La procédure d`attribution des noms de domaine en

Transcription

La procédure d`attribution des noms de domaine en
Chloe BELLERET
Ronan de LECLUSE
PROCEDURE D’ATTRIBUTION DES
NOMS DE DOMAINE EN « .FR »
Chronique Juridique
DEA DROIT DES MEDIAS
dirigé par Monsieur le Professeur JEAN FRAYSSINET
Rentrée Universitaire 2004-2005
-1-
SOMMAIRE
Introduction .......................................................................................................................... 3
CHAPITRE I – EN AMONT, UNE PROCEDURE D’ATTRIBUTION ENCADREE........ 4
Section I Présentation du système ............................................................................... 4
§1 La notion de nom de domaine et ses enjeux....................................................... 4
A. Présentation...................................................................................................... 4
B. La règle du « premier arrivé, premier servi » et les problèmes qui en
découlent .................................................................................................................. 7
§2 Les organismes de gestion et d’attribution des noms de domaines ................. 7
A. Les organismes de gestion ............................................................................. 8
B. L’obligation de passer par un prestataire....................................................... 8
Section II - La Spécificité de la procédure d’enregistrement sous le .fr ..................... 9
§1 Les critères d’attribution de nom de domaine définis par la charte de l’AFNIC9
A. Des règles strictes.......................................................................................... 10
B. Des règles assouplies.................................................................................... 12
§2 Le contrôle opéré par l’AFNIC et les autres garanties...................................... 12
A. Le contrôle des critères par L’AFNIC ........................................................... 13
B. Les autres garanties ...................................................................................... 15
CHAPITRE II – EN AVAL, PAR UN DOUBLE RECOURS POSSIBLE ....................... 16
Section I La condamnation juridique du cybersquatting ............................................ 16
§ 1 Les règles de compétences ............................................................................... 16
A. Ratione materiae............................................................................................ 17
B. Ratione loci ..................................................................................................... 18
§ 2 Responsabilité des parties ................................................................................. 19
A. AFNIC.............................................................................................................. 19
B. Prestataires Internet et Registrars................................................................ 20
C. Les titulaires de noms de domaine............................................................... 21
Section II L’alternative Administrative.......................................................................... 24
§ 1. Les PARL Françaises ........................................................................................ 24
A. La recommandation en ligne......................................................................... 24
B. La décision technique .................................................................................... 25
C. Rôle de l’AFNIC.............................................................................................. 26
§ 2. Premier bilan des résolutions de litiges ........................................................... 27
A. Interprétations du caractère générique d’une marque et du principe de
spécialité................................................................................................................. 27
B. Utilisation du nom de domaine et connaissance de droits antérieurs....... 28
Conclusion ......................................................................................................................... 30
-2-
Introduction
Le choix du nom de domaine découle d’une stratégie commerciale puissante et porteuse.
Plusieurs organismes de « gouvernance » sont apparus au fil de l’extension mondiale du web
pour organiser et répartir la gestion des noms de domaines. L’« Internet Corporation for
Assigned Names and Numbers » (ICANN) au niveau international, le RIPE NCC pour
l’Europe et l’AFNIC pour la France.
Cette dernière régule tous les domaines enregistrés sous les suffixes <.fr>, <.re>
et <.tf>. La charte de nommage conçue par l’AFNIC, qui définit les conditions d’attribution
des noms de domaine terminés par le suffixe <.fr>, est l’une des plus rigoureuse au monde
mais elle reste imparfaite. Les interdictions et les restrictions portant sur le choix du nom ainsi
que les obligations d’identification et de territorialité, posées par le texte visent, notamment, à
prévenir les conflits pouvant surgir entre le titulaire du nom de domaine et les tiers
revendicant des droits sur la dénomination choisie.
L’universalité d’Internet subodore une liberté d’usage dont beaucoup ont su tirer parti
illégalement. Cet univers en perpétuelle évolution, oblige l’organisme de gouvernance à
s’adapter à ces changements multiples et fréquents.
Face au développement des pratiques illégales et illégitimes, l’AFNIC doit faire preuve
d’une grande vigilance. Les conditions d’attribution instaurées par l’AFNIC constituent un
premier rempart contre les pratiques de netsquatting et plus largement contre l’ensemble des
dérives du Far web, mais force est de constater qu’il est insuffisant et que de nombreuses
atteintes aux droits des tiers sont constatées. Les tribunaux sont fréquemment saisis de litiges
relatifs aux noms de domaines. Les règles dégagées par la jurisprudence viennent compléter le
dispositif de protection. Le plus souvent, les juges se référent aux principes du droit de la
propriété intellectuelle ou plus simplement au droit commun de la responsabilité civile.
Parallèlement, d’autres systèmes de règlement des litiges se sont développés, mais ces
procédures d’arbitrage restent encore assez marginales.
Dans une première partie, nous nous attacherons à définir la notion de nom de domaine ainsi
qu’à présenter ses enjeux avant de s’intéresser aux différents acteurs et spécificités de la
procédure d’attribution des noms de domaine enregistrés sous le <.fr >(Chapitre I). Dans une
seconde partie, nous étudierons l’encadrement et la correction des éventuels abus commis
pendant cette précédente phase. D’un côté, par le biais de leur condamnation juridique. D’un
autre côté, grâce à l’instauration de procédures alternatives de résolution de litiges (Chapitre
II).
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CHAPITRE I – EN AMONT, UNE PROCEDURE
D’ATTRIBUTION ENCADREE
Avant d’étudier les spécificités de la procédure d’attribution des noms de domaine enregistrés
sous le « .fr » (section II), il est nécessaire de procéder à une rapide présentation du système
(section I).
Section I Présentation du système
Il convient dans un premier temps de définir la notion de nom de domaine et ses enjeux ( §1)
et de présenter, dans un second temps, les différents acteurs du processus d’attribution (§2).
§1 La notion de nom de domaine et ses enjeux
La notion de nom de domaine (A) est gouvernée par la règle du « premier arrivé, premier
servi » ce qui n’est pas sans poser quelques difficultés (B).
A. Présentation
L’adresse IP (« Internet Protocol ») est une adresse unique permettant d'identifier une
ressource sur l’Internet. Elle est toujours composée de quatre nombres compris entre 0 et 255
et séparés par des points (ex 134. 2. 143. 54. ). Lorsqu’un internaute désire se rendre sur un
site, il doit indiquer à son navigateur Internet une adresse. Ces groupes de chiffres étant
difficilement mémorisables, il a été décidé de créer en 1987 un système permettant de faire
correspondre cette adresse numérique à une suite de caractères1 pouvant former des mots ;
c’est ainsi que sont nés les noms de domaine. Désormais, pour accéder à un site, il suffit de
pianoter l’adresse URL2 _ à moins bien sûr d’avoir recours à un moteur de recherche. Les
serveurs DNS se chargent ensuite d’établir la correspondance entre le nom de domaine
(adresse virtuelle) et l’adresse IP (adresse physique). Le nom de domaine est la clé de tout
échange sur Internet. A ce jour, plus de 70 millions de noms de domaine ont été déposés dans
le monde3.
L’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) avait dans son rapport final
du 30 avril 1999 qualifié les noms de domaine de « signes distinctifs des entreprises ou des
particuliers ». Certains ont alors tenté de les comparer à une marque mais les tribunaux ont
toujours rejeté cette interprétation. Ce refus s’explique notamment par le fait que
contrairement à une marque, le nom de domaine bloque pendant une certaine durée tout usage
ultérieur de la dénomination enregistrée et cela sans considération des produits ou services
visés. Le tribunal d’instance de Lille a rappelé dans une ordonnance de référé du 10 juillet
2001 que le droit sur le nom de domaine conféré par l’enregistrement « est un droit
1
Latins dans un premier temps.
L’adresse URL permet de localiser une ressource sur l’Internet. Elle indique le chemin à suivre pour y avoir
accès. Exemple : l’adresse URL de l’IREDIC est http://junon.u-3mrs.fr. u-3mrs.fr constitue le nom de domaine
et junon.u-3mrs.fr, le nom du serveur.
3
Source : rapport de l’OMPI, 1er mars 2005.
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d’occupation » et non un droit de propriété. L’article 8 de la charte de nommage établie par
l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (AFNIC) évoque quant à
lui un « droit d’usage ». Ces qualifications semblent directement découler du caractère
temporaire du droit sur le nom de domaine. L’attribution d’un nom de domaine ne procure en
effet à son titulaire qu’un droit limité dans le temps (un ou deux ans) qui diffère selon les
différents organismes d’enregistrement. Cependant ce droit peut être indéfiniment renouvelé.
A défaut, le nom retombe dans le domaine public.
Un nom de domaine se compose de deux éléments : le radical, d’une part, et le suffixe ou
« extension », d’autre part. Le suffixe est la partie du nom de domaine qui se situe à droite du
radical (ex. u-3mrs.fr). Il se décline en deux catégories. L’extension peut être générique
(generic Top Level Domains ou « gTLD ») ou géographique (country code Top Level
Domains ou « ccTLD ») mais quel que soit le suffixe choisi, le nom de domaine est accessible
et fonctionnel dans le monde entier car l’Internet ne connaît pas de frontières.
Les noms de domaine génériques sont dits de « premier niveau » et comportent toujours
trois lettres. Ils sont sectoriels et indépendants du pays d’origine du titulaire ou du lieu
d’enregistrement. Certains sont réservés à l’administration américaine (exemple : <.gov>,
pour les organismes gouvernementaux des Etats-Unis ou encore <.mil> pour les organismes
militaires des Etats-Unis) ou encore aux organismes internationaux établis par traités (<.int>).
D’autres encore sont d’accès restreint, seules les personnes justifiants d’une qualité
particulière sont habilitées à enregistrer leur nom de domaine sous certaines extensions
génériques. C’est le cas du <.pro> qui est disponible uniquement pour les professionnels
exerçant une activité médicale, juridique ou comptable. Le <.name>, lui, ne tolère que des
noms de personnes, des pseudonyme et des noms de personnages de fiction. Certains
domaines sont « sponsorisés » par des entités économiques ou culturelles, ce qui garantit une
plus grande visibilité des secteurs d’activité envisagés et une plus grande fiabilité des
informations qui sont diffusées par le site (exemple : <.museum>). Enfin, certaines extensions
sont totalement libres (exemple : <.com>, <.org>, <.net> ou plus récemment <.biz>). Le
<.com> est d’ailleurs le suffixe le plus répandu au monde. En juin 2005, il terminait 37 986
226 noms de domaines (soit plus de 80 % des noms de domaine)4.
Les extensions génériques ne sont pas figées. Bien au contraire, elles sont en perpétuelle
mutation. De nouveaux suffixes sont d’ailleurs en passe de devenir disponibles. C’est le cas
notamment du <.travel> pour les activités touristiques, du <.jobs> pour les offres et demandes
d’emploi5 et du <. mobi> pour les acteurs du marché de la téléphonie mobile et du WI-FI. Un
projet tendant à la mise en place d’une extension dédiée à la pornographie est actuellement à
l’étude.
Les noms de domaine géographiques sont des noms de premier niveau qui ne comportent
que deux lettres renvoyant au lieu d’enregistrement. L’extension peut désigner un pays ( ex.
