Marcello
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Marcello Adèle d’Affry 1836-1879 duchesse de Castiglione Colonna Français museo-vela.ch SALLE IX Marcello. Adèle d’Affry (1836-1879), duchesse de Castiglione Colonna Rez-de-chaussée VII VIII VI V XX VIII I IV VII VI III XXI XXII V II I IV XX X XXI IX XXII II XI XII X XIX XIII IX XIX XI XIV XVIII XVII bis XVI XII XV XIX bis XIII XIX XIV XVIII XVII Premier étage III XVI XV Cette exposition itinérante est le fruit de trois années de recherches menées par le Museo Vincenzo Vela en collaboration avec trois institutions francophones : le Musée d’art et d’histoire Fribourg, le Musée des Suisses dans le Monde de Pregny-Genève et les musées nationaux du palais de Compiègne. Elle est centrée sur la figure d’Adèle d’Affry, l’une des rares femmes à s’être affirmée avec un réel succès dans l’art de la sculpture européenne de la seconde moitié du XIXe siècle. Descendante d’une vieille famille de la noblesse fribourgeoise, mariée à un membre de la célèbre maison des Colonna, elle fut l’amie du couple impérial français. Elle vécut entre Paris et Rome, mais resta toujours liée à sa ville de Fribourg. Adèle d’Affry adopte le pseudonyme de Marcello en 1863, pour faire pièce aux préjugés de genre et de rang en vigueur dans le monde artistique de son temps. Marcello était un personnage fascinant et moderne ; une aristocrate consciente de l’audace de ses propres choix et des souffrances que ceux-ci lui causeraient ; une artiste dont l’identité se situe à mi-chemin entre la féminité exhibée dans les tenues qu’elle choisissait pour ses portraits photographiques et la monumentalité souvent androgyne des héroïnes qu’elle sculptait. Grâce à son intelligence et à force de volonté, et malgré les contraintes de l’époque qui l’empêchèrent de fréquenter l’École des Beaux-Arts (et donc d’aborder les sujets nobles et de bénéficier d’importantes commandes publiques), elle sut tirer le maximum de son appartenance à l’aristocratie de son temps et, en même temps, attirer l’attention et conquérir l’estime de nombreux artistes de premier ordre, devenus ses admirateurs et ses mentors, parmi eux : Clésinger, Carpeaux, Courbet et Fortuny. SALLE IX L’étape tessinoise de l’exposition privilégie certains thèmes qui avaient été uniquement évoqués dans les autres lieux, comme les années d’apprentissage de Marcello dans l’atelier romain de Heinrich Max Imhof (1795-1869) – un sculpteur d’Uri affirmé, même s’il est encore peu étudié – et ses rapports avec un artiste aussi célèbre que Gustave Courbet. L’exposition présente également, dans un dialogue fructueux, plusieurs sculptures de Vincenzo Vela (1820-1891) et d’Adelaide Maraini-Pandiani (1836-1917), une artiste de la même génération que Marcello qui travailla à Lugano et à Rome. SALLE IX – BIOGRAPHIE 1836 Adélaïde Nathalie Marie Hedwige Philippine d’Affry naît le 6 juillet à Fribourg. Elle est la fille aînée du comte Louis d’Affry et de Lucie de Maillardoz. 1839 Naissance de sa sœur cadette Cécile Marie Philippine Caroline (1839-1911). 1841 Louis d’Affry meurt le 26 juin. Adèle et Cécile sont élevées par leur mère. 1853-54 Adèle reçoit l’éducation classique des jeunes filles du patriciat, incluant des leçons de dessin et d’aquarelle. Elle prend des cours de modelage dans l’atelier du sculpteur suisse Heinrich Max Imhof à Rome. 1856 Le 5 avril, Adèle épouse Carlo Colonna à Rome. L’union est de courte durée. Carlo meurt subitement d’une fièvre typhoïde, à Paris, le 18 décembre. 1857 Adèle se rend à Rome pour régler l’affaire de la succession de son époux. Sa vocation artistique s’éveille: elle modèle le buste de son défunt mari ainsi que son autoportrait. 1859 Elle se rend à Paris et fréquente la société brillante du Second Empire. 1863 Elle expose au Salon sous le pseudonyme de «Marcello». Le succès de sa Bianca Capello retient l’attention de l’impératrice Eugénie. Marcello est désormais conviée à la cour. 1866 Marcello expose à la Royal Academy Exhibition de Londres. 1867 Elle présente huit œuvres à l’Exposition universelle (section des États pontificaux). 1868 Voyage en Espagne avec ses amis, les peintres Henri Regnault et Georges Clairin. SALLE IX – BIOGRAPHIE 1869 De retour à Rome, elle réalise son chef-d’œuvre, La Pythie, que Charles Garnier retient pour son nouvel Opéra. 1870-71 Marcello expose au Salon de 1870. Elle retrouve la Suisse pendant la guerre puis la Commune. 1872 De retour à Paris, elle poursuit ses études de peinture sous la direction de Léon Bonnat. 1873 Touchée par le décès de Napoléon III, elle se rend en Angleterre pour présenter ses condoléances à l’impératrice. Elle expose cinq bustes à la Weltausstellung de Vienne. 1874 Elle envoie au Salon un grand tableau, La Conjuration de Fiesque. Le refus de celui-ci par le jury la blesse profondément. 1875 Elle présente des œuvres au Salon. Lors de l’inauguration de l’Opéra, le public et la critique font un bel accueil à La Pythie. 1876 Son buste de la baronne de Keffenbrinck présenté au Salon lui vaut une mention honorable qu’elle reçoit avec amertume. 1877 Épuisée par sa toux et ses douleurs articulaires, elle recherche le soleil du Midi de la France et passe le mois de décembre en Italie. 1878 Marcello se déplace entre Naples, la Suisse et Paris, à la recherche du climat qui calmera ses douleurs. Le 2 janvier, une seconde version de son testament liste les sculptures qu’elle lègue à l’État de Fribourg, à la condition que soit fondé un musée dédié à son œuvre. 1879 Installée à Castellammare, elle travaille à la rédaction de ses Mémoires. Elle meurt de la tuberculose le 16 juillet. SALLE IX Édouard-Théophile Blanchard (1844-1879) Portrait de Marcello, duchesse de Castiglione Colonna, 1877 huile sur toile Musée d’art et d’histoire Fribourg Marcello commande ce portrait en 1875 à Édouard Blanchard, un jeune peintre français lauréat du Prix de Rome, qu’elle avait rencontré quelques années plus tôt à la Villa Médicis. Avec Henri Regnault et Georges Clairin, Blanchard appartient au cercle de ses amis artistes. Pour Marcello, ce portrait aurait dû perpétuer le souvenir d’« un artiste sérieux et véritable en même temps que d’une femme du meilleur monde ». Cette œuvre souligne le statut aristocratique d’Adèle d’Affry par rapport à sa condition d’artiste : Marcello, représentée en pied, porte une élégante robe décolletée en velours noir et une « visite » – une veste que l’on mettait pour les visites de l’après-midi dans la bonne société – en soie violette, richement ornée de broderies et de passementeries. L’intérieur, orné de meubles et de tissus précieux, est l’expression d’un goût raffiné. Seuls deux objets rappellent explicitement son activité artistique : le classeur à dessins posé sur la chaise et la copie en bronze de la Gorgone, un buste qu’elle avait exposé avec succès au Salon de 1865, qui apparaît dans l’ombre sur le fond à droite. Édouard Blanchard présente ce tableau au Salon de 1877, à la grande satisfaction de Marcello qui le qualifie de « magnifique, et très propre à conserver de moi une bonne mémoire », avant d’ajouter avec un soulagement auto-ironique : « Je puis enlaidir maintenant. » SALLE X SALLE X Adèle d’Affry, artiste et duchesse Filippo Bigioli (1798-1878) Vittoria Colonna en visite dans l’atelier de Michel-Ange, 1850 huile sur toile Collection particulière Les premiers contacts entre Adèle d’Affry et les Colonna, une ancienne et prestigieuse famille de la noblesse romaine, ont lieu à Naples à l’été 1855. Adèle est promise à Carlo Colonna (1825-1856), qu’elle épouse en avril 1856 dans la basilique des Saints-Apôtres de Rome. Un mois plus tard, les deux époux se voient décerner le titre de ducs de Castiglione Altibrandi. À l’automne, ils se rendent à Paris où Carlo meurt brusquement de la fièvre typhoïde à l’âge de trente et un ans. À la mort de son mari, la jeune veuve se retrouve dans une situation extrêmement délicate, car les Colonna se montrent réticents à respecter le contrat de mariage. La pension qui lui est finalement allouée lui donne de quoi vivre, mais elle est trop modeste pour lui permettre d’occuper une position sociale importante et de développer une activité artistique, le double objectif qu’Adèle s’est fixé en dépit des difficultés qu’elle doit affronter. En 1863, Adèle participe pour la première fois au Salon de Paris sous le pseudonyme de Marcello. Elle choisit ce nom d’art – un hommage au compositeur vénitien Benedetto Marcello (1686-1739) – pour échapper aux préjugés de genre, mais aussi pour dissimuler un statut – la noblesse – qui a toujours été particulièrement « encombrant » dans le monde de l’art. Mais en société, Adèle cultive, honore et revendique son titre de duchesse, qui lui garantit la faveur des organisateurs des Salons parisiens et le soutien de Napoléon Ier. Cet expédient rend toutefois moins crédibles ses efforts pour être traitée, et jugée, sur le même plan que les autres artistes et pour mériter une médaille. Filippo Bigioli exerce son art à Rome et dans les Marches. Peintre de sujets sacrés, mythologiques et historiques, il est également illustrateur. Ce tableau est une commande du prince romain Alessandro Torlonia pour rendre hommage à sa femme, Teresa Colonna, sœur de Carlo Colonna et donc future belle-sœur d’Adèle d’Affry. Celle-ci a été probablement impressionnée par cette toile : bien qu’elle ne la concernât pas directement, elle condense plusieurs motifs emblématiques de son parcours humain et artistique, comme ses liens avec Rome et la famille Colonna, ainsi que sa passion pour Michel-Ange. Cette toile représente Vittoria Colonna – poétesse et figure parmi les plus fascinantes de la Renaissance – en visite à l’atelier du grand maître. Vittoria, en habit de veuve, est accompagnée par sa fille adoptive et par des personnes de sa suite. Michel-Ange lui présente son Moïse pendant qu’un de ses assistants est occupé à travailler à la Vierge destinée à la tombe de Jules II. On reconnaît dans le fond un carton préparatoire pour le Jugement dernier. Dans un décor dépouillé, un jeu savant d’ombres et de lumières met en valeur l’imposante statue de Moïse, sur laquelle convergent les regards des personnages qui écoutent les explications du maître. La figure centrale de la composition est toutefois la célèbre aristocrate, dont l’habit noir souligne, par contraste, le teint de neige. SALLE X SALLE X La formation entre Rome et Paris Née dans une famille fribourgeoise de « guerriers, de magistrats et de diplomates », élevée dans un milieu cultivé qui favorise son inclination pour les lettres et les arts, Adèle d’Affry commence par prendre des cours de dessin et de peinture. Elle poursuit ensuite ses études artistiques à Rome en 1853-54, dans l’atelier du sculpteur suisse Heinrich Max Imhof. Imhof est à cette époque un artiste affirmé, bien intégré dans la communauté germanophone de la capitale italienne et avec de nombreux commanditaires internationaux, comme des membres de la grande bourgeoisie et de la noblesse allemande, anglaise et russe. Cet auteur d’œuvres bibliques et mythologiques est également un portraitiste apprécié. Représentant important du néoclassicisme tardif, Imhof mêle dans son œuvre des éléments inspirés de l’enseignement de Bertel Thorvaldsen, qui fut son maître à Rome, et le langage figuratif du mouvement nazaréen. Adèle revient dans l’atelier d’Imhof en 1857, peu de temps après être restée veuve à l’âge de vingt ans. Elle modèle alors un buste de son mari prématurément disparu, tout en travaillant à un autoportrait destiné à sa mère – présenté dans le cadre de cette exposition – et à une statuette pour une amie. À Rome – berceau de la civilisation occidentale et destination préférée des artistes de cette époque –, Adèle approfondit ses connaissances de l’art antique et italien. Ses carnets de croquis sont remplis de copies de Michel-Ange, à qui la jeune artiste voue une admiration qui frôle la vénération. Elle devient ensuite l’élève d’Auguste Clésinger, dont elle s’éloignera quelques années plus tard mais qui accompagne ses débuts dans sa carrière de sculptrice. Ses séjours parisiens commencent en 1859. Adèle passe de nombreuses périodes de loisirs et de travail dans la capitale française : elle fréquente le Louvre et la haute société, tout en s’imposant un programme d’études rigoureux, n’hésitant pas à s’habiller en homme pour fréquenter les cours de dissection. Elle fait jouer ses relations personnelles pour entrer aux Beaux-Arts de Paris, mais l’accès à cette prestigieuse institution, interdite aux femmes, lui est quand même refusé. Sur le plan intellectuel, la jeune Adèle est parfaitement consciente des lacunes de son éducation et des obstacles – liés en particulier à sa condition de femme – qu’elle devra surmonter pour l’améliorer. À la fin des années 1850, elle s’impose donc une formation d’autodidacte comprenant l’étude de l’art, de la philosophie, de la religion, de l’histoire et de la littérature, des matières dans lesquelles elle entend se perfectionner grâce à des lectures et aux leçons d’illustres enseignants. SALLE X SALLE X Heinrich Max Imhof (1795-1869) Autoportrait, vers 1835 Heinrich Max Imhof (1795-1869) Atalante en train de ramasser les pommes d’or d’Hippomène (fragment), vers 1834 plâtre Altdorf, Historisches Museum Uri Né en 1795 à Bürglen dans le canton d’Uri, Heinrich Max Imhof se forme dans les ateliers de Johann Dannecker à Stuttgart et de Bertel Thorvaldsen à Rome. Invité en 1836 à Athènes par Othon de Grèce comme sculpteur de cour et professeur de sculpture à l’Académie des Beaux-Arts nouvellement fondée, il s’occupe également de la restauration des Cariatides de l’Erechthéion sur l’Acropole. Il revient à Rome en 1838 et y demeure jusqu’à sa mort, tout en maintenant des contacts réguliers avec la mère patrie. Représentant d’un classicisme tempéré par les influences archaïsantes des peintres du mouvement nazaréen, il exécute en 1827-1828 David triomphant avec la tête de Goliath, dont on peut admirer la reproduction photographique du modèle en plâtre. Une version en marbre de cette œuvre entre dans les collections du prince héréditaire de Prusse, ce qui apporte la notoriété à l’artiste et lui vaut de nouvelles commandes. Inspirée du Jason de Thorvaldsen, cette sculpture présente toutefois un rythme plus lent, une solidité plus accentuée et des contours moins ciselés. Un autre chef-d’œuvre de l’artiste est Rebecca au bracelet (1841), une sculpture en plâtre dont une photographie est présentée dans cette salle. Cette statue appartient à une importante série de figures féminines de l’Ancien Testament qu’Heinrich Max Imhof réalise tout au long de sa carrière. Cette œuvre, qui n’est pas sans rappeler les Cariatides d’Athènes, se distingue par la rigueur de sa composition et la pondération sensible de ses volumes, qui confèrent au personnage biblique sérénité et équilibre. Imhof est également un bon portraitiste, comme l’attestent l’Autoportrait exposé dans cette salle, qui représente l’artiste autour de sa quarantième année, et le Portrait de Heinrich Pestalozzi (1746-1827), commandé en 1846 par la Ville de Zurich pour commémorer le centième anniversaire de la naissance du célèbre pédagogue suisse. plâtre Berne, Kunstmuseum Bern Cette œuvre, dont il ne reste plus que le fragment exposé dans cette salle, a été exécutée vers 1834 par le sculpteur suisse Heinrich Max Imhof, qui la vend vers 1841 à l’État de Berne. Une photographie réalisée dans les années 1860 dans l’atelier romain de l’artiste, présentée dans cette salle, reproduit le modèle original en plâtre dans son intégralité. Le mythe raconte qu’Atalante, vierge chasseresse hostile au mariage, déclare qu’elle épousera seulement l’homme qui la battra à la course. Étant très rapide, elle vainc et tue tous ses prétendants. Mais Hippomène l’emporte grâce à un stratagème : pendant la course, il laisse tomber par terre les trois pommes d’or que lui a données Aphrodite : la jeune fille les ramasse, prend du retard et est obligée de l’épouser. Atalante est représentée ici en train de ramasser une des pommes, sur laquelle elle pose un regard satisfait ; elle tient un autre fruit dans sa main gauche. Imhof choisit un moment fondamental de l’histoire et concentre sa représentation sur la fascination qu’exercent les biens futiles qui détournent l’être humain de l’essentiel. Cette œuvre se caractérise par la coiffure de l’héroïne, disposée en ondulations souples, et par le drapé serré et élaboré de son vêtement qui suggère l’impression de mouvement. En ce sens, cette sculpture est l’une des premières tentatives d’Imhof pour dépasser les rigides canons formels du néoclassicisme et pour adopter une forme de représentation plus réaliste. SALLE XI SALLE XI Femmes artistes La sculpture au féminin A l’époque de Marcello, la formation artistique ne passait plus par l’apprentissage auprès d’un maître, mais par la fréquentation d’un atelier collectif dirigé par un artiste et par celle de l’École des beaux-Arts. Or, l’École était réservée aux hommes jusqu’en 1896 et il n’existait aucun atelier d’enseignement de la sculpture pour les femmes avant le début des années 1870. Celles-ci devaient donc avoir les relations ou les moyens nécessaires pour accéder à des leçons ou conseils individuels. Aussi étaient-elles généralement issues d’une famille d’artistes ou d’un milieu fortuné, comme Marcello. Les femmes artistes vivaient alors une période de transition, ouvrant parfois des brèches, comme Berthe Morisot dans le domaine de la peinture. Les expositions étaient pour elles des outils indispensables et, pourtant, rares sont celles qui obtinrent des distinctions, soumises qu’elles étaient à un système dominé par des collègues, jurés et critiques masculins. Parmi les femmes artistes, plusieurs, à l’instar de Marcello, provenaient de l’aristocratie comme Mme de Saulx, Mme de Beaumont ou la princesse Mathilde. En 1865, le critique Balthasar Robin exprima son étonnement en découvrant les sculptures de Marcello : « Qui aurait pensé que la main d’une femme – une main fine, élégante, souple, délicate, aristocratique, une main qui semblait uniquement faite pour froisser la dentelle et la soie – pût aussi tailler le marbre, manier l’ébauchoir et tenir le lourd marteau des sculpteurs ? […] C’est qu’aussi, devant un bloc de marbre, Mme la duchesse Colonna n’est plus une femme ; c’est un artiste ». En opposant la femme à l’artiste, Robin témoigne de l’incrédulité et du malaise de l’époque face au nombre croissant de sculptrices, comme du discours autour de la question de la virilité de l’art, notamment de la sculpture. Le véritable handicap des sculptrices n’était pas leur faiblesse physique mais l’impossibilité d’accéder aux lieux où se formaient les sculpteurs (écoles, ateliers et chantiers architecturaux). Comme le regrettait Marcello dans une lettre à sa mère : « On n’imagine pas combien d’être une femme, cela retarde pour tout. » SALLE XI SALLE XI Marcello (1836-1879) Hélène ou La Belle Hélène, 1860 Pietro Tenerani (1789-1869) Marija Nikolaïevna, 1843-46 plâtre Fribourg, Fondation Marcello plâtre © Roma Capitale – Surintendance capitoline pour les biens culturels – Musée de Rome La Belle Hélène est la première