Marcello

Transcription

Marcello
Marcello
Adèle d’Affry
1836-1879
duchesse
de
Castiglione
Colonna
Français
museo-vela.ch
SALLE IX
Marcello. Adèle d’Affry (1836-1879),
duchesse de Castiglione Colonna
Rez-de-chaussée
VII
VIII
VI
V
XX
VIII
I
IV
VII
VI
III
XXI
XXII
V
II
I
IV
XX
X
XXI
IX
XXII
II
XI
XII
X
XIX
XIII
IX
XIX
XI
XIV
XVIII
XVII
bis
XVI
XII
XV
XIX
bis
XIII
XIX
XIV
XVIII
XVII
Premier étage
III
XVI
XV
Cette exposition itinérante est le fruit de trois années de
recherches menées par le Museo Vincenzo Vela en collaboration avec trois institutions francophones : le Musée d’art
et d’histoire Fribourg, le Musée des Suisses dans le Monde
de Pregny-Genève et les musées nationaux du palais de
Compiègne. Elle est centrée sur la figure d’Adèle d’Affry,
l’une des rares femmes à s’être affirmée avec un réel succès
dans l’art de la sculpture européenne de la seconde moitié
du XIXe siècle. Descendante d’une vieille famille de la
noblesse fribourgeoise, mariée à un membre de la célèbre
maison des Colonna, elle fut l’amie du couple impérial
français. Elle vécut entre Paris et Rome, mais resta toujours
liée à sa ville de Fribourg.
Adèle d’Affry adopte le pseudonyme de Marcello en 1863,
pour faire pièce aux préjugés de genre et de rang en vigueur
dans le monde artistique de son temps. Marcello était un
personnage fascinant et moderne ; une aristocrate
consciente de l’audace de ses propres choix et des souffrances
que ceux-ci lui causeraient ; une artiste dont l’identité se
situe à mi-chemin entre la féminité exhibée dans les tenues
qu’elle choisissait pour ses portraits photographiques et
la monumentalité souvent androgyne des héroïnes qu’elle
sculptait. Grâce à son intelligence et à force de volonté,
et malgré les contraintes de l’époque qui l’empêchèrent de
fréquenter l’École des Beaux-Arts (et donc d’aborder les
sujets nobles et de bénéficier d’importantes commandes
publiques), elle sut tirer le maximum de son appartenance
à l’aristocratie de son temps et, en même temps, attirer
l’attention et conquérir l’estime de nombreux artistes
de premier ordre, devenus ses admirateurs et ses mentors,
parmi eux : Clésinger, Carpeaux, Courbet et Fortuny.
SALLE IX
L’étape tessinoise de l’exposition privilégie certains thèmes
qui avaient été uniquement évoqués dans les autres lieux,
comme les années d’apprentissage de Marcello dans l’atelier
romain de Heinrich Max Imhof (1795-1869) – un sculpteur
d’Uri affirmé, même s’il est encore peu étudié – et ses
rapports avec un artiste aussi célèbre que Gustave Courbet.
L’exposition présente également, dans un dialogue fructueux, plusieurs sculptures de Vincenzo Vela (1820-1891)
et d’Adelaide Maraini-Pandiani (1836-1917), une artiste de la
même génération que Marcello qui travailla à Lugano et
à Rome.
SALLE IX – BIOGRAPHIE
1836
Adélaïde Nathalie Marie Hedwige Philippine
d’Affry naît le 6 juillet à Fribourg.
Elle est la fille aînée du comte Louis d’Affry et
de Lucie de Maillardoz.
1839
Naissance de sa sœur cadette Cécile Marie
Philippine Caroline (1839-1911).
1841
Louis d’Affry meurt le 26 juin. Adèle et Cécile
sont élevées par leur mère.
1853-54 Adèle reçoit l’éducation classique des jeunes filles
du patriciat, incluant des leçons de dessin et
d’aquarelle. Elle prend des cours de modelage
dans l’atelier du sculpteur suisse Heinrich Max
Imhof à Rome.
1856
Le 5 avril, Adèle épouse Carlo Colonna à Rome.
L’union est de courte durée. Carlo meurt
subitement d’une fièvre typhoïde, à Paris,
le 18 décembre.
1857
Adèle se rend à Rome pour régler l’affaire de la
succession de son époux. Sa vocation artistique
s’éveille: elle modèle le buste de son défunt
mari ainsi que son autoportrait.
1859
Elle se rend à Paris et fréquente la société brillante
du Second Empire.
1863
Elle expose au Salon sous le pseudonyme de
«Marcello». Le succès de sa Bianca Capello retient
l’attention de l’impératrice Eugénie. Marcello est
désormais conviée à la cour.
1866
Marcello expose à la Royal Academy Exhibition
de Londres.
1867
Elle présente huit œuvres à l’Exposition universelle
(section des États pontificaux).
1868
Voyage en Espagne avec ses amis, les peintres
Henri Regnault et Georges Clairin.
SALLE IX – BIOGRAPHIE
1869
De retour à Rome, elle réalise son chef-d’œuvre, La
Pythie, que Charles Garnier retient pour son
nouvel Opéra.
1870-71 Marcello expose au Salon de 1870. Elle retrouve
la Suisse pendant la guerre puis la Commune.
1872
De retour à Paris, elle poursuit ses études de
peinture sous la direction de Léon Bonnat.
1873
Touchée par le décès de Napoléon III, elle se rend
en Angleterre pour présenter ses condoléances à
l’impératrice. Elle expose cinq bustes à la
Weltausstellung de Vienne.
1874
Elle envoie au Salon un grand tableau, La Conjuration de Fiesque. Le refus de celui-ci par le jury
la blesse profondément.
1875
Elle présente des œuvres au Salon. Lors de l’inauguration de l’Opéra, le public et la critique font
un bel accueil à La Pythie.
1876
Son buste de la baronne de Keffenbrinck présenté
au Salon lui vaut une mention honorable qu’elle
reçoit avec amertume.
1877
Épuisée par sa toux et ses douleurs articulaires,
elle recherche le soleil du Midi de la France et
passe le mois de décembre en Italie.
1878
Marcello se déplace entre Naples, la Suisse et Paris,
à la recherche du climat qui calmera ses douleurs.
Le 2 janvier, une seconde version de son testament
liste les sculptures qu’elle lègue à l’État de Fribourg,
à la condition que soit fondé un musée dédié à
son œuvre.
1879
Installée à Castellammare, elle travaille à la rédaction de ses Mémoires. Elle meurt de la tuberculose
le 16 juillet.
SALLE IX
Édouard-Théophile Blanchard (1844-1879)
Portrait de Marcello,
duchesse de Castiglione Colonna, 1877
huile sur toile
Musée d’art et d’histoire Fribourg
Marcello commande ce portrait en 1875 à Édouard Blanchard,
un jeune peintre français lauréat du Prix de Rome, qu’elle
avait rencontré quelques années plus tôt à la Villa Médicis.
Avec Henri Regnault et Georges Clairin, Blanchard appartient au cercle de ses amis artistes.
Pour Marcello, ce portrait aurait dû perpétuer le souvenir
d’« un artiste sérieux et véritable en même temps que d’une
femme du meilleur monde ». Cette œuvre souligne le statut
aristocratique d’Adèle d’Affry par rapport à sa condition
d’artiste : Marcello, représentée en pied, porte une élégante
robe décolletée en velours noir et une « visite » – une veste
que l’on mettait pour les visites de l’après-midi dans la
bonne société – en soie violette, richement ornée de broderies et de passementeries. L’intérieur, orné de meubles et de
tissus précieux, est l’expression d’un goût raffiné. Seuls
deux objets rappellent explicitement son activité artistique :
le classeur à dessins posé sur la chaise et la copie en bronze
de la Gorgone, un buste qu’elle avait exposé avec succès
au Salon de 1865, qui apparaît dans l’ombre sur le fond à
droite. Édouard Blanchard présente ce tableau au Salon
de 1877, à la grande satisfaction de Marcello qui le qualifie
de « magnifique, et très propre à conserver de moi une
bonne mémoire », avant d’ajouter avec un soulagement
auto-ironique : « Je puis enlaidir maintenant. »
SALLE X
SALLE X
Adèle d’Affry, artiste et duchesse
Filippo Bigioli (1798-1878)
Vittoria Colonna en visite dans l’atelier
de Michel-Ange, 1850
huile sur toile
Collection particulière
Les premiers contacts entre Adèle d’Affry et les Colonna,
une ancienne et prestigieuse famille de la noblesse
romaine, ont lieu à Naples à l’été 1855. Adèle est promise à
Carlo Colonna (1825-1856), qu’elle épouse en avril 1856 dans
la basilique des Saints-Apôtres de Rome. Un mois plus tard,
les deux époux se voient décerner le titre de ducs de
Castiglione Altibrandi. À l’automne, ils se rendent à Paris où
Carlo meurt brusquement de la fièvre typhoïde à l’âge de
trente et un ans.
À la mort de son mari, la jeune veuve se retrouve dans une
situation extrêmement délicate, car les Colonna se montrent
réticents à respecter le contrat de mariage. La pension qui
lui est finalement allouée lui donne de quoi vivre, mais elle
est trop modeste pour lui permettre d’occuper une position
sociale importante et de développer une activité artistique,
le double objectif qu’Adèle s’est fixé en dépit des difficultés
qu’elle doit affronter.
En 1863, Adèle participe pour la première fois au Salon
de Paris sous le pseudonyme de Marcello. Elle choisit ce
nom d’art – un hommage au compositeur vénitien Benedetto
Marcello (1686-1739) – pour échapper aux préjugés de
genre, mais aussi pour dissimuler un statut – la noblesse –
qui a toujours été particulièrement « encombrant » dans
le monde de l’art. Mais en société, Adèle cultive, honore et
revendique son titre de duchesse, qui lui garantit la faveur
des organisateurs des Salons parisiens et le soutien de
Napoléon Ier. Cet expédient rend toutefois moins crédibles
ses efforts pour être traitée, et jugée, sur le même plan que
les autres artistes et pour mériter une médaille.
Filippo Bigioli exerce son art à Rome et dans les Marches.
Peintre de sujets sacrés, mythologiques et historiques, il est
également illustrateur.
