Le low cost, modèle d`avenir ?

Transcription

Le low cost, modèle d`avenir ?
Le low cost, modèle d’avenir ?
Le 7 février dernier, au pied de la tour Eiffel, Luc Chatel, secrétaire d’État à la Consommation et au
Tourisme, souriait à l’objectif des photographes en compagnie d’Andrew Harrison, le PDG d’Easyjet.
Une mise en scène destinée à saluer l’ouverture d’une nouvelle base de la compagnie aérienne low cost
à l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle. Longtemps décrié, le low cost a le vent en poupe depuis que le
gouvernement voit dans son développement un moyen de redonner du pouvoir d’achat aux Français
sans avoir à augmenter les salaires.
« Le low cost est un modèle économique trop méconnu, et pourtant il est innovant et porteur d’espoir
pour le pouvoir d’achat des Français », s’enthousiasmait Luc Chatel en décembre, lors de la remise du
rapport sur ce thème qu’il avait commandé à Charles Beigbeder, le PDG de l’opérateur énergétique
Poweo. Innovant, le low cost l’est effectivement à bien des égards, mais les bénéfices de son
développement sont en revanche plus hasardeux.
Quoi de commun entre les billets d’avion Ryanair ou Easyjet, la Logan de Renault, les nuits d’hôtel au
Formule 1 ou à Etap Hôtel, les produits alimentaires vendus par Lidl ou leader Price, les meubles Ikéa
ou Conforama, les vêtements Zara ou H&M, les fleurs à l’enseigne Happy ou encore les coupes de
cheveux dans les salons de coiffure Tchip ?
Accélérer la rotation du capital
Derrière les offres à bas prix qui se sont multipliées ces dernières années dans le paysage commercial
français, révélant au passage l’existence de segments de marchés jusqu’ici peu ou, pas exploités, il y a à
chaque fois, à peu de choses près, le même modèle économique le low cost. Un modèle basé sur la
compression des coûts à tous les stades de la production et de la distribution. Même s’il existe des
variantes d’un secteur a l’autre, il fonctionne toujours selon deux grands principes : l’accélération de la
rotation du capital et la simplification du produit. Explications.
Il y a deux manières pour une entreprise de faire des profits : soit elle maximise la marge réalisée sur
chaque produit qu’elle vend, soit elle joue sur le niveau du capital (au sens large) qu’elle investit pour
chaque unité produite. Qu’il s’agisse des moyens de production proprement dits (machines,
équipements), des locaux, des achats, des stocks ou encore de la main-d’œuvre. Accélérer la rotation du
capital revient donc à chercher à ce que chaque euro investi engendre le maximum de chiffre d’affaires.
Ce qui permet d’atteindre une rentabilité et des profits supérieurs à ses concurrents, même si on réalise
une marge opérationnelle bien moindre qu’eux.
Dans chaque secteur, le défi pour une entreprise low cost consiste donc à trouver le moyen d’optimiser
l’utilisation de l’argent mobilisé par son activité. Pour les compagnies aériennes à bas coût, cette
stratégie les a conduites à densifier le nombre de sièges disponibles dans les appareils : on compte ainsi
156 sièges dans les Airbus A319 d’Easyjet, contre 142 habituellement, ce qui permet d’augmenter la
capacité de chaque avion de 10%. Elles préfèrent aussi la desserte d’aéroports secondaires, non
seulement parce que les taxes aéroportuaires y sont moins élevées que sur les grandes plates-formes,
mais aussi parce qu’ils sont moins embouteillés et permettent des décollages et des atterrissages
rapides : « Le temps d’escale d’un low cost est de l’ordre de 20 minutes, contre 45 minutes pour un
transporteur classique, ce qui lui permet […] de programmer jusqu’à cinq allers-retours journaliers »
note le rapport Beigbeder.
Selon la même logique, les enseignes de bricolage et d’ameublement enfreignent depuis des années
l’interdiction d’ouvrir leurs magasins le dimanche : un moyen simple pour elles d’accroître leur chiffre
d’affaires à surface inchangée. Dans l’habillement, alors que les marques traditionnelles sortent une
collection par saison, Zara ajoute de nouvelles collections dans ses magasins toutes les deux ou trois
semaines, afin de stimuler ses ventes tout au long de l’année. Même objectif du côté du hard-discount
alimentaire, qui s’est développé en cherchant à écouler les plus gros volumes de marchandises en un
temps aussi réduit que possible. Le principe jadis adopté par la grande distribution classique à ses
débuts, mais qu’elle a aujourd’hui un peu délaissé au profit du gonflement de ses marges. […]
Augmenter la productivité des salariés
Dans les activités intenses en main-d’œuvre, cet impératif a pour conséquence la recherche d’une plus
grande productivité des salariés et la réduction de leurs effectifs au strict minimum. Il est bien connu
désormais que, sur les compagnies aériennes low cost, le personnel navigant se transforme une fois le
décollage effectué en vendeurs de boissons, de repas et autres produits à forte marge bénéficiaire, et
qu’après l’atterrissage, il lui revient de nettoyer l’appareil pour le prochain vol. Les pilotes eux-mêmes
effectuent plus d’heures de vol que chez les autres compagnies : entre 800 et 900 heures par an chez
Ryanair, contre 600 en moyenne chez Ai r France - KLM.
