La diaspora palestinienne à l`heure de l`intifada droit au retour et
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La diaspora palestinienne à l`heure de l`intifada droit au retour et
La diaspora palestinienne à l’heure de l’intifada droit au retour et logique de réseaux. Par Sari Hanafi Apparu dans Alain Dieckhoff et Remy Leveau (Ed.), Israéliens et palestiniens. La guerre en partage, Paris, Balland, coll. "Voix et regards". Introduction ............................................................................................................................1 L’intifada : un recentrage partiel sur les Territoires palestiniens ......................................2 Changements dans le rôle des périphéries diasporiques .........................................................7 Droit de retour et sociologie de retour ...................................................................................10 Bibliographie ........................................................................................................................19 Introduction La diaspora palestinienne comprend aujourd’hui entre 4 et 5 million1 installés pour la plupart dans le pays arabes limitrophes de la Palestine historique mais s’étale dans les monarchies pétrolières du Golfe et les deux Amériques et l’Europe. Elle entretient avec les actuels territoires palestiniens (la Cisjordanie et de la bande de Gaza) des rapports étroits, mais fragiles, qui se déploient essentiellement dans trois sphères : celle des réseaux, celle de l’idéologie, celle du cyberespace. La première repose sur les relations entre membres de réseaux sociaux et économiques, sur une base surtout familiale. La littérature scientifique sur la diaspora présuppose souvent des liens mécaniques entre des périphéries et un centre, fondés sur des réseaux sociaux et économiques transnationaux, des activités économiques ethniquement organisées (business ethnique), un système de solidarité (entraide, dons, etc..). Toutefois ces connexions sont loin d’être évidentes dans le cas palestinien. Certains réseaux ont en effet été complètement déchirés sous le poids des contraintes structurelles imposées par les Etats arabes. Le champ idéologique s’est construit autour du ‘mythe’ de la Nakba (littéralement « catastrophe », terme utilisé depuis les années cinquante pour désigner l’exode des Palestiniens en 1948) et du droit au retour. Enfin, à l’ère de l’Internet, se sont développées des relations virtuelles qui prennent une ampleur croissante. En effet, l’émergence du medium 1 A titre indicatif, le Palestinian Return Centre à Londres a avancé le chiffre au début de l'année 1999 de 4,233 million pour l’ensemble des Palestiniens de l’extérieur, ce qui constitue à peu près le moitié de la population palestinienne dans son ensemble (Voir le tableau 1). 1 de l’Internet a donné une nouvelle configuration à des communautés transnationales imaginées établies désormais sur le principe de la libre adhésion. Ma contribution se divisera en deux parties. La première cherchera à resituer les relations entre centre et périphéries dans leur cadre historique, spatial et social à l’heure de l’intifada. Quel rôle la diaspora a-t-elle joué durant cette nouvelle confrontation israélo-palestinienne ? Y a-t-il eu remobilisation ou désengagement, radicalisation ou modération ? Dans la seconde partie j’examinerai « l’état de la cause palestinienne » à la lumière du débat lancé à la fin de l’année 2001 par le professeur Sari Nusseibeh (haut responsable palestinien chargé de la question de Jérusalem) sur la pertinence de la référence au droit au retour dans le cadre de la coexistence entre deux Etats (israélien et palestinien). Face à cette nouvelle intifada, deux hypothèses sont à l’œuvre : la première consiste à dire qu’elle a constitué un moment crucial favorisant un nouveau type de mobilisation de la diaspora palestinienne, sans que cette mobilisation soit de type radical (comme absence d’incursions de fedayins ou quasi-absence de surenchère contre le central de l’OLP et l’ANP) ; la seconde souligne l’effet ‘pragmatique’ que l’intifada a eu sur la revendication palestinienne du droit au retour. Cette contribution va démontrer la pertinente de ces deux hypothèses pour comprendre le comportement de la diaspora face à l’intifada, mais aussi de l’historiciser cette diaspora en montrant à la fois sa mutation par rapport à la espace et le temps. Je me garde ainsi de tomber dans la facilité d’une analyse de continuités et d’une recherche de similitudes entre première et seconde intifadas. Une chose en tous les cas est certaine : on ne peut pousser beaucoup d’analogie entre les rôles des acteurs de la première et de la deuxième intifada car elles sont de nature très différente. Tant les objectifs poursuivis que les méthodes employées démontrent que l’on se situe dans des répertoires d’action politique dissemblables. Karl Marx avait tout à fait raison d’ajouter, en commentant Hegel qui avait noté que tous les grands événements et personnages historiques surviennent pour ainsi dire deux fois, « la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce. » (Marx, 1997 : 13) Il ne s’agit pas ici de suggérer que la second intifada est une farce, mais de se garder d’une analyse de la forme et l’apparence. L’intifada : un recentrage partiel sur les Territoires palestiniens La seconde intifada a fait de la Cisjordanie et de Gaza le point nodal de la lutte nationale, une situation nouvelle par rapport aux années 70 et 80 lorsque les forces militaires et la direction 2 politique de l’OLP étaient à Beyrouth d’abord, puis à Tunis. Remarquons d’emblée que le rapport à ces territoires n’est pas « évident » ni sur le plan de la représentation pour les réfugiés de l’extérieur, ni comme centre de gravité pour les périphériques diasporiques palestiniennes. Un centre a deux fonctions principales : d'abord, être un lieu par où transitent les flux de communication et à partir duquel les informations sont diffusées entre les différents pays des périphéries, ensuite être un lieu social et économique où les membres des familles se rencontrent. La première fonction n’implique pas que le centre soit territorialisé, une institution peut parfaitement remplir cette tâche. La deuxième fonction requiert par contre une territorialisation, l’établissement de relations sociales et économiques exigeant des échanges réguliers. Pour les Palestiniens dont les familles sont dispersées entre plusieurs pays arabes et qui ont souvent du mal à se rendre d’un pays à l’autre2 comme pour ceux qui résident dans d’autres pays (en Europe ou en Amérique) dont ils ont acquis la nationalité et voyagent peu dans les pays arabes3, les Territoires palestiniens pourraient naturellement constituer ce centre de rencontre. Toutefois, selon mes travaux empiriques, les