Histri Blong Yumi – Vol. 3

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Histri Blong Yumi – Vol. 3
Histri Blong Yumi Long Vanuatu
Histoire du Vanuatu, un outil pédagogique
Volume Trois
Sara Lightner, Anna Naupa, auteurs
Version française sous la direction de Marc Tabani
Une production du Centre Culturel du Vanuatu (VKS)
Première édition anglaise en 2005 – édition française 2011
Centre Culturel du Vanuatu
BP 184, Port-Vila, Vanuatu
Téléphone : (678) 22129 | Télécopie : (678) 26590
Courriel : [email protected]
Copyright © 2011 Conseil National Culturel du Vanuatu
Design copyright © 2005-2011 Blue Planet Media + Communications Vanuatu
Design et production par Blue Planet Media + Communications Vanuatu
Courriel : [email protected]
Traduction par Matthieu Delbé, Odile Guiomar, Sébastien Lacrampe et Véronique Puech, avec le
concours de l’Alliance française de Port-Vila. Relecture et correction par Caroline Tabani.
Version française sous la direction de Marc Tabani
Les chapitres 2 et 5 ont été écrits par Marc Tabani
Traduit et publié avec le soutien financier de l’Ambassade de France au Vanuatu et du Fonds Pacifique
USP Library Cataloguing-in-Publication Data
Lightner, Sara
Histri blong yumi long Vanuatu : histoire du Vanuatu, un outil pédagogique / Sara
Lightner et Anna Naupa, auteurs ; version française sous la direction de Marc Tabani – Port
Vila, Vanuatu : Vanuatu Cultural Centre, 2011.
3 v. ; 26 cm. + Guide de l’enseignant
In French.
ISBN 978-982-9032-74-4 (Guide de l’enseignant)
ISBN 978-982-9032-75-1 (v. 2)
ISBN 978-982-9032-76-8 (v. 1)
ISBN 978-982-9032-77-5 (v. 3)
1. Vanuatu—History—Study and teaching I. Naupa, Anna II. Tabani, Marc
III. Vanuatu Cultural Centre IV. Title.
DU760.L44 2010995.95
3
volume trois
Table des matières
Introduction au Volume Trois
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1. Les débuts du condominium et le gouvernement colonial :
de 1887 à 1980
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Introduction
« Une terre n’appartenant à personne »
Plus en détail – la Commission Navale mixte : 1887 à 1906
L’établissement du condominium
Le gouvernement du condominium Les Commissaires-Résidents Le Tribunal mixte L’avocat des indigènes Un épisode du Tribunal mixte Le protocole commun de 1914 Les Délégués du condominium
Le Tribunal indigène Plus en détail – les meurtres de Pentecôte
Les populations du condominium Plus en détail – des travailleurs wallisiens aux Nouvelles-Hébrides
Témoignages sur le condominium 2.Les cultes du cargo et les mouvements sociaux
du 20ème siècle à nos jours
Introduction
Qu’est-ce que le « culte du Cargo » ?
La Vailala Madness et les premiers cultes du Cargo
Aspects théoriques des cultes du Cargo
Les premiers mouvements à Santo
Le mouvement John Frum à Tanna La loi de Tanna
John Frum pour les gens de Tanna
Autres récits historiques sur John Frum
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Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
La période contemporaine du mouvement John Frum La Malekula Native Company (Malnatco)
Les mouvements sociaux au Vanuatu
3.La Seconde Guerre mondiale aux Nouvelles-Hébrides :
1942 à 1945
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Les débuts de la Seconde Guerre mondiale en Europe
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Le début de la guerre du Pacifique 63
Les Nouvelles-Hébrides et la Seconde Guerre mondiale :
les premiers jours
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Plus en détail – la force de Défense des Nouvelles-Hébrides
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Plus en détail – l’internement des résidents Japonais
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L’arrivée des Américains
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Plus en détail – la participation des insulaires à la guerre
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Les années de guerre à Santo : un recueil de photographies
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Etude de carte 1 : la participation de Santo à la Guerre
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Plus en détail – la relation entre les indigènes et les soldats
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Plus en détail – la relation entre américains et le condominium
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Le « President Coolidge »
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Etude de carte 2 : les Nouvelles-Hébrides et la guerre dans le Pacifique 84
La fin de la Seconde Guerre mondiale
84
L’impact de l’occupation américaine
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Plus en détail – « Tales of the South Pacific »
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La Seconde Guerre mondiale : suggestions de recherches
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4.Croissance de Port-Vila et de Luganville
de la fin du 19ème siècle aux années 1970
Introduction
Port-Vila
Vivre à Port-Vila
Plus en détail – L’hôtel Rossi
Développement de Port-Vila pendant la guerre
Les Américains occupent les bâtiments du condominium
Après la guerre
Luganville
Les années de guerre
Santo après la guerre
Plus en détail – voyage au bout du monde
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Table des matières
5.En route vers l’indépendance : 1970 à 1980 Introduction
La question de l’identité L’enjeu foncier
Naissance du Nagriamel
L’organisation du Nagriamel
Les soutiens extérieurs du Nagriamel
La formation des partis politiques
La demande officielle d’indépendance
Un soutien croissant
La fièvre de l’indépendance
Le gouvernement provisoire du peuple (GPP)
Plus en détail – le Plan Dijoud
Plus en détail – la Constitution de la nouvelle nation
L’élection de novembre 1979
La rébellion de Santo La répression des partisans du Vemarana
La mort d’Eddie Stevens et la fin de la rébellion
Le jour de l’indépendance : le 30 juillet 1980
Plus en détail – le blason du Vanuatu
6.L’édification nationale du 30 juillet 1980 à nos jours
Introduction
La politique
La création d’une République parlementaire
La politique intérieure et le « socialisme mélanésien »
Des difficultés politiques croissantes
Création des frontières politiques et géographiques :
des Torres à Hunter
Le mouvement anti-nucléaire dans le Pacifique
Les émeutes de Port-Vila en 1988
Plus en détail – la crise présidentielle et constitutionnelle de 1988
La politique et l’économie : le programme de réforme globale
L’économie
Plus en détail – le paradis fiscal
Plus en détail – le tourisme au Vanuatu
Plus en détail – le kava du Vanuatu et son exportation
Plus en détail – l’élevage bovin du Vanuatu
Plus en détail – la mondialisation et le libre échange
La vie sociale du pays
Plus en détail – l’urbanisation au Vanuatu
Plus en détail – le rôle des chefs au Vanuatu : le Malvatumauri
Plus en détail – nouvelles églises chrétiennes et autres religions
Plus en détail – une nation récente avec une population jeune
La renaissance culturelle à travers le festival des arts
Plus en détail – le sport au Vanuatu
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Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Plus en detail – spirit blong bubu i kam bak
Plus en détail – les liens avec les Australiens d’origine mélanésienne
Plus en détail – les jeunes femmes parlent Pourcentage croissant des maladies liées au style de vie
Les préoccupations environnementales du Vanuatu
Plus en détail – l’intérêt extérieur pour le bois du Vanuatu
Plus en détail – la gestion des ressources marines dans les villages
Plus en détail – le bassin hydrographique de la rivière Tagabe
Plus en détail – évaluation des impacts sur l’environnement
Plus en détail – la pêche au Vanuatu
Plus en détail – où sont passées toutes les tortues ?
Les droits fonciers au Vanuatu
Plus en détail – la terre et l’identité
Les droits fonciers
Qu’est-ce qu’un regime foncier ?
Les droits fonciers traditionnels
‘Mama loa’ : la Constitution et la terre
Les regimes fonciers modernes : les baux
Plus en détail – la ville
Plus en détail – les lotissements
Les annexes
Listes des Commissaires Résidents pendant le condominium
Traduction anglaise des répliques françaises de la scène tirée
de la pièce ‘A Joy Court’
Les personnages clés de la lutte pour l’indépendance
L’hymne national du Vanuatu
Le Titre 12 de la Constitution de la République de Vanuatu
Bibliographie
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Introduction au Volume Trois
Le volume trois de « Histri Blong Yumi Long Vanuatu : un outil pédagogique » commence avec la création du condominium des Nouvelles-Hébrides (Les débuts du condominium et le gouvernement colonial : de 1887 à 1980). La réponse des Mélanésiens aux
premières années du gouvernement colonial est décrite dans « Cultes du Cargo et mouvements sociaux dans les années 1930 et les années 1940 ». Les conséquences de l’occupation américaine dans notre archipel pendant la Seconde Guerre mondiale (« La
Seconde Guerre mondiale aux Nouvelles-Hébrides : de 1942 à 1945 ») et la contribution américaine à la création de zones urbaines à Efate et Santo (« Le développement
de Port-Vila et Luganville : de la fin du 19ème siècle aux années 1970 ») sont également
étudiées. Les conflits fonciers toujours plus nombreux entre Mélanésiens et colons,
l’acceptation par les deux tutelles coloniales du principe d’une souveraineté pour cet
archipel, la persistance des désaccords entre la France et la Grande-Bretagne sur les
formes que prendrait cette indépendance, sont les grands jalons qui ponctuent le chapitre « En route vers l’indépendance dans les années 1970 ».
Si vous voulez en savoir plus sur les autres périodes de l’histoire du Vanuatu, vous
pouvez lire les deux autres volumes de « Histri Blong Yumi Long Vanuatu : un outil pédagogique ».
Le programme du premier volume explore les débuts de l’histoire de l’archipel, la genèse des îles jusqu’au peuplement de celles-ci, et la relation entre les premiers arrivants
et leur environnement.
Le volume deux de ce programme d’histoire étudie la période de fortes interactions
avec les Européens, des premiers explorateurs européens jusqu’aux plantations.
A v e rt i s se me n t
Il n’y a pas de règle pour l’attribution d’une préposition devant des noms
d’îles, seul l’usage en détermine l’emploi. Dans le cas du Vanuatu, on retrouve
chez nombre d’auteurs aussi bien les mentions « à Vanuatu » que « au
Vanuatu », « de Vanuatu » que « du Vanuatu », « Vanuatu » ou « le Vanuatu
», etc. Le choix éditorial pour ce manuel d’histoire nationale, qui n’engage que
ses auteurs, est de retenir l’usage des formules « le Vanuatu », « au Vanuatu
», « du Vanuatu ». Les citoyens de ce pays sont des Ni-Vanuatu ou des
Vanuatais(e) – adjectif : ni-vanuatu, vanuatais(e).
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Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
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chapitre un
Les débuts du condominium
et le gouvernement colonial :
de 1887 à 1980
Introduction
Le condominium franco-britannique des Nouvelles-Hébrides est le seul exemple connu
dans l’histoire mondiale de la colonisation, où deux puissances impérialistes ont imposé une autorité conjointe à un même territoire. Pour bien saisir cette spécificité, il
faut replacer la période coloniale de l’archipel dans son contexte géopolitique global.
L’expansion européenne, entamée au 15ème siècle suite à la découverte des Amériques,
prend un nouvel essor au cours des siècles suivants avec le développement des moyens
technologiques qui vont permettre l’exploitation universelle des ressources naturelles et
humaines. L’Etat-nation étant devenu au cours du 19ème siècle une forme politique trop
étriquée pour le renforcement de l’économie capitaliste et des mécanismes du libreéchange, les Etats-nations modernes, en quête de puissance et de bénéfices, se lancent
dans une course effrénée à la conquête de nouveaux territoires.
Cette volonté de contrôle politique mondial, par des moyens industriels, commerciaux ou militaires, caractérise les tentatives menées par les grandes puissances européennes du 19ème siècle pour constituer des empires en contrôlant des pays et des
territoires sur les cinq continents. Cette tentative de contrôle de l’ensemble des populations du monde et l’exploitation de leurs ressources correspond à la définition de l’impérialisme.
Dans ce volume 3, nous examinerons comment la rivalité entre les deux principaux
empires coloniaux, français et britanniques, a conduit en 1906 à l’annexion de l’archipel et à l’établissement du condominium des Nouvelles-Hébrides. L’exercice d’un pouvoir conjoint, d’une « co-souveraineté », sur cet archipel, prit une tournure caricaturale,
aboutissant à un dédoublement de toutes les institutions officielles (administrations,
polices, tribunaux, langues officielles). Ce système particulièrement inefficace prend officiellement fin avec la proclamation de l’indépendance du Vanuatu le 30 juillet 1980.
« Une terre n’appartenant à personne »
A l’apogée de l’âge des empires, au tournant des 19ème et 20ème siècles, les NouvellesHébrides étaient le dernier territoire d’Océanie à ne pas encore faire l’objet d’un
contrôle ou d’une annexion coloniale. Les territoires placés sous l’autorité de la couronne britannique étaient les plus nombreux et les plus vastes : Australie, NouvelleZélande, Papouasie, Salomon, Fidji, Tonga, îles Cook, Niue, Tuvalu, Kiribati, Pitcairn.
L’Océanie française était composée de la Polynésie Française, la Nouvelle-Calédonie,
A n n e x io n :  rattachement ;
action de faire passer sous
la souveraineté d’un Etat.
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Terra n ul l i us :
en latin, terre n’appartenant
à personne
Capitaine Raysun de la
British Navy en 1901. Il était
le Commissaire Résident des
Nouvelles-Hébrides, et travaillait
pour la ‘Commission navale
mixte’ (Archives Nationales VKS).
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Wallis et Futuna. Le Reich allemand disposait en Océanie de la partie nord-est de la
Nouvelle-Guinée, de Bougainville et de la partie septentrionale des îles Salomon, d’une
grande partie des îles de Micronésie et des Samoa occidentales (à partir de 1914 les
Samoa occidentales furent administrées par la Nouvelle-Zélande). Les Etats-Unis
d’Amérique annexèrent l’archipel des Hawaï et prirent le contrôle des Samoa orientales
ou Samoa américaines. La partie occidentale de la Nouvelle-Guinée était une colonie
néerlandaise. Même des Etats-nations ayant récemment acquis leur indépendance annexèrent des territoires (Chili : île de Pâques ; Mexique : Clipperton).
A défaut d’avoir été annexées par une puissance impérialiste ou placées sous une tutelle coloniale, les Nouvelles-Hébrides furent considérées jusqu’en 1906 comme terra
nullius, c’est-à-dire, supposées n’appartenir à personne.
Dans le volume 2, nous avons étudié comment, à la suite des grands découvreurs, à
partir des années 1830, ce fut au tour des commerçants aventureux et des trafiquants
sans foi ni loi, des négociants en bois de santal, des chasseurs de baleines, puis, dès
1863, au tour des négriers de tenter d’exploiter les ressources naturelles et humaines de
l’archipel. L’arrivée des premiers missionnaires remonte à 1839, mais il fallut attendre
celle des premiers colons européens (en 1874) pour relancer la christianisation. Les rivalités nées de cette première phase de colonisation entre colons anglais et français,
entre missionnaires protestants (anglicans, presbytériens, adventistes) et catholiques
s’avérèrent durables et historiquement déterminantes.
La présence française importante dans l’archipel a soulevé des inquiétudes au sein
de la communauté anglo-australienne au sujet de l’annexion possible de l’archipel par la
France. La compagnie de John Higginson, la Compagnie Calédonienne des NouvellesHébrides (la CCNH — appelée plus tard la Société Française des Nouvelles-Hébrides,
la SFNH), avait acheté des milliers d’hectares de terre vers la fin des années 1800 pour
les revendre aux colons français. Cette spéculation foncière a été conduite principalement par des colons français. L’Australasian New Hebrides Company (ANHC), encouragée par l’Église presbytérienne, espérait limiter cette activité en spéculant également
sur la terre pour ses propres intérêts. Ces conflits autour des terres ont entraîné de vives
confrontations entre les colons français et anglais. Si les Français se sont appropriés davantage de terres, Anglais et Australiens investissaient beaucoup plus dans les services
commerciaux et le négoce.
Les conflits locaux entre colons et Mélanésiens étaient fréquemment réglés par
la violence, avec souvent les missionnaires comme seuls médiateurs (Jacomb 1914 :
71). Les méthodes brutales de recrutement de travailleurs étaient insuffisamment surveillées et l’introduction des armes à feu augmenta le nombre de disputes sanglantes,
voire mortelles. La destruction de deux stations de la CCNH à Ambrym et à PortSandwich à Mallicolo, et le meurtre des représentants de la CCNH, suscitèrent des inquiétudes parmi les communautés françaises de Nouvelle-Calédonie (O’Reilly, 1957).
Elles insistèrent pour que la France protège ses citoyens en débarquant des troupes de
la marine à Port-Sandwich à Mallicolo et à Port-Havannah à Efate. Les autorités coloniales en Nouvelle-Calédonie firent pression en faveur d’une annexion par la France des
Nouvelles-Hébrides. Quant aux autorités australiennes, elles militèrent inversement
pour que la Grande-Bretagne s’empare de l’archipel hébridais avant les Français.
Finalement, Le gouvernement français proposa aux Anglais de mettre conjointement en application un système de maintien de l’ordre pour assurer la sûreté de tous
les Européens établis aux Nouvelles-Hébrides (Bonnemaison, 1994 : 409). Ce qui entraîna la création de la Commission Navale Mixte en novembre 1887. Celle-ci se composait de cinq officiers de la marine en service, « chargés du devoir de maintien de l’ordre
Les débuts du condominium et le gouvernement colonial: de 1887 à 1980
11
et de la protection des vies et propriétés des ressortissants français et britanniques »
(Scarr, 1967 : 208).
Dans le chapitre « Planteurs et plantations » du volume 2, nous avons évoqué la
concurrence entre les colons français et britanniques pour s’accaparer les terres des populations de l’archipel. Le souhait d’officialiser leurs titres de propriété a contribué à la
création du condominium des Nouvelles-Hébrides.
Plus en détail – la Commission Navale mixte : 1887 à 1906
Les officiers au service de la Commission Navale Mixte devaient agir conformément à
l’accord signé par la France et la Grande-Bretagne :
Règles directrices pour la Commission Navale Mixte
1. En cas d’atteinte à la paix et au bon ordre dans n’importe quelle partie
des Nouvelles-Hébrides où des ressortissants français ou britanniques
peuvent être installés, ou en cas de menace à la sûreté, à la vie, ou à la
propriété [des ressortissants français ou britanniques], la Commission se
réunira immédiatement et prendra les dispositions les mieux adaptées aux
circonstances, à la répression des troubles et à la protection des intérêts mis en
danger.
2. Aucun officier commandant naval français ou britannique n’agira de façon
indépendante ou isolée, excepté dans les cas mentionnés ci-après.
3. La force militaire ne sera pas requise à moins que la Commission ne considère
son emploi comme indispensable.
4. Dans l’éventualité d’un débarquement naval ou d’une unité militaire, cette force
ne demeurera que le temps considéré comme nécessaire par la Commission.
5. Lorsque les circonstances n’offrent aucun délai et quand l’urgence de la
situation requiert une action immédiate avant toute réunion de la Commission,
les officiers commandants français et britanniques les plus proches du lieu de
l’intervention, si possible conjointement, ou séparément, si une action concertée
est impossible, doivent prendre les mesures nécessaires pour la protection
des intérêts en danger ; rapporter immédiatement une telle intervention
aux officiers navals de leur hiérarchie respective et attendre les ordres de la
Commission. Chaque officier supérieur de la marine, en recevant un tel rapport,
le communiquera immédiatement aux autres officiers.
6. La Commission n’aura pas d’autres pouvoirs que ceux qui lui sont expressément
délégués par ces règlements. Elle n’interférera pas dans les litiges fonciers, et ne
dépossèdera pas de leurs terres toutes personnes indigènes ou étrangères.
Signé à Paris, ce 26e jour de janvier, 1888.
(Signature) LYTTON
(Signature) FLOURENS
Bonnemaison (1994 : 410-411) décrit le travail de la Commission Navale Mixte comme
suit :
Sur le terrain, les problèmes que rencontraient les officiers de la Commission Navale
n’étaient guère faciles à résoudre. Ils n’avaient pas, en principe, à sortir d’un rôle strict de
maintien de l’ordre. De cette tâche de police, ils s’acquittèrent sans grand enthousiasme.
Source : Jacomb
(1914 : Appendices)
12
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Ils étaient en outre désarmés et sans pouvoir réel devant les problèmes créés par la
« colonisation sauvage » et les multiples conflits locaux qu’elle suscitait entre colons ou
entre colons et Mélanésiens. Aucune structure juridique n’encadrait l’archipel : les colons
français, pourtant introduits pour la plupart d’entre eux par l’officieuse S.F.N.H., ne
disposaient d’aucune protection juridique. Beaucoup plus grave, les propriétés foncières
qu’ils revendiquaient n’étaient ni délimitées ni reconnues : les Nouvelles-Hébrides étaient un
pays « sans Etat ».
Les marins des deux nations étaient donc appelés à faire respecter un ordre dont personne
n’avait défini les normes et les lois. Cette situation était d’autant plus dangereuse que
l’opposition des Mélanésiens à l’occupation de leurs terrains devenait de plus en plus vive et
qu’elle entretenait un climat général d’insécurité. Les meurtres continuaient dans les îles.
Edward Jacomb, un avocat britannique basé à Port-Vila, accusa la Commission Navale
Mixte d’abuser de ses pouvoirs pour intimider les insulaires. Dans son livre intitulé
« The Anglo-French condominium » (1914), il cite plusieurs exemples pour soutenir cette
accusation. Des insulaires étaient arrêtés et détenus pour différents crimes contre des
Européens, et souvent devaient attendre leur jugement en prison sans qu’il leur soit
permis de fournir des preuves pour leur défense, comme nous le montre l’histoire
suivante :
En 1913, un colon français, appelé Gustave Patient, était censé avoir obtenu une concession
par la Société Française des Nouvelles-Hébrides de certaines terres à Epi. Ces terres étaient
en réalité occupées par des indigènes qui y possédaient des jardins et des cacaoyers. Les
indigènes niaient la vente alléguée par la Société Française des Nouvelles-Hébrides. Patient
informa les indigènes de la « concession », du fait qu’à l’avenir les cacaoyers sur cette terre
ne leur appartiendraient plus et qu’ils devraient s’abstenir d’en cueillir les fruits. Ils refusèrent
naturellement de l’écouter. À ce moment, Patient et la Société Française devaient déposer
une plainte au Tribunal mixte en ce qui concerne la propriété et régler le différend par la
convention…
En avril, 1913, Patient, accompagné d’un autre colon français appelé Guitel et d’un
groupe d’employés indigènes armés, tira profit de l’absence provisoire des propriétaires
coutumiers indigènes de la terre contestée, pour aller cueillir les cabosses mûres de cacao.
Ils en emportèrent plusieurs sacs remplis. Apprenant ce qui s’était passé, les indigènes,
dont un dénommé Sam Miley… les poursuivirent et les rattrapèrent. Ils prièrent Patient de
rendre les cabosses qu’il avait prises et leur demande fut satisfaite. Immédiatement après,
Patient déposa une plainte contre Sam Miley et plusieurs des autres hommes qui l’avaient
personnellement menacé de recourir à la violence. Apparemment, le procureur ne considéra
pas l’affaire comme particulièrement sérieuse ou pressante. À chacun des événements,
aucune mesure immédiate ne fut prise pour arrêter Sam Miley et ses camarades.
En août 1913, suite à une attaque brutale non préméditée effectuée par Guitel sur
quelques indigènes, une rixe eut lieu, dans laquelle Guitel fut poignardé. Il mourut plus tard
de ses blessures. Un man’o’war (bateau de guerre) français se rendit à Epi pour enquêter et
en ramena environ vingt indigènes impliqués dans le massacre de Guitel, y compris Sam qui
fut arrêté (Jacomb 1914 : 121).
Sam fut détenu par le Commissaire Résident français pour avoir menacé Patient. Il fut
également inculpé pour avoir attiré et menacé d’autres indigènes loin de leur travail
sur les plantations. Jacomb note, cependant, que cette charge n’a pas été transmise au
procureur général du Tribunal mixte. Les mauvais traitements pendant l’interrogatoire
Les débuts du condominium et le gouvernement colonial: de 1887 à 1980
13
de la police étaient tout à fait communs. Dans l’extrait suivant, également de Jacomb
(1914 : 123), l’auteur décrit ces mauvais traitements. Je cite maintenant les déclarations
faites par certains des indigènes après leur retour à Epi :
Les policiers indigènes nous ont donné des coups de pied, puis nous ont frappés avec
la crosse de leurs fusils et ont bu le jus de cacao. À l’arrivée du man’o’war (bateau de
guerre), certains d’entre nous furent jetés dans le bateau la tête la première. À bord, nous
étions enchaînés par le pied à une tige de fer et par la main à notre voisin. Aucun petit
déjeuner ne nous a été servi… le garçon-chef de la police de Maré se dirigea vers Jimmy
Tarames et lui demanda qui lui avait dit de tuer l’homme blanc… mais Jimmy ne parla pas,
alors il prit une fine ceinture tressée ou la partie d’un fouet (la partie près de la poignée)
ou d’une corde en cuir tressée qui ressemblait à la corde tressée avec laquelle nous
attachons nos cochons. Avec cette mèche, le garçon de Maré cingla alors Jimmy
au-dessus de la tête et le pressa de dire qui lui avait demandé de tuer l’homme blanc.
Questions de compréhension
1. Bonnemaison déclare que « les marins des deux nations étaient donc appelés
à faire respecter un ordre dont personne n’avait défini les normes et les lois ».
Relisez les règlements de la Commission. Auraient-ils pu être mieux définis ?
Qu’est-ce qui les rend vagues ou contradictoires ?
2. Relisez la dernière phrase du deuxième extrait de Jacomb. Que nous indique
celui-ci au sujet du rôle de la Commission Navale Mixte dans le maintien de la
loi et de l’ordre dans les îles et de la protection des insulaires ?
3. À partir du texte, précisez l’enjeu pour les Mélanésiens qui émergea à la fin du
19ème siècle ?
