mémoire en texte intégral version pdf

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Université de Lyon
Université lumière Lyon 2
Institut d'Études Politiques de Lyon
« Bobo » : us et abus d’un mot au service
de rhétoriques idéologiques.
Etude du signe « bobo » dans les discours
médiatiques et politiques.
FREDERIC Laurine
Mémoire de master
Séminaire « Mots et symboles en politique ».
Sous la direction de : BARBET Denis
(Mémoire soutenu en septembre 2013)
Membres du jury : - BARBET Denis – COLOMB Valérie -
Table des matières
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Partie liminaire . .
Remerciements . .
Introduction . .
I. Les représentations de la notion de « bobo » dans les discours médiatiques et politiques.
..
A. Personnification, réification et classification du « bobo ». . .
1. Une réification généralisée . .
2. Les « bobos », une classe fantasmée ? . .
B. Représentations du « bobo » comme d’un être inabouti. . .
1. Les tribus « bobos ». . .
2. Les « bobos » « bêbêtes ». . .
3. L’infantilisation des « bobos ». . .
82
C. Une « gauche maladroite » . . .
1. La « boboïtude » ou l’art de concilier les contraires. . .
2. De l’hypocrisie chez les « bobos ». . .
II. De quoi parle le « bobo » ? . .
A. Un succès bien français. . .
1. « So French », le « bobo ». . .
2. De la traduction à la retraduction : le mot « bobo », de la rubrique « Tendances »
à la rubrique « politique ». . .
B. « Bobo » : un terme clivant. . .
1. Les ennemis « bobos ». . .
2. Les « bobos » et la France centralisée. . .
C. Les « bobos » reflets de malaises politiques ? . .
1. Dénonciation du système représentatif français par l’utilisation du terme
« bobo ». . .
2. Les bobos de la gauche. . .
III. La rhétorique autour de la notion de « bobo » en communication politique : une arme à
double tranchant ? . .
A. Une arme rhétorique habile et efficace dans la joute politique. . .
1. Mobiliser l’irrationnel dans les messages politiques. . .
2. Marquer l’auditoire. . .
3. Le mot « bobo » dans la joute verbale politique. . .
B. Us et abus du mot « bobo » en communication politique : les dangers de
l’utilisation répétée ou incontrôlée du terme. . .
1. Une communication politique à risque ? . .
2. Les dérives des accusations contre les « bobos ». . .
Conclusion . .
Bibliographie . .
Documents bibliographiques . .
Dictionnaires généralistes. . .
Ouvrages spécialisés . .
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Articles de revues de sciences sociales. . .
Textes cités . .
Corpus d’étude . .
Articles de presse . .
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Partie liminaire
Partie liminaire
A mes parents, inépuisable source d’inspiration…
« La référence n’est pas la réalité ; ce qu’on appelle le réel n’est qu’un code. Le
but de la mimèsis n’est plus de produire une illusion du monde réel, mais une
illusion de discours vrai sur le monde réel. »
Antoine COMPAGNON, Le démon de la théorie.
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« Bobo » : us et abus d’un mot au service de rhétoriques idéologiques.
Remerciements
Je tiens, dans un premier temps, à remercier Monsieur Denis Barbet, pour m’avoir acceptée dans
son séminaire et pour m’avoir conseillée sur le choix et la manière de traiter le sujet de ce mémoire.
Je remercie également tous mes professeurs de cette quatrième année à Sciences Po Lyon, avec
une pensée particulière pour Monsieur Max Sanier, pour ses conseils de lecture en sociologie, et
pour Monsieur Nicolas Simiot, qui m’a donné goût à la communication politique. Je suis également
très reconnaissante envers Madame Valérie Colomb qui m’a beaucoup appris cette année, qui a
accepté de faire partie du jury de la soutenance de ce mémoire, et sans qui je n’aurais pas intégré
l’IEP.
J’adresse une pensée spéciale à mes professeurs d’hypokhâgne et de khâgnes au lycée Fénelon
(Paris). Merci notamment à Madame Simone Delattre et à Madame Marie-Françoise Delecroix, qui
m’ont donné l’envie de faire de la recherche, le sens de la nuance, et qui m’ont appris à m’interroger
sur les objets les plus insolites.
Merci à ma famille pour son appui, et surtout à mes parents, qui me permettent de poursuivre
mes études.
Mes remerciements à toutes les personnes qui m’ont soutenue et motivée pendant la période de
rédaction de ce mémoire : Pauline Mas, ma collègue stagiaire, et mes amis de Paris et de Brétignysur-Orge, qui ont aussi su me divertir cet été. Un merci particulier à Zoé Grumberg pour ses conseils
avisés de chercheuse ainsi qu’à Nicolas Traino et à Shirley Routier, pour leurs recommandations et
leur relecture. Enfin, merci à Gabriel Legrand, qui non seulement m’a corrigée et accordé beaucoup
de temps ; mais surtout, dont les encouragements, les idées et la patience m’ont été indispensables.
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Introduction
Introduction
Le « Bobo ». Voilà plus de dix ans qu’il est partout. Non pas qu’il s’agisse d’une espèce
1
proliférant dont les spécimens sont les « nouveaux gardiens de la pensée unique » mais
plutôt d’un terme à succès et d’une notion abondamment utilisée quels que soient les types
de discours. Dans la presse féminine, à la télévision, à la radio, en littérature, dans des
travaux de recherche de diverses disciplines, dans les discours des hommes et des femmes
politiques ou même dans un dîner entre amis : le mot « bobo » semble avoir envahi toute
la société française. Il est tour à tour l’objet de petites moqueries, de puissantes insultes
et d’études sérieuses. Ce terme a beau être utilisé par tous, le sens qu’on lui accorde est
loin de faire l’unanimité. Pour certains, le « bobo » est l’avatar contemporain du bourgeois,
le nouveau dominant de la société française. Pour d’autres, il est le socialiste hypocrite,
l’électeur de gauche naïf, ou l’individu qui suit aveuglément les dernières tendances, qu’elles
concernent des produits de consommation ou des idées politiques. Journalistes, chercheurs
en sciences sociales, personnalités politiques : tous proposent leur définition de cette notion
évanescente. Mais loin de préciser le sens du terme « bobo », ces propositions paraissent
le complexifier, en augmentant le nombre d’images et d’interprétations qui y sont liées. Le
mot « bobo » n’est pas statique mais il est, depuis son apparition il y a treize ans, un objet
mouvant et instable, chahuté par des flots de représentations.
Le terme « bobo » résulte de la contraction de l’expression nominale « bourgeoisbohème ». Elle est composée de deux substantifs ou d’un nom et d’un adjectif, ayant tous
les deux leur place dans la langue française depuis bien plus longtemps que « bobo », entré
dans le dictionnaire en 2005. Un travail sur ces signes peut nous aider à mieux concevoir
et analyser la notion qui résulte de leur addition.
« Bourgeois », au sens commun, désigne une « personne de la classe moyenne et
2
dirigeante, qui ne travaille pas de ses mains (opposé à ouvrier, paysan) » . Le bourgeois de
la société actuelle est né avec la Révolution Française et l’abolition de la société d’ordres
de l’Ancien Régime. Les bourgeois constituent une classe sociale étudiée notamment par
Michel PINÇON et Monique PINÇON-CHARLOT qui les définissent comme des individus
riches, mais détenteurs d’une richesse multiforme, « un alliage fait d’argent, de beaucoup
3
d’argent, mais aussi de culture, de relations sociales et de prestige » . Les bourgeois
sont caractérisés par une richesse matérielle mais aussi par un capital social et un capital
culturel (selon la terminologie bourdieusienne), constituant des formes de richesses moins
visibles que le capital économique, mais qui permettent à ces individus de définir leur place
dans la société. Les représentations des bourgeois ont hérité du sens péjoratif que leur
ont accordé les marxistes et les représentants de la gauche au XIXe siècle, comme de la
classe dominante composée d’oisifs. De plus, « bourgeois » évoque de manière négative
un système de valeurs morales et sociales conservatrices. « Bohème » est un adjectif
1
D’EPENOUX, François, Les Bobos me font mal. Bourgeois bohèmes : minorité mal intégrée à qui l’on doit une droite un peu gauche
et une gauche maladroite. Paris : Anne Carrière (Essai), 2003, 101 p.
2
3
Article « Bourgeois, oise », Le Petit Robert. Paris : Le Robert, 1985 (édition revue, corrigée et mise à jour pour 1986), 2172 p.
PINÇON Michel et PINÇON-CHARLOT Monique, Sociologie de la bourgeoisie. Paris : La Découverte (« Repères »), 2009,
128 p.
7
« Bobo » : us et abus d’un mot au service de rhétoriques idéologiques.
qualificatif, un nom ou un nom féminin (la bohème) qui se rapportent de manière générale à
une façon de vivre au jour le jour, dans l’insouciance. Les bohèmes sont des personnes « qui
4
[vivent] sans règles ni souci du lendemain » . Matériellement pauvres, ils sont en marge
de la société mais ont l’âme romantique : ils recherchent sans cesse un idéal artistique. Le
terme, désignant initialement les habitants de la Bohème, a pris le sens qu’on lui connaît
aujourd’hui au XIXe siècle grâce à l’intérêt que des auteurs portaient à cette notion. C’est le
cas de BALZAC qui publie en 1840 Le Prince de la Bohème. De nombreux artistes diffusent
5
ensuite le terme chargé de nouvelles représentations et se chargent eux-mêmes d’illustrer
et d’en alimenter le sens, en adoptant une « vie de bohème ». C’est l’exemple archétypal
de RIMBAUD qui décide de s’éloigner de la petite bourgeoisie dans laquelle il a grandi pour
mener une vie de marginal dans les quartiers pauvres de Paris. « Bourgeois » et « bohème »
6
sont donc deux termes antithétiques : le bourgeois domine une société dont le bohème est
exclu. Le bourgeois est à la recherche du profit, le bohème d’un idéal artistique. Le premier
est riche, le second pauvre. L’un vit dans la prévoyance et privilégie les investissements
à long terme tandis que l’autre erre dans l’insouciance. L’expression « bourgeois-bohème
» est un oxymore et l’individu qu’il désigne ne peut qu’être quelqu’un de profondément
antithétique. Le bobo est une créature hybride qui essaie de conjuguer des modes de vie
opposés, ce qui le rend incohérent et méprisable. Le mot « bobo » accompagné de son
arrière-plan connotatif se prête donc aisément à la désignation de personnes aimant profiter
d’un certain luxe tout en dénonçant les industries qui produisent leur confort matériel parce
qu’elles ne respectent pas les Droits de l’Homme ou portent atteinte à l’environnement. De la
même manière, il désigne facilement une personne aisée qui paradoxalement donnerait son
vote à un programme politique prévoyant la taxation des plus riches ; ou encore qui choisirait
d’habiter un quartier malfamé ou délabré. Au vu des représentations accompagnant le
terme, la récupération politique semble presque naturelle. Il est rare que l’utilisation de «
bobo » soit dénuée de connotation politique. D’une part le « bobo » est représenté comme un
individu « anticonformiste » ou « à la recherche de valeurs authentiques et de créativité »
7
, ce qui le place plutôt à gauche de l'échiquier politique. D’autre part, les phénomènes
sociaux, socio-politiques, culturels et parfois économiques auxquels on le lie, le plus souvent
en dénonçant sa responsabilité (la gentrification des quartiers pauvres, la rupture entre les
élites et le peuple, les mutations de l’électorat, l’immigration, la hausse des prix des biens
de consommation et de l’immobilier) peuvent devenir des enjeux politiques. Ils occupent
le devant de la scène politique et médiatique, sont potentiellement concernés par l’action
politique, et amènent par conséquent à des prises de positions et à des clivages.
Le terme « bobo » paraît donc ne faire sens que par rapport à des représentations. Il
signifie en fonction des discours tenus sur les « bobos » et des représentations que l’on
crée de l’être antithétique qui naît du mariage de « bourgeois » et de « bohème ». « Bobo »,
sortit de tout contexte, ne veut rien dire. Le mot figure pourtant dans le dictionnaire depuis
2005. Il est défini de la manière suivante par le site internet Larousse :
4
5
Article « Bohème », Le Petit Robert. Paris : Le Robert, 1985 (édition revue, corrigée et mise à jour pour 1986), 2172 p.
NERVAL Gérard de : « Je suis un fainéant, bohème journaliste ». « Madame souveraine » in « Textes divers », Œuvres
complètes, tome III. Paris : Gallimard, 1993, 1728 pages (Bibliothèque de la Pléiade n°397). RIMBAUD Arthur : « Ma Bohème »,
Œuvres complètes. Paris : Gallimard, 1972, 1312 pages. (Bibliothèque de la Pléiade n°68).
6
A l’article « Bohème » du Petit Robert, on peut lire « ANT. Bourgeois, pantouflard (fam.) ». Paris : Le Robert, 1985 (édition
revue, corrigée et mise à jour pour 1986), 2172 p.
7
8
Article « Bobo », Le Petit Robert. Paris, Le Robert, 2013 (édition revue, corrigée et mise à jour pour 2014).
Introduction
« bobo, nom (abréviation de l'anglo-américain bourgeois bohemian, bourgeois
bohème). Familier. Personne plutôt jeune, aisée et cultivée, affichant son
8
anticonformisme » .
Cette définition est relativement consensuelle mais ce bref article de dictionnaire demeure
flou. Les termes choisis reflètent l’absence de prise de risque et le refus d’entrer dans des
détails qui puissent être discutables. On le voit avec le modalisateur « plutôt » qui connote
une grande incertitude quant à l’âge, l’aisance et le capital culturel du « bobo » ; ainsi qu’avec
le choix d’adjectifs qualificatifs et du nom « anticonformisme » qui ne dénotent rien en tant
que tel mais qui relèvent de notion relatives. En somme, cet énoncé est à interpréter : à
quels âges est-on « jeune » ? A partir de quel capital économique et de capital culturel eston « aisé » et « cultivé » ? Vis-à-vis de quelles normes le « bobo » est-il « anticonformiste
» ? La neutralité des définitions est essentielle aux articles de dictionnaires : on ne blâmera
donc pas Larousse d’être resté si évasif sur notre objet. Cette absence de précision est
révélatrice des variations du sens accordé au terme et de son aspect polémique.
9
« Bobo » est un « mot valise que chacun emplit à sa guise » , une notion
construite presque ex-nihilo et en constante construction, et pourtant, beaucoup l’utilisent
sans modération dans des énoncés assertifs. Il est assez paradoxal de constater qu’un
tel terme, qui ne désigne personne de manière concrète, soit si récurrent au centre de
discours politiques. « Bobo » ne renvoie qu’aux représentations qui ont été construites
autour de ce mot. Les seuls débats auxquels on assiste fréquemment sur la question «
Qu’est-ce qu’un bobo ? » nous le montrent : le « bobo » dont on parle et dont on nous
parle dans les médias, est un personnage (fictif, par définition) qui relève presque d’un
« personnage type » de Molière tant il est caricatural et éloigné de la réalité observable.
Malgré cela, la notion « bobo » est constamment réifiée et utilisée dans des discours sérieux
(dans les médias, dans les débats politiques), voire scientifiques. Comment l’expliquer ?
Peut-être cela est-il justement dû à l’absence de clarté dans la définition du terme. Parce
qu’il est indéfini, « bobo » serait un mot malléable, adaptable au message que le locuteur
souhaite faire passer. Cela nous conduit à émettre l’hypothèse que le mot « bobo » est
un outil rhétorique. Plutôt que de désigner un signifié, le mot permettrait à celui qui l’utilise
de témoigner de sa propre vision du réel. Que cherche à exprimer l’utilisateur du terme ?
Comment les représentations liées au mot « bobo » ont-elles été mises au service de
rhétoriques idéologiques et partisanes ?
Nous étudierons pour commencer les différentes représentations liées à la notion de
« bobo ». Sur quels sujets est-elle mobilisée ? Par qui ? Dans quels registres ? Après un
état des lieux de l’utilisation du mot « bobo » dans les discours médiatiques et politiques,
nous nous interrogerons sur les raisons de l’utilisation de ce terme. Peut-être a-t-il rencontré
le succès parce que les journalistes, puis les personnalités politiques, l’ont trouvé adéquat
à la désignation de phénomènes observables dans la société française. Nous verrons dans
le même temps comment s’est opéré le glissement de ce mot vers des discours dont les
fins sont idéologiques ou partisanes. La désignation de phénomènes ou l’accusation de
personnes entreprises grâce à l’utilisation du mot « bobo » n’étant pas innocente, nous nous
demanderons finalement si les effets recherchés par le locuteur sont atteints.
8
er
Larousse [en ligne]. [page consultée le 1 avril 2013]. Disponible sur : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/
bobo/10909938?q=bobo#801346 .
9
AGRIKOLIANSKY Eric, « Recherche « bobo » désespérément… », Mediapart [en ligne]. (Sociologie politique des élections).
01 avril 2012 [réf. du 07 juin 2013]. Disponible sur : http://blogs.mediapart.fr/edition/sociologie-politique-des-elections/article/010412/
recherche-bobos-desesperement
9
« Bobo » : us et abus d’un mot au service de rhétoriques idéologiques.
Note méthodologique
Ce mémoire est né de l’intérêt que je porte à la stylistique, aux commentaires de
textes et à l’étude des représentations depuis mon entrée dans les études supérieures.
Le mot « bobo » m’a particulièrement interpelée lors de la campagne électorale pour les
Présidentielles de 2012. J’étais à la fois étonnée de voir des candidats à la présidence de
la République employer ce terme que je jugeais trivial, et amusée du décalage produit par
ce mot utilisé dans des discours politiques. Je me suis alors interrogée sur les raisons pour
lesquelles des personnalités politiques utilisaient cette notion, qui par ailleurs, me semblait
floue. Je me demandais également ce que signifiait ce terme que l’on utilise de manière
récurrente dans la presse mais aussi dans mon entourage : est-ce qu’il y a une définition
exacte du terme « bobo » ? « Bobo » n’est-il pas plus une insulte qu’un mot désignant une
réalité ? Quels sont les sous-entendus de l’accusation « bobo » ? C’est cette réflexion que
j’ai voulu poursuivre lors de l’année scolaire, avec ce mémoire.
J’ai choisi d’adopter une position distanciée par rapport au mot « bobo ». C’est d’ailleurs
la raison qui m’a conduite à constamment utiliser les guillemets pour accompagner le terme.
Mon objectif n’était pas d’étudier « les bobos » mais bien le mot en lui-même, les manières
dont on l’utilise et ce qu’il signifie, en fonction des discours auxquels il appartient. J’ai donc
dû veiller en permanence à ne pas moi-même prendre part aux représentations que j’étudie.
Mon approche du terme « bobo » et de ses interprétations est proche de celle que j’adoptais
les années précédentes, lorsque je m’exerçais aux commentaires littéraires. Si le sujet des
représentations du mot « bobo » m’intéressait, c’est aussi parce qu’il me paraissait être à la
croisée de plusieurs sciences sociales (histoire des représentations, sociologie, sociologie
politique, urbanisme) : cela explique pourquoi ce mémoire est pluridisciplinaire.
La délimitation du corpus d’étude n’a pas été facile. La première difficulté est que le mot
« bobo » est souvent employé dans la presse, sans pour autant que « bobo » soit le sujet
principal de la phrase dans lequel il figure ou du texte, ni qu’il ait de connotation polémique.
En outre, mes recherches sur les sites internet de grands journaux ou sur des bases de
données comme Europresse, me menaient souvent à des articles citant les homonymes
de « bobo » : « bobo » au sens de blessure ou Bobo-Dioulasso, grande ville du Burkina
Faso. J’ai choisi d’étudier les représentations de la notion de « bobo » dans les discours
médiatiques et politiques (articles de journaux, articles sur internet, mais aussi discours
retranscrits, bandes-dessinées, vidéos, émissions radio) : cela m’a donné la possibilité de
travailler sur la communication idéologique et partisane et de donner une problématique
à mon sujet. Des critères thématiques m’ont également permis de construire mon corpus
d’étude. J’ai sélectionné les énoncés dans lesquels le terme « bobo » revêtait un aspect
polémique et où il servait des discours aux enjeux politiques ou potentiellement politiques.
Le choix de l’étude du terme « bobo » (et non de l’expression « bourgeois bohème »)
m’a permis de fixer des bornes chronologiques à ce mémoire. Nous étudierons les
représentations du mot dans les discours médiatiques et politiques de 2000 jusqu’à nos
jours. L’emploi de la notion en France et en français seulement retiendra notre attention.
Bien que le terme ait une origine américaine, il n’y a qu’en France qu’il a connu un véritable
succès (nous étudierons ce point dans la suite du mémoire).
10
I. Les représentations de la notion de « bobo » dans les discours médiatiques et politiques.
I. Les représentations de la notion de
« bobo » dans les discours médiatiques
et politiques.
L’objet de cette partie est de rendre compte de manière globale des représentations des
« bobos » dans les discours qui rapprochent cette notion à des enjeux politiques. Nous
avons mené pour cela une enquête sur les discours tenus dans les médias. Ils sont l’un des
reflets des représentations des « bobos » véhiculées par les journalistes, par les hommes
et les femmes politiques dont les propos sont souvent rapportés, et par l’ensemble de la
société française. Les journalistes citent et commentent parfois les propos des personnalités
politiques contenant le mot « bobo ». D’autres articles sont dédiés aux « bobos » sans que
l’actualité politique le justifie particulièrement et peuvent faire appel aux commentaires de
personnes plus ou moins spécialistes du sujet et érudites (simples profanes, journalistes
mais aussi chercheurs en sciences sociales ou auteurs ayant conceptualisé le terme).
En veillant à garder une certaine distance avec l’objet « bobo », nous analyserons les
sens donnés au terme et les représentations liées à la notion. L’explication des figures de
style, des images et des tonalités de discours qui accompagnent le mot nous permettra de
montrer comment « bobo » est un interprété et ce que ce terme évoque. Cette analyse nous
permettra de montrer que cette notion est régulièrement mobilisée pour parler de différents
problèmes politiques. Nous pourrons par la suite formuler des hypothèses relatives aux
raisons du succès de ce terme en communication politique (De quoi parle le « bobo » ?). Les
représentations des « bobos » se croisent et se rejoignent (les lieux communs se rapportent
souvent les uns aux autres), mais il est possible de les regrouper de manière thématique.
Pour chaque sous-partie, on interprétera le sens donné au mot « bobo » grâce à une analyse
de la manière dont on l’utilise.
A. Personnification, réification et classification du
« bobo ».
« Personne d’un milieu aisé, jeune et cultivée, qui recherche des valeurs authentiques,
10
la créativité » . La définition du Petit Robert en atteste : « bobo » désigne une personne
quand il est utilisé comme nom, ou un phénomène qui se rapporte à ce type de personne
quand il est utilisé comme adjectif qualificatif. La notion est donc personnifiée : on attribue
au néologisme, acronyme de « bourgeois bohème », des qualités humaines. Si l’aspect
humanoïde du bobo paraît faire l’unanimité, son caractère humain, lui, est discutable. Cette
distinction est celle que l’on fait communément entre le personnage et la personne en
art : l’un est fictif, entièrement ou partiellement construit par son ou ses auteurs, l’autre
correspond à l’individu réel. Le « bobo », comme le personnage, a toutes les caractéristiques
10
Op. cit. p. 8.
11
« Bobo » : us et abus d’un mot au service de rhétoriques idéologiques.
d’un Homme mais ne désigne réellement personne. Eric AGRIKOLIANSKY, maître de
conférences en science politique à l’Université Paris-Dauphine, montre l’évanescence
du « bobo » dans son article sur Médiapart au titre évocateur « Recherche « bobos »
11
désespérément… » . Les bobos sont une catégorie « inventée » qui n’est constituée que
de représentations. Pourtant, souvent le terme « bobo » est réifié (ou chosifié) dans les
discours médiatiques, politiques et même scientifiques : plutôt que de parler du « bobo »
comme d’une idée, on en parle comme d’une chose réelle, observable et désignable.
1. Une réification généralisée
Représentations et réification du mot « bobo » dans les médias et dans
l’opinion publique.
Les médias sont les premiers, au sens propre comme au sens figuré, à réifier le mot
« bobo », soit à transformer en un objet réel ce qui est de l’ordre de la simple représentation
mentale. Ils affirment que le terme désigne une catégorie d’individus réels. David BROOKS,
éditorialiste au New York Times, est le premier à utiliser le terme « bobo » dans un essai paru
en 2000 sous le titre de Bobos in paradise. The New Upper Class and how They Got there.
Il décrit des individus ayant des points communs et les regroupent sous la dénomination
“bobos” : « Ce sont ceux qui ont suivi des études supérieures et qui ont un pied dans le
monde bohème de la créativité et un autre dans le royaume bourgeois de l’ambition et de
12
la réussite matérielle » . On peut observer dans cet extrait que l’auteur a l’intention de
désigner des personnes qui existent réellement, grâce au pronom démonstratif « ceux »
et grâce à l’évocation d’activités humaines (« suivre des études supérieures », avoir de
« l’ambition »). De la même manière, le terme est régulièrement employé par les médias
français sans mettre en question l’existence des « bobos ». On ne citera à titre d’exemple
13
que l’article d’Annick RIVOIRE paru dans Libération le 15 juillet 2000 sous le titre « L’été
de tous les Bobos » et le documentaire télévisé Les Bobos dans la ville, réalisé par Amal
14
MOGHAIZEL et diffusé sur la chaine Arte en 2006 . L’article d’Annick RIVOIRE est l’un
des premiers à décrire ceux qu’on appelle à présent couramment les «bobos » : « Caché
derrière ses lunettes de glacier en
pleine ville, planqué sous un bonnet tibétain griffé,
invisible sous son look écolo-ethnico-pratique, le bourgeois nouveau est là . ». La réalisatrice
de Les Bobos dans la ville, elle, va jusqu’à filmer des individus bien réels sous la forme d’un
documentaire, pour illustrer la notion de « bobo » et comme pour donner vie au personnage.
Les personnalités politiques semblent elles aussi avoir facilement adhéré à l’existence
des « bobos ». Jean-Marie LE PEN affirme que « le bobo se porte plutôt à gauche et il est
15
poilu de la gueule d’habitude… Bah oui… C’est la mode, la mode musulmane, ça ! » . Il
parle du Bobo de manière caricaturale, comme si « le Bobo » était le représentant de tous
11
12
13
Op. cit. p. 10.
BROOKS, David (traduction NABET, Agathe et THIRIOUX Marianne), Les Bobos. Paris : Florent Massot Eds, 2000, 306 p.
RIVOIRE, Annick, « L’été de tous les Bobos » [en ligne], Libération. 15 juillet 2000 [réf. du 21 juin 2013]. Disponible sur : http://
www.liberation.fr/guide/0101339527-l-ete-de-tous-les-bobos .
14
MOGHAIZEL, Amal, Les Bobos dans la ville. [vidéo]. France : Audiovisuel Multimedia International, 2006, 43 mn.
15
LE PEN, Jean-Marie, devant les caméras d’LCP, le 17 avril 2012. Cf. article de GOAR, Matthieu, « Jean-Marie Le Pen
compare le meeting de la Concorde à Nuremberg et Marine Le Pen élude la question », [en ligne], 20 Minutes. 19 avril 2012 [réf. du
25 juillet 2013]. Disponible sur : http://www.20minutes.fr/elections/919591-jean-marie-pen-compare-meeting-concorde-nurembergmarine-pen-elude-question
12
I. Les représentations de la notion de « bobo » dans les discours médiatiques et politiques.
les « bobos ». Simultanément, cet énoncé relève de la tonalité d’une description itérative,
comme issue d’une observation régulière qui permettrait d’affirmer une généralité. Lors de
16
son meeting à Henin-Beaumont le 15 avril 2012 , Marine LE PEN s’en prend elle aussi
aux « bobos » à qui elle donne vie et mobilité (elle leur attribue un itinéraire géographique),
et qu’elle identifie implicitement aux publics des meetings des candidats HOLLANDE et
SARKOZY : « les bobos, qui iront voir Nicolas à la Concorde après le brunch, avant de filer
en Velib’ à Vincennes, pour voir si François a une cravate plus cool que celle de Nicolas.
A moins que la séance de yoga n’oblige à écourter ces petites festivités parisiennes. ».
Même si elle désigne des individus réels, on notera que l’utilisation de lieux communs sur les
« bobos » (le « brunch », le « Velib’ » ou « la séance de yoga ») a davantage tendance à figer
et à caricaturer le portrait qu’à lui donner un effet de réel. Cette prise de distance volontaire
de la part de Marine LE PEN vis-à-vis de la réalité a pour but de dénigrer les électeurs de ses
opposants, mais elle témoigne peut-être aussi de la conscience de l’existence de clichés
sur ce qui ne peut être qu’un personnage. La réification est en revanche beaucoup moins
nuancée quand Nicolas SARKOZY lance « Je ne parle pas pour les bobos du boulevard
17
Saint-Germain » dans son discours à Raincy le 26 avril 2012 . Cet énoncé a largement été
commenté et beaucoup de journalistes ont posé la question de savoir si le boulevard SaintGermain était un quartier de « bobos ». Quoi qu’il en soit, on remarque que la dénonciation
des habitants d’un boulevard relève bien d’une réification.