Mais qui sait que dans les salons de coiffure Tchip, les méthodes de coupe de cheveux employées
visent à éliminer tous les gestes superflus, permettant ainsi de minimiser le temps passé avec chaque
client ? De même l’installation des distributeurs de clés dans les hôtels Formule 1 répond au souci
d’éviter l’embauche de veilleurs de nuit ! D’une manière générale, dans les activités low cost, les frais
de personnel pèsent moins lourd que chez leurs concurrents classiques, à l’instar de Ryanair chez qui ils
représentent 13% des coûts totaux, contre 30% chez Air France. Cette modération s’obtient aussi en
jouant sur les écarts de rémunérations d’un pays à un autre. Les salariés français de Ryanair et
d’Easyjet travaillent ainsi sous des contrats de droit irlandais ou britannique. Tandis que la Logan est
fabriquée uniquement dans les pays émergents ou que H&M s’approvisionne à 60% en Asie.
Simplifier le produit
L’autre grand axe de réduction des coûts dans ces activités, c’est la simplification de l’offre
commerciale. À rebours de la tendance de nos économies post-fordiennes à produire des services
toujours plus élaborés et des biens incluant une part croissante d’immatériel, le low cost postule qu’il y
a une clientèle pour des biens et des services réduits à leur plus simple expression. Dans les avions low
cost, il n’y a donc qu’une seule classe de voyage et le placement est libre, ce qui permet entre autres
d’économiser les frais de gestion liés au système de réservation. […]
Le hard-discount alimentaire présente, quant à lui, un nombre restreint de produits (700 références en
moyenne chez Aldi, contre 50 000 dans un hypermarché classique), pourvus d’emballages banalisés
dans des magasins dépourvus de décoration, moins éclairés et moins chauffés que les grandes surfaces
traditionnelles. L’hôtellerie low cost ne propose aucune prestation annexe, comme la restauration, et ses
chambres sont parfois dépourvues de télévision, voire même de fenêtre, comme chez Easyhotel à
Londres.
Cette simplification permet d’écraser nombre de centres de coûts des entreprises traditionnelles, en
particulier la publicité et le marketing. Elle aboutit souvent à déplacer une partie du service assuré
habituellement par l’entreprise vers le consommateur lui-même : le passager d’une compagnie low cost
est ainsi invité à imprimer lui-même son billet et à s’enregistrer sur Internet, tandis que le client du
hard-discount doit prendre ses produits stockés sur une palette ou dans des cartons, ou que le visiteur
des magasins de meubles à petit prix va chercher ses achats dans l’entrepôt du magasin pour les
transporter jusqu’à son domicile, où il les monte lui-même au lieu d’être livré d’un produit clé en main.
Un risque pour l’emploi et l’environnement
Si le low cost a trouvé sa place dans le paysage commercial hexagonal, sa pénétration est parfois plus
forte dans d’antres pays, comme le souligne le rapport Beigbeder, qui conclut à un véritable « retard
français » en la matière. À l’appui, l’observation des deux secteurs où il est né : l’aérien et les produits
alimentaires. Le low cost dans l’aérien ne pèse en effet que 12% du trafic en France contre 36% au
Royaume-Uni. Le hard-discount ne représente quant à lui que 13% dans l’alimentaire, contre 30% en
Allemagne.
Convaincu que son développement est générateur d’emplois et de pouvoir d’achat, le PDG de Poweo
préconise dons au gouvernement de faciliter l’entrée d’opérateurs low cost sur les marchés de grande
consommation, grâce à l’assouplissement des règles qui les encadrent. Cela va de la suppression des
lois limitant l’implantation des grandes surfaces, « qui ont freiné l’essor du hard-discount et les baisses
de prix dans la grande distribution » à l’autorisation de l’ouverture des magasins d’ameublement et de
bricolage le dimanche, en passant par l’introduction d’un nouvel opérateur virtuel dans la téléphonie
mobile et la fin du monopole des pharmacies sur les médicaments sans ordonnance. Ou encore la
réforme des créneaux de décollage et d’atterrissage des avions, dans le but de développer les vols low
cost sur les lignes domestiques non desservies par le TGV.