<.fr> pour la France ou <.de> pour l’Allemagne) un territoire (ex. <.re> pour la Réunion) ou
une zone (avec l’arrivée dans l’année du <.eu> pour l’Europe). Si les règles d’enregistrement
qui régissent l’extension géographique choisie le permettent, il est possible d’adjoindre un
second niveau pour préciser le domaine d’activité couvert. Par exemple, les règles applicables
aux noms de domaines enregistrés sous le suffixe <.fr> autorisent le registrant à se faire
4
Source : statistiques mondiales des noms de domaines réalisées en juin 2005 et disponibles sur le site
http://www.domaines.info.
5
le <.job> est actuellement en période de sunrise (ouverture momentanément restreinte), il sera ouvert à tous dès
septembre 2005.
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attribuer un sous domaine « descriptif » (ex. <.presse.fr> ou <.tm.fr> pour les noms de
domaines correspondant à des marques ou encore <.com.fr> pour les activités commerciales)
ou « réglementé » (ex. <.avocat.fr>). Les noms de domaines comportant une extension
géographique les plus répandus sont <.de> et le <.uk> (pour la Grande-Bretagne). Ces deux
extensions figurent respectivement en 1ère et 2ème position des noms géographiques les plus
fréquemment enregistrées. Mais plus étonnant encore, ils paradent en 2ème et 3ème places,
toutes extensions confondues. Le <.fr> n’est que 23ème au classement général. En juin 2005,
368 442 noms de domaine étaient enregistrés sous le <.fr>6.
Le radical est la partie qui se situe à gauche (exemple : u-3mrs.fr). Elle correspond à la
dénomination choisie par le titulaire du nom de domaine. Initialement cette partie ne pouvait
comporter que des caractères latins non accentués ( dits « ASCCII »). Depuis novembre 2000
les idéogrammes chinois, coréens et japonais peuvent être utilisés mais seulement sous
certaines extensions. C’est également le cas pour les caractères accentués. Cette réforme a été
initiée dans un souci d’égalité des internautes. Les défenseurs de cette innovation font valoir
que les noms « multilingues » offrent à chaque internaute la possibilité de consulter l’Internet
dans sa langue natale. Mais ses détracteurs dénoncent un système absurde qui viendrait
restreindre les possibilités d’échanges sur « La Toile ». Il est vrai que cette faculté d’utiliser
des noms de domaines multilingues (ou « IDNS »7) se heurte à un obstacle d’ordre
fonctionnel et technique. Il y a fort à parier que les internautes ne consulteront pas les sites
dont ils ne comprennent pas le nom. Par ailleurs, même s’ils étaient tentés de le faire, ils
seraient confrontés à un obstacle technique puisque les caractères de leur clavier ne leur
permettront pas, la plupart du temps, de pianoter le nom en question. En effet un internaute
possédant un clavier comportant des caractères anglo-saxons ne pourra pas taper une adresse
enregistrée en cyrillique, en arabe ou en chinois. De plus, il convient de rappeler que
beaucoup d’utilisateurs ne consultent que des sites dans leur langue.
Pour les entreprises, le choix du nom de domaine revêt une grande importance. En effet,
leur site Internet constitue une vitrine commerciale ; par conséquent celui-ci doit être
facilement mémorisable et si possible le radical doit correspondre à la dénomination sociale
ou à la marque déposée par la société ou l’entrepreneur individuel. Le nom de domaine est un
outil de communication et de promotion qui contribue à créer l’identité de l’entreprise, à
asseoir sa notoriété et son image. Le choix du suffixe doit être mûrement réfléchi. Il doit être
effectué en tenant compte du positionnement présent et futur de l’entreprise et de ses marques
sur le marché. Si l’entreprise a une envergure internationale, il paraît judicieux d’enregistrer
son nom de domaine sous des extensions internationales (gTLD) type <.com > ou <.biz>.
Mais il est toutefois recommandé de procéder à autant d’enregistrement sous des extensions
géographiques que de pays ou zones où elle est implantée. En revanche, si la société n’existe
que localement, il semble préférable d’opter uniquement pour une extension géographique
(avec ou sans sous domaine) car il a mis en évidence le fait que les internautes accordent
davantage de crédit aux informations contenues dans un site comportant un suffixe
géographique. Le choix du radical, du suffixe ou encore d’un éventuel sous-domaine relève
d’une véritable stratégie commerciale mais n’est finalement qu’une affaire de visibilité.
L’identité online doit refléter au maximum l’identité offline. L’extension enregistrée peut
guider l’utilisateur qui après avoir lancé une requête sur l’Internet se retrouve face à des
sociétés homonymes.
6
Source : statistiques mondiales des noms de domaines réalisées en juin 2005 et disponibles sur le site
http://www.domaines.info.
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Internationalized Domain Names
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B. La règle du « premier arrivé, premier servi » et les problèmes qui en découlent
La règle du « premier arrivé, premier servi » est généralement appliquée lorsqu’il est
question de gérer des ressources rares. Il est fait application de cette règle en matière
d’Internet car il est techniquement impossible de procéder à plusieurs enregistrements d’un
même nom de domaine. L’enregistrement auprès d’un organisme habilité rend le nom
indisponible sur l’Internet pendant un certain temps. Le premier qui a enregistré le nom est
donc le seul a pouvoir l’utiliser. Mais il faut noter que lorsqu’un nom a été enregistré sous une
extension, il demeure toujours possible, sous certaines conditions, de l’enregistrer sous un
autre suffixe.. Les chartes de nommage réunissant les règles qui gouvernent l’enregistrement
sous les extensions génériques contiennent toutes ce principe. La charte de nommage qui
organise l’attribution des noms de domaine en <.fr> y fait également référence en son article
22. La règle dicte d’ailleurs l’ordre de traitement des demandes d’enregistrement qui se fait
par ordre chronologique.
La règle du « premier arrivé, premier servi » liée au caractère unique du nom de domaine
enregistré est source de nombreux conflits opposant les registrants8 et les tiers titulaires d’une
marque ou d’un droit quelconque. L’enregistrement qu’il soit fait dans l’intention de nuire ou
de bonne fois prive les tiers de la faculté d’exploiter ce nom sur Internet. De nombreux abus
ont été constatés ces dernières années. Le netsquatting9 s’est considérablement développé et
diversifié. Sa variante la plus courante est le « cybersquatting », pratique qui consiste à
enregistrer sous forme de nom de domaine une marque ou une dénomination sociale notoire
dans le but de le revendre au titulaire légitime.
On a également vu apparaître le « warehousing » qui consiste a décliner une même
marque sous plusieurs extensions dans l’intention d’en tirer profit ou encore le
« typosquatting », c’est à dire le fait d’enregistrer volontairement des noms de domaine dont
le radical est phonétiquement similaire ou identique à une marque ou à un nom de société
mais avec une orthographe différente (ex : monopri.fr, monnoprit.fr, monopris.fr,
monnoprix.fr…). Certains utilisent ces techniques dans l’espoir de revendre les noms de
domaine aux titulaires légitimes des marques, d’autres dans le but de nuire à leur réputation
en insérant des contenus dérangeants ou encore dans l’intention de profiter de leur notoriété.
Pour lutter contre ces pratiques, il apparaît nécessaire d’encadrer plus sévèrement
l’enregistrement des noms de domaine. Si certains organismes ont élaboré des règles plus
contraignantes pour répondre à ce problème, d’autres continuent d’avoir une politique trop
libérale qui facilite le parasitage et l’atteinte au droit des marques.
§2 Les organismes de gestion et d’attribution des noms de domaines
Plusieurs organismes se répartissent la gestion des noms de domaines (A) mais une bonne
partie d’entre eux refuse de traiter directement avec les demandeurs et organise l’intervention
d’une tierce personne, le prestataire Internet (B).
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c’est-à-dire les titulaires d’un nom de domaine.
Terme générique regroupant toutes les pratiques illégitimes voire illégales relatives aux noms de domaine.
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A. Les organismes de gestion
Les noms de domaine ayant un caractère unique, il est apparu nécessaire de mettre en
place des organismes de gouvernance compétents pour les gérer et définir des règles
d’attribution.
L’« Internet Corporation for Assigned Names and Numbers » (ICANN) est chargé
d’assurer et de superviser les tâches liées à l’attribution et au fonctionnement des noms de
domaine au niveau international depuis le 1er février 2000. Auparavant, cette compétence
relevait de l’IANA, un organisme de droit américain qui était mandaté par l’association
mondiale des utilisateurs d’Internet : « l’Internet society ». Comme il a été jugé choquant de
confier aux seuls Etats-Unis la responsabilité des noms de domaine mondiaux, il a été décidé
de transférer ce pouvoir à une société à but non lucratif (l’ICANN) composée de membres de
nationalités différentes désignés par des gouvernements, des ONG et des représentants de
l’industrie. Reste que l’organisme entretient toujours des liens avec le gouvernement
américain et que son siège se situe toujours aux Etats-Unis, ce qui continue de susciter de
nombreuses critiques10. La gestion des noms de domaine génériques a longtemps été
exclusivement confiée à la société américaine « Network Solutions Inc » (NSI). Aujourd’hui,
la société « VeriSign » qui l’a absorbé, conserve tout de même le monopole d’attribution du
<.com>.
La gestion des noms de domaine géographiques est répartie entre les différents
organismes régionaux : l’INTERNIC pour l’Amérique du Nord, le RIPE NCC pour l’Europe,
l’APNIC pour la zone Asie et Pacifique, etc. Ces organismes régionaux ou « registries » ont,
eux-mêmes, délégué la gestion des noms de domaine à d’autres entités. Ainsi, le RIPE NCC a
chargé un établissement public (l’INRIA) d’assurer cette mission. Celui-ci a, avec l’accord de
l’Etat, créé à cet effet l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération
(AFNIC).
Créé en janvier 1998, l’AFNIC est compétente pour organiser l’attribution des noms de
domaine enregistrés sous les suffixes .fr, .re et .tf11. L’AFNIC est chargée du plan de
nommage français sur l’Internet. Elle compte parmi ses adhérents une majorité de prestataires
Internet ainsi qu’un certain nombre d’utilisateurs et d’organisations internationales. Une
charte de nommage prévoit les conditions d’attribution des noms de domaine se terminant par
les extensions entrant dans son champs de compétence. Cette charte vise notamment à
prévenir les conflits pouvant surgir entre le registrant, le prestataire qui effectue
l’enregistrement et les tiers titulaires de droits sur la dénomination choisie. L’association n’est
pas un bureau de vente de noms de domaine. Elle ne traite aucune demande directement et
oblige les registrants à faire appel à des intermédiaires.
B. L’obligation de passer par un prestataire
Un certain nombre de chartes de nommage prévoient l’obligation pour le demandeur de
faire appel à un prestataire Internet. Le choix du prestataire Internet ou « registrar » qui va
transmettre au « registry » la demande d’enregistrement se fait librement. Néanmoins, ce
10
L’ICANN devrait accéder à une indépendance totale en 2006.
« .fr » pour la France, « .re » pour la Réunion (depuis le 25 juin 2001) et « .tf » pour les Terres australes et
antarctiques françaises (depuis le 23 octobre 2004)
11
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prestataire doit impérativement être habilité par le registry à enregistrer des noms de domaine
dans l’espace de nommage relevant de sa compétence. Ainsi pour enregistrer un nom sous
l’extension <.fr>, il faut s’adresser à un prestataire qui adhère à l’AFNIC. L’association se
refuse à orienter le choix du demandeur mais elle met cependant à sa disposition une liste les
répertoriant à laquelle est adossée une signalétique qualitative qui tient compte des erreurs
techniques commises par le prestataire durant les six derniers mois. Cette liste est simplement
indicative et l’association rejette toute responsabilité concernant les compétences techniques
des registrars.