L’établissement du condominium
Si la Commission Navale Mixte se montra impuissante dans la gestion des conflits
concernant les terres, le contrôle militaire qu’elle exerçait s’avéra également incapable
de stopper la violence, qu’elle soit dirigée contre les indigènes, contre certains colons
ou contre les exactions qui impliquaient colons ou indigènes entre eux. Une image
qui revient fréquemment dans les descriptions de la situation des Nouvelles-Hébrides
avant l’établissement du condominium est celle du « Far-West » américain, telle que
nous la présentent les westerns. La seule loi en vigueur était celle du plus fort. Tandis
que les Mélanésiens pouvaient compter sur leur supériorité numérique, les Blancs, en
revanche, disposaient des armes à feu. Régulièrement, la Commission Navale Mixte
refusait de s’impliquer dans des cas de meurtres. Les gouvernements français et britannique avaient spécifiquement demandé à la Commission Navale de ne pas intervenir
dans les conflits entre les villageois et les colons. La seule prérogative de la Commission
Navale était la riposte à une agression armée. Mais plus généralement, c’était le manque
d’intérêt pour les îles, plutôt que son pouvoir limité, qui faisait fermer les yeux de la
Commission sur les activités illégales telles que la vente d’armes ou d’alcool aux insulaires (Scarr 1967 : 215).
Il y avait beaucoup d’incertitudes quant à l’avenir politique des Nouvelles-Hébrides.
14
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Deviendraient-elles françaises ou anglaises ? Les rivalités coloniales dans le Pacifique
entre puissances impérialistes européennes offraient une raison de plus à la France et
à la Grande-Bretagne pour proposer la création d’un système de gouvernement plus
efficace et concret dans l’archipel que le simple accord sur la sécurité qui présida à la
création de la Commission Navale Mixte. Mais la plus forte pression pour l’annexion
des Nouvelles-Hébrides provint assurément du lobbying des congrégations missionnaires concurrentes, presbytériennes et catholiques au premier chef. Se détestant cordialement, les missionnaires de ces deux Eglises encouragèrent réciproquement, les
Français pour les catholiques et les presbytériens pour les Anglais, à s’impliquer directement dans les affaires du pays en réclamant une prise de possession exclusive. Il faut
dire que l’investissement tant humain que matériel de ces deux Missions était alors
considérable. Comme le décrit Edward Jacomb :
En réalité, c’était une lutte entre les missionnaires français et presbytériens. La GrandeBretagne n’avait alors que peu d’intérêt pour des îles si petites et si lointaines… Il est facile
d’apprécier les positions des missions françaises et presbytériennes. Toutes les deux faisaient des sacrifices considérables pour l’archipel et considéraient en quelque sorte y avoir
investi des intérêts. La mission presbytérienne, en activité depuis 1839, dépensait quelques
£10.000 (livres sterling) par an pour son travail… Les Français… étaient alors, et le sont toujours, engagés dans une course à la colonisation (Jacomb 1914 : 12-14).
La France et la Grande-Bretagne ne prêtèrent guère d’attention à l’escalade des problèmes, des conflits et des violences dans l’archipel jusqu’en 1904. Date à laquelle
reprirent des négociations qui devaient conduire les îles à devenir un territoire francoanglais commun, officiellement reconnu le 20 octobre 1906, par un accord consolidé
en 1914, puis ratifié en 1922. Les Néo-Hébridais y gagnèrent simplement à ce que leurs
îles ne furent pas divisées en pays séparés (Bonnemaison 1994 : 413).
L’établissement du condominium officialisa l’infériorisation des Mélanésiens en les
reléguant dans un régime d’indigénat. Les Néo-Hébridais autochtones ne disposaient
d’aucune citoyenneté, à la différence des citoyens « non-indigènes » du condominium, qui se rattachaient à l’un des deux Etats, Français ou Britannique. Sous l’appellation d’« indigènes néo-Hébridais », ils se trouvaient placés sous la responsabilité de
l’administration conjointe des deux autorités coloniales. Les insulaires des autres territoires français ou britanniques furent placés en revanche sous le régime civil de leur autorité de tutelle : ainsi, les nombreux Kanak de Nouvelle-Calédonie ou les Wallisiens,
par exemple, étaient reconnus comme Français. Les femmes indigènes mariées à des
Français ou des Britanniques échappaient au régime de l’indigénat, tout comme les métis. Tandis que l’abrogation du régime de l’indigénat fut décrétée après la Seconde Guerre
mondiale dans les territoires français, elle n’entra dans les faits qu’avec la fin de la décolonisation de l’Algérie en 1962. Aux Nouvelles-Hébrides il fallut attendre les élections générale de 1977 pour que des droits civiques fussent reconnus aux futurs Ni-Vanuatu.
Le gouvernement du condominium
Un des premiers timbres
des Nouvelles-Hébrides.
(Archives Nationales, VKS)
La signature d’un accord entre les gouvernements français et britannique le 20 octobre
1906 a placé les Nouvelles-Hébrides sous l’administration de ces deux nations. Le gouvernement du condominium devait, en premier lieu, établir un Tribunal mixte pour en-
Les débuts du condominium et le gouvernement colonial: de 1887 à 1980
15
L e ‘ c o nd omin iu m’
Le terme ‘condominium’ se rapporte à la structure administrative du
gouvernement franco-britannique commun dans l’archipel. L’expression n’a pas
été employée dans la convention de 1906, mais est devenue plus tard populaire
(Woodward 2002 : 27). Le condominium des Nouvelles-Hébrides était unique
parce que ce fut le seul moment où la France et la Grande-Bretagne, ennemis
traditionnels, dirigèrent conjointement une colonie pendant une période
prolongée. Il y eut [quelques] autres condominiums dans le monde, tels que le
Soudan anglo-égyptien et l’Andorre franco-espagnole, mais aucun n’associait la
France et la Grande-Bretagne (Miles 1998 : 30).
registrer les terres, régler les conflits fonciers et installer un ordre légal reconnu par les
deux gouvernements.
L’historien Deryck Scarr enquêta activement sur l’histoire du Haut-commissariat
britannique du Pacifique occidental, y compris sur les bases du condominium des
Nouvelles-Hébrides. L’extrait suivant est tiré de « Fragments of Empire » (1967 : 227) :
Les Nouvelles-Hébrides ont été identifiées comme « région d’influence commune », où
chaque puissance « possédait l’autorité légale sur ses sujets ou citoyens et ne devait jamais
exercer un contrôle séparé sur l’archipel ».
Les ressortissants des autres Etats eurent six mois pour décider sous quel régime légal
ils voulaient vivre. L’administration devait être conduite par les Hauts-Commissaires à Fidji
et en Nouvelle-Calédonie, agissant par l’intermédiaire des adjoints présents à Port-Vila… Le
Tribunal mixte… devait être la juridiction compétente pour tous les cas fonciers et civils,
pour tous les litiges entre les indigènes et les autres, et dans les cas de crimes entre les deux
types de population. En ce qui concerne les crimes, les ressortissants de chaque puissance
étaient justiciables seulement de leur propre cour nationale. Des dispositions furent prises
pour les autorisations de recrutement et l’enregistrement des recrues. Les devoirs de l’employeur envers le travailleur furent exposés et formulés de façon vague. La vente d’armes, de
munitions et d’alcool aux insulaires fut interdite.
L a j u r id ic t io n : autorité
judiciaire qui rend la justice
sous la forme d’un jugement
(décision de Justice)
Billet de mille francs des
Nouvelles-Hébrides.
16
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
L’extrait suivant de Joël Bonnemaison décrit l’administration commune.
Deux Hauts-Commissaires, l’un français, l’autre anglais, furent nommés « Résidents » au
nom des deux nations souveraines, des Délégués administratifs devant représenter leur autorité dans les différentes îles de l’archipel. On créa un corps de police local, la milice, divisée
en deux sections égales, l’une française, l’autre britannique.
L’administration mixte mise en place et financée par les deux tutelles devait être alimentée
par des taxes locales à l’importation et à l’exportation : ces services communs comportaient
les Postes, Télégraphe et Téléphone, les Travaux publics, la Police maritime, les Douanes
et enfin les Services financiers. Plus tard, furent mis en place un Service condominial de
l’Agriculture, un Service vétérinaire, un Service des mines et un Service topographique. En
somme, aux deux administrations nationales dépendant chacune des Résidences, s’ajoutait
une troisième : l’administration mixte du condominium (Bonnemaison 1994 : 413).
Pour aller plus loin
1. Que veut dire Scarr dans son rapport quand il écrit : « […] Les devoirs de
l’employeur envers le travailleur furent exposés et formulés de façon vague » ?
2. Les quartiers généraux des deux administrations étaient à Fidji et en NouvelleCalédonie. Quelles conséquences ont pu être tirées du fait de cette autorité
éloignée ?
Les Commissaires Résidents
Con se i l l er
juridique : avocat
E nte n te cordiale : bonnes
relations
Dr. Gaudens Faraut fut le premier Délégué français désigné par le Gouverneur de
la Nouvelle-Calédonie en 1901. Il fut remplacé en 1905 par M. Charles Bord, qui demeura jusqu’au premier mois du condominium (Bresnihan et Woodward 2002 : 25).
Le premier Commissaire Résident britannique des Nouvelles-Hébrides était Merton
King (Scarr 1967 : 229). Il resta en poste pendant 17 ans, alors qu’au début du condominium, il y eut plusieurs Commissaires Résidents français qui se succédèrent. Les
relations entre les Commissaires Résidents britanniques et français étaient souvent tendues. Dans les premières années du condominium, la différence de mentalité entre
les Britanniques et les Français par rapport à l’archipel était déjà tout à fait évidente.
En 1910, Woolcott, un conseiller juridique du Commonwealth, écrivit :
Une chose que j’ai notée est que tous les fonctionnaires britanniques semblent sous-estimer
l’immense responsabilité dans le fait de soutenir l’« entente cordiale »… Les Français, de leur
côté, ne semblent pas s’inquiéter du tout de cette affaire. Ils s’en excluent pour obtenir tout
ce qu’ils peuvent et ils s’empareront de l’archipel entier à moins que les Britanniques ne s’y
opposent (cité dans Scarr 1967 : 229).
Ces différences de mentalités et d’attitudes transparaissaient également dans la position géographique des résidences respectives à Port-Vila. Le drapeau tricolore de la
Résidence française s’élevait en évidence au-dessus du port de Port-Vila, alors que le
drapeau britannique se cachait derrière des arbres de l’îlot Iririki (Scarr 1967 : 230).
Selon Scarr, au moment de la formation de l’administration commune, les Délégués
Les débuts du condominium et le gouvernement colonial: de 1887 à 1980
17
Résidence officielle du juge
britannique du Tribunal
mixte, 1923 (Bresnihan et
Woodward 2002 : 29).
français conçurent les clauses administratives et juridiques de la convention de 1906
pour permettre l’exécution de leur politique nationale le plus librement possible.
Nous aurions pu avoir une solution désastreuse… [observa Saint-Germain] en instituant une
administration neutre…, nous avons réalisé, cependant, une situation privilégiée… en maintenant une autorité dualiste (Scarr 1967 : 30).
Pour aller plus loin
L’annexe de ce volume inclut une liste des Commissaires Résidents français
et britanniques pendant la période du condominium. Certains sont restés en
fonction seulement une année ou deux. Comment cela a-t-il pu avoir un impact sur
l’administration du condominium étant donné leur faible connaissance des îles ?
Expression écrite
Imaginez que vous avez été désignés par le gouvernement français ou britannique
pour vous rendre aux Nouvelles-Hébrides et remplir la fonction de Commissaire
Résident. Voudriez-vous travailler dans ces conditions ? Justifiez votre réponse.
Quels étaient les défis liés à cette fonction ?
Les deux drapeaux devaient
être hissés en même
temps (Lini 1980).
18
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Le Tribunal mixte
(Rodman 2001 : 43).
Les Français et les Anglais n’aimaient vraiment pas travailler ensemble. Je me rappelle
quand je travaillais pour le bureau des statistiques et que je suis allé à Mallicolo avec
les Anglais et un recenseur français pour préparer le recensement de 1979. Ils ne se
parlaient pas !
(Charlie Pierce, communication personnelle, septembre 2004)
Le Tribunal mixte
Le Tribunal mixte établi par les tutelles condominiales entra enfin en service en 1910.
Il avait :
compétence (autorité) sur tous les litiges fonciers et civils, impliquant des indigènes et
des non-indigènes, et dans les cas de crimes des premiers à l’égard des seconds… (Scarr
1967 : 227).
Par souci de neutralité, la France et la Grande-Bretagne proposèrent au roi d’Espagne de
désigner le Président du Tribunal mixte, en hommage à la nationalité des premiers explorateurs européens de l’archipel.
Un juge français et un autre britannique assistaient le Président espagnol du
Tribunal. Le procureur était belge (autre gage de neutralité). Quand les juges ne pouvaient pas convenir d’un verdict, le président prononçait la décision ultime.
Durant une certaine période, le greffier du Tribunal était hollandais (Miles 1998 : 36).
Les procès se déroulaient principalement en Français. Occasionnellement ils étaient
traduits en Anglais. La surdité croissante du Président du Tribunal, le comte Buena
Esperanza, compliquait encore plus les affaires. (MacClancy 2002 : 97).
L’extrait suivant, tiré de « Fragments of Empire » écrit par Deryck Scarr en 1967, décrit
les pouvoirs du Tribunal mixte.
Les débuts du condominium et le gouvernement colonial: de 1887 à 1980
19
Scène de la cour, les juges
(Vanuatu, 1980 : 202).
Le Tribunal devint bientôt le symbole de toutes les contradictions et des retards du
condominium. Fletcher [voyageur et propriétaire de plantation], interprète occasionnel
du Tribunal, devait employer quatre langues : l’espagnol pour le Président, le français
et l’anglais pour les juges et finalement le bichelamar pour les habitants mélanésiens…
(Bonnemaison 1994).
Les pouvoirs du Tribunal étaient très insuffisants. Dans les cas civils et criminels, le Tribunal
mixte pouvait juger les violations de la Convention, communément appelées infractions. Les
infractions aux règlements régissaient le recrutement et l’emploi des travailleurs et interdisaient la vente d’armes à feu et d’alcool aux indigènes. Ces manquements étaient sanctionnés par une amende maximum de 20 £, un emprisonnement maximum d’un mois, voire
les deux. Ces condamnations si légères n’étaient évidemment pas très dissuasives. De plus,
elles ne relevaient que des autorités nationales de la personne condamnée : le Tribunal mixte
n’avait aucun contrôle sur l’exécution de ses propres jugements (Scarr 1967 : 232).
Les indigènes néo-Hébridais étaient considérés sur un plan légal comme « mineurs
et incompétents, et pour cela placés sous le contrôle et la protection de l’administration conjointe » (jugement du Tribunal mixte du 7 janvier 1916). Sous ce régime, les
femmes indigènes disposaient d’un statut inférieur à celui des hommes. Elles ne pouvaient occuper un emploi sans l’autorisation de leur mari ou du chef de leur tribu, l’esprit de la Convention de l’administration condominiale prévoyant « de sauvegarder la
tutelle du mari et l’autorité du chef à l’égard des femmes » (jugement du Tribunal mixte
du 4 janvier 1912).
Pour des actes criminels commis par des indigènes, différentes lois pouvaient s’appliquer lors d’une même accusation, selon le statut de la victime : les règles de la
Couronne britannique pour une personne sous statut anglais, le code pénal français
dans le cas d’un ressortissant étranger sous protection française. Le Tribunal mixte se
contentait donc de renvoyer les affaires judiciaires aux tribunaux français ou anglais
compétents, et ne statuait que pour les affaires concernant des indigènes entre eux,
pour des organisations strictement néo-Hébridaises comme les coopératives ou pour
le non respect des règles de l’administration conjointe (essentiellement les affaires de
ventes d’alcool, d’armes et le recrutement forcé des indigènes).
Malgré certaines tentatives, il n’y eut jamais, à proprement parler de Code de l’indigénat aux Nouvelles-Hébrides : « On a tenté de l’y installer mais la résistance s’est
révélée trop forte, le fait de gens largement dotés d’armes à feu, et à propos de qui l’or-
V io l a t io n : infraction ;
non-respect d’un
engagement, d’un droit
20
Cléments : bons ;
généreux ; indulgents
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
ganisation d’une répression militaire non seulement eut coûté trop cher par rapport
à la précarité des résultats à en espérer, mais était interdite par les accords internationaux en vigueur » (Guiart 1997 : 118). Le Code pénal indigène, lorsque l’accusé et la victime étaient indigènes, n’était qu’un mélange de lois et de jurisprudence française et
anglaise.
Dans certains cas, le Tribunal mixte traitait des affaires concernant les conflits entre
indigènes qui lui étaient présentées en référence à la coutume ; sinon, la cour prenait
ses décisions sans se référer à aucune loi particulière. Mais comme il n’existait pas de
codification des coutumes et que celles-ci différaient d’une île ou d’une région à l’autre,
la cour jugeait sur la base de déposition sur la foi d’un tiers ou de rumeurs, et non pas
en s’appuyant sur des éléments factuels.
Indépendamment de la nature spécifique du Tribunal mixte, un problème récurrent
concernait la vision exclusive que la France et la Grande-Bretagne se faisaient à propos des conflits fonciers. Tandis que les Britanniques, en cas de spoliation foncière,
se fiaient aux spécifications de l’acte de vente, les Français reconnaissaient a priori les
plaintes des ressortissants français, les Mélanésiens ayant à charge de prouver leur
droit. Les indigènes ne comprenant pas les subtilités des procédures du droit français,
ne réalisaient pas non plus les conséquences des aliénations foncières. Ces conflits fonciers générèrent des sentiments mitigés dans les zones de colonisation foncière. Si la
colonisation française et les Missions catholiques étaient souvent considérées comme
moins dures que la domination britannique et la politique des presbytériens, cette
image négative des spoliations foncières fut plus tard largement exploitée par les leaders nationalistes qui conduisirent le pays à l’indépendance.
Ainsi, les pouvoirs du Tribunal mixte étaient très limités. Le rapt d’un Néo-Hébridais
au cours d’un voyage de recrutement était jugé, comme une embauche illégale
(MacClancy 2002 : 97). Par conséquent, les peines ou les amendes ne reflétaient pas la
nature des dommages. Les condamnations pour crimes relevaient des tribunaux nationaux (la cour suprême britannique et la cour d’assises française). Cependant, les juges
de ces cours étaient connus pour être cléments envers leurs ressortissants nationaux.
Pour les intérêts propres aux Mélanésiens, un avocat des indigènes fut nommé auprès
du Tribunal mixte.
Questions de compréhension
1. Avec vos propres mots, expliquez la signification de l’extrait de Scarr : « Ces
condamnations si légères n’étaient évidemment pas très dissuasives. »
2. En vous basant sur les informations du texte ci-dessus, avoir un Tribunal mixte
était-il avantageux ? Si oui, pourquoi ?
L’avocat des indigènes
Un avocat hollandais fut nommé avocat des indigènes en 1911 pour représenter les
intérêts des insulaires au Tribunal mixte (MacClancy 2002 : 97). Comme Pierre
Anthonioz, Commissaire Résident français de 1949 à 1958, le rappelle dans un chapitre
du livre « Tufala Gavman : Reminiscences from the Anglo-French condominium of the New
Hebrides » (2002: 74):
Les débuts du condominium et le gouvernement colonial: de 1887 à 1980
21
L’avocat des indigènes, qui en principe devait être belge, était le seul contrepoids face à une
administration toute puissante. Je devrais ajouter, d’ailleurs, que ce fonctionnaire devait être
désigné par les deux Commissaires Résidents. On devait donc s’attendre au pire.
Or, que s’est-il réellement passé ? Presque exactement l’opposé. Dans leurs rapports d’affaires avec l’administration commune, les autochtones réalisèrent rapidement tous les avantages qu’ils pourraient tirer de la rivalité existant entre les deux Commissaires Résidents
à Port-Vila et entre les Délégués britanniques du condominium et leurs collègues, les
Délégués français, dans les îles. Si une décision prise, ou une médiation accordée par les
agents gouvernementaux français, ne satisfaisait pas le plaignant, il allait voir les agents gouvernementaux britanniques et vice versa.
Jeremy MacClancy (2002 : 97-98) précise les difficultés auxquelles les avocats des indigènes durent faire face, en particulier le premier, en 1911.
L’administration française fit tout ce qu’elle put pour l’empêcher de rassembler toutes les informations nécessaires et d’exercer ses fonctions puisque la plupart des cas qui lui étaient
soumis concernaient des litiges fonciers et que toute contestation de titres de propriété
mettait en danger les énormes avoirs de la SFNH. Elle s’assurait qu’il n’y ait aucun navire
disponible dès qu’il souhaitait faire le tour des îles, et prétendait qu’il ne pouvait agir officiellement qu’à l’intérieur d’un tribunal.
L’avocat autochtone n’était d’aucun secours pour la protection des droits des
ni-Vanuatu. Aucun budget n’était mis à sa disposition pour ses voyages ou
déplacements. Et le système en place nuisait à toutes tentatives pour empêcher
l’enregistrement de réclamations frauduleuses. L’avocat autochtone représentait
les ni-Vanuatu qui voulaient empêcher l’enregistrement de terres qu’ils croyaient
vendues frauduleusement, mais tout au long de l’existence du Tribunal Mixte jusqu’à
l’indépendance en 1980, pas une seule de ces contestations n’a abouti.
—Communication personnelle Howard Van Trease
Questions de compréhension
1. Dans l’extrait d’Anthonioz, quel défaut (faiblesse) de l’avocat des indigènes
identifie-t-il ?
2. Comparez la vue d’Anthonioz à la description de MacClancy de l’hésitation
française à aider l’avocat des indigènes. Qu’est-ce que la différence d’opinions
francophone et anglophone nous apporte-t-elle sur les relations francobritanniques en général ?
Pour aller plus loin
MacClancy cite des réclamations foncières et des titres contestés comme
occupation majeure de l’avocat des indigènes, même au début du condominium.
Pourquoi les Français essayaient-ils d’éviter que ces cas soient présentés devant le
tribunal ? (Indice : quelle compagnie était alors le plus grand propriétaire terrien ?)
22
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Sujet de discussion
Pourquoi était-il préférable que l’avocat des indigènes ne soit ni Anglais, ni
Français, ni même Mélanésien ?
Un épisode du Tribunal mixte
S atire : pamphlet, moquerie
Pendant ce temps, néanmoins, un avocat indépendant de Port-Vila, Edward Jacomb,
voyageait dans les îles et déclinait aux Néo-Hébridais leurs droits sous le condominium, rassemblant des informations au sujet des litiges fonciers et mettant en garde
les gens qui s’étaient installés sur des terres contestées (dans les années 1970, il y avait
des gens d’Ambrym qui se souvenaient encore d’avoir payé ses gages). Il retourna à
Port-Vila pour représenter les insulaires au tribunal (MacClancy 2002 : 89). Pourquoi
a-t-il été préféré à l’avocat des indigènes pour représenter les insulaires devant le
tribunal ? Edward Jacomb ne tenait pas le Tribunal mixte en grande estime et écrivit
une satire appelée « Joy Court » (1929). L’extrait suivant contient des parties tirées de
deux scènes d’une représentation (Jacomb 1929 : 44-52). Il est initialement en français
étant donné que c’était la langue juridique usuelle.
[Scène V – l’affaire en jugement concerne un Anglais appelé Hughes. Nous en sommes à la
cinquième séance. Les problèmes de langue commencent à surgir.]
Jug e f r a nç a is . Je ne vois pas le but de cet interrogatoire ! M. ‘Ug, vous ne faites que perdre
inutilement du temps au Tribunal.
H ug h e s . [Flatteur] Je vais abréger autant que possible, M. le Juge français ! [Au commandant
français] Donc, vous avez dressé votre rapport original après avoir questionné
vous-même vos deux miliciens ?
C o m m a nd a nt f r a nçais. Parfaitement !
H ug h e s . Est-ce que vos deux miliciens parlent français ?
C o m m a nd a nt f r a nçais. Non Monsieur ! Ils parlent bêche-la-mer.
H ug h e s . Donc, vous vous êtes servis d’un interprète pour les questionner. Qui était cet interprète ? [Suggérant] Il aurait pu se tromper peut-être.
Commandant français. [Déterminé à écraser cette suggestion une fois pour toutes] Non, Monsieur !
Je n’avais pas d’interprète ! Je vous ai déjà dit que je les ai questionnés moi-même !
H ug h e s . [Innocemment] En bêche-la-mer ?
Co m m a nd a nt f r a nçais. [Légèrement rouge] Parfaitement, Monsieur, en bêche-la-mer !
H ug h e s . Vous parlez donc bêche-la-mer, M. le Commandant ?
La couverture du livre de Edward
Jacomb : The Joy Court (1929).
Co m m a nd a nt f r a nçais. [de plus en plus rouge] Parfaitement, Monsieur !
Les débuts du condominium et le gouvernement colonial: de 1887 à 1980
23
Hu gh e s . [en pidgin-anglais] You tell-im out along Court; time you been talk along two feller,
two feller e been tell-im you what name?
C o m ma n da n t f r a nç a is . [agacé] Je ne comprends pas !
Hu gh e s . What name ! You been tell-im out long Court you savvy spik pidgin English!
[Le commandant français regardant désespérément le juge français.]
J u ge fr a n ça i s . [Qui mesurait la dérive du contre examen] C’est trop fort ! M. ‘Ug, vous
vous moquez du Tribunal ! Vous n’avez aucun respect pour l’Administration ! M. le
Président ! Je demande à ce que le Tribunal délibère !
Pr é s i de n t . [Totalement confus] Pourquoi ?… Qu’est-ce qu’il y a ?… Je n’ai rien compris !
Traduisez !
I n t e r p r è t e . Je n’ai rien compris moi-même, M. le Président. Je crois que M. ‘Ug parlait
bêche-la-mer !
Pr é s i de n t . [Qui commençait à être fatigué et oublieux] Bêche-la-mer ?… Qu’est ce que c’est que
cela ?