Territoires palestiniens ne remplissent qu’imparfaitement cette fonction (Hanafi, 1997, 2001a). D'une part, la majorité des Palestiniens de l'extérieur n'ont tout simplement pas accès à ces territoires, Israël ne leur permettant pas d’y pénétrer. D'autre part, une partie de la diaspora a perdu confiance dans la gestion des affaires publiques par l'Autorité nationale palestinienne (ANP). De plus, il est nécessaire de distinguer entre les Palestiniens originaires de Cisjordanie et de Gaza et ceux qui sont issus du reste de la Palestine historique (actuellement l’Etat d’Israël). Si les Territoires palestiniens constituent un centre important pour les premiers, ce n'est certainement pas le cas pour les seconds. Privés du droit de résider dans leur ville ou village natal, voire de les visiter – dans bien des cas ce lieu n'existe d’ailleurs plus -, ils ont perdu la référence territoriale de leur identité palestinienne tandis que les territoires palestiniens actuels ne parviennent pas à devenir un centre de gravité de substitution. La difficulté des territoires à devenir un point de référence incontesté transparaît à travers la question des investissements économiques. L'élite économique (comme Hassib Sabbagh, Abdel Majid Shouman, Abdel Mohsen Qattan et Saïd Khouri4) qui joua un rôle majeur dans la question nationale en soutenant, tant financièrement qu'humainement, la lutte de résistance menée par l'OLP depuis 40 ans, refuse dorénavant de se transformer en simples banquiers à la Rothschild. En effet les relations entre l'ANP et cette élite sont caractérisées par une double spécificité. D’abord, le contexte de libération nationale ainsi que la pression 2 Les Palestiniens des pays arabes ont souvent des laissez-passer qui ne leur permettent que très difficilement de voyager entre les pays arabes (question de visa) ou vers les pays plus lointains (question financière). 3 Sauf si les membres de leurs familles sont concentrés dans un de ces pays. 4 Pour avoir une idée sur l’économie palestinienne de la diaspora, voir Hanafi (1998a) 3 qu’Israël exerce sur l’ANP font que cette autorité ne peut fonctionner comme un Etat souverain. Ensuite, l’éparpillement des hommes d'affaires palestiniens leur donne une liberté de manœuvre politique et économique entre le pays d’accueil et les Territoires palestiniens et les met à l’abri du pouvoir coercitif de l’ANP. Cette double spécificité crée des relations conflictuelles, inachevées et fluctuantes. Les hommes d'affaires palestiniens n’ont pas tous la même position à l'égard de l'Autorité nationale palestinienne. Pour des raisons objectives ou subjectives, certains se contentent d’un rôle surtout économique et qui plus est, au sein de la société d’accueil. C’est une action de type exit, pour reprendre le terme d’Albert Hirschman (1970). Les autres ont utilisé leurs capitaux financiers et relationnels au service de la cause palestinienne: une sorte d’engagement politique ou économique de type voice (dans les categories de Hirschman). Ce sont aussi ceux qui ont gardé des liens étroits avec l’OLP. Nous les appellerons “mitoyens”, au double sens du terme: ils se caractérisent par leur proximité au pouvoir et leur position d’intermédiaire entre la sphère économique et la sphère politique.5 Les relations entre l'Autorité nationale palestinienne et les hommes d'affaires “mitoyens” se caractérisent, depuis les accords d'Oslo, par des tensions et des fluctuations. Mais chaque partie tente de ne pas rompre le contact. Arafat a comparé les compradores à la dynastie des Rothschild, ce qui est une façon de réduire leur importance au volet économique, voire financier, tout en ménageant avec subtilité sa position à leur égard. Certes, ses camarades de combat du Fatah ont été choqués par le fait qu'à son arrivée à Gaza, il a passé la nuit chez l'homme d'affaires 'Aqil Matar. Mais cet acte symbolique ne peut dissimuler pour autant la méfiance d'Arafat à l'égard de cette catégorie d'acteurs. Un incident l’illustre: lors de la conférence de Casablanca en 1994, Monib Al Masri, homme d'affaires proche de l'OLP et président de la Palestinian Development & Investment Corporation (PADICO), a incité Yasser Arafat à diriger les investisseurs étrangers ayant besoin d'expertise ou à la recherche de partenaires vers la Padico, ceci en raison de l’importance de cette société ainsi que de son expérience. Al-Masri a convié 500 hommes d'affaires palestiniens et occidentaux pour un déjeuner pendant lequel Arafat était censé introduire la Padico. Il n'en fit rien. En revanche, il demanda aux entreprises étrangères désireuses d'investir dans les Territoires palestiniens de lui téléphoner personnellement. Au-delà des clivages entre les différents groupes d'hommes d'affaires, ils ressentent pour la plupart un certain malaise quant à la manière dont l’Autorité nationale palestinienne gère les affaires publiques. Ils sont à la recherche de règles du jeu qui puissent libérer leurs actions, jusqu'ici dépendantes de l'arbitraire d'un seul homme. Peu habitués à faire le siège des administrations dans certaines sociétés hôtes peu bureaucratiques comme c’est le cas en Amérique du Nord, ils ne peuvent attendre des jours et des jours en vue d’obtenir un rendezvous avec Yasser Arafat ou l'un de ses ministres pour régler un problème quelconque. Ces relations complexes avec les Territoires palestiniens et ses dirigeants ont permit à la Jordnanie de jouer un rôle privilégié pour la diaspora. La Jordanie qui, grâce à sa proximité avec la Cisjordanie et à sa politique de naturalisation de réfugiés palestiniens, a acquis la confiance (surtout économique) d’une partie de la diaspora palestinienne qui veut s’approcher des Territoires, constitue un centre de gravité ad hoc (ou au moins un nœud central pour les réseaux palestiniens). Les enquêtes sur les réseaux d'affaires (hanafi, 1997, 2001a) montrent que la Jordanie a attiré des investisseurs palestiniens venant du Golfe mais aussi d’Amérique, 5 Cependant, les “mitoyens” ne constituent pas un groupe d'intérêts homogène. En effet, il faut tenir compte de maintes différences à l'intérieur de ce groupe: entre la génération de l'exode de 1948, qui se sent laissée pour compte, et la génération de 1967, qui jouit du droit au retour; entre classes sociales; entre les petits entrepreneurs et les grands hommes d'affaires; entre ceux qui approuvent les accords d'Oslo et ceux qui y sont opposés; entre ceux qui soutiennent l'OLP et les partisans du Hamas ou de la gauche palestinienne. 