Histoire de la société de l`information
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Histoire de la société de l`information
I / Le culte du nombre L ’idée de société régie par l’information est pour ainsi dire inscrite dans le code génétique du projet de société inspiré par la mystique du nombre. Elle date donc de bien avant l’entrée de la notion d’information dans la langue et la culture de la modernité. Ce projet qui prend forme au cours du XVIIe et du XVIIIe siècle intronise la mathématique comme modèle du raisonnement et de l’action utile. La pensée du chiffrable et du mesurable devient le prototype de tout discours vrai en même temps qu’elle instaure l’horizon de la quête de la perfectibilité des sociétés humaines. Moment fort de la matérialisation de la langue des calculs, la Révolution française en fait l’aune de l’égalité citoyenne et des valeurs de l’universalisme. Organiser la pensée L’algorithme « S’il fallait sacrer un “saint patron” pour la cybernétique, c’est à Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716) qu’il faudrait indéniablement penser » [Wiener, 1948]. Les réflexions du philosophe et mathématicien allemand sur la nature de la logique marquent, en effet, une étape essentielle de l’idée selon laquelle la pensée peut se manifester à l’intérieur d’une machine. Leibniz s’approche de l’automatisation de la raison, en mettant au point une arithmétique binaire (1679) et un calculus ratiocinator ou « machine arithmétique » (1673). Un calculateur plus perfectionné que celui de Blaise Pascal. Découvrir un « point » à partir duquel tout se remet un ordre : c’est le principe qui guide Leibniz dans sa recherche de « nouvelles boussoles du savoir ». Son 6 HISTOIRE DE LA SOCIÉTÉ DE L’INFORMATION projet de compression des informations en vue d’économiser la pensée est aussi à l’œuvre dans les index et les catalogues qu’il envisage comme un espace tabulaire à multiples entrées. La mathématique leibnizienne, qui rend compte aussi bien des sous-ensembles que des relations, représente à la fois une première théorie des complexions et une première philosophie de la « complication » : la multiplicité et la variété des nombres et des êtres se laissent organiser, classer, hiérarchiser [Serres, 1968]. Leibniz (et Newton indépendamment de lui) constitue le calcul différentiel et le calcul intégral en réduisant à une démarche algorithmique les opérations fondamentales du calcul infinitésimal. Pour que l’algorithme, ou suite ordonnée d’opérations élémentaires tirées d’un répertoire fini d’opérations exécutables en un temps donné, se convertisse en concept fondamental du traitement automatique de l’information, il faudra toutefois attendre la médiation de l’écriture algorithmique. Formulée en 1854 par l’Irlandais George Boole, elle permettra à l’informatique de se construire comme discipline un siècle plus tard. La nouvelle attitude à l’égard du temps et de l’espace qui stimule la recherche de méthodes de calcul plus rapides correspond aux exigences de la formation du capitalisme moderne. Avec les opérations outre-mer, un marché émerge de collecte, d’archivage, de traitement bureaucratique et de diffusion de données à destination des négociants, des financiers et des spéculateurs. La navigation maritime exige de construire des navires plus performants. Le calcul des longitudes devient le laboratoire du mécanisme horloger, ancêtre lointain de l’artefact programmé. La langue universelle Le projet d’automatisation du raisonnement formulé par Leibniz participe de la quête d’une langue œcuménique. Il traduit un humanisme cosmopolitique, inscrit dans une pensée religieuse. Le vœu du philosophe est de contribuer au rapprochement des peuples, à l’unification non seulement de l’Europe mais du « genre humain tout entier ». Car, écrit-il, « je considère le Ciel comme la Patrie et tous les hommes de bonne volonté comme des concitoyens en ce Ciel ». Exposant en 1703 le mécanisme de la réduction des nombres aux plus simples principes, comme 0 et 1, il note qu’un système combinatoire pareil au sien était déjà en vigueur il y a quatre mille ans dans la Chine