J u ge fr a n ça is . M. ‘Ug n’a pas le droit de parler bêche-la-mer. Nous ne sommes pas des
Canaques ! D’ailleurs, ce n’est pas une des langues officielles du Tribunal !
Pr é s i de n t . Non ! Ce n’est pas une des langues officielles du Tribunal. M. ‘Ug, vous avez le
droit de parler français, ou même l’anglais, si vous voulez, mais pas une autre langue.
[Scene VI – Hughes amène un témoin et l’interroge en anglais]
Hu gh e s . Non ! M. le Président. J’ai deux témoins à faire entendre. D’abord mon clerc, M.
Stanley, et ensuite M. le Commissaire Résident de Sa Majesté britannique.
Pr é s i de n t . Bon ! Faites-nous entendre M. Stanley !
[Stanley se lève de son siège au milieu de l’audience et le juge anglais le fait jurer]
Hu gh e s . Mr Stanley ! Will you please tell the Court where I was on the evening of the third of
February last?
I n t e r p r è t e . Où étais-je le soir du 3 février dernier ?
S t a n le y . We were at Paama, with all your boys.
I n t e r p r è t e . Nous étions à l’île Paama accompagnés de tous vos ‘boys’.
[et la traduction continue dans les deux sens]
24
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Activité de groupe
En classe, divisez la classe en groupes et ensemble représentez les scènes de The
Joy Court.
Expression écrite
Écrivez une histoire d’environ une page sur la façon dont un cas aurait pu être jugé
au Tribunal mixte.
Enquête
Avez-vous déjà vu l’intérieur d’un tribunal ? Et un endroit où des « déclarations de
coutume » sont rendues, par exemple les nakamals ? Si vous le souhaitez, organisez
une visite guidée pour votre classe et découvrez comment sont réglés les conflits.
Qui sont les juges ? Quelles sont les sanctions encourues ou les procédés de
réconciliation ? N’oubliez pas de demander la permission du chef et des aînés du
village avant de visiter un nakamal. Vous pouvez également assister aux audiences
des Tribunaux et Cours (aelan kot, Cour d’appel, Cour Suprême) à Port-Vila.
Le protocole commun de 1914
Le protocole commun de 1914 fut une consolidation de la convention de 1906
entre les Français et les Anglais. Il supprima la Commission Navale mixte. La juridiction du Tribunal mixte fut élargie pour
inclure les offenses sérieuses commises
entre insulaires. Un Tribunal indigène
fut formé pour traiter des offenses mineures. Retardé par les bouleversements
de la Première Guerre mondiale, il ne fut
pas ratifié avant 1922 (MacClancy 2002 :
100). Le protocole franco-anglais de 1914,
prévoyait que :
Une force de police sera établie aux
Nouvelles-Hébrides sous le nom de milice
des Nouvelles-Hébrides, elle sera composée
de deux divisions de forces égales, chacune
restant sous les ordres de son Commissaire
Résident respectif (MacClancy 2002 : 91).
Carte montrant les
secteurs administratifs des
Nouvelles-Hébrides (d’après
MacClancy 2002 : 14).
La force de police du condominium fut
formellement constituée en 1923. Pour
des raisons pratiques, elle devenait un
service du condominium pour une intervention commune des deux forces de
police, la police britannique et la gendarmerie française. Les officiers étaient des
expatriés et les agents subalternes étaient
des Mélanésiens recrutés localement.
Les débuts du condominium et le gouvernement colonial: de 1887 à 1980
25
Les Délégués français et britanniques du condominium ne visitaient pas leurs régions
en même temps, et présidaient des tribunaux indigènes lorsque c’était nécessaire.
Si un homme devait être puni pour ivresse dans un village, il se cachait dans la
brousse quand le délégué du condominium britannique venait parce qu’il savait que la
punition serait plus grave et l’amende beaucoup plus élevée que quand le délégué du
condominium français traverserait le village ! Je me rappelle un homme agissant ainsi
à Mallicolo. — Anne Naupa, communication personnelle ; septembre 2004
Les Délégués du condominium
Les Délégués du condominium (DC) travaillaient dans les îles et étaient sous l’autorité
des Commissaires Résidents (CR) basés à Port-Vila. Comme pour toutes les activités
du condominium, il y avait des Délégués du condominium français et britanniques. La
majeure partie de leur travail se faisait en bichelamar.
L’extrait suivant est tiré de l’article de Jean-Michel Charpentier dans « Tufala
Gavman » (2002 : 155). Linguiste et anthropologue français, il a travaillé aux NouvellesHébrides pendant la majeure partie des années 1970, en tant qu’enseignant, conseiller,
puis conservateur du centre culturel de Port-Vila.
Pour la plupart des immigrants européens qui n’avaient jamais vécu dans un territoire colonial, le Délégué du condominium s’apparentait à un représentant local du gouvernement
central… Cependant, le condominium poussa la décentralisation à son paroxysme et les
Délégués du condominium étaient pour la plupart leurs propres maîtres. Plutôt que d’être
le fonctionnaire local responsable de l’application correcte de la loi, le Délégué du condominium adaptait très souvent la loi aux circonstances… l’importance des pouvoirs de chaque
Délégué dépendait en fait en grande partie de la volonté de la population locale à coopérer…
C’était son charisme personnel et la confiance des gens en lui qui déterminaient s’ils obtempéraient ou ne tenaient pas compte de la loi.
À un niveau strictement local, les Délégués du condominium n’avaient aucun pouvoir
direct sur le peuple. Chaque village ou groupe de population dirigeait ses propres affaires
selon ses coutumes… Les Délégués pouvaient seulement intervenir dans les affaires d’un
village lorsqu’ils étaient invités par le chef local ou l’assesseur (porte-parole de la communauté), généralement après que les villageois ne parviennent pas à conclure un accord par
eux-mêmes.
Les Délégués du condominium devaient tenir compte des règles européennes admises,
mais aussi des valeurs mélanésiennes, qui étaient toujours respectées. L’administration de la
justice dans ces circonstances exigeait de l’intelligence, de la circonspection et, surtout, une
bonne connaissance de la situation… L’administration et la justice semblaient être le champ
d’action de ces agents, mais ce n’était en fait qu’une partie de leur travail parce que… les travaux publics étaient… importants. Ainsi, c’était le Délégué du condominium qui décidait, pratiquement seul, de l’endroit et de la nécessité de construire une route, de la localisation d’une
école dans tel ou tel endroit, etc. Il avait besoin du consentement des villageois, mais comme
il provenait en quelque sorte des Européens, ils avaient tendance à lui accorder leur confiance.
26
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Délégué britannique rendant
justice à Tanna, dans les
années 1950 (collection
Borlandelli, photo non datée)
Questions de compréhension
1. Quels rôles jouaient la personnalité et le caractère d’un Délégué du
condominium dans l’application de la loi ?
2. Comment les insulaires pouvaient-ils se jouer de ces Délégués ?
Pour aller plus loin
1. Pourquoi les Délégués français avaient-ils tendance à visiter les villages
francophones et les Délégués britanniques les villages anglophones (en dépit du
bichelamar qui était la langue principale de communication) ?
2. Charpentier décrit le travail des Délégués du condominium comme une forme
‘basique d’administration’. En vous reportant à ce que vous avez déjà lu, êtesvous d’accord avec cette description ?
Le Tribunal indigène
Les tribunaux indigènes furent officiellement établis en 1928. Le système de tribunal
indigène a été favorisé principalement par les Anglais, pour être mis en application
dans les secteurs presbytériens et les zones où résidaient des sujets britanniques. Par
conséquent, Epi, quoiqu’elle soit située dans la zone centrale 1, ne fut pas incluse dans
ce système juridique parce que sa population de planteurs européens était principalement française. La zone centrale 2, dans laquelle Pentecôte était située, ne fut pas incluse dans la législation de 1928.
Le Tribunal indigène traitait les litiges criminels impliquant les Néo-Hébridais. Il n’y
avait pas de tribunal jugeant les affaires civiles des Néo-Hébridais, et à aucun moment
Les débuts du condominium et le gouvernement colonial: de 1887 à 1980
27
Je me rappelle avoir entendu, une fois, un message à la radio racontant qu’un homme
à Pentecôte sauta dans le premier bateau allant à Port-Vila pour aller purger sa peine
de prison ! J’ai vérifié cette information et c’était vrai ! L’homme l’a effectuée à la
prison de Port-Vila ! (David Luders, communication personnelle, Septembre 2004)
pendant le condominium, ils ne furent protégés par un code civil.
Les assesseurs des Néo-Hébridais assistaient le Délégué du condominium au
Tribunal indigène. Quand un Délégué parcourait sa région pour tenir un Tribunal indigène, celui-ci pouvait avoir lieu n’importe où, sous les arbres, sur les flancs des collines,
dans les nakamals et même dans les églises au besoin (Hutchinson dans Bresnihan et
Woodward 2002 : 316).
La plupart des Délégués du condominium convenaient que les nombreuses condamnations qu’ils avaient prononcées dans le cadre des tribunaux indigènes, étaient liées au
fait que les accusés se voyaient poussés à plaider coupable, à la différence des cours britanniques ou françaises où les accusés plaidaient généralement non coupables jusqu’à
ce qu’il s’en avère autrement. L’extrait suivant du Délégué auxiliaire français du condominium pour la zone septentrionale, Camille Gloannec, décrit le Tribunal indigène de
Luganville.
Il était rare… que les défendeurs des Néo-Hébridais démentissent leur culpabilité. À
Luganville, les séances du lundi du Tribunal indigène concernaient la plupart du temps des
Mélanésiens qui, après le travail d’une semaine en ville ou sur une plantation, venaient à ‘Le
Canal’ [un autre nom pour Luganville] voir un film et boire, dans un esprit très occidental,
de la bière et du vin rouge, ce qui les rendait évidemment et publiquement ivres et parfois
disposés à se battre. Après s’être dégrisés pendant une nuit ou deux au poste de police avant
d’être jugés, ils acceptaient assez joyeusement la peine d’emprisonnement d’une semaine,
ou d’un mois dans le cas d’une deuxième offense. Le Tribunal dut également entendre, naturellement, mais moins souvent, des cas plus sérieux tels que vol, agression, sorcellerie et
comportements indécents.
[…] Les prisonniers étaient bien nourris et le travail qu’ils devaient faire, consistant généralement à l’entretien de la caserne, était léger et leur permettait de passer leurs journées en
dehors de la prison. Les visites étaient permises et en soirée, après leur repas, les détenus
pouvaient parler, plaisanter, rire et même chanter. La ‘calaboose’ (prison) de Santo n’était nullement un goulag ! (dans Bresnihan et Woodward 2002 : 273)
Les tribunaux indigènes, cependant, n’opéraient pas dans toutes les îles de l’archipel. Le
‘Plus en détail’ suivant examine le cas des meurtres perpétrés à Pentecôte en 1940. Il illustre le désordre existant et les limites juridiques du condominium.
Plus en détail – les meurtres de Pentecôte
Les violences entre insulaires ‘païens’ et ‘chrétiens’ n’étaient pas rares, particulièrement
dans les secteurs où convertis et non-convertis vivaient côte à côte. Près de la Mission
catholique de Melsisi, au centre de Pentecôte, cette rivalité sournoise faisait rage dans
une véritable guerre entre les deux groupes.
G o u l a g : un camp de
prisonniers dans l’ex-Union
Soviétique, où les prisonniers
politiques étaient traités
comme des esclaves. Beaucoup
d’entre eux en sont morts.
28
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
En mai 1940, le Délégué britannique du condominium, C.M.G. Adam, visita
Pentecôte. Il apprit que quatre hommes avaient été tués près de Melsisi, mais sentit
que, même en tant que D.C., pour le secteur, il ne pouvait rien faire pour résoudre les
difficultés connues à Melsisi. En raison du manque de participation du gouvernement
du condominium, Père Louis Gilbert Guillaume, le missionnaire mariste en fonction
à Melsisi depuis cinq années, décida qu’il n’avait pas d’autre choix que de prendre en
mains ces problèmes. Il craignait qu’avec ces combats continus et la destruction des
jardins, la faim soit le prochain désastre frappant le centre de Pentecôte.
Père Guillaume se rendit à Port-Vila au début de juillet 1940. Quand il revint à
Melsisi, il découvrit que les massacres et les razzias de village entre les deux groupes
n’avaient pas cessé. Quelques insulaires lui demandèrent de l’aide pour sortir de cette
situation difficile et il accepta. Appuyée par Père Guillaume, une force de catholiques se
mit en chasse pour venger les derniers meurtres. Père Guillaume leur fournit un fusil de
chasse à 12 coups et quelques cartouches. Il donna également des munitions à ceux qui
avaient déjà des armes à feu.
La guerre de Melsisi continua jusqu’en octobre et le nombre de morts s’accrut. Un
planteur de Mallicolo appelé Ewan Corlette entendit parler de ce combat et entra en
contact avec le Délégué britannique du condominium Adam. La semaine suivante,
Adam vint à Melsisi pour enquêter sur cette histoire. Il arrêta 17 personnes qui devaient
être envoyées à Port-Vila, mais il ne blâma pas les gens de Melsisi. L’extrait suivant
est tiré du rapport d’Adam sur l’incident, récupéré de l’article de Hugh Laracy dans le
‘Journal of Pacific History’ intitulé ‘The Pentecost murders : An Episode in condominium
Non-Rule, New Hebrides, 1940’ (1991).
Pour conclure, J’attire l’attention sur le parti pris par le missionnaire catholique, Père
Guillaume, qui, par un mot, aurait pu empêcher ces meurtres, mais qui, au lieu de cela,
a incité les indigènes à tuer et leur a fourni des armes et des munitions, et également sur
l’action du Délégué français du condominium, Monsieur Arnauld, qui, après s’être entretenu
avec le prêtre sur ce qui aurait dû être sanctionné, a certainement fermé les yeux sur les
meurtres (Laracy 1991 : 252).
A.H. Egan, le juge britannique, soutenait l’opinion d’Adam et pensait même que Père
Guillaume pouvait être jugé et tenu responsable des décès des personnes de Melsisi.
En revanche, le juge français prétendait que le missionnaire était ‘juridiquement
irréprochable’ en raison d’une confusion des limites du système juridique, car Pentecôte
était dans une zone qui ne possédait pas de tribunal indigène officiellement en activité.
Il n’y avait pas de système légitime qui permettait de juger les personnes de Melsisi
devant un tribunal indigène.
Il y eut de nombreux mois d’indécision et de discussions entre Français et Anglais au
sujet des meurtres de Pentecôte et des actions de l’Église catholique. Père Guillaume
comparut finalement devant un tribunal à Nouméa pour la charge de complicité de
meurtre. Il fut acquitté, mais on ne lui permit pas de retourner aux Nouvelles-Hébrides.
En réponse aux meurtres de Pentecôte, le condominium dut reconnaître que certains
de ses règlements étaient défectueux. En effet, le condominium ne pouvait pas juger les
meneurs de Melsisi pour les meurtres commis car l’île ne faisait pas partie d’une région
gérée par un tribunal indigène. En 1943, la règle commune numéro 9, ‘mettre en vigueur
le code indigène et instituer les tribunaux indigènes dans la zone centrale N° 2 et la
zone septentrionale’ fut finalement mise en application.
Les débuts du condominium et le gouvernement colonial: de 1887 à 1980
29
Pour aller plus loin
1. En quoi cette histoire reflète-t-elle le manque de coopération entre Français et
Anglais ?
2. Comment révèle-t-elle le manque d’organisation du gouvernement de
condominium ?
Discussion
1. La décision du Père Guillaume de prendre les choses en main était-elle justifiée ?
Pourquoi ?
2. Imaginez que vous êtes fonctionnaire français ou britannique du condominium.
Comment traiteriez-vous la situation de Melsisi ?
3. Imaginez que vous êtes un membre de la communauté de Melsisi. Comment
cette situation affecterait-elle votre communauté ?
Le double système administratif actuel aux Nouvelles-Hébrides engendra une
atmosphère chaotique, à la limite de la comédie. Les administrations étaient régulièrement en désaccord et les insulaires tiraient profit de ce ressentiment historique
entre Français et Anglais. Comme beaucoup d’anciens habitants du condominium le
rappellent fréquemment, la vie aux Nouvelles-Hébrides était toujours intéressante et
vraiment multiculturelle.
Les populations du condominium
Vers 1914, Jacomb (1914 : 19) signale qu’il y avait ‘300 colons britanniques, 700
Français, environ cent vingt autres étrangers et 65 000 insulaires.’ Les autres colons
comprenaient ‘24 Allemands, 26 Japonais et un florilège d’Espagnols, de Néerlandais,
d’Américains, de Norvégiens, de Danois, de Belges, de Suisses, etc. 75 choisirent
d’être classés comme Anglais et 46 comme Français.’ Au début du condominium,
les Européens devaient choisir entre la loi française ou britannique. Les Mélanésiens,
Je me rappelle d’une fête, le Boxing Day 1971, donnée par Jean et Cecilia Ratard [des
planteurs français]. Cecilia était la fille d’un prêtre suisse défroqué et de son épouse
des îles Gilbert. Elle était grande, gaie, bilingue et pour beaucoup ‘la grande dame’
de Santo. La fête fut donnée sur leur plantation sur Aore… en l’honneur du deuxième
anniversaire de leur petite-fille.
Je me rappelle clairement des mets cuisant sur les broches, des porcs dans les
fours ‘canaques’, des tables ployant sous le poids de la nourriture et des centaines
d’invités servis par des femmes des îles Gilbert avec des fleurs dans les cheveux… on
se sentait comme pris dans une sauterie du 19e siècle.
(Brian Bresnihan dans Bresnihan et Woodward 2002 : 103)
30
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Les populations du
condominium : une
Mélanésienne, une Wallisienne
et une Indochinoise.
… Mao, un bar délabré tenu par un couple de Tahitiens. Les Européens se
réunissaient souvent là pour boire une bière après le travail et je me rappelle que
Madame Mao préparait toujours des sandwichs pour ses clients si elle estimait qu’ils
risquaient de passer au-dessus du comptoir ! Mao était toujours un lieu de rendezvous pour les bals de Santo, qui se tenaient rituellement pour l’anniversaire de la
reine, le 14 juillet et la veille de la nouvelle année. Le point culminant du dernier bal
se produisait quand les lumières étaient obscurcies à minuit et qu’un groupe de
danseurs polynésiens, jeunes et nubiles en jupes de feuilles, portant des torches
enflammées, amusaient les spectateurs (Bresnihan et Woodward 2002: 105).
H y poth èque : gage ; garantie
quant à eux, n’avaient pas le droit d’obtenir la citoyenneté de l’une ou l’autre des deux
puissances : comme leur territoire, ils étaient déclarés ‘sujets’ et placés sous ‘influence
commune’ (Bonnemaison 1994 : 414). Les insulaires n’étaient donc pas formellement
reconnus comme possédant une identité nationale officielle. Les Anglais étaient principalement une communauté constituée d’Anglais, d’Australiens et d’Écossais. Ils
étaient planteurs et négociants. La plupart d’entre eux habitaient à Port-Vila, et beaucoup travaillaient pour la résidence britannique. Les missionnaires étaient dispersés
dans l’ensemble de l’archipel. Les planteurs britanniques généralement étaient indépendants et possédaient leurs propres terres. La communauté française était composée
de négociants, de planteurs et de travailleurs contractuels provenant d’autres colonies
françaises, dont notamment la Nouvelle-Calédonie. Les planteurs caractérisaient la
communauté française et, à la différence des planteurs britanniques, étaient impliqués
de façon minimale dans le commerce. Contrairement aux planteurs britanniques, les
planteurs français n’étaient pas indépendants, car ils possédaient des plantations obtenues par hypothèque auprès de la CCNH ou une autre compagnie française.
De la Rüe (1945 : 30) déclarait que ‘Les Européens y sont représentés en majorité
par des Français, les uns de la métropole, des fonctionnaires et leurs familles principalement, les autres, plus nombreux, originaires de la Nouvelle-Calédonie, et par des ressortissants britanniques, des Australiens surtout avec quelques Anglais, Néo-zélandais
Les débuts du condominium et le gouvernement colonial: de 1887 à 1980
31
et Norfolkais… Les seuls Canaques qui demeurent à Vila y sont engagés comme
manœuvres dans les comptoirs ou comme domestiques et cuisiniers chez les particuliers. Ils venaient généralement des villages du sud d’Efate. La population de la ville de
Santo était tout à fait cosmopolite. Vous pouvez lire l’histoire des villes de Port-Vila et
Luganville dans le chapitre ‘La croissance de Port-Vila et de Luganville’.
Dans les années 1920, Plus de 5 000 travailleurs immigrés indochinois arrivèrent
dans l’archipel, et s’ajoutèrent à la population cosmopolite des Nouvelles-Hébrides
(pour plus de détail, se référer au chapitre ‘Planteurs et Plantations’ du volume 2).
L’autre main-d’oeuvre saisonnière provenait de l’île de Wallis dans les dernières années
du condominium, territoire français situé à l’est de l’archipel du Vanuatu.
Enfin, il existait notamment à Port-Vila et à Luganville de nombreux métis. Une
grande partie d’entre eux étaient reconnus comme Français. Les sujets français avaient
en effet une bien plus grande propension à se mélanger à la population indigène, asiatique ou aux insulaires des autres archipels que les britanniques. Ce métissage reflétait
une plus grande tolérance à l’égard des Néo-Hébridais et de leur mode de vie, de même
que les missionnaires catholiques étaient moins intransigeants que les presbytériens
ou les adventistes envers les coutumes indigènes.
Questions de compréhension
1. En se basant sur le récit de Jacomb, combien de personnes habitaient les
Nouvelles-Hébrides en 1914 ? Quel était le pourcentage de Mélanésiens ?
2. Qu’est-ce qu’un Caldoche ? Qu’est-ce qu’un Kanak ?
3. Dans les premières années du condominium, y avait-il beaucoup de Mélanésiens
étrangers à Efate habitant à Port-Vila ?
Plus en détail – des travailleurs wallisiens aux Nouvelles-Hébrides
En 1967, Tui Soane embarqua dans le M.V. Kononda avec environ 200 hommes et
femmes de Wallis et dit au revoir à sa famille, qu’il ne revit jamais. Quand il quitta Wallis,
Tui avait seulement 19 ans. Avec ses camarades wallisiens, Tui signa un contrat avec le
gouvernement français pour venir aux Nouvelles-Hébrides travailler dans la mine de
manganèse dirigée par la Compagnie Française des Phosphates de l’Océanie à Forari
sur la côte est d’Efate. Il travailla comme soudeur dans la mine pendant quatre années.
Pelenatita (Bernadette) Maiau, qui épousa Tui en 1973, débarqua aux Nouvelles-Hébrides
en 1960 quand elle avait deux ans. Ses parents, comme Tui, avaient décidé de laisser leur
pays d’origine pour travailler sous contrat français aux Nouvelles-Hébrides. Le père de
Pelanatita, à l’origine, travaillait sur une plantation française de coprah près de l’aéroport
et par la suite fut déplacé avec sa famille à Forari afin de travailler dans la mine.
La ‘mine’ était peuplée d’ouvriers originaires de différents pays, comme le Tonkin
(aujourd’hui connu sous le nom de Vietnam), Tahiti, Futuna, Wallis, la France, Kiribati,
Fidji et les Nouvelles-Hébrides, ainsi que d’autres pays. Les ouvriers de Forari avaient
leur propre église catholique, recevaient un salaire d’environ 15 livres par semaine et
possédaient un terrain où ils pouvaient planter leurs propres jardins pour la nourriture.
Il y avait également un magasin et un cinéma dirigé par un Tahitien pour les loisirs des
ouvriers.
Quel q ues exp r essi on s
w al l is iennes
B o n j o u r : malo te ma’uli
À d e m a in : malo te afi afi
m e r c i : malo te’ofa
32
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
En plus de travailler dans la mine de manganèse, les Wallisiens, comme le père de
Pelanatita, venaient également travailler sur les plantations françaises de coprah. De
nombreuses tâches étaient vacantes et le gouvernement français les incitait à venir
travailler aux Nouvelles-Hébrides comme travailleurs contractuels.
Que ressent-on lorsqu’on quitte son pays pour aller travailler dans un autre pays
qu’on ne connaît pas ? Tui rapporta ce qui suit :
Taem we mi aot long aelan blong mi, Wallis, mi bin sad tumas. Taem we mi fes kam long ples
ia, mi tingbaot famli blong mi plante. Mi sori long olgeta, from se mi wan, mi kam. Be taem
we mi stap ating 2 yia long ples ia, mi jas save ol man nao. Mo mi harem se hem i kam olsem
ples blong mi nao. Mifala i kam olsem famle nao. Hemia nao i mekem se mifala i no save aot
long ples ia. Mifala i blong Wallis, be hom blong mifala, hem i Vanuatu nao.
Pelanatita raconta le récit suivant sur la vie à Forari lors du passage des NouvellesHébrides au Vanuatu indépendant :
Mifala long Forari long taem ia, mifala i kam long plante defren ples. Sapos yu sidaon wetem
sam nara man, bae yu stori, mo bae yu lanem smol long langwis blong olgeta. Mo mi tu,
taem we mi toktok langwis blong mifala long Wallis, olgeta, oli lanem smol. Mifala long
Forari, mifala i olsem wan bigfala famle.
Long ol taem bifo, laef i gud. Mifala i wok long kontrak, i mekem se gavman blong Franis i
lukaotem mifala. Taem we Niu Hebridis i kam Vanuatu, i had lelebet. Bifo long independens,
« la mine » i klos finis. Plante long ol man Wallis, oli go bak. Sam oli go long Niu Kaledoni,
olsem mama mo papa blong mi, wetem ol brata mo sista blong mi. Mo sam, oli dipotem
[expulsèrent] olgeta. Be sam, oli stap. Mo mifala i mas pem « resident’s permit » long evri yia.
