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INVICTUS
Son peuple espérait un leader.
Il leur a offert un champion.
John Carlin
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Titre original anglais :
PLAYING THE ENEMY
NELSON MANDELA AND THE GAME THAT MADE A NATION
© 2008 par John Carlin
Published by The Penguin Group
Penguin Group (USA) Inc., 375 Hudson Street, New York, NY 10014, USA.
© 2009 Ariane éditions
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Révision linguistique : Francine Dumont, Monique Riendeau
Graphisme : Carl Lemyre
Mise en page : Kessé Soumahoro
Image en page couverture : Motion Picture Artwork © Warner Bros. Entertainment Inc.
All Rights Reserved.
Première impression : novembre 2009
ISBN : 978-2-89626-070-6
Dépôt légal : 2009
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Bibliothèque et archives Canada
Bibliothèque nationale de Paris
Gouvernement du Québec — Programme de crédit d’impôt
pour l’édition de livres — Gestion SODEC
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Canada : ADA Diffusion — (450) 929-0296
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France, Belgique : D.G. Diffusion — 05.61.000.999
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Suisse : Transat — 23.42.77.40
Imprimé au Canada
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Pour mon fils, James Nelson
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Table des matières
INTRODUCTION
I:
DÉJEUNER À HOUGHTON
17
II :
LE MINISTRE DE LA JUSTICE
27
III :
COMMODITÉS SÉPARÉES
45
IV :
MANŒUVRER LE KROC
57
V:
DES PLANÈTES DIFFÉRENTES
67
VI :
AYATOLLAH MANDELA
79
VII :
LE ROI-TIGRE
95
VIII :
LE MASQUE
105
IX :
CEUX QUI PERSISTENT
119
X:
IDYLLE AVEC LE GÉNÉRAL
129
XI :
« PARLEZ À LEUR CŒUR »
139
XII :
LE CAPITAINE ET LE PRÉSIDENT
153
XIII :
LA SÉRÉNADE DU SPRINGBOK
165
XIV :
SILVERMINE
177
XV :
LES THOMAS
185
XVI :
LE CHANDAIL NUMÉRO SIX
193
XVII :
« NELSON ! NELSON ! »
203
XVIII :
DU SANG DANS LA GORGE
215
AIME TON ENNEMI
227
XIX :
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ÉPILOGUE
239
OÙ SONT-ILS MAINTENANT ?
243
REMERCIEMENTS
247
UN MOT CONCERNANT LES SOURCES
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« Ne parlez pas à leur cerveau, mais à leur cœur. »
— Nelson Mandela
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INTRODUCTION
La première personne à qui j’ai parlé de mon projet d’écrire ce livre fut
Nelson Mandela. Nous nous sommes réunis dans le salon de sa maison
de Johannesburg en août 2001, deux ans après sa retraite de la présidence de l’Afrique du Sud. Après quelques échanges de plaisanteries,
auxquelles il excelle, et de souvenirs partagés sur les années de transition
politique difficiles en Afrique du Sud, à propos desquelles j’écrivais des
articles pour un journal britannique, je lui ai soumis ma proposition.
En brossant un tableau des grandes lignes, je lui ai mentionné que
toutes les sociétés aspirent à une forme d’utopie ou à une autre, qu’elles
le sachent ou non. Les politiciens s’appuient sur l’espoir des gens selon
lequel le paradis sur terre est chose possible. Comme ce n’est pas le cas,
la vie des nations, de même que celle des individus, est un perpétuel
combat dans la poursuite des rêves. Dans le cas de Mandela, le rêve
qui lui a permis de survivre vingt-sept ans en prison en était un qu’il
partageait avec Martin Luther King Jr : qu’un jour le peuple de son
pays ne soit plus jugé par la couleur de sa peau, mais par ses traits de
caractère.
Pendant que je parlais, Mandela était assis, impénétrable tel un
sphinx, comme chaque fois qu’une conversation devient sérieuse et
qu’il lui prête toute son attention. Vous ne pouvez savoir, alors que
vous poursuivez votre propos, s’il vous écoute ou s’il est perdu dans ses
pensées. Mais lorsque j’ai cité King, il a approuvé, lèvres serrées, d’un
bref signe du menton.