4 dont certains avaient cherché initialement à investir en Palestine, mais qui y avaient renoncé du fait de l'incertitude politique des Territoires palestiniens et d’un climat peu propice aux investissements. Il existe entre la Jordanie et les territoires une situation de compétition politique et économique qui les fragilise tous deux. Les activités philanthropiques de la diaspora durant l’intifada Si en termes d’investissements, les apports de la diaspora n’ont pas été réguliers6, les contributions financières ont été importantes durant la seconde intifada pour aider les familles à faire face au déclin économique dû au blocus et aux destructions massives lors des incursions militaires israéliennes. Ces subsides proviennent surtout des pays du Golfe et d’Amérique. Pour donner une idée sur l’ampleur de la contribution de la diaspora dans le temps ‘normal’, une de mes études antérieures (hanafi, 1998b) a montré que l'apport de la diaspora en investissements et en activités philanthropiques, peut s'évaluer à 408.006 millions $ en 1996 (dont 74% d'investissements) et 410.211 millions $ en 1997 (dont 76% d'investissements). Cette contribution représente sans doute l'une des ressources principales de la société palestinienne. En effet, comparée à l'aide internationale pour les Territoires palestiniens, elle a constitué 74% de cette aide ($549.414 millions $) en 1996, et 95% en 1997 (432. 259 millions $). (MOPIC, 1998) (voir tableau 2) Cependant cette contribution reste certainement insuffisante pour une jeune entité ravagée par 30 ans de "de-développement", 6 Les investissements de la part de la diaspora orientés vers les Territoires palestiniens sont bien moins importants qu’il n'est en général pensé. A titre d’exemple, je peux évoquer le résultat de mes enquêtes aux Emirats arabes unies. Les quelques hommes d’affaires palestiniens ont l’intime conviction qu’ils devront un jour quitter les Emirats et retourner en Palestine, même si aujourd’hui ce droit du retour est limité. Ceux-là ont décidé de contribuer à la construction de l’entité palestinienne. Mais un investissement décidé dans une situation économique et politique aussi délicate semble indiquer que la rationalité est plus qu’économique : il s’agit d’obtenir une position sociale supérieure. Il y a ainsi 34 projets économiques qui ont débuté depuis le renouveau du processus de paix. Sur les 75 membres de l’échantillon sélectionné pour cette étude, plus d’un tiers a investi dans les Territoires. Ce nombre est considérable, eu égard à l’attitude des Palestiniens vis-à-vis de l’Amérique. Il semble en tout cas qu’on retrouve cette occurrence entre proximité et investissements. Le type d’investissement est également fonction de l’origine des Palestiniens. En effet, ceux qui ont dû fuir en 1948 – au nombre de 8 dans l’échantillon- prennent en général des parts dans des sociétés d’investissement comme PADICO et International Salam Company puisqu’ils n’ont pas un accès privilégié aux Territoires palestiniens. Les Palestiniens originaires de Cisjordanie et de Gaza se comportent différemment. Ils mettent en place un projet avec la collaboration d’un parent ou d’un ami au terme d’une visite pour prendre les ultimes décisions. Le tableau 3 montre quels sont les secteurs choisis. (Hanafi, 2001b) 5 selon l'expression de Sara Roy (1995), et se trouve même largement au-dessous de la capacité des hommes d'affaires palestiniens de la diaspora7.. Pendant cet intifada, il est très intéressant de noter que des dons émanent aussi des communautés palestiniennes plus démunies comme en Jordanie, au Liban et en Syrie. Dans ce dernier pays, deux millions de livres syriennes (représentant à peu prés 40,000 euros) ont été collectés principalement dans les camps de réfugiés. On peut distinguer deux types de transfert : les transferts individuels pour aider la famille résidant en Cisjordanie ou à Gaza (évaluer leur montant est impossible, une bonne partie de ces versements ne passant pas par les banques), les transferts institutionnels unilatéraux provenant des associations islamiques, chrétiennes, ou simplement de groupes/organisations de solidarité pro-palestinienne (qui ne sont pas forcement gérés par des Palestiniens de la diaspora). La Welfare Association constitue le pôle le plus important de la diaspora palestinienne, tant par son poids financier que par son autorité symbolique. Créée en 1983, cette association, basée à Amman, regroupe des hommes d'affaires et des intellectuels de renom et entend assurer une tribune de discussion entre ces deux groupes8. Son fonds Al Aqsa a permis de mobiliser un million de dollars durant les premiers mois de l’intifada. (www.welfareassociation.org) Le programme « Famille à famille » à quant à lui assuré la collecte d’argent dans les communautés palestiniennes du Qatar et d’Oman. L'importance de cette association est multiple. Elle pèse incontestablement dans la prise de décision concernant les affaires nationales. En tant que pôle philanthropique, elle est parvenue à établir un plan stratégique dépassant les petits plans d'aide primaire. Enfin, jouissant d'une bonne crédibilité internationale, elle est devenue l'une des interlocutrices préférées des bailleurs de fonds désirant aider les ONG palestiniennes. D'autres associations importantes, telles les associations islamiques, rassemblent des fonds parmi les résidents musulmans et arabes, surtout aux Etats-Unis, en Europe et dans les pays du Golfe. A titre indicatif et selon l'enquête de Jamil Hilal et Majdi Malki, 40.9% du fonds 7 - Beaucoup d'auteurs ont tenté d'estimer la fortune de la diaspora palestinienne à un chiffre variant de 7 milliards $ à 100 milliards $. Je me refuse à participer à cette entreprise hasardeuse. 8 Les 30 hommes d'affaires fondateurs ont déboursé un million $ chacun pour qu'elle puisse voir le jour. Les contributions de ses membres, ainsi que les activités de collecte de fonds, alimentent ses ressources. A titre indicatif, de 1983 à 1996, 43 millions $ de fonds propres ont ainsi été mis au service de projets culturels, sociaux, économiques et éducatifs. (Welfare Association, 1997:7) En 1997 la contribution du Welfare est tombée à 4.211 millions $, baisse due à la quasi-absence de ressources extérieures du fait de l’émergence d’autre gosse ONG dans les Territoires. 