les consultants et la politique - Association Française de Science

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les consultants et la politique - Association Française de Science
« LES CONSULTANTS ET LA POLITIQUE »
JOURNEES D’ETUDE, PARIS, 5 & 6 MAI 2010
Le fait que Nicolas Sarkozy ait recours au Boston Consulting Group pour élaborer sa propre
stratégie de campagne à l’occasion des élections présidentielles en serait, pour certains, la preuve
incontestable : les consultants jouissent d’une influence de plus en plus décisive dans la sphère
politique. Ce rôle des consultants dans une campagne électorale, tout autant que leur implication dans
le fonctionnement gouvernemental (par exemple l’annonce faite début 2008 par le premier ministre
François Fillon de commander à Mars & Co une évaluation des ministres de son gouvernement), ou
encore dans la conduite des réformes de l’Etat (les audits de modernisation des administrations
publiques dans le cadre de la RGPP), justifient l’interrogation « les consultants gouvernent-ils le
monde ? » (Berrebi-Hoffmann 2002), voire accréditent l’hypothèse d’une « consultocratie », nouvel
avatar d’un gouvernement de type technocratique, dont le savoir se concentrerait désormais dans des
cabinets privés (Hood, Jackson 1991, Saint-Martin 1998) en lieu et place des grands corps
administratifs (Thoenig 1987, Saint-Martin 1999). Pour d’autres, ces affaires illustreraient plus encore
l’idée, somme toute assez répandue, de la contribution des cabinets de conseil – et tout
particulièrement des grands cabinets anglo-saxons – à la diffusion d’un modèle économique libéral
(Dezalay 1992, 1993, Saint-Martin 2001, Ramirez 2003).
Le développement, depuis une dizaine d’années, de travaux français consacrés au milieu du conseil a
permis d’en améliorer notre connaissance, et d’enrichir une littérature qui, si l’on excepte les
nombreux travaux américains sur les producteurs d’expertise, se compose pour une bonne part
d’écrits à visée managériale produits par les consultants eux-mêmes et visant à améliorer l’efficacité
de leurs propres pratiques professionnelles (voir entre autres exemples Argyris 1995, Villette 2003,
Babeau, Ohanna 2009). Néanmoins, la thèse d’un « gouvernement des consultants » n’est pas sans
lien avec certains partis pris empiriques et méthodologiques. On peut noter tout d’abord la primauté
donnée aux acteurs dominants – dont les grands cabinets anglo-saxons sont l'incarnation
emblématique – du fait notamment qu'ils représentent les plus gros bataillons de consultants, qu’ils
détiennent des parts de marché substantielles et qu’ils travaillent pour les clients les plus prestigieux.
Ces travaux privilégient également l’étude des consultants eux-mêmes, plus rarement celle des
interdépendances et des transactions qu’ils nouent concrètement avec les commanditaires. De ce fait,
ils présupposent plus qu’ils ne l’interrogent une séparation théorique (voire parfois souhaitable) entre
conseil et décision, et courent ainsi le risque de succomber à un certain fonctionnalisme, à l’instar des
travaux sur la technocratie ou la politisation de l’administration (pour une analyse critique de ces
travaux, voir par exemple Dubois, Dulong 1999).
L’objectif de ces journées d’étude est, précisément, de prolonger les réflexions engagées par ces
travaux en prenant acte des tropismes qui les caractérisent. La relation des consultants à la politique
(institutions publiques, professionnels ou formations partisanes) met en jeu un ensemble
d’ambiguïtés, entre la valorisation de l’image qu’ils entendent donner de leur action et la nécessité de
rester à la place que leur rôle prescrit (Gantenbein 1993). Pour étudier les formes de cette relation et
ses ambiguïtés, il nous semble judicieux de suivre trois voies de questionnement.
Axe 1. Consultants et élites gouvernantes : formations et trajectoires professionnelles
L’hypothèse technocratique, ou « consultocratique », fait le plus souvent l’impasse sur l’ensemble des
processus sociaux généraux qui, en ajustant les caractéristiques sociologiques des consultants et des
élites gouvernantes, permettent d’en expliquer les affinités (ou les divergences). Un premier axe de
réflexion consistera, dans cette perspective, à réfléchir de façon concomitante aux processus de
formation, mécanismes de sélection et stratégies de mobilité professionnelles qui caractérisent ces
acteurs privés On se place ici dans la continuité des travaux qui, par exemple, soulignent les
contributions convergentes des consultants et de la haute administration à la production du champ de
l’économie (de Montlibert 2007), le rôle de l’Etat dans la formation des identités professionnelles des
acteurs du conseil (Henry 1992, 2006) ou encore les ressources politiques et militantes que certains
d’entre eux valorisent (Nonjon 2005). Ce sont donc ici les modes de sélection et de formation,
l’évolution des carrières publiques et des stratégies professionnelles, l’attrait renforcé pour le privé,
etc. qui permettront de saisir les différentes formes de porosité entre le monde du conseil et celui des
élites gouvernantes. Cette perspective semble d’autant plus heuristique que se renforcent, depuis
quelques années, les débouchés professionnels offerts par le monde du conseil aux responsables
administratifs et, inversement, aux consultants dans l’administration.