Encouragé, j’ai ajouté que le livre que je voulais écrire traiterait de
la passation pacifique du pouvoir en Afrique du Sud, du règne des
Blancs vers le règne de la majorité, de l’apartheid vers la démocratie. Ce
livre couvrirait une période de dix ans, en commençant par le premier
contact politique qu’il a eu en 1985 (j’ai encore eu droit à un signe de
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tête), alors qu’il était toujours en prison. En ce qui concerne le thème,
il devrait s’appliquer partout où l’on retrouve des conflits causés par
l’incompréhension et la méfiance qui vont de pair avec le tribalisme
congénital de l’espèce. J’utilisais « tribalisme » au sens le plus large du
terme, tel qu’il s’applique à la race, à la religion, au nationalisme ou à la
politique. George Orwell l’a défini comme l’« habitude d’assumer que
tous les humains peuvent être classés comme des insectes et que ceux-ci
peuvent, en toute confiance, être étiquetés comme “bons ou mauvais”
par millions ou dizaines de millions ». Depuis la chute du nazisme,
nulle part ailleurs n’a-t-on vu cette habitude déshumanisante aussi complètement institutionnalisée qu’en Afrique du Sud. Mandela lui-même
a qualifié l’apartheid de « génocide moral », pas au sens des camps de la
mort, mais comme une extermination insidieuse de l’estime personnelle
des gens.
Pour cette raison, l’apartheid était le seul système politique dans le
monde sur lequel, au plus fort de la guerre froide, plusieurs pays comme
les États-Unis, l’Union soviétique, l’Albanie, la Chine, la France, la
Corée du Nord, l’Espagne, Cuba s’accordaient à dire, selon la définition des Nations Unies, que c’était « un crime contre l’humanité ».
Pourtant, de cette injustice démesurée est née une réconciliation tout
aussi démesurée.
J’ai mentionné à Mandela qu’au cours de mon travail journalistique,
j’avais rencontré de nombreuses personnes s’efforçant de faire la paix
au Moyen-Orient, en Amérique latine, en Afrique, en Asie et que pour
ces gens l’Afrique du Sud était un idéal à atteindre. Dans l’industrie de
la « résolution de conflits », florissante depuis la fin de la guerre froide,
lorsque les conflits locaux ont commencé à jaillir autour du globe, l’approche sur la manière d’atteindre la paix par des moyens politiques était
la « révolution négociée » de l’Afrique du Sud, comme quelqu’un l’a
un jour nommée. Aucun pays n’avait été capable de se débarrasser de
la tyrannie pour développer une démocratie d’une façon aussi habile,
aussi humaine. Beaucoup de choses ont été écrites, je l’admets, sur les
rouages du « miracle de l’Afrique du Sud ». Mais ce qui manquait, à
mon avis, était un livre sur l’aspect humain et sur l’aspect miraculeux
du miracle, pourrait-on dire. J’envisageais une histoire positive sans
regrets démontrant l’animal humain à son meilleur ; un livre sur un
héros de chair et de sang, un livre à propos d’un pays dont la majorité
noire aurait dû crier vengeance, mais qui a plutôt suivi l’exemple de
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INTRODUCTION
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Mandela et donné au monde entier une leçon sur le pardon véritable.
Mon livre comprendrait un vaste éventail de personnages, des Noirs et
des Blancs dont les histoires véhiculeraient la face vivante de la cérémonie du pardon de l’Afrique du Sud. Et il traiterait aussi d’une époque
dans l’histoire où vous observez l’entourage des leaders dans le monde
et où la plupart de ceux que vous avez vus avaient le moral d’une puce
(le « sphinx » n’a pas bronché en entendant cela). Il ne s’agirait pas d’une
biographie, mais d’une histoire qui jetterait la lumière sur le génie politique de Mandela, sur le talent qu’il a déployé à gagner le peuple à sa
cause en faisant appel à ses qualités profondes, en faisant ressortir, selon
une expression d’Abraham Lincoln, les anges de leur nature.