Comment les scientifiques appréhendent-ils le mot « bobo »?
Certains spécialistes des sciences sociales se sont également intéressés à la notion de
« bobo ». Comme les journalistes et les personnalités politiques, ils ont tendance à parler
des « bobos » à la troisième personne, privilégiant néanmoins le pluriel (« ils », « les
Bobos ») au singulier (« il », « le bobo »), plus caricatural et réducteur. En avril 2012,
dans un article de 20 minutes, Matthieu GOAR pose la question de savoir s’il existe un
18
« vote « bobo » Jean-Luc MELENCHON » . Il interroge et cite Jérôme SAINTE-MARIE
19
de l’Institut CSA pour élucider ce problème . Celui-ci qualifie expressément les « bobos »
d’une « population » et en parle comme d’un concept sociologique que l’on définirait. Il
caractérise d’abord les « bobos » en fonction d’un capital économique (« les bobos sont des
gens qui ont des hauts revenus »), d’un capital culturel et d’un capital social (« Il s’agit d’une
population très informée, très sensible aux modes »). Puis il évoque les interactions entre
cette supposée « population » et la société : « Et puis, au final, il ne faut pas négliger un
facteur important : cette catégorie de la population cherche en permanence à se distinguer
». Chaque fois qu’il est cité dans cet article, on observe que Jérôme SAINTE-MARIE utilise
16
LE PEN, Marine, lors de son meeting à Hénin-Beaumont, le 16 avril 2012. Vidéo disponible sur l’article « Marine Le
Pen fustige les bobos du PS (vidéo) » [vidéo, en ligne], 24heures actu. 16 avril 2012 [réf. du 25 juillet 2013]. Disponible sur :
http://24heuresactu.com/2012/04/16/marine-le-pen-fustige-les-bobos-du-ps-video/ .
17
SARKOZY, Nicolas, lors de son meeting au Raincy, le 26 avril 2012. Citation extraite de l’article de VIGNAL, François,
« Au Raincy, Sarkozy parle sécurité et «pas pour les bobos du boulevard Saint-Germain» [en ligne], Public Sénat. 26 avril 2012 [réf.
du 25 juillet 2013]. Disponible sur :
http://www.publicsenat.fr/lcp/politique/raincy-sarkozy-parle-s-curit-pas-bobos-boulevard-saint-
germain-257452 .
18
GOAR, Matthieu, « Présidentielle : existe-t-il un vote « bobo » Jean-Luc Mélenchon ? » [en ligne], 20 Minutes. 3 avril 2012 [réf. Du
16 juillet 2013]. Disponible sur : http://www.20minutes.fr/elections/910293-presidentielle-existe-t-il-vote-bobo-jean-luc-melenchon .
19
Le statut de Jérôme Sainte-Marie est ambigu. Il travaille pour l’Institut CSA et n’est donc pas chercheur. Néanmoins, il est présenté
comme un spécialiste des sondages (il enseigne la méthodologie des sondages à l’Université Paris-Dauphine) et fait figure d’autorité
dans cet article.
13
« Bobo » : us et abus d’un mot au service de rhétoriques idéologiques.
20
les codes linguistiques des sciences sociales. La désignation « cette population » permet
une mise à distance avec l’objet « bobo » (comme on étudierait un objet sociologique).
L’utilisation du présent de l’indicatif donne une valeur de vérité générale aux énoncés qui
ne laissent pas de place à la nuance ou aux particularités. Mais Jérôme SAINTE-MARIE
n’est pas le seul à désigner les « bobos » comme une population ou comme une réalité
sociale. Beaucoup de journalistes, de personnalités politiques et de chercheurs qualifient
les « bobos » de « classe sociale ». C’est le cas du journaliste du Nouvel Economiste, Pierre
Louis ROZYNES qui écrit des « bobos » qu’ils sont une « nouvelle classe sociale à part
20
entière » . La position des chercheurs est, elle, beaucoup plus ambiguë. Michel PINÇON,
21
chercheur au CNRS et co-auteur de Sociologie de la bourgeoisie et de Sociologie de Paris
22
explique l’embarras des sociologues face à cette notion : « Sur le fond, en sociologie,
on n’aime pas trop employer ce terme. Je pense que le succès de celui-ci vient du fait
qu’il ne correspond pas à une catégorie INSEE comme les petits commerçants ou les
23
instituteur s » . Le « bobo » n’est pas un objet d’étude sociologique, et simultanément,
les chercheurs sont interloqués par cette notion qui semble pouvoir désigner des réalités
sociologiques telles que l’embourgeoisement des centres-villes. Le discours de Michel
PINÇON et de Monique PINÇON-CHARLOT autour de la notion est lui-même assez peu
clair. Dans Sociologie de Paris, ils utilisent les termes « bobos » et « bourgeois bohèmes » :
là encore l’objet est réifié, avec le sous-entendu que ces personnes existent bel et bien.
24
Néanmoins, dans une interview accordée au Figaro en 2001 , les mots des sociologues
traduisent le malaise des chercheurs face à cette notion : ils parlent des bobos à la troisième
personne du pluriel, les désignent comme un « groupe », et simultanément, leur discours
comporte un certain nombre de modalisateurs qui témoignent d’une incertitude quant à la
définition et au classement de ces « bobos ». « On ne peut pas dire que ce soit un concept
au sens classique du terme : les « bobos » constituent bien un groupe correspondant à une
certaine réalité, dont les contours restent cependant flous. ». La mise entre guillemets de
« bobos » (que l’on retrouve à peine sous la plume de journalistes) peut signifier une prise de
distance vis-à-vis de l’objet, une précaution prise par rapport au mot et aux représentations
qui l’accompagnent. L’utilisation de l’adjectif indéfini « certaine » et de du groupe nominal
« contours flous » témoignent de la difficulté de s’exprimer sur la question et de l’imprécision
du signe « bobo ». Et Michel PINÇON et Monique PINÇON-CHARLOT de poursuivre « c’est
un fait sociologique intimement lié à des structures de production apparues au lendemain
de la dernière guerre, et notamment aux activités de communication au sens large du terme
(publicité, audiovisuel, informatique, aujourd’hui Internet…) ». Ce que l’on retient de cet
énoncé c’est que pour les deux sociologues, les « bobos » sont une réalité, une réalité
sociologique même (« un fait sociologique »), mais qu’on ne saurait pas définir comme une
classe sociale, au même titre que les « bourgeois » ou les « classes moyennes ». L’absence
de définition sociologique consensuelle est caractéristique de la notion. C’est ce qui permet
ROZYNES, Pierre Louis, « Les bobos sont-ils graves, docteur ? » [en ligne], Le Nouvel Economiste. 3 mai 2012 [réf. du 16 juillet
2013]. Disponible sur : http://www.lenouveleconomiste.fr/les-bobos-sont-ils-graves-docteur-14714/ .
21
22
23
Op. cit. p. 7.
PINCON Michel et PINCON-CHARLOT Monique, Sociologie de Paris. Paris : La Découverte (« Repères »), 2008, 128 p.
« Les bobos, du pinacle au pilori » [en ligne], Stratégies Magazine. N°1385, 13 octobre 2005 [réf. du 06 mars 2013]. Disponible
sur : http://www.strategies.fr/articles/r38723W/les-bobos-du-pinacle-au-pilori.html .
24
avril
BENTEGEAT,
2001
[réf.
du
Hervé.
17
juillet
«
Les
2013].
bobos
sont
Disponible
des
sur
:
zappeurs
»
[en
ligne].
Le
Figaro.
N°
17634,
20
http://recherche.lefigaro.fr/recherche/access/lefigaro_fr.php?
archive=BszTm8dCk78Jk8uwiNq9T8CoS9GECSHiGrs4sodT12ZSa1q0RVgNFC2AMgF4X99WxthOG11G0p2Zy6BaSOXVcw%3D
%3D .
14
I. Les représentations de la notion de « bobo » dans les discours médiatiques et politiques.
à tous ses utilisateurs de l’employer sans beaucoup de contraintes, en l’interprétant de
diverses façons, et partant, en lui accordant de nombreuses définitions.
Chercheurs, personnalités politiques ou journalistes : même si certains semblent plus
prudents vis-à-vis de l’utilisation de « bobo » que d’autres, personne ne semble dupe. Tous,
ou presque, ont ne serait-ce que l’intuition que cette notion est instable, et doutent de la
réalité qu’elle désigne. Tout se passe comme si les auteurs des énoncés qui utilisent ce
terme faisaient « comme si » les « bobos » existaient, à la manière d’Anne CLERVAL, qui
dans une critique du texte de David BROOKS écrit « les bobos, s’ils existent, [… ] ». Il
semblerait que lorsque l’on parle de « bobos », notamment dans les discours à connotation
politique, on se prête au jeu plus ou moins consciemment, on fasse semblant d’y croire.
Le dernier exemple significatif de la réification du terme « bobos » qu’il nous faut citer est
celui des bandes-dessinées de DUPUY et BERBERIAN (Bienvenue à Boboland et Global
25
Boboland) parues dans le magazine Fluide Glacial . Les auteurs dessinateurs donnent un
corps aux « bobos », ils les font parler, penser, se mouvoir. Contrairement aux articles et
aux discours oraux précédemment étudiés, l’image s’ajoute au texte pour renforcer l’effet
de réel du discours tenu sur les « bobos ». Et pourtant, cette représentation est peut-être la
plus fidèle à ce que sont réellement les « bobos » à savoir des caricatures, des personnages
fictifs.
2. Les « bobos », une classe fantasmée ?
La gentrification est-elle le référent du signe « bobo » ?
Si la réification du mot « bobos » est difficile à éviter et si certains affirment qu’il s’agit d’un
« fait sociologique », c’est sans doute parce que les « bobos » et la « boboïsation » nous
semblent relever de phénomènes observables. Dans Sociologie de Paris, Michel PINÇON
et Monique PINÇON-CHARLOT utilisent le terme « bourgeois bohème » pour parler du
« Paris en mutation ». Depuis maintenant une vingtaine d’années, certains quartiers de la
capitale autrefois réservés aux classes populaires sont pris d’assaut par des populations
dont « les moyens financiers et les modes de vie sont, a priori en discordance avec les
26
bâtiments industriels et artisanaux » . Les chercheurs ne sont pas les seuls à constater
la modification du paysage urbain et de ses habitants, et ce phénomène ne se limite pas
à Paris. C’est ce que l’on voit dans l’article d’Andrés PEREZ, « Les bobos à l’assaut des
27
banlieues « popu » » . Traitant de la « boboïsation » de Montreuil, en banlieue parisienne, le
journaliste écrit « Aujourd’hui, les bobos s’installent en banlieue, où ils achètent lofts, ateliers
désaffectés, combles et entrepôts de la « ceinture rouge » de la capitale ». Une réhabilitation
de quartiers visible, et des mutations cautionnées par des chiffres : un « bouleversement
démographique » avec selon l’auteur, 10 000 nouveaux habitants depuis 2000, une hausse
du prix du mètre carré habitable qui serait de « 14,3% ». Ces faits ne relèvent pas que
des représentations : ils correspondent à des phénomènes réels. Ils portent un nom : la
gentrification. Il s’agit d’une « forme particulière d’embourgeoisement qui concerne les
quartiers populaires et passe par la transformation de l’habitat, voire de l’espace public et
25
DUPUY, Philippe et BERBERIAN, Charles, Bienvenue à Boboland. Paris : Audie, 2008, 30 p. DUPUY, Philippe et
BERBERIAN, Charles, Global Boboland. Paris : Audie, 2009, 30 p.
26
27
Op. cit. p. 18.
PEREZ, Andrés. « Les bobos à l’assaut des banlieues « popu » » [en ligne], Courrier International. 13 mars 2008, n° 906 [réf. du
17 juillet 2013]. Disponible sur http://www.courrierinternational.com/article/2008/03/13/les-bobos-a-l-assaut-des-banlieues-popu .
15
« Bobo » : us et abus d’un mot au service de rhétoriques idéologiques.
28
des commerces » . C’est un phénomène universel qui touche de très nombreuses villes
où l’étalement urbain se ralentit au profit d’une réhabilitation des centres. La gentrification
s’inscrit dans une problématique de ségrégation socio-spatiale : les quartiers sont très
souvent gentrifiés au détriment des classes populaires qui peu à peu, sont repoussées vers
les périphéries. Dans les discours, « bobo » est fréquemment utilisé comme synonyme de
« gentrifieur ». Cet extrait de Sociologie de la bourgeoisie, de Michel PINÇON et Monique
PINÇON-CHARLOT, le montre :
« Ces « bourgeois », volontiers qualifiés par l’oxymoron « bourgeois-bohèmes »,
alliance de mots contre nature, n’appartiennent pas à de vieilles familles et ne
disposent pas d’une fortune personnelle. Diplômés, insérés dans le monde
du travail, où ils sont salariés, travailleurs indépendants ou petits patrons,
ils œuvrent dans la communication, les nouvelles technologies, la création
artistique. Ils gagnent suffisamment bien leur vie pour pouvoir habiter, et
travailler, dans la capitale, qui est devenue le cœur d’une conurbation de plus de
29
dix millions d’habitants. »
Nulle allusion ici au « vote bobo » ou aux habitudes de consommation « bobos ». Sans la
distinction faite dans la première phrase entre les « bourgeois bohèmes » et la bourgeoisie
traditionnelle, on pourrait penser que cette définition est tirée d’un ouvrage d’urbanisme
et non de sociologie. L’amalgame entre « gentrifieurs » et « bobos » est très souvent fait
comme le suggère Anne CLERVAL, géographe spécialiste de la gentrification : « Là où les
chercheurs en sciences sociales parlent de gentrifieurs, les journalistes parlent de bobos.
30
» . Dans son article, la géographe insiste sur l’aspect non scientifique de l’objet « bobo ».
Les discours qui le définissent ne font, selon Anne CLERVAL, jamais intervenir de données
statistiques, d’enquêtes de terrain, ou de quelconque outil scientifique propre aux sciences
sociales. Le gentrifieur serait un objet scientifique qui, parce qu’il est lié à une ségrégation
socio-spatiales, peut devenir l’un des aspects d’un problème politique (si on se demande
par exemple quelles politiques urbaines doivent accompagner la réhabilitation de quartiers)
mais dont le sens reste apolitique. On ne peut pas blâmer les gentrifieurs comme on blâme
les « bobos » : la gentrification est un processus scientifique, sans connotation éthique, ni
politique, et partant, sur laquelle on ne peut pas porter de jugement moral. On ne peut pas
débattre de l’existence des gentrifieurs aujourd’hui scientifiquement attestée, à l’inverse de
celle des « bobos ». Le terme, lui, est exclu de la sphère scientifique : il relève des discours
médiatiques et des constructions mentales. Anne CLERVAL conclut :
« Ainsi, la gentrification, processus spatial de différenciation sociale dans
l’espace urbain, joue peut-être un rôle déterminant dans l’identification de cette
nouvelle bourgeoisie montante. Pour éviter un terme aussi peu justifié que
« bobo », on préférera utiliser celui de gentrifieurs » et, ce faisant, qualifier cette
31
probable nouvelle bourgeoisie à travers ses choix résidentiels. » .
28
CLERVAL, Anne, “Gentrification” [en ligne], Hypergéo(« Concepts »), 2004 [réf. du 17 juillet 2013]. Disponible sur :
http://
www.hypergeo.eu/spip.php?article497 .
29
30
Op. p.7.
CLERVAL, Anne, “David BROOKS, 2000, Les Bobos, Les bourgeois bohèmes, trad. par M. Thirioux et A. Nabet, Paris, Florent
Massot, coll. Le Livre de poche, 314p. - Les « Bobos », critique d’un faux concept” [en ligne], Cybergeo : European Journal of
Geography (« Revue de livres »). 17 mars 2005 [réf. du 17 juin 2013]. Disponible sur : http://cybergeo.revues.org/766 .
31
16
Ibid.
I. Les représentations de la notion de « bobo » dans les discours médiatiques et politiques.
La confusion entre « bobos » et « gentrifieurs » est cependant régulièrement faite (qui
d’autre que les urbanistes et géographes parlent des environs du canal Saint-Martin à Paris
comme d’un « quartier gentrifié » et non d’un « quartier bobo » ?). Tout se passe comme
si le phénomène scientifique observable à l’œil nu donnait caution aux représentations des
« bobos » : il lui apporte un effet de réel. On peut valider l’hypothèse d’Anne CLERVAL
selon laquelle « gentrifieur » n’est pas synonyme de « bobo », en y ajoutant l’argument que
« bobo » a bien plus de connotations que son alter égo scientifique. Le seul habitat dans un
quartier réhabilité ne suffit pas à définir un « bobo » : selon les représentations, le « bobo »
serait aussi défini par ses valeurs de gauche, sa recherche de créativité et d’authenticité, sa
tendance à la différenciation, ses habitudes de consommation… Un ensemble de critères
32
qui pourraient être définis par un « habitus » .
Les « bobos » comme classe sociale : mythe ou réalité ?
Les journalistes et les personnalités politiques disent souvent des bobos qu’ils constituent
une « classe sociale ». C’est ce que l’on a vu dans l’article « Les bobos sont-ils graves,
33
docteur ? » de Pierre Louis ROZYNES et que l’on peut voir aussi, entre autres, avec cette
citation de Jean-Marie LE PEN : « C’est la classe bobo de gauche et de droite qui est
34
complètement coupée du peuple français » . Cette image des « bobos » comme « classe »
relève-t-elle d’une représentation construite ou d’une réalité ?
35
Selon le modèle théorique des classes sociales de Pierre BOURDIEU , plusieurs
critères participent à la définition d’une classe. Dans La Distinction, BOURDIEU met en
correspondance « l’espace social », défini par le « capital économique », le « capital
culturel » et le « capital social », et l’espace des « habitus » qui peuvent être définis comme
des dispositions à un style de vie, des inclinaisons à penser et à percevoir d’une certaine
manière, qui dépendent principalement de notre origine sociale. Si le modèle bourdieusien
nous intéresse ici, c’est parce qu’il fait intervenir plusieurs variables dans la détermination
d’une classe, et qu’il semble que les différents critères couramment attribués à la définition
du « bobo » puissent correspondre à ces variables. Les individus qu’on identifie « bobos »
peuvent en effet être placés dans l’espace social : leur capital économique est élevé, sans
l’être autant que celui des bourgeois. « Ils ne disposent pas de fortune personnelle »
36
et sont « salariés » . Leur capital culturel, lui, serait très élevé : communément, on
37
38
parle d’individus « diplômés » , « très informés » et cultivée. En revanche, peu de
représentations pourraient témoigner d’un capital social plus ou moins élevé, si ce n’est
l’idée souvent partagée que les « bobos » vivraient ensemble et entretiendraient une sorte
de réseau au sein de leur « territoire » comme en témoigne cette phrase de François
D’EPENOUX : « c’est un personnage parisien qui vit dans les murs clos de la capitale
32
33
34
BOURDIEU, Pierre.
Op. cit. p.18.
LE PEN Jean-Marie, cité dans « Mitterrand : Le Pen (FN) fustige la « classe bobo de gauche et de droite » [en
ligne], AFP [Journal internet]. 09 octobre 2009 [réf. du 19 juillet 2013]. Disponible sur :
http://www.lefigaro.fr/flash-
actu/2009/10/09/01011-20091009FILWWW00559-mitterrand-le-pen-contre-les-bobos.php .
35
36
37
38
BOURDIEU, Pierre, La Distinction, critique sociale du jugement. Paris : Les Editions de Minuit, 1979, 672 p.
PINCON, Michel et PINCON-CHARLOT, Monique. Op. cit. p.18.
Ibid.
GOAR, Matthieu. Op. cit. p. 17.
17
« Bobo » : us et abus d’un mot au service de rhétoriques idéologiques.
39
sans plus savoir très bien ce qu’il se passe réellement au-delà du périphérique » . Le
« bobo », dans les peintures qu’on en fait, semble avoir un « habitus » propre au sens où
le définit BOURDIEU (« un système de dispositions réglées »), qu’il partagerait avec les
autres membres de sa catégorie sociale. Il consomme des produits « Bio », se passionne
pour la culture au sens large (pour les beaux-arts comme pour les produits de terroir ou
pour le street-art), il recherche la mode et la nouveauté, notamment dans le domaine des
technologies mais manifeste un esprit de rébellion, il est « sociologiquement de droite
40
» mais défend des valeurs de gauche, de l’extrême-gauche au centre, en passant par
l’écologisme… Cette liste recense quelques clichés mais n’est évidemment pas exhaustive.
Les représentations montrent communément les « bobos » comme une classe sociale à
part entière. Cependant, la comparaison entre « bobos » et « classe sociale » au sens
où la perçoit Pierre BOURDIEU trouve ses limites. Un « habitus » pour BOURDIEU est
nécessairement orienté par la socialisation primaire et secondaire des individus. Or les
« bobos » ne sont pas représentés comme des personnes qui auraient reçu leur capital
économique ou leur capital culturel à la naissance, ou qui les auraient développés pendant
leur éducation. A en croire les représentations qu’on en donne, leur style de vie serait apparu
ex-nihilo. Il est difficile de l’expliquer de manière sociologique.
Dire des « bobos » qu’ils sont une « classe », ce serait omettre la grande diversité de
statuts des personnes que l’on désigne par ce terme. Le politologue Eric AGRIKOLIANSKY
cite dans son article « Recherche « bobos » désespérément » l’une des rares études sur
l’homogénéité des supposés « bobos ». Il s’agit d’une enquête reposant sur un questionnaire
de sortie d’urnes lors des élections municipales de 2008, dans deux quartiers de Paris : le
16e arrondissement de la bourgeoisie traditionnelle et le 10e arrondissement, « sanctuaire
supposé des « bobos » parisiens, […] là où DUPUY et BERBERIAN situent précisément
41
« Boboland »
». Les résultats sont probants : les supposés « bobos » sont loin de se
ressembler et de partager les mêmes conditions de vie.
« En définitive, la supposée « bourgeoisie bohème » du 10e arrondissement est
majoritairement composée (58%) d’employés, de professions intermédiaires,
d’enseignants du secondaire, de journalistes et de professionnels des arts et du
spectacle. Les cadres supérieurs du privé, les professions libérales ou encore les
chefs d’entreprise ne représentent qu’une minorité des actifs. ».
Par ailleurs, on ne saurait affirmer qu’il existe un « vote bobo » comparable à ce qu’aurait
pu être le « vote ouvrier ». Lorsque des historiens, comme Michelle PERROT, posent
la question de l’existence ou non d’une classe ouvrière au XIXe et au XXe siècle, de
nombreuses variables entrent en compte, en plus des différents « capitaux » bourdieusiens :
l’absence de mobilité sociale, la ségrégation socio-spatiale, l’homogamie, la reproduction
sociale, une « culture ouvrière » composée d’un certain nombre de rites (la pratique de
42
la « Saint-Lundi » par exemple), un engagement politique commun . Or, aucune de ces
39
D’EPENOUX, François, cité dans l’article de DELCROIX, Olivier, « François d’Epenoux : « Marre des bobos ! » », Le Figaro
littéraire. 18 septembre 2003, n°18386, 8 p.
40
PERRINEAU, Pascal, cité par GODEFROY, Roland. « Les électeurs veulent être pris au sérieux » [en ligne], Ouest-France
(« Municipales 2001 »). 21 mars 2001 [réf du 25 juillet 2013]. Disponible sur : http://municipales2001.ouestfrance.fr/scripts/consult/
ecran4/Ecran4.asp?IN_DOC_id=5333&IN_client=of .
41
42
Op. cit. p. 10.
Ces caractéristiques pourraient tout à fait s’appliquer à la classe bourgeoise telle que Michel PINÇON et Monique PINÇON-
CHARLOT la décrivent : elles ne sont pas propres à la seule classe ouvrière.
18
I. Les représentations de la notion de « bobo » dans les discours médiatiques et politiques.
variables ne serait homogène parmi la population désignée comme « bobo », habitants du
10e arrondissement de Paris ou de la Croix-Rousse à Lyon, par exemple.
Une dernière caractéristique propre aux classes sociales, et non des moindres, est la
conscience de classe. Chez les ouvriers du XIXe siècle par exemple, cette conscience de
classe se manifestait par une reconnaissance et une solidarité entre individus d’une même
classe (les « camarades ouvriers ») et par le sentiment d’appartenir à la classe ouvrière
(être fier d’être ouvrier). C’est ce qui est essentiel à la désignation d’une classe et c’est
pourtant ce qui manque le plus à la supposée population de « bobos » : « les bobos,
43
c’est les autres » . Le terme agit comme un repoussoir et personne ne revendique être
un « bobo ». Les « bobos » pourraient être une sorte de « classe objet », pour reprendre
44
l’expression de BOURDIEU à propos des paysans : bien qu’ils soient souvent représentés
comme la classe dominante (ce que nous étudierons plus loin), ils se retrouvent dans la
position des « classes dominées » qui « ne parlent pas » mais qui « sont parlées ». Les
habitants de Paris, les habitants de l’Est parisien ou les habitants de la Croix-Rousse sont
sujets à une théâtralisation de la part des discours extérieurs. Mais la comparaison avec la
« classe objet » de BOURDIEU s’arrête là : les paysans des années 1970 sont davantage
susceptibles de composer une « classe » que les supposés « bobos » d’aujourd’hui. Dans
le texte de BOURDIEU, on peut lire « Affrontés à une objectivation qui leur annonce ce
qu’ils sont ou ce qu’ils ont à être, ils n’ont d’autre choix que de reprendre à leur compte la
définition (dans sa version la moins défavorable) qui leur est imposée ou de se définir contre
elle ». Si cela se vérifiait pour les paysans, ce n’est pas le cas pour les « bobos » désignés
qui ne se reconnaissent pas dans les représentations véhiculées sur les « bobos » et qu’ils
alimentent parfois eux aussi.
La réification est la première caractéristique des représentations des « bobos » dans les
discours (qu’ils aient un arrière-plan politique ou non), que l’on peut observer. Les « bobos »
sont désignés et traités comme des individus qui existeraient réellement, et qui formeraient,
sinon une classe sociale, une population particulière dans la société française. Si la tentation
à la réification et à la classification est forte, c’est parce que les « bobos » semblent s’incarner
à travers les gentrifieurs. Cet objet scientifique ne doit pourtant pas être confondu avec les
« bobos ». Ces derniers ne relèvent pas non plus d’une « classe sociale » : ils ne présentent
pas les caractéristiques traditionnellement attribuées à cette notion sociologique. Mais cette
dernière idée mérite d’être nuancée : ne peut-on pas dire que toute « classe sociale » et
toute structure de la société relève de représentations ? « La représentation du monde
social n’est pas un donné ou, ce qui revient au même, un enregistrement, un reflet, mais le
45
produit d’innombrables actions de construction qui sont toujours déjà faites et à refaire » .
Dans ce sens, et si la réalité sociale relève de constructions, on peut dire que la notion de
« bobo » n’est pas un reflet du réel mais bien, elle aussi, une construction.
43
TISSOT, Sylvie. « Une vision pernicieuse du monde social et de ses divisions » [en ligne], L’Humanité. 21 juin 2013 [réf. du
16 juillet 2013]. Disponible sur : http://www.humanite.fr/tribunes/une-vision-pernicieuse-du-monde-social-et-de-ses-d-544270 .
44
BOURDIEU, Pierre. « Une classe objet » [en ligne], Actes de la recherche en sciences sociales. Vol
17-18. Novembre 1977 [réf. du 25 juillet 2013]. Disponible sur :
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/
arss_0335-5322_1977_num_17_1_2572 .
45
BOURDIEU, Pierre. Op. cit. p.27.
19
« Bobo » : us et abus d’un mot au service de rhétoriques idéologiques.
B. Représentations du « bobo » comme d’un être
inabouti.
Les « bobos » sont réifiés et représentés comme une « classe sociale », mais une « classe »
qui ne ferait pas partie intégrante de la société. Les représentations les dépeignent comme
une population isolée tant géographiquement (l’idée est partagée qu’ils vivraient « dans les
46
murs clos de la capitale » ) que socialement, comme le montre le titre d’un article du Figaro :
47
« Les bobos n’ont pas les mêmes préoccupations que les autres » . Non seulement, on
représente les « bobos » comme une population à part, mais on les figure aussi comme des
êtres à la conscience politique inaboutie, « bêtes » aux sens propre comme au sens figuré.
1. Les tribus « bobos ».
Paris, le bastion « bobo ».