Axe 2. Les consultants et la production / diffusion des normes
La contribution des acteurs du conseil à la politique peut également être envisagée sous l’angle de
leur rôle dans l’action publique, aux différents stades de sa formulation ou de sa mise en œuvre. En
effet, certains d’entre eux se sont largement engagés au service des mouvements de « réforme » qui
touchent de nombreux secteurs de politiques publiques en France, qu’il s’agisse des
télécommunications (Metzger 2002), de la sécurité (Buffat, Le Goff 2002) ou encore des réformes de
la fonction publique (Saint-Martin 1999). Ils alimentent de même, en France, le mouvement général
d’une décentralisation qui semble avoir eu pour conséquence remarquable de développer un marché
du conseil et de l’expertise dans un nombre de domaines toujours plus grand (Abiker 1996). Il s’agira
de réfléchir dans ce deuxième axe de réflexion à la façon dont le travail des consultants consiste
également à produire des enjeux de politiques publiques et des modalités spécifiques pour les traiter.
Comment les consultants participent-ils à la production normative et programmatique ? Quelles sont
les normes qui sous-tendent leur action ? Comment sont-elles mises en forme, véhiculées, transmises
par les acteurs du conseil ? Comment sont-elles saisies, articulées et retraduites par le politique ? Il
s’agit de réfléchir à la façon dont les consultants participent, via leurs relations avec les autorités
publiques, à la production et à la circulation de normes spécifiques. On pourra notamment examiner la
place des consultants dans les travaux des « think tanks » (Jobert 1994), des clubs et autres cercles
de réflexion. On pourra également s’interroger sur la circulation des « recettes » et des « méthodes »,
et sur leurs éventuels effets de standardisation de l’action publique au-delà de l’orientation partisane
des élus pour lesquels les consultants travaillent.
Axe 3. Consultants et travail politique
Le parti pris méthodologique de ce troisième et dernier axe est d’estimer que c’est aussi et peut-être
surtout à travers la relation de conseil qu’il faut appréhender l’influence des consultants dans l’action
publique. Le consultant n’est pas une figure abstraite mais un acteur économique évoluant sur un
marché et qui effectue une activité de prestation. Ce travail se traduit par une action de lobbying, des
réponses à des appels d’offres, la signature de contrats, la conduite de missions, la restitution de
travaux et résultats, autant de moments où s’exerce concrètement la relation avec le politique. Dans
une perspective de sociologie du travail, il s’agira ici d’appréhender la façon dont se noue dans le
temps la relation singulière et ambiguë entre un commanditaire (le politique ou son administration) et
le consultant (le prestataire). Comment peut-on la caractériser ? Peut-on en dresser une typologie ?
Quels rapports de force s’instaurent entre les consultants et leur commanditaire ? Quels sont leurs
effets sur le contenu de l’expertise produite par le consultant ? Comment les consultants intègrent-ils
la variable politique (incertitude électorale, poids de l’opinion, acceptabilité sociale, etc.) dans leur
travail ? A l’inverse, comment le recours au consultant peut-il être parfois mobilisé au service d’une
stratégie politique de changement ou de réforme administrative ? En examinant de près l’« activité
productive » des consultants, il s’agira de mettre à jour certaines dimensions politiques sous-jacentes
à ce travail.
Propositions et calendrier
Le parti pris de nos réflexions est d’opérer un déplacement de la focale d’analyse vers les propriétés
et trajectoires des acteurs étudiés, ainsi que vers les effets de contexte et les dispositifs. Sont donc
attendues des communications qui reposent sur de solides investigations empiriques, mobilisant les
outils de la sociologie et de la science politique. Pourront également être proposées des enquêtes qui,
bien qu’elles ne portent pas exclusivement sur les acteurs du conseil, leur accordent une attention
particulière dans la compréhension des dispositifs qu’ils étudient (action publique, partis politiques,
institutions locales, etc.). Seront particulièrement bienvenus, sans exclusive, les travaux menés sur
d’autres acteurs du conseil que les cabinets les plus prestigieux (petits cabinets, bureaux d’études
spécialisés…). Des domaines variés et originaux (tels les finances, les risques, l’action sociale, la
maîtrise d’ouvrage…) doivent aussi permettre d’enrichir les connaissances accumulées sur d’autres
champs, la communication politique par exemple (Legavre, 1989).
