993).
Dans certains cas, la visualisation des autres participants peut même perturber
et rendre l’activité et la collaboration moins efficace. La coaction, la coordination et la synchronisation entre les utilisateurs constituent alors d’autres
dimensions de l’activité aussi importantes que la dimension de communication.
La notion de « conscience » (awareness) a été proposée comme l’un des mécanismes permettant d’articuler cette dimension individuelle et collective (voir
e. g. la discussion dans Schmidt, 2002). Elle désigne (Carroll, et al. 2003) la
conscience du travail associé au projet et qui sous-tend sa réalisation par le
groupe dans le cas de tâches complexes. Plusieurs facettes coexistent, parmi
lesquelles on distingue la conscience des actions et la conscience sociale.
La conscience des actions (action awareness ; voir Carroll et al., 2003 pour
une revue des mécanismes et solutions proposées dans les systèmes collaboratifs) concerne la connaissance des actions en cours sur les objets et de par qui
ces actions sont entreprises. Cahour et Pentimalli (2004) critiquent le fait que
cette notion se limite souvent au seul fait –pour des sujets/utilisateurs/coacteurs de « rendre l’activité des autres explicite et visible (…) de sorte à
savoir ce que les autres sont en train de faire ». Ces auteurs proposent de distinguer un niveau de conscience périphérique limité pour les activités
secondaires et un niveau de conscience plus élevé pour l’activité principale sur
laquelle se focalise le sujet à un instant donné. Le niveau de conscience limité
se caractérise par une attention non-focalisée et un vécu pré-réfléchi dans le
sens où l’information, bien que présente dans le champ perceptif du sujet, n’est
Immersion, représentation et coopération
81
pas intégrée de façon conceptuelle et rendue accessible à sa conscience réfléchie (Cahours et Pentimalli, 2004). Ces auteurs soulignent que la conscience
périphérique est caractérisée par la discontinuité et les variations dynamiques :
• les foyers attentionnels sont nombreux et les niveaux de conscience
changent constamment ;
• le niveau de conscience est dépendant de la charge cognitive du sujet et de
l’accessibilité de l’information, en termes de saillance par exemple;
• la conscience périphérique est pluri-sensorielle : non seulement la perception visuelle et auditive mais aussi la perception kinesthésique sont
actives pour la synchronisation collective.
La conscience de la situation sociale (social awareness) inclut à la fois la
conscience que l’on peut avoir « sur les situations sociales en générale», et à la
fois la conscience impliquée dans une situation sociale donnée spécifique.
Certains auteurs e. g. (Carroll et al., 2003) restreignent la notion à cette
deuxième situation, essentiellement sous l’angle de la conscience de qui est
présent et avec qui je peux interagir. Prasolova-Forland (2002) insiste sur le
fait que l’élaboration d’une telle conscience implique plus de dimensions que
la seule connaissance des utilisateurs présents, comme les rôles des participants, leurs activités, leurs localisations, leurs statuts, leurs responsabilités,
leurs réseaux sociaux, leurs ressources (e. g. connaissances), les processus
(prescrits ou implicites) de régulation à l’intérieur de la communauté, etc.
Les apports des recherches en ergonomie, en psychologie et en sociologie
concernant les situations de collaboration médiatisées sont peu considérés
aujourd’hui dans le champ de la conception des environnements virtuels collaboratifs. Les dimensions de l’activité mises en évidence dans ces études
empiriques variées trouvent peu de correspondance avec les technologies et les
fonctionnalités mises en place dans les EVC. Par exemple, il n’existe pas de
proposition quant à l’assistance au maintien d’une conscience périphérique
flexible et multimodale chez les participants, parallèlement à l’attention principale dirigée sur l’étape de la tâche en cours. Un autre exemple réside dans la
définition de mécanismes permettant aux utilisateurs de se préserver de
l’envahissement (obtrusiveness ; Heath et Luff, 1991) comme conséquence
possible des technologies qui accroissent la « co-présence », i. e. l’accroissement des demandes spontanées et des actions non pertinentes auxquelles
l’utilisateur peut être exposé et qui peuvent venir le gêner au cours de la
réalisation de sa tâche. Cette dimension collective et sociale impliquée dans les
EVC constitue ainsi un vaste champ à entreprendre par la recherche
ergonomique et les sciences humaines et sociales afin de contribuer à intégrer
toutes les dimensions de la perception à la cognition et au social, en même
temps que par la recherche technologique.