Wanwan man Wallis, oli stap olbaot long ol aelan long Vanuatu. I gat wan olfala we hem i
stap yet long Malakula. Mo i gat sam man Wallis we oli stap long Santo… Mifala i glad blong
stap long ples ia from se hem i olsem hom blong mifala nao, mo hem i hom blong ol pikinini
blong mifala (Interrogé par Sara Lightner, le 9 september 2004).
Pour aller plus loin
1. Quels sont les défis auxquels les travailleurs contractuels devaient faire face lors
de leur venue aux Nouvelles-Hébrides ?
2. Pourquoi les Français encourageaient-ils les travailleurs contractuels des autres
territoires français à venir travailler aux Nouvelles-Hébrides ?
3. Quand nous parlons d’immigration, nous devons analyser tous les facteurs
qu’ils soient d’exode ou d’attraction. Ceux-ci se rapportent aux raisons qui
motivent la décision d’émigrer. Les facteurs d’exode sont ceux qui poussent hors
de notre propre pays ou point d’origine. Cela peut-être la famine, la guerre, ou
encore la persécution. Les facteurs d’attraction sont les raisons qui attirent dans
le pays ou l’endroit dans lequel nous immigrons. Ceux-ci peuvent inclure les
relations, le travail, la terre et les opportunités scolaires (scolarité et formation).
Pensez aux personnes qui sont venues aux Nouvelles-Hébrides pendant le
condominium. Quels étaient leurs motivations ?
Expression écrite
Si vous aviez l’opportunité d’aller travailler à l’étranger, le feriez-vous ? Pourquoi ?
Les débuts du condominium et le gouvernement colonial: de 1887 à 1980
33
Enquête
Connaissez-vous une personne originaire de Wallis ou d’autres pays habitant au
Vanuatu ? Interrogez-la pour découvrir son histoire. Faites une liste des questions
comme, par exemple :
• En quelle année, votre famille a-t-elle émigré aux Nouvelles-Hébrides/Vanuatu ?
• Pourquoi est-elle venue ?
• Qui l’a encouragée à venir au Vanuatu ?
• Au début, était-ce difficile ? Pourquoi ?
Témoignages sur le condominium
En 1945, E. Aubert de la Rüe (1945 : 35) remarquait qu’à Port-Vila, au lieu de condominium, on parlait souvent de Pandémonium, mais on rencontrait dans le groupe un
certain nombre de colons qui s’accommodaient bien de cet état de choses et ne semblaient nullement souhaiter la fin de ce régime hybride qui, à les entendre, les avantageait plus et leur revenait moins cher que s’il s’agissait d’une colonie normale’. Quel
genre d’avantages possédaient les colons pendant le condominium ? Réfléchissez aux
systèmes séparés de maintien de l’ordre.
Jacomb (1914 : 205) acheva ‘The Anglo-French condominium’ par le constat suivant : ‘L’expérience a échoué : soyons assez francs pour l’admettre.’
Pour aller plus loin
1. À quoi se réfère Jacomb quand il écrit ‘l’expérience a échoué’ ? En vous basant
sur les informations de ce chapitre, êtes-vous d’accord avec lui ? Bonnemaison
appelle le condominium ‘une administration, tout sauf commune’ dans
« L’arbre et la pirogue » (1994), et beaucoup de gens ont comparé la période du
condominium à un ‘pandémonium’.
2. Edward Jacomb s’est opposé à beaucoup de démarches françaises et soutenait
le contrôle britannique complet de l’archipel. Son livre sert à communiquer ses
opinions. Comment l’histoire peut-elle être présentée d’une manière partiale ?
Quand vous prenez connaissance d’une histoire, il est important de la lire avec un
esprit ouvert et de considérer les motifs principaux qui existent derrière l’écriture.
William Miles, un politologue américain, conclut « Bridging Mental Boundaries in a
Postcolonial Microcosm: Identity and Development in Vanuatu (1998) avec le commentaire
suivant à propos du condominium :
Il y a un avantage non négligeable du legs du condominium. C’est vrai que le condominium
a divisé les Mélanésiens des Nouvelles-Hébrides en deux camps. Cependant, étant donné
que chaque puissance coloniale se surveillait mutuellement, ni la France ni la GrandeBretagne n’influencèrent anormalement l’archipel. Ironiquement, en se concurrençant
toutes les deux, les puissances coloniales ont protégé les Nouvelles-Hébrides contre une colonisation intensive par l’une ou l’autre d’entre elles (Miles 1998 : 196).
P a n d é m o n iu m : chaos
total ; désordre ; capitale
imaginaire de l’enfer.
H y b r id e : mixte ;
composé d’éléments de
deux natures différentes.
34
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Les bateaux du condominium,
les seuls à naviguer dans le
monde sous les deux pavillons
(Gourguechon 1977 : 12).
Bien que l’administration du condominium n’ait pas séparé les îles de l’archipel en deux
territoires distincts, leurs habitants ont été divisés de différentes façons. Aux divisions
traditionnelles, s’est ajoutée une distinction entre francophones (personnes qui parlent
français) et anglophones (personnes qui parlent anglais). Les oppositions religieuses
entre protestants et anglicans (de l’Empire britannique) et catholiques (français) ont également scindé les insulaires. Cette scission parmi les insulaires devait être surmontée
pour s’émanciper de la double tutelle des gouvernements anglais et français. Les enjeux d’unification furent la terre et l’identité. Toutefois, les nationalistes anglophones
qui conduisirent le pays à l’indépendance échouèrent, en partie, à unifier la population.
Cet échec tient notamment à la façon dont ces nouvelles élites nationalistes stigmatisèrent les francophones comme des patriotes douteux et à la répression féroce des NéoHébridais ayant soutenu la rébellion de Santo. La jeune nation du Vanuatu, trente ans
après l’indépendance, s’efforce encore de surmonter ses héritages coloniaux toujours
présents. Dans le chapitre ‘En route vers l’indépendance’, nous examinerons les événements et les enjeux qui ont posé les fondements d’un mouvement vers l’indépendance.
Activité de discussion
Avec vos propres mots, expliquez l’avantage principal du patrimoine colonial du
Vanuatu décrit par Miles. Etes-vous d’accord avec lui ?
Expression écrite
Tracez un petit cercle sur une nouvelle page de votre cahier d’exercices et
étiquettez-le ‘je’. Tracez ensuite une ligne à travers le cercle pour créer deux
colonnes sur la page. Nommez la première colonne ‘influences coloniales /
européennes’ et l’autre ‘influences traditionnelles’. Sous le titre ‘influences
coloniales’, énumérez tous les aspects de votre vie qui existent aujourd’hui à
cause de l’héritage colonial du pays. Par exemple : aller à l’école et parler français
Les débuts du condominium et le gouvernement colonial: de 1887 à 1980
35
ou anglais, aller à l’église, parler bichelamar. Compléter cette liste. Sous le titre
‘influences traditionnelles’, énumérez tous les aspects de votre vie qui existent
aujourd’hui grâce à vos acquis culturels. Par exemple, quelle langue locale parlezvous ? Quelles cérémonies coutumières sont d’usage pour des événements
comme des mariages et des enterrements ? Savez-vous tisser ou sculpter ?
Naviguer en pirogue ? Le but de cet exercice est de montrer que la vie des NiVanuatu d’aujourd’hui est influencée par leur passé colonial et culturel, ce qui crée
une identité vanuataise qui embrasse toutes ces influences et les présente d’une
manière uniquement vanuataise.
Le début du condominium dans l’archipel anticipe la création de zones urbaines à Efate
et Santo. L’arrivée des militaires américains pendant la Seconde Guerre mondiale en
1942 favorisa le développement d’infrastructures dans ces deux îles, en particulier à
Santo. Nous nous renseignerons sur ces deux aspects de notre histoire coloniale dans
‘La seconde Guerre mondiale aux Nouvelles-Hébrides’ et dans ‘La croissance de PortVila et de Luganville’. De plus, durant le condominium, plusieurs mouvements sociaux indigènes ont vu le jour dans certaines îles et représentaient la coutume face aux
Eglises et au colonialisme. Nous en apprendrons davantage dans ‘Les cultes du Cargo et
les mouvements indigènes du 20ème siècle à nos jours’.
On peut se rappeler les années du condominium comme des périodes à la fois difficiles et animées. Les difficultés résultaient de la rivalité franco-britannique active dans
le système administratif commun, mais, en même temps, les caractères colorés et le
style de vie multiculturel ont engendré une situation unique au monde. Le chapitre suivant souligne cet aspect de l’histoire coloniale du pays.
Annexe A pour la liste des Commissaires Résidents français
et britanniques durant le condominium.
36
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
37
chapitre deux
Les cultes du Cargo
et les mouvements indigènes
du 20ème siècle à nos jours
Introduction
Ce chapitre propose un aperçu sur les mouvements indigènes qui, au cours des 19ème et
20ème siècles, en Mélanésie, ont réagi à la christianisation et à la colonisation. Ces mouvements étaient différents de la coutume et des traditions, mais également des pratiques des Mélanésiens convertis au christianisme. La manière dont ces mouvements
devaient être dénommés a longtemps été discutée : « culte du Cargo » est l’expression
qui fut le plus couramment utilisée pour les décrire.
Aux Nouvelles-Hébrides, en jouant sur les rivalités franco-britanniques, les
Mélanésiens conservèrent durant les premiers temps du condominium une relative autonomie, malgré les dépossessions foncières et les violences que les missionnaires et
les administrations leur infligèrent. Les excès de zèle commis par les missionnaires
presbytériens dans leur entreprise méthodique de déstabilisation de l’ancien ordre social et de lutte contre toute survivance du paganisme, firent adhérer de nombreux villages aux Missions concurrentes. Dans les régions de certaines îles, les Mélanésiens
non convertis conservaient les croyances traditionnelles du culte des ancêtres. Ailleurs,
ils s’engagèrent dans des mouvements religieux indigènes pour contester les Missions
et le pouvoir colonial (cultes prophétiques de Rongofuro, Avu Avu, Naked cult à Santo,
mouvement millénariste John Frum à Tanna). La christianisation toucha une grande
majorité des habitants de l’archipel, mais elle ne fut jamais complètement achevée.
Qu’est-ce que le « culte du Cargo » ?
« Cultes du Cargo » (de l’anglais Cargo-cults) est une expression inventée en 1946
par un journaliste australien Norris Mervyn Bird. Le mot Cargo renvoie à l’émerveillement supposé des Mélanésiens, dans les premiers temps de la colonisation, devant
les moyens technologiques des Occidentaux. La notion de Cargo se rapporte notamment aux marchandises des Blancs, dont les modes de fabrication étaient inconnus
des Mélanésiens. Les récits consacrés à ces mouvements insistaient fréquemment sur
la dimension prophétique de ces mouvements. Car les Mélanésiens formulaient parfois la croyance que toutes ces marchandises avaient été fabriquées par leurs propres
ancêtres, qu’elles avaient été dérobées par les Blancs, et que donc, elles devaient être
rendues aux Mélanésiens. A la notion de Cargo fut ajoutée celle de culte pour former
l’expression « culte du Cargo ». Cette expression vient souligner la confusion prêtée
à ces récits mythologiques indigènes sur l’origine de ces marchandises, sur l’identité
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Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
supposée de leurs véritables propriétaires, et sur les moyens rituels utilisés pour tenter de les récupérer. Ces mouvements Cargo ont la particularité de ne se retrouver qu’en
Mélanésie : ni en Polynésie, ni en Micronésie, ni en Australie, ni en Indonésie, ne sont
apparus des mouvements sociaux aussi similaires entre eux que ceux qui ont vu le jour
en Mélanésie.
Le travail des ethnologues contribua à rendre célèbre cette expression « culte du
Cargo ». Celle-ci minimise cependant la dimension politico-religieuse de ces mouvements et paraît insuffisante pour décrire les profondes crises sociales et culturelles qui
marquaient leur apparition. Ces cultes du Cargo étaient utilisés pour tenter de neutraliser les influences extérieures à la société indigène, tout en s’appropriant symboliquement, par des moyens rituels, les pouvoirs attribués aux Occidentaux.
Questions de compréhension
1. Quelle est l’origine de l’expression « culte du Cargo » ?
2. Quels sont les régions du monde connues pour avoir eu des cultes du Cargo à
un certain moment de leur histoire ?
La Vailala Madness et les premiers cultes du Cargo
Avant qu’elle n’ait été remplacée par l’expression anglaise « Cargo Cult », la notion de
« Vailala Madness » était la plus fréquemment employée pour désigner les premiers
mouvements cultuels mélanésiens, car ils apparurent aux yeux des Occidentaux comme
une forme de maladie mentale collective des Mélanésiens, provoquée par toutes les
nouveautés qu’ils découvraient.
La Vailala Madness débuta parmi les groupes Elema de la région du golfe de
Papouasie. Toute la vie sociale, politique, économique, culturelle des Elema était concentrée sur un ensemble de rites et de cérémonies qui se déroulaient sur une période de
Zone géographique d’apparition
des mouvements indigènes
appelés cultes du Cargo.
Les cultes du cargo et les mouvements sociaux des années 1930 à 1940
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Masques cérémoniels des
Elema du golfe de Papouasie
au début du 20ème siècle
(Collection F. Hurley).
vingt ans. Ce peuple édifiait de véritables cathédrales végétales (eravo) qu’il remplissait
de crânes d’ancêtres, de masques, de rhombes et autres symboles rituels. La confection
des grands masques (hevehe) demandait des mois de travail et leur maniement nécessitait un entraînement d’athlète. Chaque nouvelle étape cérémonielle, chaque rite de passage permettait de dévoiler aux non-initiés le sens des effigies surnaturelles qui leur
étaient présentées. Ces cérémonies étaient ponctuées de fêtes, de chants, de danses.
A la fin d’un cycle cérémoniel de vingt ans, les masques étaient brûlés sur un bûcher et
la grande maison des esprits était laissée à l’abandon.
En 1919, cette harmonie cérémonielle et cette splendeur esthétique des productions matérielles des Elema connurent une brusque fin. Dans une station missionnaire proche du fleuve Vailala, un nouveau type de performance rituelle vit le jour. Les
masques furent jetés sans ménagement sur la place publique devant les femmes et
les non-initiés. Les cathédrales végétales eravo furent abandonnées. Cette volonté des
Elema de détruire les symboles les plus puissants liés aux croyances traditionnelles fut
assimilée par les autorités coloniales à une folie collective qui se propageait à la manière
d’une épidémie. Ils la baptisèrent « Vailala Madness ». Le signe le plus surprenant de
ces manifestations était un fanatisme collectif tourné contre la société traditionnelle.
Les Elema renversèrent du jour au lendemain l’ordre social traditionnel. Ils supprimèrent la chefferie existante, pour lui préférer le pouvoir de « head-i-go-round-man » : des
hommes du commun qui se présentaient comme des prophètes, parlant une langue
nouvelle (le djaman) et pratiquant des transes collectives (kavakeva).
Ces nouveaux prophètes s’efforçaient de détruire tout ce qui pouvait rappeler les anciennes coutumes. La suppression des masques était devenue une priorité absolue en
raison du danger de mort supposé qu’ils auraient représenté pour les villageois. Les
Elema inventèrent de nouveaux rituels pour communiquer avec les ancêtres, au moyen
de mâts, de drapeaux, de saluts militaires, de parades militaires et de crises de pos-
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Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Mâts pour hisser des
drapeaux chez les Elema
lors de la Vailala madness
(collection F.E. Williams).
session. Les nouveaux « boss » du mouvement prétendaient recevoir leurs prophéties
depuis leur « estomac » qui parlait pour eux (belly-i-tink) : il fallait dorénavant se revendiquer de Iesu, de Iohva et de toutes sortes de nouveaux esprits. Les Blancs étaient
considérés comme les esprits des ancêtres des Elema, qui revenaient chez eux pour apporter à leurs descendants toutes les richesses détenues par les Blancs.
Les mouvements Tuka (à Fidji), de Mansren Koreri et de Milne Bay (en NouvelleGuinée), très semblables à la Vailala Madness, avaient déjà débutés à la fin du 19ème
siècle. Les décennies suivantes furent marquées par l’apparition de centaines de cultes
similaires. Les cultes du Taro, de Yali et de Mambu en Papouasie, le mouvement de
Paliau en Nouvelle-Irlande, le Naked Cult aux Nouvelles-Hébrides comptent parmi les
plus célèbres mouvements mélanésiens au cours de cette période. Ces mouvements se
multiplièrent également dans les hautes terres de Papouasie comme dans presque l’ensemble des archipels mélanésiens (îles Fidji, îles Salomon, Vanuatu), à l’exception de la
Nouvelle-Calédonie.
Leurs similitudes quant à leur organisation cérémonielle et à leurs constructions mythologiques étaient frappantes. Ce qui renforçait encore la question de savoir pourquoi
ils apparaissent en certains lieux et non pas ailleurs. Toujours est-il que les premiers
cultes du Cargo sont liés à une volonté d’adapter les anciens systèmes de croyances aux
symboles et représentations imposées par la christianisation. Une seconde vague de
ces mouvements cultuels intervint au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, suite
à l’implication des Mélanésiens dans les préparatifs de la bataille de la Mer de Corail.
A l’image du Masina Rule (Malaïta, îles Salomon) et du culte de John Frum (Tanna,
Vanuatu), les prophètes de ces mouvements d’après-guerre s’inspirèrent fréquemment
dans leur visions, de la puissance de l’US Army ; le pouvoir de ces soldats, parmi lesquels se trouvaient de nombreux Afro-Américains, leur apparaissait éminemment supérieur à celui des agents des tutelles coloniales, dont l’autorité se vit dès lors contestée.
En dépit des nombreuses variantes cérémonielles et des diverses déclinaisons mytho-
Les cultes du cargo et les mouvements sociaux des années 1930 à 1940
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logiques, certains aspects essentiels de la Vailala Madness étaient déjà présents dans des
mouvements antérieurs et se retrouvèrent dans des mouvements ultérieurs. Leurs principaux traits peuvent se résumer comme suit : (1) Ces mouvements cultuels sont des
phénomènes de masse. Leur prosélytisme encourage le dépassement des limites traditionnelles de l’organisation sociale. Des marques, des attitudes, des danses et autres
signes ou expressions corporelles sont utilisés pour symboliser de nouvelles formes
d’identification collective. (2) En favorisant l’émergence de nouvelles figures de l’autorité, ces cultes accompagnent ou accélèrent des changements affectant l’ordre social
préexistant. Ce renversement coïncide également avec des bouleversements cosmologiques relevant d’une perspective rituelle. (3) Ils suppriment ou modifient en profondeur les anciennes organisations cérémonielles : ils décident tantôt la destruction, tantôt
la réactivation d’objets rituels et autres éléments culturels pré-coloniaux. Simultanément
ils procèdent à une ritualisation des marchandises et des moyens technologiques des
Européens. L’instauration de nouvelles pratiques cérémonielles vise à surmonter les
contradictions entre le christianisme et les anciennes croyances, notamment celles liées
au culte des ancêtres. (4) Dans le contexte de ces mouvements, l’attente d’une abondance
définitive et la fin de la domination des Blancs sont des événements perçus comme interdépendants, voire concomitants. Ces cultes valident un nouveau rapport au temps en
modifiant sérieusement les conceptions antérieures de la temporalité.
P r o s é l y t is m e :
recrutement de nouveaux
fidèles pour une religion
Questions de compréhension
1. Pourquoi les cultes du Cargo ont-ils pu être assimilés à des crises de folie
collectives par les Occidentaux ?
2. Employez les mots suivants dans une phrase :
• Prophète
• Prosélytisme
3. Qu’est ce qui pouvait expliquer la fascination des Mélanésiens pour les
marchandises des Occidentaux ?
4. Soulignez certaines différences entre les représentations religieuses
mélanésiennes traditionnelles et le christianisme.
5. Que pouvaient attendre les Mélanésiens de leur conversion au christianisme ?
Pourquoi certains groupes refusèrent de se convertir ?
Aspects théoriques des cultes du Cargo
L’histoire des cultes du Cargo se confond avec celle de l’anthropologie de l’Océanie. Les
contacts culturels dans ces mondes insulaires reculés furent habituellement envisagés
en termes d’« impact fatal » de la domination européenne sur les sociétés indigènes.
Cette théorie de l’anomie culturelle fut parfois poussée jusqu’au paradoxe, lorsqu’elle
servit notamment à expliquer la prolifération de mouvements millénaristes, regroupés
en Mélanésie sous l’appellation « cultes du Cargo ». En dépit de la volonté d’innovation
et des spectaculaires capacités d’adaptation qu’ils mettaient en œuvre, ces mouvements
politico-religieux étaient généralement présentés comme de simples illustrations de la
phase ultime d’un déclin culturel. Avec l’avènement de la période de décolonisation, ils
vont en revanche être étudiés pour leur dynamique d’innovation.
A n o m ie : absence de
direction ou de règles
42
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Guadalcanal, îles Salomon,
mars 1944. Les quantités
d’approvisionnements
embarqués dans le Pacifique
pendant la guerre étaient
impressionnantes. Les piles des
marchandises empilées dans les
dépôts d’approvisionnement ont
provoqué un nouveau mot en
pidgin des îles Salomon : staka,
signifiant « une quantité
énorme. » Une grande partie du
matériel était chargée par des
ouvriers des îles Salomon, ici
déchargement et empilement
des cartons de bière (Lindstrom
et White 1990 : 94).
Bon nombre d’ethnologues, conscients des enjeux d’après-guerre, considérèrent
ces mouvements comme précurseurs de futurs mouvements nationalistes et indépendantistes. Leur impulsion mystique libératrice annonce le passage vers des formes
d’émancipation plus pragmatique. Si les techniques rituelles qu’ils emploient les restreignent au statut de « religion des peuples opprimés », ces cultes n’en préfigurent pas
moins l’adoption d’une organisation rationnelle. L’intérêt anthropologique des cultes
du Cargo réside dans la volonté de réorganisation sociale qui les anime. Ils obéissent à
un principe fédérateur ; l’unification de différents groupes (clans, tribus, ethnies…) sur
une vaste échelle, par l’établissement d’une organisation rituelle nouvelle, représente
l’amorce d’une transition vers l’organisation de la population en syndicats, en associations et en partis. Le jour venu, ceux-ci se saisiront des rênes d’un État et impulseront
l’édification de la nation. Ces cultes seraient ainsi voués à s’effacer derrière la fondation
d’un nouvel ordre socio-politique.
Les faits donneront tort à cette théorie du proto-nationalisme des cultes du Cargo.
Ces manifestations se sont maintenues, malgré l’accession à l’indépendance des États
mélanésiens à partir des années 1970. Aux yeux des nouvelles autorités, ils ont pu apparaître comme séparatistes et donc dangereux pour l’indépendance des Etats souverains
issus de la décolonisation. Les recherches anthropologiques sur les formes contemporaines de perpétuation et de renouveau de ces cultes tendent vers une réévaluation de
ces phénomènes dans leurs rapports aux processus de globalisation et aux questions de
politiques de l’identité.
Les premiers mouvements à Santo
Les cultes prophétiques à Santo se firent connaître au grand jour à la fin des années
1920, avec le meurtre « rituel » du colon Clappot de Tasmalum (côte sud-ouest de
Les cultes du cargo et les mouvements sociaux des années 1930 à 1940
43
Santo). L’affaire Rongofuro, du nom du meurtrier de ce dernier, rassembla des éléments
très caractéristiques des premiers mouvements classés parmi les cultes du Cargo. Les
croyances les plus caractérisées portaient sur l’appropriation des biens des Blancs par
les Mélanésiens, symbolisée par la cargaison des navires de commerce, l’immortalité
des membres du culte et le retour/résurrection des morts en tant que Blancs. La seule
différence tangible tenait avec Rongofuro, dans l’absence du rejet explicite des pratiques
traditionnelles. A ces thèmes classiques s’ajoutèrent à Santo, la crainte des appels aux
meurtres contre les Blancs et d’un soulèvement indigène généralisé.
Si dans son premier rapport à l’administration britannique, le Révérend Raff (1928 :
100) décrivit l’affaire Rongofuro comme le déclenchement d’une « crise de démence »,
il remarqua d’emblée le souci des prophètes d’être payés lorsqu’il s’agissait pour eux de
garantir l’immortalité de leurs adeptes après le cataclysme annoncé, de faire revivre les
morts ou d’obtenir en masse les biens des Blancs. La croyance en la venue d’un bateau
chargé de riz et de fournitures en provenance de Sydney fut attestée. L’accent était mis
sur la place de l’argent dans l’action rituelle inspirée par le prophète et sur ses capacités
personnelles de lettré. Son prosélytisme était dirigé vers les communautés de l’intérieur
de Santo, aux prises avec de très fortes pressions acculturatives, et qui s’en remettaient
à son expérience. Cela lui permit de rassembler progressivement une bonne partie des
populations les plus reculées, sans lesquelles on ne pourrait expliquer la taille des rassemblements rituels pouvant regrouper de plusieurs centaines à quelques milliers de
participants :
Les émissaires de ce chef prophète voyagèrent à travers tout Santo et recrutèrent plusieurs
centaines d’adhérents, qui devaient payer d’abord en cochons, puis en argent, de 5c à 1£,
pour le privilège et les bénéfices attendus. Dans une autre région, les employés de la plantation furent convaincus de la vérité des affirmations du prophète, car, bien qu’il ne soit jamais
allé à l’école, il pouvait écrire le ‘language belong white man’. En guise de preuve, ils montrèrent un morceau de papier sur lequel étaient griffonnés des signes inintelligibles (Raff,
1928 : 100).
L’entreprise rituelle de résurrection des morts se heurta à la présence des Blancs qui,
dans leur ensemble, étaient vus comme les responsables des décès des Mélanésiens,
sauf de ceux survenant par vieillesse. Le meurtre de Clappot se produisit en 1923 au
terme d’un grand rassemblement cérémoniel qui devait se clore par le retour des morts.