L’observation des phénomènes de gentrification dans plusieurs villes de France et de la
modification du paysage urbain offre une visibilité aux populations gentrifieuses désignées
comme « bobos ». Il semble alors que les « bobos » habitent un territoire reconnaissable
et à leur image. Les discours tenus sur les « bobos » représentent souvent des individus
tribaux qui mènent une guerre de territoires. Il existerait, selon les représentations, des
48
« terres bobos », autrement appelées par DUPUY et BERBERIAN « Boboland » . Il apparaît
souvent que ces territoires conquis seraient en guerre contre le reste de la France. Ainsi
pour François D’EPENOUX, le bobo « justifie » sa « volonté de n’habiter que la capitale »
par « son mépris total de la banlieue et, pire encore, sa haine des provinciaux : malheur
au plouc qui, immatriculé 95, 93, 87 ou 06 hésite à un carrefour [de Paris] avec son plan
49
sur les genoux ! » . Le « bobo » mépriserait les banlieusards et les provinciaux, et ce
serait en réaction à ces attaques que les « non-bobos », mépriseraient les « bobos » en
retour, comme en témoignent le titre (Les Bobos me font mal) et l’ensemble de l’ouvrage
de François D’EPENOUX. Les discours de ce type montrent une France divisée en trois
populations en conflit, occupant trois espaces distincts : les Parisiens, les banlieusards et
les provinciaux. La ville de Paris est très souvent représentée comme le « Boboland » ou
la terre d’origine des « bobos ». La notion « bobo » est d’ailleurs fréquemment rapprochée
de celle de « parisien », au sens propre, quand le nom et l’adjectif qualificatif se suivent
dans une même phrase, comme au sens figuré, lorsque les discours se chargent de sousentendus. Le discours de Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET en est l’exemple. Elle déclare
le 24 avril 2012, à propos de la proposition de François HOLLANDE d’accorder le droit de
vote aux étrangers aux élections locales : « c’est un truc de socialistes, de bobos parisiens
50
et ce sont souvent les mêmes » . L’association de ces deux termes a pour effet de sousentendre que les bobos sont, pour beaucoup, parisiens, mais surtout, elle laisse penser
que les « bobos parisiens » sont les pires des « bobos ». Lors de son meeting à Hénin46
47
48
49
50
D’EPENOUX, François. Op. cit. p.25.
HAUTER, François, « Les bobos n’ont pas les mêmes préoccupations que les autres », Le Figaro. 07 mars 2008, n° 19782, p. 4.
Op. cit. p.20. Cf. annexe 2.
Op. cit. p. 6.
PROVOST, Lauren, « Le bobo, ennemi public numéro 1 de la droite-VIDEOS » [en ligne], Le Huffington Post, 28 avril 2012 [réf.
du 19 juillet 2013]. Disponible sur : http://www.huffingtonpost.fr/2012/04/27/le-bobo-ennemi-public-num_n_1458688.html .
20
I. Les représentations de la notion de « bobo » dans les discours médiatiques et politiques.
Beaumont, Marine LE PEN fustige les « bobos parisiens » sans réellement les nommer ainsi
(elle ne parle que des « bobos »). Elle évoque les lieux parisiens qui ont été choisi pour les
meetings des candidats concurrents, raillant ainsi non seulement des « bobos » mais aussi
les Parisiens, de droite et de gauche, de la Concorde à Vincennes. C’est évidemment parce
que la candidate Front National tenait son discours dans le Pas-de-Calais et non à Paris,
que la moquerie fait sens et que l’attaque est puissante. Paris apparaît donc régulièrement
comme un bastion « bobo » ou comme le « labo Français bobo », comme l’écrit Thierry
51
PORTES . Cette métaphore est elle aussi significative. Elle donne à la ville l’allure d’un lieu
d’expérience ou d’une ville-test, où l’on observe toutes les dérives qui peuvent arriver par la
faute des « bobos ». Elle évoque aussi l’image de « bobos » en rats de laboratoire grouillant
(nous analyserons l’animalisation des « bobos » dans les représentations plus loin).
La colonisation « bobo ».
Les « bobos » ne sont pas seulement parisiens : on les représente comme un réseau,
développant un véritable empire colonial, à travers toute la France. Certains journalistes
sélectionnent les quartiers de Paris « boboïsés ». C’est le cas de Thierry PORTES qui,
52
dans son article du Figaro , se sert d’études sur la gentrification réalisées par l’Atelier
Parisien d’Urbanisme, pour dresser une « carte du Paris-bobo » (on a là un exemple des
confusions faites entre « bobos » et « gentrifieurs » tel qu’Anne CLERVAL les dénonce).
Il cite « les IXe (faubourg Montmartre), Xe (portes Saint-Martin et Saint-Denis) et XIe,
mais aussi […] les secteurs un peu plus périphériques, Père-Lachaise-XXe, Bercy-XIIe,
53
Batignolles-XVIIe, Clignancourt-XVIIIe et Plaisance-XIVe. ». DUPUY et BERBERIAN ,
54
mais aussi les journalistes Matthieu GOAR pour 20 Minutes et Lauren PROVOST pour
55
Le Huffington Post , illustrent leurs bandes-dessinées ou leurs articles avec des images
du Canal Saint-Martin à Paris.
Mais le phénomène « bobo » n’est pas représenté comme une occupation pacifique,
ni comme une mutation sociale au sein de certains quartiers (ce qu’est pourtant réellement
la gentrification). Les « bobos » seraient aussi des colons, qui « boboïseraient » d’autres
endroits en France. Dans leur croisade, ils auraient atteint Lyon dès 2001, si l’on en croit
56
Le Progrès qui interroge Raymond BARRE, alors maire de Lyon. L’article représente la
« boboïsation » comme une « arrivée » incontrôlée : « Mais pour l’actuel maire de Lyon,
une interrogation demeure sur l’évolution de l’électorat avec l’arrivée des « BOurgeoisBOhèmes » dans la ville, ces dernières années. « Les Bobos votent à gauche et combien y
en a-t-il ? » se demande M. Barre. ». L’apparition des « bobos » est vécue et montrée comme
une véritable invasion. On le voit également sur ce le graffiti aux mots virulents, inscrit sur
57
un mur en bas des pentes de la Croix-Rousse à Lyon : « Bobos hors des pentes » .
Autres endroits que l’on décrit communément comme « colonisés par les bobos » :
les lieux de vacances. François D’EPENOUX écrit : « sous prétexte d’apprécier le retour
51
52
53
54
55
PORTES, Thierry. « L’irrésistible invasion des bobos », Le Figaro. 29 octobre 2003, n° 18421. p. 10.
Ibid.
Op. cit. p.20. Cf. Annexe 2.
Op. cit p. 17.
Op. cit. p.29.
56
57
« Raymond Barre : « Tout est entre les mains des Lyonnais » », Le Progrès. 03 mars 2001
Cf. Annexe 1.
21
« Bobo » : us et abus d’un mot au service de rhétoriques idéologiques.
à la nature, il [le bobo] conchie les endroits à populace et mimiles, pour leur préférer des
endroits « vrais » et encore « intacts » : le sud de la Corse, […] Belle-Ile-en-Mer […] ; ou
58
59
encore, fin du fin, l’île de Ré. » . Et face à cette « prise d’assaut par les bobos » de
certains territoires, des résistances se créent. On le voit avec le graffiti « Bobos hors des
60
pentes » , inscrit sur un mur des Pentes de Lyon, à la manière d’une Croix de Lorraine
qu’on aurait dessinée à la hâte sur un poste de la Gestapo. Dans cette Guerre des Gaules,
le « bobo » fait figure de Jules César, et c’est Marine LE PEN qu’on retrouve dans le rôle de
Vercingétorix. La candidate F.N. aux élections législatives de 2012 à Hénin-Beaumont, s’est
auto-proclamée protectrice du peuple, face au « bobo » Jean-Luc MELENCHON, qu’elle
affrontait au premier tour. La journaliste Raphaëlle BESSE DESMOULIERES interroge Mme
LE PEN à l’issue du premier tour des élections (où elle devance le candidat du Front de
Gauche) sur les raisons de l’échec de M. MELENCHON : « Il est arrivé en terrain conquis et
a fait une campagne bobo, bruyante et violente, juge-t-elle. Les habitants n’aiment pas ça.
61
» . Ici, on oublie presque le sens figuré du terme de « campagne », traditionnellement utilisé
en politique pour désigner une « campagne électorale », qui retrouve son sens d’opération
de conquête militaire. Cet effet est produit par la caractérisation de cette campagne de
« bruyante » et « violente », et par l’introduction dans la phrase d’un mouvement, d’une
marche invasif, connotée par l’expression « arriver en terrain conquis ».
2. Les « bobos » « bêbêtes ».
Quand certains observateurs de la société comme le journaliste Thierry PORTES parlent de
62
« L’irrésistible invasion des bobos » , on peut y voir une métaphore comparant les « bobos »
à une tribu partie en guerre, comme on peut y lire la métaphore d’une colonie animale
envahissante.
Des « bobos » animaux.
63
Le terme « bobo » est apparu de manière soudaine dans les discours médiatiques français
et s’est très rapidement diffusé à travers la presse, à travers le langage populaire et à
travers les discours politiques. Les divers énoncés concernant les « bobos » évoquent une
« invasion » de bobos en France au moins aussi rapide que la diffusion du mot. C’est le cas
64
des articles « L’irrésistible invasion des bobos » et « Les bobos à l’assaut des banlieues
65
« popu » » . Dans ces articles, la gentrification est décrite comme une lutte pour l’espace
habitable, remportée par ceux qui sont favorisés par la « loi du plus fort » ou « loi de la
jungle » (comprendre ici « loi du plus puissant », donc du plus riche ?). Les journalistes et
58
59
60
61
Op. cit. p. 6.
PINCON, Michel. Op. cit. p. 19.
Cf. annexe 1.
BESSE DESMOULIERES, Raphaëlle, « Marine Le Pen bat sèchement Jean-Luc Mélenchon » [en ligne], Le Monde. 11
juin 2012 [réf. du 19 juillet 2013]. Disponible sur :
http://www.lemonde.fr/politique/article/2012/06/11/a-henin-beaumont-le-pen-bat-
sechement-melenchon_1716117_823448.html .
62
63
64
65
22
Op. Cit. p. 30.
On date cette apparition avec la publication de l’article de RIVOIRE Annick, en 2000. Cf p. 15.
Op. cit. p. 30.
Op. cit. p. 21.
I. Les représentations de la notion de « bobo » dans les discours médiatiques et politiques.
hommes politiques qui observent la diffusion de cette espèce au sein de la société, parlent
de ce phénomène avec inquiétude. On l’a vu avec Raymond BARRE (« les bobos votent
66
à gauche et combien y en a-t-il ? » ) mais cela est également visible avec l’expression de
67
« labo bobo » . Si les bobos font peur, c’est parce qu’ils sont dépeints et considérés comme
des animaux dangereux et inconnus. C’est d’ailleurs peut-être parce qu’ils sont méconnus
qu’ils inquiètent. On retrouve la métaphore de l’espèce animale méconnue dans Libération
en 2001 :
« Le « bobo » est un animal que tout le monde prétend connaître mais que
nulle catégorie statistique n’a encore réussi à cerner vraiment. C’est un gibier
d’excellent pedigree scolaire, de statut enviables dans la meute sociale, aux
habitudes plus vagabondes que sédentaire, aux goûts métissés et qui s’installe
68
volontiers dans les tanières huppées de territoires qui le sont moins. » .
L’animalisation est fréquente quand il s’agit d’exprimer l’idée d’une population invasive. Le
69
« labo bobo » évoque une métaphore des « bobos » en rats de laboratoire. Plus explicite
encore, DUPUY et BERBERIAN représentent eux aussi le « bobo » comme un rongeur,
70
mais cette fois, sous les traits d’un hamster, sur quelques planches de Global Boboland .
Le choix de la métaphore du « bobo-rongeur » évoque l’image développée ci-dessus des
petits animaux qui grouillent, et l’animalisation peut être interprétée comme dégradante (les
animaux n’ayant pas de conscience morale).
Enfin, les « bobos » sont régulièrement animalisés par des représentations qui les
montrent comme de véritables bêtes, au sens propre comme au sens figuré. Au sens propre,
on pourra citer l’exemple de François D’EPENOUX qui les compare à la « nouvelle volaille
71
qui, comme dans la chanson de Souchon, fait l’opinion » . On a là l’image du caquètement
de « bobos-poules » qui tiendraient des discours bruyants, entendus de tous, mais sans
intérêt. Le sens propre de « bête » rejoint le sens figuré lorsqu’on laisse entendre que
les « bobos » n’auraient en réalité aucune conscience politique et qu’ils ne feraient que
consommer les produits politiques et médiatiques qu’on leur propose. C’est ce qui apparaît
sous la plume de Pierre Louis ROZYNES : « En politique comme en culture, ils picorent,
s’entichent, dévorent et puis oublient.Si le candidat écologiste avait été Nicolas Hulot ou
Daniel Cohn-Bendit, les bobos auraient voté Dany ou Hulot, Mélenchon aurait fait un bide.
72
Politiquement, les bobos sont un peuple de l’offre. » . Avec les verbes « picorer » et
« dévorer », les « bobos » sont comparés à de la volaille et à du bétail affamé. Selon
l’auteur, la population « bobo » n’est pas pensante : elle a juste faim « d’offres » politiques
originales et n’est guidée que par son besoin de satiété.
Traitement zoologique des « bobos » dans les discours.
66
67
68
Op. cit. p. 31.
Op. cit. p. 30.
HELVIG, Jean-Michel, « « Bobos » à gogo pour la gauche parisienne » [en ligne], Libération. 23 mars 2001 [réf. du 21
juin 2013]. Disponible sur : http://www.liberation.fr/cahier-special/0101368201-bobos-a-gogo-pour-la-gauche-parisienne .
69
70
Op. Cit p. 30.
Op. cit. p. 20.
71
D’EPENOUX, François. Op. cit. p. 6. (Cite SOUCHON, Alain. « Poulaillier’s song » de l’album Jamais content. 1977. Paroles :
Alain Souchon. Musique : Laurent Voulzy).
72
Op. cit. p. Error: Reference source not found.
23
« Bobo » : us et abus d’un mot au service de rhétoriques idéologiques.
Les images ne sont pas les seuls éléments des discours sur les « bobos » à animaliser
cet objet : la tonalité des énoncés relève d’un traitement zoologique qui renforce l’effet
d’animalisation de notre objet d’étude.
On retrouve la même tonalité de discours chez l’ensemble des auteurs d’énoncés
sur les « bobos ». Ces journalistes, chercheurs ou personnalités politiques utilisent
régulièrement le registre descriptif, avec l’emploi du présent de valeur itérative pour à la fois
identifier physiquement les « bobos », et décrire leur mode de vie. A la question « à quoi
reconnaît-on un bobo ? » les auteurs répondent souvent par des descriptions qui rappellent
la tonalité d’un documentaire animalier. « Caché derrière ses lunettes de glacier en pleine
ville, planqué sous un bonnet tibétain, invisible sous son look écolo-ethnico-pratique, le
73
bourgeois nouveau est là ». Cet extrait de l’article d’Annick RIVOIRE dépeint le bobo
comme une nouvelle créature difficile à reconnaître (elle est « cachée », « planquée »,
« i nvisible ») mais identifiable grâce à des spécificités physiques. François D’EPENOUX
utilise le même registre : « On les voit même évoluer rue Saint-Benoît, cheveux au vent, sur
leurs bicyclettes hollandaises noires. […]On en croise également du côté d’Oberkampf. »
74
. L’auteur se met dans la peau d’un observateur et spécialiste animalier, qui sait comment
reconnaître l’espèce et où la trouver. L’effet de chosification ou d’animalisation des « bobos
» dans cette citation est renforcé par l’utilisation du pronom personnel « en » comme
complément d’objet direct (« les » aurait mieux convenu à la désignation d’hommes et de
femmes).
Les « bobos » ne sont jamais sujets mais toujours objets des discours : ils sont
observés, leurs comportements analysés, mais ils ne s’expriment pas. Les auteurs
conservent toujours leur position d’observateurs curieux, et gardent une distance entre eux
et l’objet étudié, sans jamais citer, interviewer ou adopter un point de vue interne, celui des
supposés « bobos ».
Cette comparaison des « bobos » avec des animaux a pour effet de renforcer le
sentiment partagé d’altérité, vis-à-vis de cette soit disant population : on se représente une
espèce différente, qui ne nous ressemble pas, et qui n’a ni le même mode de vie, ni les
mêmes préoccupations que les autres. Ces métaphores discréditent également les « bobos
» : ce sont des êtres qui, pour certains, sont réduits au silence, voire qui ne pensent pas. Ils
sont diminués, et parfois également traités comme des enfants.
3. L’infantilisation des « bobos ».
Un terme enfantin.
Le seul acronyme « bobo » suggère la diminution de ce qu’il désigne. Ses deux syllabes
labiales répétitives rappellent «bébé » ou « baba » (entendre le « baba cool » des années
1960 et 1970, bien « bohème » en ce qui le concerne). Il rappelle également son homonyme,
« le bobo » du langage enfantin, qui désigne une douleur physique ou une blessure. Cela
justifie les nombreux jeux de mots et calembours que les auteurs s’amusent souvent à créer
autour du terme « bobo ». On peut citer l’exemple de l’article de Pierre Louis ROZYNES, titré
75
du calembour « Les bobos sont-ils graves, docteur ? » . L’auteur joue sur l’homophonie du
sujet de son article, le « bobo » au sens de « bourgeois bohème », et du substantif familier
73
74
75
24
Op. cit. p. 15.
Op. cit. p. 25.
Op.cit. p. Error: Reference source not found.
I. Les représentations de la notion de « bobo » dans les discours médiatiques et politiques.
« bobo » (la blessure cette fois-ci) : la question rappelle avec humour celle qu’un patient
pourrait poser à son médecin. Ainsi, le terme « renvoie au langage enfantin pas très sérieux,
76
avec une connotation un rien péjorative pour désigner des adultes… » . Il transforme des
adultes ou plus exactement des citoyens, quand il est utilisé en communication politique,
en êtres immatures, irresponsables, et dont le vocabulaire se limite à deux syllabes.
Souvent dans la langue française, les mots ou expressions dont les syllabes sont
répétitives, évoquent la parole écholalique d’un enfant ou d’un individu simplet. Le
géographe Didier DESPONDS écrit « Dans l’imaginaire français, « bobo » cela sonne un
peu comme « neu-neu », « gogo », « con-con », « cul-cul », quelque chose d’un peu «
77
bêbête », pas très sérieux, un peu naïf » . Le terme même de « bobo » désigne donc
la simplicité d’esprit et la naïveté des personnages qu’il désigne. François D’EPENOUX va
plus loin dans les comparaisons homophoniques : « Le mot sonne sympa, voire enfantin.
Un peu comme bébés, babas, boubous, bonbons. Ce n’est pas un hasard : des premiers, les
Bobos ont la naïveté ; des deuxièmes, la fausse décontraction ; des troisièmes, les couleurs
78
d’un exotisme un peu cliché, et des derniers, cœur acidulé. Acidulé ? Acide plutôt. » . Pour
cet auteur, l’idée de « bobo » serait à la croisée des représentations des mots auxquels
« bobo » peut être phonétiquement comparé.
Enfin, on observera que ce terme se prête facilement à l’invective : en français, on
retrouve souvent des diminutifs aux suffixes en «-o », qui peuvent faire office d’insulte. «
Coco », « facho », « gaucho », « gogo », « macho », « Parigo »… « Bobo » s’insère aisément
dans cette galerie.
Un être en bas-âge.
Non seulement le terme « bobo » évoque a priori l’enfance, mais sa signification est
aussi alimentée de tous les clichés véhiculés sur les « bobos ». Les individus désignés
comme « bobos », parce qu’ils sont dits « de gauche » et parce qu’ils défendraient
des valeurs humanistes, de solidarité et d’ouverture, seraient des êtres puérils et naïfs.
Les comparaisons rapprochant les « bobos » à des enfants-adultes complètent d’une
certaine manière les connotations du mot « bobo » (liées à son homophonie) pour créer
l’image d’un être dont la conscience morale et la conscience politique sont encore sousdéveloppées. C’est ce qui ressort par exemple de l’interview du 31 janvier 2011 de Carla
BRUNI-SARKOZY (alors première dame de France), pour Le Parisien, citée par Didier
79
DESPONDS .
« « J’ai fait partie d’une communauté d’artistes. On était bobo, on était de gauche
mais, à ce moment-là, je votais en Italie. Je n’ai jamais voté pour la gauche
en France, et je vais vous dire, ce n’est pas maintenant que je vais m’y mettre
», elle ajouta plus loin « qu’elle n’était plus vraiment de gauche » ». Et Didier
DESPONDS de poursuivre « Nous voilà rassurés, il est donc possible de guérir,
de mûrir, de parvenir enfin à des idées saines. Carla Bruni nous montre la voie.
Elle était immature, « bobo », maintenant elle a pris conscience de la vraie nature
des choses. »
76
PINCON, Michel. Op. cit. p. 19.
77
DESPONDS, Didier, « « Bobo », retour le d’un concept idiot » [en ligne], Mediapart. 21 avril 2011 [réf. du 21 juin 2013].
Disponible sur : http://blogs.mediapart.fr/blog/didier-desponds/210211/bobo-le-retour-dun-concept-idiot .
78
79
Op. cit. p. 6.
Op. cit. p. 37.
25
« Bobo » : us et abus d’un mot au service de rhétoriques idéologiques.
Cette citation commentée est pertinente : Carla BRUNI semble en effet parler d’une période
de jeunesse naïve, où elle était à la fois artiste, bobo et de gauche. Mais l’âge lui aurait
apporté la sagesse : elle n’est maintenant « plus vraiment de gauche » . Cette déclaration
illustre bien l’association couramment faite entre gauche, jeunesse et naïveté. A l’inverse,
le vote pour la droite constituerait une sorte de preuve de maturité politique.
Jérôme SAINTE-MARIE cité par Matthieu GOAR dans son article de 2012 « Existe-t-il
80
un vote « bobo » Jean-Luc MELENCHON ? » représente lui aussi le « bobo » comme un
individu naïf. Parlant des « bobos » se rendant aux meetings du candidat Front de Gauche
avant le premier tour des élections présidentielles, il écrit : « Il peut y avoir un effet de
curiosité pour le phénomène MELENCHON, comme pour le dernier chanteur à la mode.
Ils viennent pour voir, participent à une sorte de fête de la musique de la gauche, mais
ne voteront pas forcément Mélenchon ». Et de poursuivre un peu plus loin « Et puis, au
final, il ne faut surtout pas négliger un facteur important : cette catégorie de la population
cherche en permanence à se distinguer ». En somme, Jérôme SAINTE-MARIE nie toute
conscience politique aux « bobos ». Pour lui, l’existence d’un « vote « bobo » Mélenchon
» est une évidence, cependant il ne s’agit pas d’un vote militant mais d’un vote irréfléchi,
« pour se distinguer » et non pour défendre des idées et un programme électoral. Les
personnalités politiques seraient pour les « bobos » des « joujoux » qui les intéressent un
temps mais dont ils se lassent vite.
Un dernier exemple significatif de métaphore infantilisant le personnage du « bobo »
est celui de la déclaration de Philippe MEUNIER, député UMP de la 13e circonscription
du Rhône, à Minutes (publication du 19 septembre 2012), dans le contexte du débat sur
le «Mariage pour tous ». « Le mariage homosexuel est un caprice de bobo égocentrique
81
» . Le mot « caprice » rappelle l’univers enfantin : il désigne souvent pour un enfant,
une exigence arbitraire, accompagnée d’une colère. L’égocentrisme évoque également
l’enfance par opposition à « l’âge de raison » qui se traduirait par une ouverture aux autres et
par l’acquisition d’un sens du bien commun. Pour Philippe MEUNIER, les supposés « bobos
» soutenant la législation pour le mariage homosexuel seraient des enfants capricieux,
incapables de légiférer pour les autres.
Cette infantilisation rejoint l’animalisation des « bobos » dans le sens où ni l’enfant,
ni l’animal n’ont de responsabilités ou de conscience politique. Mais là où certains parlent
d’individus naïfs, d’autres représentent les « bobos » comme des êtres hypocrites.
C. Une « gauche maladroite » .
82
Les journalistes et les personnalités politiques ont pour habitude de représenter les
« bobos » comme des individus votant à gauche, voire de représenter des hommes et des
femmes de gauche comme des « bobos ». L’accusation « bobo » est polysémique. Elle
peut viser des élus qui ne se soucieraient que des Parisiens et non du vrai « peuple ». Elle
concerne également souvent l’ambivalence des « bobos » qui sont représentés ayant « le
80
81
Op. cit. p. Error: Reference source not found.
« Mariage Homo : "un caprice de bobo" selon un député UMP » [en ligne], BFMTV. 18 septembre 2012 [réf. du 21 juin
2013]. Disponible sur : http://www.bfmtv.com/politique/mariage-homo-un-caprice-bobo-selon-un-depute-ump-338026.html .
82
26
D’EPENOUX, François. Op.cit. p. 6.
I. Les représentations de la notion de « bobo » dans les discours médiatiques et politiques.
cœur à gauche mais le portefeuille à droite » comme le dit le proverbe. Le « bobo » dans
les représentations, est celui qui essaierait de concilier les contraires : défendre des valeurs
de gauche tout en étant un acteur de la société capitaliste, par exemple. Il est l’incarnation
du faux-semblant et n’appliquerait pas ses maximes à sa propre vie. Voilà pourquoi les
« bobos » sont représentés comme une gauche mal-à-droite (ils n’adhéreraient ni aux
valeurs de gauche, ni aux valeurs de droite, seraient dans un entre-deux inconfortable) et
« maladroite » : les « bobos » peineraient à assumer ces positions rapidement dénoncées
comme hypocrites.
1. La « boboïtude » ou l’art de concilier les contraires.
Un être antithétique.
Comme on l’a vu en introduction, c’est une créature hybride qui nait du mariage de
« bourgeois » et de « bohème ». L’acronyme « bobo » a non seulement pour effet de
raccourcir une expression longue (« bourgeois bohème ») mais aussi de faire fusionner les
deux notions antinomiques. La transformation qui a lieu au niveau du signifiant se retrouve
aussi au niveau du signifié puisque c’est un personnage nouveau qui est créé en même
temps que le mot qui le désigne, à la fois proche et différent du « bourgeois bohème »
83
apparu dans différents textes avant le livre de BROOKS . En effet, ce que l’on nomme les
« bobos » héritent de la dualité qui caractérise les « bourgeois bohèmes ». Cette dualité
est représentée dans de nombreuses tentatives de description des « bobos ». Le thème de
l’ambivalence revient régulièrement, notamment à travers l’utilisation de parallélismes qui
opposent un terme, une valeur ou une activité, à son opposé. La dualité du personnage du
« bobo » s’exprime souvent par rapport à la conscience politique qu’il aurait. « Sont-ils de
84
droite, de gauche ou d’ailleurs ? » demande François D’EPENOUX .
« Un patron social qui vire à tout-va, un ouvreur de frontières hystérique qui ne
connaît de l’immigration que sa femme de ménage portugaise, un démocrate qui
n’admet la démocratie que quand elle vote comme lui, un révolutionnaire en peau
85
de lapin qui vote à gauche parce qu’il en a les moyens » .
Cet extrait de Les Bobos me font mal, présente une série de quatre antithèses apposées
et construites selon le même schéma : un groupe nominal désignant un personnage qui
relève du sème de la bohème, suivi d’une proposition relative évoquant à l’inverse l’aspect
bourgeois et conservateur du « bobo ». Ce type de description est finalement une variation
autour de l’expression oxymorique « bourgeois bohème » (ou peut-être devrait-on parler de
« bohème bourgeois » pour cet exemple). Ainsi, les « bobos » ne seraient jamais entiers
dans leurs activités et leurs choix, mais toujours partagés, entre leur côté « bourgeois » et
leur côté « bohème ».
Dans les discours que l’on tient sur les « bobos », il semble qu’un des deux visages
du personnage finisse toujours par prendre le dessus sur l’autre (le versant « bourgeois »
habituellement). C’est ce qui est décrit dans Global Boboland : après un voyage au
83
La toute première occurrence de l’expression « bourgeois bohème » se retrouve dans Bel-Ami (1885), de Guy de MAUPASSANT :
« Ce fut elle alors qui lui serra la main très fort, très longtemps ; et il se sentit remué par cet aveu silencieux, repris d'un brusque
béguin pour cette petite bourgeoise bohème et bon enfant qui l'aimait vraiment, peut-être. ». Puis en 1978, La dessinatrice Claire
BRETECHER utilise l’expression « bourgeois bohème » dans la bande dessinée Les frustrés.
84
85
D’EPENOUX, François. Op.cit. p. 6.
Ibid.
27
« Bobo » : us et abus d’un mot au service de rhétoriques idéologiques.
« Chiroubistan », un couple identifié comme « bobo » invite des amis à dîner. « Tu nous as
préparé un truc de cuisine…durable ? » demande un invité à la maîtresse de maison. Celleci s’écrit « Soirée hamburgers et frites ! » en présentant des plateaux pleins des spécialités
américaines. Les invités sont soulagés (« Aaah ! ») et l’un d’entre eux s’exclame « Bon
86
sang, s’intoxiquer ça a parfois du bon ! » . Dans cette bande-dessinée, les « bobos » sont
représentés comme se forçant à adopter une attitude de bohèmes, à l’encontre de leurs
réels désirs qui sont finalement les mêmes que ceux des « non bobos ».