Ce tableau est une commande du prince romain Alessandro
Torlonia pour rendre hommage à sa femme, Teresa Colonna,
sœur de Carlo Colonna et donc future belle-sœur d’Adèle
d’Affry. Celle-ci a été probablement impressionnée par cette
toile : bien qu’elle ne la concernât pas directement, elle
condense plusieurs motifs emblématiques de son parcours
humain et artistique, comme ses liens avec Rome et la
famille Colonna, ainsi que sa passion pour Michel-Ange.
Cette toile représente Vittoria Colonna – poétesse et figure
parmi les plus fascinantes de la Renaissance – en visite
à l’atelier du grand maître. Vittoria, en habit de veuve, est
accompagnée par sa fille adoptive et par des personnes
de sa suite. Michel-Ange lui présente son Moïse pendant
qu’un de ses assistants est occupé à travailler à la Vierge
destinée à la tombe de Jules II. On reconnaît dans le fond
un carton préparatoire pour le Jugement dernier.
Dans un décor dépouillé, un jeu savant d’ombres et de
lumières met en valeur l’imposante statue de Moïse, sur
laquelle convergent les regards des personnages qui
écoutent les explications du maître. La figure centrale de la
composition est toutefois la célèbre aristocrate, dont l’habit
noir souligne, par contraste, le teint de neige.
SALLE X
SALLE X
La formation entre Rome et Paris
Née dans une famille fribourgeoise de « guerriers, de magistrats et de diplomates », élevée dans un milieu cultivé
qui favorise son inclination pour les lettres et les arts, Adèle
d’Affry commence par prendre des cours de dessin et
de peinture. Elle poursuit ensuite ses études artistiques
à Rome en 1853-54, dans l’atelier du sculpteur suisse
Heinrich Max Imhof.
Imhof est à cette époque un artiste affirmé, bien intégré
dans la communauté germanophone de la capitale italienne
et avec de nombreux commanditaires internationaux,
comme des membres de la grande bourgeoisie et de la
noblesse allemande, anglaise et russe. Cet auteur d’œuvres
bibliques et mythologiques est également un portraitiste
apprécié. Représentant important du néoclassicisme tardif,
Imhof mêle dans son œuvre des éléments inspirés de
l’enseignement de Bertel Thorvaldsen, qui fut son maître
à Rome, et le langage figuratif du mouvement nazaréen.
Adèle revient dans l’atelier d’Imhof en 1857, peu de temps
après être restée veuve à l’âge de vingt ans. Elle modèle
alors un buste de son mari prématurément disparu, tout
en travaillant à un autoportrait destiné à sa mère – présenté
dans le cadre de cette exposition – et à une statuette pour
une amie. À Rome – berceau de la civilisation occidentale
et destination préférée des artistes de cette époque –, Adèle
approfondit ses connaissances de l’art antique et italien.
Ses carnets de croquis sont remplis de copies de Michel-Ange,
à qui la jeune artiste voue une admiration qui frôle la
vénération. Elle devient ensuite l’élève d’Auguste Clésinger,
dont elle s’éloignera quelques années plus tard mais qui
accompagne ses débuts dans sa carrière de sculptrice.
Ses séjours parisiens commencent en 1859. Adèle passe de
nombreuses périodes de loisirs et de travail dans la capitale
française : elle fréquente le Louvre et la haute société, tout
en s’imposant un programme d’études rigoureux, n’hésitant pas à s’habiller en homme pour fréquenter les cours de
dissection. Elle fait jouer ses relations personnelles pour
entrer aux Beaux-Arts de Paris, mais l’accès à cette prestigieuse institution, interdite aux femmes, lui est quand
même refusé.
Sur le plan intellectuel, la jeune Adèle est parfaitement
consciente des lacunes de son éducation et des obstacles –
liés en particulier à sa condition de femme – qu’elle devra
surmonter pour l’améliorer. À la fin des années 1850, elle
s’impose donc une formation d’autodidacte comprenant
l’étude de l’art, de la philosophie, de la religion, de l’histoire
et de la littérature, des matières dans lesquelles elle entend
se perfectionner grâce à des lectures et aux leçons d’illustres enseignants.
SALLE X
SALLE X
Heinrich Max Imhof (1795-1869)
Autoportrait, vers 1835
Heinrich Max Imhof (1795-1869)
Atalante en train de ramasser les pommes d’or
d’Hippomène (fragment), vers 1834
plâtre
Altdorf, Historisches Museum Uri
Né en 1795 à Bürglen dans le canton d’Uri, Heinrich Max
Imhof se forme dans les ateliers de Johann Dannecker
à Stuttgart et de Bertel Thorvaldsen à Rome. Invité en 1836
à Athènes par Othon de Grèce comme sculpteur de cour
et professeur de sculpture à l’Académie des Beaux-Arts
nouvellement fondée, il s’occupe également de la restauration des Cariatides de l’Erechthéion sur l’Acropole. Il revient
à Rome en 1838 et y demeure jusqu’à sa mort, tout en maintenant des contacts réguliers avec la mère patrie.
Représentant d’un classicisme tempéré par les influences
archaïsantes des peintres du mouvement nazaréen,
il exécute en 1827-1828 David triomphant avec la tête de
Goliath, dont on peut admirer la reproduction photographique du modèle en plâtre. Une version en marbre de
cette œuvre entre dans les collections du prince héréditaire
de Prusse, ce qui apporte la notoriété à l’artiste et lui vaut
de nouvelles commandes. Inspirée du Jason de Thorvaldsen,
cette sculpture présente toutefois un rythme plus lent,
une solidité plus accentuée et des contours moins ciselés.
Un autre chef-d’œuvre de l’artiste est Rebecca au bracelet
(1841), une sculpture en plâtre dont une photographie est
présentée dans cette salle. Cette statue appartient à une
importante série de figures féminines de l’Ancien Testament
qu’Heinrich Max Imhof réalise tout au long de sa carrière.
Cette œuvre, qui n’est pas sans rappeler les Cariatides
d’Athènes, se distingue par la rigueur de sa composition et
la pondération sensible de ses volumes, qui confèrent au
personnage biblique sérénité et équilibre.
Imhof est également un bon portraitiste, comme l’attestent
l’Autoportrait exposé dans cette salle, qui représente
l’artiste autour de sa quarantième année, et le Portrait de
Heinrich Pestalozzi (1746-1827), commandé en 1846 par
la Ville de Zurich pour commémorer le centième anniversaire de la naissance du célèbre pédagogue suisse.
plâtre
Berne, Kunstmuseum Bern
Cette œuvre, dont il ne reste plus que le fragment exposé
dans cette salle, a été exécutée vers 1834 par le sculpteur
suisse Heinrich Max Imhof, qui la vend vers 1841 à l’État de
Berne. Une photographie réalisée dans les années 1860
dans l’atelier romain de l’artiste, présentée dans cette salle,
reproduit le modèle original en plâtre dans son intégralité.
Le mythe raconte qu’Atalante, vierge chasseresse hostile
au mariage, déclare qu’elle épousera seulement l’homme qui
la battra à la course. Étant très rapide, elle vainc et tue tous
ses prétendants. Mais Hippomène l’emporte grâce à un
stratagème : pendant la course, il laisse tomber par terre les
trois pommes d’or que lui a données Aphrodite : la jeune
fille les ramasse, prend du retard et est obligée de l’épouser.
Atalante est représentée ici en train de ramasser une des
pommes, sur laquelle elle pose un regard satisfait ; elle tient
un autre fruit dans sa main gauche.
Imhof choisit un moment fondamental de l’histoire et
concentre sa représentation sur la fascination qu’exercent
les biens futiles qui détournent l’être humain de l’essentiel.
Cette œuvre se caractérise par la coiffure de l’héroïne,
disposée en ondulations souples, et par le drapé serré
et élaboré de son vêtement qui suggère l’impression de
mouvement. En ce sens, cette sculpture est l’une des
premières tentatives d’Imhof pour dépasser les rigides
canons formels du néoclassicisme et pour adopter une
forme de représentation plus réaliste.
SALLE XI
SALLE XI
Femmes artistes
La sculpture au féminin
A l’époque de Marcello, la formation artistique ne passait
plus par l’apprentissage auprès d’un maître, mais par la
fréquentation d’un atelier collectif dirigé par un artiste et
par celle de l’École des beaux-Arts. Or, l’École était réservée
aux hommes jusqu’en 1896 et il n’existait aucun atelier
d’enseignement de la sculpture pour les femmes avant
le début des années 1870. Celles-ci devaient donc avoir les
relations ou les moyens nécessaires pour accéder à des
leçons ou conseils individuels. Aussi étaient-elles généralement issues d’une famille d’artistes ou d’un milieu fortuné,
comme Marcello.
Les femmes artistes vivaient alors une période de transition,
ouvrant parfois des brèches, comme Berthe Morisot dans
le domaine de la peinture. Les expositions étaient pour
elles des outils indispensables et, pourtant, rares sont celles
qui obtinrent des distinctions, soumises qu’elles étaient
à un système dominé par des collègues, jurés et critiques
masculins. Parmi les femmes artistes, plusieurs, à l’instar
de Marcello, provenaient de l’aristocratie comme Mme de
Saulx, Mme de Beaumont ou la princesse Mathilde.
En 1865, le critique Balthasar Robin exprima son étonnement en découvrant les sculptures de Marcello : « Qui
aurait pensé que la main d’une femme – une main fine,
élégante, souple, délicate, aristocratique, une main qui
semblait uniquement faite pour froisser la dentelle et
la soie – pût aussi tailler le marbre, manier l’ébauchoir et
tenir le lourd marteau des sculpteurs ? […] C’est qu’aussi,
devant un bloc de marbre, Mme la duchesse Colonna
n’est plus une femme ; c’est un artiste ». En opposant la
femme à l’artiste, Robin témoigne de l’incrédulité et du
malaise de l’époque face au nombre croissant de sculptrices,
comme du discours autour de la question de la virilité de
l’art, notamment de la sculpture.