6 des comités de Zakat à la fin des années 90 proviennent de l'extérieur.9 (1997: 21) Relevons encore la présence d'organisations humanitaires sans couleur religieuse (United Palestinian Appeal, United Holy Land Fund, Arab Palestinian Fund10). Avec le retour d’une phase de confrontation avec Israël, le soupçon, assez répandu dans la rue palestinienne, que l’ANP fonctionnait comme un gendarme au service de la sécurité israélienne s’est quelque peu dissipé. Elle est à nouveau apparue comme un acteur politique capable de jouer la carte de la résistance nationale. Le gain de confiance a été immédiat: dans les manifestations qui ont secoué les rues des camps de réfugiés en Syrie, Liban et Jordanie sont réapparus, pour la première fois depuis bien longtemps, des portraits de Yasser Arafat. Les organisations qui sont en opposition avec la direction de l’OLP, et en particulier avec le Fatah, sont, du coup, devenues plus conciliantes avec l’Autorité palestinienne. C’est un changement d’attitude qui n’a pas un simple conjoncturel, mais qui reflète la mutation sociourbaine de cette diaspora et un changement structurel de l’élite politique. Changements dans le rôle des périphéries diasporiques Depuis le début de la seconde intifada, le rôle des leaders du Hamas et du Jihad islamique dans les pays arabes est passé au second plan derrière les acteurs des Territoires palestiniens. Ce changement dans le centre de décision politique n’est pas sans répercussion politique. Le discours des deux organisations islamo-nationalistes palestiniennes se focalisent désormais sur la libération des Territoires palestiniens occupés en 1967 sans revendication territoriale explicite au-delà de la ligne verte. A tout le moins il existe un non-dit sur la Palestine historique.11 Pour mesurer le chemin parcouru, il suffit de consulter les communiqués des deux organisations lors de la première intifada (Legrain, 1991). Y figuraient notamment l’appel à la libération de toute la Palestine historique avec la mention « De la rivière [le Jourdain] à la mer [Méditerranée]» et le refus de toute négociation avec les Etats-Unis ou 9 Les comités de zakat sont des associations importantes réparties dans les villages et les villes palestiniens qui ont pour objectif de collecter les contributions versées par les croyants musulmans au titre de la zakat (aumône légale destinée à alimenter un fonds de secours mutuel ou de bienfaisance). 10 l'United Holy Land Fund est composé principalement d’hommes d'affaires des Etats-Unis. Fondé en 1967 pour apporter de l'aide au peuple palestinien, il soutient le processus de paix. Il partage cet objectif avec le Palestine Arab Fund, une association localisée à l'ouest des Etats-Unis. 11 Voir par exemple l’interview avec Cheikh Ahmad Yassin, leader spirituel du Hamas, sur le canal satellite du Qatar, Al Jazira, 30 avril 2001. De même l’interview de Abdelaziz Rantissi, un des leaders du Hamas, Al Jazira, 3 janvier 2002. Concernant le Jihad, Cheikh Al Shami de Gaza, a évoqué à la télévision d’Abu Dhabi vers le début de janvier 2002 la possibilité pour son organisation d’accepter un compromis territorial basé sur la résolution des Nations Unies de 242. 7 Israël. L’évolution était antérieure à l’intifada mais cette dernière a nourri une sorte de désenchantement qui a renforcé le sentiment qu’il était impossible de réclamer plus que les territoires occupés en 1967. Concernant le Front populaire de la libération de Palestine (FPLP), c’est l’intifada qui a précipité la consolidation du pouvoir des hommes de l’intérieur sur ceux de la diaspora dont la première manifestation avait été la nomination en juillet 2000 d’Abou Ali Mustapha, originaire d’Araba (nord de la Cisjordanie), comme secrétaire général du Front en lieu et place de George Habash, leader historique basé à Damas. Après son assassinat en août 2001, c’est Ahmad Saadat, un leader du FPLP de Ramallah qui a pris le relais. Ici on peut aussi parler d’une nouvelle direction plus modérée, convertie à une certaine realpolitik. Certainement dans une perspective foucaldienne l’absence de relations face à face12 entre Palestiniens de la diaspora et Israéliens renforce l’ignorance réciproque et la déshumanisation de l’Autre. Par rapport aux Palestiniens de l’intérieur, ceux de la diaspora sont incontestablement plus faucon13. Cette relative différence dans le caractère de faucon pourrait se révéler dans sa perception de l’articulation et le dosage entre action de résistance et négociation politique. Ces fractions politiques de la diaspora palestinienne comme celles de la diaspora juive sont moins sensible à la nécessité de minimiser la violence entre deux belligérances du fait qu’aucune solution militaire ne peut seule mettre fin au conflit palestinoisraélien et que la chevauchement entre territoires israélien et palestinien nécessite une certaine normalisation entre Palestiniens et Israéliens. A titre d’exemple, les opérations contre les civils israéliens à l’intérieur de la ligne vert ont été critiquées par un communiqué signé au début de juin 2002 par un millier d’intellectuels palestiniens de l’intérieur appartenant à différentes sensibilités politiques (y compris, le Jihad islamique et le FPLP) alors que ce communiqué a été dénoncé par maint de voix de la diaspora palestinienne surtout ceux résident dans les pays arabes.14 Notons que l’effet générationnel s’avère très peu déterminant pour les attitudes politiques. La jeune génération qui n’a pas connu physiquement la Palestine n’est pas moins ardente dans sa mobilisation que ceux qui ont vécu l’exode de 1948 car les images quotidiennes de l’occupation israélienne des territoires palestiniens diffusées par les télévisions arabes et occidentales renforcent la détermination à la résistance. Attitudes qui ne 12 Sur le problème de l’altérité lié à l’absence de relations mutuelles dans un contexte colonial, voir Romani, 2002. 13 Il est toujours surprenant pour les Palestiniens qui sont retournés en Palestine après Oslo de voir leurs compatriotes consommant avec autant de facilité les produits israéliens. 14 L’opposition à ce communiqué a été exprimée dans les journaux arabes comme al-Hayat (Londres) et Al Ahram (Egypte), Baath (Syrie). De plus, pendant mes visites durant l’été de 2002 de quelques camps des réfugiés en Jordanie, Syrie et Liban, on a constaté la popularité des attentats suicides palestiniens et non compréhension de la position critique émergée depuis juin 2002 à l’intérieur des Territoires palestiniens. 8 sont pas différentes de celles exprimées par certaines parties des communautés juives vis-àvis Israël. Cependant, on trouve un effet générationnel dans les communautés palestiniennes de l’Europe et de l’Amérique. Les jeunes sont souvent très peu engagés pour la cause palestinienne. Communautés très peu structurées et volonté d’intégration (voire d’assimilation dans le cas français) dans la société d’accueil sont deux facteurs à l’origine de l’effet générationnel. Ces positions politiques ne peuvent pas se comprendre sans se référer au changement sociourbain pour les différentes communautés palestiniennes. Il convient ainsi d’établir une distinction selon les pays où sont installés les camps. En Syrie et en Jordanie les nouvelles générations se sont retrouvées de plus en plus en dehors des camps de réfugiés, insérées dans la société d’accueil. Selon les statistiques de l’UNRWA cela concerne le tiers de la population des réfugiés. (Voir tableau 3)15 Même pour ceux qui, dans ces deux pays, habitent les vingt camps existants, la situation a profondément changé car les camps connaissent une extraordinaire mutation par intégration dans le tissu