« Bobos in paradise » : le rêve d’une société sans classe.
L’inventeur du terme « bobo » lui-même soulignait la dualité de son personnage. Dans Les
Bobos de David BROOKS, on peut lire :
« Les membres de cette classe sont indécis et le temps qu’ils passent à essayer
de résoudre le conflit qui existe entre leur réalité et leurs idéaux est stupéfiant.
Ils luttent contre ces compromis qu’ils doivent faire entre égalité et privilège
(« Je crois en l’école publique mais l’école privée me semble meilleure pour mes
enfants »), entre confort et responsabilité sociale (« les couches culottes sont
un gâchis incroyable mais elles sont tellement pratiques »), entre rébellion et
convention (« J’ai pris des drogues au lycée mais je conseille à mes enfants de
87
dire : NON ») » .
En somme, les « bobos » sont des personnages sans cesse moralement tiraillés et atteints
d’une sorte de schizophrénie. Mais pour David BROOKS, les « bobos » sortent vainqueurs
de la « lutte » qu’ils mènent contre la dualité de leur personnalité. Sa thèse : les « bobos »
seraient le fruit de la réconciliation de l’élite bourgeoise conservatrice américaine, défendant
l’ordre établi des WASP (White Anglo-Saxon Protestants), et de la jeunesse hippie, bohème
et progressiste des années 1960 aux Etats-Unis. Les « bobos » seraient par ailleurs un
groupe social issu de l’évolution des « yuppies » (Young Urban Professionnals, équivalents
de ce qu’on appelle en France les « golden boys », jeunes cadres dynamiques avides
de réussite et d’argent) des années 1980. Mais plus attentifs aux enjeux éthiques et
politiques que leur prédécesseurs, les « bobos » seraient les nouveaux porteurs des valeurs
défendues par la contestation des années 1960 : « la culture sous toutes ses formes, la
tolérance et l’ouverture aux minorités ethniques ou sexuelles, l’écologie et l’émancipation
88
sexuelle, voire la critique de l’autorité. » .
David BROOKS voit dans cette « réconciliation » l’espoir d’une évolution vers une
société sans classe. En France, la notion a plutôt été reçue comme un concept clivant : les
« bobos » dans les représentations françaises, loin d’être une synthèse entre deux classes,
sont perçus comme un nouveau groupe social, venant compliquer la segmentation de la
société et raviver les tensions existantes entre les différentes populations. Par ailleurs, on
ne semble pas croire en France à la possibilité d’un mariage entre un mode de vie bourgeois
et la bohème.
2. De l’hypocrisie chez les « bobos ».
86
87
88
28
DUPUY, Philippe et BERBERIAN, Charles. Op. cit. p. 20. Cf. Annexe 3.
Op. cit. p. 15.
CLERVAL, Anne. Op. cit. p. 22.
I. Les représentations de la notion de « bobo » dans les discours médiatiques et politiques.
Hypocrisie ou naïveté ?
Alors qu’aux Etats-Unis, la plume de David BROOKS réalisait un portrait légèrement
ironique mais élogieux des « bobos », en France, ces personnages sont les « bêtes noires
89
de l’opinion » . La peinture qu’on en fait est généralement très dévalorisante : au mieux,
ils seraient des êtres « naïfs », de grands enfants utopistes, réellement convaincus de
défendre les bonnes causes et d’agir pour la société, mais aveugles sur la réalité. C’est
90
notamment le discours tenu par DUPUY et BERBERIAN dans leurs bandes-dessinées .
Mais dans la pire des images qu’on en donne (et c’est la plus fréquente), les « bobos »
seraient des imposteurs, des individus hypocrites et malhonnêtes. Ils sont dénoncés de
cette manière par François D’EPENOUX. L’auteur accorde une interview au Figaro littéraire,
où il s’explique sur les motivations qui l’ont poussé à rédiger Les Bobos me font mal. « J’ai
voulu dénoncer une certaine imposture » dit-il. Il ajoute avoir été agacé par « la foncière
malhonnêteté intellectuelle de certains leaders d’opinion » et de « se heurter à un mur de
91
bonne conscience » . La peinture est acerbe. Pour François D’EPENOUX, les « bobos »
feraient croire à tous ceux à qui ils s’adressent qu’ils seraient réellement convaincus de
leurs discours et des idées qu’ils défendent. Mais la réalité serait différente : l’altruisme et
l’engagement intellectuel, moral et politique des « bobos » ne seraient que faux-semblants.
On déduit de ces représentations une grande difficulté à imaginer que l’on puisse être
92
« sociologiquement de droite » et politiquement de gauche. En dénonçant l’incohérence
d’individus votant à gauche, tout en étant matériellement aisé, on érige implicitement en
loi naturelle l’idée socialement construite selon laquelle « les riches votent à droite et
les pauvres votent à gauche ». Il s’agirait presque d’une évidence directement déduite
du principe de non-contradiction d’ARISTOTE (on ne peut pas être à la fois une chose
et son contraire au même moment). Ne pas respecter cette règle, ce serait aller contre
93
nature, soit par goût de la « distinction » (Jérôme SAINTE-MARIE) , soit parce qu’on
serait atteint d’une anomalie, d’une pathologie. « Comment comprendre qu’un groupe
matériellement aisé ne vote pas selon son intérêt de classe pour bénéficier de nouveaux
94
avantages fiscaux ? » écrit avec ironie Didier DESPONDS . De cette naturalisation qui
s’opère dans l’esprit des auteurs des discours soulignant l’incohérence du personnage du
« bobo », résultent les images de « bobos » hypocrites (ils s’afficheraient comme des
personnes à gauche simplement pour se faire remarquer, sans réellement adhérer à leurs
propres discours), ou de « bobos » bêtes, naïfs, qui ne réaliseraient pas pour qui ils ont
intérêt à voter.
Le « bobo » escroc.
Cette différenciation entre discours et idéologie qui caractérise le personnage du « bobo »
serait à la source de tous les reproches qu’on lui adresse traditionnellement. Pour Delphine
ROUCAUTE, « Ce qu’on reproche au bobo, c’est de revendiquer les valeurs d’une réalité
89
ROUCAUTE, Delphine, « Bobo » [en ligne], Le Point.30 mai 2011 [réf. du 16 juillet 2013]. Disponible sur : http://www.lepoint.fr/
dictionnaire/bobo-30-05-2011-1336779_353.php .
90
91
Op. cit. p. 20.
Op. cit. p. 25.
92
93
94
Op. cit. p. 25.
Op. cit. p. Error: Reference source not found.
Op. cit. p. 37.
29
« Bobo » : us et abus d’un mot au service de rhétoriques idéologiques.
95
qu’il ne connaît pas » . Selon beaucoup de représentations, en effet, le « bobo » aurait
l’audace de défendre des causes dont il n’est pas la victime. Cette hypocrisie et ce décalage
observés entre « ce que les bobos disent » et « ce que les bobos font » se retrouvent dans le
discours de Michel PINÇON : « Ils sont les premiers à prôner la mixité sociale, mais lorsqu’il
s’agit de scolariser leurs enfants, ils préféreront les inscrire dans une école privée du quartier
96
plutôt que dans l’école publique avec les élèves issus de l’immigration… » . C’est ce qu’on
retrouve aussi, et de manière plus accusatoire, dans Les Bobos me font mal : « c’est facile
d’être humaniste quand on ne fréquente que des humains bien habillés. C’est facile d’être
97
bobo quand on habite les beaux-quartiers » . Non seulement les « bobos » sont taxés
d’hypocrisie, mais il y aurait aussi pour eux une interdiction ou une absence de légitimité à
défendre des populations ou des causes qui, selon l’opinion, ne les concerneraient pas.
Cette critique n’est pas récente : elle s’inscrit dans la méfiance du peuple et des
ouvriers, vis-à-vis de la philanthropie de nobles puis, au XIXe siècle, de certains bourgeois,
98
qu’on peut observer à la lecture d’auteurs comme MARX et qui est illustrée par exemple
99
dans l’œuvre de ZOLA . Cette accusation d’hypocrisie s’adresse par ailleurs régulièrement
à des représentants de la gauche, de Jean JAURES, dont les opposants politiques aimaient
rappeler les origines bourgeoises, à Dominique STRAUSS-KAHN et à la « Gauche caviar »,
en passant par Léon BLUM. La « Gauche caviar » des années 1990 en France est décrite
100
par Laurent JOFFRIN comme une « fausse gauche », qui « dit ce qu’il faut faire et ne
fait pas ce qu’elle dit »… Sur ce point, les représentations de cette « gauche » ne diffèrent
pas vraiment de celles des « bobos ».
Les « bobos » escroqueraient le peuple dans le sens où ils réussiraient à faire
croire à leurs bonnes intentions. C’est grâce à leur hypocrisie et à leurs mensonges qu’ils
conserveraient leurs places de dominants. C’est du moins ce qui ressort des accusations
les plus virulentes contre les « bobos ». Mais ces individus seraient illégitimes à diriger un
pays dont ils n’ont jamais connu les « vrais problèmes ». Cette idée a été le fer de lance de
la communication politique de Nicolas SARKOZY pendant sa campagne présidentielle de
2012 et de Marine LE PEN lors de ses campagnes présidentielle et législative de la même
année. Le président sortant en meeting au Raincy éloigne les « bobos » des populations
« à protéger » : sur le thème de la sécurité, il précise « Je ne parle pas pour les bobos du
101
Boulevard Saint-Germain, mais pour les habitants de la Seine-Saint-Denis » . Le sousentendu de cette phrase est que les « bobos » sont loin d’être confrontés à des problèmes
d’insécurité, contrairement « aux habitants de Seine-Saint-Denis ». Si l’on en croit les
discours tenus par Mme LE PEN, le « bobo » est « l’ennemi à abattre ». Elle les représente
comme ceux qui gouvernent la France (« de droite et de gauche ») illégitimement : quelques
semaines avant le premier tour des élections présidentielles, elle parle de « la gauche bobo
95
96
97
Op. cit. p. 43.
Op. cit. p. 19.
Op. cit. p. 6.
98
Dans Le manifeste du Parti communiste (1848), MARX établit une classification simplificatrice des socialismes qui l’ont
précédé. Il distingue notamment un socialisme bourgeois et conservateur, qui jouit de la destitution des ordres et veut utiliser le
prolétariat afin de faire perdurer l'ordre bourgeois.
99
Dans Germinal notamment, où les habitants de la cité ouvrière ne croient pas en la générosité de la bourgeoise qui
régulièrement, essaie de venir les aider.
100
101
30
JOFFRIN Laurent, Histoire de la gauche caviar. Paris : Robert Laffont, 2006, 208 p.
Cité par PROVOST, Lauren. Op. cit. p. 29.
I. Les représentations de la notion de « bobo » dans les discours médiatiques et politiques.
102
qui ose se réclamer du peuple alors qu’ils [les socialistes] ne cessent de les poignarder » .
Par ailleurs, l’ensemble du discours qu’elle tient à Hénin-Beaumont (que nous avons déjà
103
cité ) lors de sa campagne législative, est bâti sur la dénonciation des élites illégitimes à
gouverner parce que ne connaissant pas les préoccupations du « peuple ».
Le terme « bobo » en Français convoque un large champ de représentations lorsqu’il est
employé. L’interprétation du terme et l’image que l’on construit du « bobo » dépendent des
énoncés dans lesquels le mot est utilisé : de sa situation d’énonciation, des locuteurs, des
interlocuteurs, et du message que l’on souhaite faire passer. En effet, les représentations du
« bobo » ne sont pas les mêmes selon les moments et les lieux de l’énonciation. On constate
de manière générale que plus les années passent, plus le terme est péjoratif, bien qu’il ait
été très vite terni après son apparition en France. Le mot sert presque d’invective dans un
meeting, s’il est prononcé par un homme politique, tandis qu’il est savamment étudié par un
spécialiste s’il est pris comme objet d’analyse dans un texte scientifique. « Bobo » désigne
des réalités ou des personnes qui diffèrent, et touche à des enjeux sociaux et politiques
distincts, selon qu’il soit employé pour décrire un phénomène remarquable, pour dénoncer
les responsables d’un problème, ou pour servir de repoussoir et pour rassembler un camp
face à l’adversité.
Les discours montrent le « bobo » comme un gentrifieur, le représentant d’une espèce
récemment apparue encore inconnue et susceptible de former une « classe sociale »,
un individu puéril ou hypocrite soutenant des causes et des valeurs défendue par la
gauche. Mais en réalité, le mot « bobo » ne renvoie à rien d’autre qu’à lui-même et à
ce qu’on lui a fait dire. Comment expliquer que ce terme ait connu un tel succès et soit
devenu si récurrent dans les discours politiques sur les clivages sociaux, sur la mutation de
l’électorat, sur l’embourgeoisement des villes, sur la représentation politique ou encore sur
les incohérences idéologiques ? Pour quelles raisons le mot « bobo » est-il devenu un atout
en communication politique ? Quels effets attend-on et obtient-on lorsqu’on l’utilise ?
102
103
Ibid.
Op. cit. p. 16.
31
« Bobo » : us et abus d’un mot au service de rhétoriques idéologiques.
II. De quoi parle le « bobo » ?
« Bobo » est un terme régulièrement sollicité quand il est question de certains enjeux sociaux
et politiques. Pourtant, la notion n’est que le résultat d’une somme de représentations : elle
ne correspond à aucune réalité sociale. Les « bobos » ne sont que ce que l’on a dit, ou ce
que l’on dit d’eux. C’est un signe vide dans le sens où le signifiant n’aurait pas de signifié a
priori, parce qu’il ne désigne rien en lui-même et par lui-même, et parce qu’il serait toujours
à compléter par des discours et par des images. Son utilisation n’est pas pour autant vide
de sens. L’utilisation du terme n’est jamais innocente ni anodine : elle est toujours motivée
et témoigne d’une volonté de subjectiver un discours, de le colorer d’humour, de dérision,
d’ironie, de dénonciation voire de haine. Choisir d’intégrer le mot « bobo » à son discours,
c’est partager des images avec son interlocuteur, et définir sa position par rapport à celles-ci
(Est-ce qu’on les adopte ? Est-ce qu’on les complète ? Est-ce qu’on les rejette ?). Le concept
de « bobo » n’a rien d’objectif et ne figure pas dans des discours neutres. On ne l’utilise
pas pour désigner un signifié, mais plutôt pour faire appel à des représentations. Cette idée
se rapporte à ce qu’Antoine COMPAGNON, professeur au Collège de France (chaire de
littérature française moderne et contemporaine), explique sur « l’illusion référentielle », dans
Le démon de la théorie :
« La relation linguistique primaire ne met plus en rapport le mot et la chose, ou le
signe et le référent, le texte et le monde, mais un signe et un autre signe, un texte
et un autre texte. L’illusion référentielle résulte d’une manipulation de signes
qui masque la convention réaliste, occulte l’arbitraire du code, et fait croire à la
104
naturalisation du signe » .
C’est bien une « naturalisation » du signe qui semble s’être produite avec le mot « bobo ».
Mais en adoptant une démarche linguistique, on observera que le terme « bobo »,
comme tous les signes, met en relation plusieurs signes, établissant ainsi un code de
représentations (BARTHES parle de « code de signification »). Ce « code », cette convention
de représentations partagée par celui qui utilise le terme « bobo » et son lecteur ou auditeur,
105
est ce qui produit « l’effet de réel » , lorsque l’on parle de « bobo ». Le mot ne désigne
pas, mais il entretient des références intertextuelles avec d’autres représentations.
« Bobo » est un terme appréciable pour la communication politique grâce à son fort
pouvoir évocateur. Quelles sont ces images que le terme mobilise ? Quels sont les signes
qui sont mis en commun lorsque le mot « bobo » est utilisé ? De quoi cherche-t-on à parler
par conséquent en utilisant le mot « bobo » ?
A. Un succès bien français.
104
COMPAGNON, Antoine, « Illusion référentielle et intertextualité », « Le monde », Le démon de la théorie. Littérature et
sens commun. France : Seuil (« Point Essais »), 2001, pp.126-131, 341 p.
105
BARTHES, Roland, « L’effet de réel », Communications. 1968, n°11 (« Recherches sémiologiques le vraisemblable »), pp. 84-89,
167 p.
32
II. De quoi parle le « bobo » ?
Le terme « bobo » a été importé en France en 2000. C’est un américain, David BROOKS,
qui est à l’origine de l’acronyme et de la création de la notion qui désignerait une nouvelle
catégorie de personnes. Le terme, une fois traduit, a hérité du sens d’origine que lui
avait donné l’auteur américain. Mais sa signification a aussi été enrichie par les diverses
utilisations que l’on a faites du mot. Curieusement, c’est en France que le concept a eu
le plus de succès, et c’est dans la langue française qu’il s’est fait une place. Comment
l’expliquer ? Que désigne « bobo » dans et de la société française ?
1. « So French », le « bobo ».
Traduction de « bobo » de l’anglais au français.
Régulièrement, les articles revenant sur le sens du mot « bobo » dédient quelques lignes
à son origine, comme pour mieux cerner la notion. Sans trop savoir si la création du terme
« bobo » par David BROOKS en 2000 est un mythe ou une réalité (certains affirment
106
107
qu’il l’aurait « inventé » ou « forgé » , d’autres en parlent au conditionnel), tous les
journalistes et chercheurs sont unanimes pour dater la naissance du mot de l’année de
108
publication de Bobos in Paradise . La traduction du terme en français a été plus rapide que
la traduction de l’ouvrage de BROOKS (en novembre 2000). « Bobo » a en effet été exporté
vers la France grâce à la traduction d’un compte rendu du livre dans le Courrier International
du 15-21 juin 2000. Un mois plus tard, Annick RIVOIRE, journaliste à Libération, consacre
la rubrique « Guide » de la publication du 15 juillet 2000 aux « bobos » : « L’été de tous
109
les bobos » .
Le concept séduit et l’enchaînement des apparitions du mot s’accélère. Les journalistes
qui succèdent à Annick RIVOIRE parlent d’une « nouvelle catégorie sociale » ce qui éveille
la curiosité et provoque la multiplication de reportages pseudo-sociologiques. Selon l’article
110
« Les « bobos » : une catégorie…journalistique » , la troisième occurrence du terme
« bobo » en France a lieu dans Elle au mois d’août 2000, sous la plume d’Alix GIRORS DE
L’AIN. Suivent Le Parisien, France Soir, Le Monde. Après la parution du livre de BROOKS
en français, le terme se généralise et semble dépasser le domaine des seuls discours
médiatiques. Le texte marquant dans cette généralisation est celui de Christophe GUILLUY,
dans la publication de Libération du 8 janvier 2001 (« Municipales : les bobos vont faire
mal »). C’est ce géographe qui est le premier à établir une connexion explicite entre les
« bobos » et la politique. « On ne rappelle pas assez que la gauche doit d’abord son retour
à Paris à une modification profonde de la population, et notamment à l’apparition au début
111
des années 90 d’une nouvelle bourgeoisie. » . Christophe GUILLUY parle de l’arrivée des
106
107
AGRIKOLIANSKY, Eric. Op. cit. p. Error: Reference source not found.
TASSET, Cyprien. « Entre sciences sociales, journalisme et manifestes. La représentation de groupes sociaux réputés émergents
dans la France des années 2000 » [en ligne], Les Enjeux de l’information et de la communication. Supplément de l’année 2011, le 27
janvier 2012 [réf. du 02 juin 2013]. Disponible sur : http://w3.u-grenoble3.fr/les_enjeux/2011-supplement/Tasset/index.html .
108
109
Op. cit. p. Error: Reference source not found.
Op. cit. p. Error: Reference source not found.
110
« Les « bobos » : une catégorie…journalistique » [en ligne]. Sociologias. 16 décembre 2009 [réf. du 11 juin 2013]. Disponible
sur : http://sociologias-com.blogspot.fr/2009/12/les-bobos-une-categorie-journalistique.html .
111
GUILLUY, Christophe, « Municipales : les bobos vont faire mal » [en ligne]. Libération. 08 janvier 2001 [réf. du 21 juin 2013].
Disponible sur : http://www.liberation.fr/tribune/0101359607-municipales-les-bobos-vont-faire-mal .
33
« Bobo » : us et abus d’un mot au service de rhétoriques idéologiques.
« bobos » dans les quartiers parisiens « rénovés ou en cours de réhabilitation » comme
d’un nouveau « point d’ancrage pour la gauche plurielle ». Par cet article, le mot « bobo »
devient le signe désignant une catégorie politique, qui de surcroît acquiert une certaine
garantie de véracité grâce au statut de chercheur de son auteur. L’emballement médiatique
112
se fait ressentir. Christophe GUILLUY témoigne dans un article de Sociologias : « Le
lendemain de mon « Rebonds » dans Libé, j’étais sur Europe 1 pour expliquer ce que c’était.
Et c’est parti très, très vite. J’ai donné énormément d’interviews très rapidement . ».
Cependant le terme ne reste pas un « truc de journalistes » bien longtemps. Il atteint
très vite le langage politique. Raymond BARRE interviewé dans Le Progrès le 3 mars 2001,
113
est le premier homme politique à le citer et à s’inquiéter de ce qu’il semble désigner .
Les « bobos » en VF.
114
On peut être étonné à la lecture du livre de David BROOKS , du décalage entre les portraits
que l’auteur dresse des « bobos » et les représentations traditionnellement véhiculées
sur ces personnages dans la société française. On retrouve des points communs entre le
« bobo » américain et les « bobos » à la française : les deux types de figures sont décrites
comme relativement aisées et diplômées, et sont caractérisées par un décalage entre
leur réalité et leurs idéaux qui les pousse au compromis. Cependant BROOKS n’évoque
rien de la conscience politique de ses personnages (leur engagement serait davantage
moral que politique), il ne les rapproche pas de la gentrification et ne traite pas de leur
supposée naïveté ou hypocrisie. En somme, la description donnée par David BROOKS est
très différente de celles que l’on retrouve dans les discours français.
Le mot « bobo » a fait l’objet d’une véritable redéfinition dès sa traduction, de sorte qu’on
115
pourrait presque parler d’une recréation française. L’article d’Annick RIVOIRE a initié ce
mouvement. L’auteur y définit les « bobos » tels que David BROOKS les a conçu et les
transpose dans le cadre français. Par exemple, pour elle, la ville de Millau connaît au début
des années 2000 un franc succès auprès des « bobos » et José BOVE, « alliant modernité
et tradition, roquefort et Internet, humour et syndicalisme », serait le prototype du « bobo »
version française. Puis rapidement, comme on l’a vu précédemment, les chercheurs en
sciences sociales et les personnalités politiques ont adopté le terme et ont politisé la notion.
Aujourd’hui le « bobo » est un personnage étiqueté dans le sens où un certain nombre
de pratiques, de marques et de produits lui sont associés. Ces clichés figurent notamment
116
dans les paroles de la chanson « Les Bobos » de RENAUD : il lit à ses enfants « le
Petit Prince à six ans », il lit « Houellebecq ou Philippe Djian, les Inrocks et Télérama
», il regarde « surtout Arte », porte du « Zadig et Voltaire »… Les attributs qu’on
associe aux « bobos » sont souvent typiquement français, au point qu’on aurait presque
du mal à imaginer un « bobo » hors du pays et dépouillé de tous ses emblèmes bleus,
blancs, rouges. Les apports spécifiquement français ne se limitent pas aux seuls produits
et pratiques dits « bobos ». Certaines personnalités françaises, parfois politiques, ont été
plusieurs fois qualifiées (ou insultées) de « bobo » : Charlotte GAINSBOURG, Vincent
DELERM, ou en politique, Dominique STRAUSS-KAHN, Jack LANG, Bertrand DELANOË
112
113
114
Op. cit. p. Error: Reference source not found.
Op. cit. p. Error: Reference source not found.
115
116
34
Op. cit. p. 51.
Op. cit. p. Error: Reference source not found.
RENAUD, « Les Bobos » de l’album Rouge Sang. 2006. Paroles : RENAUD. Musique : BUCOLO Jean-Pierre.
II. De quoi parle le « bobo » ?
et plus récemment, Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET, pour ne citer que les plus célèbres.
Les représentations ont par ailleurs fait du « bobo » un descendant des rebelles de mai 68
117
(« ce sont les héritiers trop gâtés de Mai 68 » ) et de la « gauche caviar » des années
1990. La notion paraît donc presque avoir un passé français.
La France, un terreau favorable à la généralisation de la notion de « bobo » ?
Il n’y a que dans la langue française que le terme « bobo » s’est fait une place. Il est
entré dans le dictionnaire français en 2005, tandis qu’il ne figure pas dans les dictionnaires
anglais, allemand et italien. En espagnol, le mot « bobo » existe, mais il ne désigne pas le
« bourgeois bohème » (« bobo » en espagnol signifiant « idiot »). On peut faire l’hypothèse
que le succès du terme en France s’explique par un contexte politique, historique, culturel,
social particulièrement favorables à l’accueil (et à l’alimentation) de cette notion. C’est ce
que suggère Mark TUNGATE, journaliste pour le site WCRS, interviewé par Stratégies
Magazine :
« Le terme est bien adapté à la société française parce qu’on y est depuis
longtemps familier avec le concept de bourgeoisie, un terme que nous n’avons
jamais utilisé en Angleterre, où l’on parle plutôt de « middle class » ». Et de
poursuivre : « Les Britanniques utiliseront plutôt le terme de « Chattering
Classes » (les masses qui bavardent, par opposition aux masses laborieuses, la
« Working Class ») ou de « Champagne Socialists », l’équivalent de votre gauche
118
caviar. » .
Le personnage du « bobo » tel qu’on l’entend en France n’aurait pas d’équivalent à
l’étranger. On évoque parfois des similitudes avec le « hipster », mais ce terme, en plus de
désigner une population plus jeune que celle qu’on appelle « bobo », n’a aucune connotation
politique. Il ne désigne qu’une mode ou un style de vie.
Très rapidement, les représentations ont donné à la notion de « bobo » un héritage
social et culturel français. L’histoire moderne française est marquée par la bourgeoisie : on
dit souvent qu’elle est à l’origine de la Révolution Française. Au XIXe siècle, c’était une
classe représentée comme étant en lutte contre le prolétariat et l’ensemble du peuple. Le
mot « bobo » s’est d’une certain manière chargé de l’histoire et des connotations liées au
mot « bourgeois » qui d’ailleurs, garde encore aujourd’hui un sens péjoratif. Autre exemple
de cette adéquation entre le mot « bobo » et la société française : le terme a rapidement
été associé aux discours sur « l’exception culturelle française ». On représente souvent les
« bobos » comme les défenseurs des spécificités culturelles françaises, qui prônent une
forte intervention de l’Etat dans le secteur de la culture et de la conservation du patrimoine.
On pourrait encore dire que le rapport plutôt pudique des Français à l’argent, se retrouve
dans l’hypocrisie supposée des « bobos » qui seraient riches mais qui veilleraient à ne pas
étaler leur fortune, et qui s’amuseraient à vivre comme des pauvres.
2. De la traduction à la retraduction : le mot « bobo », de la rubrique
« Tendances » à la rubrique « politique ».
Les « bobos », des personnages de mode.
117
118
D’EPENOUX, François. Op. cit. p. Error: Reference source not found.
Op. cit. p Error: Reference source not found.
35
« Bobo » : us et abus d’un mot au service de rhétoriques idéologiques.
On l’a vu, les premiers journalistes à parler des « bobos » en France étaient des spécialistes
des « tendances ». Le « bobo » apparaît a priori comme un personnage de mode : les
« bobos » voudraient être avangardistes, chercheraient à se différencier. Paradoxalement,
c’est cela même qui les engagerait dans un mouvement d’uniformité et de conformité. A lire
les publications de 2000 en France, être « bobo » ce serait avant tout affirmer une identité,
se manifestant dans les choix de consommation (vêtements, lieux de résidence, produits
consommés…). La notion apparaît éloignée de la sphère politique, et on comprendrait mal,
en s’en tenant à cette définition, comment et pourquoi le terme est arrivé dans la bouche
de personnalités politiques.
L’écart entre la mode et la politique n’est en réalité peut-être pas aussi important qu’on
pourrait d’abord le penser. En effet ce qu’on appelle les « phénomènes de mode » ne se
restreignent pas aux seules modes vestimentaires. Le mot « mode » désigne une manière
à la fois individuelle et collective de vivre, de penser et d’agir (il y a donc des modes de
rythmes de vie ou des modes intellectuelles). Lorsqu’on parle de « la mode », on désigne
plus précisément une manière passagère de vivre (dont la durée est variable) et qui est
considérée comme étant « de bon ton » dans la société. Les représentations de la mode
dans l’opinion sont ambivalentes. La mode attire et repousse à la fois : elle énerve. Comme
l’écrit la journaliste Emmanuelle GIULIANI, la mode est « un tissu de contradictions », qui
échappe au rationnel (comment deviner par avance quelle mode va percer et durer ? Etre à
la mode, est-ce se distinguer ou se conformer ? Est-ce affirmer ou nier sa personnalité ?...).