Certains de ces marchés - en particulier la grande distribution, les télécoms ou la pharmacie - sont
certes protégés par des barrières à l’entrée, qui permettent à leurs acteurs traditionnels de bénéficier de
rentes de situation. À n’en pas douter, l’entrée d’acteurs low cost constituerait une bonne nouvelle pour
les ménages au budget le plus contraint. Mais de là à en attendre un effet massif sur le pouvoir d’achat
...L’essor du low cost aérien a sans doute effectivement permis à des français qui n’en avaient pas les
moyens jusqu’ici de prendre l’avion. Mais les principaux clients de ces compagnies restent des
personnes qui en avaient déjà la possibilité et qui profitent de cette aubaine pour voyager un peu plus.
Sur l’emploi, le bénéfice apparaît plus qu’incertain. Dans le transport aérien, les compagnies à bas
coûts, en faisant grossir la taille du marché, ont en effet créé de l’emploi, mais souvent au prix de
conditions de travail dégradées. Sur un marché aussi atone que l’alimentaire, la progression du harddiscount aura peu d’impact sur la demande - on ne va pas se mettre à manger beaucoup plus ! Mais il
aura pour résultat de détruire de l’emploi : pour résister à cette concurrence, les grands groupes
traditionnels de la distribution comprimeront à leur tour leurs coûts, afin d’engager la bataille des prix.
En outre, une telle dynamique pourrait niveler par le bas les marchés des produits de grande
consommation, alors que ceux-ci, jusqu’à récemment, s’engageaient plutôt dans une démarche de
qualité et d’enrichissement de l’offre. Bref, pas vraiment de quoi stimuler l’innovation et la croissance
sur le long terme. Dernier motif d’inquiétude, négligé par les chantres du low cost : son impact
environnemental. Est-il encore d’actualité, à l’heure du Grenelle de l’environnement, de relancer
l’urbanisme commercial et d’encourager l’essor du trafic aérien ?
Le succès du low cost jusque dans les couches les plus aisées de la population annonce-t-il la fin de la
société de consommation ? Les consommateurs semblent acheter de plus en plus de biens et de services
pour leur utilité réelle et non plus pour la part de rêve et le statut social qu’ils véhiculent grâce à la
publicité et au marketing. Mais cette idée se heurte à un phénomène comme l’essor du luxe, Celui-ci se
développe à un rythme soutenu selon une double dynamique : à la fois, il se « démocratise », comme en
atteste la pénétration de grands noms du luxe français comme Dior, Lacoste ou Louis Vuitton jusque
dans les milieux défavorisés ; et en même temps, il monte en gamme pour suivre l’explosion des
revenus de la caste des très riches dans le monde entier.
Dans le luxe en comme dans de nombreux secteurs de consommation, vendre consiste à exploiter au
maximum le consentement à payer de chaque segment de consommateurs. Dans ce système, les valeurs
immatérielles occupent par conséquent une place centrale : la dimension hédoniste et le sentiment
d’appartenance à une communauté ainsi cultivés expliquent le succès mondial de l’ipod, vendu à plus
de 100 millions d’exemplaires depuis son lancement, malgré son prix plus élevé que tous les autres
baladeurs numériques. Dès lors, comme le souligne Gilles Lipovetsky, « celui qui visite un magasin
discount n’est pas un sous-consommateur, mais un hyper consommateur, qui contrôle certaines
dépenses ici, afin de pouvoir accéder là à des plaisirs diversifiés, à des consommations ludiques,
communicationnelles et émotionnelles ».
Marc Chevalier, Alternatives Économiques, n°267, mars 2008
Quelques questions pour guider la réflexion
Qu’appelle-t-on « le pouvoir d’achat des français » et comment mesure-t-on ses
évolutions ?
Comment définit-on et évalue-t-on « la productivité des salariés » ?
En quoi peuvent consister « les barrières à l’entrée d’un marché » ? Qui les
installe et pour quelles raisons ?
Qu’est-ce que « la dimension hédoniste » d’un acte de consommation ? À quelle(s)
théorie(s) de la consommation pourrait-on rattacher cette idée ?
Proposez une définition du « modèle économique du low cost » et exposez les
moyens mis en œuvre par les entreprises qui le pratiquent.
Qui tire des avantages et lesquels du « modèle économique du low cost » ?
Quels effets le modèle économique du low cost produit-il sur l’emploi et sur
l’environnement ?
Au total, comment évaluer le modèle économique du low cost en s’interrogeant sur
ses modalités de fonctionnement et sur des différentes conséquences économiques ?