Le véritable handicap des sculptrices n’était pas leur
faiblesse physique mais l’impossibilité d’accéder aux lieux
où se formaient les sculpteurs (écoles, ateliers et chantiers
architecturaux). Comme le regrettait Marcello dans une
lettre à sa mère : « On n’imagine pas combien d’être une
femme, cela retarde pour tout. »
SALLE XI
SALLE XI
Marcello (1836-1879)
Hélène ou La Belle Hélène, 1860
Pietro Tenerani (1789-1869)
Marija Nikolaïevna, 1843-46
plâtre
Fribourg, Fondation Marcello
plâtre
© Roma Capitale – Surintendance capitoline
pour les biens culturels – Musée de Rome
La Belle Hélène est la première figure mythologique réalisée
par Marcello. L’artiste commence par travailler à cette
œuvre en collaboration avec le sculpteur Auguste Clésinger,
mais décide ensuite de la terminer seule. Après l’avoir
remodelée plusieurs fois, Marcello achève cette sculpture
à Paris. En 1860, elle signe avec Ferdinand Barbedienne
un contrat pour sa reproduction en bronze qui inaugure sa
carrière de sculptrice professionnelle et lui vaut ses
premiers succès. Une version en bronze de La Belle Hélène
exécutée par le fondeur parisien – aujourd’hui dans
les collections du Musée d’art et d’histoire Fribourg –
est accompagnée ici par un plâtre du même sujet appartenant à la Fondation Marcello.
Fille de Zeus et femme de Ménélas, Hélène était célèbre
pour son extraordinaire beauté. Son enlèvement par Pâris
est à l’origine de la longue guerre de Troie. Dès l’Antiquité,
le mythe d’Hélène inspire d’innombrables œuvres littéraires,
artistiques et musicales. Marcello suit cette tradition et
représente Hélène assise sur un trône dans une pose détendue, les jambes croisées. La robe au drapé soigné laisse
transparaître les formes de son corps, témoignage d’une
étude anatomique attentive. La sensualité de l’héroïne
grecque est toutefois tempérée par un sens de la mesure
néoclassique, redevable à l’enseignement d’Imhof.
La position assise présente également des affinités avec
certaines sculptures de Clésinger – George Sand à l’antique
(1847) et le groupe de Cornélie et ses fils (1861) – que Marcello
connaissait probablement.
On reconnaît aussi une affinité évidente avec l’iconographie
classique de l’Agrippine des Musées du Capitole, aujourd’hui
unanimement identifiée comme une Statue d’Hélène, la
mère de Constantin, remontant au IVe siècle. Le type iconographique, inspiré d’un prototype grec de la fin de l’époque
classique, était très apprécié à l’époque romaine dans
les portraits féminins, car il exprimait une idée de calme
et de solennité.
Pour La Belle Hélène, Marcello s’inspire de la Statue
d’Hélène conservée aux Musées du Capitole, reproduite
ici en photographie. L’iconographie de cette célèbre
sculpture était très répandue au XIXe siècle, où elle a inspiré
de grands sculpteurs comme Canova, Thorvaldsen et
Bartolini. On reconnaît aussi l’influence de la sculpture
capitoline dans le portrait en pied de Marija Nikolaïevna
de Russie exécuté par Pietro Tenerani. En 1845, celui-ci
réalise le modèle en plâtre de cette œuvre, dont on peut
admirer ici une reproduction photographique ; la version
définitive en marbre, postérieure de quelques années,
appartient à la collection de l’Académie des Beaux-Arts
de Saint-Pétersbourg. Tenerani représente la grandeduchesse, fille préférée du tsar Nicolas Ier, assise sur une
chaise. L’attitude contemplative et la finesse du modelé
confèrent à cette figure une aura de noblesse et de
détachement.
SALLE XI
SALLE XI
Marcello (1836-1879)
Portrait de la comtesse Lucie d’Affry
(la mère de l’artiste), 1863-64
Marcello (1836-1879)
Mater amabilis (Portrait de la comtesse
Lucie d’Affry, née Maillardoz),
Carnet XXIX, 1864
marbre
Fribourg, Fondation Marcello
Comme d’autres artistes débutants, encore en panne
de commandes mais en quête d’affirmation, Marcello
commence par peindre le portrait des membres de
son cercle familial. Une de ses premières œuvres est
le portrait de sa mère, Lucie d’Affry.
En modelant son buste, Adèle évite de se complaire dans
des préciosités inutiles. Plutôt que d’emphatiser le statut
social de son modèle, elle préfère scruter son intériorité.
Ainsi, la comtesse porte une robe ornée d’une fleur
sur le décolleté et ses cheveux sont coiffés avec simplicité.
La douceur de son expression souligne l’union de cœur
et d’esprit qui la lie à sa fille.
De par sa composition sobre et mesurée, cette œuvre
présente certaines analogies avec les portraits du sculpteur
Pietro Tenerani, dont la photographie du Buste de Margareth
Canton (1831), marquise de Northampton, est présentée ici.
Après s’être formé à Carrare, Tenerani devient, comme
Imhof, l’élève de Thorvaldsen à Rome. Le goût néoclassique
s’allie dans son œuvre à la tradition sculpturale toscane
du Quattrocento.
La production romaine, néoclassique au sens le plus large
du terme, n’influencera Marcello que passagèrement.
La fréquentation des sculpteurs français – Carpeaux et
Clésinger in primis –, son voyage en Espagne avec Regnault
et Clairin, mais surtout la fascination constante qu’elle
éprouve pour Michel-Ange, l’entraîneront dans d’autres
directions.
encre sur papier
Fribourg, Fondation Marcello
La première destinataire de la riche correspondance de
Marcello est sa mère, la comtesse Lucie d’Affry. Les lettres
de l’artiste à sa mère constituent une moisson d’informations
précieuses sur son développement intellectuel, artistique
et spirituel. En outre, ces missives révèlent le rôle important
de Lucie d’Affry dans les stratégies matrimoniales,
mondaines et artistiques mises en œuvre au bénéfice de sa
fille Adèle. Après la mort prématurée de Marcello,
la comtesse s’occupe de son legs artistique et s’emploie
à faire respecter ses volontés testamentaires, en particulier
à travers la création du Musée Marcello à Fribourg.
Le dessin Mater amabilis, réalisé en 1864 et exposé dans
cette vitrine, est un hommage rendu à la mère de l’artiste.
Le titre latin fait allusion à l’un des motifs préférés de
l’iconographie mariale, qui exalte le dévouement maternel
de la Vierge Marie. Lucie d’Affry est représentée assise dans
un fauteuil, dans une pose royale qui contraste avec le cadre
domestique. La dignité de son port est accentuée par la
couronne de laurier posée sur sa tête. Le lien affectueux qui
l’unit à sa fille se reflète dans l’expression bienveillante
de son visage.
SALLE XII
SALLE XII
Paris 1863 : Marcello,
« un nom d’art et de guerre »
Bianca Capello (1548-1587)
C’est au Salon de 1863 qu’Adèle se révéla artiste: Marcello
est née. Elle y exposa trois bustes qui lui valurent une
mention honorable, le Portrait du comte Gaston de Nicolaÿ,
le Portrait de Mme la Duchesse de San Cesario et surtout sa
Bianca Capello, qui séduisit le public et la critique.
En exposant au Salon sous un pseudonyme, la duchesse
Colonna a voulu échapper à son statut social et être prise au
sérieux par la critique et par ses pairs. Mais sa participation
ne passa pas inaperçue et le secret de polichinelle fut
rapidement découvert. Des journaux publièrent sa généalogie et annoncèrent que l’impératrice Eugénie, qui avait
distingué son talent dès l’inauguration, l’avait invitée à
Fontainebleau.
En quelques semaines, Marcello était devenue une personnalité du Tout-Paris impérial, ce qui compromit son désir
d’insertion dans le monde de l’art en la différenciant définitivement des autres créateurs.
Marcello consacre à la célèbre grande-duchesse toscane une
de ses œuvres les plus célèbres, dont nous présentons
dans cette salle plusieurs versions. Héroïne fascinante mais
controversée, Bianca Capello est considérée comme l’une
des femmes fatales de la Renaissance. L’histoire de cette
aristocrate est d’abord tenue sous silence par l’historiographie officielle du grand-duché de Toscane, avant d’être
révélée au XVIIIe siècle et de triompher au siècle suivant.
Cette noble vénitienne s’enfuit à l’âge de quinze ans avec
le marchand florentin Pietro Bonaventuri. Son père mobilise
la diplomatie pour la ramener à Venise, mais il doit se
résigner après la proclamation des noces de la jeune fille.
À Florence, la jeune femme conquiert les faveurs
de Francesco de’ Medici, dont elle devient la maîtresse.
La liaison de Bianca et du grand-duc est entourée de circonstances et de morts troubles, à commencer par celle de son
mari, assassiné en 1572. Francesco de’ Medici épouse Bianca
après la mort de Jeanne d’Autriche (1578), sa première
femme.
Peu aimée des Florentins, Bianca sera toujours tenue
à l’écart par la famille Médicis. Cette histoire a un épilogue
tragique : en 1587, Francesco et Bianca meurent brusquement, à quelques heures de distance, dans leur villa de
Poggio a Caiano. Les chroniques rapportent les rumeurs
les plus variées : de l’empoisonnement au suicide, jusqu’au
meurtre commis par le frère de Francesco, le cardinal
Ferdinando. Une analyse scientifique récente effectuée sur
le cadavre du grand-duc apporte une explication beaucoup
plus prosaïque : le couple serait mort du paludisme.
SALLE XII
SALLE XII
Marcello (1836-1879)
Bianca Capello, post 1879
Marcello (1836-1879)
Bianca Capello, 1863
marbre
Musée d’art et d’histoire Fribourg
bronze patiné et doré
Fribourg, Fondation Marcello
En 1863, après avoir adopté un pseudonyme masculin
évoquant l’Italie et la Renaissance, la sculptrice participe
pour la première fois au Salon de Paris. À cette occasion,
elle présente avec succès sa Bianca Capello. Avec cette
œuvre, qui occupe une place importante dans la sculpture
française du XIXe siècle, l’artiste s’écarte de la tradition
néoclassique pour se tourner vers l’art florentin de la fin
de la Renaissance.
Il existe plusieurs versions de cette sculpture. L’exemplaire
en marbre exposé ici a été réalisé après la mort de l’artiste,
selon ses volontés testamentaires, pour être intégré dans
son legs à l’État de Fribourg.