« Il est du propre des modes en tout genre de jouer sur les nerfs : elles inspirent, repoussent,
119
irritent, séduisent . » . Du caractère intrinsèquement éphémère de la mode, on déduit de
l’individu « à la mode » qu’il n’est pas intègre : il est capable de changer d’identité plusieurs
fois dans sa vie. Il serait inauthentique, faux dans sa manière de vivre, et cacherait sa
véritable nature. On retrouve là deux des caractéristiques souvent attribuées au « bobo »
hypocrite et bien-pensant. Par ailleurs, cette déconsidération de l’individu « à la mode »,
se mêlerait dans les représentations à des sentiments de jalousie et de haine contre « les
riches » : suivre la mode, ce serait un luxe que tout le monde n’a pas les moyens de se
payer. Or, l’une des images communément véhiculées sur les « bobos » est qu’ils seraient
120
suffisamment aisés pour choisir de consommer en fonction de la mode . C’est ce dont
témoigne l’affirmation du 4 juin 2012 de Nicole BRICQ, alors ministre de l’écologie, du
développement durable et de l’énergie, selon laquelle « L’écologie n’est pas un luxe pour
121
bobos » . Dans cette phrase, la ministre nie un préjugé, qu’elle semble vouloir élaguer
dans son interview pour Le Monde. Ces ressentiments liés à la mode pourraient en partie
expliquer pourquoi le personnage du « bobo » déchaîne les passions, et pourquoi les
critiques sont si virulentes contre les individus réels que l’on désigne comme « bobos »
Retraduction du concept de « bobo » de la mode à la politique.
119
GIULIANI, Emmanuelle, « La mode, un tissu de contradictions », in « Phénomènes de mode ». Études 2/2006 (Tome 404).
Disponible sur : www.cairn.info/revue-etudes-2006-2-page-235.htm .
120
On rejoint là une réflexion développée par BOURDIEU dans La Distinction, selon laquelle « le choix » est une notion
bourgeoise. On n’aurait le choix, et donc la possibilité de consommer avec « bon » ou « mauvais goût », qu’en fonction de son capital
économique. On peut transposer cette thèse du « bon goût » à la « mode » : suivre la mode, c’est en avoir les moyens financiers
de choisir de suivre la mode.
121
BARROUX, Rémi, LE HIR, Pierre, MERCIER, Anne-Sophie, « Nicole Bricq : « L’écologie n’est pas un luxe pour bobos » [en
ligne], Le Monde. 04 avril 2012 [réf. du 19 juillet 2013]. Disponible sur : http://www.lemonde.fr/planete/article/2012/06/04/nicole-bricql-ecologie-n-est-pas-un-luxe-pour-bobos_1712198_3244.html .
36
II. De quoi parle le « bobo » ?
Le terme « bobo » n’a pas seulement fait l’objet d’une traduction de l’anglais au français :
il s’agirait aussi d’une retraduction, d’une réinterprétation du terme. On peut faire cette
hypothèse d’après l’observation des écarts entre la représentation des « bobos » donnée
par David BROOKS et les représentations dans les discours en France. Par ailleurs, le
terme « bobo » est un terme mobile qui est rapidement passé du champ médiatique des
« tendances » à celui de la sociologie et à celui de la politique. Dans cette translation,
le terme a été relu et réinterprété. Comme pour un texte littéraire, la retraduction est une
relecture de ce qui a déjà été traduit, qui s’accompagne de propositions nouvelles, pour
un autre contexte de lecture (un autre lecteur, d’autres codes culturels, voire un autre
temps de lecture). C’est ce qui semble s’être produit pour le terme « bobo », notamment à
l’initiative de Christophe GUILLUY qui dans son article du 8 janvier 2001, a fait des « bobos »
un objet sociologique et un enjeu important de la campagne des élections municipales
122
parisiennes . Cette translation d’un champ de représentations à l’autre s’illustre encore
par le décalage de tonalité et de traitement de l’objet « bobo » entre deux articles du Figaro
123
que dix ans séparent. Le premier, celui de Sophie CARQUAIN en date du 2 avril 2001
porte le titre de « La bobo attitude ». Il fait partie de ces articles qui décrivent la mode des
« bobos » peu après l’apparition et la traduction en Français du livre de David BROOKS.
La journaliste y décrit le « bobo » de manière légère, avec un certain amusement même
qui se déduit des nombreux jeux de mots de l’article. Elle reconnaît « l’esprit Woodstock
» du personnage, mais n’en fait pas une catégorie politique : « la bobo-attitude n'est pas
fatalement politique, loin s'en faut ! » et de poursuivre « Etre bobo, c'est un état d'esprit
». On est loin ici des inquiétudes de la droite relatives aux « bobos » qui se manifestent
à présent presque systématiquement avant chaque élection. Loin aussi de la gravité de la
124
tonalité de l’article d’Yves de KERDEL du 19 avril 2011 . Ce texte a été rédigé en réaction
à l’annonce de la candidature de Nicolas HULOT aux élections présidentielles de 2012
et s’intitule « La France « bobo » ne guérira pas la France de ses bobos ». Cet article
s’opposant sévèrement à la candidature du « bobo HULOT » témoigne de l’inquiétude de
certains quant à la capacité des « bobos » désignés à arriver au pouvoir. Ces exemples
montrent qu’une retraduction du terme « bobo » a eu lieu : les représentations de cette
notion se sont chargées de jugements idéologiques. Le principal effet de ce phénomène est
celui de l’utilisation du mot par les acteurs de la sphère politique.
La politisation du terme en France semble donc s’être produite rapidement, non
seulement parce que le système culturel et le monde social français étaient peut-être
propices à l’accueil d’une telle notion ; mais aussi parce qu’elle a été adoptée et remaniée
par les discours politiques. Le glissement de la mode vers la politique se serait fait grâce au
thème de la superficialité. A l’origine la notion de « bobo » désignait une mode comme les
autres, dans le champ médiatique des « tendances ». Mais d’une « mode », les « bobos »
sont passés à une « catégorie sociologique » faisant l’objet d’une utilisation partisane. Une
fois le terme passé dans le domaine des sciences sociales et de la politique, tous les vices
traditionnellement accordés à la mode (superficialité, vanité, caractère éphémère) se sont
comme cristallisés autour de la notion de « bobo ». Alors le personnage du « bobo » est
devenu le stéréotype ridicule de l’individu « à la mode », dont la conscience politique semble
varier en fonction des tendances.
122
123
124
Op. cit. p. 52.
CARQUAIN, Sophie, « La bobo attitude », Le Figaro. 02 avril 2001,n°17618, p.2.
DE KERDEL, Yves, «La France bobo ne guérira pas de ses bobos », Le Figaro. 19 avril 2011, n°20749, p. 15.
37
« Bobo » : us et abus d’un mot au service de rhétoriques idéologiques.
B. « Bobo » : un terme clivant.
La mode est affaire de distinction et de regroupement : elle a pour effet de constituer des
groupes d’individus se rapprochant physiquement et partageant les mêmes goûts. Elle
segmente la population. De la même manière, l’utilisation d’un terme tel que « bobo » a
pour effet de nommer un groupe qui serait distinct du reste de la société. On peut imaginer
que l’emploi récurrent du mot « bobo » pour formuler une opinion sur des sujets politiques
peut s’expliquer par le potentiel clivant de la notion. En effet, parler des « bobos » ou de la
« classe bobo » a pour effet (et pour but ?) de scinder la société dans les représentations
qu’on en a. La dénonciation du « bobo » comme responsable de certains maux de la société
ne permet pas tellement de trouver de solution aux problèmes auxquels ils seraient liés. En
revanche, il n’y a pas plus fédérateur que la désignation d’un ennemi commun. Ce terme
qui divise la société dans les représentations, paradoxalement, permettrait de ressembler
les masses.
1. Les ennemis « bobos ».
« Bobos » et lutte des classes.
Nous l’avons vu dans la première partie de ce mémoire, les « bobos » sont régulièrement
désignés comme une « classe sociale ». Nous nous sommes demandé si cette
représentation pouvait être validée par les critères sociologiques les plus courants, mais
nous n’avons pas évoqué les effets de cette métaphore sur le public ou sur le lecteur. La
« classe » n’est pas une notion neutre : elle renvoie à la « lutte des classes », théorie
de MARX et d’ENGELS selon laquelle le prolétariat mènerait une lutte contre la classe
dominante capitaliste, en vue de l’instauration d’une « dictature du prolétariat » et, à terme,
d’une société sans classe. L’utilisation du mot « classe » aujourd’hui continue d’évoquer
une certaine lutte entre les différentes classes de la société, ou du moins des tensions entre
des populations défendant leurs intérêts et leur survie.
La question de savoir si on peut encore parler de classe de nos jours, alors que
beaucoup affirment qu’on serait passé d’une société de classes à une société individualiste
(fragmentation infinie de la société, perte des sentiments de solidarité et de fraternité,
effacement de la reconnaissance identitaire,…), reste en suspens. En revanche, le
sentiment d’une lutte entre les différentes classes est ravivé. Lorsque certains auteurs ou
journalistes rapprochent les « bobos » des « bourgeois », ils rappellent que le « bobo » n’est
pas un nouveau type d’individu entre deux classes ou inclassables, mais qu’il appartiendrait
bien à la bourgeoisie. C’est ce que l’on peut déduire de la démonstration de Gérard
LECLERC et de son affirmation selon laquelle « Les « bobos » sont plus bourgeois que
125
bohèmes » . D’autres représentations ne montrent pas les « bobos » comme faisant
partie de la bourgeoisie, mais comme constituant une classe à part entière, parmi beaucoup
d’autres. La société se serait fragmentée pour donner naissance à de nombreuses classes.
Cette représentation fait muter le concept de classe, d’une certaine manière, montrant que
le système ancien de classement social ne pourrait plus être représentatif de la structure
sociale actuelle. Mais l’idée de tensions entre les classes n’en demeure pas moins. Elle est
mise en avant (et certainement exagérée) par Marine LE PEN qui dit des « bobos » qu’ils
126
« ne cessent de poignarder » le « peuple » .
125
126
38
LECLERC, Gérard. « Les « bobos » sont plus bourgeois que bohèmes », Le Figaro, 19 avril 2001, n°17633, p.12.
LE PEN, Marine, citée dans l’article de PROVOST, Lauren. Op. cit. p. Error: Reference source not found.
II. De quoi parle le « bobo » ?
Les « bobos » et les « perdants » de la société.
« Bobo » est un terme répétitif, presque un élément de langage dans les campagnes
présidentielles de l’Union pour un Mouvement Populaire (UMP) et du Front National (FN) de
127
2012. Quand Nicolas SARKOZY par exemple, l’emploie lors de son discours au Raincy ,
le mot « bobo » sert d’illustration aux inégalités sociales et socio-spatiales. Le thème des
inégalités sociales est souvent évoqué en rhétorique politique comme lors de ce meeting,
c’est-à-dire en fonction d’une dichotomie entre « les gagnants » et les « perdants » de la
société. On aurait d’un côté les « bobos du Boulevard Saint-Germain » à qui la vie a souri
et qui n’ont nullement besoin d’aide (ici, d’aide en matière de sécurité), de l’autre côté, les
malchanceux « habitants de Seine-Saint-Denis ». Cet exemple n’est pas sans rappeler une
autre campagne présidentielle : celle de Jacques CHIRAC en 1995, dont l’un des thèmes
était la « fracture sociale ». Cette « fracture » se traduirait selon Jacques CHIRAC par
128
la pauvreté et l’exclusion des plus défavorisés. Elle menacerait « l’unité nationale » . Si
les deux hommes alors candidats à l’élection présidentielle, utilisent le thème de la rupture,
c’est pour dénoncer, chacun à leur manière, les inégalités sociales et leurs conséquences.
Mais là où Jacques CHIRAC ne parle que des perdants, Nicolas SARKOZY parle aussi avec
mépris des « gagnants » de qui il ne se soucierait pas. La même dichotomie se retrouve par
ailleurs dans le discours de Jean-Pierre RAFFARIN, lorsqu’en tant que Premier Ministre, il
129
utilise les notions de « France d’en haut » et « France d’en bas » . Grâce à ces images, il
entend créer une proximité avec les populations « du bas », défavorisées et méprisées ; et
écarter de son champ de préoccupation la France « d’en haut », comprenez les dirigeants
socialistes. Pour M. RAFFARIN comme pour M. SARKOZY, l’idée est la même : diviser pour
mieux rassembler.
Ce que les deux présidents de la République dénoncent alors, ce sont les inégalités
sociales et leurs conséquences. Non seulement, ces inégalités se creusent en France,
mais elles sont également plus visibles. La gentrification semble être un symptôme de
ces inégalités, mais elle en est aussi la matérialisation. La réhabilitation des quartiers
pauvres et l’arrivée de gentrifieurs a pour effet de juxtaposer spatialement des populations
sociologiquement très différentes. La proximité de personnes aisées et des classes
populaires a pour effet d’accentuer la visibilité de la ségrégation socio-spatiale.
Le signe « bobo », lorsqu’il est utilisé, paraît donc faire écho à d’autres signes scindant
et clivant la société : celui de « classe », mais aussi celui de « France d’en haut et France
d’en bas », et des autres expressions communément mobilisées en rhétorique politique,
pour désigner l’amplitude des inégalités sociales.
2. Les « bobos » et la France centralisée.
Les discours sur les « bobos » rejoignent parfois les discours anti-citadins et anti-parisiens.
En plus de diviser les Français sur des critères sociaux, certaines représentations semblent
les diviser sur des critères symboliques et spatiaux.
127
128
Op. cit. p. Error: Reference source not found.
EMMANUELLI, Xavier et FREMONTIER, Clémentine. « La fracture sociale, un terme politique » [en ligne], La fracture
sociale. Paris : P.U.F., (« Que sais-je ? »), 2002. 128p. Disponible sur :
http://www.cairn.info/la-fracture-sociale--9782130520696-
page-5.htm#no .
129
RÉMI-GIRAUD, Sylvianne, « France d’en haut / France d’en bas : Raffarin tout terrain », Mots. Les langages du politique [En
ligne]. 77 | 2005 [réf. du 02 août 2013]. Disponible sur http://mots.revues.org/180 .
39
« Bobo » : us et abus d’un mot au service de rhétoriques idéologiques.
Citadins-bobos contre ruraux.
Le « bobo » serait un personnage citadin. C’est ce qui ressort de la majorité des
représentations qui, comme on l’a déjà vu, mêlent « boboïsation » et « gentrification ». Et
souvent, l’utilisation du terme « bobo » vise à rappeler la bipartition entre population citadine
et population rurale. La tendance, depuis la création du « bobo » ne serait plus au mépris des
130
ruraux par les citadins (ce qu’illustrait notamment BOURDIEU dans « Une classe objet » )
mais plutôt à l’ironie contre les citadins en quête de « nature » et « d’authenticité » qui
feraient de la campagne leur nouvelle destination favorite. L’article « Les bobos dans la
boue » d’Emmanuèle PEYRET illustre de manière légère le ridicule des citadins « bobos »
faisant du tourisme à la campagne. « Notre douce campagne se retrouve colonisée de gens
étranges, souvent la risée du local (on ne dit plus « bouseux », ni « plouc ») qui se retrouve
131
à répondre à de singulières questions, du genre « Comment traire une poule ? » .
L’amusement fait place à plus de véhémence lorsque cette dichotomie entre les
« bobos » des grandes villes et le reste de la France apparaît dans les discours politiques.
C’est notamment le cas dans les élocutions de Marine LE PEN qui, lors des campagnes
présidentielle et législative de 2012, a adopté ce paradigme comme fil rouge de sa
rhétorique. Par exemple, quand elle fustige depuis Hénin-Beaumont les « bobos » qui ont
assisté aux discours de Nicolas SARKOZY ou de François HOLLANDE à Paris, l’idée est
bien entendu de tourner en dérision les citadins qui ne se soucieraient que de leur « séance
132
de yoga » . Ce discours vise à créer un sentiment de proximité avec l’auditoire et à le
valoriser. Tandis que les habitants des grandes villes n’assisteraient à des meetings que
pour voir si la « cravate » d’un candidat est « plus cool » que celle de l’autre, les habitants
du Pas-de-Calais, eux, viendraient assister à de vrais discours politique. Tandis que les
citadins de grandes villes n’auraient pas plus de souci que leur « séance de yoga », les
habitants d’Hénin-Beaumont, eux connaîtraient de véritables difficultés et auraient besoin
de réponses politiques. Le choix du lieu du discours n’est pas anodin : Marine LE PEN
parle à un public issu d’une région qui effectivement, a connu des difficultés différentes de
celles des citadins des grandes villes. La région Nord-Pas-De-Calais est la plus touchée
133
par le phénomène de désindustrialisation (source : Journal du Net) et connaît une crise
de reconversion.
Les « bobos » habitant les grandes villes n’auraient donc pas les mêmes
préoccupations que les habitants du reste de la France. L’enjeu, pour les personnalités
134
politiques souhaitant apparaître proches « du peuple » et non des élites citadines est de
trouver une illustration marquante de la différenciation entre les grandes villes et le reste de
la France. Les personnages de « bobos » se prêtent idéalement à cela : en 2012, ils sont
connus de tous, on leur attribue des préoccupations futiles (écologie plutôt que chômage par
exemple) et ont les représente communément comme une caste qui matérialiserait l’idée
d’élite.
130
131
Op. cit. p. Error: Reference source not found.
PEYRET, Emmanuèle. « Des bobos dans la boue », Libération [en ligne]. 23 janvier 2007 [réf. du 21 juin 2013]. Disponible sur :
http://www.liberation.fr/vous/010191777-des-bobos-dans-la-boue .
132
133
Op. cit. p. Error: Reference source not found.
DE LEGGE, Eric, “Désindustrialisation : les villes qui en souffrent le plus”[en ligne], Journal du Net, 31 mars 2011 [réf. du
21 juillet 2013]. Disponible sur : http://www.journaldunet.com/economie/industrie/desindustrialisation.shtml .
134
40
LE PEN Marine. Op. cit. p. Error: Reference source not found.
II. De quoi parle le « bobo » ?
Discours « anti-bobos » et anti parisianisme.
Les « bobos » sont souvent représentés comme les citadins des grandes villes face au
reste de la France, mais ils sont aussi parfois la métonymie des habitants de Paris. Selon
les représentations des « bobos », cette « population » ne se limiterait pas qu’à Paris : on
retrouve autant de clichés sur les « bobos de la Croix-Rousse » à Lyon que sur ceux du
Canal Saint-Martin à Paris. Pourtant, souvent, les discours confondent le « bobo » et le
Parisien qui font alors tous deux l’objet des mêmes reproches et du même mépris. On l’a vu
avec la citation de Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET (« c’est un truc de socialistes, de bobos
135
parisiens et ce sont souvent les mêmes » ) ; on le voit encore avec l’article de François
HAUTER, dans Le Figaro, « Les « bobos » n’ont pas les mêmes préoccupations que les
136
autres » . Alors que le titre laisse entendre que le sujet de l’article sera « les bobos », le
texte traite en fait des Parisiens qui se préoccuperaient plus « des espaces verts, des loisirs
et des activités culturelles » que de « l’accès au logement et des aides apportées aux
personnes âgées ». L’écart social entre « bobos » et « non bobos » (se manifestant ici par
des préoccupations qui seraient différentes) est complété par une différenciation spatiale
entre les Parisiens et les « non Parisiens ».
On peut faire l’hypothèse que les discours méprisants sur les « bobos » ont pris à
leur charge les stéréotypes véhiculés pars les discours anti-parisiens. Cela se remarque
tout particulièrement sur le thème de l’individualisme : comme les Parisiens, les « bobos »
auraient des préoccupations différentes de celles des autres Français, et ils seraient
caractérisés par une étroitesse d’esprit qui les empêcherait d’envisager que leurs besoins
sont relatifs. C’est l’idée qui ressort de l’article « Les « bobos » n’ont pas les mêmes
préoccupations que les autres ». Ce type d’argument est la version démagogique de la
critique de la centralisation de l’Etat Français. La France est un pays réputé historiquement
centralisé (pour certains médias, pour des mouvements régionalistes). A cette réputation se
joint le sentiment que les élites qui gouverneraient la France, depuis Paris, ne défendraient
137
que les intérêts des Parisiens et non ceux de la « vraie France » ou de la « France
d’en bas » pour réutiliser l’expression de Jean-Pierre RAFFARIN. On observe alors que
les discours sur les « bobos », en plus de souvent rappeler le sème de la différenciation
sociale et spatiale de la population Française, évoquent parfois le thème de la légitimité de
la représentation politique.
Le terme « bobos », est souvent utilisé en rhétorique politique pour opposer une
population (celle des « gagnants » de la société, de « la France d’en haut », des citadins des
grandes villes ou des Parisiens) à une autre (les « perdants » qui connaissent des difficultés
économiques et sociales, la « France d’en bas », la « vraie France », le « peuple » ou les
non-citadins). Le mot sert alors de repoussoir, et par effet indirect, il induit un rapprochement
entre celui qui l’utilise, qui dit s’opposer aux « bobos », et son public, qui nécessairement,
est identifié au « peuple ».
C. Les « bobos » reflets de malaises politiques ?
135
136
Op. cit. p. Error: Reference source not found.
HAUTER, François, « Les bobos n’ont pas les mêmes préoccupations que les autres », Le Figaro. 07 mars 2008, n°19782, p. 4.
137
Op. cit. p. Error: Reference source not found.
41
« Bobo » : us et abus d’un mot au service de rhétoriques idéologiques.
On peut formuler l’hypothèse que le terme « bobo » a connu beaucoup de succès auprès des
journalistes et des personnalités politique, notamment parce qu’il désignerait, directement
ou indirectement des malaises politiques réels. Bien que le mot soit employé a priori
dans des discours peu sérieux (le langage de l’enfance, les discours sur la mode), il
pourrait renvoyer à des questions politiques beaucoup moins légères. Derrière les discours
vitupérant contre les « bobos », on peut voir apparaître une remise en cause du système
politique représentatif français ou une critique de l’évolution de l’idéologie défendue par les
partis de gauche français. Que dit le mot « bobo » de ce type de problèmes politiques,
institutionnels ou partisans ?
Le signe « bobo » renverrait à des lieux communs de la rhétorique idéologique et
partisane en France. Ces représentations font elles-mêmes référence à des phénomènes
réels plus ou moins observables dans la réalité. Elles construiraient des sortes de fictions
d’après nature. Simultanément, la fiction peut elle-même atteindre et modifier la réalité :
138
c’est la fonction « performative » des discours sur les « bobos » qui peuvent parfois faire
naître de nouvelles perceptions de la société et de nouveaux comportements, chez ceux
qui reçoivent les messages, et partant, influer sur le réel.
1. Dénonciation du système représentatif français par l’utilisation du
terme « bobo ».
Des élus « bobos » ?
Certains élus de la République ou individus potentiellement éligibles sont parfois qualifiés
de « bobos ». C’est par exemple le cas de Bertrand DELANOË, de Nathalie KOSCIUSKOMORIZET, de Dominique STRAUSS-KAHN ou encore de Nicolas HULOT, pour ne citer
qu’eux. Ils sont dits « bobos » car ils défendraient des « causes de bobos », soient des
sujets futiles aux yeux de ceux qui en parlent ainsi. Ce serait le cas de Bertrand DELANOË
selon Jean-François LEGARET par exemple, candidat aux élections primaires de l’UMP
pour les élections municipales de Paris en 2014 : le maire de Paris aurait « martyrisé les
139
automobilistes et fait exploser les dépenses de fonctionnement de la Ville » . On peut
voir dans cette critique une attaque contre la politique de transports de la Ville de Paris ces
dernières années (fermeture des voies sur berges, développement des « Vélib’ ») et de son
budget (investissements dans la culture).
Seraient également « bobos » les personnalités suspectées d’incohérence ou de
malhonnêteté en ce qui concerne leur style de vie et l’idéologie ou les valeurs qu’elles
défendent. On les accuserait de ne pas être « vraies » dans leurs apparitions publiques. Les
discours médiatiques mettent souvent en cause le décalage entre vie privée et vie publique
140
politique de Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET (une femme issue de la haute-bourgeoisie
qui défendrait publiquement le mariage homosexuel) ou encore de Nicolas HULOT (un
animateur de télévision qui défendrait la « décroissance »). Dominique STRAUSS-KAHN,
138
139
JAKOBSON, Roman. Essais de linguistique générale, 1963.
LEROUGE, Stéphanie, « Primaire UMP à Paris: les candidats concentrent leurs attaques contre... le PS » [en
ligne]. AFP, 26 avril 2013 [réf. du 21 juillet 2013]. Disponible sur :
http://www.google.com/hostednews/afp/article/
ALeqM5imyX7RxhbyOz2BIo_1d2gK_HLj-g?docId=CNG.b2005b1e75d35759e6724cb2e9f4a378.71 .
140
TOUATI, Nabil, « VIDEO. Quand NKM ne comprend plus le mot « bobo » » [en ligne], Le Huffington Post. 28 mai 2013 [réf. du
21 juillet 2013]. Disponible sur : http://www.huffingtonpost.fr/2013/04/12/video-nkm-ne-comprend-plus-le-mot-bobo_n_3344411.html
.
42
II. De quoi parle le « bobo » ?
141
lui, sort d’une voiture Porsche le 28 avril 2011 alors qu’il était le favori du PS pour les
élections présidentielles de 2012. L’incohérence ou le manque d’intégrité dont on accuse
ce type de personnalités politiques sont jugées très sévèrement : ces deux caractéristiques
relèvent de l’intolérable en politique. Il n’est pas interdit d’avoir un style de vie éloigné de
celui que l’on défend, mais l’honnêteté et la cohérence, qui rejoignent par ailleurs le thème
de la transparence, sont des mots d’ordre tacites pour les hommes et les femmes politiques.
Cela ne relève donc pas du légal mais de la morale et du nécessaire pour l’opinion public.
La droiture semble en effet être une qualité qu’une personnalité politique se doit d’avoir :
elle doit faire ce qu’elle dit, ce qu’elle avait annoncé qu’elle ferait, mais aussi respecter ellemême les valeurs et les règles qu’elle défend. Si un homme politique n’est pas « droit », il
le paie de la confiance des électeurs et de sa popularité. L’affaire Jérôme CAHUZAC en est
l’exemple type : il avoue en avril 2013 être un fraudeur fiscal, soit avoir commis une infraction
qu’il combat, en tant que Ministre du Budget. Or les personnalités politiques dites « bobos »
sont représentées comme des « donneurs de leçons » qui « disent ce qu’il faut faire mais ne
142
font pas ce qu’ils disent », pour reprendre l’expression de Laurent JOFFRIN . Cela pose
un problème de discrédit de la parole de l’homme ou de la femme politique accusé d’être
« bobo », mais aussi un souci de légitimité si cet individu fait partie du pouvoir exécutif.
Une telle personnalité a un statut de dirigeant aux yeux de l’opinion, et a donc pour rôle de
montrer l’exemple. On rejoint ici la question de savoir si un homme ou une femme politique
doit, ou non, avoir un comportement et un style de vie exemplaires.
Les « bobos » et la « crise de la représentation » politique.
C’est parfois indirectement tout le système de représentation politique caractérisant la
République Française qui est mis en cause à travers la dénonciation de « bobos ». Pour
plusieurs observateurs, les dirigeants, parce qu’ils seraient « bobos », parce qu’ils ne
connaîtraient pas les souffrances et les revendications du « peuple », n’auraient aucune
légitimité à gouverner. Ce serait le cas pour Marine LE PEN, comme on peut le constater
143
avec sa phrase du 15 mars 2012 « La gauche bobo qui ose se réclamer du peuple » . Cet
argument semble relever d’un populisme contestataire : l’appel au peuple est orienté contre
la dénonciation de l’élite « bobo de gauche ». Par ailleurs, dans l’ensemble des discours
tenus à cette période par Marine LE PEN, cela se mêle à un anti-intellectualisme (propos
valorisant la sagesse du « peuple ») et à une personnalisation du mouvement (Marine LE
144
PEN se définissant comme défenseur du « peuple ») . Marine LE PEN, comme François
145
D’EPENOUX , dénoncent une « imposture », ce qui semble presque être un coup d’Etat
146
de la part des « bobos » arrivés au pouvoir à force de manipulations . L’une des idées
141
PIQUARD, Alexandre, «Cette Porsche dont les anti-DSK voudraient faire un symbole » [en ligne], Le Monde, 04 mai 2011
[réf. du 21juillet 201]. Disponible sur : http://www.lemonde.fr/politique/article/2011/05/04/cette-porsche-dont-les-anti-dsk-voudraientfaire-un-symbole_1516961_823448.html .
142
143
JOFFRIN Laurent, Histoire de la gauche caviar. Paris : Robert Laffont, 2006, 208 p.
LE PEN, Marine, lors du « banquet patriotique » de Palavas-Les-Flots. Citée par PROVOST, Lauren. Op. cit. p. Error: Reference
source not found.