Le contexte de son assassinat fut rituel (Clappot fut démembré et dévoré). Mais cet acte
de représailles envers un colon blanc prit une tournure provocatrice. Il fut exécuté chez
lui, et à la manière dont les Blancs effectuaient les expéditions punitives, en les annonçant à l’avance. Cette action visait à démontrer l’invulnérabilité acquise par Rongofuro
à l’égard de ces derniers. Ce mouvement prit fin avec une répression violente qui entraîna de nombreuses arrestations, le jugement, puis l’exécution de Rongofuro et de
deux de ses acolytes.
Selon Harrisson, le caractère curieux, intriguant, du meurtre de Clappot tenait pour
beaucoup à la personnalité de l’assassin. D’après cet observateur, Rongofuro détenait la
capacité de traduire en termes indigènes la conscience de l’exploitation coloniale :
[Le meurtre de Clappot] découla de la dépopulation et de l’insouciance de l’administration.
Et bien que personne ne le relevât, [par ce geste], un des premiers hommes noirs qui discerna l’ensemble du tableau [de la colonisation] dans une vue perspective, fit briller une
flamme déjà vacillante. Il s’agissait de Ronavura, qui avait été formé à la Mission presby-
44
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
térienne de Tangoa, où il avait saisi toutes ces choses que [les Blancs] faisaient (Harrisson
1937 : 380).
Rongofuro ne fut ni le seul ni le premier des prophètes à propager cette croyance. Il
était le neveu du prophète Payolos, qui lui avait transmis l’idée de vendre des magies
d’invulnérabilité. Fort de cette filiation coutumière, Rongofuro personnifiait les nouvelles croyances : il était lui-même revenu d’entre les morts, savait que ceux-ci deviendraient blancs à leur retour, que les Blancs vivants faisaient obstacle à cette attente et
que l’extermination de ces derniers était la seule solution appropriée. Ceux qui voulaient revivre ou se repentir (pour morts d’hommes) devaient reporter leur dette dans le
grand livre de Rongofuro prévu à cet effet.
Avu Avu était un notable influent de la région de Moriul dans la haute vallée de la
Tatsiya au sud d’Espiritu Santo. Son action fut connue dès 1937. On lui prêtait le fait
d’avoir donné l’ordre de tuer tous les Blancs dans l’intention de faire revivre les morts,
et de répandre la croyance en leur retour sur un bateau. Avu Avu fut rapidement dénoncé par un colon et les communautés christianisées. Une fois arrêté, il mourut peu
de temps après. Il n’eut ni le temps d’approfondir le culte qu’il avait fondé ni celui de
rallier beaucoup de communautés.
Le message d’Avu Avu dévoile une volonté marquée d’évitement des Blancs, du rejet des Missions et d’un repli sur soi. Ce prophète visait à fonder sa propre skul (terme
donné comme équivalent à la fois pour l’école et pour le culte). Il se donnait comme intention de klinem ples, de « purifier son pays de tout ce qui venait du passé » (Guiart,
1958 : 203), de supprimer les guerres et l’élevage des cochons. Il fallait suivre les recommandations des missionnaires : vivre suivant un idéal de paix, de pureté morale et
d’hygiène corporelle, mais en se débarrassant des Blancs et des missionnaires qui en
avaient imposé la voie dans l’intérêt de leur propre domination.
A la différence des revendications identitaires actuelles fondées sur la valorisation
des traditions du passé, les actions des prophètes Tsek et de Mol Valivu, qui se déroulèrent entre la fin de la guerre et la fin des années 1950 (c’est-à-dire, avant la naissance du
Nagriamel en 1965), prônaient le rejet des coutumes, notamment le rejet du système de
la hiérarchie des grades.
Le Naked Cult se poursuivit de 1945 jusqu’à la mort de Tsek en 1951, alors que l’action de Mol Valivu vint concurrencer le Naked Cult lorsque celui-ci connut ses plus
grands succès. Les détails de ce culte ont été relevés par le pasteur Miller et par Guiart,
à l’occasion de leurs expéditions respectives (1947 et 1953).
Tsek était encore jeune lors de la tournée de Miller, âgé de 30 à 35 ans et marié à deux
femmes. Sa prédication commença en 1945. Elle fut aussi courte que retentissante, un
peu à l’image de la fragilité du personnage, puisque le mouvement qu’il impulsa, disparaîtra six ans plus tard, consécutivement à son propre décès des suites d’une longue
maladie. Tsek avait travaillé pour les Européens et y avait acquis quelques rudiments du
christianisme, mais c’était sa qualité d’homme du terroir, de man-bush, qu’il revendiquait avec force. Dans sa prédication, Tsek s’érigeait en modèle.
Mol Valivu (titre d’autorité traditionnelle sous lequel est connu un dénommé
Kavapnuwi) était le leader incontesté d’une fédération de communautés du centre de
Santo. Ancien guerrier de grande réputation, Mol Valivu abandonna son passé de violence pour délivrer aux siens un message dont il avait été inspiré par un héros culturel,
hissé pour l’occasion au rang de dieu universel. Tatoe était le dieu unique qui, dans le
nouveau mythe de création, réservait une mention spéciale à son peuple de fidèles, les
man Santo. Il leur transmit un nouveau message après avoir déjà envoyé Djes (Jésus)
Les cultes du cargo et les mouvements sociaux des années 1930 à 1940
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« pour nettoyer la face du monde de toutes les saletés qu’y avaient faites les hommes »
(Guiart, 1958 : 192). Ancien membre également de la Rongofuro Skul, l’influence que
Mol Valivu gagna dans les années 1950 en fit le personnage le plus important du centre
de l’île, un notable qui sut s’attirer les largesses et la protection de l’administration française. Les points essentiels de la prédication de Tsek étaient :
1. Enlevez vos pagnes. Les femmes enlèveront leurs jupes de feuilles. Enlevez les ornements,
vos colliers, vos bracelets. Toutes ces choses vous salissent (make you dirty). 2. Détruisez tous
les biens que vous avez pris chez les Blancs – calicots, argent, ustensiles. Supprimez aussi
tous les objets de votre propre fabrication. Mieux vaut être libéré de tout ça. 3. Brûlez vos
maisons actuelles et reconstruisez en de nouvelles selon le plan suivant : (i) Deux grandes
maisons communes doivent être construites dans chaque village — une pour le repos
des hommes, une pour le repos des femmes. Pas de cohabitation des familles la nuit. (ii)
Construisez une grande cuisine à côté de chaque maison commune. On ne doit pas faire la
cuisine dans les maisons communes. 4. Toute la nourriture doit être cuisinée le matin. Pas
de cuisine la nuit. 5. Ne travaillez pas pour les Blancs. 6. Faites disparaître tous les animaux
de votre village, chiens, chats, porcs, etc. (Miller, 1948 : 331).
Dans le message de Mol Valivu, Guiart discerna une prédication en cinq points :
Pas de guerres, no fight ; suppression de la sorcellerie, no talk belong poison man ; interdiction de frapper les femmes et les enfants, no kill em women more picanniny ; interdiction pour
l’homme d’insulter sa femme et inversement, man e no swear long woman ; women e no swear
long man ; interdiction au missionnaire de pénétrer sur son territoire, missionary e no come
(Guiart, 1957 : 250).
Revenons un instant sur le thème de la nudité dans le mouvement de Tsek. De cet aspect découlaient tous les autres. La nudité était l’élément essentiel d’une totale régénération, au moyen d’une ritualisation de la vie quotidienne. La nudité était le geste
par lequel devait s’établir à la fois une pureté corporelle et une rénovation culturelle et
sociale. Les vêtements devenaient la marque d’une souillure, de même qu’il en avait
déjà été avec l’élevage des cochons. Toutes les choses du passé étaient vues comme des
sources d’impureté et devaient être abandonnées. On pouvait aisément constater dans
les villages où se pratiquait le culte, que « les pratiques païennes traditionnelles ont été
radicalement changées » (Miller, 1948 : 330). L’abandon des cochons fut renforcé par
celui de tous les animaux domestiques. Toute espèce d’artefact ou d’ustensile devait
être évitée, ceux produits par les Blancs, comme ceux produits par les Mélanésiens (on
fit toutefois l’exception pour les sabres d’abattis) ; les vivres, pour être transportés, devaient être portés sur l’épaule. Les mariages entre membres du culte furent conservés,
la polygamie continua d’être acceptée, mais surtout l’adultère fut considéré comme une
source majeure de conflits. Aussi, toute intimité sexuelle devait disparaître. La copulation devait participer du nouvel ordre spirituel, et devait être accomplie, même illégitime au vu et au su de tous – se hide em, all same belong steal (se cacher équivaut à voler)
(Guiart, 1958 : 211) – et en plein jour : « comme les chiens et les poulets » rapporta un
ancien membre du culte (Miller, 1948 : 340).
De même, l’échange de femmes hors des villages Naked Cult devait cesser, la hiérarchie des grades devait être abolie, tous les rassemblements rituels devaient être interdits, et les danses qu’on y effectuait définitivement proscrites, pour assurer une rupture
définitive avec l’ordre ancien. Une ségrégation complète fut pratiquée au sein d’un
46
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
même village entre les membres du culte et les autres pour contrer toute influence
étrangère. Enfin le Naked Cult eut une attitude sans compromission envers les Blancs,
la skul des missionnaires et les communautés christianisées. C’est d’ailleurs, en grande
partie, le constat du caractère définitif de l’installation des Blancs à Luganville et le long
du canal du Segond qui imposa cette isolation, renforcée par l’interdiction de travailler
pour eux.
Le mouvement John Frum à Tanna
Les leaders du mouvement
John Frum hissant le
drapeau américain, le 15
février 1978 à Sulphur Bay
(Lindstrom 1993 : 92).
M illén ariste : relative
à la fin des temps
Au début du 20ème siècle, après cinquante ans de présence missionnaire sur l’île de
Tanna, les fondements de l’ancienne religion organisée autour du culte des ancêtres
se trouvèrent sérieusement ébranlés. L’instauration d’un contrôle colonial contribua
également à saper les bases de l’ordre indigène traditionnel. En réponse à ces pressions culturelles extérieures, vers la fin des années 1930, dans une région délaissée du
sud-ouest de l’île de Tanna, à Green Point, apparut un esprit nommé John Frum. C’est
là que cet esprit revêtit pour la première fois les traits d’un homme, ceux d’un métis
vêtu à l’européenne, qui toutefois parlait les langues locales. Celui-ci préconisait, lors
de ses premiers messages, la destruction de certaines coutumes anciennes et, simultanément, le rejet de tous les biens et valeurs venant des Européens. La venue de John
Frum avait pour but de mettre un terme à la Tanna Law, un régime missionnaire théocratique qui avait tenté de supprimer la plupart des aspects de la culture traditionnelle
sur l’île. Après leur victoire sur les missionnaires, les Tannais seraient appelés à se tourner vers la « vraie » coutume (kastom), celle recommandée par leur nouveau sauveur. La
conséquence la plus spectaculaire des commandements de John Frum fut l’abandon, en
1941, de l’Église presbytérienne par tous ses fidèles.
Ce mouvement politico-religieux s’appuyait sur une prophétie millénariste : les missionnaires et les Européens seraient chassés de l’île, le monde s’en trouverait transformé et le second avènement de John Frum instaurerait une abondance matérielle et
une prospérité définitive. La prophétie devait une bonne part de son succès à l’une de
ses prédictions : l’annonce de la guerre du Pacifique et l’arrivée des Américains, plus
d’une année avant le débarquement des troupes alliées aux Nouvelles-Hébrides ainsi
que l’engagement logistique des Tannais auprès de l’US Army. Cet événement historique ancra, chez bon nombre d’habitants de l’île, l’idée selon laquelle existait une alliance mythique entre eux et la toute puissante Amérique. John Frum devint pour les
Tannais le symbole de ce lien d’échange avec un allié inédit qui disposait d’un pouvoir
bien supérieur à celui des anciennes autorités coloniales.
John Frum aurait tenu à ses débuts des propos plutôt insignifiants, qui attirèrent néanmoins l’attention des curieux en provenance de toutes les régions de l’île.
Cependant, avec l’amorce en 1940 d’une période de répression de ce mouvement
cultuel par les autorités coloniales, les messages de John Frum se firent plus radicaux,
plus extraordinaires aussi, donnant cours à de fabuleuses prédictions. Si les administrateurs et les missionnaires n’étaient pas loin, au début du 20ème siècle, de réussir à
éradiquer les coutumes précoloniales, c’était désormais la fin de leur empire que ce
nouveau « messie » annonçait. Le déclin de l’ordre colonial s’accentuerait jusqu’à son
effondrement avec le retour de John Frum. Cet événement coïnciderait avec la transformation radicale et définitive du monde existant : les gens cesseraient de mourir, n’auraient plus à travailler, et tous les biens qui leur furent volés à une lointaine époque
Les cultes du cargo et les mouvements sociaux des années 1930 à 1940
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J o h n F r u m e t le sy mbole d es Et at s -U nis
L’alliance entre Tanna et les Etats-Unis revendiquée par certains groupes du
mouvement John Frum date de la période de la Seconde Guerre mondiale. Des
leaders du mouvement avaient prophétisé la venue de l’Amérique aux NouvellesHébrides trois mois avant l’attaque de Pearl Harbor en décembre 1941. Après
l’annonce de l’arrivée de l’armée américaine aux Nouvelles-Hébrides en avril 1942,
les man Tanna s’engagèrent massivement pour travailler sur ses bases militaires
de Port-Vila et de Santo. Un extrait du livre de l’anthropologue Marc Tabani
restitue l’intensité avec laquelle fut ressenti cet événement :
Le Délégué britannique [de Tanna, James Nicol], qui ne contrôle déjà plus rien
depuis près d’un an, voit son autorité sapée encore un peu plus [à partir de 1942].
L’excitation des man Tanna est maximale lorsque les leaders du mouvement John
Frum leur annoncent que les prophéties sont en train de s’accomplir : “Vila est plein
d’Américains. D’autres, en plus grand nombre viendront jusqu’à Tanna. Les dollars
américains sont la nouvelle monnaie annoncée. Les Américains sont des noirs. Ils
vont bientôt gouverner les îles, libérer les prisonniers et leur paieront des gages.
Voilà ce qu’on dit sur l’île” (Nicol, rapport du 13/08/42). En août 1942, lorsque les
Américains sollicitent de la main-d’œuvre en provenance de Tanna, la réaction est
électrique. Nicol se borne à constater : “Pratiquement tous les man Tanna sont prêts
à s’en aller. Ils croient dur comme pierre que Jonfrum va venir d’Amérique, aussi
sont-ils trop heureux de l’aider. Il est inutile de discuter avec eux” (Nicol, ibid.)[…]
[L es soldats américains], ces Blancs qui les considéraient avec un respect qui leur
avait toujours été refusé [par les autorités condominiales], qui ne rejetaient pas leur
compagnie, les promenaient en Jeep et leur offraient des cigarettes par cartouches
entières, étaient noirs pour la plupart ; des Blancs à peau noire, qui plus est, les
appelaient « frères » : « Quand ils nous appelaient, ils ne nous nommaient pas …, ils
nous disaient ‘frères’. Frère, leurs frères. Ils ne disaient pas de nous que nous étions
mauvais. Ils nous appréciaient, et à cause de cela, nous nous sentions bien avec eux.
Ah, les Américains ! » (Thomas Nowar, in Lindstrom, 1989 : 410).
mythique (réfrigérateurs, voitures, commerces) par des ancêtres communs aux Blancs
et aux Mélanésiens leur seraient rendus. Les plus fidèles partisans de John Frum occuperaient des postes dans de nouveaux types de gouvernements. Mêmes les antagonismes entre Blancs et Noirs disparaîtraient le jour de cette Parousie.
Un autre ensemble de récits relatifs à John Frum s’articule autour du thème d’un
« sauvetage de la coutume ». Coincée entre le marteau de la Mission et l’enclume de
l’administration coloniale, la coutume était considérée comme étant déclinante aussi
bien par les gens de Tanna que par les premiers ethnologues. John Frum serait l’agent
du renouveau de la coutume.
Cette mythologie s’accompagne d’une dimension sociopolitique majeure. Les premières apparitions de John Frum ont donné lieu des formes complexes d’organisation
rituelle connues sous le nom de « Jonfrum muvmen » (mouvement John Frum). Plus impressionnantes aux yeux des Tannais que le contenu de ses prophéties, elles étaient, en
fait, de grandes réunions organisées en son honneur. Initiées au sud-ouest de l’île, dans
le district de Green Point, elles permirent de rassembler la plupart des dignitaires de
Tanna, puis furent interdites et réprimées par les autorités coloniales, dès que celles-ci
P a r o u s ie : Seconde venue
du Christ à la fin des temps
pour établir définitivement le
royaume de Dieu sur terre
48
La Tanna army lors de sa
parade annuelle du 15 février
(Lindstom 1993 : 89).
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
en eurent connaissance. En ces occasions, des groupes chrétiens et païens, traditionnellement rivaux, premiers adeptes de John Frum ou futurs opposants, se retrouvaient pour
danser avec ferveur et consommer fraternellement la boisson cérémonielle du kava. Par
leur présence à ces fêtes, les dignitaires convoqués manifestèrent explicitement leur opposition ou implicitement leur désobéissance à l’administration coloniale en interdisant
les danses païennes, et aux missionnaires en proscrivant la consommation du kava.
La dimension politique sous-jacente à ce mouvement cultuel vint renforcer sa portée
religieuse. La référence à « l’américanité » de John Frum, pays des libérateurs de l’oppression coloniale, débuta à Sulphur Bay. Ce village de la côte est de l’île deviendra ainsi
le quartier général d’une des principales branches des groupes John Frumistes. Après
avoir quitté l’île, leur « messie », qui était un esprit ami de Rusëfël (Roosevelt), aurait
atterri à proximité, dans un avion en bois. Il y aurait déposé ses enfants, des esprits également appelés « kaoboe » (cowboy).
Les Tannais ne considèrent pas John Frum comme un personnage importé, car en
dépit de son teint pâle et des vêtements occidentaux qu’il porte (signe qui distinguait
initialement les convertis au christianisme des païens), il parle la langue des gens du
sud de Tanna, et son existence remonterait à une époque qui précède la création de
l’île. John Frum existe depuis le commencement du monde. Il est ainsi parfois présenté comme le fils de Kalpapen, un puissant esprit qui créa l’humanité tannaise. John
Frum est aussi fréquemment assimilé à Karapanemun, un autre esprit fondateur vivant
dans les montagnes du sud de Tanna. Symbole de puissance et garant de la croissance
des jardins, il n’en est pas moins un « diable » dévorant les hommes et capturant leurs
femmes. Si l’identité de John Frum fait référence à cette ancienne figure mythologique,
celle-ci n’en devient pas moins méconnaissable après sa transformation.
Car simultanément, la dimension syncrétique d’un Jésus noir est invariablement affirmée. « Les chrétiens attendent Jésus depuis 2000 ans ; nous-mêmes n’attendons
John que depuis 70 ans » clament ses partisans. John Frum fut dès l’origine opposé à
Nakua (Satan dans les langues locales), même si les missionnaires le condamnèrent
également comme un diable. Il fut encore présenté par certains prophètes du culte
comme le frère de Jésus, le fils de Dieu ou Dieu lui-même. En atteste le symbolisme des
croix utilisés dans le culte : certaines sont rouges en référence au sang de John Frum,
d’autres sont noirs en référence à sa défense de la coutume de Tanna.
Le s cé lé brations du 15 f évrier à Sulph ur Bay
Tous les 15 février, se déroule la parade de la Tanna Army, parfois présentée
comme une branche Tannaise de l’US Army. Elle est de loin la plus importante
manifestation publique annuelle à Tanna. Le clou du spectacle est assuré par
des cérémonies qui imitent les défilés militaires. En rang par deux, les hommes
sont menés par un kapten, coiffé d’un chapeau texan, qui leur lance des ordres
dans une langue ésotérique empreinte de fortes consonances anglo-saxonnes.
La troupe défile dans le village en exécutant une chorégraphie complexe et
soigneusement codifiée. Le torse nu, l’acronyme USA est peint en rouge sur leur
poitrine et leur dos. Les pieds nus, tous habillés d’un même blue-jean, ils portent
à l’épaule des perches effilées en bambou, la pointe maculée de rouge figurant
des fusils. Les célébrations du 15 février sont considérées comme un symbole de
« l’unité » (uniti) du peuple de John Frum (jonfrum pipol).
Les cultes du cargo et les mouvements sociaux des années 1930 à 1940
49
Une croix rouge à Sulphur
Bay en hommage à John Frum
(Lindstrom 1993: 133).
Enfin, parmi certaines branches du mouvement John Frum, ce personnage est complété par ceux de ces fils. Il en existe dans tous les villages affiliés à ce mouvement
cultuel. Ces kaoboe, sous leur forme visible, apparaissent toujours revêtus d’uniformes
américains. Ils disposent d’une langue qui leur est propre, le tomoromo, et l’on communique avec eux par l’intermédiaire de téléphones à fleurs et d’antennes reliées par des
lianes. Les kaoboe sont des esprits qui vont devenir un élément central de la doctrine
John Frum des groupes rattachés au centre cultuel de Sulphur Bay. Ils se retrouvent placés au sommet du nouvel ordre social et viennent justifier toutes les innovations cérémonielles. A la Tanna Law et à son régime fondé sur les commandements du Christ,
doit succéder l’Amerika lo, ou loi des kaoboe qui protège la coutume.
Du fait de la violente répression administrative qui s’abattit sur ce culte et se prolongea jusqu’à la fin des années 1950, sa dimension anti-coloniale s’accentua. Son inspiration militaire, ses symboles néo-chrétiens, son organisation complexe et son rejet
des influences extérieures l’apparentaient, aux yeux des administrateurs coloniaux et
des missionnaires aux nombreux « cultes du Cargo » et autres mouvements millénaristes de Mélanésie. Ils démontraient qu’une christianisation mal assumée risquait de
faire dévier ces phénomènes religieux vers des revendications ouvertement politiques.
Toléré par les autorités du condominium au bout de deux décennies d’existence, ce
mouvement se divisa en sous-groupes, chacun revendiquant le message initial de
John Frum et une pratique orthodoxe de son culte. Lors de l’indépendance de Vanuatu
(juillet 1980), le mouvement John Frum connut de nouveau une période de dissidence
à l’égard des autorités officielles et des nouvelles élites dirigeantes.
50
Extrait d’un journal américain
(le New York Times du
17/04/1970) consacré à John
Frum. L’article insiste sur un
culte voué au cargo plutôt que sur
la résistance aux missionnaires
et aux administrations
coloniales (Rice, 1974 : xxi).
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Les cultes du cargo et les mouvements sociaux des années 1930 à 1940
51
Questions de compréhension
1. Dans le texte, identifiez trois changements de la coutume imposée par la Loi de
Tanna.
2. Quelle raison est donnée pour expliquer l’arrivée de John Frum ?
3. Pourquoi les missionnaires se sont-ils inquiétés des activités de John Frum ?
4. En quoi la loi de Tanna instaurée par les missionnaires presbytériens pouvait-elle
inquiéter l’ordre social traditionnel dans l’île ?
5. A l’aide du dictionnaire, expliquez la notion de théocratie.
La « Loi de Tanna »
Les missionnaires débarquèrent sur Tanna en 1841, mais ne convertirent que peu d’insulaires jusqu’en 1900. Les missionnaires créèrent une loi appelée la « Tanna law ».
(Vous pouvez en apprendre plus à ce sujet dans le chapitre « Le début de la christianisation dans l’archipel » du volume 2). L’extrait suivant est tiré de la description de Ron
Brunton sur le début du mouvement Jon Frum écrit dans « Man, Langwis mo Kastom
long Niu Hebridis » en 1978. Cette loi investit des chefs chrétiens, qui présidaient également les Tribunaux insulaires. Il y avait des miliciens rattachés à ces tribunaux qui
avaient le pouvoir de conférer des amendes et de jeter les gens en prison. Ce système de
justice s’appliquait non seulement aux insulaires convertis, mais aussi aux autres habitants de Tanna, y compris ceux qui demeuraient pleinement dans la coutume.
La « Loi de Tanna » interdisait de boire le kava à cause de la pratique coutumière d’envoyer
un message au moyen des pouvoirs du kava.
Les menaces pour la vie traditionnelle résultant de la « Loi de Tanna » unirent les
hommes de la coutume dans le but de perpétuer leurs traditions…
Frank Paton et les premiers
convertis au christianisme
originaires de Tanna(Paton 1903).
52
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Les premières apparitions de John Frum datent de la fin de cette période de la Tanna
Law.
En 1920, à mesure que les pouvoirs des missionnaires augmentaient, il y avait quatre insulaires chrétiens pour chaque coutumier… un coutumier raconta que « John Frum est venu
à Green Point parce qu’il était très attristé de la disparition de notre kastom, en particulier à
Green Point et il voulait aider les gens de là-bas. » Presque toutes les personnes ralliées à
John Frum sont d’accord sur le fait que si celui-ci n’était pas venu à ce moment fatidique,
Tanna aurait rapidement perdu toutes ses pratiques et croyances traditionnelles.
Une nuit, il y eut une réunion à Green Point. L’apparition de John Frum à cette occasion
et ses paroles pour maintenir la coutume encouragèrent les gens à s’opposer aux missionnaires. L’administration et les missionnaires s’inquiétèrent de ces événements et commencèrent à emprisonner beaucoup d’insulaires. Mais de plus en plus de disciples de John Frum
se déclarèrent également dans les autres régions de Tanna.
Les gens pensent certainement que le mouvement Jon Frum n’a pas débuté avant les années 1940, mais cette date marque le moment où les Européens en ont entendu parler pour
la première fois. Son commencement est sans doute antérieur (Brunton 1978 : 24-25).
Le refus des insulaires à respecter la Tanna law suscita les inquiétudes des missionnaires et des autorités coloniales.
John Frum pour les gens de Tanna
L’extrait suivant d’un témoignage d’un disciple de John Frum précise les raisons de l’arrivée de John Frum à Tanna.