figure mythologique réalisée par Marcello. L’artiste commence par travailler à cette œuvre en collaboration avec le sculpteur Auguste Clésinger, mais décide ensuite de la terminer seule. Après l’avoir remodelée plusieurs fois, Marcello achève cette sculpture à Paris. En 1860, elle signe avec Ferdinand Barbedienne un contrat pour sa reproduction en bronze qui inaugure sa carrière de sculptrice professionnelle et lui vaut ses premiers succès. Une version en bronze de La Belle Hélène exécutée par le fondeur parisien – aujourd’hui dans les collections du Musée d’art et d’histoire Fribourg – est accompagnée ici par un plâtre du même sujet appartenant à la Fondation Marcello. Fille de Zeus et femme de Ménélas, Hélène était célèbre pour son extraordinaire beauté. Son enlèvement par Pâris est à l’origine de la longue guerre de Troie. Dès l’Antiquité, le mythe d’Hélène inspire d’innombrables œuvres littéraires, artistiques et musicales. Marcello suit cette tradition et représente Hélène assise sur un trône dans une pose détendue, les jambes croisées. La robe au drapé soigné laisse transparaître les formes de son corps, témoignage d’une étude anatomique attentive. La sensualité de l’héroïne grecque est toutefois tempérée par un sens de la mesure néoclassique, redevable à l’enseignement d’Imhof. La position assise présente également des affinités avec certaines sculptures de Clésinger – George Sand à l’antique (1847) et le groupe de Cornélie et ses fils (1861) – que Marcello connaissait probablement. On reconnaît aussi une affinité évidente avec l’iconographie classique de l’Agrippine des Musées du Capitole, aujourd’hui unanimement identifiée comme une Statue d’Hélène, la mère de Constantin, remontant au IVe siècle. Le type iconographique, inspiré d’un prototype grec de la fin de l’époque classique, était très apprécié à l’époque romaine dans les portraits féminins, car il exprimait une idée de calme et de solennité. Pour La Belle Hélène, Marcello s’inspire de la Statue d’Hélène conservée aux Musées du Capitole, reproduite ici en photographie. L’iconographie de cette célèbre sculpture était très répandue au XIXe siècle, où elle a inspiré de grands sculpteurs comme Canova, Thorvaldsen et Bartolini. On reconnaît aussi l’influence de la sculpture capitoline dans le portrait en pied de Marija Nikolaïevna de Russie exécuté par Pietro Tenerani. En 1845, celui-ci réalise le modèle en plâtre de cette œuvre, dont on peut admirer ici une reproduction photographique ; la version définitive en marbre, postérieure de quelques années, appartient à la collection de l’Académie des Beaux-Arts de Saint-Pétersbourg. Tenerani représente la grandeduchesse, fille préférée du tsar Nicolas Ier, assise sur une chaise. L’attitude contemplative et la finesse du modelé confèrent à cette figure une aura de noblesse et de détachement. SALLE XI SALLE XI Marcello (1836-1879) Portrait de la comtesse Lucie d’Affry (la mère de l’artiste), 1863-64 Marcello (1836-1879) Mater amabilis (Portrait de la comtesse Lucie d’Affry, née Maillardoz), Carnet XXIX, 1864 marbre Fribourg, Fondation Marcello Comme d’autres artistes débutants, encore en panne de commandes mais en quête d’affirmation, Marcello commence par peindre le portrait des membres de son cercle familial. Une de ses premières œuvres est le portrait de sa mère, Lucie d’Affry. En modelant son buste, Adèle évite de se complaire dans des préciosités inutiles. Plutôt que d’emphatiser le statut social de son modèle, elle préfère scruter son intériorité. Ainsi, la comtesse porte une robe ornée d’une fleur sur le décolleté et ses cheveux sont coiffés avec simplicité. La douceur de son expression souligne l’union de cœur et d’esprit qui la lie à sa fille. De par sa composition sobre et mesurée, cette œuvre présente certaines analogies avec les portraits du sculpteur Pietro Tenerani, dont la photographie du Buste de Margareth Canton (1831), marquise de Northampton, est présentée ici. Après s’être formé à Carrare, Tenerani devient, comme Imhof, l’élève de Thorvaldsen à Rome. Le goût néoclassique s’allie dans son œuvre à la tradition sculpturale toscane du Quattrocento. La production romaine, néoclassique au sens le plus large du terme, n’influencera Marcello que passagèrement. La fréquentation des sculpteurs français – Carpeaux et Clésinger in primis –, son voyage en Espagne avec Regnault et Clairin, mais surtout la fascination constante qu’elle éprouve pour Michel-Ange, l’entraîneront dans d’autres directions. encre sur papier Fribourg, Fondation Marcello La première destinataire de la riche correspondance de Marcello est sa mère, la comtesse Lucie d’Affry. Les lettres de l’artiste à sa mère constituent une moisson d’informations précieuses sur son développement intellectuel, artistique et spirituel. En outre, ces missives révèlent le rôle important de Lucie d’Affry dans les stratégies matrimoniales, mondaines et artistiques mises en œuvre au bénéfice de sa fille Adèle. Après la mort prématurée de Marcello, la comtesse s’occupe de son legs artistique et s’emploie à faire respecter ses volontés testamentaires, en particulier à travers la création du Musée Marcello à Fribourg. Le dessin Mater amabilis, réalisé en 1864 et exposé dans cette vitrine, est un hommage rendu à la mère de l’artiste. Le titre latin fait allusion à l’un des motifs préférés de l’iconographie mariale, qui exalte le dévouement maternel de la Vierge Marie. Lucie d’Affry est représentée assise dans un fauteuil, dans une pose royale qui contraste avec le cadre domestique. La dignité de son port est accentuée par la couronne de laurier posée sur sa tête. Le lien affectueux qui l’unit à sa fille se reflète dans l’expression bienveillante de son visage. SALLE XII SALLE XII Paris 1863 : Marcello, « un nom d’art et de guerre » Bianca Capello (1548-1587) C’est au Salon de 1863 qu’Adèle se révéla artiste: Marcello est née. Elle y exposa trois bustes qui lui valurent une mention honorable, le Portrait du comte Gaston de Nicolaÿ, le Portrait de Mme la Duchesse de San Cesario et surtout sa Bianca Capello, qui séduisit le public et la critique. En exposant au Salon sous un pseudonyme, la duchesse Colonna a voulu échapper à son statut social et être prise au sérieux par la critique et par ses pairs. Mais sa participation ne passa pas inaperçue et le secret de polichinelle fut rapidement découvert. Des journaux publièrent sa généalogie et annoncèrent que l’impératrice Eugénie, qui avait distingué son talent dès l’inauguration, l’avait invitée à Fontainebleau. En quelques semaines, Marcello était devenue une personnalité du Tout-Paris impérial, ce qui compromit son désir d’insertion dans le monde de l’art en la différenciant définitivement des autres créateurs. Marcello consacre à la célèbre grande-duchesse toscane une de ses œuvres les plus célèbres, dont nous présentons dans cette salle plusieurs versions. Héroïne fascinante mais controversée, Bianca Capello est considérée comme l’une des femmes fatales de la Renaissance. L’histoire de cette aristocrate est d’abord tenue sous silence par l’historiographie officielle du grand-duché de Toscane, avant d’être révélée au XVIIIe siècle et de triompher au siècle suivant. Cette noble vénitienne s’enfuit à l’âge de quinze ans avec le marchand florentin Pietro Bonaventuri. Son père mobilise la diplomatie pour la ramener à Venise, mais il doit se résigner après la proclamation des noces de la jeune fille. À Florence, la jeune femme conquiert les faveurs de Francesco de’ Medici, dont elle devient la maîtresse. La liaison de Bianca et du grand-duc est entourée de circonstances et de morts troubles, à commencer par celle de son mari, assassiné en 1572. Francesco de’ Medici épouse Bianca après la mort de Jeanne d’Autriche (1578), sa première femme. Peu aimée des Florentins, Bianca sera toujours tenue à l’écart par la famille Médicis. Cette histoire a un épilogue tragique : en 1587, Francesco et Bianca meurent brusquement, à quelques heures de distance, dans leur villa de Poggio a Caiano. Les chroniques rapportent les rumeurs les plus variées : de l’empoisonnement au suicide, jusqu’au meurtre commis par le frère de Francesco, le cardinal Ferdinando. Une analyse scientifique récente effectuée sur le cadavre du grand-duc apporte une explication beaucoup plus prosaïque : le couple serait mort du paludisme. SALLE XII SALLE XII Marcello (1836-1879) Bianca Capello, post 1879 Marcello (1836-1879) Bianca Capello, 1863 marbre Musée d’art et d’histoire Fribourg bronze patiné et doré Fribourg, Fondation Marcello En 1863, après avoir adopté un pseudonyme masculin évoquant l’Italie et la Renaissance, la sculptrice participe pour la première fois au Salon de Paris. À cette occasion, elle présente avec succès sa Bianca Capello. Avec cette œuvre, qui occupe une place importante dans la sculpture française du XIXe siècle, l’artiste s’écarte de la tradition néoclassique pour se tourner vers l’art florentin de la fin de la Renaissance. Il existe plusieurs versions de cette sculpture. L’exemplaire en marbre exposé ici a été réalisé après la mort de l’artiste, selon ses volontés testamentaires, pour être intégré dans son legs à l’État de Fribourg. Pour le caractère général du buste, Marcello s’inspire d’un dessin de Michel-Ange, la célèbre Tête idéale, plus connue comme Zénobie, reine de Palmyre (1522). Mais elle transforme considérablement le modèle en recouvrant sa poitrine d’un voile, et surtout en remplaçant le visage olivâtre et oriental de la reine par un profil très grec, et donc plus classique. On retrouve par ailleurs l’influence de l’art de Benvenuto