144
.TAGUIEFF Pierre-André, « POPULISME », Encyclopædia Universalis [en ligne]. [réf. 8 août 2013]. Disponible sur
http://
www.universalis-edu.com/encyclopedie/populisme/
145
146
Op. cit. p. Error: Reference source not found.
Marine LE PEN parle de « rendre au peuple le pouvoir qu’on lui a pris » dans la suite de son discours à Hénin-Beaumont. Cf.
« Marine Le Pen fustige les bobos du PS (vidéo) » [vidéo, en ligne], 24heures actu. 16 avril 2012 [réf. du 25 juillet 2013]. Disponible
sur : http://24heuresactu.com/2012/04/16/marine-le-pen-fustige-les-bobos-du-ps-video/ .
43
« Bobo » : us et abus d’un mot au service de rhétoriques idéologiques.
que François D’EPENOUX développe dans Les Bobos me font mal, est que les supposés
147
« bobos » maintiendraient une sorte de « dictature » de la bien-pensance en fustigeant
quiconque s’opposerait à leurs idées. Les « bobos », notamment parce qu’ils exerceraient
souvent dans les métiers de la communication, contrôleraient le reste de la population, en
imposant leurs idées et leurs modes de vie comme les seuls acceptables. « Ce sont les
nouveaux gardiens de la Pensée Unique qui déversent sur le moindre assaillant l’huile tiède
d’une soupe idéologique ressassée, entre deux flèches trempées dans le fiel mortel de leurs
148
propres erreurs » .
Avec ce type d’argument, c’est la légitimité des élus qui peut être mise en cause.
Que vaut l’élection d’un individu si celle-ci n’a été motivée que par un effet de mode et de
bien-pensance ? Ou que vaudrait une élection qui ne serait l’expression que d’une partie
de la population, qui contrairement à la discrète « France d’en bas », saurait se faire
entendre ? Ce sont les questions indirectement posées par les discours populistes sur les
« bobos ». Finalement, la critique des « élites bobos » réfère au thème de la « crise de la
représentation » démocratique, « lieu commun du discours politique contemporain » selon
149
Loïc BLONDIAUX, professeur à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne . Les thèmes
communément liés aux critiques que l’on adresse aux « élites bobos », comme la perte
de confiance dans les représentants politiques qui seraient malhonnêtes et incohérents,
l’impression d’une inefficacité des décisions politiques ou l’incompréhension vis-à-vis des
priorités données à l’action politique, se rapportent à ce que Loïc BLONDIAUX nomme
« les symptômes le plus souvent évoqués de la « crise » ». Pour lui, ces « symptômes
» renverraient à des phénomènes trop différents les uns des autres pour pouvoir être
pensés comme les effets d’une même pathologie et pour constituer une « remise en
cause frontale des principes sur lesquels repose la démocratie représentative ». Mais la
critique n’en est pas moins réelle et sévère. Les arguments visant à révéler au grand jour
le caractère illégitime des élus « bobos » paraissent faire écho au paradoxe que constitue
la représentation politique depuis sa création : le représenté n’existe sur la scène politique
que grâce à son représentant, et c’est cela même pourtant qui le fait disparaître. « Dans un
« Etat représentatif », « le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants »
déclarait l’abbé SIEYES, le 7 septembre 1789, résumant ainsi de manière saisissante cet
150
étrange tour de passe-passe. » . A partir de ce paradoxe, de nombreuses interrogations
d’ordre philosophique et/ou politique apparaissent. L’expression « démocratie participative »
n’est-elle pas oxymorique, puisque dans un Etat représentatif, ce n’est pas le peuple qui
prend directement la parole ? C’est à cette question que Marine LE PEN renvoie lorsqu’elle
151
dit vouloir « rendre au peuple la parole qu’on lui a volée » . Le peuple peut-il être
représenté dans toute sa diversité ? Là encore, c’est une question à laquelle Marine LE
PEN mène lorsqu’elle parle de « majorité silencieuse » (son public à Hénin-Beaumont),
face au « bobos » des meetings de Nicolas Sarkozy et de François Hollande.
Cette « crise de la représentation » à laquelle peut référer l’utilisation du mot « bobo » se
double de l’idée résultant d’une construction sociale, selon laquelle le représentant politique
devrait ressembler aux représentés. Un représentant ne pourrait représenter un groupe
147
148
Op. cit. p. Error: Reference source not found.
Ibid.
149
BLONDIAUX, Loïc, « REPRESENTATION POLITIQUE », Encyclopædia Universalis [en ligne]. [réf. 8 août 2013]. Disponible
sur : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/representation-politique/
150
151
44
Ibid.
Op. cit. p. Error: Reference source not found.
II. De quoi parle le « bobo » ?
d’individu que s’il en est lui-même issu. Un représentant, pour comprendre et défendre les
intérêts d’une population, devrait être représentatif. Dans ce contexte de représentations
« en miroir », si le représentant du peuple est photographié sortant d’une Porsche, à l’image
de Dominique STRAUSS-KAHN, il risque d’être considéré comme illégitime à représenter la
population. L’insulte « bobo », adressée à un Homme politique, soulignerait non seulement
son incohérence, mais aussi son manque de représentativité (personne ne se revendique
« bobo », donc personne ne souhaiterait être représenté par un « bobo » ).
2. Les bobos de la gauche.
Les « bobos » héritiers de la gauche des compromis.
Comme on l’a vu précédemment (I.C.), les « bobos » sont considérés comme les
représentants d’une « gauche mal-à-droite », qui assument difficilement leurs positions
lorsqu’elles rejoignent des idées dites « de droite » et qui auraient « le cœur à gauche mais le
portefeuille à droite ». Outre cette « ambivalence » de certains électeurs ou élus de gauche
qui sociologiquement parlant auraient plutôt le profil d’individus dits « de droite », on observe
une ambiguïté semblable dans l’évolution idéologique de partis de gauche, dont le Parti
Socialiste Français. La gauche d’aujourd’hui serait une gauche du compromis : elle aurait
accepté certaines idées libérales tout en essayant de rester fidèle aux théories socialistes
initiales (celles que soutenaient les pères fondateurs du socialisme au XIXe siècle, de
SAINT-SIMON à Jean JAURES, en passant par Charles FOURIER, Jules GUESDES et
Karl MARX). C’est l’idée développée par Frédéric SAWICKI dans son article sur « Le
152
Parti Socialiste en France » (Encyclopoedia Universalis) . Selon lui, le Parti Socialiste en
France est depuis la IVe République, dans une logique de «grand écart » entre idéologie
de gauche d’une part, alliances avec le centre ou la droite, et acceptation de valeurs
libérales d’autre part. Frédéric SAWICKI parle même de « compromissions », pour désigner
l’engagement de la S.F.I.O. (Section Française de l’Internationale Socialiste, ancêtre du
P.S.) dans des alliances locales et nationales de centre-droit sous la IVe République, ou le
soutien de Guy MOLLET (président du Conseil à partir de 1956) à DE GAULLE et à la Ve
République en 1958. « Les socialistes n'ont cessé de faire le grand écart entre affirmation de
principes révolutionnaires anticapitalistes et soutien ou participation à des gouvernements
de coalition au sein desquels leurs marges de manœuvre étaient limitées ». Par la suite,
le Parti Socialiste semble avoir toujours été pris en ballotage entre le Parti Communiste
et les différents parti de centre-droite et de droite, sans parvenir à clarifier ses positions
idéologiques. Malgré quelques efforts de positionnements idéologiques, la ligne de conduite
du P.S. reste floue :
« En 1991, une nouvelle déclaration de principes a été adoptée, reconnaissant du
bout des lèvres l'économie de marché (« Le Parti socialiste est favorable à une
société d'économie mixte qui, sans méconnaître les règles du marché, fournisse
à la puissance publique et aux acteurs sociaux les moyens de réaliser des
objectifs conformes à l'intérêt général »), tout en réaffirmant ses « espérances
153
révolutionnaires ». » .
152
SAWICKI, Frédéric, « P.S. (Parti socialiste), France », Encyclopædia Universalis [en ligne]. [réf. du 8 août 2013]. Disponible sur :
http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/p-s-parti-socialiste-france/ .
153
Ibid.
45
« Bobo » : us et abus d’un mot au service de rhétoriques idéologiques.
Dans les années 1990, la gauche du compromis se manifeste sous la forme de la « gauche
caviar ». Ce concept lui aussi oxymorique désigne une aile de la gauche en France partagée
entre socialisme et progressisme d’une part, et goût du luxe et des situations acquises
d’autre part. Les individus les plus souvent accusés de faire partie de cette « gauche
caviar » étaient Jack LANG, Dominique STRAUSS-KAHN ou encore Laurent FABIUS.
Comme pour les « bobos » ces individus qui se seraient positionnés politiquement à gauche,
à l’encontre de leurs intérêts économiques propres, étaient jugés « hypocrites » par certains
commentateurs. On reprochait à cette « gauche caviar » de ne pas être représentative de
154
son électorat, et partant, d’être une mauvaise représentante . L’absence de clarification
idéologique est un point faible pour la gauche. Grâce à la notion de « bobo », les opposants
politiques de la gauche, et plus précisément du P.S. dénoncent, caricaturent et amplifient
ce point faible.
Y aurait-il une nouvelle gauche : une « gauche bobo » ?
Pour les opposants politiques et pour certains journalistes, une partie ou la totalité du P.S.
d’aujourd’hui (mais aussi du Front de Gauche et d’Europe Ecologie-Les Verts), constituerait
la « gauche bobo ». Celle-ci serait l’héritière du passé du Parti Socialiste et des ambiguïtés
qu’il a entretenues. C’est la thèse que développe un journaliste du Nouvel Obs, Hervé
ALGARRONDO, dans un livre intitulé La gauche et la préférence immigrée, paru en
septembre 2011 chez Plon (« Tribune Libre »). Pour lui, la « gauche bobo » a « abandonné
les ouvriers, qu’elle voit comme des réactionnaires séduits par le FN, au profit des immigrés
155
devenus les nouveaux damnés de la Terre » . Cette gauche aurait abandonné la défense
des classes populaires et la lutte des classes au profit de nouveaux thèmes (l’immigration,
l’écologie, la défense des Droits de l’Homme, l’égalité des sexes, …) dont la « préférence
immigrée » (régularisation des sans-papiers, défense des droits des immigrés…) n’est
qu’une des conséquences de cette rupture avec « le peuple ». L’auteur parle d’une
« prolophobie » chez cette « gauche bobo ». « Par ricochets, la figure du « beauf » s’est
développée au sein de la gauche, comme symbole du prolétaire, forcément réactionnaire,
raciste et blanc. Mais au lieu de chercher à se réconcilier avec les ouvriers, la gauche a
préféré se trouver une nouvelles clientèle » (à savoir, les « immigrés »). Le terme de « bobo »
pourrait donc pointer du doigt une évolution idéologique qui aurait eu lieu dans la gauche.
Cette idée mérite néanmoins d’être nuancée. Comme on l’a vu dans le paragraphe
précédent, le flou idéologique du Parti Socialiste est presque aussi vieux que le parti luimême. Et ne pourrait-on pas imaginer que plutôt que d’avoir « abandonné » les classes
populaires, la gauche ait élargi son champ de sujets politiques (comme de nombreux partis
par ailleurs qui ont dû adopter une position par rapport à ces « nouveaux thèmes ») ? En
effet, la question de la défense des immigrés, par exemple, se serait imposée sur la scène
politique (notamment par la pression de partis adversaires, de syndicats ou de lobbies),
de sorte que les acteurs politiques ont dû prendre position dessus et tenter d’y proposer
des réponses. .La rupture avec les « classes populaires » si elle se vérifiait, ne serait-elle
pas le fruit d’un phénomène plus complexe que le simple désintérêt des personnalités du
P.S. ? En effet, peut-être pourrait-on parler de modifications de l’électorat traditionnel de la
gauche plutôt que « d’abandon » des ouvriers par la « gauche bobo ». Il est en outre
possible d’apporter une dernière nuance à la thèse d’Hervé ALGALARRONDO, grâce aux
recherches de Frédéric SAWICKI. Selon lui, le Parti Socialiste, en France, a toujours eu un
154
155
Cf. JOFFRIN, Laurent, Histoire de la gauche caviar. Paris : Robert Laffont, 2006, 208 p.
ANDRIAMANANA, Tefy, « Un journaliste du Nouvel Obs tacle les « bobos » », Marianne [en ligne]. 25 septembre 2011 [réf. du
21 juin 2013]. Disponible sur : http://www.marianne.net/Un-journaliste-du-Nouvel-Obs-tacle-les-bobos_a210597.html
46
II. De quoi parle le « bobo » ?
fossé sociologique entre les cadres du parti et les élus P.S. d’une part, et leurs électeurs
d’autre part. Les représentants de la gauche d’aujourd’hui, de la « gauche bobo » comme
la nomme l’auteur de La gauche et la préférence immigrée, ne seraient pas tellement plus
156
éloignés des classes populaires que dans le passé.
La thèse d’Hervé ALGALARRONDO relative à la rupture entre le peuple Français et la
gauche est donc discutable. Il semblerait qu’il ait désigné le responsable d’un phénomène
observable (la « gauche bobo »), mais au prix d’une simplification (et d’une falsification ?)
de la réalité. Pourtant l’idée d’une gauche « qui abandonne le peuple » séduit et continue
à être véhiculée. Elle pointe du doigt et exacerbe ce qui pourrait être un défaut de la gauche
contemporaine : une difficulté à établir une ligne idéologique précise. L’auteur créée une
nouvelle notion politique (« la gauche bobo ») en utilisant les stéréotypes liés au concept
de « bobo » (rupture sociale et idéologique par rapport au reste de la société, naïveté,
manque d’intégrité) et en les alimentant d’observations (affaiblissement du vote à gauche
chez les ouvriers ou augmentation du nombre de mouvements de protestation contre les
discriminations). L’image qui résulte de cette construction est certainement éloignée de la
réalité de la sociologie politique mais elle a le mérite d’amplifier un « défaut » de la gauche
et de marquer les esprits.
La notion de « bobo » est régulièrement utilisée par des journalistes au discours
politiquement orienté ou par des personnalités politiques. Les raisons de ce succès sont
multiples. Il peut d’abord être dû à l’accueil favorable que la culture, l’histoire et la vie
politique françaises réservait au terme « bobo ». Le terme évoquant l’univers de la mode,
de la superficialité et du passager, il a rapidement acquis un sens péjoratif. Le mot nommant
par ailleurs un groupe, il sert facilement à la dénonciation d’une rupture au sein de la société
française. Enfin, la formule « bobo » montre du doigt et exacerbe un défaut de la gauche
d’aujourd’hui et d’hier. L’utilisation de cette notion rappelle l’idée que la gauche est coupée
du « peuple », ce qui revient à remettre en cause son caractère démocratique. On peut
faire l’hypothèse que le mot « bobo » s’est aisément introduit dans la langue française,
mais surtout dans les discours idéologiques, grâce aux références intertextuelles que les
utilisateurs du terme ont mobilisées. D’autres images relatives au monde social et au monde
politique, d’autres signes se sont comme « greffés » au signe « bobo », lui permettant ainsi
de signifier pour tous.
Si le terme « bobo » a connu un tel succès en France, c’est qu’il a trouvé comme soutien
ou comme justification de son emploi, non pas des réalités, mais des images de la réalité,
partagées par un grand nombre de personnes. L’essentiel, n’est pas que les représentations
s’appuient ou non sur des vérités, mais qu’elles soient vraisemblables. « Bobo », lorsqu’il
est utilisé, ne désigne pas une réalité (au sens où le mot « chaise » désignerait l’objet réel
qu’est la chaise), mais il évoquerait, parlerait de représentations du réel. Introduit dans les
discours politiques, il renforce les thèmes de la rupture entre les élites et la population, celui
de l’incohérence de personnes engagées politiquement ou de l’ambivalence de la gauche
moderne. C’est alors toute une rhétorique qui se construit autour de la notion de « bobo ».
Nous avons constaté que le mot « bobo » est souvent utilisé par les médias et par les
hommes et femmes politiques de manière péjorative pour désigner les responsables de
ce que l’on dit être des phénomènes sociaux (ségrégation socio-spatiale, constitution et
élargissement de ce qui semble être un groupe), socio-politiques (vote jugé « contraire »
à ses origines sociales, vote par effet de mode, décalage entre style de vie et idéologie)
156
Il serait intéressant d’étudier toutes ces hypothèses, de les compléter et de les nuancer, mais cela n’est pas le sujet de
ce mémoire. Ce ne sont que des hypothèses destinées à montrer ici que la thèse d’Hervé ALGARRONDO mérite d’être pondérée et
qu’elle semble relever en grande partie de représentations.
47
« Bobo » : us et abus d’un mot au service de rhétoriques idéologiques.
et politiques (ambivalence des partis de gauche et particulièrement du P.S., changements
d’orientations de l’action politique). Cette utilisation du terme est aujourd’hui régulièrement
motivée par des fins idéologiques ou partisanes. Nous allons à présent nous demander si
ces fins sont atteintes. Quels effets l’emploi du mot « bobo » cherche-t-il à produire chez son
auditoire ? La dénonciation des « bobos » est-elle une stratégie de communication efficace
pour ceux qui s’en serve et contre ceux qui sont ciblés ?
48
III. La rhétorique autour de la notion de « bobo » en communication politique : une arme à double
tranchant ?
III. La rhétorique autour de la notion de «
bobo » en communication politique : une
arme à double tranchant ?
Dans un discours idéologique ou partisan, à finalité argumentative, l’utilisation du mot «
bobo » peut s’appliquer à plusieurs sujets. Il peut être évoqué parallèlement à des thèmes
récurrents dans les discours politiques (inégalités sociales, représentation parlementaire,
écologie, discriminations,…), pour différents objectifs : la révélation de l’origine d’un
problème social, la dénonciation d’un groupe ou la dévalorisation de l’adversaire politique
et parfois de ses électeurs. Le mot « bobo » est dont un outil rhétorique qui ne laisse ni
le locuteur, ni l’interlocuteur indifférent. Son utilisation témoigne d’une volonté de produire
des effets sur l’auditoire. Cette arme rhétorique est-elle effective ? Cet outil n’est-il pas
dangereux également pour celui qui le manipule ? L’utilisation du mot « bobo » peut être
maligne et efficace dans l’art de convaincre. Mais il nous faudra également considérer les
effets indirects, parfois dangereux, et non-intentionnels de l’emploi réitéré depuis treize ans
de ce terme, dans les médias et dans les discours politiques.
A. Une arme rhétorique habile et efficace dans la joute
politique.
On a pu remarquer que l’utilisation du mot « bobo » présentait le premier avantage d’évoquer
un grand nombre d’images relatives à ce que l’on décrit comme des phénomènes sociaux
ou politiques. L’habileté de celui qui utilise le terme « bobo » dans un message à finalité
argumentative et/ou persuasive, réside dans sa capacité à mobiliser la notion de manière
opportune (au bon endroit et au bon moment, ce qui correspond au kairos dans la rhétorique
antique). Cela dépend du thème à propos duquel le mot est évoqué, de l’illustration d’un
argument qu’il peut suggérer, de sa place dans l’énoncé (en titre d’un article, au début
d’un discours ou dans une démonstration ?) ou de sa fonction dans la phrase. En somme,
l’utilisation du terme est une véritable technique rhétorique, c’est-à-dire un procédé qui règle
l’art de discourir sur des sujets politiques. Parce qu’il parle plus au cœur qu’à la raison, parce
que c’est une notion dont les images sont foisonnantes, parce qu’il produit un décalage de
tonalités, provoque ou insulte, et parce qu’il constitue un argument auquel il est difficile de
répondre, le mot « bobo » est souvent efficace en rhétorique politique. C’est une arme qui
affaiblit ceux qu’elle vise et qui renforce la crédibilité de la parole de ceux qui l’utilisent.
1. Mobiliser l’irrationnel dans les messages politiques.
Un concept flou idéal pour la rhétorique politique.
49
« Bobo » : us et abus d’un mot au service de rhétoriques idéologiques.
Le terme de « bobo », lorsqu’il est employé, désigne le bouc-émissaire de problèmes
sociaux ou politiques dénoncés par l’auteur du discours. Le concept est flou, évanescent
(puisqu’il relève de nombreuses représentations à la fois particulières et collectives), ce
qui lui donne l’avantage d’être modulable. Il peut en effet être utilisé dans de nombreuses
circonstances, à propos de plusieurs sujets. Le « bobo » est toujours l’autre, l’ennemi,
l’étranger. C’est le « barbare » au sens étymologique du « bárbaros » : l’étranger qui
n’appartient pas à la « civilisation » française, qui est issu d’une autre culture. Ainsi, quel
que soit le sujet évoqué (gentrification, vote, action politique), le « bobo » ne représente
jamais aux yeux de celui qui emploie le terme ni à ceux de son auditoire, celui qui agit de
manière originale, mais plutôt celui qui procède toujours de manière anormale. Il s’agit là de
la différence de connotations entre deux termes synonymes (« original » et « anormal »),
mais dont l’un évoque une distinction positive et l’autre une distinction négative.
Sylvie TISSOT, dans son article pour L’Humanité « Une vision pernicieuse du monde
157
social et de ses divisions » , parle du terme comme d’un « mot magique ». Selon
elle, le flou de la notion serait « soigneusement entretenu » dans le but de faire passer
des messages à l’auditoire. Parce qu’il désigne « l’autre » responsable de certains
maux de la société, ou l’ennemi commun, le terme a pour effet de créer un sentiment de
solidarité non seulement entre les « non-bobos » ou avec les « victimes des bobos » ,
mais aussi entre celui qui utilise le terme et ceux qui l’écoute. Le mot « bobo » « permet
de convoquer des classes populaires aussi « authentiques » que les bobos seraient
158
faux, et d’afficher, à peu de frais, une solidarité sans faille avec celles-ci » . Chez des
personnalités politiques, l’utilisation du mot « bobo » peut témoigner d’une anticipation :
on accuse un opposant politique d’être « bobo » avant de risquer de l’être soi-même.
La rhétorique du « bobo » s’est en effet principalement développée au sein d’une classe
politique que Sylvie TISSOT dit être « très massivement issue des classes supérieures
» et qui « accueille souvent à bras ouverts ces populations plus riches ». On pourrait
ajouter que le terme est suffisamment flou pour que l’insulte ou l’accusation guette toute
personnalité politique, pour peu qu’elle ait un capital économique ou culturel élevé, qu’elle
soit issue d’une profession dite « intellectuelle », ou encore qu’elle déclare publiquement
défendre des valeurs supposées « bobos » (protection du patrimoine, écologie,…). Ainsi,
lorsque Marine LE PEN par exemple, dit de ses opposants politiques qu’ils sont « bobos »,
dans un même mouvement, elle infirme leur capacité à être proches des Français, et elle
affirme sa proximité et sa solidarité avec le « peuple ». Simultanément, elle se garde
d’être elle-même soupçonnée d’être « bobo » par ceux qui l’écoutent : ce message, en
dévalorisant les « bobos », flatte le public qui se reconnaît comme « non-bobo » et valorise
son authenticité.
Un appel au ressentiment général.
159
Le mot « bobo » sert « d’épouvantail » : c’est un objet, un mannequin, destiné à
effrayer. Il attise par ailleurs la colère et la haine. Cela est peut-être dû au fait que le
personnage du « bobo » se présente comme un concentré de nombreux vices. On l’a vu,
l’hypocrisie et la malhonnêteté sont des défauts non tolérés de la part de l’opinion publique,
pour des personnalités politiques. De manière plus générale, ce sont des défauts dont
157
TISSOT, Sylvie. « Une vision pernicieuse du monde social et de ses divisions » [en ligne], L’Humanité. 21 juin 2013 [réf.
du 16 juillet 2013]. Disponible sur http://www.humanite.fr/tribunes/une-vision-pernicieuse-du-monde-social-et-de-ses-d-544270 .
158
159
50
Ibid.
Op. cit. p. Error: Reference source not found.
III. La rhétorique autour de la notion de « bobo » en communication politique : une arme à double
tranchant ?
quiconque peut être soupçonné, notamment lorsqu’il est question de débats politiques. La
question qui concerne les représentants du Parti Socialiste comme de nombreux électeurs
aujourd’hui est celle de savoir si l’ambivalence ou le décalage entre style de vie et idéaux
défendus ne sont pas systématiques. L’hypothèse que l’on peut formuler est que la figure
du « bobo » reprendrait à son compte un malaise collectif. Accuser les « bobos » d’avoir
un comportement ambigu ou de se laisser porter par les modes, cela revient en quelque
sorte à se disculper soi-même de ces défauts. On les accuse de vices dont on est soi-même
susceptible d’être atteint : qui peut prétendre ne jamais être influencé par aucune mode ?
Qui encore parvient à mener sa vie en conformité totale avec ses idéaux ? Ces questions
touchent tout le monde et se manifestent par des conflits internes. On les retrouve chez les
militants de gauche et d’extrême gauche : comment concilier militantisme collectif, et intérêts
sociaux et économiques particuliers ? Peut-on vouloir systématiquement pour soi-même ce
que l’on souhaite pour la société ? Cela touche par exemple les questions de redistribution
de richesse (je soutiens une société où les richesses soient équitablement réparties, mais
ai-je vraiment envie que l’Etat me prélève une partie de mon patrimoine ?), ou le phénomène
NIMBY (« Not In My BackYard » : je soutiens le développement des énergies renouvelables
mais accepterais-je l’installation d’une éolienne en face de chez moi ?). C’est cette dualité
généralisée qu’évoque le chanteur RENAUD à la fin de sa chanson « Les Bobos » :
« Ma plume est un peu assassine Pour ces gens que je n'aime pas trop Par
160
certains côtés, j'imagine… Que j'fais aussi partie du lot »
La haine envers le personnage du « bobo » est globale et pourtant, nous le détesterions
pour des défauts répandus. MOLIERE, en dépeignant les défauts de ses contemporains à
travers des personnages (Harpagon dans L’avare par exemple), faisait rire son public de ses
propres caricatures. Il semble que de la même manière, le ridicule du « bobo » provienne de
la concentration et de l’exagération de défauts courants dans la société. Pour poursuivre la
métaphore théâtrale mais en passant cette fois de la grande comédie à la tragédie, on peut
imaginer que la figure du « bobo » a un effet cathartique pour ceux qui la haïssent. C’est
ce qui apparaît à la lecture du livre de François D’EPENOUX, véritable pamphlet contre les
« bobos ». C’est d’ailleurs ce que l’auteur lui-même suggère dans l’interview qu’il accorde
161
au Figaro littéraire : à la question « Quel est le but de votre livre ? », il répond « Tout
d’abord, je me suis fait un bien fou à l’écrire ».
La haine que l’on éprouve envers le personnage du « bobo » est peut-être aussi motivée
par une certaine jalousie. C’est ce que suggère la chanson de Renaud qui dresse une liste
des goûts et des pratiques qui seraient communes aux « bobos », et dont la chute (citée
supra) indique que le chanteur, comme d’ailleurs tous ceux qui s’en prennent aux « bobos »,
ne cherchent pas moins à se distinguer et à suivre une certaine mode, que les personnages
qu’ils fustigent. Le « bobo » est représenté comme un individu riche, ouvert d’esprit, cultivé,
altruiste et humaniste. Si l’on refuse de croire en une telle perfection et que l’on suspecte
immédiatement ce personnage d’être « faux », c’est certainement par jalousie de ce qu’il
représente. Lorsque Nicolas SARKOZY au Raincy parle des « bobos du boulevard Saint162
Germain » , c’est pour faire appel à la jalousie que son public est censé ressentir vis-à-vis
de cette supposée population qui habite les beaux-quartiers parisiens et qui ne semble pas
connaître de difficulté d’aucune sorte. Il est commun de ressentir un mélange de haine et
d’envie contre les riches, ou contre ceux qui sont « à la mode ». Pourtant, nous les méprisons
160
161
Op. cit. p. 53.
Op. cit. p. Error: Reference source not found.
162
Op. cit. p. supra supra Error: Reference source not found.
51
« Bobo » : us et abus d’un mot au service de rhétoriques idéologiques.
pour leur « insouciance », leur « superficialité », ou leur manque d’identité propre ; et dans
le même temps, nous les envions et les imitons plus ou moins, sans jamais l’admettre. Le
personnage du « bobo » serait donc un véritable défouloir contre des défauts qu’on déteste
d’autant plus qu’on les partage peut-être.
« Bobo » et argumentation.