Il est à noter que tous les prestataires habilités n’offrent pas les mêmes services. Certains
proposent en plus de l’ouverture d’un nom de domaine, l’hébergement du site sur leurs
serveurs, ou encore la fourniture d’un accès Internet, etc. Le choix du demandeur doit
s’effectuer en fonction de ses besoins.
L’obligation de passer par un intermédiaire vise à assurer une certaine neutralité de
l’AFNIC vis-à-vis des enregistrements. L’article 25 de la charte précise que l’association, qui
n’a aucun lien avec le prestataire Internet, ne peut être tenue responsable des relations existant
entre ce dernier et le demandeur. Malheureusement, force est de constater que le fait d’avoir
obligatoirement recours à une tierce personne multiplie les risques d’erreurs.
Par ailleurs, les prestataires de services Internet sont libres d’appliquer les tarifs qu’ils
souhaitent. A priori, cette circonstance semble défavorable au demandeur qui est exposé au
règles du marché. Mais en réalité, elle lui est plutôt bénéfique car le jeu de la concurrence
permet de faire baisser les tarifs. Le prix demandé comprend le coût de l’adhésion du
prestataire à l’AFNIC auquel s’ajoute éventuellement le prix des services supplémentaires
fournis.
Section II - La Spécificité de la procédure d’enregistrement sous le .fr
La charte de nommage de l’AFNIC soumet l’attribution des noms de domaines à la réunion
d’un certain nombre de critères (§1) dont le respect est assuré par un contrôle de l’organisme
français de gouvernance. Ce contrôle, qui s’avère être partiel à plusieurs égards, est complété
par d’autres dispositifs (§2).
§1 Les critères d’attribution de nom de domaine définis par la charte de l’AFNIC
L’AFNIC est chargée d’attribuer les noms de domaine se terminant par .fr sans opérer de
discrimination entre les différents demandeurs12. L’association est tenue de traiter les
demandes dans l’ordre chronologique de réception. Lorsque l’organisme est saisi d’une
demande, il délivre un « ticket » au prestataire de service qui lui a transmit. La charte de
nommage de l’AFNIC énumère les conditions d’enregistrement d’un nom en .fr. Les règles
d’attribution qu’elle fixe restent assez strictes (A) même si la charte a connu quelques
assouplissements ces dernières années (B).
Il est important de souligner que, depuis le 11 mai 2004, seules les personnes identifiables sur
une base de données publiques sont autorisées à enregistrer un nom de domaine en .fr.
12
article 33 de la charte.
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L’ouverture totale, initialement prévue pour début 2005, a été reportée à une date ultérieure,
encore inconnue. « L’ouverture se fera certainement courant 2006, pour le moment les
conditions d’attributions pour les personnes non identifiables sur une base de donnée sont
encore à l’étude13 », confie Loïc Damiville, chargé de communication à l’AFNIC. Cependant,
les personnes physiques ont la possibilité de créer un nom sous l’extension française à
condition d’enregistrer celui-ci sous un des deux noms « de second niveau » suivant :
<.com.fr> ou <.nom.fr14>.
A. Des règles strictes
La charte interdit au demandeur d’enregistrer un nom dont les termes constitueraient une
atteinte aux bonnes mœurs ou à l’ordre public. Le texte précise que le nom ne doit pas
comporter des termes incriminés par la loi du 29 juillet 1881 ni contenir des mots ou des
expressions « susceptibles de nuire à l’épanouissement physique, mental ou moral des
mineurs ». Il est à noter que cette liste n’est pas limitative et que les deux notions sont
particulièrement larges et évolutives. La règle ainsi posée vise clairement a instaurer une
certaine éthique dans la zone de nommage française.
La charte de l’AFNIC prohibe également l’enregistrement de noms portant atteinte de
quelque manière que se soit aux droits des tiers. Le choix du nom doit impérativement se faire
dans le respect des droits de propriété intellectuelle et doit être conformes aux règles de
concurrence et de loyauté commerciale. Par ailleurs, devant la recrudescence des litiges
relatifs à l’enregistrement par des tiers de noms de personnalités, l’AFNIC a entendu mettre
l’accent sur le respect du droit au nom, au prénom et au pseudonyme dans l’article 19 de la
charte.
Certains termes, qualifiés de « fondamentaux » par la charte, sont prohibés. Une liste les
répertoriant, établie par le ministère des télécommunications et l’AFNIC, est disponible sur le
site de l’association. Ces termes sont le plus souvent injurieux, racistes ou liés à des
infractions. Les synonymes ou les mots ayant une racine étymologique commune sont
également refusés. Cette disposition marque une fois encore la volonté de l’association
d’assainir l’espace de nommage français.
Enfin, certains noms ne peuvent pas faire l’objet d’un enregistrement pour des raisons
syntaxiques. Il est par exemple pour l’instant impossible pour des raisons techniques de
procéder à l’enregistrement sous l’extension <.fr> d’un nom composé de caractères accentués.
Le nom choisi doit obligatoirement comporter plus de deux lettres et le nombre de caractères
utilisés ne doit pas excéder 255. Il ne peut en aucun cas débuter ou se terminer par un tiret.
Parmi les « fondamentaux », figurent également des termes dits « réservés ».
L’enregistrement de noms comportant ces termes est autorisé mais soumis à conditions. Ces
conditions sont le plus souvent liées à l’identité du demandeur mais il peut également s’agir
de mots empruntés au vocabulaire technique de l’Internet par exemple. Ces termes ne sont
ouverts qu’à certaines catégories de personnes qui devront produire des justificatifs
concernant leur identité. Parmi les mots qui figurent sur la liste on peut trouver les noms des
13
Entretien téléphonique du 28 juillet 2005.
L'extension <.nom.fr> est réservée aux personnes physiques qui souhaitent utiliser leur nom patronymique à
titre de nom de domaine.
14
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professions réglementées, les termes liés au fonctionnement de l’État ou encore à des
organisations internationales. La liste est en perpétuelle évolution et il convient de noter que
l’AFNIC dispose d’un droit de préemption ainsi que d’un droit de reprise (accompagné d’un
délai de préavis) sur les noms enregistrés comportant des termes qu’elles souhaiterait classer
dans les fondamentaux. Cette faculté accentue le caractère temporaire du droit d’usage
conféré15 par l’enregistrement.
Par ailleurs, certains sous-domaines ou « domaines de second niveau », qui ne figurent pas
sur la liste des fondamentaux, sont réservés aux personnes physiques ou morales appartenant
à certaines catégories. L’enregistrement est subordonné à la présentation de certains
justificatifs qui varient en fonction des sous-domaines demandés.
Les collectivités territoriales françaises sont également protégées. La charte leur réserve
les noms suivants : « mairie-xxx.fr », « ville-xxx.fr », « cr-xxx.fr » et « cg-xxx.fr ». De plus,
le texte prévoit des restrictions concernant l’enregistrement de noms de collectivités
territoriales sous leur forme canonique16 directement sous le <.fr> mais il subordonne
l’application de cette dernière mesure à un référencement officiel des collectivités
territoriales. Or, à ce jour, seule une liste répertoriant les communes a pu être dressée par
l’INSEE ; par conséquent il reste possible à tout un chacun d’enregistrer un nom
correspondant à un département ou encore une région.
Le titulaire d’un nom de domaine se terminant par <.fr> doit avoir un lien avec la France.
La règle posée à l’article 4 de la charte s’applique à tout demandeur d’un enregistrement mais
aussi à tout cessionnaire en cas de transmission du nom de domaine. En dehors des personnes
morales publiques françaises, seules les personnes morales dont le siège est situé en France,
celles qui disposent d’une adresse en France figurant sur des bases de données publiques des
greffes de tribunaux de commerce ou de l’INSEE ou encore celles qui sont titulaires d’une
marque déposée à l’INPI ou d’une marque communautaire ou internationale enregistrée visant
expressément le territoire français, sont autorisées à utiliser l’extension <.fr>.
Concernant les personnes physiques, seules les personnes de nationalité française, celles
ayant leur domicile habituel en France ou celles titulaires d’une marque déposée dans les
mêmes conditions que celles précitées avaient le pouvoir d’enregistrer un nom sous le <.fr>
avant la réforme. Les conditions d’ouverture de l’extension française aux personnes non
identifiables étant encore à l’étude, il est difficile de savoir si cette exigence sera maintenue.
Cependant, il y a fort à parier que ce sera le cas car il faut rappeler que cette obligation a pour
seul but d’assurer la compétence des tribunaux français en cas de litiges.
Pour le moment seules les personnes identifiables sur les bases de données des greffes des
tribunaux de commerce, de l’INSEE, de l’INPI sont autorisées par la charte à enregistrer un
nom de domaine sous l’extension <.fr>. Ces personnes sont donc les titulaires d’une marque
déposée, les sociétés, les entreprises, les associations immatriculées à l’INSEE, les artisans,
les collectivités territoriales et les personnes exerçant une profession libérale, etc… Cette
obligation d’identification qui vise avant tout à permettre la localisation du titulaire du nom de
domaine en cas de litige, s’appliquera également aux personnes ne figurant pas sur des bases
de données lorsque l’extension <.fr> leur sera ouverte.
15
Selon la charte, le droit d’usage est en principe d’un an mais il peut être renouvelé tacitement.
La forme canonique consiste en la réduction des noms des communes à la suite des caractères correspondants
privés des signes diacritiques, avec et sans l'article.
16
- 11 -
Par ailleurs, le demandeur doit impérativement lors de l’enregistrement désigner un
contact « administratif ». Il peut s’agir d’une personne morale ou physique mais celle-ci doit
impérativement être établie en France au sens de l’article 5 de la charte. Cette personne
recevra les actes judiciaires ou extra judiciaires et servira d’intermédiaire entre l’AFNIC et le
titulaire du nom. Ses coordonnées sont disponibles sur la base de donnée « WhoIs » ce qui
permet à toute personne d’entrer en relation avec lui. L’AFNIC est tenue d’une obligation de
confidentialité concernant les informations qu’elle détient sur le titulaire qui ne sont pas
accessibles à partir de « WhoIs ». L’association n’est autorisée à communiquer ces
informations que dans le cadre d’une procédure judiciaire ou d’une procédure alternative de
résolution des litiges.
B. Des règles assouplies
Auparavant, le demandeur ne pouvait obtenir qu’un nom sur lequel il pouvait justifier
d’un droit. Une entreprise ne pouvait ainsi se voir attribuer que le nom figurant sur le Kbis et
une association immatriculée à l’INSEE ne pouvait enregistrer qu’un nom reprenant sa
dénomination, son enseigne ou son sigle. De même, le titulaire d’une marque déposée à
l’INPI n’était autorisé à demander qu’un nom correspondant à un ou plusieurs termes de sa
marque. Depuis le 11 mai 2004, les personnes identifiables sont libres de choisir le nom de
domaine qu’elles souhaitent sans que ce nom figure obligatoirement sur quelque document
que ce soit. Cette réforme constitue un assouplissement important des critères d’obtention
d’un nom en <.fr>. Cette libéralisation a immédiatement été suivie d’une explosion des
demandes d’enregistrement de noms sous le suffixe français. Elle a permis de revaloriser une
extension géographique légèrement en retard. En effet, le nombre de noms de domaine en
<.fr> a doublé en l’espace d’un an passant de 175 000 en mai 2004 à environ 345 000 en mai
2005.