Cellini et de Jean Goujon dans la richesse des ornements, finement ciselés qui enrichissent la robe de Bianca Capello, et dans sa coiffure très sophistiquée. Il existe plusieurs versions de cette sculpture, car Marcello avait cédé les droits de reproduction de Bianca Capello à Ferdinand Barbedienne. Selon les termes du contrat passé entre le fondeur parisien et l’artiste, celle-ci, en tant que propriétaire du modèle, doit recevoir un certain pourcentage sur la vente de chaque pièce ; chaque exemplaire est unique et doit se distinguer des autres par des détails précis ; enfin, l’artiste a le droit de parfaire les reproductions. Les deux exemplaires en bronze exposés ici ont effectivement une composition générale analogue, mais ils se différencient par la patine et la tonalité, qui est plus sobre et contenue dans la version de Bianca appartenant à la Fondation Marcello. Suivant le goût de l’époque pour la polychromie, l’autre exemplaire se distingue par une utilisation plus hardie de la couleur, qui souligne les volumes par effet de contraste, tout en exaltant la préciosité de la robe et des bijoux. Classée par l’artiste parmi ses « bustes héroïques », cette sculpture exprime une idée de force. Le caractère indompté de l’héroïne transparaît dans la physionomie sérieuse du visage, son regard fier, sa posture droite et ses dimensions imposantes. Dans le texte qu’elle publie dans le catalogue de l’exposition de 1863, Marcello choisit de présenter l’héroïne sous son aspect le plus sombre, en lui attribuant les crimes qui ont constellé sa vie. Conférant un caractère ambigu à sa Bianca – à la fois allégorie de la liberté féminine et emblème de la scélératesse morale –, Marcello crée une image très forte et empreinte d’un charme toujours vivant. SALLE XIII SALLE XIII « L’Italie devint pour moi une patrie d’adoption » L’atelier de « Papa Giulio » Marcello séjourna régulièrement en Italie, l’une de ses patries de cœur, qui fut également à l’origine de son éveil à l’art. En 1869, elle s’installe à Rome, dans son atelier de Papa Giulio, pour y demeurer de longs mois et réaliser ses plus grands chefs-d’œuvre : La Pythie, que Charles Garnier acquerra pour décorer son nouvel Opéra mais aussi son Chef abyssin. A Rome elle rêve d’une vie de peintre et pose les jalons d’un apprentissage approfondi de la peinture et d’un perfectionnement du dessin, grâce aux conseils d’Ernest Hébert et de Mariano Fortuny y Marsal. Elle parcourt les rues de la ville, observe les types humains méditerranéens qui la fascinent tant, ainsi que la population dans ses activités quotidiennes. Rome lui permet enfin de partager sa passion pour la musique avec le compositeur Charles Gounod, qui l’admire profondément, et Franz Liszt qu’elle y rencontre et dont elle réalise une petite statuette. En 1869, Marcello installe son atelier en un lieu dit du « Papa Giulio », un nom qui évoque des terrains situés entre le Tibre et les monts Parioli que Jules III (1550-55) avait achetés trois siècles plus tôt pour y bâtir une villa. La nouvelle habitation de Marcello a été construite par la puissante famille des Cesi, qui lui confère un luxe quasi pontifical, avec de grands jardins, des nymphées, des fresques et des sols ornés de marbres antiques. Entre 1800 et 1817, cette villa est la résidence du prince Stanislas Poniatowski, qui fait réaménager toute la propriété par Giuseppe Valadier. À l’époque de Marcello, ces splendeurs appartiennent désormais au passé, même si le lieu conserve son prestige en vertu de sa position géographique et de son charme artistique : la sculptrice, qui peut admirer la coupole de Saint-Pierre depuis la terrasse plongée dans la végétation, se trouve tout à côté de la Villa Médicis, où elle fréquente un cercle de jeunes artistes français. Surtout, la duchesse n’est qu’à quelques pas de l’artiste qu’elle admire sans doute le plus à cette époque, Mariano Fortuny, qui a lui-même installé son atelier dans les anciennes écuries de la villa. Marcello dispose de salles spacieuses, en particulier celles du nord qui reçoivent la lumière la plus régulière, la meilleure pour exposer ses sculptures. Les salles du premier étage sont décorées de paysages égyptiens et indiens derrière de fausses architectures, un décor exotique qui a toutes les qualités requises pour satisfaire sa soif d’Orient. Il est même possible que Marcello se soit inspirée de ces vues pour réaliser La Pythie, un personnage que son imagination lui présente comme l’une des « devineresses de l’Inde ». L’artiste se sert de la grotte du nymphée pour exposer ses premiers modèles de la statue, créant ainsi un lieu préfigurant le vaste espace qui s’ouvre sous le grand escalier de l’Opéra Garnier, où La Pythie trouvera son emplacement définitif. Grégoire Extermann SALLE XIII SALLE XIII Marcello (1836-1879) La Gorgone, post 1879 Marcello (1836-1879) Bacchante fatiguée, 1869 marbre Musée d’art et d’histoire Fribourg marbre Musée d’art et d’histoire Fribourg En 1865, Marcello présente avec succès La Gorgone au Salon de Paris. Il existe de ce buste plusieurs versions en marbre, dont celle qui est exposée ici, posthume, ainsi que plusieurs exemplaires en bronze réalisés par le fondeur parisien Ferdinand Barbedienne. Un modèle en cire documentant la phase préliminaire de sa création est également présenté dans cette salle. Comme la Rosina, cette sculpture reflète l’amour de Marcello pour le belcanto : dans ses Mémoires, l’artiste précise que l’idée de la réaliser lui a été inspirée par l’air de Gorgone du Persée de Jean-Baptiste Lully (1632-1687), qu’elle avait entendu interprété par la cantatrice Mary Judith Revirard. Monstre ailé, armé de grands crocs et à la tête couverte de serpents, la Gorgone transforme en pierre tous ceux qui la regardent dans les yeux. Elle est tuée par Persée, qui parvient à la décapiter grâce à un stratagème. Dès l’Antiquité, cette figure mythologique constitue une source d’inspiration constante pour les artistes, mais son image connaît au fil des siècles une transformation radicale : le masque monstrueux cède la place à un beau visage de femme, déformé par l’inquiétude et par le tourment intérieur. Connotée par ses attributs classiques – la chevelure grouillante de serpents et les ailes sur la tête – La Gorgone de Marcello présente des éléments inspirés de Michel-Ange dans la posture et les traits du visage. Son caractère héroïque est souligné par la cuirasse en écailles de serpents qui protège sa poitrine, ainsi que par la peau de lion, symbole herculéen, qui orne sa tête. Marcello représente la Gorgone dans toute sa vigueur et dans sa beauté hautaine, en nous offrant un vigoureux portrait de femme. L’inscription placée sur la base – « Marcello, Roma 1869 »– fournit des indications précises sur la réalisation de cette œuvre. Terminée au début de 1869 dans l’atelier romain de l’artiste, la Bacchante fatiguée est présentée au printemps de cette même année au Salon de Paris, où elle remporte un bon succès, en dépit de quelques critiques. Le marbre est acheté par le duc de Bauffremont ; son fils le donnera en 1891 au Musée Marcello de Fribourg pour respecter les volontés testamentaires d’Adèle. L’artiste a représenté la suivante de Bacchus à la fin d’un rite organisé en son honneur. Dans le respect de l’iconographie traditionnelle, la tête de la femme est ceinte de feuilles de vignes et de grappes de raisin ; la danse frénétique une fois finie, son vêtement retombe en désordre, laissant entrevoir le sein de la bacchante. La jeune femme a les yeux et les lèvres entrouverts, et son expression évoque un état de langueur empreint de tristesse. La posture de la tête, légèrement inclinée, et la douceur du modelé renvoient au célèbre Bacchus de Michel-Ange. L’aspect androgyne s’explique en partie par le choix des modèles : selon la tradition familiale, le peintre espagnol Eduardo Rosales aurait inspiré à Marcello les traits de la Bacchante, et dans une lettre à sa mère de février 1869, la sculptrice précise que c’est une Américaine qui a servi de modèle pour le cou. SALLE XIII SALLE XIII Marcello (1836-1879) Portrait de Franz Liszt, 1869 Marcello (1836-1879) La Rosina, 1869 plâtre original Fribourg, Fondation Marcello terre cuite Musée d’art et d’histoire Fribourg Marcello exécute cette sculpture à Rome pendant l’été 1869. À cette époque, l’artiste travaille à la réalisation d’une œuvre monumentale, La Pythie – son chef-d’œuvre –, et pour se distraire de cette entreprise ardue, elle modèle plusieurs œuvres de dimensions réduites, comme le Portrait de Franz Liszt et La Rosina. Franz Liszt s’était retiré depuis plusieurs années dans la Ville Éternelle où il continuait sa carrière de virtuose et de compositeur. Dans une lettre à sa mère, Marcello affirme que Liszt s’est déclaré satisfait de l’image qu’elle a donnée de lui. Bras et jambes croisés, le compositeur est présenté dans une attitude pensive et concentrée. On retrouve ici la pose ainsi que l’attitude détendue et informelle du Monument à un savant des antiquités égyptiennes (1757-58), réalisé par Vela plus d’une décennie plus tôt. Quant à la composition d’ensemble de l’ébauche de Vela, elle rappelle le magistral Monument à Tommaso Grossi exposé au rez-de-chaussée du musée, dont il diffère toutefois par le rendu de la physionomie et par les attributs. Cette statuette représente un personnage clé du Barbier de Séville : Rosine, la belle et riche orpheline pour l’amour de laquelle se disputent deux rivaux. L’opéra-bouffe composé par Gioacchino Rossini remporte un grand succès dès ses premières représentations en 1816. Mélomane et passionnée