Lorsque les journalistes et les personnalités politiques dénoncent les « bobos » ou accusent
certaines personnes d’en être, ils cherchent à éveiller ce ressentiment et cette jalousie chez
leur public, via leurs messages. Grâce à ce concept scientifiquement douteux, celui qui
l’utilise mobilise chez son auditeur, spectateur ou lecteur, les représentations relatives aux
« bobos » et le ressentiment partagé vis-à-vis de ces personnages. En somme, il essaie
plus de parler au cœur qu’à la raison. Il persuade plus qu’il ne convainc. Le locuteur, lorsqu’il
convoque la notion de « bobo » à des fins argumentatives et partisanes, utilise une référence
culturelle commune. Le terme « bobo » est entré dans les discours politiques à partir du
moment où il a été connu de l’auditoire. Les énoncés portés contre les « bobos » s’appuient
également sur des valeurs admises par la société, sinon universelles. Il s’agit de la raison
et de la morale par opposition à la naïveté, à l’irresponsabilité et à l’immoralité quand les
« bobos » sont infantilisés ou animalisés ; de la sincérité par opposition à l’hypocrisie quand
ils sont représentés comme des êtres ambigus.
Dans les discours où les « bobos » sont dénoncés, la priorité est souvent donnée
aux arguments pathétiques. Ce sont des procédés qui jouent sur un ensemble d’éléments
susceptibles de provoquer des émotions chez l’auditeur ou chez le lecteur. On le voit avec
Marine LE PEN quand elle dit des « bobos » qu’ils « ne cessent de poignarder » le
163
peuple . Le choix du verbe est ici destiné à susciter chez l’auditeur des sentiments de haine
et de terreur envers les « bobos » désignés comme des criminels, ainsi qu’un sentiment
de solidarité vis-à-vis du « peuple » torturé. Les discours oraux peuvent être impressifs :
le locuteur grâce à sa voix et à ses gestes parvient à transmettre des émotions à son
public. C’est notamment le cas des discours de Marine LE PEN et de Jean-Marie LE PEN
qui parlent des « bobos » avec des sourires ironiques et avec des gestes caricaturaux ou
infantilisants, transmettant ainsi le sentiment de ridicule que leur inspire ces personnages.
Les discours où figure la notion de « bobo » peuvent également mobiliser des arguments
dits « éthiques » qui engagent la personne de l’énonciateur pour mettre en avant ses
propres vertus morales. C’est ce type d’arguments que l’on retrouve lorsque des images
qui opposent le groupe des « bobos » au reste de la population française sont utilisées (voir
« Bobo » : un terme clivant.), et quand le locuteur dénonce les « bobos » pour renforcer
sa proximité avec le peuple.
L’ironie est également régulièrement utilisée dans les discours où il est question de
« bobos ». C’est une arme très puissante en rhétorique qui attaque l’ironisé en même temps
qu’elle induit un rapprochement entre l’ironisant qui énonce le contraire de ce qu’il pense,
et son complice (l’auditeur ou le lecteur) censé comprendre l’ironie. L’ironie a par ailleurs la
particularité de susciter une réception polémique du message. Concernant les « bobos »,
on la détecte particulièrement dans le discours de Marine LE PEN, notamment dans son
164
allocution à Hénin-Beaumont . La tendance à la surcharge (accumulation de désignations
163
164
Op. cit. p. Error: Reference source not found.
« les bobos, qui iront voir Nicolas à la Concorde après le brunch, avant de filer en Velib’ à Vincennes, pour voir si François
a une cravate plus cool que celle de Nicolas. A moins que la séance de yoga n’oblige à écourter ces petites festivités parisiennes.
». Op. cit. p. 16.
52
III. La rhétorique autour de la notion de « bobo » en communication politique : une arme à double
tranchant ?
d’activités : « brunch », « spectacle de la Concorde », « Vélib ’ », « yoga ») et l’utilisation
de lieux communs dits « bobos » dans le but de démontrer leur absurdité, sont des indices
de la dimension ironique de l’énoncé. L’ironie contre les « bobos » prend également la forme
165
de litotes. C’est particulièrement le cas dans le livre de François D’EPENOUX où l’auteur
n’a de cesse d’utiliser des litotes telles que « ces chers bobos » et des antiphrases pour
exprimer son mépris.
La puissance de persuasion des discours tenus sur les « bobos » réside en outre dans
les raccourcis inductifs et déductifs qui peuvent être faits dans les énoncés. Les opposants
de la gauche et les opposants du Parti Socialiste utilisent souvent l’argument logique par
induction : ils partent d’un fait particulier (par exemple « Nicolas Hulot est un bobo »)
et le généralisent (la gauche est « bobo », pour reprendre l’exemple de l’article d’Yves
166
KERDEL ). Ils utilisent également des syllogismes dont ils ne manquent pas de supprimer
l’une des propositions (majeure ou mineure) ou la conclusion, de manière à produire un
enthymème. Celui-ci présente l’avantage de laisser une part d’interprétation à l’auditeur ou
au lecteur, et de renforcer le caractère incontestable de la déduction (elle semble aller de
soi). C’est le cas pour la phrase de Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET « Réclamer le droit
de vote aux élections locales c’est un truc de socialistes, de bobos parisiens et ce sont
167
souvent les mêmes » . On peut interpréter cette phrase comme un syllogisme dont la
proposition majeure serait « le droit de vote pour les étrangers est un truc de socialistes »,
la proposition mineure « le droit de vote pour les étrangers est un truc de bobos parisiens »
et la conclusion partielle « se sont souvent les mêmes ». La partie de la conclusion de ce
syllogisme télescopée serait « les socialistes sont souvent des bobos parisiens et les bobos
parisiens sont souvent socialistes ». Ces procédés rhétoriques ont pour effet de renforcer
le caractère logique des affirmations des locuteurs, sans pour autant que les énoncés en
eux-mêmes puissent prétendre à une vérité.
Les discours autour du terme « bobo » correspondent à ce que le chercheur
et professeur de l’université de Genève Uli WINDISH nomme « la communication
168
conflictuelle » . En effet, ces discours, en utilisant la notion caricaturale de « bobo » pour
discréditer les adversaires, déforment la réalité et effectuent une « extrêmisation ». Le
terme sert en outre à « vitupérer » puisqu’il constitue une invective qui montre que l’on
s’oppose radicalement à ceux que l’on nomme « bobos ». Enfin, il arrive que des locuteurs
utilisent le mot « bobo » dans des énoncés ironiques, destinés à ridiculiser l’adversaire,
comme on l’a vu précédemment. Ces trois axes (« extrêmisation », « vitupérer », « ironie
») font partie de ce qu’Uli WINDISH identifie à des vecteurs du « discours conflictuel »
type. Le mot « bobo », lorsqu’il est utilisé en communication politique constituerait ce que le
chercheur suisse nomme le « pôle chaud » de l’argumentation (travaillant sur les émotions
du public, par opposition au « pôle froid » qui consiste à convaincre).
2. Marquer l’auditoire.
« Bobo » : un terme qui ne passe pas inaperçu.
165
166
167
168
Op. cit. p. Error: Reference source not found.
Op. cit. p. 58.
Op. cit. p. Error: Reference source not found.
WINDISH, Uli, Le KO verbal. La communication conflictuelle. Lausanne : L’Age de l’Homme, 1987.
53
« Bobo » : us et abus d’un mot au service de rhétoriques idéologiques.
Le mot « bobo » est facilement passé du discours médiatique au discours politique, comme
nous l’avons précédemment montré. Mais le passage n’est pas irréversible : « bobo » est
un terme mobile, qui paraît circuler à travers différents champs. Cette impression est due
aux citations régulières de personnalités politiques qui utilisent le terme « bobo » dans la
presse. Elles donnent parfois lieu à des commentaires de journalistes ou de chercheurs,
169
comme dans l’article de Didier DESPONDS « « Bobo », le retour d’un concept idiot » .
Les occurrences du mot « bobo » dans les médias et dans les discours de personnalités
politiques suivent une même périodicité : au vu de leurs dates, on remarque qu’après le
« boom » de 2000 et 2001, elles sont plus nombreuses à l’approche d’élections nationales
(en 2007 et en 2011-2012) que le reste du temps. Pour les personnalités politiques,
l’utilisation du terme de « bobo » est un moyen d’être repris par les médias. Le mot a
une origine médiatique, il est connu de tous les lecteurs et auditeurs, il est propice aux
jeux de mots et il agit comme une insulte. C’est pour ces raisons que les médias sont
particulièrement sensibles à son emploi et qu’ils le reprennent aisément dans leurs titres
et dans leurs articles ou chroniques. Cela a pour effet d’assurer la visibilité dans la presse,
voire la promotion, de tous les personnages publics qui l’utilisent. C’est le cas en 2012 pour
Marine LE PEN, dont les phrases sur les « bobos » sont médiatisées, et pour le moins connu
Philippe MEUNIER, député UMP et membre de la Droite Populaire. Celui-ci a été remarqué
par les journalistes pour avoir dit du « Mariage pour tous » qu’il s’agissait « d’un caprice
170
de bobos égocentriques » .
L’utilisation du mot « bobo » permet aussi aux médias et aux personnalités politiques
de vulgariser le terme de « gentrification ». Il s’agit d’une notion scientifique, qui relève
du jargon des géographes et qui s’introduit donc difficilement en communication politique.
Elle requiert une explication tandis que le mot « bobo », en plus de mieux « sonner » (la
répétition de syllabe créer un effet ludique et le terme est propice à divers jeux de mots),
permet un raccourcis : nul besoin d’explication, tout le monde a une représentation (plus ou
moins précise) de ce qu’est un « bobo ». Par ailleurs, l’emploi de « bobo » plutôt que de
« gentrification » permet au locuteur d’éviter une notion scientifique qu’il risque de mal ou de
ne pas maîtriser. Il est plus confortable de manipuler une notion qui a été construite et qui
relève des représentations, qu’un concept scientifique qui fait prendre le risque de formuler
des énoncés faux. Ainsi si Nicolas SARKOZY avait parlé des « gentrifieurs du Boulevard
Saint-Germain », il aurait été facile de démontrer l’erreur du Président en s’appuyant sur la
définition de la gentrification – le boulevard étant loin d’être un lieu gentrifié. En revanche,
171
lorsqu’il parle des « bobos du boulevard Saint-Germain » , même si des commentateurs
s’empressent de rappeler que les habitants de ce boulevard sont plus bourgeois que
« bobos », personne ne peut affirmer que l’énoncé est faux car il n’existe pas de science ni
de vérité sur les « bobos ». L’utilisation de la version vulgarisée des « gentrifieurs » permet
par ailleurs d’introduire un jugement moral sur les populations désignées que ne permettait
pas le terme scientifique. Lorsqu’on parle des « bobos », on ne parle pas seulement de
la population gentrifieuse ou d’une potentielle classe sociale : le mot permet d’évoquer un
ensemble de styles de vie, de valeurs et de coutumes, et partant, de parler de morale et
non de vérité avérée. « Bobo » parle à tous : aussi bien aux journalistes qu’au grand public.
C’est sans doute ce qui explique que les médias l’utilisent, mais aussi que des hommes et
femmes l’intègrent à leur discours politiques.
169
170
Op. cit. p. Error: Reference source not found.
Op. cit. p. 39.
171
54
Op. cit. p. Error: Reference source not found.
III. La rhétorique autour de la notion de « bobo » en communication politique : une arme à double
tranchant ?
Choquer, provoquer, insulter.
Le terme « bobo », quand il figure dans un discours politique, produit souvent un effet de
décalage. C’est un mot d’origine médiatique qui est devenu un terme du langage familier.
On l’utilise couramment sur le ton de l’humour et de la moquerie. Lorsque ce terme, un peu
trivial, apparaît dans le langage sérieux, parfois technique, voire soutenu des hommes et
des femmes politiques, on a un effet de surprise. On pourrait même parler d’une tonalité
burlesque : un terme familier et ludique est introduit dans des discours graves, sur des sujets
politiques qui sont traditionnellement accompagnés d’un ton solennel, raisonné ou alarmant.
Cela crée un effet de décalage qui surprend l’auditeur ou le lecteur, et capte son attention.
Simultanément, l’utilisation de ce terme induit à nouveau un rapprochement entre le locuteur
et son public : l’auteur ou la personnalité politique qui emploie ce terme montre à l’auditoire
qu’il partage son langage et non celui des technocrates, qu’il parle pour lui et comme lui.
C’est aussi grâce à ce décalage de registres que celui qui parle des « bobos » se fait
entendre dans les médias et dans l’opinion. Comme le terme est régulièrement employé
dans le cadre d’un conflit, pour attaquer quelqu’un ou quelque chose, les journalistes et
indirectement leurs auditeurs ou lecteurs sont particulièrement friands des petites phrases
ou insultes contre les « bobos ». On pourrait ainsi voir dans l’emploi de « bobo » une
provocation aux deux sens du terme : une attaque, un appel au défi à ceux contre qui le
terme est adressé, mais aussi une tentation au sens où celui ou celle qui prononce ce
mot émoustille le public. L’utilisation du terme « bobo » pour désigner une personne ou un
groupe de personnes témoigne d’une volonté de provoquer celui ou ceux qui sont désignés.
Lorsque Eric ZEMMOUR écrit des « bobos », « ces « bourgeois bohèmes » issus de Mai
68, libéraux-libertaires, pour qui fumer un joint de marijuana n’est pas criminel, qui passent
tout aux minorités, homosexuelles ou ethniques. L’ennui, c’est que ces gens-là se croient
172
de gauche »
, il y a une véritable provocation contre les personnes « de gauche » qu’il
désigne. Il les réduit à quelques caractéristiques, comme pour démontrer que ces « bobos »
ne sont pas vraiment de gauche. On peut entendre un appel implicite aux personnes qu’il
dénonce à se justifier par d’autres arguments, à prouver qu’ils sont réellement de gauche.
Lorsque Jean-Marie LE PEN dit devant les caméras que « le bobo se porte plutôt à gauche
et il est poilu de la gueule d’habitude… Bah oui… C’est la mode, la mode musulmane, ça !
173
» , il ne semble pas y avoir de fond idéologique ni de but argumentatif. L’ancien président
du FN paraît provoquer, dans le seul but de défier les personnes qui porteraient une barbe
pour imiter les musulmans ; et d’attaquer les musulmans, en sous-entendant que l’islam
et la culture qui lui est liée seraient une « mode ». Ce dernier exemple revêt plus l’allure
d’une insulte, d’une offense gratuite, que d’une provocation, contrairement à celui d’Eric
ZEMMOUR qui semble davantage défier une cible et attendre une réponse (bien que la
nuance entre « provocation » et « insulte » soit légère). L’insulte se retrouve également dans
des énoncés assertifs, et passe parfois par la métaphore. C’est par exemple le cas sous la
174
plume d’Eric ZEMMOUR qui identifie Alain MADELIN à un bobo .
L’utilisation du terme « bobo » dans des discours politiques a pour effet de surprendre
et de capter l’attention du public. Cela est dû au décalage de registres que le mot introduit,
mais aussi à l’insulte ou à la provocation qu’il peut constituer. L’utilisateur du terme a alors
pour objectif de discréditer un opposant, et d’un débat politique, on passe facilement à une
joute oratoire personnalisée.
172
173
174
ZEMMOUR, Eric, cité par TASSET, Cyprien. Op. cit. p. 51.
Op. cit. p. 16.
« Madelin est la meilleure incarnation sur l’échiquier politique de l’électorat « bobo » ». Op. cit. p. 51.
55
« Bobo » : us et abus d’un mot au service de rhétoriques idéologiques.
3. Le mot « bobo » dans la joute verbale politique.
L’injure « bobo » dans une stratégie de contre-attaque.
Jusqu’à présent, nous avons montré que l’utilisation du terme « bobo » était principalement
destinée à dénoncer ou à déprécier un phénomène, un groupe ou une personne. C’est
pourquoi on peut lui donner le nom de véritable « arme rhétorique ». Pour poursuivre la
métaphore militaire, on peut faire l’hypothèse que l’emploi de « bobo » n’est pas seulement
une attaque mais aussi une contre-attaque, dans le cadre d’une guerre où la gauche et
la droite s’affronteraient à coup d’accusations et d’injures. Si l’on considère la rhétorique
politique autour du mot « bobo » sous l’angle d’une stratégie communicationnelle, de quoi
la dénonciation des « bobos » est-elle la réponse ?
Quand les auteurs des énoncés les plus virulents contre les « bobos » parlent de
175
« dénoncer une imposture »
ou révèlent l’agression dont les « bobos » seraient
responsables (à l’exemple de Marine LE PEN qui les décrit comme des criminels), on a le
sentiment que les « bobos » ne sont pas les victimes mais les attaquants, et que les pics
qu’on leur enverrait ne relèveraient que d’une légitime défense. Pour François D’EPENOUX,
les « bobos » ne seraient pas seulement coupables d’une prise de pouvoir illégitime,
d’invasions de territoires ou d’hypocrisie : il les accuse aussi d’une hégémonie idéologique à
cause de laquelle il ne serait plus possible d’assumer des idées de droite et qui suspendrait
tout débat politique. L’idée que l’auteur développe dans Les Bobos me font mal est que les
« bobos » entretiendraient une « dictature fanatique du terrorisme « intellectuel » de gauche
176
» , qui ferait des thèmes communément défendus par la droite (François D’EPENOUX
cite l’immigration et l’insécurité) des sujets censurés. Cette « dictature » diaboliserait la
droite de sorte que ses électeurs doivent avoir honte de leurs opinions politiques. Pour
François D’EPENOUX ce phénomène se matérialiserait par l’accusation de « facho » dès
lors que quelqu’un s’aventurerait à formuler des idées contraires à celles des supposés
« bobos ». « « Facho » est le sobriquet qui revient le plus souvent dans la bouche d’une
Bobo lorsque, à court d’arguments, il souhaite clore un débat. […] La séance est alors
levée (à moins que ce ne soit la messe qui est dite), vous êtes « extrémiste » à perpétuité
177
et la sentence est sans appel . » . « Bobo » paraît être à la gauche ce que « facho »
est à la droite : une accusation qui dévalorise les opinions politiques de celui qu’elle vise.
Les deux insultes semblent fonctionner en binôme. C’est ce que l’on constate par exemple
avec un article-réponse du journaliste Bruno ROGER-PETIT qui réagit dans un billet de
178
Le Post aux insultes de « bobo » qui lui ont été adressées après qu’il eut manifesté
son soutien à la journaliste Colombe SCHNECK. Celle-ci avait comparé un fait divers à la
période vichyste, en 2010, ce qui lui avait valu de sévères critiques de la part de journalistes
179
de Marianne 2 notamment . On peut lire dans l’article de Bruno ROGER-PETIT la phrase
suivante « La grande coalition objective des apeurés, la grande cohorte droito-nationalosouveraino-facho-réaco-internautique m’est tombée sur le râble, et d’un élan unanime m’a
175
176
177
178
D’EPENOUX François. Op. cit. p. Error: Reference source not found.
Op. cit. p. Error: Reference source not found.
Ibid.
ROGER-PETIT Bruno. « Le « bobo » en politique : un bien-pensant obsédé par Vichy ? » [en ligne], Le Huffington Post
(Le Post). 7 mai 2010 [réf. du 16 juillet 2013]. Disponible sur http://archives-lepost.huffingtonpost.fr/article/2010/05/07/2064360_lebobo-en-politique-un-republicain-qui-craint-le-retour-de-vichy.html .
179
56
Ibid. Nous passerons volontairement sur les détails de l’affaire, qui n’est pas le sujet de cet exemple.
III. La rhétorique autour de la notion de « bobo » en communication politique : une arme à double
tranchant ?
décrété « bobo » ». Le journaliste réagit contre le mot dont on l’affuble, et dans le même
temps, il provoque ceux qui l’ont attaqué avec (entre autres) l’accusation de « facho ».
De même, dans le livre de François D’EPENOUX, le mot « bobo » se fait injonction. Alors
qu’il dénonce l’accusation systématique et infondée de « facho », l’auteur construit une
idéologie semblable autour du terme de « bobo ». En effet, le terme devient une insulte qu’il
ne cesse de répéter au cours de son texte. Elle n’est pas justifiée ni argumentée, elle rompt
tout débat naissant : François D’EPENOUX fait du mot « bobo » une insulte symétrique
à celle de « facho » qu’il blâmait pourtant.
Un tremplin à la construction de l’image d’une « droite décomplexée ».
Le mot « bobo », quand il devient une insulte, servirait notamment à déconsidérer une
gauche faussement bien-pensante, des individus déclarant défendre des valeurs de gauche
pour « faire bien ». Ce que l’on reproche à ces supposés « bobos », c’est de ne pas assumer
leurs véritables idées, celles qu’ils auraient naturellement défendues, s’ils n’avaient pas
voulu se différencier. En somme, on leur reproche de ne pas assumer leurs idées de droite
et d’être à gauche par hypocrisie. Par opposition à cette figure du « bobo », une nouvelle
notion voit le jour : celle d’une « droite décomplexée ». Cette « droite » étroitement liée à la
communication « sarkozyste » (quand Nicolas SARKOZY occupait les fonctions de Ministre
de l’Intérieur puis de Président de la République) en finirait avec les héritages « chiraco180
gaullistes » stratégiques, idéologiques et moraux, pour assumer des idées de droite sans
compromis.
La droite se séparerait de ses complexes. Celui qui résulte de la volonté de se distinguer
de l’extrême droite d’abord : plutôt que de nier tout rapprochement avec le Front National,
la « droite décomplexée » accepterait certaines ressemblances idéologiques, plutôt que
d’endiguer la montée de l’extrémisme, elle chercherait à la récupérer. Ce complexe est
celui qui apparaît derrière l’accusation de « facho », à travers la supposée « honte
» que ressentiraient les électeurs de droite à cause des persécutions de personnes
dites « bobos » (pour réutiliser les idées et la terminologie de François D’EPENOUX). Le
psychiatre Jean-Paul MIALET évoque une origine encore plus profonde de ce « complexe »
qu’aurait eu la droite avant l’apparition de la « droite décomplexée ». Dans son article
181
« Droite décomplexée : mais de quels complexes parle-t-on ? » , le scientifique écrit de la
« communauté de droite » qu’elle a la particularité « d’insister sur les éléments de réalité
nécessaires à sa survie ». Suivant l’objectif partagé par tous les organismes de se maintenir
en vie, cette communauté politique défendrait sa structure, mais au prix du maintien d’un
certain ordre, d’une « économie qui lui assure une subsistance », et « en se protégeant
de ceux qui voudraient la détruire ou s’emparer de ses moyens de subsistance ». D’où
les thèmes récurrents pour la droite de maintien de l’ordre établi, de travail et de protection
vis-à-vis de ceux qui pourraient nuire à la communauté. Mais ces valeurs et ces priorités
relèvent dans l’imaginaire collectif de l’égoïsme ; et l’égoïsme étant toujours culturellement
dévalorisé par rapport à l’altruisme, un sentiment de honte se développerait du côté de la
droite. « La droite qui souhaite préserver l’ordre établi se sent donc honteuse de ne penser
180
MATHIEU, Marika, « Droite forte: les enfants de la droite décomplexée » [en ligne], Le Huffington Post.22 juillet 2013 [réf. du 01
août 2013]. Disponible sur : http://www.huffingtonpost.fr/marika-mathieu/droite-forte-droite-decomplexee_b_3623034.html .
181
MIALET, Jean-Paul, « Droite décomplexée : mais de quels complexes parle-t-on ? » [en ligne], Atlantico. 20 novembre
2012 [réf. du 17 juillet 2013]. Disponible sur
http://www.atlantico.fr/decryptage/droite-decomplexee-mais-quels-complexes-parle-t-
on-jean-paul-mialet-491344.html .
57
« Bobo » : us et abus d’un mot au service de rhétoriques idéologiques.
182
qu’à elle-même » . Ce serait là le point faible de la droite, que la gauche (des prétendus
« bobos » de François D’EPENOUX), ne manquerait pas d’attaquer.
Pour les représentants déclarés de la « droite décomplexée » (avec à leur tête Jean183
François COPE ), les membres de la droite n’auraient plus à avoir un complexe d’infériorité
par rapport à la gauche en France. L’accusation de « bobo » est alors un outil essentiel à
cette thérapie mentale et communicationnelle : en même temps qu’elle décrie la gauche
relativement à « l’hypocrisie » de ses représentants, elle valorise l’honnêteté et la droiture
des personnalités de droite. Le « bobo » perçu comme l’individu naturellement de droite
qui voterait artificiellement à gauche, sert de contre-modèle au personnage de la « droite
décomplexée ». Par ailleurs, la droite se séparerait des complexes que les supposés
« bobos » auraient fait naître (selon François D’EPENOUX). Bien que l’auteur de Les Bobos
me font mal n’utilise pas l’expression « droite décomplexée », il évoque une idée similaire
en développant son opinion selon laquelle un individu de droite ne devrait pas avoir à rougir
de ses opinions à cause de la pression morale que lui feraient subir des « bobos ». La
« droite décomplexée » étant caractérisée par l’absence de honte vis-à-vis de ses idées,
elle se définit par rapport à la gauche et aux supposés « complexes » qu’elle aurait donnés
à la droite.
Quelle défense contre les accusations de « bobo » ?
Dans la bataille où droite et gauche s’affrontent en se lançant respectivement des « bobos
» et des « fachos », c’est la droite qui semble l’emporter. En effet, non seulement elle trouve
une réponse à l’accusation de « facho » qu’on lui aurait portée, mais elle construit aussi
une image nouvelle et renforcée d’elle-même, par opposition à celle des « bobos ». Pour
apprécier l’efficacité de la notion de « bobo » pour la droite (en tant qu’accusation lancée
contre la gauche ou en tant qu’image contre laquelle la droite se construit), on peut analyser
les réponses qui sont formulées par les personnes directement accusées d’être « bobos ».
Force est de constater que ces réponses sont assez rares. On peut faire l’hypothèse
que cela est dû à une volonté des insultés de ne pas réagir et d’opter pour une stratégie
de communication qui ne comporte pas de défense particulière vis-à-vis de cette insulte.
Cela pourrait expliquer pourquoi Nicolas SARKOZY et François HOLLANDE n’ont pas
publiquement répondu aux accusations nominatives que leur adressait Marine LE PEN
depuis Hénin-Beaumont en 2012. Mais la plupart du temps, la dénonciation des « bobos »
ne s’adresse pas à des personnes particulières. La cible des attaques étant indéterminée,
personne ne se sent véritablement visé. La réponse à l’accusation ou à la dénonciation
de « bobo », lorsque des individus s’expriment sur le sujet, se construit souvent par
détournement. C’est par exemple le cas de Bruno ROGER-PETIT qui parce qu’il ne peut
mobiliser aucune science pour prouver qu’il n’est pas un « bobo », se concentre sur d’autres
failles du discours de son ennemi. Il démontre l’absurdité de ses déclarations en le citant et
184
rectifie des détails historiques de manière à le dévaluer .
L’autre exemple de défense face à l’accusation de « bobo » que l’on peut citer est celui
de Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET. Lors d’un débat organisé par iTélé le 27 mai 2013,
185
dans le cadre des Primaires de l’UMP pour la candidature à la Mairie de Paris en 2014 ,
182
183
184
185
58
Ibid.
Il est l’auteur d’un Manifeste pour une droite décomplexée paru chez Fayard en octobre 2012.
Op. cit. p. 89.
Op. cit. p. 67.
III. La rhétorique autour de la notion de « bobo » en communication politique : une arme à double
tranchant ?
elle est invitée à commenter l’expression de « bobo de droite » qui lui est régulièrement
adressée par les médias et par les opposants politiques. « On sent là une vision du monde
qui n’est pas la mienne. Je ne crois pas à ça. Je n’ai jamais compris ce qu’était un « bobo »
». La pirouette de la candidate UMP consiste donc à souligner le non-sens de la formule
de « bobo », allant ainsi à l’encontre de la tendance qu’ont les personnalités politiques à
utiliser cette notion sans modération et sans la questionner, comme si elle était admise
et scientifiquement avérée. Cette technique pourrait être la meilleure des réponses : elle
consisterait à montrer que ce concept est une construction qui a été accaparée par la
communication politique, afin de mettre en avant, par exemple, l’absence de fondements de
cette accusation ou bien son absurdité. Mais la candidate se trouverait embarrassée dans
de tels arguments puisqu’elle-même utilisait le terme un an auparavant, à l’occasion de la
campagne présidentielle de Nicolas SARKOZY, pour déprécier les socialistes.
B. Us et abus du mot « bobo » en communication
politique : les dangers de l’utilisation répétée ou
incontrôlée du terme.
Le terme « bobo » est sans nul doute très efficace en communication politique. C’est un outil
de persuasion de l’auditoire. Utilisé comme insulte dans la guerre rhétorique que mènent les
différents représentants politiques, il ne permet pas à l’interlocuteur de répondre par d’autres
contre-attaques que celle qui consiste à rebondir sur d’autres éléments du discours de son
adversaire. Toutefois, on peut supposer que le mot « bobo », comme tout outil rhétorique
et communicationnel, doit être maîtrisé, sous peine de faire un flop. On peut par ailleurs se
demander si l’usage excessif de cette formule n’a pas des effets pernicieux sur la perception
que le public a du monde social et du monde politique. Le « bobo » : à consommer avec
modération ?
1. Une communication politique à risque ?
Une arme à maîtriser.
Si la métaphore de l’arme convient bien au mot « bobo » comme outil rhétorique, c’est parce
qu’il est menaçant pour sa cible, mais également dangereux pour le « tireur ». On l’a vu avec
l’exemple de Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET (Quelle défense contre les accusations de
« bobo »), celui qui accuse son adversaire politique de « bobo » doit être sur ses gardes.
Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET se retrouve dans la situation de l’arroseur arrosée : sa
propre arme se retourne contre elle-même. Cela nous permet de faire l’hypothèse que tout
le monde ne peut pas se permettre d’utiliser le mot « bobo » en rhétorique politique. Cela
pourrait se traduire par le précepte suivant : si vous n’êtes pas sûr de ne pas être vousmêmes accusable d’être un « bobo », mieux vaut vous garder d’en accuser les autres. Les
caractéristiques que les représentations attribuent aux « bobos » sont cependant si floues
que les personnalités politiques exemptes de cette accusation sont rares. Elles risquent
d’être taxées de « bobos » pour peu qu’elles soient relativement aisées, qu’elles habitent
à Paris, qu’elles manifestent un goût pour une forme de culture ou des préoccupations
humanistes ou sociales. Attaquer son adversaire grâce au concept de « bobo », c’est donc
prendre le risque de donner un bâton pour se faire battre (comme on le voit avec Nathalie
59
« Bobo » : us et abus d’un mot au service de rhétoriques idéologiques.
KOSCIUSKO-MORIZET). C’est du moins risquer d’éveiller chez un journaliste, ou un simple
observateur une réflexion qui le conduirait à essayer de démontrer que le coupable n’est pas
l’accusé mais l’accusateur. Et souvent dans ce cas, la réflexion trouve un écho médiatique,
186
comme nous le montre l’exemple de l’article « Eric Zemmour est-il bobo ? » . L’auteur de
cet article s’attaque au journaliste Eric ZEMMOUR, qui utilise souvent le terme « bobo »
dans ses chroniques, et écrit à son propos « Pourtant il semble bien que le bobo, ce soit
lui ».
Le risque qu’encourt le dénonciateur de bobos est celui de s’attaquer à une partie
de la population qui pourrait être son électorat. C’est vraisemblablement le cas pour
Marine LE PEN qui, en qualifiant le public du meeting de Nicolas SARKOZY à Paris de
187
« bobos », dénigre une partie d’un électorat qu’elle pourrait récupérer . La notion de
« bobo », contrairement à celle de « gauche caviar » par exemple, ne cible pas seulement
les représentants politiques, mais aussi les électeurs. Celui qui l’emploie dans le but de
dénoncer le fossé qui séparerait les élites et le peuple ne témoigne pas d’une rupture entre
les dirigeants et les dirigés (comme pouvait l’induire le concept de « gauche caviar »), mais
pointe plutôt du doigt une fracture au sein de la population française. Il ne rassemble pas
mais il divise les Français. Cela pose problème pour un candidat à l’élection présidentielle
qui, s’il est élu, doit être le président de « tous les Français » comme l’ont dit François
HOLLANDE et Jacques CHIRAC, pour définir leur rôle de Président de la République.
188
Nicolas SARKOZY, en méprisant les « bobos du boulevard Saint-Germain »
a commis la faute, qui n’a pas manqué aux journalistes, d’attribuer aux « bobos » un
lieu géographique qui n’est pas celui que les représentations ont coutume d’évoquer
pour caractériser le personnage. Certains auteurs, comme Lauren PROVOST, relèvent
189
« l’erreur » du président qui taperait sur ses propres électeurs, avec pour argument que
dans le 6e arrondissement, « le candidat-président a remporté près de 45% des voix au
190
Premier Tour » . Le danger n’est peut-être pas tant celui de s’en prendre par mégarde
à ses propres électeurs ou à de potentiels électeurs (après tout, qui se reconnaît dans la
désignation de « bobo » ?), mais plutôt celui de mal maîtriser une notion que l’on manipule.
Nicolas SARKOZY, en lançant « Je ne parle pas pour les bobos du boulevard Saint-Germain
» ne produit pas l’effet escompté. Il cherche à créer un rapprochement avec son auditoire
(le « peuple »), mais au lieu de cela, il commet ce qui apparaît comme une maladresse (aux
yeux des journalistes, aux yeux de l’opinion). On a alors le sentiment que le président, un
peu gauche, essaie d’utiliser le vocabulaire populaire, mais sans réellement en être familier.
Il donne l’impression de ne pas connaître les représentations liées au mot « bobo », de ne
pas partager des références communes. Le décalage produit entre les représentations que
l’opinion a des « bobos » et celle qu’en donne Nicolas SARKOZY a tendance à créer une
distance entre l’auditoire et le président-candidat, soit l’inverse de l’effet recherché.
186
JEAN (auteur anonyme), « Eric Zemmour est-il bobo ? » [en ligne], Enquête&Débat. 12 juillet 2012 [réf. du 21 juin 2013]. Disponible
sur : http://www.enquete-debat.fr/archives/eric-zemmour-est-il-un-bobo-93752 .
187
188
189
Op. cit. p. Error: Reference source not found.
Op. cit. p. Error: Reference source not found.
Si « erreur » est ici mis entre guillemets, c’est parce qu’il ne s’agit pas d’une véritable erreur au sens de tenir pour vrai ce
qui est faux : il n’y a pas de vérité en ce qui concerne les caractéristiques des « bobos ». En revanche, la phrase de Nicolas SARKOZY
est en décalage par rapport aux représentations communément véhiculées sur les « bobos » d’une part (qui habiteraient des quartiers
anciennement populaires) et sur les quartiers bourgeois d’autre part (le boulevard Saint-Germain, comme le XVIe arrondissement de
Paris, seraient habités par des bourgeois).
190
60
Op. cit. p. Error: Reference source not found.
III. La rhétorique autour de la notion de « bobo » en communication politique : une arme à double
tranchant ?
Une « vision pernicieuse »
191
de la réalité.
Le mot « bobo » est un outil de communication qu’on aurait tort de considérer comme un
simple accessoire des discours, censé renforcer leur effet. C’est une notion qui, à force de
répétitions et d’utilisations, est normative. Elle induit une perception du monde social que
Sylvie TISSOT, professeure de sciences politiques à l’Université Paris 8, juge « pernicieuse
». Le concept de « bobo » introduit dans un discours l’idée de rupture (cf. « Bobo » : un
terme clivant.), ce qui a souvent pour effet d’avantager le locuteur souhaitant dénoncer le
fossé séparant son opposant du « peuple », et ainsi créer une proximité avec les électeurs.
Mais un tel argument n’a pas seulement le pouvoir de persuader : il propose une sorte de
grille de lecture de la société française à l’auditoire. Plus le mot « bobo » est utilisé, plus la
notion s’impose dans la manière dont les Français perçoivent et appréhendent la société.
Le terme a un potentiel performatif : il modifie la perception du monde social, et partant,
les idées et le comportement des individus qui en découlent. Avec des formules comme
« bobo », c’est l’idée d’une société divisée et dont les groupes sont en conflit qui se répand.
Or cette vision est-elle appropriée pour parler de la population française actuelle ? Il est
impossible de déterminer si le conflit interne à la société précédait les représentations du
conflit ou si les représentations ont induit le conflit (cela revient à la question de savoir qui, de
l’œuf ou de la poule, est apparu en premier). En revanche, il est certain que des signes tels
que « bobo » influent sur les représentations sociales et accentuent des phénomènes réels.
Les discours sur les « bobos » modifieraient non seulement la perception de la structure
sociale mais aussi l’image des groupes structurant la société. Ils généreraient à la fois
l’image d’une société au sein de laquelle « les bobos » et « le peuple » seraient en conflit ;
et de nouvelles représentations de ces groupes. Nous avons déjà largement traité des
représentations des « bobos », mais qu’en est-il de la perception du « peuple » qui se déduit
de cette opposition ? Sylvie TISSOT défend la thèse selon laquelle la notion de « bobo »
serait dangereuse parce qu’elle entraînerait une « vision pernicieuse » du peuple :
« Autant les «#bobos#» seraient attachés à la défense des sans-papiers par
exemple, autant les classes populaires y seraient hostiles. Face aux premiers,
portés vers la culture et la tolérance sociale, émerge de cette nouvelle doxa un
peuple soudainement élagué de ses composantes qui, pourtant, subissent de
plein fouet la violence sociale et économique : les immigrés occupant les postes
les moins payés, ou encore les femmes, aux avant-postes de la précarité, mais
aussi les gays et les lesbiennes – qui ne sont pas tous des créateurs habitant le
192
Marais. »
La dénonciation des « bobos », qui seraient naïvement humanistes et tolérants, entraîne
indirectement la vision d’un peuple qui, parce qu’il représenterait le contraire des « bobos »,
serait égoïste, intolérant et raciste. Dans ces représentations, on exclut alors du « peuple »
des individus qui connaîtraient pourtant autant de difficultés que le « peuple » dont
parle Marine LE PEN ou que les « habitants de Seine-Saint-Denis » que Nicolas
SARKOZY voudrait défendre. Sylvie TISSOT de poursuivre « La dénonciation du bobo
est aujourd’hui une manière facile et faussement audacieuse de stigmatiser l’antiracisme
et le combat contre toutes les formes de discrimination. Des causes auxquelles le peuple,
« le vrai », serait profondément allergique. ». Cette thèse nous permet de nuancer
l’idée précédemment développée selon laquelle l’utilisation du terme « bobo » dans les
191
192
TISSOT, Sylvie. Op. cit. p. 26.
Ibid.
61
« Bobo » : us et abus d’un mot au service de rhétoriques idéologiques.
discours politiques aurait notamment pour vocation de valoriser le peuple. Peut-on parler
de « valorisation » si la dénonciation des « bobos » induit par opposition, l’image d’un
peuple xénophobe ? Une telle peinture du peuple est un danger en communication politique
(puisqu’on exclut du « peuple » une partie de la population française), mais aussi en
politique, dans le sens où l’on travestirait la société. Cela peut entraîner une vision fausse
du monde sociale, chez les acteurs politiques (et partant, les induire en erreur), mais aussi
chez le peuple lui-même, dont les membres aliénés ne se reconnaissent plus dans les
représentations que l’on donne d’eux.
2. Les dérives des accusations contre les « bobos ».
De nombreux amalgames et des simplifications.
Le terme « bobo » est propice à des amalgames. On l’a vu précédemment dans ce
mémoire, souvent, le mot « bobo » est utilisé pour désigner des gentrifieurs. C’est la
confusion qu’on retrouve certainement dans le plus de discours. Elle a pour effet d’introduire
un jugement moral sur des phénomènes qui n’ont pas lieu d’être jugés. A la confusion
se mêle souvent une simplification. A en croire certains auteurs (Thierry PORTES dans
193
194
« L’irrésistible invasion des bobos » ou François D’EPENOUX ), les « bobos », des
individus à la recherche d’un lieu de vie « bohème », seraient les responsables de la
gentrification. Autrement dit, il fait des « gentrifieurs » une cause de ce phénomène, alors
qu’ils n’en sont qu’un effet. Or la gentrification est un processus urbain qui s’observe
partout dans le monde (notamment dans des villes où l’on ne parle pas d’apparition de
« bobos »), et qui résulte de la combinaison de plusieurs causes plus ou moins spécifiques
à la ville dont il est questions : mutations géographiques (par exemple le ralentissement
de l’étalement urbain), facteurs économiques (comme l’absence de contrôle du marché
de l’immobilier), phénomènes sociaux et culturels (valorisation de quartiers anciennement
populaires devenus « historiques », évolutions des priorités des familles aisées par exemple,
qui ne cherchent plus nécessairement à habiter de grands espaces, …). Les habitants des
quartiers gentrifiés ont sans doute à s’interroger sur leur style de vie, leurs goûts, leur façon
d’investir l’espace public, et sur leurs conséquences à plus ou moins long terme. Mais la
gentrification ne résulte en aucun cas de leur seules volonté et responsabilité.
Les amalgames se retrouvent également quant à la supposée responsabilité des
« bobos » sur d’autres thèmes : les « bobos » sont accusés de tous les maux. François
195
D’EPENOUX soutient dans Les Bobos me font mal
que les « l’élite des bobos »
auraient le pouvoir de manipuler l’opinion, et c’est grâce à cela qu’ils réussiraient à faire
régner leurs idées au détriment des valeurs de gauche. L’auteur semble motivé par le désir
de dévoiler cette « imposture » au grand jour, comme si les « bobos » avaient opéré
dans l’ombre, sans que personne ne se rende compte d’avoir été manipulé. Cette thèse
présente les caractéristiques d’une théorie du complot : elle est construite sur une cause
unique, consistant à dire d’un phénomène qu’il résulte d’une manipulation cachée des élites.
L’autre thèse simpliste que développe François D’EPENOUX dans ce livre est celle de la
responsabilité des « bobos » dans l’accession de Jean-Marie LE PEN au Second Tour de
l’élection présidentielle de 2002. « De toute cette inconséquence [celle des bobos], on a
vu le résultat. Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2002 . ». Selon l’auteur,
193
194
Op. cit. p. Error: Reference source not found.
Op. cit. p. Error: Reference source not found.
195
62
Ibid.
III. La rhétorique autour de la notion de « bobo » en communication politique : une arme à double
tranchant ?
c’est parce que les « bobos » auraient mené une « politique immigrationniste » excessive
lorsque la gauche était au pouvoir, que l’insécurité se serait aggravée et qu’un électorat Le
Pen se serait formé. « C’est l’obstination hystérique de nos chers Bobos qui a failli faire
de Le Pen le premier magistrat de ce pays » écrit-il. Là encore, sa théorie manifeste un
raccourci idéologique : un phénomène (la montée du Front National), sans doute pluricausal,
devient sous sa plume un dégât causé par les « bobos ». Parler des « bobos », des
phénomènes qui leur sont liés et de leurs effets, revient donc parfois à créer les coupables
de certains maux de la société. On observe dans de nombreux discours, des simplifications
de phénomènes qui seraient relatifs aux « bobos » (immigration et insécurité, hausse des
loyers). Elles seraient avantageuses sur le plan de la rhétorique, mais qui cacheraient en
réalité la complexité et la pluri-causalité des faits sociaux.
L’arbre qui cache la forêt.
L’utilisation du terme « bobo » à des fins accusatrices mène souvent à la simplification
de phénomènes économiques, culturels, sociaux ou politiques. Les « bobos » seraient
responsables de la hausse des prix des loyers dans les grandes villes, des évolutions des
modes de consommation (par exemple dans le tourisme), de l’amplification des inégalités
sociales ou de l’élection de personnalités de gauche dans les élections municipales. Ces
dénonciations sont des clichés qui n’aident ni à connaitre ces phénomènes, ni à les résoudre
lorsqu’ils posent problème. Sylvie TISSOT écrit dans « Une vision pernicieuse du monde
social et de ses divisions », « Du point de vue des sciences sociales, le mot « bobo »
peut sembler utile ». Il semble pouvoir mettre un nom sur des réalités, et pourtant « le
mot bobo ne nous aidera ni à comprendre ces transformations, ni à les stopper ». Le mot
« bobo » est « l’arbre qui cache la forêt » au sens où il retient toutes les attentions et
où l’opinion ne se concentre plus que sur ce personnage, qui n’est pourtant pas la cause
des problèmes qu’on lui reproche traditionnellement. Le terme « bobo » agirait comme un
effet d’optique qui déformerait la perception et empêcherait de voir la réalité telle qu’elle
est, et dans sa complexité. Les remises en question de cette perception déformée qui
s’impose progressivement sont rares. Seuls quelques chercheurs en sciences politiques
Sylvie DESPONDS et Eric AGRIKOLIANSKY, et en géographie -Didier DESPONDS-, se
sont interrogés sur les causes et les effets de l’utilisation de la notion de « bobo », en écartant
tout jugement moral de leur réflexion, et en veillant à ne pas considérer les « bobos » comme
des êtres réels.
On peut supposer que l’utilisation répétée du mot placerait un voile devant des
réalités. La thèse selon laquelle le « bobo » serait l’évolution moderne du bourgeois, et
qu’il récupérerait son rôle de dominant dans la société, a tendance à estomper d’autres
dominations traditionnellement décrites en sciences sociales. Les « bobos » feraient oublier
les bourgeois, pourtant toujours présents. En s’inspirant des thèses bourdieusiennes, on
peut dire que faire croire que la partie aisée des classes moyennes domine l’ensemble de
la société française, revient à oublier la domination économique, sociale et culturelle de la
bourgeoisie. Les « bobos » sont décrits dans certains discours comme des personnages
aisés, voire très aisés (dans les discours de Marine LE PEN ou de Nicolas SARKOZY par
exemple) ; qui domineraient économiquement la société. Et dans le même temps, on les
dit fonctionnaires, journalistes ou professeurs. Ils sont comparés aux « intellos-précaires
196
» ou aux « créatifs culturels » . Il est donc absurde de penser que ces personnages
dominent sur le plan économique. En revanche, le capital culturel communément attribué
à ces personnages dans les représentations étant relativement élevé, il est possible que la
196
TASSET, Cyprien. Op.cit. p. Error: Reference source not found.
63
« Bobo » : us et abus d’un mot au service de rhétoriques idéologiques.
figure du « bobo » exerce une domination symbolique. Mais cette dernière idée risque de
masquer des rapports de force qui, contrairement à la supposée « domination des bobos »,
ne relèvent pas des seules représentations mentales, mais aussi de théories sociologiques.
Par exemple, certaines descriptions de BOURDIEU dans La Distinction, sur la domination
sociale et culturelle de la bourgeoisie, s’observent encore. Dans la société actuelle, le bon
goût et la culture apparaissent comme des biens rares, que tout le monde ne possède
pas. Au vu des programmes scolaires, on peut également penser qu’une « culture légitime
bourgeoise » s’impose toujours dans le champ culturel, par opposition à une « culture
197
populaire » . Peut-être le « goût bourgeois » a-t-il évolué depuis les années 1960. Mais il
reste que la dichotomie entre « culture légitime » et « culture populaire » continue d’exister.
De la même manière, peut-être que dire des « bobos » qu’ils sont responsables de
la hausse des prix de l’immobilier, reviendrait à cacher la complexité de ce problème : le
manque d’efficacité des politiques urbaines, éventuellement un manque de contrôle de l’Etat
dans ce domaine, ou les effets pernicieux du marché de l’immobilier.
Ces deux exemples de réalités qui s’effaceraient devant les dénonciations simplistes
des « bobos » ne témoignent pas nécessairement d’une volonté de la part de ceux qui
utilisent le terme « bobo » de tromper l’auditoire. Il est davantage probable que la complexité
de certains phénomènes soit simplement délaissée par les discours médiatiques et oubliée,
au profit d’une cause plus séduisante, dont on tend à tenir les effets pour vrais.
Une porte ouverte aux discours réactionnaires.
Les visions de la réalité que proposent les discours sur les « bobos » pourraient
avoir tendance à accentuer le repli communautaire. Les mentalités sont affectées par
les représentations que l’on donne de la composition de la société. Les individus se
reconnaissent dans les peintures que l’on fait des différentes populations, ou au contraire,
ils les rejettent. Les groupes sociaux peuvent alors se sentir opposés les uns aux autres
et entrer dans une logique communautariste. Il arrive que le repli communautaire se
traduise dans des évolutions urbaines. Les populations gentrifieuses, parfois mal acceptées
dans un environnement populaire, ne s’intègrent généralement pas à leur milieu. L’effet
le plus extrême de ce manque d’intégration est la formation de « gated communities »,
d’enclaves urbaines pour les populations aisées, parfois en plein quartier populaire. Ce
phénomène n’est pas aussi visible en France qu’à l’étranger, où les quartiers de populations
aisées prennent l’allure de forteresses (caméras de surveillance, gardiens, grilles délimitant
198
l’enclave). Dans le documentaire Les Bobos dans la ville , Amal Moghaizel réalise une
enquête sur un lieu gentrifié de Londres : la Jam Factory, ancienne usine reconvertie en
logements luxueux pour populations aisées. Pour la population locale, l’arrivée de ces
personnes aux revenus et aux styles de vie très différents des leurs, est vécue comme une
provocation. Des tensions se créent entre les habitants du quartier résidant dans des HLM et
qui est notamment composée de « chômeurs et d’immigrés », et la population gentrifieuse.
Un habitant de la Jam Factory témoigne de vols et d’agressions fréquentes à l’encontre de la
population aisée. « Pour s’en protéger, des murs, des grilles, des caméras de surveillance
et des codes d’entrée ont été mis en place autour de l’enceinte ». Cet exemple montre
que le repli identitaire, accentué par les discours sur la rupture sociale et sur les « bobos »,
pourrait mener jusqu’à une haine et un affrontement entre communautés.
197
198
64
Op. cit. p. 24
Op. cit. p. 15.
III. La rhétorique autour de la notion de « bobo » en communication politique : une arme à double
tranchant ?
Les représentations véhiculées sur les « bobos » sont par ailleurs une porte ouverte
à la manifestation de discours et de comportements réactionnaires. Tout se passe comme
si le mépris généralisé pour les « bobos » et pour ce qu’ils représentent (notamment la
bien-pensance) autorisait l’apparition de discours racistes. François D’EPENOUX, pour
qui les « bobos » seraient responsables d’une « politiques immigrationniste excessive
», s’introduit dans la brèche ouverte par la stigmatisation des discours antiracistes, pour
établir un lien explicite entre immigration, insécurité et criminalité. « Mais une France
passoire, faux Eldorado, terre d’illusions, d’entassements et de ghettos criminogènes, non.
Une France ouverte à tous les dangers communautaristes au nom de je ne sais quel sacrosaint multiculturel, non, non et non. ». Le discours se fait franchement raciste dans un
199
article de 2012 du blog « Trucs de bobos » : « Pour en finir avec la question du bobo » .
L’internaute qui le rédige se laisse aller à des insultes et à une vulgarité qui amplifient l’aspect
vindicatif de son discours contre les « bobos » et contre l’immigration. « Ils [les bobos] ont
été incapables de comprendre que plus on met en avant des problèmes qui se passent loin
de chez nous, plus cela signifie qu’on est en train de se faire prendre par derrière ».
Ce propos cherche à annihiler les discours antiracistes, humanistes, progressistes
(et peut-être parfois utopistes), qu’il attribue aux « bobos ». Or ces idées, même en
étant soutenues par des personnes qui n’y adhéreraient pas véritablement (comme le
laissent entendre les représentations des « bobos » naïfs ou hypocrites), ne sont pas
mauvaises pour la société. La figure du « bobo » en elle-même, prise indépendamment
des discours négatifs ou accusateurs qui l’accompagnent, ne serait pas péjorative, mais
au contraire porteuse d’espoir et de progrès. C’est l’avis que partage Michel PINCON :
dans son interview pour Stratégies, on peut lire en réponse à la question « Pensez-vous
que les bobos soient porteurs de progrès ? » : « Sans aucun doute : c’est le contraire
d’une population homophobe et raciste. Ses préoccupations écologiques sont affichées et,
200
semble-t-il, sincères. » . Sans approuver l’idée du sociologue selon laquelle les « bobos »
seraient une population réelle, on peut adhérer à l’hypothèse relative aux aspects positifs
que le personnage du « bobo » comporte. L’idéalisme ne devrait pas être nécessairement
comparé à de la naïveté ou à de l’hypocrisie. Qu’y aurait-il de mal à rêver d’une société sans
classe, d’un monde multiculturel, ou encore d’une communauté altruiste où les individus ne
penseraient pas à leurs seuls intérêts ?
199
« Pour en finir avec la question du bobo » [en ligne]. Trucs de bobos, blog Wordpresse. 26 juin 2012 [réf. du 29 mars 2013].
Disponible sur : http://trucsdebobo.wordpress.com/ .
200
Op. cit. p. Error: Reference source not found.
65
« Bobo » : us et abus d’un mot au service de rhétoriques idéologiques.
Conclusion
Les sens du mot « bobo » varient en fonction du contexte dans lequel on l’utilise. Ce terme
n’est en réalité défini que par ce qu’on en dit : il ne signifie que par les représentations
qui y sont liées. La notion est souvent réifiée : les « bobos » sont représentés comme
des personnes réelles, voire comme une classe sociale à part entière. Le personnage
du « bobo » est également animalisé et infantilisé, ce qui montre qu’il est perçu comme
envahissant, naïf, et dénué de conscience morale ou politique. Enfin, il est vu et représenté
comme un personnage profondément ambivalent, qui essaie de concilier les contraires.
Cela se manifesterait notamment dans son vote : le « bobo » serait l’individu qui aurait « le
cœur à gauche mais le portefeuille à droite ». Ces représentations, dans leur ensemble,
sont péjoratives : elles vont de la moquerie à l’insulte. L’ambivalence qu’on attribue au
personnage « bobo » n’est pas positive, contrairement aux représentations qu’en donnait
201
David BROOKS , le créateur de la notion de « bobo ». « Le bobo » serait un être naïf ou
hypocrite. Les raisons de l’utilisation de ce terme, notamment dans les discours politiques
et médiatiques, et les motifs de création de telles représentations sont multiples. On peut
faire l’hypothèse que ce terme a connu un grand succès dans la langue française, parce
qu’il aurait fait écho à des représentations du monde politique et social préexistantes.
Le mot « bobo » sert notamment à pointer du doigt le problème des inégalités sociales,
celui d’une représentation politique qui serait mauvaise, le manque de clarté dans la ligne
d’action de partis de gauche (le PS étant le principal visé), et les modifications des rapports
entre l’électorat français et ces partis. C’est pourquoi le mot « bobo » sert une rhétorique
idéologique ou partisane attaquant la gauche. Qu’il s’agisse de discours d’hommes et de
femmes politiques, et donc de stratégie de communication ou de propos politiquement
orientés, chaque utilisation du terme « bobo » est un pic lancé à des personnalités de gauche
(parfois même de droite) et à leurs électeurs. L’utilisation de « l’arme bobo » en rhétorique
idéologique (comme c’est le cas avec François D’EPENOUX ou avec de journalistes dont
les discours sont politiquement orientés vers la droite) et en rhétorique partisane est souvent
bénéfique pour le locuteur. Le terme a pour effet de surprendre, voire de choquer l’auditoire.
L’utiliser, c’est un moyen d’être compris de tous, de créer un rapprochement avec son
public (par opposition avec « l’ennemi bobo » mais aussi parce qu’on utilise une référence
commune), et d’être médiatisé. Par ailleurs, la notion fait appel au ressentiment général
et parle au cœur plus qu’à la raison : c’est un bon argument de persuasion. « Bobo »,
comme attaque lancée contre la gauche, permet à la droite de créer une image valorisante
d’elle-même, par opposition à la « gauche bobo » faussement ouverte, humaniste et
altruiste. La nouvelle « droite décomplexée », elle, serait « vraie » : elle n’aurait pas peur
d’assumer ses idées. Cependant ce dénigrement de la gauche progressiste constitue aussi
une porte ouverte aux discours haineux et racistes. De nombreux discours utilisent le terme
« bobo » pour dénoncer des responsables, et dans le même temps, ils sont simplificateurs
de phénomènes sociaux et socio-politiques complexes.
L’utilisation répétée de cette notion un peu triviale pourrait être qualifiée d’effet de mode :
le terme s’est répandu comme par contagion dans les discours médiatiques puis politiques.
En outre, il désignait lui-même à l’origine, une mode, donc un phénomène éphémère. Il
semble pourtant que le mot persiste, qu’il ait fait sa place dans la langue française, dans le
201
66
Op. cit. p. Error: Reference source not found.
Conclusion
langage politique, mais aussi dans les représentations sociales. Le terme, loin de signifier
l’espoir d’une « société sans classe » comme le montrait David BROOKS dans Bobos in
202
Paradise , témoigne plutôt d’une société segmentée, fracturée même, dont les membres
seraient en lutte. Où est donc le paradis promis ? L’argumentation autour du terme « bobo »
est sans doute efficace en communication politique lorsqu’il s’agit de dénigrer l’adversaire.
203
Cependant le mot ne sert qu’un « discours conflictuel » qui peut finir par s’épuiser, si
des messages positifs ne viennent pas le soutenir dans la communication entreprise.
Il est difficile de mesurer l’efficacité d’une stratégie de communication. Dans ce
mémoire, nous l’avons évaluée en fonction des effets attendus par celui qui l’utilise, mais
nous n’avons pas parlé des résultats sur le public de la rhétorique idéologique et politique
autour du thème du « bobo ». Une enquête sociologique mesurant l’impact de la notion
de « bobo » dans les représentations de la société pourrait venir compléter ce mémoire. Il
serait également intéressant de changer d’objet d’étude et d’analyser les représentations
liées à la notion de « bobo » au sein de la population française. Il pourrait s’agir d’une étude
des réceptions des discours médiatiques et politiques concernant le terme « bobo ». Elle
constituerait par exemple une comparaison entre les lectures du mot dans les médias (ce
que nous avons étudié dans ce mémoire) et les interprétations de ce terme au sein de la
population.
202
203
Op. cit. p. Error: Reference source not found.
WINDISH, Uli. Op. cit. p.84.
67
« Bobo » : us et abus d’un mot au service de rhétoriques idéologiques.
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