Initialement, une même personne ne pouvait demander qu’un seul nom de domaine sous
le <.fr>. Ensuite, le nombre maximum a été porté à 3 en avril 1999. Finalement, une réforme
de la charte intervenue en novembre 2001 a supprimé toute limitation du nombre de noms de
domaine par demandeur. Il convient par ailleurs de souligner que depuis le 1er août 2000, il
n’est plus nécessaire de déclarer la création de sites Internet au CSA et au procureur de la
République. En revanche, il est bon de signaler que si le site contient des bases de données
nominatives, il faut le déclarer à la CNIL.
Auparavant, la charte exigeait que les personnes et les entités appartenant à un même
secteur d’activité pourtant non réglementé (exemples : académies, offices du tourisme, etc.)
soient enregistrées sous un format commun. Depuis juillet 2002, les noms de domaines de
second niveau sont facultatifs. Aussi une association est-elle désormais libre de s’inscrire sous
le sous domaine <.asso.fr> ou directement sous le <.fr>. Cette réforme est clairement un gain
de liberté cependant elle comporte l’inconvénient de perdre de la visibilité à l’espace Internet
car la présence d’un sous domaine constituait une indication précieuse pour l’internaute.
§2 Le contrôle opéré par l’AFNIC et les autres garanties
Le contrôle effectué par l’AFNIC se révèle être partiel (A) mais il ne constitue pas le seul
rempart contre le netsquatting (B).
- 12 -
A. Le contrôle des critères par L’AFNIC
La vérification des éléments d’identification s’effectue dans un délai de trente jours après
l’enregistrement du nom de domaine. Ce contrôle, systématique, est opéré par l’AFNIC à
partir des bases de données publiques. L’association exige du prestataire qu’il obtienne lors de
l’enregistrement de la demande un numéro de marque, ou encore un numéro INSEE ou
SIREN en fonction de la situation. L’organisme s’assure de l’identité du titulaire du nom mais
ne vérifie pas l’exactitude de l’adresse postale indiquée. Initialement, ce contrôle se faisait
avant tout enregistrement mais il a été décidé de l’effectuer a posteriori afin d’alléger la
procédure et d’automatiser l’enregistrement. Cette réforme a permis non seulement de réduire
les délais d’activation mais elle a également favorisé une baisse des prix. Néanmoins, cette
nouvelle procédure, plus souple, semble augmenter le risque de litiges. Cependant, il faut
rappeler que sous de nombreuses extensions, il n’est procédé à aucune vérification d’identité.
C’est le cas notamment pour l’obtention de noms terminés par le <.com> à propos desquels la
société Verisign à déclarer qu’elle estimait que 70% des éléments d’identification déclarés
étaient incorrects.
Il n’y a pas lieu, pour le moment, de procéder à un contrôle de territorialité puisque dès
lors que la condition d’identification est satisfaite, celle de territorialité l’est aussi. En effet, la
seule inscription d’une personne sur l’une des bases de données publiques précitées témoigne
de ses liens avec le territoire français. Les modalités ainsi que le moment du contrôle des
éléments d’identification des personnes non identifiables sur les bases de données publiques
ne sont pas encore définis. Mais selon M. Damiville : « Il est très peu probable qu’il s’agisse
d’un contrôle a priori ».
Si dans le délai de trente jours la vérification est infructueuse, l’AFNIC adresse une
demande d’information complémentaire au prestataire Internet. Ce dernier est tenu de
communiquer dans un délai équivalent tous les documents réclamés par l’association
permettant une identification du titulaire. A défaut de réponse, le nom de domaine est bloqué
pendant trente jours. Si à l’issue de cette période le prestataire n’a toujours pas fourni les
informations nécessaires, l’AFNIC peut supprimer le nom de domaine ce qui aura pour effet
de le rendre à nouveau disponible ; mais elle peut également décider de prolonger la période
de blocage. L’affaire euroDNS qui a pendant de longs mois défrayé la chronique constitue
une bonne illustration du pouvoir de sanction de l’AFNIC en la matière. En l’espèce,
l’organisme avait bloqué, le 22 octobre 2004, tous les noms de domaine enregistrés par
M. Laurent N. en son nom propre (soit 4 465 noms). Cet agent commercial de nationalité
française travaillant pour la société luxembourgeoise « EuroDNS » avait servi de prête-nom
pour permettre à plusieurs particuliers de toutes nationalités ainsi qu’à de nombreuses sociétés
étrangères d’enregistrer un nom de domaine sous l’extension <.fr>. Le titulaire connu de
l’AFNIC, qui est juridiquement responsable en cas de litiges, détenait bien la nationalité
française, par conséquent, la construction ne violait pas a priori les règles de territorialité
établies par la charte. Pourtant, cette pratique est apparu clairement contraire à l’esprit de la
charte. L’article 36 dispose que toute violation « des termes ou de l’esprit de la charte » doit
donner lieu au blocage du nom. Cette pratique pose un sérieux problème de visibilité
quoiqu’en dise la société luxembourgeoise qui se défend de cette accusation en agitant la base
de donnée confectionnée par ses soins _et donc non officielle _ mise en ligne sur son site,
comportant des renseignements sur le demandeur final.
- 13 -
Dans certains cas, le contrôle de l’AFNIC intervient avant tout enregistrement. Lorsque le
prestataire transmet la demande à l’organisme de nommage, le nom choisi est contrôlé par le
système informatique. Si l’un de ses termes figure sur la liste des fondamentaux,
l’enregistrement est automatiquement bloqué. Si le nom correspond à un nom de commune ou
si le titulaire souhaite utiliser un nom de domaine de second niveau17, le système délivre un
message au prestataire l’invitant à demander à son client des documents supplémentaires
permettant de justifier de son identité. La vérification intervient nécessairement avant la mise
en service du nom de domaine. Enfin, en cas de transmission d’un nom de domaine, l’AFNIC
s’assure que le cessionnaire satisfait à toutes les conditions exigées par la charte de nommage.
L’AFNIC n’a pas à vérifier que le nom choisi est déjà utilisé sous l’extension <.fr> car le
système refuse automatiquement de l’enregistrer puisque chaque nom est unique. Pour
simplifier la procédure, une base de données répertoriant tous les noms de domaines
enregistrés sous l’extension voulue est mise à la disposition du demandeur. Il s’agit de la base
« WhoIs ».
L’article L 45-I du CPI dispose que l’« AFNIC veille au respect par le demandeur des
droits de propriété intellectuelle ». Pourtant, l’organisme ne vérifie pas si le nom demandé
porte atteinte au droit des tiers. Selon l’article 33 de la charte, « le demandeur est tenu de
veiller au respect des droits d’autrui et particulièrement aux droits de propriété intellectuelle.
A ce titre, il est expressément invité à procéder à des vérifications et recherches d’antériorité
préalablement à tout enregistrement ». Ainsi, seul le demandeur doit s’assurer que le nom
qu’il souhaite enregistrer ne correspond ni à une marque déposée, ni à une raison sociale
préexistante. Pour cela, celui-ci devra se renseigner auprès du Registre National des Marques
(RNM), du Registre de Commerce et des Sociétés (RCS) ou contacter une agence conseil en
propriété intellectuelle. La charte précise que le titulaire garantit l’AFNIC « contre toute
action, réclamation, revendication ou opposition de la part de toute personne invoquant un
droit quelconque sur un nom de domaine ». L’AFNIC a voulu limiter sa responsabilité en cas
de violation du droit des tiers. Si un contrôle d’antériorité alourdirait considérablement la
procédure, il aurait néanmoins le mérite de constituer une protection efficace contre les
atteintes répétées aux droits de propriété intellectuelle.
Si l’AFNIC n’effectue aucun contrôle d’antériorité spontané, l’association est en mesure
de prendre des sanctions lorsqu’elle est prévenue par des tiers de la violation des droits
d’autrui. Ainsi, dans l’affaire EuroDNS, l’AFNIC avait été alertée à la suite à diverses
plaintes émanant de plusieurs titulaires de marques dénonçant des pratiques récurrentes de
« typosquatting ». Estimant que sa mission ne l’autorisait pas a effectuer un tri parmi les noms
susceptibles de porter atteintes aux droits des tiers, l’association avait choisi de bloquer la
totalité des noms enregistrés. Le prestataire Internet ainsi que son agent commercial l’avaient
assigné en référé afin que les noms soient remis en service. Mais ils ont été débouté de leur
demande. Le juge a reconnu de multiples violations de la charte18, en particulier des
« agissements constituant des tentatives de détournement susceptibles de porter atteintes au
droit des tiers »19, et a exigé le transfert des noms litigieux à leurs propriétaires. Le blocage a
donc été maintenu le temps de régulariser la situation.
17
Sauf si la demande porte sur le sous domaine <.com.fr> qui est ouvert à tous.
Notamment la violation des articles 36 et 4 (relatif au lien du titulaire avec la France).
19
Ordonnance de référé du 14 décembre 2004 affaire N., EuroDNS c/AFNIC.
18
- 14 -
Plus récemment encore, l’AFNIC a procédé au blocage20 pour une durée de trois mois de
1200 noms de domaine enregistrés par la société KLTE Ltd après avoir découvert que
nombres d’entre eux étaient très proches de certaines marques.
B. Les autres garanties
L’ouverture du <.fr> en plusieurs étapes constitue une importante garantie pour les
personnes visées par la mesure. La règle permet aux titulaires de marques ou encore
d’enseignes d’enregistrer en priorité un nom de domaine. Elle limite ainsi le risque pour eux
de voir quelqu’un d’autre déposer le nom avant. La mesure vise incontestablement à réduire le
cybersquatting mais pour autant, elle ne l’empêche pas complètement puisqu’une personne
« identifiable » reste libre de déposer n’importe quel nom directement sous le <.fr>. Par
conséquent, elle ne fait pas obstacle aux nuisances volontaires ou non entre personnes
« identifiables » pas plus qu’elle ne prémunit des risques d’homonymie.
L’article 23 de la charte prévoit la possibilité de préenregistrer un nom de domaine. Ce
préenregistrement doit s’effectuer auprès des Centres de formalités des entreprises (CFE)
situés au sein des chambres de commerce et de l’industrie habilités par l’AFNIC. Cependant,
ce préenregistrement n’est que provisoire. Le CFE bloque le nom pendant quinze jours et
délivre au demandeur un récépissé. Passé ce délai, si le demandeur n’a pas effectué de
demande d’enregistrement auprès d’un prestataire Internet, le nom retombe dans le domaine
public. Cette faculté de préenregistrer un nom permet au demandeur de prendre le temps de
choisir un prestataire Internet sans risquer d’être devancé par quelqu’un d’autre.
Certains organismes offrent la possibilité aux personnes désireuses d’enregistrer un nom
de domaine sous le <.fr> de s’inscrire sur une liste d’attente. En échange d’une rémunération,
ces organismes s’engagent à faire les démarches nécessaires auprès de l’AFNIC pour
enregistrer le nom demandé dès que cela devient possible. Ainsi par exemple, certains
prestataires proposent aux personnes physiques non identifiables de « réserver » dès
maintenant un nom de domaine sous l’extension française. Néanmoins, l’inscription sur une
liste d’attente ne garantit nullement l’attribution du nom souhaité puisqu’une telle pratique
n’est pas reconnue par la charte de nommage de l’AFNIC. Par conséquent cette formule doit
être considérée comme une solution de dernier recours.