Puis j’ai ajouté encore que la trame du livre tournerait autour du
drame d’un événement sportif en particulier. Le sport était un puissant
mobilisateur des émotions de la masse et une machine à façonner les
perceptions politiques. (Encore un signe de tête, bref et court.) J’ai cité
en exemple les Jeux olympiques de Berlin de 1936, dont Hitler s’est
servi pour promouvoir l’idée de la supériorité arienne, bien que l’athlète noir américain Jesse Owens ait bousillé ces plans en gagnant quatre
médailles d’or. Un autre exemple rappelait le fait que Jackie Robinson,
le premier homme noir à jouer dans la ligue majeure de baseball, avait
aidé à mettre en branle les changements de conscience nécessaires qui
allèrent mener à de grands changements sociaux en Amérique. J’ai aussi
mentionné la victoire inattendue des Américains contre l’Union soviétique au hockey, aux Jeux olympiques d’hiver de 1980, une victoire très
importante puisqu’elle a été gagnée en sol américain.
J’ai ensuite rappelé à Mandela une phrase qu’il a utilisée une ou
deux années plus tôt en remettant un prix d’excellence pour l’ensemble de ses réalisations à l’étoile brésilienne de soccer, Pelé. Il a dit, et je
cite d’après des notes que j’avais apportées : « Le sport a le pouvoir de
changer le monde. Il a le pouvoir d’inspirer et d’unir un peuple comme
peu d’autres événements peuvent le faire. […] Il est plus puissant que
les gouvernements pour briser les barrières raciales. »
Finalement, au bout du compte, j’ai précisé à Mandela quel serait le
cœur de mon livre et pourquoi j’aurais besoin de son appui. Je lui ai dit
qu’un événement sportif avait retenu l’attention plus que tous les autres
que j’avais mentionnés, un événement vers lequel convergeaient tous les
thèmes que j’avais abordés pendant cette conversation. Un événement
qui évoquait de façon magique le rêve de la « symphonie de la frater-
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nité » de Martin Luther King. Un événement vers lequel convergeaient
aussi tout ce que Mandela s’était efforcé de faire et ce pour quoi il avait
souffert durant sa vie. Je référais à la finale de…
Soudainement, son sourire a illuminé la pièce et, en joignant les
mains, heureux d’avoir deviné l’événement en question, il a terminé ma
phrase : « … la Coupe du monde de rugby de 1995 ! » Voyant mon sourire confirmer sa réponse, il a ensuite ajouté : « Oui. Oui. Absolument !
Je comprends très bien le genre de livre auquel vous pensez. » Sa voix
était forte, comme s’il avait 42 ans et non 82 ans. « John, vous avez ma
bénédiction. Je vous la donne de tout cœur. »
Dans un esprit de camaraderie, nous nous sommes donné la main
et dit au revoir, et nous avons convenu de nous rencontrer de nouveau
dans un proche avenir. Lors de cette deuxième entrevue, tandis que
j’enregistrais notre entretien, il m’a expliqué comment il avait formé
l’idée du pouvoir du sport sur la politique alors qu’il était en prison. Et
comment, plus tard, la Coupe du monde de rugby de 1995 allait servir
le but stratégique qu’il s’était donné pendant ses cinq années à titre de
premier président de l’Afrique du Sud élu démocratiquement. Ce but
visait à rapprocher les Blancs et les Noirs et créer les conditions d’une
paix durable dans un pays qui, à peine cinq ans plus tôt, à sa sortie de
prison, réunissait toutes les conditions pour une guerre civile. Il m’a
parlé, souvent en riant, des problèmes qu’il a rencontrés au cours de ses
tentatives de persuader son propre peuple d’appuyer l’équipe de rugby,
puis, avec affection et estime, de François Pienaar, le grand fils blond
de l’apartheid qui était le capitaine de l’équipe de l’Afrique du Sud, les
Springboks, et du gérant de l’équipe, un autre Afrikaner géant, Morné
du Plessis, que Mandela décrit, avec un anglais britannique courtois,
comme « un chic type ».
Après avoir discuté avec Mandela ce jour-là, toutes sortes de gens
ont accepté d’avoir des entretiens avec moi dans le cadre de mon livre.
J’avais déjà accumulé beaucoup de matière brute pour mon projet pendant les six années pleines de rebondissements passées à travailler en
Afrique du Sud, de 1989 à 1995, en tant que chef de pupitre pour l’Independent de Londres. Je suis aussi retourné en Afrique du Sud au cours
des dix années suivantes pour des missions journalistiques. Cependant,
c’est seulement après les premières rencontres avec Mandela que j’ai
sérieusement entrepris le travail de recherche. Ma première entrevue fut
avec Hennie LeRoux, l’étoile de l’équipe championne des Springboks.