CONCLUSION
Les thématiques cognitives constituent un enjeu fort et émergent pour le
développement d’Environnements Virtuels adaptés. Ces thématiques sont
encore loin d’être véritablement développées. Lorsqu’elles le sont, des critiques et des restrictions importantes sont observées. Dans cet article, nous
avons présenté et discuté des perspectives concernant trois thématiques où
l’ergonomie cognitive devrait contribuer empiriquement pour améliorer
l’utilité et l’utilisabilité des Environnement Virtuels : l’immersion, les représentations des utilisateurs et des agents anthropomorphes et, enfin, les activités
82
J. M. BURKHARDT
coopératives au sein des environnements virtuels. La nécessité d’un
élargissement des approches actuelles est proposée selon trois directions complémentaires.
Premièrement, il s’agit d’élargir les études à la considération de nouvelles
questions sur l’activité humaine dans les environnements virtuels, par exemple
les questions engendrées par la conception et l’évaluation des environnements
virtuels assistant l’activité collective. Deuxièmement sur le plan paradigmatique, la seule mesure de performance est apparue clairement insuffisante pour
comprendre les mécanismes cognitifs et sociaux mis en œuvre dans ces nouveaux espaces numériques pour lesquels la « réalité » est à la fois matérielle et
virtuelle. Une spécificité de l’ergonomie consiste à privilégier la validité écologique ainsi que le caractère incarné et situé de l’activité humaine. Par
exemple, les études expérimentales à visée ergonomique diffèrent généralement de la construction de l’expérimentation classique en ce qu’elles ne sont
pas structurées sur la seule base de la mise à l’épreuve d’une hypothèse ou
d’un modèle théorique (Hix et Gabbard, 2002). Nous avons ainsi souligné la
nécessité d’opérer systématiquement une analyse fine de l’activité, des stratégies et des comportements pour éclairer les résultats empiriques des études
actuelles. Dans la même veine, il semble important de développer des études
longitudinales et sur les usages. Par ailleurs, une meilleure intelligibilité des
différentes études empiriques serait probablement favorisée par la description
plus systématique des contextes d’études, des notions manipulées et des liens
qu’elles entretiennent, tant sur le plan théorique que de l’opérationnalisation.
Enfin, les propriétés des environnements virtuels sont certes variées, mais les
populations de sujets étudiés dans les études ne le sont pas moins ! En conséquence, les performances peuvent être fortement variées et difficilement généralisables (Bowman, Gabbard et Hix, 2002). Pour permettre d’évaluer les
caractéristiques des sujets en regard de ces nouvelles technologies, les tests
psychométriques utilisés diffèrent ou sont difficilement comparables d’une
étude à l’autre. Pour pallier à cela, un test de performance en EV a été proposé
récemment (NAIVE ; Griffith et al., 2006). Troisièmement, il s’agit d’élargir
les sphères de l’activité humaine soumises à l’analyse. Les seules dimensions
perceptives et motrices ne suffisent plus. Par exemple, le raisonnement, la
communication, l’action collective, les processus sociaux sont autant de
dimensions qui méritent d’être étudiées pour mieux cerner les besoins et les
difficultés des utilisateurs dans ces mondes numériques– dans l’objectif de
concevoir des environnements offrant une meilleure assistance. Au-delà des
critères habituels de l’ergonomie des systèmes interactifs tels l’utilité,
l’utilisabilité, la dangerosité, l’accessibilité ou encore la satisfaction et
l’acceptabilité, des questions liées à l’éthique et à certains dangers de ces technologies font également suggérer d’ajouter les critères d’utilité sociale et de
dangerosité sociale à la réflexion des chercheurs et des concepteurs dans le
champ des environnements virtuels.
Pour finir il nous semble important de souligner que, face aux propriétés
particulières des environnements virtuels, l’ergonomie cognitive doit adapter
ses méthodes et ses cadres théoriques. Ainsi les échanges avec les autres disciplines et les autres épistémologies qui s’intéressent à l’homme sont à
encourager afin de mieux comprendre et caractériser les propriétés de
l’interaction dans les environnements virtuels. Un certain nombre de pistes
sont évoquées dans cet article.
Immersion, représentation et coopération
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