Par ailleurs, d’autres prestataires offrent de « réserver » des noms déjà enregistrés sous des
extensions génériques. Ils s’engagent à prévenir leurs clients dès que les noms convoités
tombent dans le domaine public. Cette pratique devrait certainement se développer sous le
< .fr> dans les mois à venir.
20
Décision du conseil d’administration de l’AFNIC du 18 juillet 2005.
- 15 -
CHAPITRE II – EN AVAL, PAR UN DOUBLE RECOURS
POSSIBLE
Si la politique d’attribution des noms de domaine en «.fr » reste considérée comme l’une des
plus responsable au monde, le suffixe n’en demeure pas pour autant étranger aux abus et
dérives du Far Web.
Les affaires opposant des cybersquatteurs à de grandes sociétés se sont terminées bien
souvent par une transaction, comme en témoigne la décision Framatome rendue par le
Tribunal de grande instance de Paris le 25 avril 1997, dans laquelle le juge n’a fait
qu’entériner l’accord des parties. Cependant, certaines sociétés, sûres de leur bon droit,
préfèrent poursuivre les fraudeurs en justice. Nous ferons le choix ici, d’étudier uniquement
les actions engagées devant les tribunaux civils.
Section I La condamnation juridique du cybersquatting
Pour trancher les conflits entre noms de domaine et signes distinctifs antérieurs, les tribunaux
n’ont eu qu’à appliquer les principes et méthodes offerts par le droit de la propriété
intellectuelle ou recourir au droit de la responsabilité civile.
En effet, le cybersquatting de marque peut, dans un premier temps, être sanctionné sur le
fondement de la contrefaçon. L’article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle dispose
que : « sont interdits, sauf autorisation du propriétaire : a) la reproduction, l’usage ou
l’apposition d’une marque, même avec l’adjonction de mots tels que « formule, façon,
système, imitation, genre, méthode » ainsi que l’usage d’une marque reproduite pour des
produits ou services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement… » Par conséquent, la
propriété intellectuelle confère au titulaire du droit une exclusivité sur la marque enregistrée,
lui seul ayant le droit de la reproduire. Un principe pour la première fois énoncé dans le
monde de l’Internet lors de l’affaire « Atlantel.fr » du 22 juillet 1996.
Lorsque la contrefaçon n’est pas applicable notamment dans les cas concernant une
dénomination sociale ou un nom commercial, il n’est pas rare de voir des décisions fondées
sur l’article 1382 et suivants du Code civil, et les cybersquatteurs sanctionnés pour
parasitisme économique. Il appartient alors au demandeur d’apporter la preuve d’une faute,
d’un préjudice dont il souffre, et d’un lien de causalité entre les deux.
A défaut d’un régime spécifique au nom de domaine, la jurisprudence s’est s’attachée à
définir les règles de droit qui lui sont désormais applicables. Pour aborder le contenu de ces
procédures, étudions d’abord le formalisme des règles de compétences juridique (§1) puis
l’étendue de la responsabilité de chacun des acteurs (§2).
§ 1 Les règles de compétences
Au moment d’engager une action judiciaire, la première des questions qui se posent est celle
de la compétence matérielle (A) et territoriale (B) applicable.
- 16 -
A. Ratione materiae
L’article L716-3 du CPI dispose : « les actions civiles relatives aux marques sont portées
devant les tribunaux de grande instance ainsi que les actions mettant en jeu à la fois une
question de marque et une question de dessin et modèle ou de concurrence déloyale connexes
». C’est donc le Tribunal de Grande Instance qui endosse la responsabilité de juger les affaires
portant atteintes aux droits des marques tant en référé que comme juge du fond.
 Action en référé
Possédant l’avantage de la rapidité, c’est la juridiction la plus prisée par les requérants,
aux vues notamment du nombre de décisions rendues. Le juge des référés est compétent sur la
base de deux fondements :
-
L’article 716-6 du CPI
Celui-ci prévoit une procédure particulière en forme de référé : « Lorsque le tribunal est
saisi d’une action en contrefaçon, son président, saisi et statuant en la forme des référés, peut
interdire, à titre provisoire, sous astreinte, la poursuite des actes argués de contrefaçon »
Néanmoins pour être validée, l’action au fond doit apparaître sérieuse, autrement dit avoir des
chances raisonnables d’aboutir, et être engagée dans un bref délai, c’est à dire dans un
maximum de six mois après la découverte du fait dommageable.
Cette action vise à sanctionner la reproduction ou l’imitation d’une marque pour une
classe de produits ou services identique à celle désignée dans l’acte d’enregistrement.
Cependant, il a été jugé par le tribunal de Grande Instance de Nanterre que l’utilisation d’une
marque déposée à titre de nom de domaine « justifie l’action en la forme des référés fondée
sur les dispositions de l’article L716-6 du CPI. » Le risque de confusion dans l’esprit du
public justifiant provisoirement la protection des droits d’une marque attaquée.
Dans la pratique, le Président du Tribunal de Grande Instance statuant en la forme des
référés est conduit à porter une première appréciation sur le fond, à commencer par la validité
de la marque lorsque celle-ci, comme bien souvent, est contestée par le défendeur,
-
Les articles 808 et 809 du Nouveau Code de Procédure Civile
Le premier dispose : « Dans tous les cas d’urgence, le président du Tribunal de Grande
Instance peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation
sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend. »
Le second énonce : « Le président peut toujours, même en présence d'une contestation
sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent,
soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement
illicite. Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut
accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit
d'une obligation de faire. »
- 17 -
Les principales bénéficiaires de cette procédure en référé demeurent les marque notoires
ou renommées dont l’article L 713-5 du CPI rappelle la légitimité à agir sur la base de la
responsabilité civile, sans considération de l’utilisation faite de leur dénomination : « l’emploi
d’une marque jouissant d’une grande renommée pour des produits ou services non similaires
à ceux désignés dans l’enregistrement engage la responsabilité civile de son auteur s’il est de
nature à porter préjudice au propriétaire de la marque... »
Précisions qu’avant de se prononcer, le juge des référés doit examiner soigneusement si
les conditions de sa compétence sont réunies. Deux célèbres exemples en témoignent.
Tout d’abord, dans l’affaire « Alice.fr » qui opposait la SNC Alice, agence de publicité
titulaire de la marque, à la SA Alice exerçant une activité d’édition de logiciels. La Cour
d’Appel, fondant son jugement sur la spécialisation du dépôt de marque et le caractère
commun du radical utilisé, avait dénié au juge des référés sa compétence au motif que le
trouble manifestement illicite n’était pas caractérisé en l’espèce.
Ensuite, lors du contentieux portant sur le site « Bananaloto.fr » pour lequel La Française
des jeux s’appuyait sur sa marque Loto pour contester l’enregistrement. Le président du
Tribunal de Grande Instance de Nanterre, dans son jugement du 14 septembre 2000, s’était
déclaré incompétent, estimant que le caractère banal du terme Loto appelait « une
interrogation de fond » sur la validité de la marque qui n’apparaissait pas suffisamment
distinctive pour écarter l’existence d’une contestation sérieuse. Un principe qui à l’inverse ne
fait pas obstacle à l’intervention du juge des référés dès lors qu’il a été saisi sur le fondement
de l’article 909 comme le rappelle dans le texte la formule « même en présence d’une
contestation sérieuse »
 Action au fond
C’est à l’occasion d’une affaire concernant le terme Saint-Tropez qu’un tribunal a eu
l’occasion de statuer au fond pour la première fois dans un litige opposant une marque et un
nom de domaine.
La commune de Saint-Tropez, titulaire de la marque du même nom, déposée dans toutes
les classes de produits et services, a voulu développer un site Internet enregistré en France
sous le radical « nova.fr/sainttropez » faisant appel pour l’occasion à la société Eurovirtuel.
Or, cette dernière avait pour sa part enregistré aux Etats Unis le nom de domaine « sainttropez.com » Le juge de Draguignan a constaté la contrefaçon de la marque Saint-Tropez par
Eurovirtuel et a ainsi institué la supériorité du droit des marques français sur un nom de
domaine attribué par l’InterNic.
B. Ratione loci
Par nature, les risques de litiges dépassent tous potentiellement les frontières, le problème
est alors de savoir quel juge sera territorialement compétent pour trancher. Ces affaires
peuvent être traitées par les tribunaux français, en vertu du principe de la lex loci delicti, c'est
à dire de la loi du lieu du délit, énoncé par l’article 5-3 de la convention de Bruxelles du 27
septembre 1968, relative à la compétence internationale des juridictions. En effet, comme en
matière de droit de la presse et de responsabilité civile, les tribunaux ont retenu le lieu du fait
dommageable comme critère de leur propre compétence. Les tribunaux français s’estiment
- 18 -
donc compétents chaque fois que ce sont les intérêts d’une victime française qui ont été lésés,
en vertu de l’article 46 du Nouveau Code de procédure civile. Une compétence qui a été
clairement rappelé à plusieurs reprises.
Ainsi, dans l’affaire dite des « Bois Tropicaux », le TGI de Lille dans son jugement rendu
le 10 juillet 2001 a déclaré « lorsqu’un acte de concurrence déloyale a été commis par une
diffusion Internet, le fait dommageable se produit en tous lieux où les informations litigieuses
ont été mises à la disposition des utilisateurs éventuels du site… »
En ce qui concerne la compétence du juge français sur les noms de domaine étrangers,
celle-ci avait déjà été affirmée par des condamnations pour contrefaçon de droits français
(TGI Nanterre, 2 novembre 2000, affaire « fnac.tv ») Depuis, la jurisprudence est allée encore
plus loin dans l’interprétation des règles de droit en dégageant de nouveaux principes.
En mars 2003, une société titulaire de différentes marques portant la dénomination
domina, désignant des produits érotiques, avait assigné en contrefaçon un particulier qui avait
enregistré en Allemagne le nom de domaine « domina.net » pour la même nature de services.
Le TGI de Paris a débouté la société au motif que pour pouvoir interdire un nom de domaine
enregistré à l’étranger reprenant une marque française, il faut prouver non seulement que ce
site est accessible en France mais aussi que les produits proposés peuvent y être livrés, ce qui
n’avait pu être établi en l’espèce.
Dans une seconde affaire en date du 8 juillet 2003, le TGI de Paris, a condamné le titulaire
du nom de domaine polonais « decathlon.pl » désignant un site Internet sur lequel était
exploitée la dénomination « decathlon » associée à des images dévalorisant la pratique du
sport. Il a en effet estimé qu’il y avait « atteinte à la marque de renommée Décathlon, en
ternissant son image basée sur la valorisation de la pratique du sport »
Quand le litige présente, comme ici, un élément d’extranéité et que la décision doit être
exécutée à l’étranger, il est nécessaire d’obtenir l’exequatur de la décision française auprès de
la juridiction étrangère. Celle-ci étant quasiment automatique pour des décisions rendues dans
un Etat signataire de la Convention de Bruxelles.
§ 2 Responsabilité des parties
Malgré l’ensemble des dispositions prises pour dissuader les malintentionnés, on l’a vu des
abus persistes. Il nous paraît intéressant d’étudier les problèmes de responsabilité liés au
nommage. Nous balayerons donc de haut en bas la culpabilité de chacun des maillons de la
chaîne : l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (A), les
prestataires et Registrars (B), enfin les titulaires de noms de domaine (C).