Pour le caractère général du buste, Marcello s’inspire d’un
dessin de Michel-Ange, la célèbre Tête idéale, plus connue
comme Zénobie, reine de Palmyre (1522). Mais elle transforme considérablement le modèle en recouvrant sa poitrine
d’un voile, et surtout en remplaçant le visage olivâtre
et oriental de la reine par un profil très grec, et donc plus
classique. On retrouve par ailleurs l’influence de l’art
de Benvenuto Cellini et de Jean Goujon dans la richesse
des ornements, finement ciselés qui enrichissent la robe
de Bianca Capello, et dans sa coiffure très sophistiquée.
Il existe plusieurs versions de cette sculpture, car Marcello
avait cédé les droits de reproduction de Bianca Capello à
Ferdinand Barbedienne. Selon les termes du contrat passé
entre le fondeur parisien et l’artiste, celle-ci, en tant que
propriétaire du modèle, doit recevoir un certain pourcentage
sur la vente de chaque pièce ; chaque exemplaire est unique
et doit se distinguer des autres par des détails précis ; enfin,
l’artiste a le droit de parfaire les reproductions.
Les deux exemplaires en bronze exposés ici ont effectivement
une composition générale analogue, mais ils se différencient
par la patine et la tonalité, qui est plus sobre et contenue
dans la version de Bianca appartenant à la Fondation
Marcello. Suivant le goût de l’époque pour la polychromie,
l’autre exemplaire se distingue par une utilisation plus
hardie de la couleur, qui souligne les volumes par effet de
contraste, tout en exaltant la préciosité de la robe et des
bijoux.
Classée par l’artiste parmi ses « bustes héroïques », cette
sculpture exprime une idée de force. Le caractère indompté
de l’héroïne transparaît dans la physionomie sérieuse du
visage, son regard fier, sa posture droite et ses dimensions
imposantes. Dans le texte qu’elle publie dans le catalogue
de l’exposition de 1863, Marcello choisit de présenter
l’héroïne sous son aspect le plus sombre, en lui attribuant
les crimes qui ont constellé sa vie. Conférant un caractère
ambigu à sa Bianca – à la fois allégorie de la liberté féminine
et emblème de la scélératesse morale –, Marcello crée une
image très forte et empreinte d’un charme toujours vivant.
SALLE XIII
SALLE XIII
« L’Italie devint pour moi
une patrie d’adoption »
L’atelier de « Papa Giulio »
Marcello séjourna régulièrement en Italie, l’une de ses
patries de cœur, qui fut également à l’origine de son éveil
à l’art. En 1869, elle s’installe à Rome, dans son atelier
de Papa Giulio, pour y demeurer de longs mois et réaliser
ses plus grands chefs-d’œuvre : La Pythie, que Charles
Garnier acquerra pour décorer son nouvel Opéra mais aussi
son Chef abyssin. A Rome elle rêve d’une vie de peintre
et pose les jalons d’un apprentissage approfondi de la peinture et d’un perfectionnement du dessin, grâce aux
conseils d’Ernest Hébert et de Mariano Fortuny y Marsal.
Elle parcourt les rues de la ville, observe les types humains
méditerranéens qui la fascinent tant, ainsi que la population dans ses activités quotidiennes.
Rome lui permet enfin de partager sa passion pour la
musique avec le compositeur Charles Gounod, qui l’admire
profondément, et Franz Liszt qu’elle y rencontre et dont
elle réalise une petite statuette.
En 1869, Marcello installe son atelier en un lieu dit du
« Papa Giulio », un nom qui évoque des terrains situés entre
le Tibre et les monts Parioli que Jules III (1550-55) avait
achetés trois siècles plus tôt pour y bâtir une villa.
La nouvelle habitation de Marcello a été construite par
la puissante famille des Cesi, qui lui confère un luxe
quasi pontifical, avec de grands jardins, des nymphées,
des fresques et des sols ornés de marbres antiques.
Entre 1800 et 1817, cette villa est la résidence du prince
Stanislas Poniatowski, qui fait réaménager toute la propriété
par Giuseppe Valadier. À l’époque de Marcello, ces splendeurs appartiennent désormais au passé, même si le lieu
conserve son prestige en vertu de sa position géographique
et de son charme artistique : la sculptrice, qui peut admirer
la coupole de Saint-Pierre depuis la terrasse plongée
dans la végétation, se trouve tout à côté de la Villa Médicis,
où elle fréquente un cercle de jeunes artistes français.
Surtout, la duchesse n’est qu’à quelques pas de l’artiste
qu’elle admire sans doute le plus à cette époque, Mariano
Fortuny, qui a lui-même installé son atelier dans les
anciennes écuries de la villa.
Marcello dispose de salles spacieuses, en particulier celles
du nord qui reçoivent la lumière la plus régulière, la meilleure pour exposer ses sculptures. Les salles du premier
étage sont décorées de paysages égyptiens et indiens
derrière de fausses architectures, un décor exotique qui a
toutes les qualités requises pour satisfaire sa soif d’Orient.
Il est même possible que Marcello se soit inspirée de
ces vues pour réaliser La Pythie, un personnage que son
imagination lui présente comme l’une des « devineresses
de l’Inde ». L’artiste se sert de la grotte du nymphée pour
exposer ses premiers modèles de la statue, créant ainsi
un lieu préfigurant le vaste espace qui s’ouvre sous le grand
escalier de l’Opéra Garnier, où La Pythie trouvera son
emplacement définitif.
Grégoire Extermann
SALLE XIII
SALLE XIII
Marcello (1836-1879)
La Gorgone, post 1879
Marcello (1836-1879)
Bacchante fatiguée, 1869
marbre
Musée d’art et d’histoire Fribourg
marbre
Musée d’art et d’histoire Fribourg
En 1865, Marcello présente avec succès La Gorgone au
Salon de Paris. Il existe de ce buste plusieurs versions en
marbre, dont celle qui est exposée ici, posthume, ainsi
que plusieurs exemplaires en bronze réalisés par le fondeur
parisien Ferdinand Barbedienne. Un modèle en cire documentant la phase préliminaire de sa création est également
présenté dans cette salle.
Comme la Rosina, cette sculpture reflète l’amour de Marcello
pour le belcanto : dans ses Mémoires, l’artiste précise que
l’idée de la réaliser lui a été inspirée par l’air de Gorgone du
Persée de Jean-Baptiste Lully (1632-1687), qu’elle avait
entendu interprété par la cantatrice Mary Judith Revirard.
Monstre ailé, armé de grands crocs et à la tête couverte
de serpents, la Gorgone transforme en pierre tous ceux qui
la regardent dans les yeux. Elle est tuée par Persée, qui
parvient à la décapiter grâce à un stratagème. Dès l’Antiquité,
cette figure mythologique constitue une source d’inspiration constante pour les artistes, mais son image connaît
au fil des siècles une transformation radicale : le masque
monstrueux cède la place à un beau visage de femme,
déformé par l’inquiétude et par le tourment intérieur.
Connotée par ses attributs classiques – la chevelure grouillante de serpents et les ailes sur la tête – La Gorgone de
Marcello présente des éléments inspirés de Michel-Ange
dans la posture et les traits du visage. Son caractère
héroïque est souligné par la cuirasse en écailles de serpents
qui protège sa poitrine, ainsi que par la peau de lion,
symbole herculéen, qui orne sa tête. Marcello représente
la Gorgone dans toute sa vigueur et dans sa beauté hautaine,
en nous offrant un vigoureux portrait de femme.
L’inscription placée sur la base – « Marcello, Roma 1869 »–
fournit des indications précises sur la réalisation de cette
œuvre. Terminée au début de 1869 dans l’atelier romain
de l’artiste, la Bacchante fatiguée est présentée au printemps de cette même année au Salon de Paris, où elle
remporte un bon succès, en dépit de quelques critiques.
Le marbre est acheté par le duc de Bauffremont ; son fils le
donnera en 1891 au Musée Marcello de Fribourg pour
respecter les volontés testamentaires d’Adèle.
L’artiste a représenté la suivante de Bacchus à la fin d’un
rite organisé en son honneur. Dans le respect de l’iconographie traditionnelle, la tête de la femme est ceinte de feuilles
de vignes et de grappes de raisin ; la danse frénétique une
fois finie, son vêtement retombe en désordre, laissant entrevoir le sein de la bacchante. La jeune femme a les yeux
et les lèvres entrouverts, et son expression évoque un état
de langueur empreint de tristesse. La posture de la tête,
légèrement inclinée, et la douceur du modelé renvoient au
célèbre Bacchus de Michel-Ange. L’aspect androgyne
s’explique en partie par le choix des modèles : selon la tradition familiale, le peintre espagnol Eduardo Rosales aurait
inspiré à Marcello les traits de la Bacchante, et dans une lettre
à sa mère de février 1869, la sculptrice précise que c’est une
Américaine qui a servi de modèle pour le cou.
SALLE XIII
SALLE XIII
Marcello (1836-1879)
Portrait de Franz Liszt, 1869
Marcello (1836-1879)
La Rosina, 1869
plâtre original
Fribourg, Fondation Marcello
terre cuite
Musée d’art et d’histoire Fribourg
Marcello exécute cette sculpture à Rome pendant l’été 1869.
À cette époque, l’artiste travaille à la réalisation d’une œuvre
monumentale, La Pythie – son chef-d’œuvre –, et pour
se distraire de cette entreprise ardue, elle modèle plusieurs
œuvres de dimensions réduites, comme le Portrait de
Franz Liszt et La Rosina.
Franz Liszt s’était retiré depuis plusieurs années dans la
Ville Éternelle où il continuait sa carrière de virtuose et
de compositeur. Dans une lettre à sa mère, Marcello affirme
que Liszt s’est déclaré satisfait de l’image qu’elle a donnée
de lui.
Bras et jambes croisés, le compositeur est présenté dans une
attitude pensive et concentrée. On retrouve ici la pose
ainsi que l’attitude détendue et informelle du Monument
à un savant des antiquités égyptiennes (1757-58), réalisé
par Vela plus d’une décennie plus tôt. Quant à la composition
d’ensemble de l’ébauche de Vela, elle rappelle le magistral
Monument à Tommaso Grossi exposé au rez-de-chaussée
du musée, dont il diffère toutefois par le rendu de la physionomie et par les attributs.