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Vous ne vous attendez pas à sortir d’une entrevue avec un joueur de
rugby en ressentant une sensation de chaleur intérieure et de sentimentalité. Mais c’est ce qui m’est pourtant arrivé, car Le Roux avait été
ému après avoir discuté de Mandela et du rôle que lui, un Afrikaner
décent mais peu versé en politique, avait joué dans la vie nationale de
son pays. Nous avons passé deux heures ensemble dans son bureau, et
il a dû s’arrêter trois ou quatre fois au milieu d’une phrase pour ravaler
ses sanglots.
L’entrevue avec Le Roux a donné le ton aux douzaines d’autres que
j’ai faites pour ce livre. Dans de nombreux cas, il y avait un moment
où les yeux de mon interlocuteur se remplissaient de larmes, plus particulièrement lorsqu’il s’agissait d’une personne du monde du rugby. Et
dans tous les cas, que ce soit l’archevêque Desmond Tutu ou l’Afrikaner,
nationaliste de droite, le général Constand Viljoen ou, encore, son frère
jumeau, Braam, un gauchiste, tous ont revécu les périodes dont nous
discutions dans une humeur optimiste proche parfois de l’euphorie.
Plus d’une fois, les gens ont mentionné que le livre que j’allais
écrire semblait être une fable, une parabole ou un conte de fées. Il était
curieux d’entendre ce genre de propos de la bouche même de réels protagonistes d’une histoire politique sanglante, mais c’était vrai. Le fait
que l’histoire se passe en Afrique et implique une joute de rugby était
presque accessoire. Si cela s’était passé en Chine, avec une trame centrée
sur une course de buffles, l’histoire aurait pu être tout aussi exemplaire
puisqu’elle remplissait les deux conditions de base pour un conte de fées
à succès : une histoire aux rebondissements incroyables et une morale
pour les âges.
Deux autres pensées m’ont frappé en faisant le point sur tout le
matériel accumulé pour ce livre. La première est le génie politique de
Mandela. Ramenée à sa plus simple expression, la politique consiste
à persuader les gens, à les gagner à sa cause. Tous les politiciens sont
des séducteurs professionnels. Leur métier est de séduire les gens. Et
s’ils sont habiles et experts dans leur domaine, s’ils possèdent un talent
pour soulever la population, ils deviendront prospères. Lincoln avait ce
talent, tout comme Roosevelt, Churchill, de Gaulle, Kennedy, Martin
Luther King, Reagan, Clinton, Blair, Arafat et Hitler. Tous ont gagné
les gens à leur cause. Cependant, où Mandela, l’anti-Hitler, avait une
longueur d’avance sur ces derniers, où il était unique, c’était dans l’étendue de son ambition. Non seulement a-t-il gagné son propre peuple à sa
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cause, ce qui en soi est un grand exploit, car ce peuple représentait un
groupe disparate issu de toutes les croyances, couleurs et tribus, mais il
a aussi gagné l’ennemi à sa cause. Comment il a réussi cela, comment
il a gagné un peuple qui avait applaudi son emprisonnement, qui souhaitait sa mort, qui voulait lui faire la guerre, voilà le sujet principal de
ce livre.
La deuxième pensée qui m’a frappé était la suivante : au-delà de l’histoire, au-delà même d’un conte de fées, ce livre pourrait, sans le vouloir,
s’ajouter aux livres de développement personnel qui offrent aux gens des
modèles en vue de prospérer dans leur vie de tous les jours. Mandela
a maîtrisé, plus que toute autre personne vivante (et peut-être même
décédée), l’art de se faire des amis et d’influencer les gens. Peu importe
qu’ils aient été d’extrême gauche ou d’extrême droite, qu’initialement
ils craignaient Mandela, le détestaient ou l’admiraient, tous ceux que
j’ai interviewés se sont sentis renouvelés et améliorés par son exemple.
Tous, lorsqu’ils parlaient de lui, semblaient s’illuminer. Ce livre cherche
humblement à refléter un peu de la lumière de Mandela.
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