A. AFNIC
La loi du 9 Juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de
communication audiovisuelle instaure un nouvel article dans le Code des postes et des
communications électroniques : Art. L. 45. I. énonçant que « L’attribution d’un nom de
domaine est assurée (…) selon des règles non discriminatoires rendues publiques et qui
veillent au respect, par le demandeur, des droits de la propriété intellectuelle » Il ne pèse
- 19 -
donc pas sur l’AFNIC une responsabilité quant à la recherche de droits antérieurs. Si l’on veut
faire une comparaison, lorsque l’on dépose une marque à l’INPI, l’organisme n’effectue pas
une recherche d’antériorités. En revanche, pour les titulaires de marques est prévue, pendant
la procédure d’enregistrement, la possibilité d’opposer leurs droits pour pouvoir contrer les
dépôts abusifs.
A ce jour, seulement deux types de décisions sont venus clarifier le régime applicable à
l’association. Lors de la médiatique affaire « EuroDNS », il a été rappelé que l’organisme
pouvait, à certaines conditions, bloquer un nom de domaine sans engager sa responsabilité. Le
conseil d’administration de l’AFNIC avait ainsi pris l’initiative de bloquer près de 4 500 noms
de domaine enregistrés par Mr Laurent Nunenthal, agissant en son nom propre en qualité
d’agent du registrar EuroDNS. Dans son ordonnance de référé, le président du TGI de
Nanterre précisa que le registrar ainsi que Laurent Nunenthal avaient adhéré à la charte de
nommage. Néanmoins, en attribuant des noms de domaine en « .fr » à des personnes n’ayant
aucun lien de rattachement avec le territoire national, ils avaient manifestement violé l’article
4 de la charte. Or, l’article 36 de ce même texte autorise l’association à procéder au « blocage
d’un nom de domaine chaque fois qu’elle aura identifié une violation des termes ou de l’esprit
de la présente charte et notamment, sans que cette liste ne soit exhaustive :
-
En cas de vérification infructueuse
En cas d’absence de réponse du contact administratif en charge du site contesté
Lorsque le nom de domaine est orphelin (Prestataire Internet dont la
convention avec l’AFNIC ne serait pas renouvelée)
En cas de décision de justice
Dans une autre décision, la jurisprudence a validé le refus d’enregistrement. Une personne
voulait enregistrer « patrimoine.fr », mais n’a pas pu le faire car à cette époque les termes
génériques étaient interdits. Quelques mois plus tard, la charte de nommage a permis cet
enregistrement et c’est un tiers qui s’est emparé du nom de domaine. Le demandeur d’origine
a tenté de mettre en cause la responsabilité de l’AFNIC. En première instance, le TGI de
Nanterre a précisé que l’association n’est tenue qu’à « une obligation de moyens consistant en
la mise en place de précautions raisonnables dans la procédure d’enregistrement ». Une
décision qu’est venue confirmer la cour d’appel de Versailles le 16 mars 2004.
B. Prestataires Internet et Registrars
Nous avons fait le choix de coupler ces activités car dans la pratique, nombreux sont les
structures combinant les deux. La Loi sur la Confiance dans l’Économie Numérique de juin
2004 était très attendue et devait apporter beaucoup d’enseignements sur la responsabilité des
prestataires. Les registrars, c'est-à-dire les unités d’enregistrement par lesquelles on doit
nécessairement passer pour enregistrer les noms de domaine, ne sont pas visés par cette loi,
les moteurs de recherche non plus. La LCEN n’a envisagé que la responsabilité civile et
pénale des hébergeurs et fournisseurs d’accès Internet, rappelant des principes comme la
neutralité et la non-obligation générale de surveillance. On peut étendre ce principe de
neutralité aux registrars car, si au niveau légal leur responsabilité n’est pas encore encadrée,
les décisions les concernant ont repris cette orientation au niveau de la jurisprudence.
Le registrar n’a pas à vérifier la titularité des droits, c’est ce qu’a indiqué le Tribunal de
Grande Instance de Nanterre dans une affaire qui opposait les centres Leclerc à la société
Amen pour le nom de domaine « michel-edouard-leclerc.fr » qui donnait accès à un site
- 20 -
pornographique. Dans le contrat régularisé avec ses utilisateurs, le registrar doit en
reproduisant la charte, les aviser et les mettre en garde d’avoir à respecter les droits des tiers.
Pour cette affaire, le jour même de l’assignation Amen, qui est aussi hébergeur, a suspendu
tout service attaché au nom de domaine litigieux. Ainsi, ne se trouvaient aucunement
justifiées les demandes de condamnation solidaire formées contre la société.
Autre décision, le même registrar Amen avait été assigné pour communiquer tout ce qui
permet l’identification des acheteurs des noms de domaine : « casaboubou.com » et
« casaboubou.net ». Est-il tenu de vérifier et de communiquer l’identité du titulaire ? La
difficulté dans ces affaires, étant de savoir qui se trouve derrière. Le TGI de Pointe-à-Pitre a
précisé que « même si elle n’est plus en possession du numéro de la carte bancaire du
propriétaire du domaine litigieux, il lui appartiendra de fournir tous les éléments en sa
possession, notamment en matière bancaire, qui pourraient permettre d’identifier le
propriétaire réel. La société Amen est tenue à un devoir de loyauté sur ce point et doit
s’efforcer d’être parfaitement transparente en remettant toutes informations utiles. »
Autrement dit, c’est encore une obligation de moyens et pas de résultats. Les demandes
d’identification des titulaires auprès des registrars peuvent se faire sur requête. Ces derniers
ne pouvant communiquer des données nominatives que sous autorisation judiciaire.
C. Les titulaires de noms de domaine
En matière de noms de domaine, les conflits sont nombreux depuis 1998 concernant les
gTLDs de type « .com », « .net » et « .org », car il n’existe pas une charte aussi rigoureuse
que celle pour les « .fr ». En effet, depuis l’ouverture de celui-ci en mai 2004, il y a eu très
peu de décisions. Nous étudierons successivement les conflits contre des marques, des noms
commerciaux, des patronymes et enfin d’autres noms de domaines.
 Nom de domaine / Marque
Comme nous l’avons vu, l’article L716 du CPI définit la contrefaçon de marque comme
une atteinte portée aux droits de son titulaire légitime. Les articles L713-2 et L713-3 du CPI
prévoient différents cas de contrefaçon de la marque.
Il faut retenir que le nom de domaine réservé avant le dépôt d’une marque est un droit
antérieur à la marque, et qu’il faut nécessairement une exploitation également antérieure au
dépôt de la marque. La doctrine et la jurisprudence s'accordent pour affirmer que le nom de
domaine doté d'une certaine distinctivité ou originalité doit bénéficier d'une protection
juridique. En corollaire, pour ce qui concerne les marques notoires, il suffit que le nom de
domaine reproduise celles-ci pour que la contrefaçon soit de facto réalisée.
La marque n’est protégée que pour les produits et services désignés dans son acte
d’enregistrement. Au fil de ses décisions, la jurisprudence a adapté ce principe à l’Internet.
L’arrangement de Nice du 15 Juillet 1957, révisé à Stockholm en 1967 et à Genève en 1977,
prévoit une classification internationale des marques déposées. Depuis le 1er janvier 2002, il
distingue 34 classes de produits (numérotées de 1 à 34) et 11 classes de services (de 35 à 45).
Pendant longtemps la jurisprudence a admis la contrefaçon si la marque était enregistrée en
classe 38, l’excluant dans le cas contraire.
- 21 -
Mais en janvier 2002, le jugement du tribunal de Grande Instance de Paris dans l’affaire
opposant les Publications Bonnier à la société Saveurs et Senteurs Créations, a constaté que
le nom de domaine « saveurs.com » reproduisait de manière identique la marque saveurs
enregistrée par la demanderesse pour désigner différents produits et services, dont ceux
relevant de la classe 38. Il a ensuite relevé que la marque était revendiquée en ce qu’elle
désignait une publication gastronomique, soit un produit de l’imprimerie, alors que le nom de
domaine litigieux enregistré par la défenderesse servait à la promotion d’une activité de
création et de commercialisation de parfums. Le Tribunal a énoncé « les services de
télécommunication que couvre la classe 38 s’entendent de ceux […] ayant un tel objet et ne se
confondent pas avec les multiples services pour la fourniture desquels les communications
[…]par messagerie électronique, ordinateur ou tout autre support (tel Internet) ne sont qu’un
moyen. »
La demanderesse a été déchue pour non-usage de ses droits sur sa marque dans la classe
38. Le tribunal a conclu que les services proposés sur le site contesté par la demanderesse
n’étant pas similaires à ceux protégés par la marque, le nom de domaine « saveurs.com »
n’était pas contrefaisant. Les juges considèrent donc dorénavant plus que l’enregistrement ou
non de la marque en classe 38, l’identité ou la similarité des produits et services désignés lors
de l’enregistrement et contenus dans le site. La tendance actuelle en vient donc à appliquer
aux noms de domaine les règles régissant les signes distinctifs et notamment la marque, en
l’espèce le principe de spécialité.
C’est le Tribunal du Mans qui a pour la première fois annulé en référé une marque
oceanet déposée deux ans après l’enregistrement du nom de domaine « oceanet.fr », au motif
que l’usage de la dénomination oceanet comme nom de domaine était créateur d’un droit
susceptible de s’opposer au dépôt d’une marque postérieure identique. La décision du TGI du
Mans reconnaît donc l'application de l'article L 711-4 du Code de la Propriété Intellectuelle
aux noms de domaine.
Au sujet des parodies et critiques adressées à l’encontre de marques. Il fut un temps révolu
où les décisions se suivirent sans pour autant s’accorder. Enfin, en 2003, la Cour d'appel de
Paris adopta une jurisprudence cohérente dans trois arrêts reconnaissant le droit à la parodie
de marque, sous l'égide de la liberté d'expression. Dans l’affaire « Danone », suite à un
mouvement contestataire deux sites polémiques virent le jour « jeboycottedanone.com » et
« jeboycottedanone.net ». Le Tribunal de Grande Instance de Paris, par son jugement de
juillet 2001, retint la contrefaçon de la marque semi-figurative, mais estima que l'utilisation de
la marque verbale Danone était une référence nécessaire. Sur quoi, la Cour d'appel de Paris
infirma le jugement par référence à la liberté d'expression.
 Nom de domaine / Nom commercial
A l’occasion de l’affaire « Rennes Immo » du 7 juillet 2004, pour retenir la qualification
de concurrence déloyale, du fait de l’imitation de l’enseigne Rennes immobilier et du nom
commercial RennesImmo, la cour de cassation n’a pas pris en considération la distinction ou
l’absence de distinction.
Cet arrêt fondé vraisemblablement sur la circonstance particulière de la nécessaire
connaissance d’un concurrent dans la même zone géographique, sanctionne plus le
parasitisme qu’il n’opère de rupture avec les décisions antérieures.
- 22 -
 Nom de domaine / Nom patronymique
Certes, la Charte de nommage de l’AFNIC permet l’enregistrement de noms
patronymiques au sein d’un sous-domaine « .nom.fr ». Cependant, il est tout à fait probable
que des patronymes aient déjà été enregistrés auprès de NSI en « .com ». Dès lors, comment
résoudre le conflit qui opposerait un demandeur qui se plaindrait de l’usurpation de son nom à
un cybersquatteur ?