Cette statuette représente un personnage clé du Barbier de
Séville : Rosine, la belle et riche orpheline pour l’amour
de laquelle se disputent deux rivaux. L’opéra-bouffe composé
par Gioacchino Rossini remporte un grand succès dès ses
premières représentations en 1816. Mélomane et passionnée
d’opéra, Marcello se lie d’amitié avec le compositeur italien.
Représentée en pied, Rosine est vêtue d’une robe à l’espagnole ; dans sa main droite, désormais manquante, elle
tenait probablement un éventail, alors qu’elle tient dans la
gauche une lettre destinée au comte d’Almaviva, le soupirant qu’elle aime. Marcello comprend pleinement l’essence
du personnage et souligne sa capacité de séduction, mais
aussi sa finesse et sa détermination moderne.
Les traits de Rosine s’inspirent de ceux d’Isabel de Madrazo
y Garreta, belle-sœur de son ami, le peintre Mariano Fortuny,
dont l’atelier romain se trouvait à quelques pas de celui de
Marcello. Adèle, qui admirait l’artiste catalan, se proposait
de « faire en sculpture ce que Fortuny fait en peinture ».
Et en effet, la pose de La Rosina évoque celle de l’une des
figures du célèbre Mariage espagnol que Fortuny achève
à Rome au cours de ces mêmes années.
SALLE XIV
SALLE XIV
Le voyage en Espagne (1868)
Marcello (1836-1879)
Portrait du général
Lorenzo Milans del Bosch y Mauri, 1868
plâtre rose
Musée d’art et d’histoire Fribourg
(dépôt de la Fondation Marcello, Fribourg)
Le voyage de Marcello en Espagne fut déterminant pour
elle à maints égards. D’abord, les lettres de recommandation
de Mérimée lui ouvrirent grand les portes du musée
du Prado où elle pouvait admirer l’art espagnol et recopier,
à sa guise, les toiles de Vélasquez qui avaient fasciné
Edouard Manet avant elle.
Ensuite, ce périple est une équipée à trois qui ne manque
pas de péripéties puisque Marcello voyage avec ses compagnons les peintres Regnault et Clairin. Pris au piège
d’une situation politique espagnole agitée, les trois artistes
font la connaissance du général révolutionnaire Milans
del Bosch y Mauri, dont ils réalisent le portrait sculpté et
peint. Finalement, de Madrid, Marcello décrit à sa mère
l’inspiration déterminante qu’elle y a trouvée pour développer son art : « … je m’incline à présent vers des sujets plus
modestes. Je vais aborder la nature, avec audace, et avant
de me lancer dans la sculpture de l’avenir. […] Nul plus que
les maîtres espagnols anciens et modernes n’a eu ce don
en partage et je vois ici bien net ce que c’est que bien faire ».
Le buste de Milans del Bosch exécuté par Marcello fait
pendant au portrait inachevé du général peint par
Regnault. Cette salle contient également une autre œuvre
réalisée par le peintre français pendant son séjour en
Espagne, Le Muletier espagnol, qu’il a probablement
donnée à Marcello en souvenir de leur voyage. Ce tableau
fait partie du legs destiné par Marcello à l’État de Fribourg.
Corps de garde espagnol (1869) de Georges Clairin faisait
également partie de la collection personnelle de Marcello.
L’artiste traite son sujet avec une grande maîtrise grâce
à des jeux subtils d’ombre et de lumière. Cette œuvre, qui
date également du voyage en Espagne, révèle les tendances
orientalistes de Clairin.
En 1868, pendant son voyage en Espagne, Marcello, Henri
Regnault et Georges Clairin réalisent différents portraits
du général Lorenzo Milans del Bosch y Mauri. Ami du
général et homme politique Joan Prim, Milans del Bosch
participe à la révolution de 1868 qui provoque l’abdication
d’Isabelle II.
Marcello est séduite par le tempérament vif du général,
qu’elle décrit comme un homme « plein d’esprit, un petit
vieux militaire, le plus curieux et amusant que l’on puisse
trouver… c’est un Méphisto héroïque, moqueur, gentil,
un type rare ! Le chat botté, un Condé, un croisement entre
la vieille garde et un condottiere de la guerre de Trente ans,
un être bizarre ».
Marcello comprend pleinement sa personnalité exubérante
et réalise un portrait à la fois efficace et inspiré. Les traits du
militaire espagnol sont reproduits avec une grande fidélité :
le visage creusé, le front encadré d’une chevelure fournie
et ébouriffée ; sous les grosses moustaches, des lèvres à peine
entrouvertes. La tête du modèle est tournée vers la droite,
où se dirige aussi son regard. Le modelé sensible et nerveux,
allié à la légère torsion qui met en évidence la tension
musculaire du cou, confère à la composition un mélange
de dynamisme et de vivacité.
SALLE XV
SALLE XV
« L’Orient, l’Orient ! C’est là que je ferais
de belles choses »
Marcello (1836-1879)
Chef abyssin, 1869-70
La fascination de Marcello pour l’Orient suit un courant
fondamental de l’art du XIXe siècle, l’Orientalisme,
nourri par les récits de voyages en Egypte et au Maroc qui
inspirèrent peintres, musiciens et écrivains. Si Marcello
n’a jamais voyagé en Orient, elle en a toujours rêvé et
lorsqu’elle séjournait en Espagne ou en Italie, elle recherchait avec passion des « types » humains méditerranéens,
hommes et femmes, qui l’inspiraient pour la réalisation
de dessins orientalisants. Lors de son séjour à Rome,
en 1869, elle rencontre un mystérieux « arabe » qui deviendra le célèbre Chef abyssin qu’elle expose au Salon de 1870.
Aussi le Chef indien fait partie des œuvres orientalisantes
de Marcello.
Le tableau démontre ses talents de peintre, qu’elle développe
dans les années 1870, dans la filiation iconographique et
chromatique d’Eugène Delacroix.
A la même époque, les artistes s’intéressent aussi aux sujets
de l’homme et de la femme noirs qui apparaissent chez
Charles Cordier mais aussi chez Jean-Baptiste Carpeaux et
chez Marcello. Maître de la sculpture polychrome, Cordier
se convainc au cours de ses expéditions en Afrique et en
Orient que chaque ethnie possède une beauté particulière.
Ses bustes « ethnographiques » – et notamment l’œuvre
exposée dans cette salle, Nègre en costume algérien
(ca. 1860) – sont caractérisés par la noblesse et la fierté des
modèles et par la mise en valeur magistrale des différents
matériaux.
Le Marchand d’esclaves (1847-52) de Vincenzo Vela, qui est
lui aussi l’expression du goût orientalisant de l’époque,
rappelle en particulier la production de Francesco Hayez
sur le même thème. Ce groupe sculpté, qui se distingue
par le rendu naturaliste de la pose et des détails, souligne
l’ambivalence entre l’expression mélancolique et la sensualité innocente de la jeune femme, des éléments qui
rappellent, malgré des perspectives différentes, la plus
célèbre Prière du matin (1846) exposée au rez-de-chaussée
du Musée (Salle XXI).
L’intérêt de Marcello pour l’Orient, pour un ailleurs rêvé et
désiré, donne lieu à une série d’œuvres plastiques et picturales, comme le Chef abyssin. Marcello réalise ce buste
en 1869 dans son atelier romain. C’est également au cours
de cette période, particulièrement féconde et riche de
rencontres et d’expériences, que l’artiste achève son chefd’œuvre, La Pythie.
Dans la Ville Éternelle, inépuisable source d’inspiration,
la sculptrice rencontre un homme, un « type méditerranéen »,
qui affirme être arabe. Elle fait de lui plusieurs portraits
et l’immortalise dans ce buste majestueux. Mais cet homme
est aussi un modèle difficile et ombrageux et Marcello
apprend par la suite qu’il s’agit en réalité d’un brigand
romain, qui finira fusillé en 1876.
Le visage du personnage, mis en relief par un savant drapé
d’étoffes, se caractérise par des pommettes saillantes,
une barbe fournie et bouclée et un regard à la fois perçant
et méfiant. Avec son port fier, il semble entouré d’une aura
de mystère et de noblesse que le titre de l’œuvre ne fait
que confirmer.
Marcello présente avec succès ce buste au Salon de 1870.
Le marbre exposé ici a été acheté en 1873 par l’État français
et se trouve actuellement dans les collections du musée
d’Orsay. Il existe plusieurs versions en bronze de cette
œuvre, dont celle qui est présentée dans cette salle, appartenant à la Fondation Marcello de Fribourg.
marbre, avec une agrafe en bronze et lapis sur l’épaule
Paris, musée d’Orsay
SALLE XVI
SALLE XVI
Le triomphe de La Pythie
Marcello (1836-1879)
La Pythie, 1870
bronze
Paris, Palais Garnier, Opéra de Paris
© Jean Pierre Delagarde (avec l’aimable autorisation
de l’Opéra national de Paris)
L’acquisition par Charles Garnier de La Pythie qu’il avait
découverte dans l’atelier romain de Marcello fut pour
elle une consécration professionnelle. A l’Opéra Garnier,
La Pythie occupe une place agencée pour elle, entre les
rampes du grand escalier, encadrée par une voûte végétale
et un bassin.
L’œuvre annonce une nouvelle perception du corps que
la sculptrice traite avec un degré d’expression et de tension
inégalé dans sa production. Elle s’inspire des dernières
œuvres et tendances en vogue à l’époque, à l’instar des réalisations de son ami Carpeaux.
La Pythie de Marcello est orientalisante, elle incarne une
femme habitée par ses transes dont le corps en torsion
exprime la fébrilité intérieure. Dans une lettre à Carpeaux,
Marcello la décrit ainsi : « … une sorte de gitana agitée par
le don fatidique […]. Je ferai peut-être mieux dans l’avenir
[…] mais je ne pense pas produire une œuvre plus hardie et
plus forte dans son impulsion. J’ai voulu représenter la
patronne des artistes, de ceux bien entendu qui évoquent
l’Esprit directement. »
Réalisée à Rome en 1869 et terminée au début de 1870,
La Pythie est incontestablement le chef-d’œuvre de Marcello,
sur lequel repose sa célébrité. La version finale en bronze
– reproduite ici dans un tirage photographique –, révèle le
caractère monumental de cette sculpture, qui mesure
presque trois mètres de haut. La Pythie, achetée en 1870
par l’architecte Charles Garnier pour le nouveau théâtre
de l’Opéra de Paris, en construction à cette époque, occupera
une position privilégiée au sein du prestigieux édifice, dans
une niche au pied de l’escalier monumental.