d’opéra, Marcello se lie d’amitié avec le compositeur italien. Représentée en pied, Rosine est vêtue d’une robe à l’espagnole ; dans sa main droite, désormais manquante, elle tenait probablement un éventail, alors qu’elle tient dans la gauche une lettre destinée au comte d’Almaviva, le soupirant qu’elle aime. Marcello comprend pleinement l’essence du personnage et souligne sa capacité de séduction, mais aussi sa finesse et sa détermination moderne. Les traits de Rosine s’inspirent de ceux d’Isabel de Madrazo y Garreta, belle-sœur de son ami, le peintre Mariano Fortuny, dont l’atelier romain se trouvait à quelques pas de celui de Marcello. Adèle, qui admirait l’artiste catalan, se proposait de « faire en sculpture ce que Fortuny fait en peinture ». Et en effet, la pose de La Rosina évoque celle de l’une des figures du célèbre Mariage espagnol que Fortuny achève à Rome au cours de ces mêmes années. SALLE XIV SALLE XIV Le voyage en Espagne (1868) Marcello (1836-1879) Portrait du général Lorenzo Milans del Bosch y Mauri, 1868 plâtre rose Musée d’art et d’histoire Fribourg (dépôt de la Fondation Marcello, Fribourg) Le voyage de Marcello en Espagne fut déterminant pour elle à maints égards. D’abord, les lettres de recommandation de Mérimée lui ouvrirent grand les portes du musée du Prado où elle pouvait admirer l’art espagnol et recopier, à sa guise, les toiles de Vélasquez qui avaient fasciné Edouard Manet avant elle. Ensuite, ce périple est une équipée à trois qui ne manque pas de péripéties puisque Marcello voyage avec ses compagnons les peintres Regnault et Clairin. Pris au piège d’une situation politique espagnole agitée, les trois artistes font la connaissance du général révolutionnaire Milans del Bosch y Mauri, dont ils réalisent le portrait sculpté et peint. Finalement, de Madrid, Marcello décrit à sa mère l’inspiration déterminante qu’elle y a trouvée pour développer son art : « … je m’incline à présent vers des sujets plus modestes. Je vais aborder la nature, avec audace, et avant de me lancer dans la sculpture de l’avenir. […] Nul plus que les maîtres espagnols anciens et modernes n’a eu ce don en partage et je vois ici bien net ce que c’est que bien faire ». Le buste de Milans del Bosch exécuté par Marcello fait pendant au portrait inachevé du général peint par Regnault. Cette salle contient également une autre œuvre réalisée par le peintre français pendant son séjour en Espagne, Le Muletier espagnol, qu’il a probablement donnée à Marcello en souvenir de leur voyage. Ce tableau fait partie du legs destiné par Marcello à l’État de Fribourg. Corps de garde espagnol (1869) de Georges Clairin faisait également partie de la collection personnelle de Marcello. L’artiste traite son sujet avec une grande maîtrise grâce à des jeux subtils d’ombre et de lumière. Cette œuvre, qui date également du voyage en Espagne, révèle les tendances orientalistes de Clairin. En 1868, pendant son voyage en Espagne, Marcello, Henri Regnault et Georges Clairin réalisent différents portraits du général Lorenzo Milans del Bosch y Mauri. Ami du général et homme politique Joan Prim, Milans del Bosch participe à la révolution de 1868 qui provoque l’abdication d’Isabelle II. Marcello est séduite par le tempérament vif du général, qu’elle décrit comme un homme « plein d’esprit, un petit vieux militaire, le plus curieux et amusant que l’on puisse trouver… c’est un Méphisto héroïque, moqueur, gentil, un type rare ! Le chat botté, un Condé, un croisement entre la vieille garde et un condottiere de la guerre de Trente ans, un être bizarre ». Marcello comprend pleinement sa personnalité exubérante et réalise un portrait à la fois efficace et inspiré. Les traits du militaire espagnol sont reproduits avec une grande fidélité : le visage creusé, le front encadré d’une chevelure fournie et ébouriffée ; sous les grosses moustaches, des lèvres à peine entrouvertes. La tête du modèle est tournée vers la droite, où se dirige aussi son regard. Le modelé sensible et nerveux, allié à la légère torsion qui met en évidence la tension musculaire du cou, confère à la composition un mélange de dynamisme et de vivacité. SALLE XV SALLE XV « L’Orient, l’Orient ! C’est là que je ferais de belles choses » Marcello (1836-1879) Chef abyssin, 1869-70 La fascination de Marcello pour l’Orient suit un courant fondamental de l’art du XIXe siècle, l’Orientalisme, nourri par les récits de voyages en Egypte et au Maroc qui inspirèrent peintres, musiciens et écrivains. Si Marcello n’a jamais voyagé en Orient, elle en a toujours rêvé et lorsqu’elle séjournait en Espagne ou en Italie, elle recherchait avec passion des « types » humains méditerranéens, hommes et femmes, qui l’inspiraient pour la réalisation de dessins orientalisants. Lors de son séjour à Rome, en 1869, elle rencontre un mystérieux « arabe » qui deviendra le célèbre Chef abyssin qu’elle expose au Salon de 1870. Aussi le Chef indien fait partie des œuvres orientalisantes de Marcello. Le tableau démontre ses talents de peintre, qu’elle développe dans les années 1870, dans la filiation iconographique et chromatique d’Eugène Delacroix. A la même époque, les artistes s’intéressent aussi aux sujets de l’homme et de la femme noirs qui apparaissent chez Charles Cordier mais aussi chez Jean-Baptiste Carpeaux et chez Marcello. Maître de la sculpture polychrome, Cordier se convainc au cours de ses expéditions en Afrique et en Orient que chaque ethnie possède une beauté particulière. Ses bustes « ethnographiques » – et notamment l’œuvre exposée dans cette salle, Nègre en costume algérien (ca. 1860) – sont caractérisés par la noblesse et la fierté des modèles et par la mise en valeur magistrale des différents matériaux. Le Marchand d’esclaves (1847-52) de Vincenzo Vela, qui est lui aussi l’expression du goût orientalisant de l’époque, rappelle en particulier la production de Francesco Hayez sur le même thème. Ce groupe sculpté, qui se distingue par le rendu naturaliste de la pose et des détails, souligne l’ambivalence entre l’expression mélancolique et la sensualité innocente de la jeune femme, des éléments qui rappellent, malgré des perspectives différentes, la plus célèbre Prière du matin (1846) exposée au rez-de-chaussée du Musée (Salle XXI). L’intérêt de Marcello pour l’Orient, pour un ailleurs rêvé et désiré, donne lieu à une série d’œuvres plastiques et picturales, comme le Chef abyssin. Marcello réalise ce buste en 1869 dans son atelier romain. C’est également au cours de cette période, particulièrement féconde et riche de rencontres et d’expériences, que l’artiste achève son chefd’œuvre, La Pythie. Dans la Ville Éternelle, inépuisable source d’inspiration, la sculptrice rencontre un homme, un « type méditerranéen », qui affirme être arabe. Elle fait de lui plusieurs portraits et l’immortalise dans ce buste majestueux. Mais cet homme est aussi un modèle difficile et ombrageux et Marcello apprend par la suite qu’il s’agit en réalité d’un brigand romain, qui finira fusillé en 1876. Le visage du personnage, mis en relief par un savant drapé d’étoffes, se caractérise par des pommettes saillantes, une barbe fournie et bouclée et un regard à la fois perçant et méfiant. Avec son port fier, il semble entouré d’une aura de mystère et de noblesse que le titre de l’œuvre ne fait que confirmer. Marcello présente avec succès ce buste au Salon de 1870. Le marbre exposé ici a été acheté en 1873 par l’État français et se trouve actuellement dans les collections du musée d’Orsay. Il existe plusieurs versions en bronze de cette œuvre, dont celle qui est présentée dans cette salle, appartenant à la Fondation Marcello de Fribourg. marbre, avec une agrafe en bronze et lapis sur l’épaule Paris, musée d’Orsay SALLE XVI SALLE XVI Le triomphe de La Pythie Marcello (1836-1879) La Pythie, 1870 bronze Paris, Palais Garnier, Opéra de Paris © Jean Pierre Delagarde (avec l’aimable autorisation de l’Opéra national de Paris) L’acquisition par Charles Garnier de La Pythie qu’il avait découverte dans l’atelier romain de Marcello fut pour elle une consécration professionnelle. A l’Opéra Garnier, La Pythie occupe une place agencée pour elle, entre les rampes du grand escalier, encadrée par une voûte végétale et un bassin. L’œuvre annonce une nouvelle perception du corps que la sculptrice traite avec un degré d’expression et de tension inégalé dans sa production. Elle s’inspire des dernières œuvres et tendances en vogue à l’époque, à l’instar des réalisations de son ami Carpeaux. La Pythie de Marcello est orientalisante, elle incarne une femme habitée par ses transes dont le corps en torsion exprime la fébrilité intérieure. Dans une lettre à Carpeaux, Marcello la décrit ainsi : « … une sorte de gitana agitée par le don fatidique […]. Je ferai peut-être mieux dans l’avenir […] mais je ne pense pas produire une œuvre plus hardie et plus forte dans son impulsion. J’ai voulu représenter la patronne des artistes, de ceux bien entendu qui évoquent l’Esprit directement. » Réalisée à Rome en 1869 et terminée au début de 1870, La Pythie est incontestablement le chef-d’œuvre de Marcello, sur lequel repose sa célébrité. La version finale en bronze – reproduite ici dans un tirage photographique –, révèle le caractère monumental de cette sculpture, qui mesure presque trois mètres de haut. La Pythie, achetée en 1870 par l’architecte Charles Garnier pour le nouveau théâtre de l’Opéra de Paris, en construction à cette époque, occupera une position privilégiée au sein du prestigieux édifice, dans une niche au pied de l’escalier monumental. Cette œuvre constitue une étape importante dans