note sur la loi DADVSI.rtf

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Loi sur le droit d’auteur au Sénat début mai
En quoi sommes-nous directement interpellés ?
En 2003, le gouvernement a déposé un projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits
voisins dans la société de l'information, pour transposer la directive européenne 2001/29 du
22 mai 2001..
Il s’agit principalement d’adapter le droit d’auteur aux évolutions des technologies
numériques.
Fin 2005, le gouvernement a décidé d’en faire débattre le Parlement selon la procédure
d’urgence (une seule lecture).
Ce projet présente les caractéristiques suivantes :
- Alors que le droit d’auteur est un équilibre savant entre la protection des auteurs et des
éditeurs d’une part et la diffusion de la connaissance, l’accès à la culture d’autre part, le projet
est complètement déséquilibré en faveur des intérêts des industriels de la culture. On a même
vu les députés discuter doctement en séance d’un amendement appelé « amendement
Vivendi » !
- La jeunesse est la principale cible de cette loi parce qu’elle porte de nouvelles pratiques
sociales d’accès à la culture qui dérangent le modèle économique des industriels de la culture.
- La loi légalise des verrous espions, appelés DRM (Digital Rights Management) ou MPT
(Mesures Techniques de Protection) qui limiteront le nombre de copies, leur usage (il est
possible par exemple d’interdire la lecture d’un DVD un samedi soir) et à ces fins permettront
de surveiller ordinateur et vie privée.
- les médias ont vendu une fable selon laquelle le débat opposerait des jeunes téléchargeurs
irresponsables, installés dans l’idée de la culture gratuite, qui ne se rendent pas compte qu’ils
vont tuer les créateurs, aux « industriels » de la musique qui, avec les artistes, défendent la
création artistique au nom de l’intérêt général.
Cette fable appelle trois observations :
D’abord rien ne prouve que le téléchargement soit à l’origine de la vente des CD (en fait les
téléchargeurs sont les plus gros acheteurs de CD et la baisse de ventes de CD parmi les jeunes
a sans doute plus à voir avec ce que leur coûte leur téléphone portable).
Deuxièmement, les intérêts en présence sont bien plus complexes : Seuls aujourd’hui les
éditeurs-producteurs de musique enregistrée (les fameux « majors » : Vivendi-Universal,
Sony, Virgin, Warner…) et les auteurs à succès tirent l’essentiel de leurs revenus des ventes
de CD à l’unité, ce qui n’est le cas ni des autres auteurs, ni des artistes-interprètes dont les
revenus proviennent des spectacles vivants, de la redevance sur les supports vierges, ou de la
rémunération au titre de la radio et de la télé.
Si tous les artistes n’ont pas les mêmes intérêts, c’est également le cas des « industriels » : les
opérateurs de téléphonie mobile (qui après le marché juteux des sonneries visent le marché du
téléchargement), les fournisseurs d’accès Internet, les distributeurs (Fnac, Virgin,…), les
éditeurs de logiciels (Microsoft), les constructeurs de matériel (baladeurs numériques) ont des
stratégies diverses, dont celle….d’avaler des maisons de disques pour maîtriser les contenus
(ce qu’a déjà fait Sony).
Troisièmement, la question du téléchargement pose une question qui n’est pas celle qui est
avancée dans les médias.
- La question est de trouver le modèle économique qui va avec de nouvelles pratiques d’accès
à la culture, par ailleurs bien plus intéressantes que celles qui sont imposées aujourd’hui par
les industriels.
Observons d’abord que les éditeurs/producteurs de musique se sont historiquement opposés à
toutes les innovations (dans l’ordre chronologique : au piano mécanique, au phonographe, à la
radio, à la cassette audio, à la cassette vidéo, au CD, au DVD, et maintenant au
téléchargement et aux webs radios), avant que des solutions équilibrées respectant le droit
d’auteur comme le droit d’accès à la culture ne soient trouvées à la suite d’affrontements entre
acteurs sociaux par exemple la redevance sur les supports vierges pour permettre la copie
privée ou la rémunération au titre de la diffusion à la radio) ?
Le modèle économique des « industriels » est bien connu : on sélectionne un petit nombre
d’artistes à qui on donne accès au marché, on met le paquet du marketing sur eux, et comme
cela coûte cher, on veut un retour sur investissement, on ne garde dans les bacs des disquaires
(ou dans les bacs des libraires ou à l’affiche des cinés) que ce qui se vend bien (bestsellers ou
blockbusters). Les autres sont éjectés rapidement du marché.