En fait, la protection du nom patronymique pourrait passer par le recours aux droits de la
personnalité, et notamment par le biais du droit au nom. La protection serait alors absolue, car
selon la jurisprudence, la simple atteinte au nom, sans même causer un préjudice à celui qui le
porte, est sanctionnable de plein droit et justifie la réparation sur le fondement de l’article 9 du
Code civil. Il s’agit en effet d’une responsabilité objective. Partant, la victime n’aurait pas à
prouver l’intention de nuire du déposant.
La décision rendue le 12 juillet 2004 par le TGI de Paris dans l’affaire « François
Bayrou » nous éclaire sur ce point. Le nom de domaine avait été déposé par un tiers le 20 mai
2004 et proposé à la vente par l’intermédiaire de la société Sedo, au prix de 10 000€. Axant sa
demande, à la fois sur l’article 711-4 du CPI qui énonce : « Ne peut être adopté comme
marque un signe portant atteinte à des droits antérieurs, et notamment : un nom
patronymique, un pseudonyme ou une image » et à la fois, sur l’article 9 du Code civil,
mentionnant le droit pour chacun au respect de sa vie privée et des attributs de sa personnalité.
Le requérant avait obtenu du tribunal qu’il considère que :
-
« François Bayrou a droit au respect des attributs de sa personnalité, et en particulier
de ses prénom et patronyme »
« Stéphane H. ne pouvait ignorer qu’il lui appartenait en vertu de l’article 19 de la
charte de l’AFNIC de s’assurer que le terme utilisé pour un nom de domaine ne
portait pas atteinte aux droits de François Bayrou, à ses nom et prénom »
 Nom de domaine / Nom de domaine
La jurisprudence a dû également faire face à cette situation et élaborer des règles de
protection qui étaient inexistantes. Ainsi les tribunaux ont commencé par préciser que le nom
de domaine protégeable devait être exploité. Ils ont eu ensuite recours au principe de
spécialité pour trancher entre des noms identiques sous des extensions différentes et enfin ont
reconnu un droit d’occupation au titulaire d’un nom de domaine en l’absence de fraude.
Le Tribunal de Grande Instance de Paris, statuant en référé, a énoncé dans une affaire
impliquant le nom de domaine « pense-fetes.com » : « si effectivement la société Market Call
a déposé un nom de domaine « pensefetes.com » avant le dépôt des noms de domaine par la
société Millemercis, il n’est pas contesté qu’il n’y a eu jusqu’à présent aucune exploitation de
ce site Internet et en conséquence il ne saurait y avoir concurrence déloyale, la protection sur
un nom de domaine ne pouvant s’acquérir que par son exploitation. »
La Cour d’Appel de Paris dans cette même affaire et dans un arrêt du 5 mai 2000 a
complété l’énonciation précédente en indiquant, « si le nom de domaine, compte tenu
notamment de sa valeur commerciale pour l’entreprise qui en est propriétaire, peut justifier
d’une protection contre les atteintes dont il fait l’objet, encore faut-il que les parties à
l’instance établissent leurs droits sur la dénomination revendiquée, l’antériorité de son usage
- 23 -
par rapport au signe contesté et le risque de confusion que la diffusion de celui ci peut
entraîner dans l’esprit du public. »
A l’occasion d’une autre décision, le président du TGI de Strasbourg a considéré que « la
reprise du même identifiant « alsaceimmo » et ce quelle que soit l’extension, est propre à
créer une confusion dans l’esprit de la clientèle, et par-là même à le détourner
potentiellement » en raison d’activité similaire sur un même marché géographique. Les
juridictions apprécient donc au cas par cas :
-
La légitimité du titulaire d’un nom de domaine
L’éventuelle confusion au regard des produits et services visés par le site
Le préjudice subi dans le cas d’une marque notoire
En conclusion, à défaut d’un statut exact sur le nom de domaine, les solutions apportées
par les tribunaux français ont su se montrer soucieuses d’intégrer celui-ci au sein de la
propriété intellectuelle dans le respect du droit des marques et des tiers. En parallèle, les
conflits entre marques et noms de domaine en « .fr » peuvent désormais relever de la
compétence d’une juridiction arbitrale rapide et efficace, s’inspirant de la procédure mise en
place par l’ICANN. Cette solution peu coûteuse, possède notamment le mérite de contribuer à
désengorger les tribunaux hexagonaux.
Section II L’alternative Administrative
Née dans les années 70 aux Etats-Unis, la pratique des modes alternatifs de règlement des
litiges tend à se développer en Europe, notamment sous l’impulsion des nouvelles
technologies. De telles procédures sont prévues pour le règlement des différends sur le « .fr »
depuis le 11 mai 2004. Appelées Procédures Alternatives de Résolution des Litiges (PARL),
elles sont régies par l’article 38 de la Charte de nommage, le titulaire du nom de domaine
consent à s’y soumettre en acceptant le contrat d’enregistrement (§1). Bien que très limitées,
les jurisprudences du « .fr », c'est ainsi qu'on peut communément les désigner, ne sont pas
sans intérêt et nous tenterons d’en faire un premier bilan riche d'enseignements (§2).
§ 1. Les PARL Françaises
L’article 38 propose deux solutions alternatives à la procédure judiciaire : la recommandation
en ligne (A) et la décision technique (B). Pour l’une et l’autre de ces procédures, l’objectif est
de résoudre le différend en quelques jours ou quelques semaines, et pour un coût approximatif
de 1 500 euros. Chacune est administrée par un organisme différent et repose sur un principe
de neutralité vis à vis de l’AFNIC qu’il semble bon de rappeler (C).
A. La recommandation en ligne
Construite sur une politique de médiation, la recommandation en ligne est une procédure
électronique qui fait intervenir un « tiers-aviseur » nommé par le Centre de Médiation et
d’Arbitrage de Paris. Le rôle de cet intermédiaire est de formuler une recommandation tenant
compte des spécificités du litige. Cette recommandation, non contraignante, peut porter sur
d'autres solutions que la simple suppression ou le transfert du nom de domaine, et permettre
- 24 -
ainsi de purger l'intégralité d'un litige en s'intéressant notamment aux problématiques de
dédommagement. Le titulaire du nom de domaine n’est pas tenu d’accepter cette procédure,
mais en cas de refus, il devra se soumettre à une décision technique ou à l’autorité judiciaire.
Pour être pleinement efficace, cette procédure doit donc se dérouler sous le signe de la
cordialité et en présence de colitigants de bonne foi, résolus à trouver une solution équitable.
Cette alternative originale en matière de noms de domaine n’est pas formatée pour résoudre
des cas de cybersquatting. Elle s’adresse d’une manière générale aux personnes qui se
trouvent dans une situation de conflit de légitimité, chacune d’entre elle disposant d’un droit
ou intérêt légitime sur le nom de domaine convoité. Elle devrait notamment prouver toute son
efficacité dans les hypothèses où les parties sont engagées dans des liens contractuels
(contrats de franchise, de licence, accords de coexistence, etc...) qu’elles ne souhaitent pas
altérer par une procédure judiciaire lourde, coûteuse et publique. Si la recommandation est
acceptée par les parties, elle est alors utilisée pour rédiger un protocole transactionnel et
mettre fin au litige. Idéalement, elle devra être engagée à chaque fois que le dialogue est
rendu possible par le comportement de chacune des parties.
B. La décision technique
La décision technique fait intervenir cette fois-ci un expert nommé par le Centre
d’Arbitrage et de Médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle. Il s’agit
en fait d’une procédure UDRP (Uniform Domain Name Resolution Policy) utilisée depuis
1999 par l’ICANN aussi bien au niveau des gTLDs que de certains ccTLDs et qui a fait la
preuve de son efficacité notamment dans la lutte contre l'enregistrement frauduleux.
On notera que le champ d'application de la procédure UDRP est limité aux atteintes au
droit des marques. En revanche, la PARL du « .fr » et du « .re » par décision technique porte
sur les atteintes aux droits des tiers protégés en France et en particulier à la propriété
intellectuelle (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), aux règles de la
concurrence et du comportement loyal en matière commerciale et au droit au nom, au prénom
ou au pseudonyme d'une personne. Mais surtout, la reconnaissance de l’atteinte aux droits des
tiers est indifférente de la bonne ou mauvaise foi du défendeur. Autrement dit, le seul risque
de confusion peut justifier une radiation ou une transmission.
A la différence de la recommandation en ligne, la décision technique est formatée pour
résoudre des conflits dans lesquels les colitigants ne font preuve d’aucune bonne volonté,
parce qu’ils ne se font pas confiance ou tout simplement si le titulaire du nom de domaine est
aux abonnés absents. C’est la raison pour laquelle les opérations sur le nom de domaine sont
gelées par l’AFNIC dès qu’elle a connaissance du litige.
Ensuite, la décision est contraignante pour les parties qui doivent s’y soumettre. Par
conséquent, le principe du contradictoire et plus généralement des droits de la défense doit
être respecté. Dans cette optique, il est donc accordé un délai de vingt jours au défendeur pour
préparer sa défense et répondre aux allégations du demandeur. Précisons tout de même qu’il
reste possible de soumettre le litige, à tout moment, à un tribunal compétent.
- 25 -
L’article 22 du règlement, concernant l’exécution de la décision ordonnant la transmission
ou la suppression du nom de domaine, laisse un délai de vingt jours au défendeur pour faire
valoir ses droits devant un tribunal français. Dans ce cas, l’exécution de la décision par
l’AFNIC est suspendue et le nom de domaine litigieux reste gelé, sauf décision de justice
contraire.
Enfin, l’article 11 fait supporter les taxes et honoraires exclusivement sur le portefeuille
du requérant. Cette position, déjà discutable pour la procédure UDRP, l’est davantage en ce
qui concerne la décision technique relative au « .fr » En effet, cette pratique retire toute la
valeur dissuasive de la procédure. Or, dans les cas où il apparaît que le défendeur a
incontestablement agi de mauvaise foi, il n’aura jamais l’impression d’en subir le contrecoup
puisque son comportement ne sera jamais sanctionné. Dans ces conditions, rien n’empêchera
un cybersquatteur de réitérer son forfait à plusieurs reprises. Faire peser le coût de la
procédure sur celui dont il a été reconnu que les droits ont été lésés ne participe pas à une
bonne justice, au sens strict du terme, comme dans son acception la plus large. Si, dans la
procédure UDRP, l’on peut exciper un doute quant à la fiabilité de l’identification du
requérant, tel n’est pas le cas dans la décision technique pour le « .fr », zone dont la fiabilité
des extraits Whois ne laisse que peu de place au doute.
C. Rôle de l’AFNIC
Présentant les PARL dans un document annexe à la Charte de nommage, l’AFNIC
rappelle qu’elle n’a pas vocation à trancher les litiges. Ceux-ci sont en effet résolus par les
autorités judiciaires ou par des centres d’arbitrage et de médiation désigner par la Charte, mais
l’AFNIC intervient néanmoins comme intermédiaire pour fournir les informations nécessaires
à l’identification des parties.
Chacune des PARL du « .fr » et du « .re » est administrée selon le cas, soit par le CMAP,
soit par le Centre de l'OMPI, sans intervention de l'AFNIC qui maintient une stricte neutralité
en sa qualité de registre.
Le rôle de l'AFNIC se limite donc à :
•
•
•
communiquer au « tiers aviseur » CMAP ou à l'expert OMPI les informations en sa
possession sur le titulaire du nom de domaine et son patrimoine de noms de domaine
(nombre et terme)
procéder au gel des opérations sur le ou les noms de domaine faisant l'objet d'une
PARL
appliquer soit la décision arrêtée d'un commun accord par les parties à la suite d'une
« recommandation en ligne », soit la « décision technique » rendue par l'expert OMPI.