J’ai dit à cet homme que John est venu chez nous pour nous sortir de la servitude. Quand les
missionnaires sont arrivés, ils ont interdit notre coutume, comme le kava, les danses, la circoncision. Ils nous chassaient de l’église si nous désobéissions. Le peuple de Tanna entendit
parler des autres îles, où la coutume ne fut pas entravée. Nous nous demandions pourquoi
les missionnaires avaient proscrit notre coutume. Et puis John est venu pour nous montrer
le chemin de la fin de l’esclavagisme de la mission. C’est ce que je pense. —Sam Tucuma,
disciple de John Frum (dans Rice 1974 : 187)
L’extrait suivant est un récit de Mweles, un meneur du mouvement John Frum à
Sulphur Bay, un des premiers villages à se revendiquer de cette figure spirituelle et un
des principaux centres actuels du mouvement.
John est apparu pour la première fois en 1937. Tous les gens de Tanna vinrent à Green Point
pour le voir. J’ai été arrêté en 1938 avec beaucoup d’autres et fut déporté à Port-Vila… Au retour du premier groupe [libéré de la prison de Port-Vila] en 1957, John nous demanda de
construire une barrière en bambou et de lever le drapeau [dans cet enclos]. John a dit que ce
signe symbolisait la fin de nos punitions. Le drapeau nous avait été donné par le commandant américain [Johnson]. John a été vu par de nombreuses personnes en ce jour et moimême je le vois encore aujourd’hui. Il y a quelques temps, John m’a laissé entendre qu’il
allait se rendre aux États-Unis puis revenir… après la dernière punition, nous nous rendîmes
toujours à l’Eglise. Mais nous eûmes un mauvais sermon : celui qui est membre du mou-
Les cultes du cargo et les mouvements sociaux des années 1930 à 1940
53
vement John Frum a l’odeur du diable et n’est pas proche de Dieu. C’est ce que les presbytériens nous ont dit. Ainsi, John nous dit : « Très bien, élevons nos croix dans le village et
restons-y au lieu d’aller à l’Eglise. » Ainsi, nous avons placé des croix autour de Sulphur Bay
et d’autres endroits. La peinture rouge est seulement un signe représentant le rouge du drapeau qui nous avait été donné par le chef américain. Nous avons levé ce drapeau le quinze
février 1957.
John est originaire de Tanna, mais en raison de ses sentiments amicaux et spirituels il
doit se rendre aux États-Unis. Il visite souvent les États-Unis. Il ne change pas. Il surveille les
mêmes choses aujourd’hui qu’auparavant (Rice 1974 : 191–2).
Questions de compréhension
1. Dans le texte, identifiez trois atteintes à la coutume imposées par la Tanna law.
2. Quelle raison est donnée pour expliquer l’arrivée de John Frum ?
3. Pourquoi les missionnaires se sont-ils inquiétés des activités de John Frum ?
Autres récits historiques sur John Frum
Les premiers rapports du gouvernement colonial concernant les activités du mouvement John Frum datent de 1940. Il est important de se rappeler que bien que ce soient
les premiers écrits évoquant ce mouvement, cela ne signifie pas qu’il n’existait pas
avant cette date.
James Nicol, Délégué britannique du condominium sur Tanna depuis 1915, rapporta
aux deux Commissaires Résidents français et britannique en 1941 :
…Le 27 novembre 1940… J’ai effectué une enquête à Lenakel à propos du massacre des
chèvres par les indigènes de Green Point pour nourrir les disciples de John Frum. C’était
la première fois que j’entendais parler de ce John Frum. Le tribunal a dû être ajourné afin
qu’un indigène appelé Kahu soit présent. À mon retour d’Aneityum, Kahu et Karaua et le
chef principal des deux villages de Green Point ont été amenés devant moi.
Ils ont admis que John Frum possédait une maison dans leur village et qu’il venait la nuit
leur parler. Il ne leur avait rien promis et avait simplement insisté sur le fait qu’ils devraient
faire leurs tâches communales et ne pas permettre aux fainéants de s’abstenir de leur travail.
Ceci ne m’a pas satisfait. Il y avait beaucoup d’allées et venues vers Green Point et un
récit circulait, racontant qu’il n’était plus nécessaire de travailler dans les jardins, car John
Frum avait promis l’abondance et beaucoup d’argent pour acheter la nourriture aux magasins. John Frum ne pouvait pas être vu ou entendu par les Blancs et parlait aux indigènes
dans le dialecte du sud.
J’avais avec moi l’assesseur de Lenakel, un pasteur presbytérien (un homme de Tanna)
et Iehnaiu un assesseur suppléant et leur ai dit d’aller à Green Point et d’examiner l’endroit. Ils y sont allés et ont vu John Frum dans l’obscurité. Ils sont devenus des disciples
ardents de John Frum. Un village a été construit pour les étrangers qui souhaitaient s’installer là.
—Rapporté dans Guiart (1956 : 406-409)
En 1941, le révérend presbytérien J. Bell présenta le rapport suivant au synode presbytérien :
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Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Des événements étranges se sont produits à un endroit appelé Green Point. Il y a approximativement douze mois [vers la fin de 1940], des réunions ont été organisées secrètement
et ont eu lieu dans un espace dégagé de la brousse, avec un énorme banian au-dessus d’eux
pour cacher la lumière du ciel. Elles ont eu lieu la nuit et aucune lumière n’était tolérée,
même pas la lueur d’une cigarette ou d’une pipe. Les chefs, les anciens et les autres prirent
des positions convenant à leur rang près de John Frum. Quelques esprits audacieux ont essayé de scruter son visage dans la pénombre, mais son visage était bien caché par un grand
chapeau. Il parla peu et avec une voix de fausset. Il aurait dit aux chefs qu’ils étaient des imbéciles, à travailler gratuitement pour le gouvernement.
Les récits merveilleux se répandirent comme des feux de brousse… Il vécut avant Noé,
mais grimpa au-dessus des nuages pendant le déluge échappant ainsi à la mort. Il servait
également Dieu et en fut le messager. On raconte que John Frum a rendu visite au Délégué
du condominium pour le frapper sur le nez, a bu de la bière chez un négociant et a conduit
une voiture en or. —Lettre dans Guiart (1956 : 411-415)
En plus des récits européens, Dr. Kalsakau, un insulaire travaillant à l’hôpital de Tanna,
a écrit au Commissaire Résident français en poste à Port-Vila le 8 avril 1949. L’extrait
suivant est tiré de sa lettre.
Jo nf r o o m
Ainsi, le mouvement Jonfroom possède une organisation. Contrairement à ce que l’on
pense, Jonfroom ne trouve pas son origine dans un sentiment anti-blanc… Ce mouvement
a commencé il y a plus de trente ans. Cet esprit apparaît probablement dans tous les villages des autres îles des Nouvelles-Hébrides, de temps en temps. J’en citerai ici un exemple.
Vraisemblablement en 1931, deux garçons de l’école (chrétienne) de mon île (Fila ou Ifira)
voulurent quitter la mission presbytérienne pour la mission des adventistes du septième
jour. Ils se plaignaient amèrement que notre mission presbytérienne enseignait seulement
la bible sans s’intéresser à tous les autres sujets qui pourraient les élever dans leur vie terrestre. Mais comme mon père, aidé par M. Seagoe, l’ancien DC britannique de Port-Vila,
a réagi rapidement dans cette affaire, on a pu empêcher ces garçons de passer à l’acte et
comme le Commissaire Résident britannique avait décidé d’envoyer certains d’entre nous à
l’école à Fidji pour nous instruire, cet esprit a été désormais complètement supprimé de l’île.
Le même esprit fut à l’origine de Jonfroom à Tanna. Les indigènes qui étaient nés membres
de L’Église presbytérienne, quittèrent l’Église (pour la plupart d’entre eux) et rejoignirent
les adventistes du septième jour, qui dispensaient le même enseignement, de sorte que les
Tannais durent trouver un autre échappatoire.
Certains pensent que le kava fut la cause de Jonfroom, mais le kava ne fut qu’un
prétexte, un stimulant pour le mouvement, afin d’attirer des personnes loin de la religion
chrétienne et ne fut pas la cause du mouvement… par conséquent, Jonfroom est simplement
une revendication pour plus d’éducation et on peut raisonnablement penser que cet esprit a
dû être inspiré par des indigènes christianisés et non pas des indigènes païens.
—Lettre dans Guiart (1956 : 410–411).
Lors des débuts de John Frum de nombreux disciples et meneurs furent emprisonnés
pour s’être revendiqués de lui. Les rapports du gouvernement britannique mentionnent la poursuite de ces arrestations jusqu’en 1957. Comme la prison était à Port-Vila,
les condamnés devaient se rendre à Efate pour y être jugés et purger leurs peines.
Les cultes du cargo et les mouvements sociaux des années 1930 à 1940
55
Questions de compréhension
1. Qu’écrit Nicol au sujet des enseignements de John Frum ?
2. Comment Bell décrit-il John Frum ?
3. D’après Kalsakau, quelles sont les origines du mouvement John Frum ?
Pour aller plus loin
1. Boire le kava fut interdit par la Tanna law instaurée par les missionnaires
presbytériens. Les récits que nous avons lus ci-dessus évoquent la possibilité de
boire du kava pour les disciples de John Frum. Que représente le kava pour les
gens de Tanna ?
2. Quelles sont les conséquences de la croyance en John Frum sur l’attitude
des autorités coloniales et des missionnaires à l’égard des membres de ce
mouvement ?
La période contemporaine du mouvement John Frum
Depuis les débuts du mouvement John Frum, les croyances des fidèles ont évolué et
se sont diversifiées. Toutes les branches du mouvement ne partagent plus les mêmes
croyances ni ne pratiquent les mêmes activités rituelles.
Les prolongements politiques du mouvement John Frum, se manifestèrent avec le
processus d’indépendance enclenché au cours des années 1970. A Tanna, les fidèles de
John Frum s’investirent dans une tentative de sécession à l’égard du futur État souverain
suspecté de supprimer la coutume et d’interdire John Frum. Les dits « néo-païens » de
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Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Tanna furent assimilés par les nouveaux dirigeants du pays à une secte d’illuminés,
fuyant les réalités du monde moderne, du fait de leurs difficultés à s’y adapter.
Les innovations rituelles et les apports mythologiques du culte de John Frum font
désormais partie du patrimoine culturel commun à tous les man Tanna. Après la nomination, pour la première fois, en 1999, d’un ministre élu sous l’étiquette John Frum
dans un gouvernement national, ce mouvement politico-religieux semblait changer de
teneur. Par le biais de son institutionnalisation sous la forme d’un parti politique, ses
aspects contestataires tendaient à s’amenuiser. Il fut même question d’instaurer un
jour férié en l’honneur de ses fondateurs, en reconnaissance de leur lutte passée pour la
défense des coutumes ancestrales.
Toutefois, malgré son officialisation et le succès grandissant auprès des touristes de
ses pratiques les plus folkloriques, le culte de John Frum dispose encore d’un potentiel
mystique bien intact. Après les fastueuses cérémonies du 15 février 2000, rien ne laissait
présager le drame qui allait se produire. Le cataclysme eut lieu le 2 mai suivant. Les eaux
du lac Siwi, au pied du volcan Yasur, avaient atteint un tel niveau qu’une digue a lâché
en pleine nuit. Le lac s’est vidé en quelques heures en direction du village de Sulphur
Bay, haut lieu du culte de John Frum, qui fut submergé par les flots. Aucun événement
n’avait produit une telle agitation depuis la fin des années 1930. Des centaines et des
centaines de gens venus de tout Tanna se mirent en route pour le village détruit.
Un nouveau « prophète », du nom de Fred Nasse, avait déjà fait parler de lui. Mais
au lendemain de ce funeste jour, son audience s’accrut très sérieusement. Il incita les
gens de toutes provenances et de toutes confessions à rester rassemblés et unis, car
avec le passage à l’an 2000, la fin des temps était proche. Tous ensemble, ils se décidèrent à construire sur la montagne derrière le volcan, une « arche de Noé », baptisée
la « pirogue de l’an 2000 ». Seuls ceux venus rejoindre la « Nouvelle Jérusalem » du
« mouvement de l’unité », échapperaient aux châtiments divins et navigueraient en direction du Paradis. Ce jugement dernier devait se traduire par une explosion imminente du volcan et entraîner une destruction totale de l’île.
Face à cette forte résurgence des attentes millénaristes à Tanna, le Gouvernement du
Vanuatu s’est d’abord bien gardé d’intervenir. Mais devant la montée des tensions dans
l’île, les autorités ont commandé à l’armée, en avril 2003, de passer à l’action. Le village
du prophète Fred fut détruit et brûlé, tous les leaders de son mouvement furent arrêtés
et ses nombreux fidèles reconduits dans leurs villages d’origine. Tous ces événements
(une des plus vastes opérations militaires qu’ait connue la République de Vanuatu) se
sont déroulés sans grande publicité, ne recueillant dans la presse ou les médias guère
plus de quelques lignes sous la rubrique des faits divers. Depuis, de nouvelles violences
ont éclaté à plusieurs reprises.
La Malekula Native Company (Malnatco)
Ce passage est une adaptation du livre de Marcellin Abong, Directeur du VKS, La pirogue du Dark Bush (2008) :
Pendant le condominium, il était d’usage que les administrations classifient les mouvements indigènes en tant que « cultes du Cargo », même si les origines de ces mouvements étaient plutôt de nature économique que religieuse. Un dénommé Paul
Tamlumlum du village de Wowo à Mallicolo jeta les bases d’une organisation qu’il
nomma Malakula Native Kampany (également connue sous l’acronyme de Malnatco).
Les cultes du cargo et les mouvements sociaux des années 1930 à 1940
57
Cet enfant d’Ambae, qui grandit à Mallicolo, tenta par le biais de ce mouvement de favoriser le développement économique des Néo-Hébridais, tout en s’opposant aux spoliations foncières menées par les colons anglais ou français. Il pourrait s’apparenter
aujourd’hui à une sorte de syndicat indigène. Dans le giron de cette entreprise de contestation de la situation de monopole économique des Européens envers les indigènes, trois
autres leaders, par le soutien qu’ils apportèrent à Paul Tamlumlum, vinrent avec ce dernier inscrirent leur nom dans l’histoire moderne de notre pays : le grand chef Tinabua
Mata de Tongoa, John Bule un autre vieux sage de Pentecôte originaire du village de
Bwatnapni, Charley Raghragh également de Pentecôte, ainsi que Jimmy Kaku du nordouest de Mallicolo. Ils furent les premiers d’entre nous à proposer une forme efficace et
non-violente de révolte contre le pouvoir condominial.
Paul Tamlumlum, aidé par un commerçant français de Port-Vila, puis par un britannique connu localement sous le nom de Kimbe (Gubbay), implanta son quartier général à Wowo, un village du nord est de Mallicolo. Il sollicita les habitants de différentes
îles, notamment ceux du nord de l’île d’Ambae, pour qu’ils viennent travailler à Mallicolo
dans les plantations contrôlées par la Malakula Native Kampani. Le fondement de la vision de Tamlumlum et de ses associés était d’aider les autochtones à prendre leur destin
en main et de cesser d’attendre que toutes améliorations matérielles de leurs conditions
viennent exclusivement des colons ou des autorités condominiales. Toutefois, face aux
revendications foncières de ce mouvement, le gouvernement condominial chercha rapidement à contrer son développement. D’autant que Tinabua Mata était parti pour Efate
et John Bule à Santo, en vue d’étendre le champ d’influence de la Malnatco. La première
mesure répressive du condominium fut l’arrestation de Paul Tamlumlum et de ses comparses. Tamlumlum fut détenu à la prison de Lamap, centre administratif du sud-ouest
de Mallicolo. Le chef Tinbua fut emprisonné à Port-Vila sur l’îlôt d’Ifira et John Bule à
Santo. Charley Raghragh fut exilé en Nouvelle-Calédonie. L’ethnologue Jean Guiart, qui
enquêta sur la Malnatco au début des années 1950, nous livre le rapport suivant sur l’histoire de ce mouvement :
[Fuyant les guerres incessantes, certains groupes du plateau Big-Nambas se réfugièrent sur
la côte nord-est, une zone où jusqu’à lors, la population autochtone était peu nombreuse].
Les propriétaires du sol se trouvaient en face d’un apport inespéré de main-d’œuvre ; mais
chaque village se partageait désormais en deux groupes, autochtones et étrangers, aux intérêts en grande partie antagonistes. Il fallait une solution…
En 1939, trois hommes, Paul Tamlumlum (d’Aoba) et les dignitaires païens Kaku et
Raghragh, dit Charley, élaborèrent la théorie d’une coopérative, d’une ‘Company’ à la manière des Blancs. Unissant leurs efforts, ils produiront du coprah sur une base collective, ce
qui leur permettra d’alimenter une caisse commune. Fruit du travail de tous, les fonds serviront à la communauté. La force des Européens est d’ordre économique ; il s’agit par des
moyens analogues aux leurs, d’atteindre leur niveau de vie. Des magasins de la ‘Company’
assureront aux membres la distribution gratuite des marchandises ; plus tard, au fur et à
mesure de la réussite, on créera des écoles et des hôpitaux.
Nantis de cette philosophie, ils se mettent au travail. Sous l’influence de Paul Tamlulum,
ils se convertissent au catholicisme en même temps qu’ils lancent l’idée d’une coopérative, ne
prévoyant pas que les Pères de Vao s’opposeraient au mouvement. Aux alentours de Matanvat,
où l’idée était neuve, ils firent très vite leur plein d’adhérents et entreprirent la réalisation
de leur plan : débroussaillage et plantation de nouvelles cocoteraies. Pour écouler sur une
base collective la production déjà existante, ils s’adressèrent [en 1939] à un commerçant de
Port-Vila. Ce dernier fit faire quelques chargements qu’il achetait lui-même, tout en se voyant
58
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
confier la gérance de leur caisse. […] Les dirigeants s’adressèrent ensuite à [Dal Gubbey] un
colon britannique de Mallicolo pour tenir leur caisse et prendre leur production de coprah.
On sait que les travaux collectifs de débroussaillage et de plantation duraient toujours en
1941 […] Mais certains se rebellaient contre la pression exercée sur eux pour assurer leur participation. Cette année-là, Paul Tamlumlum se vit infliger une peine de prison par le délégué français, pour atteinte à la liberté du travail […] L’arrivée des troupes américaines et leurs
besoins de main-d’œuvre mirent toute l’affaire en sommeil. Tout le monde allait travailler à
Santo au déchargement des navires. Pendant ces quelques années, les leaders conservent le
contact et poursuivent leur propagande […] Dans la zone d’influence de la Compagnie, l’agitation [suscitée par les bonnes relations établies avec les Américains, notamment par admiration de leur puissance et reconnaissance envers leur générosité], se marqua par des
manifestations pro-américaines ; à Matanvat, on hissa le drapeau américain. Le délégué
français réagit avec vigueur et Paul Tamlumlum, Raghragh et Bule de Pentecôte se retrouvèrent en prison.
A la fin des hostilités, la Compagnie repart en flèche, mais en prenant des aspects inquiétants, du moins du point de vue de l’Administration. Non seulement les débroussaillages
reprennent, mais on entreprend de tracer des routes carrossables pour les futurs camions
américains […]. Même agitation à Pentecôte ; en 1947, le délégué de Port-Sandwich, M.
Guédès y fit arrêter les travaux de construction de route, et John Bule prend une fois de plus
le chemin de la prison.
[A Mallicolo], Paul Tamlumlum et Etienne (chef traditionnel de Matanvat), proposent
de reprendre l’ancienne méthode de travail, dont les moyens sinon les fins, étaient strictement économiques. En 1949, s’installe à Santo le fils du premier homme de confiance
de la Compagnie. […] Les dirigeants en vinrent bientôt à faire de ce jeune homme entreprenant leur agent commercial, sinon leur chef officieux. Sous son impulsion, la Malekula
Native Company se donne une organisation stable. Un Big Boss, Ati de Wala est à la tête ;
un nombre variable de conseillers exercent les responsabilités locales et font la liaison avec
Santo […] [Au cours de mon enquête, je vis à mon grand étonnement se dessiner] le détail
d’une organisation offrant une complexité inattendue. Certains éléments jouaient un rôle
difficile à évaluer. On avait fait distribuer aux adhérents une plaque matriculaire frappée
d’un numéro individuel et portant l’inscription Malnatco (Malekula Native Company) ; en
principe, ces plaques devaient servir à l’identification des membres à l’occasion des distributions de marchandises à venir ; mais elles semblaient en passe de s’élever au rang d’amulettes, de symboles de la puissance future du mouvement […]
Le recensement des adhérents effectué au fur et à mesure de l’enquête et continuellement mis à jour montre bien la force et le dynamisme du mouvement. Les dernières informations donnent par région les chiffres suivants [en 1951] (seuls les hommes sont comptés)
(Guiart, 1951 : 242-245).
Tableau 1. Les membres de la Malnatco, 1951.
Lieu
Mallicolo
Unua
Wala
Atchin
Vao
South West Bay
Matanvat
Nombre de membres
43
9
9
52
17
24
Les cultes du cargo et les mouvements sociaux des années 1930 à 1940
Bwetevoro
Vovo
Lirongrong
Tanmial
Pentecôte
Wamut, Henbok, Varewerep, Bulhak, Laratowo, Lewawa, Namaram
Ambrym (Wakon)
TOTAL
59
5
15
24
9
129
31
367
La répression de la Malnatco, même si elle fut moins intense que celle du mouvement John Frum, n’en fut pas moins constante. Les conditions d’emprisonnement de
ces leaders furent impitoyables. L’objectif était de les réduire au silence. A l’enfermement, on ajouta les traitements inhumains. Tamlumlum fut plongé des jours durant
dans un vieux réservoir d’eau croupie, où on lui jetait ses repas qui se mêlaient aux excréments et à l’urine. A la suite de ce traitement barbare, Paul Tamlumlum périt en prison. La dépouille de Paul Tamlumlum fut enterrée discrètement à Lamap à proximité
de sa geôle. L’administration condominiale française s’opposa longtemps à la demande
de ses sympathisants et de sa famille de faire transférer son corps. Le prétexte de l’administrateur pour s’opposer à l’hommage funéraire rendu à ce grand réformateur qu’était
Tamlumlum était d’empêcher que n’aient lieu autour du tombeau des rites d’évocation
du mort.
Après maintes requêtes auprès de l’administration générale et grâce à la médiation
de Jean Guiart, le corps de Tamlumlum fut finalement déterré, puis transporté à Wowo,
le quartier général du mouvement, où il fut définitivement inhumé, dans la dignité cette
fois-ci. Ses proches collaborateurs, sa famille et tous ses sympathisants étaient présents
à l’office religieux pour rendre un dernier hommage à cet homme qui tenta de s’opposer aux injustices et aux inégalités entretenues par le condominium. Ce précurseur
de l’indépendance n’eut de cesse de revendiquer haut et fort le droit des indigènes sur
leurs terres. L’affirmation de ses convictions le conduisit au sacrifice suprême, mais ce
ne fut pas en vain, puisque son idéal de justice allait grandir et prospérer. Après la mort
de Paul Tamlumlum, les gens d’Ambae, dont la prospérité et le sens de l’autonomie
avaient inspiré Tamlumlum, quittèrent progressivement Mallicolo. Aujourd’hui encore,
on peut voir les traces de leur implantation à Wowo. Quelques années plus tard, ils s’investiront massivement dans le Nagriamel. Les sympathisants de Tamlumlum poursuivirent son mouvement sous une autre appellation. La Malekula Native Company devint
la Niu Hebridis Native Kampani, également connue par les man-Malakula sous le nom
de Namagi Aute, lequel mouvement présente depuis la fin des années 1970 ses représentants aux différentes élections locales et nationales.
Questions de compréhension
1. À partir du texte, pouvez-vous définir les caractéristiques de Malnatco qui
s’apparente à une coopérative ?
2. Quelle explication est donnée sur la certitude que les Américains donneraient
aux insulaires un bon nombre de marchandises ?
60
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
3. Trouvez une carte du Vanuatu et localisez les villages de Malnatco énumérés
dans le tableau. Est-ce que ces villages sont éloignés l’un de l’autre ?
Rap p e l
Les sources primaires
d’information incluent les
entretiens avec des témoins
oculaires d’un événement et les
documents, photos ou images du
temps ; les sources secondaires
d’information incluent les
livres et les articles écrits après
l’événement qui s’est produit
en se basant sur les sources
primaires d’information.
Pour aller plus loin
1. Le titre de l’article de Jean Guiart est « En marge du Cargo Cult ». Pourquoi les
liens entre Charley Raghragh et le mouvement John Frum auraient-ils créé un
malaise entre la Malnatco et les administrations coloniales ? En vous basant
sur vos connaissances des cultes du Cargo, pensez-vous que la Malakula Native
Company devrait être considérée comme un culte du Cargo ?
2. Il n’y a pas beaucoup d’informations disponibles sur la Malnatco. Jean Guiart
était témoin des opérations de première main, mais peu de gens ont écrit à son
sujet. Réfléchissez aux façons d’en savoir plus au sujet de cette coopérative.
Classez ces sources d’information primaires ou secondaires.
Les mouvements sociaux au Vanuatu
Il y a eu beaucoup plus de mouvements sociaux au Vanuatu que ceux que nous venons d’aborder. Nous étudierons également le mouvement Nagriamel, quand nous explorerons le chapitre « En route vers l’indépendance ». Certains mouvements furent de
courte durée, alors que d’autres existent toujours aujourd’hui. Les mouvements sociaux
actuels incluent le Melanesian Institute of Technology and Philosophy à Lavamangemu,
au nord-est de Pentecôte et le Four Corner Movement au nord de Tanna conduit par
Antoine Fornelli. Il y a beaucoup de mouvements que nous n’avons pas pu décrire dans
ce chapitre. Il est évident en étudiant ces mouvements sociaux melanésiens, qu’ils sont
des facteurs d’identification collective et de rassemblement politique.