urbain des villes.16 De plus, ils deviennent aussi pour partie des bidonvilles habités non plus uniquement par les réfugiés palestiniens mais des pauvres de toutes origines. Cette ‘normalisation’ de certains camps a un impact sur le mode d’action politique. Celle-ci prend passe de plus en plus par le biais des organisations de lutte nationale palestinienne mais par des structures associatives du type nouveau, les organisations non gouvernementales qui sont indépendantes de l’OLP. Concernant le Liban, le tableau est fort différent. Dans ce pays le camp garde toute sa signification politique du fait de l’isolement dans lequel il est maintenu de la part de l’Etat libanais et de la présence très forte des factions politiques de l’OLP. De plus la militarisation du Sud du Liban du fait de la tension persistante avec Israël a maintenu en effervescence les bras armés des diverses mouvements palestiniens. Toutefois, au Liban aussi, on trouve des associations de défense des droits de l’homme qui regroupent les Palestiniens autour de la violation de ces droits par Israël comme par l’Etat d’accueil. La dénonciation de cette violation ne se fait plus par le biais des fractions politiques palestiniennes mais par les organisations des droits de l’homme comme celles de l’Organisation palestinienne des droits de l’Homme ou Association pour la préservation du patrimoine qui collecte l’histoire orale de la population palestinienne. De même pour le service, avec une réduction de la subsidies pour 15 Sur l’estimation plus détaillée de la diaspora palestinienne, voir (Hanafi, 2002b) 16 Dans le cas de la Jordanie, voir Jaber, 1997. 9 les organisations populaires (comme le Croissant rouge palestinien ou l’Union générale des Femmes de Palestine), c’est des organisations internationales qui offre les services médicaux et sociaux comme Oxfam Québec, ANERA, etc. (Hanafi, 2002a) Ajoutons que contrairement à la première intifada où la diaspora était très frustrée de ne pouvoir contribuer à la lutte, un nouvel outil, l’internet, a facilité la mobilisation de nombreux internautes palestiniens et autres afin de diffuser les informations relatives aux comportements des forces d’occupation et à la résistance palestinienne alors qu’Israël considérant les Territoires palestiniens comme zone militaire empêchait la travail habituel des journalistes. Cette mobilisation a été très significative dans une guerre d’image contre des medias occidentaux jugés par beaucoup des Palestiniens comme très peu soucieux de la nature coloniale des actions militaires israéliennes : « CNN, Euronews et BBC sont des chaînes très baisées en faveur les coloniaux israéliens. Les images de l’exécution sommaire d’un jeune palestinien par des soldats israéliens diffusées par l’Agence France Presse en février 2002 n’ont pas été émise par aucun de ces chaînes. J’ai trouvé de mon devoir de les diffuser par l’internet à mon mailinglist », déclare une jeune économiste palestinien résident en Syrie. On a constaté que dans un jeu de miroir avec la diaspora juive que la diaspora palestinienne a commencé à surveiller les media occidentaux. Un group de jeunes Palestiniens-Américains a commencé à surveiller attentivement le CNN.17 Droit de retour et sociologie de retour Si l’identité nationale palestinienne est fondée sur le récit de la Nakba, symbole de nostalgie et appel à combattre l’injustice, comme l’estime l’historien palestinien Issam Nassar (2002), l’idéologie du droit au retour a d’abord surgi comme credo de la diaspora avant de se propager vers les réfugiés des Territoires sans jamais prendre la même signification, ni le même ton de gravité pour ces différentes communautés. En effet, la commémoration de la 17 Ce group se présente ainsi: “our efforts in holding CNN accountable to balanced and fair coverage. Palestine Media Watch in the past week has had 2 high-level meetings with the people at CNN. We are asking for CNN to air a 5-part series on Palestinian victims and to include a website memorial for the Palestinian victims just like they did for the Israeli victims. More details surrounding this issue is available on our website at www.pmwatch.org”. 10 Nakba a été jusqu’au date très récent beaucoup plus important dans la diaspora que dans les Territoires palestiniens.18 A partir du début des années 90, ce sont les organisations de type associatif en Europe et en Amérique qui ont entretenues la flamme du droit au retour. Le réseau Al-Awda (le retour) est né en 1994 sur la base d’une coalition d’associations situées en Grande Bretagne, en Allemagne, au Danemark, en Belgique, aux Etats-Unis et au Canada. Ensuite, il s’est étendu aux pays arabes limitrophes d’Israël avant de s’implanter dans les Territoires palestiniens. Ce réseau, qui est constitué de militants de la diaspora palestinienne et de groupes de solidarité avec la cause palestinienne, a tenté d'inciter de grandes ONG comme Human Rights Watch et Amnesty International à adopter des positions en faveur du droit au retour des réfugiés palestiniens. On a affaire ici à un cas assez rare où un réseau (associatif) d'une région du Sud19. entreprend la tâche herculéenne consistant à essayer d'influencer (par le lobbying) les politiques de (grandes) organisations 'du nord'. Le succès du réseau d’Al-Awad qui a porté la flamme du droit au retour de palestiniens émane de sa capacité à organiser des activités comme réunions, manifestations pacifiques et campagnes d’infromation. C’est grâce à son action que les communautés palestiniennes des différents pays occidentaux ont commencé à se structurer. Pour l’idéologie nationale palestinienne la question du retour est centrale mais elle ne doit pas être confondue avec sa réalisation effective. C’est dans ce contexte qu’il convient de replacer les déclarations de Sari Nusseibeh, président de l’université Al Quds et représentant de l’OLP pour Jérusalem. Au cours de l’automne 2001, il proclamait que la coexistence entre deux Etats, l’un juif, l’autre arabe – seule perspective de paix réaliste – était incompatible avec le droit au retour entendu comme retour dans les foyers d’origine. La solution du problème des réfugiés passerait par leur réinstallation dans un futur Etat palestinien en Cisjordanie et à Gaza et par des mesures de compensation. Ces prises de position publique suscitèrent un vif débat car c’était une des premières fois qu’un officiel palestinien précisait publiquement que le droit au retour ne devait pas être conçu comme un droit individuel. La polémique a été particulièrement nourrie, suscitant en particulier les vives 18 critiques de Salman Abou Sitta, un politologue et entrepreneur du Interview avec le sociologue Lena Jayyusi, Ramallah, 5 mars 2001. 19 On le considère comme un réseau d’une région du Sud même s’il est implanté partiellement au Nord, car dans ce cas ses dirigeants sont des immigrés qui sont souvent récemment installés. 