Ce qui est en jeu avec le téléchargement, ce sont de nouvelles pratiques culturelles permises
par les nouvelles technologies qui ont fortement réduit les coûts de (re)production et de
diffusion des œuvres : on échange entre soi (de pair à pair), on s’informe, on écoute, on
retrouve des morceaux anciens introuvables, on apprend à connaître de nouvelles musiques,
de nouveaux artistes, si ça plaît on achète, et on saura bien trouver le modèle économique qui
va avec ces pratiques interactives.
Le projet de loi est inscrit dans un déni de l’avenir : d’ailleurs la loi sera inapplicable
En quoi sommes nous concernés ?
Pour au moins deux raisons
Nous sommes concernés par la question de l’accès à la culture et de l’équilibre entre le
droit des auteurs et le droit de l’accès à la culture.
La FSU a produit deux communiqués les 12 octobre et 22 décembre dernier (fichier joint)
A l’Assemblée, le texte initial a été atténué : les sanctions contre les téléchargeurs ont été
réduites, des exceptions ont été prévues (notamment pour les bibliothèques et les handicapés),
la possibilité pour les jeunes créateurs de diffuser gratuitement a été ouverte, et surtout
l’assemblée a voté de principe de l’interopérabilité qui impose qu’un fichier téléchargé sur un
site soit utilisable sur n’importe quel appareil.
Mais le plus important est que les députés sont revenus sur le principe de la licence globale
(rémunération forfaitaire sur l’accès à Internet) et qu’ils ont adopté la logique des industriels
visant à verrouiller l’accès aux oeuvres par les fameux DRM : le nombre de copies autorisées
sera fixée pour chaque support et chaque appareil par un « collège de médiateurs » et l’usage
des fichiers sera contrôlé.
Nous sommes directement concernés au niveau de nos pratiques professionnelles.
L’Assemblée a refusé de reconnaître l'exception pédagogique (pour l’utilisation de documents
audiovisuels à des fins de recherche et d’éducation), qui figure pourtant dans la directive
européenne dont la loi prétend être une application. En effet, le duo De Robien-Donnadieu a
préféré, fin février, signer dans des conditions douteuses et sans aucune consultation un
accord avec le Syndicat national de l'édition, et d’autres ayants-droit, qui limite
singulièrement les possibilités pour des enseignants d’utiliser des documents pendant leurs
cours ou sur les sites des établissements (cf fichier joint de l’accord).
Les documentalistes et de nombreuses disciplines, certaines plus que d’autres, sont
directement concernés.
Nous avons vraiment beaucoup de retard sur cette question.
Par contre, la Conférence des Présidents d’Université s’est mobilisée. D’autre part, une
pétition en faveur de l’exception pédagogique circule.
Aujourd’hui, nous avons des mails de collègues qui s’inquiètent.
Par ailleurs, d’autres aspects de la loi nous concernent, en particulier le texte propose de
renverser l'économie juridique de l'avis rendu par le Conseil d'Etat en novembre 1972 en
reconnaissant aux agents publics un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à
tous sur les oeuvres créées dans l'exercice de leur fonction. Le projet de loi fait désormais
naître les droits d'auteur sur la tête des agents publics, et il propose toutefois d'encadrer
l'exercice de ces droits afin de les concilier avec les nécessités du service public. Il institue un
mécanisme de cession légale au profit de l'administration pour l'exploitation non commerciale
des oeuvres créées dans le cadre du service ainsi qu'un droit de préférence dont les contours
seraient précisés par décret en Conseil d'Etat pour l'exploitation commerciale de ces mêmes
oeuvres.
Certes, l’enseignant se voit reconnaître des droits, mais parfois pour de « mauvaises
raisons » : si l'agent public est intéressé au produit tiré de l'exploitation de son oeuvre, cet
intéressement permet de « rétablir les conditions de la concurrence entre les entreprises
privées et les personnes publiques en obligeant ces dernières à grever le prix de vente des
oeuvres exploitées de la rémunération due au créateur » (rapport à la commission du Sénat)
Cette question est à étudier de près, d’autant que le texte distingue les « agents publics
jouissant d'une certaine indépendance », au premier rang desquels les enseignants du
supérieur et les chercheurs, qui ne se verront appliquer aucune de ces dispositions susceptibles
de brider leurs travaux et leur créativité.
Comment le débat évolue au Sénat ?
Le texte voté à l’Assemblée le 21 mars a été examiné par la commission des affaires
culturelles du Sénat le 12 avril.