Cette œuvre constitue une étape importante dans l’évolution
artistique de Marcello, qui s’était surtout concentrée
jusque-là sur la réalisation de bustes. Exposée en 1870 au
Salon de Paris, cette sculpture divise les critiques, suscitant
tantôt une grande admiration, tantôt des avis négatifs en
raison de son caractère anticlassique et dramatique. Mais
Marcello finit par obtenir un véritable triomphe critique
en 1875, quand l’Opéra est inauguré : dans le décor grandiose
créé par Charles Garnier, La Pythie connaît une nouvelle
vie qui perpétuera le nom de sa créatrice.
SALLE XVI
SALLE XVI
Marcello (1836-1879)
La Pythie, ca. 1880
De la terre au marbre :
l’art de la sculpture
réduction en bronze
Musée d’art et d’histoire Fribourg
Exécutée vers 1880 pour obéir aux volontés testamentaires
de l’artiste, cette œuvre reproduit à échelle réduite,
et avec quelques petites variantes, la version monumentale
exposée à l’Opéra Garnier.
Dans la Grèce antique, la Pythie est une prêtresse du culte
d’Apollon à Delphes. Après avoir mâché des feuilles de
laurier et absorbé les vapeurs qui s’exhalent d’une fente
de son sanctuaire, elle entre en extase et rend les oracles
du dieu, sous la forme de mots incohérents interprétés par
un prêtre.
Marcello suit la tradition antique et représente la prêtresse
assise sur un tripode. Avec un ton plus libre, l’artiste confère
toutefois un caractère individuel et une forte sensualité,
de type oriental, à son personnage, dont les traits rappellent
ceux d’une gitane. La devineresse est représentée en état
de transe. La tension qui l’anime se traduit par une torsion
forte et dynamique, accentuée par le drapé serré et par le
mouvement de sa robe. La forme serpentine du corps, inspirée de Michel-Ange, est soulignée par les lignes sinueuses
des figures en forme d’animaux qui s’entrelacent au bas
du piédestal – probable allusion à Python, le monstre vaincu
par Apollon – et par les serpents qui grouillent au milieu
de la chevelure fournie et ébouriffée de la prêtresse.
L’artiste a modelé la figure en se servant du moulage d’après
nature de son propre buste, présenté dans l’exposition,
ainsi que des moulages d’un de ses pieds et de la partie d’une
jambe. Les traits de la Pythie sont probablement inspirés
de ceux de Clémence de Reynold, cousine de Marcello ; mais
des sources familiales attestent également une ressemblance
avec la sculptrice.
De l’idée qui germe dans l’esprit de l’artiste à la réalisation
finale, l’art de la sculpture est complexe. Il présuppose de
nombreuses étapes et divers intervenants. Grâce à l’exemple
du buste de la Baronne de Keffenbrinck, on peut suivre
certaines de ces étapes : croquis, plâtre témoignant de la
composition choisie par l’artiste et, enfin, le buste final en
marbre destiné à la commanditaire.
Comme nombre de ses confrères, Marcello était en premier
lieu modeleuse. Elle réalisait seule les phases d’esquisse.
Pour le modelage de grandes compositions nécessitant des
armatures complexes, elle collaborait avec des praticiens
qui réalisaient également la « mise aux points » et la première
taille du marbre, en plaçant des points de repère sur le
modèle définitif qui étaient ensuite reportés sur le bloc à
tailler. Le praticien achevait ensuite les détails de la sculpture
sous la direction de Marcello qui, semble-t-il, ne prit
elle-même le ciseau pour parachever ses œuvres que très
rarement dans sa carrière.
SALLE XVI
SALLE XVI
« Cette adorable peinture »
Marcello (1836-1879)
Berthe Morisot , 1875
huile sur toile
Musée d’art et d’histoire Fribourg
Dans ses Mémoires, Marcello témoigne de sa passion pour
la peinture mais aussi de la difficulté qu’elle éprouve à la
pratiquer pleinement. Elle écrit : « De tout temps, la peinture
me plut mieux que la sculpture. Pourquoi alors, me dira-t-on,
vous être tournée vers cette dernière d’emblée ? Parce que
je me trouvais dépourvue des moyens d’étudier la peinture
selon l’école qui m’attirait ».
Pourtant, durant ses dernières années de vie, c’est vers celle-ci
qu’elle se tourne, bénéficiant des conseils de peintres
expérimentés comme Alfred van Muyden ou Léon Bonnat.
Marcello est influencée par des sources d’inspiration
diverses. Parmi les anciens, elle cite Vélasquez qu’elle étudia
durant son voyage en Espagne en 1868. Mais il y a aussi
Rubens, Titien ou Véronèse. Son maître contemporain est
Delacroix, le défenseur de la liberté de la touche et de
l’importance de la couleur, qui lui inspire des aquarelles
et des huiles pétries de matière et d’émotion. Dans la veine
romantique, elle évoque ses copies d’après Géricault dont
elle goûte la force d’expression.
Le portrait est l’un des genres picturaux pratiqués par
Marcello. Dans cet exercice, l’artiste renonce presque
complètement au rendu des détails et se concentre sur la
caractérisation psychologique. Elle utilise souvent un
fond neutre pour mieux mettre en valeur le modèle et pour
choisir la pose, il lui arrive de s’inspirer de photographies,
dont elle possède une riche collection. C’est le cas de ce
portrait de Berthe Morisot, terminé en 1875.
Les deux femmes s’étaient liées d’amitié une dizaine
d’années plus tôt à Paris, chez le portraitiste Léon Riesener,
à qui Marcello avait loué un appartement.
Le peintre impressionniste, belle-sœur d’Édouard Manet,
est représentée dans une élégante robe de satin rose.
Assise sur une chaise de bal, elle s’appuie sur le dossier en
tenant un éventail dans sa main droite. La luminosité
de la mise et du teint est accentuée par le halo qui enveloppe
la tête et le buste.
La composition générale de ce tableau respecte les canons
du portrait traditionnel. Marcello exprime néanmoins
une sensibilité moderne dans l’interprétation de la féminité
et de la personnalité de Berthe Morisot, représentée dans
une attitude décontractée. La pose, le choix des attributs,
mais aussi le rendu de la robe révèlent par ailleurs l’influence
d’Édouard Manet, qui avait peint Berthe Morisot
précédemment.
SALLE XVII
SALLE XVII
Amis artistes : un échange professionnel
Marcello (1836-1879)
Portrait de Jean-Baptiste Carpeaux, 1875
plâtre
Fribourg, Fondation Marcello
Delacroix, Courbet, Hébert ou Carpeaux, tous ont connu
et fréquenté Marcello. Chacun d’eux fut fasciné par sa
personnalité, son indépendance et son intelligence. Que
recherchait-elle en côtoyant ces créateurs ? En premier lieu,
un échange professionnel et des conseils avisés pour celle
qui n’a jamais pu suivre une formation académique alors
encore refusée aux femmes.
Eugène Delacroix, de près de quarante ans son aîné, fut son
maître inégalé en matière de peinture, dont elle admirait,
collectionnait et recopiait les oeuvres. Jean-Baptiste Carpeaux,
célèbre sculpteur du Second Empire, fut l’ami et le collègue
qui l’inspira dans ses sculptures comme en témoigne le
dialogue que l’on découvre dans plusieurs de leurs oeuvres
contemporaines. Gustave Courbet réalisa son portrait
et figure, par le biais d’un tableau de paysage, dans sa collection personnelle. Ernest Hébert suivit sa reconversion
à la peinture et sa pratique régulière du dessin, notamment
pendant son séjour romain de 1869.
Important représentant de la sculpture française de la
seconde moitié du XIXe siècle, Jean-Baptiste Carpeaux (18271875) est l’un des artistes préférés de la famille impériale.
Sa production s’écarte de l’idéal néoclassique et académique
pour privilégier le clair-obscur et les effets picturaux. Élève
de François Rude, il reçoit en 1854 le prestigieux Grand Prix
de Rome. Carpeaux rencontre Marcello en 1861, lors de
son séjour à la Villa Médicis. Unis par leur admiration
commune pour Michel-Ange et Delacroix, les deux artistes
cultivent une amitié durable et féconde jusqu’à la mort
de Carpeaux en 1875.
C’est de cette année que date le Portrait de Jean-Baptiste
Carpeaux. Le visage du sculpteur, aux joues creusées, est
marqué par la maladie. Miné physiquement mais pas intellectuellement, il regarde au loin dans une attitude pensive.
Ce buste – l’un des meilleurs portraits de Marcello –
se caractérise par l’expressivité du modelé et par sa force
d’introspection.
En témoignage de l’amitié qui liait les deux artistes, un
délicat Portrait de la duchesse de Castiglione Colonna,
réalisé par Carpeaux pendant un séjour à Givisiez à l’été
1864, est exposé dans cette salle. En outre, l’exposition
présente une photographie de La Marseillaise de François
Rude, le maître de Carpeaux, accompagnée d’une dédicace
à Marcello : clin d’œil de sculpteur et témoignage de
filiation.
SALLE XVII
SALLE XVII
Adelaide Maraini-Pandiani (1836-1917)
Adelaide Maraini-Pandiani (1836-1917)
Mater dolorosa, vers 1900
bronze
Ligornetto, Museo Vincenzo Vela
(dépôt de la Confédération suisse)
Même s’il est très probable qu’Adèle d’Affry et Adelaide
Maraini-Pandiani ne se connaissaient pas, leurs parcours
biographiques et professionnels présentent certaines
similitudes. Ces deux artistes ont le même âge et occupent
des positions sociales importantes, mais dans des contextes
différents ; dotées d’un tempérament brillant et de grandes
qualités intellectuelles, elles parviennent à s’affirmer
dans un domaine artistique traditionnellement masculin.
Née à Milan dans une famille d’artistes, Adelaide Pandiani
se forme dans l’atelier de son père Giovanni, un sculpteur
talentueux actif dans la ville lombarde, et elle suit des cours
à l’académie de Brera. En 1862, elle épouse Clemente Maraini,
ingénieur et industriel de Lugano lié à la gauche radicale.