11 Koweït, et de Terry Rempel, du Centre de Documentation sur les réfugiés Badil à Bethléem. Un membre du réseau Al-Awda a même lancé une pétition à l'intention du président Yasser Arafat, lui demandant de démettre M. Nusseibeh de ses fonctions.20 Quelques voix provenant de la diaspora et des territoires ont appelé à un "consensus national" afin de contraindre au silence l'expression d’opinions comme celle de Sari Nusseibeh et de quelques autres. Ce fondamentalisme rejoint, sur un mode nationaliste et séculier, celui de la mouvance islamiste qui affirme que certains sujets ne sont pas susceptibles d'être discutés afin de ne pas violer la ‘volonté divine’ ou ne pas "contrevenir aux prescriptions du Coran". Si de tels anathèmes sont inacceptables, cela ne signifie nullement que la position du professeur Nusseibeh ne puisse être l’objet de critiques. Il convient plus spécialement de mettre l'accent sur deux questions majeures : la notion de droit au retour et le pourcentage des réfugiés qui en revendiqueraient la mise en pratique. 20 Pour avoir une idée sur les différentes réactions voir : http://www.shaml.org/ground/index.htm notamment: - Reactions from Al-Awda (petition), Badil response, and Salman Abu Sitta (En anglais) - BADIL Resource Center: Public Statement Issued by Palestinian Popular Institutions, Organizations and Unions (BADIL E-Mail Update 11/20/01) - Response by Gershon Baskin, IPCRI Director, to Aaron Lerner of IMRA Concerning Sari Nusseibeh Controversy (www.imra.org/il, 11/18/01) - Statement from Palestinians in UK: The right of return is non-negotiable and cannot be annulled by time (En arabe) (e-mail distribution 11/17/01) - Palestinian Minister of Information Yasser Abed Rabbo On the Right of Return: Brookings Institution Debate with Yossi Beilin and Martin Indyk (from Ha'aretz, Akiva Eldar, 11/22/01) - Communiqué from Fateh Youth Organization, Al Ayam, Ramallah, 23/11/2001(en arabe) - Clarification from Fateh Youth Organization, Al Quds Newspaper: Jerusalem, 26/11/2001 . (en arabe) - Report of the Palestinian Right of Return Coalition Second Annual International Coordinating Meeting (BADIL Resource Center 12/5/01 ) - Letter to Sari Nusseibeh. No Right for Any Official to disregard 70% of the Palestinian people, by Asad Abdel Rahman, Al Quds Al Arabi: London, 4 December 2001 . (En arabe) - From Naif Hawatmeh to Sari Nusseibeh, Al Quds Al Arabi: London, 3 December 2001 . (en arabe) - Benny Morris Tells Yediot Ahronot: "we must not recognize the right of return" (Middle East Media Research Institute, Special Dispatch 12/9/01) - Nusseibeh: Palestinian State Will Solve Refugee Problem (12/21/01) - Article about Sari Nusseibeh. Noblesse Oblige, By Vered Levy-Barzilai, Ha ' aretz, Decem ber 29, 2001 - An Open Letter to Prof. Sari Nusseibeh, By Nizar Sakhnini, December 30, 2001 5:23, publishe by Al Awda. - Palestinian Refugees have every right to return, by The Palestine Right to Return Coalition (Al Awda), January, 1 2002 . - [AL-AWDA-News] By Fawaz Turki; Please, don ' t speak on our behalf - [Yediot Ahronot] Sari Nusseibeh - THE TROJAN HORSE / Saar, 1/1/2002 . - The Issue of Refugees: A Cause not to be Desecrated, Fateh online, Editorial, 15/11/01 - The return of the intellectual, By Meron Benvenisti, Haaretz, 15 November 2001. 12 En ce qui concerne le premier point, Sari Nusseibeh n'a pas évalué à sa juste mesure la centralité du droit au retour, même dans le cadre d'une solution fondée sur deux Etats. Le droit au retour est en effet de deux ordres : symbolique et matériel. Le grand intellectuel palestinien Edward Said a surtout vu l’aspect symbolique en insistant sur le pardon réciproque entre Palestiniens et Israéliens, alors que Sari Nusseibeh a privilégié l’aspect matériel en envisageant le mécanisme du retour des quatre millions de réfugiés. En fait le droit au retour est devenue l’idéologie des réfugiés non pas tant pour assurer ce retour mais parce qu’à travers lui il s’agit de toucher à la cause première du conflit palestino-israélien et à la responsabilité d’Israël dans la dépossession des Palestiniens depuis un demi-siècle. En ce sens le droit au retour est un droit à la mémoire. Quoi qu’il en soit de la solution ultime du conflit (deux Etats ou un Etat binational), le problème des réfugiés ne saurait en aucun cas être considéré comme secondaire. L'Intifada actuelle a mis au jour l'importance des réfugiés, tant il est vrai qu'ils représentent les acteurs socio-politiques les moins susceptibles de supporter plus longtemps les impasses du processus d'Oslo initié en 1993. Au-delà de l’aspect symbolique et moral représenté par le droit au retour, celui-ci a aussi une dimension pratique. Prendra-t-il la forme d’un choix entre établissement dans les pays-hôtes, installation dans l'entité politique palestinienne et retour partiel dans les villages d’origine ?. Ce droit étant à la fois individuel et collectif est une nécessité pour ceux qui ont dû vivre, contraints et forcés, pendant un demi-siècle, en étrangers souvent dépourvus des droits civiques élémentaires, dans des camps misérables et dans des pays qui sont loin de les avoir tous et toujours accueillis à bras ouverts. La concrétisation de ce droit au retour ne dépend pas uniquement de sa reconnaissance par Israël, mais aussi des politiques des pays arabes, puisqu' aussi bien leur intégration dans ces pays passe par l’octroi des droits civiques et civils aux populations réfugiées. Ceci nous amène au second point, concernant les effectifs de la population réfugiée qui pourraient exercer le droit au retour. Je trouve en l’occurrence problématique tant les perspectives de Nusseibeh que d'Abu Sitta (2000, 2001, 2002). Ces deux intellectuels, en effet, font, l'un comme l'autre, leur, l'opinion selon laquelle la mise en pratique du droit au retour irait inéluctablement conduire au retour d'un nombre énorme de réfugiés. Tandis que le premier pense qu'un tel afflux altérerait "l'identité" de l'Etat juif et serait contraire à la solution des deux Etats, le second Salman 13 Abu-Sitta qui tient ce droit pour « sacré et légal » n'a pas exploré suffisamment, à mon avis, la sociologie et la mise en application du retour dès lors que ce dernier serait réalisable.21 Pour enrichir le débat quelques questions méritent d’être posées : quelles seront les modalités de ce retour ? Quel est le profil des migrants du retour ? Assisterons-nous, littéralement, au déferlement d'une marée de réfugiés accourant simultanément (de partout), ou bien, au contraire, s’agira-t-il d’un retour au goutte-à-goutte de groupes fragmentaires incités à revenir par des motivations subjectives liées à la fois à un patriotisme envers la Palestine mais aussi l’attachement à la société d’accueil. Salman Abu Sitta apporte