D’une longueur d’une à deux pages maximum, les propositions de communication sont à
transmettre aux organisateurs pour le 15 janvier. Elles comprendront un titre, présenteront le
matériau empirique mobilisé et le terrain d’analyse et préciseront leur apport aux différentes
perspectives problématiques esquissées dans l’appel à communication. Les auteurs veilleront
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également à faire apparaître leur démarche et leur questionnement méthodologique. Le choix des
communications et le programme seront notifiés aux auteurs le 25 janvier 2010. Les textes des
communications devront impérativement parvenir aux organisateurs pour le 16 avril 2010, afin
de rendre possible un véritable travail préparatoire aux discussions. Un ouvrage collectif sera publié à
l’issue des journées d’études, sur la base des discussions et d’une sélection parmi les textes
remaniés.
Sur un plan pratique, l’ensemble des frais inhérents à la participation (déplacement, hébergement et
restauration) seront pris en charge par les organisateurs.
Organisateurs
Stéphane Cadiou ([email protected]), maitre de conférences, Université de Nice SophiaAntipolis
David Guéranger ([email protected]), chargé de recherche ENPC, LATTS, Université ParisEst
François-Mathieu Poupeau ([email protected]), chargé de recherche CNRS, LATTS, Université
Paris-Est
Références citées
Abiker, David. 1996. Les consultants dans les collectivités locales. Paris : LGDJ. Argyris, Chris (ed).
1995. Savoir pour agir : surmonter les obstacles à l’apprentissage organisationnel. Paris :
Interéditions. Babeau, Olivier, Ohanna, Paul. 2009. Olivier Babeau, Paul Ohanna, Les échecs du
consultant. Les comprendre et les éviter, Paris : Eska. Berrebi-Hoffmann, Isabelle (dir.). 2002. « Les
consultants font-ils le monde ? », Sociologie Pratiques, n°6. Buffat, Jean-Paul, Le Goff, Tanguy.
2002. « Quand les maires s’en remettent aux experts. Une analyse des liens entre les cabinets de
conseil en sécurité et les maires », Les Cahiers de la sécurité intérieure, n°50. Dezalay, Yves. 1992.
Marchands de droit : la restructuration de l’ordre juridique international par les multinationales du droit.
Paris : Fayard. Dezalay, Yves. 1993. « Multinationales de l’expertise et “dépérissement de l’Etat” »,
Actes de la recherche en sciences sociales, n° 96-97. Dubois, Vincent, Dulong, Delphine. 1999. La
question technocratique, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg. Gantenbein, Max. 1993.
« Un métier de rêve : regards dans les coulisses du métier de consultant », Actes de la recherche en
sciences sociales, n°98. Henry, Odile. 1992. « Entre savoir et pouvoir : les professionnels de
l’expertise et du conseil », Actes de la recherche en sciences sociales, n°95. Henry, Odile. 2006.
« L’impossible professionnalisation du métier d’ingénieur-conseil (1880-1954) », Le Mouvement
social, n° 214. Hood, Christopher, Jackson, Michael. 1991. Administrative Argument, Aldershot,
Dartmouth. Legavre, Jean Baptiste, « Du militant à l’expert en communication politique », Politix, 7/8,
1989. Metzger, Jean-Luc, « Réforme permanente dans les télécoms : réflexion sur le concept
d'apprentissage organisationnel », Sociologies pratiques, n° 6, 2002. Montlibert (de), Christian.
2007. Les agents de l'économie. Patrons, banquiers, journalistes, consultants, élus. Rivaux et
complices, Paris : Raisons d'agir. Nonjon, Magali. 2005. « Professionnels de la participation : savoir
gérer son image militante », Politix, n° 70. Ramirez, Carlos. 2003. « Du commissariat aux comptes à
l’audit. Les big 4 et la profession comptable depuis 1970 », Actes de la recherche en sciences
sociales, n° 146-147. Roberts, Alasdair. 1996. So-called Experts : How American Consultants
Remade the Canadian Civil Service, 1918-1921, Toronto, Institut d’administration publique du
Canada. Saint-Martin, Denis. 1998. « The New Managerialism and the Policy Influence of
Consultants in Government: An Historical-Institutionalist Analysis of Britain, Canada and France »,
Governance, 11 (3). Saint-Martin, Denis. 1999. « Les consultants et la réforme managérialiste de
l'État en France et en Grande-Bretagne: vers l'émergence d'une « consultocratie » ? », Revue
canadienne de science politique, 32 (1). Saint-Martin, Denis. 2001. « Les cabinets de conseil et la
"remarchandisation" de la politique sociale dans les États-providences de type libéral », Lien social et
politiques, n°45. Thoenig, Jean-Claude. 1987. « Pour une approche analytique de la modernisation
administrative », Revue Française de Science Politique, vol. 32, n°4. Villette, Michel. 2003.
Sociologie du conseil en management. Paris : La Découverte.
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