Une fois installée à Rome avec son mari, elle anime l’un des
salons culturels les plus dynamiques de la ville, fréquenté
en particulier par l’écrivain Carlo Dossi. Elle séjourne
régulièrement dans sa splendide villa de Lugano en style
néo-pompéien, démolie à la fin des années 1970.
Cette personnalité artistique aux qualités indéniables,
mais encore peu étudiée, est particulièrement active entre
1870 et 1900. Auteur d’œuvres d’inspiration littéraire,
mythologique et religieuse, de monuments funéraires et
de portraits, elle prend part à d’importantes expositions en
Italie et en Suisse. Tout comme Marcello et Vincenzo Vela,
elle participe en 1867 à l’Exposition Universelle de Paris.
À cette occasion, la sculptrice fribourgeoise présente au
public huit œuvres, dont Hécate, exécutée à la demande
de Napoléon III, tandis que Vela remporte un grand succès
avec son Napoléon mourant, que l’État français achète
à l’initiative de l’empereur. On peut admirer dans la salle II
au rez-de-chaussée le modèle en plâtre de l’œuvre. En 1867,
Adelaide Maraini expose avec succès Anges de la prière et
anges de la résurrection, un relief dans le goût néo-renaissant.
Son langage évolue ensuite vers des effusions tardo-romantiques, un certain naturalisme d’inspiration XVIIIe siècle
et des accents symbolistes.
L’expression Mater dolorosa – qui provient du récit de la
Passion dans l’Évangile selon saint Jean et du premiers vers
de la séquence liturgique du Stabat Mater – fait référence
à la Vierge souffrante au pied de la croix. Au XIXe siècle,
avec l’affirmation du romantisme, l’humanité et les sentiments du Christ sont mis en valeur et le culte marial connaît
un nouvel élan.
Cette œuvre, conçue comme un ex voto pour la reine
Margherita après l’assassinat du roi Humbert Ier en 1900,
s’inscrit dans la tradition iconographique de Notre-Dame
des sept Douleurs que l’artiste interprète avec une extrême
sensibilité. La sculptrice renonce aux attributs mariaux
traditionnels – la couronne d’épines, le cœur transpercé par
les dagues – et focalise son attention sur la figure de la
Vierge. Ce buste se caractérise par la dignité de Marie, dont
le visage est empreint de douleur et d’affliction. Présenté
avec succès à l’Exposition nationale suisse de Genève en
1896, cette Mater dolorosa a été achetée par la Confédération
la même année.
Adelaide Maraini-Pandiani réalise également une version
de cette œuvre en marbre, aujourd’hui conservée à la
Galerie nationale d’art moderne de Rome. Cette sculpture
se caractérise par un travail virtuose de la matière, nouvelle
confirmation de l’éclectisme et de la maîtrise technique
de cet artiste.
Dans la salle XX du rez-de-chaussée est exposé le modèle
original en plâtre de l’Addolorata (Notre-Dame des Douleurs)
exécutée par Vincenzo Vela pour la chapelle d’Adda d’Arcore.
La Vierge, enveloppée dans son manteau et plongée dans
la douleur, offre une image empreinte d’une grâce intense,
de douceur et de simplicité.
SALLE XVII
SALLE XVII
Adelaide Maraini-Pandiani (1836-1917)
Portrait de César Thomson, 1884
Georges-Jules-Victor Clairin (1843-1919)
Marcello dans son atelier de Givisiez, 1871
plâtre teinté de brun
Collezione della Città di Lugano
huile sur toile
Musée d’art et d’histoire Fribourg
L’importante collection d’œuvres d’Adelaide MarainiPandiani appartenant à la collection de la Ville de Lugano
comprend en particulier le portrait en plâtre du célèbre
violoniste et compositeur belge César Thomson (1857-1931),
réalisé en 1884. Dans les années 1874-77, Thomson est
premier violon de l’orchestre personnel du baron Paul
von Derwies, un riche mécène qui avait aménagé une salle
de concert dans sa magnifique résidence de Lugano,
connue sous le nom de « Castello di Trevano ». Marié avec
Luisa Riva, une aristocrate de Lugano, Thomson fait
ensuite carrière au niveau international, tout en maintenant d’étroits contacts avec le Tessin, où il meurt en 1931.
Adelaide Maraini, femme cultivée aux fréquentations
raffinées, fait probablement la connaissance de Cesare
Thomson dans les cercles culturels de Lugano.
La sculptrice a reproduit d’une main sûre les traits du musicien : son regard intense, sa barbe en pointe et son large
front encadré par une chevelure abondante. La spontanéité
du modelé révèle les capacités techniques de l’artiste, qui
réalise un portrait expressif et efficace du grand violoniste,
âgé de moins de trente ans à cette époque.
Le peintre français Georges Clairin et Marcello, qui s’étaient
liés à l’artiste Henri Regnault, sont tous deux profondément
affligés par la disparition prématurée de leur ami, en janvier
1871. Peu de temps après, Clairin rend visite à Marcello à
Givisiez. Dans le calme de la campagne fribourgeoise, il retrouve
la sérénité et réalise ce portrait de son amie. Marcello est
représentée dans l’atelier qu’elle a fait aménager dans la
demeure de sa famille. Peinte en pied et de profil, elle dessine,
assise dans une pose détendue. Momentanément détournée
de son occupation, elle tourne vers l’observateur un regard
empreint d’une douce mélancolie. La duchesse porte une
robe noire d’après-midi, d’une coupe simple ; son élégante
figure et, par contraste chromatique, la blancheur de
son visage et de ses mains soulignent sa condition sociale.
Le vaste espace est délimité par un paravent et par des
étoffes tendues ou jetées sur le sol, dont les couleurs lumineuses contrastent avec la pénombre du fond. La spontanéité
de la pose où est représentée la noble dame et l’apparent
laisser-aller de la décoration confèrent un air naturel à
la composition de ce tableau, en accentuant l’atmosphère
subtilement bohème de l’atelier.
Selon les volontés testamentaires de l’artiste, cette œuvre
fut intégrée en 1879 à son legs à l’État de Fribourg.
SALLE XVIII
SALLE XVIII
Les années 1870 : rupture et dernières
sculptures
Gustave Courbet (1819-1877)
Amitié – Progrès – Union, ca. 1875-77
Les années 1870 marquent un tournant agité pour la France
mais aussi dans la vie de Marcello. Se succèdent la défaite
de Sedan (1870), la destitution de Napoléon III entraînant
la chute de l’Empire, puis la période insurrectionnelle
de la Commune (1871), suivie par la proclamation de
la IIIe République. Les artistes dont la carrière fut liée au
Seconde Empire doivent désormais se tourner vers d’autres
commanditaires. Le milieu artistique est en ébullition, avec
l’avènement des Impressionnistes et des mutations majeures
quant aux lieux d’exposition qui se multiplient et concurrencent la toute-puissance du Salon.
Dans sa vie personnelle, Marcello est marquée par la maladie.
Elle crée ses dernières sculptures montrées aux Salons
de 1875 et 1876, parmi lesquelles ses bustes « déguisés » tels
ceux de Mélanie de Pourtalès, sous les traits de Phoebe,
ou d’Olga de Tallenay devenue La Belle Romaine. Cependant, l’artiste garde espoir et s’investit notamment dans la
pratique assidue du dessin et la (re)découverte de la peinture.
Gustave Courbet, un des principaux représentants du
réalisme, est surtout connu pour son œuvre picturale
remarquable. Mais sa production comprend aussi quelques
sculptures, dont celle que l’on peut admirer dans cette salle,
réalisée par l’artiste à La Tour-de-Peilz pendant son exil
en Suisse. En raison de ses idées politiques et du procès que
lui intente l’État français à la suite des événements de la
Commune de Paris (1871), Courbet se réfugie en Suisse en
1873, où il meurt en 1877.
En 1875, l’artiste donne à la municipalité de La Tour-de-Peilz
une statue d’Helvetia – rebaptisée ensuite Liberté – en signe
de reconnaissance pour l’hospitalité que lui a offerte la
petite ville vaudoise. Il exécute ensuite plusieurs versions
de cette œuvre, dont ce plâtre. Le buste se différencie des
autres exemplaires par quelques détails : les mots « Amitié
– Progrès – Union » inscrits sur le socle et le médaillon avec
les lettres « JRS » gravées dans un soleil levant, référence
probable à une loge maçonnique.
Le modèle représenté par Courbet n’a pas été identifié avec
certitude. On a avancé l’hypothèse qu’il pourrait s’agir
de la marquise Olga de Tallenay, que Courbet a rencontrée
en 1874 par l’intermédiaire de leur amie commune
Marcello, auteur du portrait sur toile de la marquise exposé
dans cette salle. Les traits d’Olga de Tallenay ont également
inspiré La Belle Romaine.
plâtre patiné
Berne, Bernisches Historisches Museum
SALLE XVIII
SALLE XVIII
Marcello (1836-1879)
La Belle Romaine, post 1879
Marcello (1836-1879)
Tête de femme, 1873-74
marbre
Musée d’art et d’histoire Fribourg
plâtre
Fribourg, Fondation Marcello
Marcello réalise au cours de sa carrière une série de portraits
dont la physionomie reprend celle de certains de ses proches.
À partir de 1875, l’artiste produit ses « portraits déguisés »
les plus réussis, en associant les traits de ses modèles
à l’iconographie ou aux caractéristiques de personnages
mythologiques ou littéraires.
Le buste de La Belle Romaine reproduit les traits d’Olga de
Tallenay, née Illyne (décédée en 1915). Pour terminer ce
buste, Marcello s’inspire du visage de son amie, dont elle
a déjà peint un portrait, exposé dans cette salle, représentant
la marquise debout, de profil, dans une robe élégante.
Dans l’œuvre en marbre, Madame de Tallenay porte une
robe qui évoque le vêtement traditionnel des femmes
romaines. Son cou est ceint d’un collier sophistiqué d’où
pendent l’amulette classique en forme de « cornicello »
et un médaillon portant une intaille délicate. Ses dimensions
imposantes et son expression altière confèrent à cette
matrone un air impérieux. Selon les volontés testamentaires
de Marcello, le buste présenté dans cette salle a été exécuté
après sa mort par son praticien Narcisse Jacques.
La Belle Romaine exposée par l’artiste au Salon de 1875
appartient aujourd’hui aux collections du musée d’Orsay.