un éclairage intéressant quant au potentiel d’absorption géographique (des réfugiés) en Israël (2001, 2002). Il démontre, après avoir divisé Israël en trois zones démographiques (A, B et C), que la majorité des Juifs israéliens - soit 68% de la population totale - sont concentrés actuellement dans la zone A, qui couvre seulement 8% de la superficie d'Israël. La zone B, qui en représente 6%, à la population très mêlée, abrite 10% des Israéliens juifs. C’est alors la zone C qui est géographiquement important abrite très peu de la population juive. Le travail exploratoire d'Abu Sitta a donc permis d'établir que les zones des anciens villages arabes restaient pratiquement vides d'habitants et inutilisées. Elles pourraient donc absorber immédiatement les réfugiés qui reviendraient s'y établir. Toutefois, la capacité d’absorption territoriale ne peut en aucun cas représenter, comme le fait Abu Sitta, le facteur unique déterminant les scénarios du retour. L’histoire du conflit israélo-palestinien montre en effet que la géographie a été subordonnée à la politique et non pas l’inverse. De plus, alors qu’Abu Sitta considère que l’origine paysanne des réfugiés les prédispose à revenir dans les zones rurales vides, il oublie le changement radical dans la sociologie des réfugiés qui ont été pour partie intégrés dans la classe moyenne urbanisée des grandes métropoles arabes (Le Caire, Damas, Amman et Beyrouth). 21 Enfin, je voudrais mettre l'accent sur le fait qu'il est fallacieux de corréler le droit au retour avec un retour en masse. Les campagnes de relations publiques israéliennes visant à convaincre le monde entier de ce risque sont à l'œuvre (et elles vont bon train), dans le but d'étayer les mises en garde multipliées d'Israël sur le fait que le retour (des réfugiés) équivaudrait à l'arasement d'Israël à travers la destruction de son équilibre démographique et de son 'identité juive'. Cette perspective alarmiste a été largement diffusée dans quantité d'articles publiés dans les journaux occidentaux par des membres bien connus du 'camp de la paix' israélien, dont notamment Amos Oz, David Grossman et autres A. B. Yehoshua. De nombreuses réactions aux conférences qu'il m'a été donné de présenter en Europe révèlent cette crainte (non fondée), non seulement de la part de publics largement dans l'ignorance du contexte du conflit palestino-israélien, mais aussi auprès de personnes qui s'affirment d'ores et déjà solidaires de la cause palestinienne. 14 Autrement dit il faut distinguer le droit au retour de la sociologie du retour.22 Ainsi les Américains d'origine irlandaise ne sont pas retournés en Irlande à la fin de l'occupation coloniale britannique, et rares sont les Arméniens à être revenus dans leur pays après son indépendance en 1991. De même, rares sont les Libanais à s’être réinstallés dans leurs villages d'origine après la fin de la guerre civile en 1990. Dans ces différents cas, il existait pourtant de vastes possibilités de réaliser ce retour et, de plus, la volonté de leurs « Etats » de les réintégrer était forte. En général, les chiffres du Haut commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés montrent que le nombre de réfugiés retournant dans leurs divers pays d'origine, lorsque ce retour est possible, est bien inférieur au nombre des réfugiés qui choisissent de s'installer dans le pays-hôte ou au nombre de ceux qui optent pour une réinstallation dans un pays-tiers. Les Juifs de Salonique qui avaient montré pour longtemps la clé de leur maison en Espagne de laquelle ils ont été expulsé, ne sont pas retournés lorsque Franco leur permet. Il ne s’agit pas ici d’établir un parallélisme entre réfugiés palestiniens et Juifs de Salonique mais simplement d’évoquer que le symbole de clé ne doit pas être interprété de façon simpliste. Mes propres travaux empiriques sur la diaspora palestinienne et l'analyse de la sociologie économique de cette population ont montré que le retour était déterminé par de nombreux facteurs (expérience migratoire, formes d’intégration sociale, politique et économique dans les pays d’accueil…). Les études de terrain effectuées dans treize pays n'ont pas permis de mettre en évidence l’existence d’une population homogène de 4 millions de réfugiés motivés par la soif du retour. Certes, il est impossible de donner aujourd’hui une estimation précise quant au nombre des « rapatriés » potentiels - les incertitudes quant au processus d'Oslo et l’attitude des pays arabes et d’Israël pouvant conduire ce chiffre à varier de façon notable – mais en tout état de cause ils seront beaucoup moins nombreux que le nombre réel de réfugiés. Ainsi la question d’un retour physique permanent ne se pose même pas pour les Palestiniens de certains pays (le Golfe, Europe, Amérique et Australie). Abu Sitta fait référence à des sondages effectués dans certaines régions, en particulier dans les territoires palestiniens, qui démontreraient l'existence d'un 'consensus' des réfugiés en ce qui 22 C’est seulement très récemment que certains centres de recherche comme le Palestinian Refugee and Diaspora Centre ( Shaml) à Ramallah a commencé, sous la responsabilité de chercheurs de la diaspora et de l’intérieur, à entreprendre des études sur les innombrables problèmes liés à la sociologie de migration du retour : profil socio-économique des « rapatriés »; relation entre réfugiés et payshôtes ; fonction des réseaux de parenté (en Israël et dans les territoires palestiniens) ; modalités actuelles et futures du retour, qu'il s'agisse de retours définitifs ou partiels, en masse ou individuels, choisis ou non-anticipés ; aspects démographiques essentiels, tels l'accroissement naturel et l'émigration hors zone (vers l’Europe et l’Amérique). 15 concerne leur intention de retour. De tels sondages, qu'ils soient menés à bien par des amateurs ou par des centres de recherche hautement spécialisés, peuvent faire l’objet de nombreuses critiques. Sur le plan méthodologique notons que la validité scientifique d’enquêtes par questionnaires menées dans des pays arabes dictatoriaux est pour le moins sujet à caution. De plus, quelle que soit la façon dont la question est posée, les réponses tendront presque inévitablement à l'expression d'une position politique influencée plus par la perpétuation d'un conflit interminable, la perspective d'une défaite annoncée et par la désillusion que par les intentions réelles du sujet interrogé. Si la question sur leur désir de retour est posée uniquement en termes conceptuels, les enquêteurs peuvent aisément obtenir un pourcentage de 100 % de réponses affirmatives. Si la question est affinée, toutefois, afin d'intégrer des facteurs sociaux, économiques et politiques telle la perspective de retourner dans un village sous souveraineté israélienne ou dans un village n'offrant aucune garantie de trouver