l’évolution artistique de Marcello, qui s’était surtout concentrée jusque-là sur la réalisation de bustes. Exposée en 1870 au Salon de Paris, cette sculpture divise les critiques, suscitant tantôt une grande admiration, tantôt des avis négatifs en raison de son caractère anticlassique et dramatique. Mais Marcello finit par obtenir un véritable triomphe critique en 1875, quand l’Opéra est inauguré : dans le décor grandiose créé par Charles Garnier, La Pythie connaît une nouvelle vie qui perpétuera le nom de sa créatrice. SALLE XVI SALLE XVI Marcello (1836-1879) La Pythie, ca. 1880 De la terre au marbre : l’art de la sculpture réduction en bronze Musée d’art et d’histoire Fribourg Exécutée vers 1880 pour obéir aux volontés testamentaires de l’artiste, cette œuvre reproduit à échelle réduite, et avec quelques petites variantes, la version monumentale exposée à l’Opéra Garnier. Dans la Grèce antique, la Pythie est une prêtresse du culte d’Apollon à Delphes. Après avoir mâché des feuilles de laurier et absorbé les vapeurs qui s’exhalent d’une fente de son sanctuaire, elle entre en extase et rend les oracles du dieu, sous la forme de mots incohérents interprétés par un prêtre. Marcello suit la tradition antique et représente la prêtresse assise sur un tripode. Avec un ton plus libre, l’artiste confère toutefois un caractère individuel et une forte sensualité, de type oriental, à son personnage, dont les traits rappellent ceux d’une gitane. La devineresse est représentée en état de transe. La tension qui l’anime se traduit par une torsion forte et dynamique, accentuée par le drapé serré et par le mouvement de sa robe. La forme serpentine du corps, inspirée de Michel-Ange, est soulignée par les lignes sinueuses des figures en forme d’animaux qui s’entrelacent au bas du piédestal – probable allusion à Python, le monstre vaincu par Apollon – et par les serpents qui grouillent au milieu de la chevelure fournie et ébouriffée de la prêtresse. L’artiste a modelé la figure en se servant du moulage d’après nature de son propre buste, présenté dans l’exposition, ainsi que des moulages d’un de ses pieds et de la partie d’une jambe. Les traits de la Pythie sont probablement inspirés de ceux de Clémence de Reynold, cousine de Marcello ; mais des sources familiales attestent également une ressemblance avec la sculptrice. De l’idée qui germe dans l’esprit de l’artiste à la réalisation finale, l’art de la sculpture est complexe. Il présuppose de nombreuses étapes et divers intervenants. Grâce à l’exemple du buste de la Baronne de Keffenbrinck, on peut suivre certaines de ces étapes : croquis, plâtre témoignant de la composition choisie par l’artiste et, enfin, le buste final en marbre destiné à la commanditaire. Comme nombre de ses confrères, Marcello était en premier lieu modeleuse. Elle réalisait seule les phases d’esquisse. Pour le modelage de grandes compositions nécessitant des armatures complexes, elle collaborait avec des praticiens qui réalisaient également la « mise aux points » et la première taille du marbre, en plaçant des points de repère sur le modèle définitif qui étaient ensuite reportés sur le bloc à tailler. Le praticien achevait ensuite les détails de la sculpture sous la direction de Marcello qui, semble-t-il, ne prit elle-même le ciseau pour parachever ses œuvres que très rarement dans sa carrière. SALLE XVI SALLE XVI « Cette adorable peinture » Marcello (1836-1879) Berthe Morisot , 1875 huile sur toile Musée d’art et d’histoire Fribourg Dans ses Mémoires, Marcello témoigne de sa passion pour la peinture mais aussi de la difficulté qu’elle éprouve à la pratiquer pleinement. Elle écrit : « De tout temps, la peinture me plut mieux que la sculpture. Pourquoi alors, me dira-t-on, vous être tournée vers cette dernière d’emblée ? Parce que je me trouvais dépourvue des moyens d’étudier la peinture selon l’école qui m’attirait ». Pourtant, durant ses dernières années de vie, c’est vers celle-ci qu’elle se tourne, bénéficiant des conseils de peintres expérimentés comme Alfred van Muyden ou Léon Bonnat. Marcello est influencée par des sources d’inspiration diverses. Parmi les anciens, elle cite Vélasquez qu’elle étudia durant son voyage en Espagne en 1868. Mais il y a aussi Rubens, Titien ou Véronèse. Son maître contemporain est Delacroix, le défenseur de la liberté de la touche et de l’importance de la couleur, qui lui inspire des aquarelles et des huiles pétries de matière et d’émotion. Dans la veine romantique, elle évoque ses copies d’après Géricault dont elle goûte la force d’expression. Le portrait est l’un des genres picturaux pratiqués par Marcello. Dans cet exercice, l’artiste renonce presque complètement au rendu des détails et se concentre sur la caractérisation psychologique. Elle utilise souvent un fond neutre pour mieux mettre en valeur le modèle et pour choisir la pose, il lui arrive de s’inspirer de photographies, dont elle possède une riche collection. C’est le cas de ce portrait de Berthe Morisot, terminé en 1875. Les deux femmes s’étaient liées d’amitié une dizaine d’années plus tôt à Paris, chez le portraitiste Léon Riesener, à qui Marcello avait loué un appartement. Le peintre impressionniste, belle-sœur d’Édouard Manet, est représentée dans une élégante robe de satin rose. Assise sur une chaise de bal, elle s’appuie sur le dossier en tenant un éventail dans sa main droite. La luminosité de la mise et du teint est accentuée par le halo qui enveloppe la tête et le buste. La composition générale de ce tableau respecte les canons du portrait traditionnel. Marcello exprime néanmoins une sensibilité moderne dans l’interprétation de la féminité et de la personnalité de Berthe Morisot, représentée dans une attitude décontractée. La pose, le choix des attributs, mais aussi le rendu de la robe révèlent par ailleurs l’influence d’Édouard Manet, qui avait peint Berthe Morisot précédemment. SALLE XVII SALLE XVII Amis artistes : un échange professionnel Marcello (1836-1879) Portrait de Jean-Baptiste Carpeaux, 1875 plâtre Fribourg, Fondation Marcello Delacroix, Courbet, Hébert ou Carpeaux, tous ont connu et fréquenté Marcello. Chacun d’eux fut fasciné par sa personnalité, son indépendance et son intelligence. Que recherchait-elle en côtoyant ces créateurs ? En premier lieu, un échange professionnel et des conseils avisés pour celle qui n’a jamais pu suivre une formation académique alors encore refusée aux femmes. Eugène Delacroix, de près de quarante ans son aîné, fut son maître inégalé en matière de peinture, dont elle admirait, collectionnait et recopiait les oeuvres. Jean-Baptiste Carpeaux, célèbre sculpteur du Second Empire, fut l’ami et le collègue qui l’inspira dans ses sculptures comme en témoigne le dialogue que l’on découvre dans plusieurs de leurs oeuvres contemporaines. Gustave Courbet réalisa son portrait et figure, par le biais d’un tableau de paysage, dans sa collection personnelle. Ernest Hébert suivit sa reconversion à la peinture et sa pratique régulière du dessin, notamment pendant son séjour romain de 1869. Important représentant de la sculpture française de la seconde moitié du XIXe siècle, Jean-Baptiste Carpeaux (18271875) est l’un des artistes préférés de la famille impériale. Sa production s’écarte de l’idéal néoclassique et académique pour privilégier le clair-obscur et les effets picturaux. Élève de François Rude, il reçoit en 1854 le prestigieux Grand Prix de Rome. Carpeaux rencontre Marcello en 1861, lors de son séjour à la Villa Médicis. Unis par leur admiration commune pour Michel-Ange et Delacroix, les deux artistes cultivent une amitié durable et féconde jusqu’à la mort de Carpeaux en 1875. C’est de cette année que date le Portrait de Jean-Baptiste Carpeaux. Le visage du sculpteur, aux joues creusées, est marqué par la maladie. Miné physiquement mais pas intellectuellement, il regarde au loin dans une attitude pensive. Ce buste – l’un des meilleurs portraits de Marcello – se caractérise par l’expressivité du modelé et par sa force d’introspection. En témoignage de l’amitié qui liait les deux artistes, un délicat Portrait de la duchesse de Castiglione Colonna, réalisé par Carpeaux pendant un séjour à Givisiez à l’été 1864, est exposé dans cette salle. En outre, l’exposition présente une photographie de La Marseillaise de François Rude, le maître de Carpeaux, accompagnée d’une dédicace à Marcello : clin d’œil de sculpteur et témoignage de filiation. SALLE XVII SALLE XVII Adelaide Maraini-Pandiani (1836-1917) Adelaide Maraini-Pandiani (1836-1917) Mater dolorosa, vers 1900 bronze Ligornetto, Museo Vincenzo Vela (dépôt de la Confédération suisse) Même s’il est très probable qu’Adèle d’Affry et Adelaide Maraini-Pandiani ne se connaissaient pas, leurs parcours biographiques et professionnels présentent certaines similitudes. Ces deux artistes ont le même âge et occupent des positions sociales importantes, mais dans des contextes différents ; dotées d’un tempérament brillant et de grandes qualités intellectuelles, elles parviennent à s’affirmer dans un domaine artistique traditionnellement masculin. Née à Milan dans une famille d’artistes, Adelaide Pandiani se forme dans l’atelier de son père Giovanni, un sculpteur talentueux actif dans la ville lombarde, et elle suit des cours à l’académie de Brera. En 1862, elle épouse Clemente Maraini, ingénieur et industriel de Lugano lié à la gauche radicale. Une fois installée à Rome avec son mari, elle anime l’un des salons culturels les plus dynamiques de la ville, fréquenté en particulier par l’écrivain Carlo Dossi. Elle séjourne régulièrement dans sa splendide