Marcello a partagé en plusieurs occasions un même modèle
avec d’autres artistes.
On a formulé l’hypothèse qu’Olga de Tallenay aurait posé
non seulement pour les deux œuvres de Marcello exposées
dans cette salle, mais aussi pour le buste de Courbet intitulé
Amitié – Progrès – Union. En effet, cette sculpture présente
des ressemblances évidentes avec le Portrait de Mme de
Tallenay peint par Marcello et avec sa Belle Romaine,
ainsi qu’avec les portraits photographiques de la marquise.
L’hypothèse que Marcello et Courbet se soient servis du
même modèle est également confirmée par les deux plâtres
qui représentent la marquise de Tallenay : l’un a été donné
au musée d’Orsay en 1916 par le cousin de Courbet,
l’autre appartient à la Fondation Marcello de Fribourg.
Ces deux œuvres proviennent d’un même moule, pris
sur une tête réalisée par Marcello probablement à partir
d’un moulage sur nature du visage et du cou d’Olga
de Tallenay.
SALLE XIX
SALLE XIX
Le couple impérial
La cour et la vie mondaine
En 1863, avec sa première apparition au Salon, Marcello fit
une entrée remarquée à la cour. Le couple impérial ne se
contenta pas de l’inviter à de nombreuses occasions mais lui
commanda aussi des œuvres. De 1863 à 1867, les souverains
et l’administration impériale furent ses principaux clients,
y compris avec la commande d’une statue, l’Hécate, pour
le parc de Compiègne, et d’un buste de l’impératrice.
L’impératrice aimait les femmes de caractère et appréciait
la duchesse Colonna. Cependant, si Marcello se souciait
d’être bien en cour, elle se sentait peu d’affinités avec
la souveraine, qu’elle jugeait trop superficielle. Elle vouait,
en revanche, une grande admiration à Napoléon III,
le « patron ».
Après le décès de celui-ci, le 9 janvier 1873, en exil à
Chislehurst en Angleterre, elle vint présenter ses condoléances à l’impératrice et à son fils. En 1879, Marcello
mourut, quelques semaines après la disparition tragique
du Prince impérial. Lorsqu’Eugénie apprit son décès,
elle envoya un télégramme à la comtesse d’Affry, qui disait :
« ma profonde douleur comprend la vôtre et la partage. »
L’amitié que lui témoignait le couple impérial contraignait
Marcello à respecter ses engagements mondains : bals,
salons, invitations aux Séries de Compiègne, aux Tuileries
ou à Fontainebleau, les occasions étaient nombreuses.
Une part d’elle-même appréciait ce jeu du paraître et jouissait de la fascination qu’elle exerçait sur ses contemporains.
Cependant, ses écrits recèlent aussi des passages qui
témoignent de sa conscience de la frivolité et des vanités
de la vie mondaine (« un habit bien fait me compte pour plus
qu’un beau buste »). Sa position est marginale : appartenant
à des mondes si différents, elle ne trouve pas sa place
et alterne la solitude de l’atelier avec les fastes d’une vie de
représentation. Comme elle le résume : « ces deux natures
opposées qui sont fabuleusement, fortuitement réunies
dans ma personne. L’une toute d’idéal de rêveries de vouloir
ardent, l’autre toute vulgaire, se plaisant aux moindres
distractions, voulant le bruit, le mouvement continuel,
la vie active et toute extérieure. L’une ne détruira pas l’autre.
C’est beaucoup si elle la contraint à la suivre. »
SALLE XIX
SALLE XIX
Marcello (1836-1879)
Portrait de S.M. l’impératrice Eugénie, 1866-67
Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875)
Napoléon III, ca. 1872-73
plâtre
Fribourg, Fondation Marcello
marbre inachevé
musées nationaux du palais de Compiègne
Née à Grenade, Eugénie de Montijo de Guzmán (1826-1920)
épouse Napoléon III en 1853. Elle est connue pour sa
passion pour le luxe, mais aussi pour son dévouement aux
causes qui lui sont chères : l’assistance aux indigents et
l’éducation des jeunes filles. Elle apprécie beaucoup Marcello,
qu’elle invite régulièrement à Compiègne et à Fontainebleau. L’artiste sculpte plusieurs portraits de l’impératrice
et continue à cultiver des relations amicales avec la famille
impériale même après la chute de l’Empire.
En 1865, l’artiste reçoit une commande officielle pour un
portrait de l’impératrice Eugénie, destiné à décorer la salle
du trône de l’Hôtel de Ville de Paris. Elle réalise plusieurs
versions de ce buste, dont les deux pièces qui sont exposées
dans cette salle. Dans le premier, en cire – le matériau
que l’artiste privilégiait pour ses ébauches –, le haut rang
du personnage est souligné par le diadème orné de l’aigle
impériale. Le second, en plâtre, correspond à une nouvelle
phase de l’œuvre. Les deux sculptures se caractérisent
par la même expression bienveillante du visage, tout en
se différenciant par la coiffure. Le marbre que Marcello
présente à la commission, et qui a aujourd’hui disparu,
est refusé dans un premier temps, mais l’artiste arrive
à le faire accepter grâce à ses relations.
Vincenzo Vela entretient lui aussi de bons rapports avec
l’impératrice des Français. Après avoir accueilli favorablement le groupe sculpté intitulé L’Italie reconnaissante
à la France (1861-62), que lui ont donné des dames patriotes
de Milan, Eugénie commande à Vela un monument dédié
à Christophe Colomb pour l’installer à Panama. Le modèle
en plâtre de L’Italie reconnaissante à la France est exposé au
rez-de-chaussée du musée, dans la salle XXII.
Neveu de Napoléon Ier, Charles Louis Napoléon Bonaparte
(1808-1873) passe son enfance en Suisse, au château
d’Arenenberg. En 1832, le prince reçoit la citoyenneté honoraire de Salenstein, mais il conserve la nationalité française.
Élu président de la République française en 1846, il restaure
l’Empire six ans plus tard et règne sous le nom de
Napoléon III. Marcello, qui fréquente la cour à partir de
1863, éprouve pour lui une grande admiration.
Ce buste en hermès, inachevé, correspond au portrait que
Carpeaux commence en 1872 et qu’il termine après la mort
du modèle, en janvier 1873. L’œuvre évoque la mélancolie
et en même temps la sérénité de l’empereur après la défaite
tragique de Sedan, à laquelle suivront l’exil et la maladie.
Exécutée avec une grande maestria, cette sculpture est l’un
des meilleurs portraits d’homme que Carpeaux ait réalisés.
Le modèle est plongé dans ses pensées. Son expression est
veinée d’une légère mélancolie ; son regard, presque absent,
se perd dans le lointain. Conciliant fidélité au sujet et
fine introspection, Carpeaux crée un portrait d’une grande
profondeur psychologique.
SALLE XIX
SALLE XIX bis
Albert-Ernest Carrier-Belleuse (1824-1887)
La comtesse de Castiglione en reine d’Étrurie, 1864
Usages de la photographie
plâtre patiné
musées nationaux du palais de Compiègne
Albert-Ernest Carrier-Belleuse est l’un des artistes les plus
célèbres et prolifiques du Second Empire. Sculpteur et
peintre aux multiples talents et à l’imagination féconde,
il est l’auteur d’œuvres à caractère décoratif, de bustes
et de groupes sculptés. De 1875 à 1887, il dirige la section
artistique de la Manufacture de Sèvres, à laquelle il
donne un nouvel élan.
Femme fatale du Risorgimento, célèbre pour sa beauté,
Virginia Oldoini Verasis (1837-1899), comtesse de Castiglione,
exerce aussi son charme sur Napoléon III, dont elle fut la
maîtresse. Obsédée par sa propre image, après avoir participé, habillée en reine d’Étrurie, à un bal aux Tuileries en 1863,
la comtesse pose dans ce même costume pour le photographe parisien Pierson et pour Carrier-Belleuse, afin de faire
taire les médisances sur l’habit qu’elle portait à la fête. Cette
statuette-portrait est exécutée en plusieurs exemplaires,
destinés à ses amis. Malgré ses dimensions réduites, cette
figure présente un caractère monumental, souligné par la
pose altière.
Une photographie de Pierson sert également à Vincenzo Vela
pour terminer son Portrait de la comtesse de Castiglione
(1867). Le buste représente la noble dame dans la splendeur
de sa jeunesse ; il souligne sa coiffure sophistiquée, décorée
de perles et de roses, et le célèbre collier à cinq rangs de
deux cent soixante-dix-neuf perles.
Marcello fréquente elle aussi la comtesse à la cour impériale,
comme l’atteste son portrait de profil, exécuté en 1864.
Marcello était à l’avant-garde en ce qui concerne l’utilisation
des potentialités de la photographie. Dans son fonds photographique, se distingue une série de clichés mettant en
scène l’artiste, de grandeurs diverses (de la photo-carte au
tirage papier encadré) et réalisés par différents photographes. Elle y apparaît tantôt en duchesse, richement parée,
tantôt dans un paletot confortable de jour, plus bohème.
Marcello utilisa encore habilement la photographie pour
promouvoir ses œuvres : elle choisit les plus célèbres photographes, dont Nadar, pour fixer ses œuvres (sculptures mais
aussi peintures et dessins) sur des tirages papier, sous
différents angles, en vue de les présenter avantageusement
à une future clientèle.
Enfin, l’artiste collectionna un grand nombre de photographies témoignant de ses voyages, de ses visites de musées,
et donc de son imaginaire pictural dont la contemplation
ne cessa de nourrir son oeuvre.
Cette salle présente un tirage photographique appartenant
au fonds du Musée Vincenzo Vela. Cette photographie
réalisée par Pierre-Louis Pierson en 1856-57 représente
Virginia Oldoini, comtesse de Castiglione, vêtue d’une robe
somptueuse. La mise en scène soignée et la pose de dos
évoquent le portrait de la duchesse Colonna qu’Alphonse
Maze exécutera quelques années plus tard.
Marcello
Adèle d’Affry (1836-1879)
duchesse de Castiglione Colonna
23 avril - 30 août 2015
Textes
Caroline Schuster Cordone
Anita Guglielmetti
Museo Vincenzo Vela
Largo Vela 5
CH-6853 Ligornetto
Tél. +41 58 481 30 40/44
[email protected]
www.museo-vela.ch

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