un emploi adéquat ou un logement, le pourcentage chute de manière significative. De plus, un Palestinien résidant au Liban peut fort bien ne pas être capable de déterminer son intention de retour tant que la position officielle libanaise ne sera pas claire. Les Palestiniens seront-ils littéralement rejeté à la frontière, comme cela s'est produit en Libye en 199223, ou bien les réfugiés se verront-ils offrir le choix ? Un questionnaire risque fort d'être incapable de prendre en considération ces multiples variables. Des études préalables, de nature anthropologique, sont indispensables pour mieux cerner la réalité des choses. Si ces divers éléments invalident souvent la méthodologie des sondages et des enquêtes statistiques, que dire alors de celle des études empiriques qualitatives? Il y a quatre ans, j'ai rendu visite à ma famille, qui vit dans un camp de réfugiés palestiniens, dans un pays arabehôte. Mon père a refusé de regarder les photos que j'avais prises à Haifa, parce que, selon ses propres termes, ce n'était plus "sa Haifa". Haifa était devenue une ville israélienne, m'a-t-il déclaré, et il restait intraitable : il n’y retournerait pas tant qu'elle resterait sous souveraineté israélienne... Le lendemain même, toutefois, un de mes amis, journaliste suisse, interviewa mon père. A la question de savoir s'il retournerait à Haifa, il répondit qu’il le ferait dès que 23 Dans cette année, à la suite d’un discours du Président libyen Mo’amar Kaddafi qui a voulu ‘démontrer’ l’échec du processus d’Oslo, les autorités libyennes ont expulsé massivement les Palestiniens résidents dans ce pays. Egypte a refusé de les entrer dans ses territoires. Résultat est que des milliers des familles Palestiniens (enfants, femmes et hommes) se sont trouvées pour 4 mois à la frontière désertique de Saloum entre les deux pays. 4 personnes y sont décédées à cause de la situation humanitaire horrible. Ce drame s’est terminé lorsque l’ANP a pu assurer des visas pour ceux originaires de la Cisjordanie et Gaza pour visiter les Territoires et a convaincu les autorités égyptiennes de les laisser transiter par leurs territoires. 16 cela serait devenu possible. Son discours était transformé, il était devenu soudainement idéologique lorsqu'il annonça qu'"en tant que Palestinien, comme tout Palestinien d'ailleurs, j'aspire à retourner, quelles que soient les conditions." Les déclarations changeantes de mon propre père me conduisent à relativiser encore davantage certaines enquêtes d’où il ressort que 95% des réfugiés déclarent vouloir retourner chez eux24. Elles soulignent combien il serait bénéfique de mettre sur pied des standards qui permettraient de mener des recherches systématiques et cohérentes. Remarquons également que trop d’études se limitent aux aspects légaux et de principe sans aborder la sociologie de la migration du retour des Palestiniens. Le débat a trop tourné autour du retour comme droit de l'homme inaliénable, pas assez autour de sa dimension subjective comme droit individuel de choisir, pour chaque membre de la population réfugiée, la solution qui lui convienne. Dix ans après Oslo, le sentiment général de nombreux interlocuteurs, qu’ils soient de la diaspora ou de l’intérieur, est que les négociateurs palestiniens ont abouti dans une impasse. Concernant les réfugiés et leurs droits, il paraît impérieux d’offrir des solutions créatives qui aillent au-delà des formules sacramentelles. Jan De Jong et Mahdi Abdel Hadi de Passia (Jérusalem) ont ainsi suggéré une extension des territoires palestiniens de manière à y inclure la Galilée et certaines parties du Negev, afin d'absorber environ 2 millions de réfugiés (sans bien entendu dénier à ceux qui ne seraient pas concernés leur droit au retour), solution qui résout la crainte des Israéliens de voir altérer l'identité juive de l'Etat d'Israël25 mais suppose la cession de 8% du territoire israélien actuel. Les deux auteurs sont donc allés jusqu'à avancer que les communautés arabes de Galilée devraient être annexées à un futur Etat palestinien, proposition rejetée avec véhémence par les Palestiniens vivant en Israël. D’un autre côté, l'idée d’échange territorial était inclus dans les négociations de Taba de janvier 2001, au cours desquelles Israël avait proposé de renoncer à cinq pour cent de territoires situés à l'intérieur des frontières de 1948 et de les remettre à l'Etat palestinien, en échange contre un montant équivalent des territoires conquis en 1967, comprenant les blocs de colonies les plus importants, qui seraient annexés à Israël du fait de ses colonies illégales. Des suggestions 24 Résultat de l’enquête du Centre israélo-palestinien pour la Recherche et l'Information (IPCRI, Jérusalem). (www.ipcri.org) La Remarquons que sur le plan de la méthodologie, ce sondage est discutable, des acteurs politiques ayant été impliqués dans la collecte des informations. 25 Palestinian Refugees, bulletin spécial publié par PASSIA (Palestinian Academic Society for the Study of International Affairs), Jérusalem, mai 2001. 17 novatrices, même si elles ne peuvent être mises en œuvre immédiatement, sont de nature à lancer le débat et à dégager de nouvelles possibilités Tableau 1 : La distribution de la population palestinienne dans le monde Palestiniens de l'intérieur (Palestine / Israël) * Cisjordanie 1 869 818 Bande de Gaza 1 020 813 Résidents de Cisjordanie et de la bande de Gaza à l'étranger 325 258 Israël 953 497 Sous total 4 169 386 Diaspora ** Jordanie 2 328 308 Liban 430 183 Syrie 465 662 Egypte 48 784 Arabie Saoudite 274 762 Koweït et autres pays du Golfe 143 274 Libye et Irak 74 284 Autres pays arabes 5 554 Continent américain 203 588 Autres pays 259 248 Sous total 4 233 637 Total de la population palestinienne dans le monde 8 403 023 * Source: PCBS, Population Census, 1997 ** Source: Palestine 1948-50 years After Al-Nakba, Palestinian Return Centre, London, 1998. (C’est une estimation approximative) Tableau 2 Contribution financière de la diaspora (millions $) Total Contribution Investissements totaux Dépenses de la diaspora en visitant les Territoires palestiniens Philanthropique -Welfare Association Philanthropique – autres associations 1996 303.8 96.4 1997 311.1 90.9 3.806 4.211 4.0 4.0 18 Contribution Totale de la diaspora Aide International Source diverse. Voir (Hanafi, 1998b). 408.006 549.414 410.211 432.259 Tableau 3 : Les réfugiés palestiniens enregistrés à l’UNRWA (juin 2000) Région pays ouNbre. de Réfugiés à% de réfugiés àNbre Total l’intérieur l’intérieur des de réfugiés Camps des Camps Camps 10 280,191 18,4% 1,570,192 Cisjordanie 19 157,676 26,5% 583,009 Gaza 8 451,186 54,9% 824,622 Liban 12 210,715 54,6% 376,472 Syrie 10 111,712 29,2% 383,191 Total 59 1,146,324 32.4% 3,737,494 Jordanie Source: UNRWA, juin 2000. 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