Comme le précise la charte de nommage, les PARL du « .fr » et du « .re » ne visent pas les
litiges relatifs à la responsabilité de l'AFNIC ou à celle des prestataires qui sont portées, le cas
échéant, devant les juridictions compétentes.
- 26 -
§ 2. Premier bilan des résolutions de litiges
Même si ces procédures ne permettent pas d’entendre prononcer des interdictions sous
astreinte, des condamnations à des dommages et intérêts, ou bien même d’interjeter un appel
de la décision rendue, nous avons vu que la procédure par décision technique repose sur des
experts hautement qualifiés, garants d’une impartialité et d’une crédibilité incontestables.
Mais là où l'on compte des centaines pour ne pas dire des milliers de contentieux, mettant en
cause la responsabilité des registres, le nombre de litiges portant sur les noms de domaine de
la zone « .fr » et mettant en cause l'AFNIC ou les règles de nommage, dépasse rarement une à
deux affaires par an. Pourtant deux grandes tendances se démarquent déjà, l’une concernant
l’application du principe de spécialité des marques à Internet (A), l’autre la mise en valeur des
comportements délibérément fautifs (B).
A. Interprétations du caractère générique d’une marque et du principe de spécialité
Si la nature franco-française des critères d’attribution du « .fr » justifie que le Centre de
l’OMPI ne prenne pas en considération le principe de territorialité dans ses décisions, celui de
spécialité aurait logiquement pu rentrer en compte dans l’appréciation des litiges. Or, ni la
question de l’étendue des zones couvertes par l’enregistrement (l’UDRP n’imposant pas de
dépôts dans plusieurs pays) ni les classes pour lesquelles a été effectué l’enregistrement de la
marque ne sont examinées lors d’une décision technique. Le principe de spécialité posé par
les articles L711-1 et L713-1 du Code de la propriété intellectuelle ne s’applique donc pas ici.
Le fait de savoir pour quels produits ou services la marque a été enregistrée est dépourvue
de pertinence. Conduisant, en théorie, tout dépôt de marque, même multilingue et hors de
l’alphabet latin à servir de fondement pour une action, et ce quels que soient l’étendue
géographique et les produits ou services couverts. Il s’agit là d’une reconnaissance extensive
des marques. Ainsi, quand ils reconnaissent un droit sur la marque, les experts concluent à
l’identité du nom de domaine et de la marque sans tenir compte ni de l’addition éventuelle de
termes faiblement distinctifs ni des génériques différents ni même des produits ou services
envisagés. Quid des marques à caractère faiblement descriptif ?
Dans une décision du 21 novembre 2003, le centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI
a considéré qu’un « signe qui serait purement générique, utilisable par tous, et qui
désignerait une caractéristique essentielle du produit désigné sans la moindre attractivité, ne
saurait être approprié par quiconque » Tel fut le cas, sous une autre extension, de la formule
nominale « madame.com ». Néanmoins, deux hypothèses dans lesquelles un signe générique
aurait pu faire l’objet d’une appropriation furent mentionnées à l’occasion de cette affaire :
-
lorsque le terme générique est utilisé pour désigner une activité ou un produit pour
lequel il n’est pas usuel de l’employer
lorsque le signe a acquis une renommée suffisante auprès du public, pour que celui-ci
identifie nettement la chose ou le service spécifique proposé, par sa simple évocation.
Enfin, si d’un côté le titulaire de droits sur une marque peut engager une procédure sans
prêter attention au principe de spécialité, de l’autre la contrefaçon de marque ne pourra pas
être engagée uniquement sur le simple acte d’enregistrement d’un nom de domaine similaire.
- 27 -
Ce principe fut rappelé notamment en septembre 2004 lors d’une décision de l’OMPI
mettant en cause un nom de domaine et une marque. L’expert statuant sur un conflit au sujet
du nom de domaine « cybermut.fr », opposant le CIC à la société Skiwebcenter, énonça « S’il
est de jurisprudence constante en France que l’acte de dépôt d’une marque pour désigner des
produits ou services identiques ou similaires à ceux d’une marque antérieure enregistrée
s’assimile à un acte de contrefaçon, ceci ne saurait s’appliquer mutatis mutandis à
l’enregistrement d’un nom de domaine, avec lequel en effet n’est revendiquée aucune liste de
produits ou services »
B. Utilisation du nom de domaine et connaissance de droits antérieurs
L’acte d’enregistrement d’un nom de domaine n’établit peut être pas de facto la
contrefaçon, en revanche l’exploitation qui en est faite permet aux experts de définir le
caractère licite ou non du droit d’usage. L’objectif n’est pas d’apporter la preuve d’une
mauvaise foi du titulaire, comme dans le cadre des procédures UDRP de l’ICANN, mais de
souligner les comportements fautifs, base de toute contestation.
Sur ce point la jurisprudence est claire, l’utilisation d’un nom de domaine dans l’objectif
de spéculer sur la renommée d’une marque, la revente où l’impossibilité d’en disposer
librement, est répréhensible. Ainsi, l’exploitation active comme le non-usagee d’un nom de
domaine peuvent constituer des violations aux droits des marques et aux règles de
concurrence. Dans la précédente affaire, le CIC a obtenu de l’expert qu’il rappelle que
« l’utilisation du nom de domaine au sens du Règlement n’implique pas nécessairement que le
nom de domaine soit actif, c’est à dire permette l’accès à un site ou une page web […] Cette
rétention injustifiée du nom de domaine doit s’analyser au cas particulier comme un acte
d’usage du nom de domaine, privant le requérant de la possibilité d’en disposer »
De même, le requérant affirmait que le nom de domaine avait été utilisé par le défendeur
de façon à orienter les internautes vers son propre site institutionnel « skiwebcenter.com »,
soutenant que cette utilisation avait pour but de « spéculer autour d’une marque de renommée
en France ». Mais le CIC ne rapportant pas la preuve de cet usage, l’expert n’a pas pu se
prononcer sur la matérialité de l’infraction alléguée.
Dans une autre affaire concernant toujours le CIC, l’expert du Centre d’arbitrage et de
médiation de l’OMPI a retenu que le nom de domaine litigieux avait été mis en vente,
déduisant par la même occasion que « les conditions de mise en vente du nom de domaine
constituent une incitation par le défendeur à la violation par des tiers des droits et intérêts
des requérants […] également que le prix de vente offert par le défendeur confirme ses
intentions spéculatives dans l’utilisation du nom de domaine litigieux. En conséquence,
l’expert considère que l’utilisation du nom de domaine litigieux par le défendeur est
intervenue en violation des droits des requérants au titre du principe de loyauté dans les
relations commerciales » Le requérant ayant justifié détenir des droits sur la dénomination en
question, l’expert a donc ordonné la transmission du nom de domaine litigieux, conformément
aux articles 20(b) et (c) du Règlement.
L’utilisation frauduleuse est d’autant plus facile à démontrer quand preuve est faite que le
défendeur a eu connaissance des droits antérieurs du demandeur. Une situation qui tourne à
l’avantage des marques notoires ou renommées mais qui peut faire l’objet d’argumentations
subtiles tout aussi efficaces de la part de marques moins communes. A l’occasion de l’affaire
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« cybermut.fr » précédemment évoquée, le requerrant apporte la preuve que le site marchand
« rueducommerce.com » utilise le système de paiement en ligne Cybermut. Or
« rueducommerce.com » fait partie des références clients du défendeur, mentionnées sur son
propre site. Il est permis de penser que les développeurs de sites web, dont le défendeur fait
partie, sont familiers du système de paiement qu’ils sont amenés à intégrer dans les sites
marchands qu’ils créent pour leurs clients. C’est donc sans surprise que l’expert ordonna « en
application de l’article 20c) du Règlement la transmission du nom de domaine
« cybermut.fr » au profit du requérant, sous réserve de sa conformité avec la Charte »
Enfin, en novembre 2004 dans le litige opposant la société Austrian Airlines à Monsieur
Laurent Nunental au sujet de l’enregistrement, par ce dernier, du nom de domaine
« austrianairlines.fr », l’expert a relevé que la défendeur ne justifiait d’aucune légitimité et
avait profité d’une défaillance du prestataire lors du renouvellement du nom de domaine par
le demandeur. Devant une telle violation du principe de loyauté commerciale, la décision
rendue prononça la transmission du nom de domaine en faveur de la société dont les droits
avaient été méconnues volontairement.
Ces procédures alternatives s’appuient donc sur des règles constituant une sorte de droit
sui generis, spécifiquement adapté à l’Internet et fondé sur des principes plus empiriques que
juridiques. Convaincus du succès de la médiation au sein d’Internet, le Parlement et le Conseil
européens ont adopté, le 22 avril 2002, un règlement prévoyant la mise en oeuvre d’une
politique de règlement extrajudiciaire des différends relatifs à la nouvelle extension « .eu »
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Conclusion
Semblables à des cartes de visite mondiales, les noms de domaine constituent aujourd’hui
une réelle valeur économique notamment auprès des marques qu’ils déclinent. Leur rareté en
a fait une véritable monnaie d’échange dont les premiers cybersquatteurs ont su tirer profit.
Certes, le modèle français a su limiter le nombre de conflits dans la zone de nommage en
« .fr » mais certains n'hésiteront pas à mettre en perspective le nombre de contentieux avec le
nombre d’inscrits gérés par l’AFNIC.
Nous le voyons au terme de cette étude que ce soit en matière de règlements des conflits
ou en matière de gestion des noms de domaine, le flou juridique qui entoure encore la notion
reste entier. Les partisans d’un droit sui generis ont su poser d’un côté la question de
l’opportunité du recours au droit de la propriété intellectuelle compte tenu des limites que
constituent les principes de spécialité et de territorialité. D’un autre côté, affirmer que si un
droit n’est pas ou plus protégé par la propriété intellectuelle, alors sa reproduction ne doit pas
non plus être sanctionnée sur le fondement de la concurrence déloyale, car cela revient à créer
un droit privatif sur quelque chose relevant du domaine public, tout en rendant inutile la
protection spécifique accordée par la loi.
Il s’agit là de véritables interrogations de fond, sur lesquelles les institutions
internationales régissant Internet, en collaboration avec les Etats, feraient bien de se pencher
rapidement. Car si les noms de domaines ont fait l’objet de nombreuses études depuis leur
création, en revanche la question du courrier électronique n’a jamais été abordée par la
doctrine. Or, il faut savoir que quiconque peut créer des adresses électroniques gratuitement
grâce à des sites spécialisés. On peut donc suivant la règle du « premier arrivé, premier servi »
s’en offrir une à son nom mais aussi au nom de quelqu’un d’autre, dans l’ignorance de celuici. Ainsi, on se trouve en matière de courrier électronique dans la même situation que pour les
noms de domaine il y a encore cinq ou six ans…
Des lois claires et précises limiteraient le nombre de conflits et apporteraient des solutions
équitables aux litiges. Elles contribueraient à faire de l’Internet un espace juridique sécurisé.
Mais est-il bien souhaitable de légiférer dans le domaine de l’Internet, cet espace de liberté
pour les échanges mondiaux ? Au contraire, ne vaudrait-il pas mieux le laisser engendrer lui
même son propre droit, s’autoréguler hors de cadres étatiques, puisqu’il est par nature
universel ?
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