Enquête
Informez-vous au sujet des mouvements sociaux contemporains. Quelles sont les
convictions qui unissent les disciples ? Ces mouvements sont-ils basés sur des
philosophies religieuses, économiques, politiques ou sociales ?
61
chapitre trois
La Seconde Guerre mondiale aux
Nouvelles-Hébrides : 1942 à 1945
Les débuts de la Seconde Guerre mondiale en Europe
Dans les années 1930, à la suite de la Première Guerre mondiale, puis de la crise économique de 1929, l’Allemagne, l’Italie et le Japon se tournèrent vers l’expansion géographique de leurs frontières. Ils voulurent étendre leurs empires, affirmer leur puissance
dans le monde entier, et redresser leurs économies en crise. Les dirigeants de ces pays,
convertis à des idéologies fascistes, nazies et racistes, imposèrent à leurs peuples que
l’impérialisme était la seule réponse possible aux problèmes auxquels ils devaient faire
face. Le 1er septembre 1939, l’armée allemande envahit la Pologne, le plus proche pays
voisin à l’est. Le 3 septembre 1939, La Grande-Bretagne exigea l’arrêt de cette invasion.
Adolf Hitler, dictateur au pouvoir en Allemagne, n’écouta pas les protestations de la
Grande-Bretagne. Par conséquent, la France et la Grande-Bretagne déclarèrent la guerre
à l’Allemagne et la Seconde Guerre mondiale débuta en Europe.
Après l’invasion de la Pologne, l’armée d’Hitler s’avança davantage encore en
Europe, conquit les pays et les plaça sous son contrôle. Enfin, la France fut envahie par
l’Allemagne et, en juin 1940, l’armée française capitula. Une fois la France envahie, le
dictateur italien, Benito Mussolini, déclara la guerre à la France ainsi qu’à la GrandeBretagne. L’Allemagne et l’Italie continuèrent leur progression expansionniste à travers
l’Europe, la Méditerranée et l’Afrique du Nord. En 1940, le Japon signa un pacte de déComment l’occupation de la France par l’Allemagne a-t-elle affecté les Français
qui habitaient aux Nouvelles-Hébrides ? L’extrait suivant de Jeremy MacClancy
décrit la situation.
Le gouvernement français capitula et fut remplacé par un nouveau gouvernement avec
à sa tête le maréchal Pétain. Quelques Français des Nouvelles-Hébrides refusèrent
de s’associer avec Pétain. Le 29 juillet 1940, le Commissaire Résident français Henri
Sautot annonça à la population qu’il avait décidé de se rallier aux Forces de la France
libre, conduites par le général de Gaulle. Les partisans de Pétain, privés du soutien
des deux administrations et submergés par la propagande britannique, furent mis sur
une liste de suspects, exclus de tout poste officiel et la police fouilla leurs maisons.
Après l’expulsion de quatre pétainistes, l’administration française, menée par
l’inspecteur général Sautot, et la plupart des colons français, déclara son soutien à De
Gaulle. Les Nouvelles-Hébrides furent le premier territoire français d’outre-mer à le
faire (MacClancy 2002 : 125).
62
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Seconde guerre
mondiale : Avance
allemande 1940-1941
Puissance de l’Axe,
début 1940
Territoires occupés par
l’Allemagne, début 1940
Offensives allemandes
Limites de l’avance
allemande
Retraite de l’Angleterre
et de la France
(Berkin et coll. 1992 : 616)
La Bataille d’Angleterre
commença en août
1940 ; défaite de la
Luftwaffe allemande ;
Hitler remet à plus tard
l’attaque de l’Angleterre
La Seconde Guerre mondiale aux Nouvelles-Hébrides : 1942 à 1945 63
fense avec l’Allemagne et l’Italie appelé le pacte tripartite. Ces nations représentèrent
les puissances de l’Axe.
Le début de la guerre du Pacifique
Le matin du 7 décembre 1941, les avions de guerre japonais attaquèrent la flotte de vaisseaux de guerre américains sur la base aéronavale de Pearl Harbor à Hawaï. Le bombardement ne dura que quelques heures. Les huit cuirassés américains furent détruits,
de même qu’environ 150 avions. Les Etats-Unis déclarèrent la guerre au Japon le 8 décembre 1941. La Grande-Bretagne déclara à son tour la guerre au Japon et en guise
de réponse, l’Allemagne et l’Italie ouvrirent les hostilités contre les Etats-Unis trois
jours plus tard. En janvier 1942, 26 nations dirigées par l’Union Soviétique, la GrandeBretagne et les Etats-Unis s’engagèrent à s’unir dans le combat contre les puissances de
l’Axe. Ces nations sont connues sous le nom d’Alliés.
Six mois après le bombardement de Pearl Harbor, le Japon remporta des victoires faciles dans tout le sud-ouest du Pacifique, jusqu’aux îles Salomon dans le but d’intégrer
et de contrôler le Pacifique dans son empire.
1 0 0 0 p ipol i k am lon g Pot V ila
Long 1941 Wol Wo Tu i brekaot
Japanis i kam insaed long Pasifik
Hem i bildimap hom blong hem long Solomon Aelan
Nao i stat blong mekem wo long USA.
Amerika hem i girap long ful paoa blong hem
Nao i stat long muv i kam long Pasifik
Hem i stretem kos blong hem i mekem Niu Hebridis
Nao i stat blong mekem hom long Efate.
Taem US i kasem Efate big fraet i kam antap
Nao i stat blong tekem ol man i helpem hem
Sanem tok i kam long Saoten Aelan, Tanna i saplae
1000 pipol i go wok long Pot Vila.
Olgeta fren traem tingting long 41 i kasem 80
Stret 40 yia nao i pas yumi stanap
Yumi no mas fogetem olgeta papa blong yumi
We oli faet strong from kantri blong yumi.
—Noisy Boys Stringband, Tanna
P a c t e t r ip a r t it e : accord
signé le 27 septembre 1940 entre
les puissances de l’Axe pendant
la Seconde Guerre mondiale
P u is s a n c e s d e l’ Axe :
Le Japon, l’Allemagne et
l’Italie pendant la Seconde
Guerre mondiale
L e s A l l ié s : groupe de
pays qui ont lutté contre les
puissances de l’Axe pendant
la Seconde Guerre mondiale
64
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Le 7 décembre 1941, les
avions japonais attaquèrent
par surprise Pearl Harbor
(Costello 1981 : 202).
Les Nouvelles-Hébrides et la Seconde
Guerre mondiale : les premiers jours
Les deux premiers couplets de cette chanson du groupe Noisy Boys décrivent le début de la Seconde Guerre mondiale dans le Pacifique. Avec l’extrait suivant de Jeremy
MacClancy tiré de « Faire de deux pierres un coup » (2002), nous pouvons compléter la
description des années de guerre dans le Pacifique.
Après leur attaque surprise sur la base navale américaine de Pearl Harbor le 7 décembre
1941, les forces japonaises avancèrent rapidement dans le Pacifique Sud, écrasant toute
résistance et atteignant les Salomon en avril 1942. Des Européens s’enfuirent aux NouvellesHébrides avec une flotte de petits bateaux. L’invasion des Nouvelles-Hébrides semblait imminente. Beaucoup d’Européens de Port-Vila s’enfuirent à Nouméa ou Sydney après avoir
entendu parler des mauvais traitements que les Japonais réservaient à leurs prisonniers. Des
Néo-Hébridais, la plupart originaires du nord de Mallicolo et des Européens se joignirent à la
Force de Défense des Nouvelles-Hébrides. Entraînés par des soldats australiens, ils remplissaient des fonctions de sentinelle, suivaient des formations au combat de jungle et partaient
patrouiller dans la brousse. Les hommes trop vieux pour servir au combat rejoignirent l’Unité
de Défense Civile des Nouvelles-Hébrides. Ils construisirent et servirent des batteries de mitrailleuses un peu partout dans Port-Vila. Un plan d’évacuation de tous les colons fut prévu
au cas où la ville serait attaquée par les airs. On cacha des médicaments dans la brousse. Les
résidents japonais furent arrêtés et leurs biens confisqués. Déportés en Australie par bateau,
ils furent internés dans des camps jusqu’à la fin de la guerre (MacClancy 2002 : 115).
La Seconde Guerre mondiale aux Nouvelles-Hébrides : 1942 à 1945
65
Question de compréhension
Trouvez les synonymes (mots qui ont une signification semblable) des mots en
gras dans le texte.
Pour aller plus loin
1. Pourquoi de nombreux Européens se rendirent à Nouméa ou à Sydney au lieu de
rester aux Nouvelles-Hébrides pendant les années de guerre ?
2. Le gouvernement du condominium élabora un plan d’évacuation. Pourquoi ?
Enquête
Quand les insulaires ont-ils entendu parler pour la première fois de la Seconde
Guerre mondiale et de l’attaque de Pearl Harbor ? Comment ont-ils réagi ? Ont-ils
pensé que cela les affecterait personnellement ?
Plus en détail– la Force de défense des Nouvelles-Hébrides
La Force de Défense des Nouvelles-Hébrides (NHDF : New Hebrides Defense Force)
s’organisa avant l’arrivée des Américains aux Nouvelles-Hébrides. Cette force était
composée de colons et d’insulaires français et britanniques principalement originaires
de Mallicolo et de ses petits îlots du nord. L’armée australienne forma les membres
de la NHDF et, six mois après, ils prenaient en charge les tâches organisées par les
Commissaires Résidents français et britanniques. La NHDF possédait même son
propre drapeau, qui comprenait les drapeaux croisés français et britanniques. Quand
les Américains arrivèrent, la NHDF patrouillait déjà dans Port-Vila et les régions
côtières de quelques îles. La NHDF opéra tout au long des années de guerre, aidant
les forces de police locales britanniques et françaises et construisant des pistes
d’atterrissage. Les histoires orales suivantes tirées de Big Wok : Storian Blong Wol Wo Tu
Drapeau de la Force de
Défense des NouvellesHébrides, exposé au musée
national de Port-Vila (VKS).
Entraînement des membres
de la Force de Défense des
Nouvelles-Hébrides à Port-Vila
(Lindstrom et Gwero 1998 : 110).
66
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
long Vanuatu (1998), édité par Lamont Lindstrom et James Gwero, rappellent certaines
des expériences des hommes qui faisaient partie de la Force de Défense des NouvellesHébrides.
NHDF i soem olgeta samting long amerika
Ol Amerika i kam, mifala i soem olgeta samting long Amerika. Mi mi go wetem ol Amerika.
Mifala i go long Pot Havannah. Ale, mi soem olgeta samting long bus. Ol lif we i nogud, mo
lif we i gud. Mifala i slip long bus nomo. Mi mekem ol bed blong olgeta insaed long ol burao.
Mi soem olgeta samting long bus– ol samting we mi kakae, samting we mi no kakae.
—Tomson Gabriel Ati, Wala, Mallicolo (Dans Lindstrom et Gwero 1998 : 113)
Oli pulum waea long haba
Bifo taem Amerika oli kam so, i gat Ostrelia Arme hem i stap finis, wetem ol Efos [Air Force],
mo ol NHDF (Niu Hebridis Difens Fos). Oli stap finis. Oli pulum wan waea i stap long
Nambatu i kam kros long Vila taon ia. Bifo yumi no gat plante haos daon long solwota. Oli
pulum waea stat long Nambatu i kam kros i go kasem Melkofe, ples long Tebakor. I go kasem
Tebakor. Waea i go kros long ples ia blong enemi i no kamkros insaed.
—Alick Sualo, Erakor (Dans Lindstrom et Gwero 1998 : 11)
Ol man oli mas gad dei-an-naet from oli talem se Japani i stap long Big Bay ia. Nao oli go i
stap antap long Santo Pik ia. Oli gad i go, naet-an-dei, naet-an-dei. Mifala i tekem glas. Mifala
i waj long tu poen ia. Oli lukaotem ol sip. Sapos oli luk sip, o oli luk wan samting, oli mas
ripotem. Oli talem se, « Samtaem Japani oli swim. Yufala i luk i flot i kam, yufala i ting se
kokonas be man ia. Bambae i go so. Yu mas lukaot long ples ia.
—Daniel Kalorib, Ifira (Dans Lindstrom et Gwero 1998 : 115-16)
Pour aller plus loin
Pourquoi une force de défense a-t-elle été organisée aux Nouvelles-Hébrides avant
l’arrivée des Américains ?
La NHDH a patrouillé dans l’archipel hébridais et l’a défendu contre un débarquement japonais possible. Elle a aussi aidé le gouvernement du condominium à interner
les 33 ressortissants japonais qui vivaient dans l’ensemble des îles. Ils étaient considérés comme d’éventuels et dangereux espions, quoique qu’un bon nombre d’entre
eux n’aient pas de contact avec leur pays d’origine depuis de nombreuses années. Ces
hommes et leurs fils adolescents furent par la suite envoyés au sud de l’Australie, où ils
furent maintenus dans des camps d’internement, qui ressemblaient à des prisons entourées de fil de fer barbelé. Le club japonais de Port-Vila fut fermé et transformé en
camp d’internement puis en magasin.
La Seconde Guerre mondiale aux Nouvelles-Hébrides : 1942 à 1945
67
Plus en détail – l’internement des résidents Japonais
Les extraits suivants sont tirés de Big Wok : Storian blong Wol Wo Tu long Vanuatu (1998).
Gavman i holem ol man Japan long Vila
Olgeta man Japan we oli bin stap wok long ia bifo, taem Wol Wo i brok aot nao, oli arestem
olgeta. Oli go putum olgeta long kalabus. Mi mi luk olgeta olsem oli tekem olgeta ia. Ostrelia
Arme oli kam tekem olgeta oli go. Mi luk olgeta, sore long olgeta tumas. Oli krae. Mifala tu i
krae long ol. Oli kam long Niuhebridis stap gogo, yumi save yumi finis. Afta, oli aot olsem ia.
Yu luk yu sore tumas. Taem oli aot ia, plante bigfala krae long Vila Taon. Oli aot fastaem bifo
Amerika i kam. Wan spesel trup blong Ostrelia i kam from olgeta.
—Tarus Kalboe, Pango (Dans Lindstrom et Gwero 1998 : 17)
Arestem sam long Anatom
Taem we papa blong Japan hem i lego mifala, long taem blong faet, mama hem i stap hem
wan. Wok blong papa hem i blong mekem tred long saed blong troka wetem grinsnel. Hem i
bin stap long Anatom hem nomo wetem wan smol kampani we hem i mekem. Oli stap daeva
olbaot blong kasem sel. Hem i salem i kamtru long Vila. Hem i bin gat wan smol lanis we
hem i naf blong karem ol sel i kam long Vila. I karem sam kago i gobak long Anatom, from
hem i mekem wan smol stoa long we i stap salem ol samting insaed long hem.
Long we hao nao papa hem i lego hom mi no save storian blong hem. Mi no luk hem taem
we oli tekem hem. Mi jas harem nomo bihaen se oli bin karem hem wetem ol narafala. Olgeta
oli go long Saot Ostrelia. Mifala i no gat eni leta we hem i kam taem we hem i stap long
Ostrelia, be taem we hem i gobak long Japan hem i bin raetem sam leta i kam long Mama.
—Kami Shing, Port-Vila (Dans Lindstrom et Gwero 1998 : 20)
Expressi on écrite
Imaginez que vous êtes un(e) ressortissant(e) japonais(e) habitant aux NouvellesHébrides. Puisque votre pays d’origine menace de prendre le contrôle des
Nouvelles-Hébrides pendant la période de guerre, vous (ou votre mari, frère, etc.,
si vous êtes une femme) êtes enlevé(e) de chez vous et enfermé(e) dans un camp
d’internement en Australie. Que ressentiriez-vous ? Quels regrets éprouveriezvous ? Écrivez une lettre à l’un de vos amis qui habite toujours aux NouvellesHébrides. Dites-lui ce que vous avez ressenti quand vous avez été forcé de quitter
les Nouvelles-Hébrides, ce que vous ressentez maintenant et ce que vous croyez
qu’il va se passer à l’avenir.
Activité de discussion
1. Les camps d’internement et de prisonniers sont le résultat très malheureux de
la méfiance en temps de guerre. Pensez-vous que l’on devrait permettre à des
gouvernements de forcer certains groupes de personnes à vivre dans des camps
d’internement pendant les périodes de guerre ? Pourquoi ? En classe, discutez
de cette question.
2. Pourquoi les Japonais furent-ils déportés hors des Nouvelles-Hébrides ? Etait-ce
justifié ? En classe, discutez de la déportation des Japonais pendant la Seconde
Guerre mondiale.
68
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Enquête
Est-ce que des Japonais furent déportés de l’île dont vous êtes originaire ?
Demandez à des personnes âgées de votre région si elles se rappellent des histoires
au sujet du déplacement des Japonais des Nouvelles-Hébrides. Y a-t-il des histoires
sur des Japonais qui seraient revenus aux Nouvelles-Hébrides après la guerre ?
L’arrivée des Américains
Gauche : Le quartier général
du commandement des
îles (Garrison 1983 : 17).
Droite : Bauerfield, près de PortVila, Efate, Nouvelles-Hébrides,
1943 (Garrison 1983 : 70).
Après l’attaque du Japon à Pearl Harbor, les Etats-Unis entrèrent dans le conflit en déclarant la guerre au Japon. La guerre se déroulait désormais sur deux fronts, dans le
Pacifique aussi bien qu’en Europe et en Afrique. En plus de l’envoi de troupes pour
combattre sur le front européen, les Américains durent faire acte de présence dans
le Pacifique Sud pour se défendre contre les Japonais. Au milieu de l’année 1942, les
Japonais avaient déjà atteint et contrôlaient les Philippines, de nombreuses îles de
Micronésie, la Nouvelle-Guinée et plus au sud les îles Salomon. Le chef des opérations
navales, l’amiral E.J. King proposa trois actions au Président Roosevelt (président des
Etats-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale) : « Tenir Hawaï ; soutenir l’Australasie ; se diriger vers le nord-ouest à partir des Nouvelles-Hébrides » (Lindstrom 1996 : 6).
Les premières troupes américaines débarquèrent à Port-Vila le 18 mars 1942. En
raison de la présence d’alliés britanniques et français aux Nouvelles-Hébrides et de la
localisation de l’archipel dans le Pacifique, les Nouvelles-Hébrides étaient un endroit
idéal pour une base militaire et navale commune. A partir des Nouvelles-Hébrides, les
forces américaines pouvaient s’avancer au nord dans des territoires déjà occupés par les
Japonais.
Au cours des mois suivants, les forces armées rejoignirent Efate via la large étendue de l’océan Pacifique entre la côte occidentale des Etats-Unis et Efate. Ils prirent le
contrôle de Port-Vila, convertissant les infrastructures du Tribunal mixte en un de leurs
nombreux hôpitaux, installant officiellement leurs quartiers généraux dans la maison du juge espagnol, et défrichèrent la plantation Bladinière pour en faire un terrain
d’aviation. Ils construisirent des quais, une base pour hydravions, des équipements de
stockage de marchandises, des tours de radio et un réseau téléphonique. On se référait
à la base militaire de Port-Vila par le nom de code « Roses ».
En plus de Port-Vila, les militaires élargirent leurs opérations à Port-Havannah qui
La Seconde Guerre mondiale aux Nouvelles-Hébrides : 1942 à 1945
69
convenait mieux aux cuirassés et aux cargos en raison de son port en eau profonde. Ils
y établirent un terrain d’aviation ainsi qu’une base navale. Un grand quai fut construit et
le quartier des officiers y fut installé. A Samoa Point, il y avait une base pour hydravions.
Un filet fut placé à l’entrée du canal entre Lelepa et Moso afin d’empêcher les bateaux et
sous-marins ennemis d’entrer. Un autre terrain d’aviation fut également construit près
de Quoin Hill au nord d’Efate. En juin 1942, les États-Unis décidèrent de développer une
autre base à Santo (Discombe 1979 : 7-8).
Plus en détail – la participation des insulaires à la guerre
Mekem fani long ol sik man
Mifala i mekem fani long ol sik man. Mifala i go plei long olgeta. Mifala i sing. Oli no save
lanwis blong mifala, be mifala gohed nomo. Oli laf, laf. Oli givim gita, yukalele. Mifala i
plei, gohed nomo, danis, danis long olgeta. Mifala i mekem olgeta oli laf. Ol gel ia, oli save
plei. Mifala i danis. Danis blong yumi ia, kastom. Mifala i no danis wetem ol Amerika, man
Amerika. Mifala nomo. Ol sik man. Oli save givim smol mane blong mifala i danis. Oli givim
bombong. Taem mifala i no gat wok long hospital, mifala i go luk ol sik man ia.
—Annie Kaltiua, Mele (Dans Lindstrom et Gwero 1998 : 82-3)
Wokem telfon long ofis
Taem mi stap wok long Arme, mi odali [orderly] long ofis blong olgeta… Sipos wan stesen
i telefon i kam i ring, mi sakem telefon mi go stret long ples ia. Sipos i long naet, big ren,
o tanda, be mi mas go. Mi gat renkot mekem mi mi go blong mi tekem pepa. Taem hem i
singaot, i singaot from pepa finis ia. Taem mi go, mi luk pepa i stap, mi karem. Mi karem i
kam long olgeta we oli stap long ofis ia. I go long wan bigfala taepraeta we oli stap printim…
taem oli lukluk leta ia, oli lukluk ol samting, oli save weples we Jap (Japanese) i stap. Nao
ol Arme i go long ples ia. O sapos i stap long ovasi, be olgeta Arme oli karem plen oli go ia.
Oli wantem faenem weples we Jap i stap. Taem oli faenem Jap, oli save sutum Jap we i kam i
wantem spolem yumi. Hemia nao wok blong mi, we mi stap long hem.
—Magam, Ambrym (Dans Lindstrom et Gwero 1998 : 89-90)
Hommes originaires de
Tanna attendant sur la plage
à Lenakel pour travailler avec
les Américains (Lindstrom
et Gwero 1998 : 37).
70
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Tanna Rod
Mifala i stat wok long Mele, stat klinimap rod. Mifala i stat klinimap rod, katem rod, stat long
Mele i go antap long hil. I go antap long hil i go kasem Krik Ai i go. I go kasem Not Efate, mo
i go kasem Onesua. Hem i wan bigfala rod we oli kolem tede « Tanna Rod ». Hem i rod ia
mifala i klinim. Nem ia Tanna Rod, olsem mifala nomo ol man Tanna i givim from we mifala i
wokem. I no Amerika hem i talem, be mifala nomo, ol man Tanna, i putum nem long hem.
—Tru Ietika, Tanna (Dans Lindstrom et Gwero 1998 : 64)
Mi wok long sip Echo
Long Santo, hem i bigfala bigfala ples, olsem i stap kolem hem i ‘seken New York,’ blong
Amerika ia long taem ia. Taem mifala i go long ples ia, mi mi mas gad long sip. Mi mas
tekem pistol blong mi, mi gad long sip. Olgeta narafala wan oli mas go so, evriwan.
Spesel bot i kam tekem olgeta i go long so long naet blong go long sinema, blong go long
entertainment, ol samting, ol spot. Mi mas stap long sip blong mi lukaot sip. Eni sip i kam
mi mas askem se, ‘Yu gat paswod?’ or ‘Nem blong yu olsem wanem?’ Mi mas askem. Sapos i
no ansa, mi sutum bot ia! —Peter Kaltoli, Ifira (Dans Lindstrom et Gwero 1998 : 73-4)
Le navire américain Écho
(Garrison 1983 : 50) était
autrefois une vieille goélette à la
charpente en bois, que la marine
américaine acheta à la NouvelleZélande pour l’utiliser comme
moyen de transport entre les îles.
Enquête
Nombre des anciens qui ont vécu pendant les années de guerre sont déjà morts.
Après tout, l’occupation américaine des Nouvelles-Hébrides s’est produite il
y a plus de soixante ans ! Cependant, vous devriez encore pouvoir trouver une
personne qui peut se rappeler les années de guerre. Discutez avec les générations
les plus anciennes de votre village ou de la région de votre école. Est-ce que
La Seconde Guerre mondiale aux Nouvelles-Hébrides : 1942 à 1945 71
quelqu’un peut encore raconter ses expériences de l’époque de la guerre ? Ces
hommes et ces femmes ont-ils transmis des récits à leurs enfants ? Si vous pouvez
trouver quelques récits sur les expériences personnelles, recopiez-les. En classe,
partagez les histoires que vous avez pu collecter. Sont-elles comparables aux
sélections de récits oraux que vous avez lus dans ce chapitre ?
Les années de guerre à Santo : un recueil de photographies
Le choix des photographies suivantes représente l’occupation américaine à Santo pendant les années de guerre. Les photographies sont des sources primaires qui nous
permettent d’étudier le passé de façon intéressante et utile. Ces photos illustrent les
contacts culturels qui se produisirent à cette époque. Il est important d’analyser les photos. Par exemple :
1. Les photographies n’étaient pas prises par les insulaires qui en étaient généralement les sujets. Comment cela peut-il affecter les collections de photographies ?
2. Quelques photographies ont été mises en scène ou préparées par les photographes.
Est-ce qu’elles dépeignent la « réalité » de la guerre ?
3. Quelles sont les choses qui ne sont pas mentionnées ou illustrées par ces photographies de guerre ? Existe-t-il des photographies de l’évacuation japonaise ? De la relocalisation des résidents de l’île de Mafea et des femmes mélanésiennes ?
4. Pendant les premières années de la guerre dans le Pacifique, seuls les officiers américains et les photographes officiels avaient le droit de posséder des appareils photos.
Bateaux dans le Canal du Segond,
en face de l’actuelle ville de
Luganville, avec l’île d’Aore sur
la droite (Stone 1997 : 52).