Deux appréciations contradictoires peuvent être tirées de la lecture des amendements adoptés.
Concernant l’enseignement et la recherche :
Le rapporteur a proposé trois amendements pour inclure dans les exceptions l’enseignement et
la recherche, ce qui est positif. Il semble que la position de la conférence des présidents
d’université, et la mobilisation autour de l’exception pédagogique, ont pesé en faveur de cette
décision. D’autre part, le rapporteur porte un regard sévère sur l’accord contractuel conclu fin
février entre les ministres de l’éducation et la culture et les ayant droit, de même que les
conditions dans lesquelles cet accord a été conclu de façon précipitée et sans consultation (cf
annexe).
Concernant l’interopérabilité et la brevetabilité des logiciels.
Le rapporteur veut revenir sur la décision prise par l’Assemblée d’obliger éditeurs et
producteurs à l’interopérabilité, conçue par les députés comme la contrepartie de la
légalisation des mesures techniques de protection (un coup à droite pour les industriels, un
coup à gauche pour les consommateurs).
Mais l’interopérabilité va à l’encontre de la stratégie des industriels qui est d’enfermer le
consommateur dans des systèmes fermés où il est captif. Leur intérêt n’est pas tant de vendre
de la musique que d’intégrer le consommateur dans une plate-forme logicielle propriétaire et
de l’obliger à utiliser le matériel de la marque pour exploiter un fichier numérique.
Tout est verrouillé : ainsi Apple a un format propriétaire de compression de la musique (Aac),
un DRM propriétaire (Fairplay), et pour écouter la musique téléchargée sur le site d’Apple, il
faut utiliser le logiciel propriétaire d’Apple (Itunes) qui n’est lui-même utilisable que sur les
balladeurs numériques d’Apple (Ipod) !
Sony et Microsoft (la FNAC et Virgin ont adopté la plate-forme de Microsoft) font la même
chose. La guerre des standards n’est pas un phénomène nouveau dans l’industrie culturelle,
mais cela montre que la protection des droits des artistes est le cadet de leurs soucis !!
En imposant l’interopérabilité, l’Assemblée avait pris position pour des systèmes ouverts. Les
lobbies étaient mécontents car le DRM est à lui seul une protection illusoire. Une fois qu’une
oeuvre a été « déplombée » (parce que le DRM est contourné techniquement), elle peut
circuler dans les réseaux parallèles. La clé pour un industriel est donc de contrôler la diffusion
et l’utilisation par des plate-formes logicielles et matérielles.
Pour protéger leurs systèmes fermés, les industriels ont besoin de ce que la commission du
Sénat est prête à leur donner : une protection de leurs logiciels par un droit de la propriété
intellectuelle qui est proche de celui des brevets.
Il y a donc un risque que le brevetage des logiciels revienne sur le tapis après l’échec
enregistré par ses partisans au Parlement européen.
Par le biais de mesures portant sur l’industrie culturelle, c’est toute l’économie du logiciel
libre qui serait menacée.
Concernant le téléchargement
L’Assemblée a voté l’article 12 bis, dit « article Vivendi », qui condamne le fait d’éditer et de
communiquer « un logiciel destiné à la mise à disposition du public d’œuvres piratées ». Mais
c’est confondre l’outil et son usage : un logiciel de P2P (téléchargement de pair à pair) peut
servir à bien autre chose qu’à échanger des œuvres piratées. C’est la raison pour laquelle un
amendement autorisant les « logiciels destinés au travail collaboratif, à la recherche ou à
l’échange de fichiers ou d’objets non soumis à la rémunération du droit d’auteur » ont été
approuvés par l’Assemblée.
Or la Commission du Sénat prévoit de supprimer cet amendement, ce qui condamnerait les
utilisateurs licites du P2P, des chercheurs par exemple, à payer des amendes !
Il est urgent que les plus concernés (docs et les disciplines) étudient de près l’accord et fassent
remonter leurs critiques
Par ailleurs, nous sommes partie prenante du combat pour un droit juste et équilibré de la
propriété intellectuelle, contre le verrouillage de l’avenir par des intérêts privés, pour un débat
sur le modèle économique qui permet l’expression d’un accès plus démocratique à la culture,
et pour le développement des logiciels libres.
Sites de référence :
http://eucd.info : site des « résistants »
http://exception.politechnicart.net/ : pétition sur l’exception pédagogique.
Daniel Rallet, le 19 avril 2006