villa de Lugano en style néo-pompéien, démolie à la fin des années 1970. Cette personnalité artistique aux qualités indéniables, mais encore peu étudiée, est particulièrement active entre 1870 et 1900. Auteur d’œuvres d’inspiration littéraire, mythologique et religieuse, de monuments funéraires et de portraits, elle prend part à d’importantes expositions en Italie et en Suisse. Tout comme Marcello et Vincenzo Vela, elle participe en 1867 à l’Exposition Universelle de Paris. À cette occasion, la sculptrice fribourgeoise présente au public huit œuvres, dont Hécate, exécutée à la demande de Napoléon III, tandis que Vela remporte un grand succès avec son Napoléon mourant, que l’État français achète à l’initiative de l’empereur. On peut admirer dans la salle II au rez-de-chaussée le modèle en plâtre de l’œuvre. En 1867, Adelaide Maraini expose avec succès Anges de la prière et anges de la résurrection, un relief dans le goût néo-renaissant. Son langage évolue ensuite vers des effusions tardo-romantiques, un certain naturalisme d’inspiration XVIIIe siècle et des accents symbolistes. L’expression Mater dolorosa – qui provient du récit de la Passion dans l’Évangile selon saint Jean et du premiers vers de la séquence liturgique du Stabat Mater – fait référence à la Vierge souffrante au pied de la croix. Au XIXe siècle, avec l’affirmation du romantisme, l’humanité et les sentiments du Christ sont mis en valeur et le culte marial connaît un nouvel élan. Cette œuvre, conçue comme un ex voto pour la reine Margherita après l’assassinat du roi Humbert Ier en 1900, s’inscrit dans la tradition iconographique de Notre-Dame des sept Douleurs que l’artiste interprète avec une extrême sensibilité. La sculptrice renonce aux attributs mariaux traditionnels – la couronne d’épines, le cœur transpercé par les dagues – et focalise son attention sur la figure de la Vierge. Ce buste se caractérise par la dignité de Marie, dont le visage est empreint de douleur et d’affliction. Présenté avec succès à l’Exposition nationale suisse de Genève en 1896, cette Mater dolorosa a été achetée par la Confédération la même année. Adelaide Maraini-Pandiani réalise également une version de cette œuvre en marbre, aujourd’hui conservée à la Galerie nationale d’art moderne de Rome. Cette sculpture se caractérise par un travail virtuose de la matière, nouvelle confirmation de l’éclectisme et de la maîtrise technique de cet artiste. Dans la salle XX du rez-de-chaussée est exposé le modèle original en plâtre de l’Addolorata (Notre-Dame des Douleurs) exécutée par Vincenzo Vela pour la chapelle d’Adda d’Arcore. La Vierge, enveloppée dans son manteau et plongée dans la douleur, offre une image empreinte d’une grâce intense, de douceur et de simplicité. SALLE XVII SALLE XVII Adelaide Maraini-Pandiani (1836-1917) Portrait de César Thomson, 1884 Georges-Jules-Victor Clairin (1843-1919) Marcello dans son atelier de Givisiez, 1871 plâtre teinté de brun Collezione della Città di Lugano huile sur toile Musée d’art et d’histoire Fribourg L’importante collection d’œuvres d’Adelaide MarainiPandiani appartenant à la collection de la Ville de Lugano comprend en particulier le portrait en plâtre du célèbre violoniste et compositeur belge César Thomson (1857-1931), réalisé en 1884. Dans les années 1874-77, Thomson est premier violon de l’orchestre personnel du baron Paul von Derwies, un riche mécène qui avait aménagé une salle de concert dans sa magnifique résidence de Lugano, connue sous le nom de « Castello di Trevano ». Marié avec Luisa Riva, une aristocrate de Lugano, Thomson fait ensuite carrière au niveau international, tout en maintenant d’étroits contacts avec le Tessin, où il meurt en 1931. Adelaide Maraini, femme cultivée aux fréquentations raffinées, fait probablement la connaissance de Cesare Thomson dans les cercles culturels de Lugano. La sculptrice a reproduit d’une main sûre les traits du musicien : son regard intense, sa barbe en pointe et son large front encadré par une chevelure abondante. La spontanéité du modelé révèle les capacités techniques de l’artiste, qui réalise un portrait expressif et efficace du grand violoniste, âgé de moins de trente ans à cette époque. Le peintre français Georges Clairin et Marcello, qui s’étaient liés à l’artiste Henri Regnault, sont tous deux profondément affligés par la disparition prématurée de leur ami, en janvier 1871. Peu de temps après, Clairin rend visite à Marcello à Givisiez. Dans le calme de la campagne fribourgeoise, il retrouve la sérénité et réalise ce portrait de son amie. Marcello est représentée dans l’atelier qu’elle a fait aménager dans la demeure de sa famille. Peinte en pied et de profil, elle dessine, assise dans une pose détendue. Momentanément détournée de son occupation, elle tourne vers l’observateur un regard empreint d’une douce mélancolie. La duchesse porte une robe noire d’après-midi, d’une coupe simple ; son élégante figure et, par contraste chromatique, la blancheur de son visage et de ses mains soulignent sa condition sociale. Le vaste espace est délimité par un paravent et par des étoffes tendues ou jetées sur le sol, dont les couleurs lumineuses contrastent avec la pénombre du fond. La spontanéité de la pose où est représentée la noble dame et l’apparent laisser-aller de la décoration confèrent un air naturel à la composition de ce tableau, en accentuant l’atmosphère subtilement bohème de l’atelier. Selon les volontés testamentaires de l’artiste, cette œuvre fut intégrée en 1879 à son legs à l’État de Fribourg. SALLE XVIII SALLE XVIII Les années 1870 : rupture et dernières sculptures Gustave Courbet (1819-1877) Amitié – Progrès – Union, ca. 1875-77 Les années 1870 marquent un tournant agité pour la France mais aussi dans la vie de Marcello. Se succèdent la défaite de Sedan (1870), la destitution de Napoléon III entraînant la chute de l’Empire, puis la période insurrectionnelle de la Commune (1871), suivie par la proclamation de la IIIe République. Les artistes dont la carrière fut liée au Seconde Empire doivent désormais se tourner vers d’autres commanditaires. Le milieu artistique est en ébullition, avec l’avènement des Impressionnistes et des mutations majeures quant aux lieux d’exposition qui se multiplient et concurrencent la toute-puissance du Salon. Dans sa vie personnelle, Marcello est marquée par la maladie. Elle crée ses dernières sculptures montrées aux Salons de 1875 et 1876, parmi lesquelles ses bustes « déguisés » tels ceux de Mélanie de Pourtalès, sous les traits de Phoebe, ou d’Olga de Tallenay devenue La Belle Romaine. Cependant, l’artiste garde espoir et s’investit notamment dans la pratique assidue du dessin et la (re)découverte de la peinture. Gustave Courbet, un des principaux représentants du réalisme, est surtout connu pour son œuvre picturale remarquable. Mais sa production comprend aussi quelques sculptures, dont celle que l’on peut admirer dans cette salle, réalisée par l’artiste à La Tour-de-Peilz pendant son exil en Suisse. En raison de ses idées politiques et du procès que lui intente l’État français à la suite des événements de la Commune de Paris (1871), Courbet se réfugie en Suisse en 1873, où il meurt en 1877. En 1875, l’artiste donne à la municipalité de La Tour-de-Peilz une statue d’Helvetia – rebaptisée ensuite Liberté – en signe de reconnaissance pour l’hospitalité que lui a offerte la petite ville vaudoise. Il exécute ensuite plusieurs versions de cette œuvre, dont ce plâtre. Le buste se différencie des autres exemplaires par quelques détails : les mots « Amitié – Progrès – Union » inscrits sur le socle et le médaillon avec les lettres « JRS » gravées dans un soleil levant, référence probable à une loge maçonnique. Le modèle représenté par Courbet n’a pas été identifié avec certitude. On a avancé l’hypothèse qu’il pourrait s’agir de la marquise Olga de Tallenay, que Courbet a rencontrée en 1874 par l’intermédiaire de leur amie commune Marcello, auteur du portrait sur toile de la marquise exposé dans cette salle. Les traits d’Olga de Tallenay ont également inspiré La Belle Romaine. plâtre patiné Berne, Bernisches Historisches Museum SALLE XVIII SALLE XVIII Marcello (1836-1879) La Belle Romaine, post 1879 Marcello (1836-1879) Tête de femme, 1873-74 marbre Musée d’art et d’histoire Fribourg plâtre Fribourg, Fondation Marcello Marcello réalise au cours de sa carrière une série de portraits dont la physionomie reprend celle de certains de ses proches. À partir de 1875, l’artiste produit ses « portraits déguisés » les plus réussis, en associant les traits de ses modèles à l’iconographie ou aux caractéristiques de personnages mythologiques ou littéraires. Le buste de La Belle Romaine reproduit les traits d’Olga de Tallenay, née Illyne (décédée en 1915). Pour terminer ce buste, Marcello s’inspire du visage de son amie, dont elle a déjà peint un portrait, exposé dans cette salle, représentant la marquise debout, de profil, dans une robe élégante. Dans l’œuvre en marbre, Madame de Tallenay porte une robe qui évoque le vêtement traditionnel des femmes romaines. Son cou est ceint d’un collier sophistiqué d’où pendent l’amulette classique en forme de « cornicello » et un médaillon portant une intaille délicate. Ses dimensions imposantes et son expression altière confèrent à cette matrone un air impérieux. Selon les volontés testamentaires de Marcello, le buste présenté dans cette salle a été exécuté après sa mort par son praticien Narcisse Jacques. La Belle Romaine exposée par l’artiste au Salon de 1875 appartient aujourd’hui aux collections du musée d’Orsay. Marcello a partagé en plusieurs occasions un même modèle avec d’autres artistes. On a formulé l’hypothèse qu’Olga de Tallenay aurait posé non seulement pour les deux œuvres de Marcello exposées dans cette salle, mais aussi pour le buste de Courbet intitulé Amitié – Progrès – Union. En effet, cette sculpture présente des ressemblances évidentes avec le Portrait de Mme de Tallenay peint par Marcello et avec sa Belle Romaine, ainsi qu’avec les portraits photographiques de la marquise. L’hypothèse que Marcello et Courbet se soient servis du même modèle est également confirmée par les deux plâtres qui représentent la marquise de Tallenay : l’un a été donné au musée d’Orsay en 1916 par le cousin de Courbet, l’autre appartient à la Fondation Marcello de Fribourg. Ces deux œuvres proviennent d’un même moule, pris sur une tête réalisée par Marcello probablement à partir d’un moulage sur nature du visage et du cou d’Olga de Tallenay. SALLE XIX SALLE XIX Le couple impérial La cour et la vie mondaine En 1863, avec sa première apparition au Salon, Marcello fit une entrée remarquée à la cour. Le couple impérial ne se contenta pas de l’inviter à de nombreuses occasions mais lui commanda aussi des œuvres. De 1863 à 1867, les souverains et l’administration impériale furent ses principaux clients, y compris avec la commande d’une statue, l’Hécate, pour le parc de Compiègne, et d’un buste de l’impératrice. L’impératrice aimait les femmes de caractère et appréciait la duchesse Colonna. Cependant, si Marcello se souciait d’être bien en cour, elle se sentait peu d’affinités avec la souveraine, qu’elle jugeait trop superficielle. Elle vouait, en revanche, une grande admiration à Napoléon III, le « patron ». Après le décès de celui-ci, le 9 janvier 1873, en exil à Chislehurst en Angleterre, elle vint présenter ses condoléances à l’impératrice et à son fils. En 1879, Marcello mourut, quelques semaines après la disparition tragique du Prince impérial. Lorsqu’Eugénie apprit son décès, elle envoya un télégramme à la comtesse d’Affry, qui disait : « ma profonde douleur comprend la vôtre et la partage. » L’amitié que lui témoignait le couple impérial contraignait Marcello à respecter ses engagements mondains : bals, salons, invitations aux Séries de Compiègne, aux Tuileries ou à Fontainebleau, les occasions étaient nombreuses. Une part d’elle-même appréciait ce jeu du paraître et jouissait de la fascination qu’elle exerçait sur ses contemporains. Cependant, ses écrits recèlent aussi des passages qui témoignent de sa conscience de la frivolité et des vanités de la vie mondaine (« un habit bien fait me compte pour plus qu’un beau buste »). Sa position est marginale : appartenant à des mondes si différents, elle ne trouve pas sa place et alterne la solitude de l’atelier avec les fastes d’une vie de représentation. Comme elle le résume : « ces deux natures opposées qui sont fabuleusement, fortuitement réunies dans ma personne. L’une toute d’idéal de rêveries de vouloir ardent, l’autre toute vulgaire, se plaisant aux moindres distractions, voulant le bruit, le mouvement continuel, la vie active et toute extérieure. L’une ne détruira pas l’autre. C’est beaucoup si elle la contraint à la suivre. » SALLE XIX SALLE XIX Marcello (1836-1879) Portrait de S.M. l’impératrice Eugénie, 1866-67 Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875) Napoléon III, ca. 1872-73 plâtre Fribourg, Fondation Marcello marbre inachevé musées nationaux du palais de Compiègne Née à Grenade, Eugénie de Montijo de Guzmán (1826-1920) épouse Napoléon III en 1853. Elle est connue pour sa passion pour le luxe, mais aussi pour son dévouement aux causes qui lui sont chères : l’assistance aux indigents et l’éducation des jeunes filles. Elle apprécie beaucoup Marcello, qu’elle invite régulièrement à Compiègne et à Fontainebleau. L’artiste sculpte plusieurs portraits de l’impératrice et continue à cultiver des relations amicales avec la famille impériale même après la chute de l’Empire. En 1865, l’artiste reçoit une commande officielle pour un portrait de l’impératrice Eugénie, destiné à décorer la salle du trône de l’Hôtel de Ville de Paris. Elle réalise plusieurs versions de ce buste, dont les deux pièces qui sont exposées dans cette salle. Dans le premier, en cire – le matériau que l’artiste privilégiait pour ses ébauches –, le haut rang du personnage est souligné par le diadème orné de l’aigle impériale. Le second, en plâtre, correspond à une nouvelle phase de l’œuvre. Les deux sculptures se caractérisent par la même expression bienveillante du visage, tout en se différenciant par la coiffure. Le marbre que Marcello présente à la commission, et qui a aujourd’hui disparu, est refusé dans un premier temps, mais l’artiste arrive à le faire accepter grâce à ses relations. Vincenzo Vela entretient lui aussi de bons rapports avec l’impératrice des Français. Après avoir accueilli favorablement le groupe sculpté intitulé L’Italie reconnaissante à la France (1861-62), que lui ont donné des dames patriotes de Milan, Eugénie commande à Vela un monument dédié à Christophe Colomb pour l’installer à Panama. Le modèle en plâtre de L’Italie reconnaissante à la France est exposé au rez-de-chaussée du musée, dans la salle XXII. Neveu de Napoléon Ier, Charles Louis Napoléon Bonaparte (1808-1873) passe son enfance en Suisse, au château d’Arenenberg. En 1832, le prince reçoit la citoyenneté honoraire de Salenstein, mais il conserve la nationalité française. Élu président de la République française en 1846, il restaure l’Empire six ans plus tard et règne sous le nom de Napoléon III. Marcello, qui fréquente la cour à partir de 1863, éprouve pour lui une grande admiration. Ce buste en hermès, inachevé, correspond au portrait que Carpeaux commence en 1872 et qu’il termine après la mort du modèle, en janvier 1873. L’œuvre évoque la mélancolie et en même temps la sérénité de l’empereur après la défaite tragique de Sedan, à laquelle suivront l’exil et la maladie. Exécutée avec une grande maestria, cette sculpture est l’un des meilleurs portraits d’homme que Carpeaux ait réalisés. Le modèle est plongé dans ses pensées. Son expression est veinée d’une légère mélancolie ; son regard, presque absent, se perd dans le lointain. Conciliant fidélité au sujet et fine introspection, Carpeaux crée un portrait d’une grande profondeur psychologique. SALLE XIX SALLE XIX bis Albert-Ernest Carrier-Belleuse (1824-1887) La comtesse de Castiglione en reine d’Étrurie, 1864 Usages de la photographie plâtre patiné musées nationaux du palais de Compiègne Albert-Ernest Carrier-Belleuse est l’un des artistes les plus célèbres et prolifiques du Second Empire. Sculpteur et peintre aux multiples talents et à l’imagination féconde, il est l’auteur d’œuvres à caractère décoratif, de bustes et de groupes sculptés. De 1875 à 1887, il dirige la section artistique de la Manufacture de Sèvres, à laquelle il donne un nouvel élan. Femme fatale du Risorgimento, célèbre pour sa beauté, Virginia Oldoini Verasis (1837-1899), comtesse de Castiglione, exerce aussi son charme sur Napoléon III, dont elle fut la maîtresse. Obsédée par sa propre image, après avoir participé, habillée en reine d’Étrurie, à un bal aux Tuileries en 1863, la comtesse pose dans ce même costume pour le photographe parisien Pierson et pour Carrier-Belleuse, afin de faire taire les médisances sur l’habit qu’elle portait à la fête. Cette statuette-portrait est exécutée en plusieurs exemplaires, destinés à ses amis. Malgré ses dimensions réduites, cette figure présente un caractère monumental, souligné par la pose altière. Une photographie de Pierson sert également à Vincenzo Vela pour terminer son Portrait de la comtesse de Castiglione (1867). Le buste représente la noble dame dans la splendeur de sa jeunesse ; il souligne sa coiffure sophistiquée, décorée de perles et de roses, et le célèbre collier à cinq rangs de deux cent soixante-dix-neuf perles. Marcello fréquente elle aussi la comtesse à la cour impériale, comme l’atteste son portrait de profil, exécuté en 1864. Marcello était à l’avant-garde en ce qui concerne l’utilisation des potentialités de la photographie. Dans son fonds photographique, se distingue une série de clichés mettant en scène l’artiste, de grandeurs diverses (de la photo-carte au tirage papier encadré) et réalisés par différents photographes. Elle y apparaît tantôt en duchesse, richement parée, tantôt dans un paletot confortable de jour, plus bohème. Marcello utilisa encore habilement la photographie pour promouvoir ses œuvres : elle choisit les plus célèbres photographes, dont Nadar, pour fixer ses œuvres (sculptures mais aussi peintures et dessins) sur des tirages papier, sous différents angles, en vue de les présenter avantageusement à une future clientèle. Enfin, l’artiste collectionna un grand nombre de photographies témoignant de ses voyages, de ses visites de musées, et donc de son imaginaire pictural dont la contemplation ne cessa de nourrir son oeuvre. Cette salle présente un tirage photographique appartenant au fonds du Musée Vincenzo Vela. Cette photographie réalisée par Pierre-Louis Pierson en 1856-57 représente Virginia Oldoini, comtesse de Castiglione, vêtue d’une robe somptueuse. La mise en scène soignée et la pose de dos évoquent le portrait de la duchesse Colonna qu’Alphonse Maze exécutera quelques années plus tard. Marcello Adèle d’Affry (1836-1879) duchesse de Castiglione Colonna 23 avril - 30 août 2015 Textes Caroline Schuster Cordone Anita Guglielmetti Museo Vincenzo Vela Largo Vela 5 CH-6853 Ligornetto Tél. +41 58 481 30 40/44 [email protected] www.museo-vela.ch