72
Un docteur vérifie des dents
de Titus Molirani dans l’île de
Tutuba, août 1943 (Lindstrom
et Gwero 1998 : 217). Achat
d’ananas par les soldats de la
marine à Santo, janvier 1943
(Lindstrom et Gwero 1998 : 231) ;
Jeux de balançoires sur Mafea,
janvier 1944 (Lindstrom
et Gwero 1998 : 203).
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
La Seconde Guerre mondiale aux Nouvelles-Hébrides : 1942 à 1945 73
En haut : Hommes de Santo
assis sur un char d’assaut M-18,
janvier 1945 (Lindstrom et Gwero
1998 : 143). En bas : Quelques
soldats et un chef de Tutuba
portant un uniforme de l’armée
(Lindstrom et Gwero 1998 : 130).
74
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Cela signifie qu’au début, les soldats ne pouvaient pas prendre de photographies. En
quoi cela modifie-t-il la description de la guerre ?
En analysant ces photos, il est important de garder ces points en tête. De plus, vous pouvez utiliser vos connaissances au sujet de la Seconde Guerre mondiale et des NouvellesHébrides quand vous examinez une photo ; placez la photo dans son contexte.
Activités et questions sur les photographies
1. Ecrivez une légende (phrase pour décrire une image) pour chaque photographie.
Ecrivez-en une du point de vue des militaires et une du point de vue des
insulaires.
2. Pourquoi ces photographies ont été prises ? Que cherche à montrer chaque
photographie ?
3. Comment le public américain a-t-il réagi par rapport à chacune de ces
photographies ?
4. Est-ce que les gens pris en photo semblent à l’aise ? Ces photographies sontelles naturelles ou ont-elles été mises en scène ?
5. Regardez les photos et trouvez ce qui leur manque.
6. Si vous étiez photographe de guerre, quelles images auriez-vous choisi de
prendre ?
7. Comment pouvez-vous comparer ces photographies à celles qui sont prises
pour les publicités touristiques d’aujourd’hui ? En quoi se ressemblent-elles ?
Pourquoi ?
8. Regardez chacun des portraits. Percevez-vous une camaraderie (amitié) entre
les insulaires et les soldats sur les photos ? De quelles façons les photographes
ou les personnes sur les photos ont-ils essayé de dépeindre les rapports des uns
avec les autres ?
Etude de carte 1 : la participation de Santo à la Guerre
Étudiez la carte de la page opposée et répondez aux questions.
Questions
1. Qu’est-ce qui était situé dans l’île d’Aore ? En connaissez-vous la signification ?
2. Quel est l’autre nom de la zone Bombardier I ?
3. Pourquoi une grue flottante était-elle nécessaire dans le Canal du Segond ?
4. En se basant sur les informations révélées par la carte, rédigez deux questions et
donnez-les à un de vos camarades de classe comme devoir à la maison.
75
Tiré de Stone 1997 : 48.
La Seconde Guerre mondiale aux Nouvelles-Hébrides : 1942 à 1945 76
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
L’extrait suivant est issu de l’ouvrage de l’ethnologue Marc Tabani (2002 : 153-154) :
Avec la guerre du Pacifique et l’installation d’une base avancée de l’armée américaine à
Santo, l’île connut un total bouleversement. La bande littorale du canal du Segond, au sujet
de laquelle les contestations foncières étaient pressantes, fut transformée en un gigantesque
complexe militaire qui recevra, entre 1941 et 1945, plus d’un demi-million de soldats américains (Geslin, 1956 : 257).
Après les jours héroïques où le ravitaillement de Guadalcanal fut assuré par les moyens
locaux, il y eut un afflux prodigieux de navires à Santo. En 1943 et 1944, il y avait en
moyenne tous les jours dans le canal du Segond de cent à cent cinquante navires, à peine
moins sur la baie de Pallicolo. Le canal bouillonnait littéralement sous les hélices des vedettes qui les sillonnaient en tous sens. Le travail de nuit interdisait le black-out. La nuit
c’était donc une féerie de lumières sur le canal » (Geslin, 1956 : 260).
A cette époque, la société coloniale ne représentait plus qu’une frange minime de la population noyée au milieu des uniformes : soixante familles de colons, soit environ deux cents
personnes, plus 2 000 à 2 500 « Tonkinois » (nom donné aux coolies vietnamiens), pour
100 000 Américains en 1944 (ibid. : 275). Les rapports entre communautés en furent bouleversés. Des centaines de Mélanésiens furent amenés de toutes les îles pour travailler sous
contrôle américain avec des salaires défiant toute concurrence (défiant même la « raison »,
selon les critères anciennement fixés par les Européens).
Les Tonkinois en profitèrent pour s’émanciper politiquement et certains firent fortune.
Les Mélanésiens christianisés en contact avec les Américains furent traités en égaux par
les soldats noirs qui représentaient 70% des effectifs du corps d’armée américain. Les
Mélanésiens qui purent approcher le « miracle » de cette débauche de moyens, d’hommes,
de technologies et d’argent, ne furent pas en reste. Le Cargo – la croyance en une cargaison
« salvatrice » – devint pour une partie d’entre eux une réalité vécue. Le petit commerce à la
sauvette durant la présence américaine représenta pour les Mélanésiens une aubaine économique. Les dents recourbées des cochons hermaphrodites élevés à des fins rituelles devinrent l’objet de tous les trafics. Leur prix unitaire se chiffrant en dizaines de dollars, des
expéditions furent menées pour s’en procurer dans d’autres îles. En 1946, les dents de cochons étaient devenues presque introuvables (ibid.: 273).
Les populations de l’intérieur de Santo ne furent pas toutes en contact avec les
Américains, tant s’en faut. Avec la nécessité d’étendre les surfaces agricoles exploitables
pour le ravitaillement des troupes, et de protéger l’équipement militaire, les populations du
voisinage furent d’abord évacuées en direction du bush. Cette situation confortait l’implantation des colons, faisant reculer les limites avec les terres mélanésiennes ; jusqu’à ce que
les Américains se mirent à encourager la venue des populations de l’intérieur pour qu’elles
vendent elles-mêmes leurs produits. Ces incitations furent dénoncées par les missionnaires
presbytériens, puisqu’elles nuisaient à leur propre pouvoir d’attraction. Des pressions furent
exercées sur les communautés isolées pour qu’elles restent chez elles. Dans l’esprit des colons, il s’agissait d’éviter que, la guerre finissante, les insulaires ne sortent du bush pour réclamer les nouvelles terres défrichées.
Le « Plus en détail » suivant explore deux relations importantes : celle entre les militaires américains et le gouvernement du condominium des Nouvelles-Hébrides, et celle
entre les militaires américains et les indigènes des îles qu’ils occupaient.
La Seconde Guerre mondiale aux Nouvelles-Hébrides : 1942 à 1945
77
Plus en détail – la relation entre les indigènes et les soldats
En haut : Vallée de la Faria,
PNG, octobre 1943. Un Papou
(un des « fuzzy wuzzy angels »,
indigènes volontaires pour
aider les soldats australiens)
allume la cigarette d’un soldat
australien blessé évacué vers
l’arrière (Lindstrom et White
1990 : 19). Le front de guerre
en PNG était connu comme la
piste de Kokoda et traversait de
nombreuses régions tribales.
En bas : Marakei, Kiribati
(îles Gilbert), juillet 1944. Des
insulaires sauvent un pilote de
la marine américaine après un
atterrissage en catastrophe de
son hydravion dans leur lagon
(Lindstrom et White 1990 : 49).
78
En haut : Tuvalu, octobre 1943.
Un sergent américain observe
une fille de l’île faire sa lessive.
La lessive était quelque chose
d’important dans toutes les
bases militaires. Beaucoup de
femmes et hommes des îles
se sont fait, grâce à cela, de
petites fortunes ; certains ont
toujours des taies d’oreiller
remplies de dollars américains
gagnés en lavant des vêtements
(Lindstrom et White 1990 : 89)
En bas : Papouasie-NouvelleGuinée. Les Japonais étaient sur
Bougainville et dans d’autres
régions de la Nouvelle-Guinée
dès le début 1942 et jusqu’à la fin
de la guerre en 1945. Ils créèrent
des écoles dans plusieurs
zones, enseignant à beaucoup
de jeunes Mélanésiens les
rudiments de la langue japonaise
(Lindstrom et White 1990 : 31).
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
La Seconde Guerre mondiale aux Nouvelles-Hébrides : 1942 à 1945
79
Maprik, Papouasie-NouvelleGuinée, 1945. Un Papou blessé
par les tirs d’une mitrailleuse
est mis en lieu sûr et surveillé
par les soldats australiens
(Lindstrom et White 1990 : 54).
Plus en détail– la relation entre les américains et le condominium
Cet extrait de l’article de Lamont Lindstrom (1996), intitulé « The American Occupation
of the New Hebrides », détaille les relations entre les militaires américains et le gouvernement du condominium pendant l’occupation américaine des îles.
Il est clair que beaucoup de soldats américains avaient peu de considération pour l’autorité
coloniale ou pour l’avenir de la colonie après la guerre. Les histoires orales collectées auprès
des vieux Ni-Vanuatu montrent aujourd’hui que les soldats américains ont maintes fois
défendu les insulaires contre les intérêts et les réclamations des Anglais et des Français. Les
soldats américains, par exemple, ignoraient les règlements du condominium sur l’emploi
occasionnel d’indigènes. Ils payaient leurs employés locaux plus que ne le permettait
le règlement du condominium et ils s’assuraient souvent que les insulaires pouvaient
contourner les tentatives du condominium de les empêcher de s’habiller avec les vêtements
militaires et de ramener des marchandises chez eux. D’autres histoires populaires racontent
que les soldats américains sont intervenus pour s’opposer aux tentatives de la police
britannique ou française d’arrêter des renégats indigènes (Lindstrom 1996 : 15).
Cet autre extrait décrit les règlements que le gouvernement du condominium essaya de
faire adopter afin de contrôler les interactions des insulaires avec les Américains.
Beaucoup d’insulaires… ont également gagné de l’argent pour les services occasionnels
qu’ils rendaient aux troupes américaines tels que la blanchisserie, le nettoyage des
A u t o r it é : puissance,
administration
Re n é ga t : fauteur de
troubles, traitre
80
E sprit d’en trep rise :
capacité d’entreprendre et de
faire du commerce
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
campements, ou la cueillette des noix de coco… D’autres hommes d’affaires opportunistes
se lancèrent dans le commerce de souvenirs. Le condominium essaya de supprimer tout
esprit d’entreprise des insulaires, en adoptant en janvier 1944 le règlement de défense
commune n°1 destiné « à interdire la fabrication et la vente de curios indigènes ». Quiconque
fabriquerait ou vendrait des curios indigènes (par exemple jupes en feuillages, pirogues,
massues, bracelets), à moins d’en avoir l’autorisation des Commissaires Résidents,
« s’exposait à une amende de 50 livres et/ou à six mois de prison. Les clients américains et
les commerçants européens, tonkinois et mélanésiens s’opposèrent à ce règlement, qui fut
inapplicable et le condominium l’abrogea six semaines plus tard (Lindstrom 1996 : 20-21).
Pour aller plus loin
1. Pourquoi le condominium appréciait-il peu le comportement des soldats
américains ?
2. Pourquoi le gouvernement du condominium a-t-il essayé d’étouffer « l’esprit
d’entreprise » des indigènes ? Trouvez-vous cela juste ? Pourquoi ?
Activités de discussion
1. Référez-vous aux photographies précédentes. Qu’est-ce que les photographies
vous indiquent au sujet des rapports entre les soldats et les insulaires pendant
la guerre ? A votre avis, certaines de ces photographies ont-elles été mises en
scène ? Repensez aux points mentionnés au sujet de l’analyse de photographie.
Gardez ces points à l’esprit lorsque vous observez les photographies.
2. Imaginez que vous étiez témoin de la Seconde Guerre mondiale dans le
Pacifique. Seriez-vous d’accord pour dire que ces photos sont des interprétations
précises de la guerre dans le Pacifique ? Pourquoi ?
3. En quoi le rapport entre les soldats et les insulaires était-il réciproque (égal) ?
Y a-t-il un type de réciprocité évident dans les photographies ?
L’extrait suivant est adapté depuis l’ouvrage de l’ethnologue Marc Tabani (2002 : 6–7) :
Environ 40 000 à la veille de la Seconde Guerre mondiale (selon des estimations qui
pour certaines donnent le chiffre de 250 000 et même davantage avant le contact), les
Mélanésiens des Nouvelles-Hébrides continuaient pour la plupart à vivre dans leurs îles des
produits de leurs jardins. Les contrats signés pour le travail dans les plantations étaient peu
nombreux, rares également étaient ceux qui cherchaient à être employés en ville, à Port-Vila
ou Luganville, car ils y vivaient dans des conditions très médiocres. A partir de 1941, l’entrée
en guerre des États-Unis contre le Japon fut lourde de conséquences pour la vie de beaucoup
d’insulaires. Si les Nouvelles-Hébrides ne furent le théâtre d’aucun combat, elles servirent
par contre de bases arrière à l’armée américaine engagée plus au nord dans la bataille des
Salomon. Des milliers de Mélanésiens venus de tout l’archipel furent recrutés pour travailler
comme dockers, manœuvres, domestiques aux côtés des centaines de milliers de GI’s qui se
relayèrent, jusqu’en 1946, dans les deux bases aéronavales d’Efate et de Santo.
Echappant largement au contrôle des Missions et de l’administration coloniale, les
Mélanésiens purent mesurer la faiblesse des moyens de leurs anciens maîtres en comparaison de la toute puissance des Américains, lesquels disposaient d’une incroyable quantité
La Seconde Guerre mondiale aux Nouvelles-Hébrides : 1942 à 1945 81
d’avions, de navires, de jeeps, de camions, de bulldozers, de barges de débarquement etc.
Par ailleurs, ces derniers se montraient plus attentionnés à l’égard des indigènes que les anciens masta ; ils les payaient mieux, leur faisaient découvrir le degré de modernité inégalé
de leur technologie et l’opulence sans précédent de leurs biens de consommation. Enfin, les
soldats américains dans leur majorité étaient noirs, et apparaissaient pourtant comme les
égaux des Blancs – des « Blancs à peau noire ».
Port-Vila et Luganville, les deux principaux bourgs, se trouvèrent totalement transformés
par les aménagements militaires américains. Pendant qu’un certain nombre de Mélanésiens
tombèrent dans une sorte de fascination pour le nouvel occupant, d’autres se replièrent
dans une autarcie presque totale. A la fin de la guerre, un contraste important se dessina
entre ceux qui avaient adopté les principes de l’économie monétaire, vivant à la manière des
Blancs, travaillant pour ces derniers ou à leur propre compte, et ceux qui se détachèrent de
tous liens avec les Européens. En certains endroits, des insulaires défièrent l’autorité condominiale. Démontrant la faiblesse de son emprise sur le monde villageois, ils affirmèrent leur
manière de s’approprier des conceptions chrétiennes tout en s’opposant aux missionnaires.
Le « President Coolidge »
Le 26 octobre 1942 le « President Coolidge », un ancien paquebot reconverti en transporteur de troupes et en navire d’approvisionnement pour l’armée américaine pendant la
Seconde Guerre mondiale, percuta un champ de mines sous-marin dans le Canal du
Segond, près de la côte de Santo. Le bateau devait suivre le chemin obligatoire comme
indiqué sur la carte ci-dessous. Cependant, le Coolidge pénétra le Canal du Segond par
un itinéraire différent et heurta des mines qui avaient été placées dans le but d’empêcher les sous-marins japonais d’infiltrer la base militaire de Santo. Le récit suivant est
de Bill Bradley, un officier de bord sur le « President Coolidge ».
Le naufrage du « President
Coolidge » (Stone 1997).
82
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Carte indiquant le parcours
du « Président Coolidge »
(Stone 1997 : 93).
Je me rappelle avoir vu tout autour des formes foncées dans l’eau. J’ai pensé que c’étaient
de grandes tortues. Président Coolidge ralentissait dans le canal étroit et se dirigeait vers les
eaux protégées du port au moment où une explosion retentit à bâbord. Les formes foncées étaient en fait des mines. Il n’y eut aucune panique. Durant tout le voyage [le Président
Coolidge quitta San Francisco, aux Etats-Unis au début d’octobre et s’arrêta quelques jours
en Nouvelle-Calédonie avant de se diriger vers Santo], le capitaine Nelson avait instruit ses
troupes des usages en cas d’incendie et d’évacuation jusqu’à ce qu’elles en deviennent folles.
Quand cela s’est produit, elles savaient exactement ce qu’il fallait faire (Stone 1997 : 98).
Un autre extrait raconte l’histoire du « President Coolidge », « respirant son dernier
souffle » avant qu’il ne sombre dans l’océan.
Avec le bateau à bout de forces, sa poupe bien au-dessous et à tribord, sa coque et sa proue
exposées, le « President Coolidge » chavira sur le flanc. À 10h52, avec de grands mouvements
convulsifs et un grand remous d’eau, il disparut. Pendant quelques minutes, seuls deux petits ronds d’eau blanche marquèrent sa tombe pendant que son dernier souffle d’air s’échappait par ses cheminées. Le fier vaisseau amiral des paquebots à vapeur de la Dollar Steamship
Line et de la American President Line gît finalement entre 70 et 270 pieds [20-90m] de profondeur sur une pente raide.
Henry Schumacher (un fantassin présent sur le « President Coolidge ») se rappelle : « Alors
que le « President Coolidge » glissait dans sa tombe sous-marine, les hommes couraient toujours le long de sa coque. Ils avaient devant leurs yeux la terrible vision du naufrage d’un bateau. Un bateau qui nous avait transportés à travers des milliers de milles dans un océan
déchiré par la guerre ; un bateau sur lequel nous avons mangé, travaillé, dormi et rêvé pendant plus de trois semaines ; un bateau qui désormais emportait toutes nos affaires, nos
munitions, fusils, brosses à dents, etc. Chaque homme, cependant dépouillé de toutes ses
affaires, était heureux d’être vivant en trébuchant à terre, ne sachant pas pour combien de
personnes l’ancienne Reine du Pacifique était devenue un tombeau aquatique. Presque tous
La Seconde Guerre mondiale aux Nouvelles-Hébrides : 1942 à 1945
83
furent conscients que le désastre fut le résultat d’une mine, qu’elle nous appartienne ou
qu’elle soit à l’ennemi, c’était aux autres de le dire » (Dans Stone 1997 : 106).
Pour aller plus loin
1. « Chaque homme, cependant dépouillé de toutes ses affaires, était heureux
d’être vivant en trébuchant à terre, ne sachant pas pour combien de personnes
l’ancienne Reine du Pacifique était devenue un tombeau aquatique. » Que
signifie cette phrase ?
2. La majeure partie des soldats sur le bateau savait que le bateau avait percuté des
mines dans le port. Cependant, qu’est-ce qu’ils ignoraient ?
Enquête
Comment aujourd’hui l’épave du « President Coolidge » représente-t-elle un apport à
l’économie du Vanuatu ?
Stone 1997 : 46
84
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Etude de carte 2 : les Nouvelles-Hébrides
et la guerre dans le Pacifique
Observez la carte et répondez aux questions suivantes.
Questions
1. Quel est le titre de la carte ?
2. Quel est le nom de la première bataille dans le Pacifique Sud ?
3. Quel événement marque le commencement de la guerre dans le Pacifique ?
4. Quels sont les noms employés actuellement pour les îles Ellice et les îles
Gilbert ? Vous pouvez chercher la solution dans un atlas.
5. Sur cette carte, quelle bataille s’est produite le plus au nord du Pacifique ?
La fin de la Seconde Guerre mondiale
L ib éré : rendu libre
I rradiation : exposition
à la radioactivité
La guerre continuait en Europe, en Afrique et dans le Pacifique, à la fois sur terre et sur
mer, et avec le temps, les alliés exhibèrent leurs forces contre les puissances de l’Axe.
Sur le front européen, on désigne sous le nom de Jour J (le 6 juin 1944), le jour où les
troupes alliées débarquèrent en Normandie (France) après avoir traversé la Manche, et
attaquèrent les Allemands. En août, Paris fut libéré de l’emprise allemande et la force
des puissances de l’Axe s’affaiblit. Le 8 mai 1945, les nazis capitulèrent face aux Alliés.
Sur le front Pacifique, beaucoup de batailles sanglantes eurent lieu entre les Japonais
et les Alliés, comme l’illustre la carte intitulée « The Location of Espiritu Santo in Relation
to Major Battle Areas » (situation de l’île d’Espiritu Santo par rapport aux grandes zones
de bataille). Les victoires décisives à Saipan dans les îles Mariannes et dans le Golfe de
Leyte aux Philippines montrèrent la puissance des forces alliées et l’espoir de victoire
du Japon fut anéanti. Les Américains exigèrent une capitulation japonaise, avertissant
que le refus de reddition aurait des conséquences graves. Le Japon ignora cet avertissement. Le matin du 6 août 1945, un bombardier américain passa au-dessus de la ville
d’Hiroshima, au Japon et laissa tomber une seule bombe atomique. 60 000 personnes
à Hiroshima périrent sur le champ. L’irradiation provoquée par la bombe en tua également beaucoup d’autres. On estime que plus de 200 000 personnes sont décédées à
cause de cette seule bombe. Trois jours plus tard, une autre bombe fut lâchée sur la ville
de Nagasaki, la détruisant et tuant encore des milliers de personnes. Le 2 septembre
1945, les Japonais capitulèrent et la guerre dans le Pacifique se termina officiellement.
Vers la fin de 1944 (avant la fin de la guerre), les unités de l’armée américaine sur
Efate furent démobilisées et la plupart d’entre elles quittèrent Port-Vila pour la NouvelleCalédonie. Dès le mois d’août 1945, Efate ne possédait plus qu’une petite station météorologique utilisée par les militaires. Les forces militaires à Santo ne dépassaient pas les
5 000 hommes.
Dans l’extrait suivant, Lamont Lindstrom (1996 : 38) décrit les derniers mois de l’occupation américaine à Santo.
La Seconde Guerre mondiale aux Nouvelles-Hébrides : 1942 à 1945 85
Le quartier général du
commandement des îles
quitta Efate, aux NouvellesHébrides, car le dernier
contingent américain avait
évacué cette base, en décembre
1944 (Garrison 1983 : 94).
En août et en septembre 1945, Santo devint une monstrueuse foire à la ferraille, des acheteurs venant même de Nouvelle-Calédonie, de Nouvelle-Zélande et d’Australie. « Plus le véhicule était gros, moins cher il était vendu » : un camion de huit tonnes coûtait 25 dollars
américains ; une Jeep en bon état avec cinq pneus neufs et le plein d’essence se vendait
5 000 francs néo-hébridais (MacClancy 2002 : 131). Un planteur acheta un camp entier de
Seabee, bataillon de construction, (1007 Base) et son contenu (Geslin 1956 : 283). Des équipements de terrassement partirent en Australie ; des bulldozers à Tahiti ; des Quonset huts
(baraquements en forme de demi cylindre) et des plaques perforées (« Marston Matting »)
en Nouvelle Zélande ; et, ironiquement, du métal de récupération au Japon (Discombe
1979 : 16–17).
Les Français et les Anglais se tenaient en arrière de ces ventes, malgré les prix cassés, sachant que de toute façon les militaires américains allaient abandonner leur matériel à Santo.
La politique américaine était que la plupart des marchandises militaires ne devaient pas retourner aux États-Unis par crainte de saper l’économie américaine d’après-guerre (Cf. Michener
1951 : 223). Cependant, au lieu de donner les contenus des entrepôts, les militaires enterrèrent
certains équipements invendus et déversèrent au bulldozer tout le reste dans la mer :
Des camps et des ateliers entiers furent vidés de leur contenu que des camions transportaient au bord de l’eau où des grues les soulevaient avant de les relâcher dans la mer. Les
conducteurs de camions finirent par ne plus prendre la peine d’éteindre le contact de
leurs engins ni de les décharger et le moteur des camions tournait encore quand les grues
s’en saisissaient pour les jeter à l’eau. Tout ce qui roulait fut conduit dans l’eau : les bulldozers et les rouleaux compresseurs, les ambulances, les cantines mobiles, les tanks, les
camions, absolument tout (MacClancy 2002 : 131; Cf. Geslin 1956 : 283-4).
86
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Cet endroit fut appelé « Million Dollar Point ». Les Américains revinrent aux
Nouvelles-Hébrides en 1946 pour déterrer et embarquer les corps de plusieurs centaines de soldats morts qui avaient été enterrés à Freshwater (un quartier de Port-Vila)
et à Surunda (au nord de Luganville, Santo) pour les ramener aux Etats-Unis. Certains
d’entre eux étaient décédés aux Nouvelles-Hébrides des suites de leurs blessures au combat, durant la bataille de Guadalcanal aux Salomon. Beaucoup furent inhumés une seconde fois au cimetière de Punchbowl à Hawaï. C’est un cimetière militaire américain
où reposent les corps des victimes de la première attaque de Pearl Harbor en 1941.
Pour aller plus loin
L’expérience néo-hébridaise de la Seconde Guerre mondiale fut indéniablement
différente de celles des autres îles du Pacifique, telles que les îles Salomon ou
les îles Gilbert (maintenant connues sous le nom de Kiribati). Des batailles
furent sanglantes dans d’autres archipels du Pacifique et la présence des troupes
japonaises voire américaines ou australiennes, fit beaucoup de victimes. Prenez
en considération l’extrait suivant tiré du projet de recherche d’un étudiant sur la
Seconde Guerre mondiale dans les îles Salomon :
Les forces de défense du protectorat britannique des îles Salomon se chargèrent
également de tâches difficiles en aidant le débarquement de troupes de combat sur les
champs de bataille de Guadalcanal et de Munda. Derrière la ligne de front, la Solomon
Islander Defence Force transportait en fait les armes, les munitions, la nourriture des
soldats américains. Les soldats de la marine devaient protéger les membres de cette
division bien que beaucoup furent tués. Certains furent même capturés, torturés et laissés
pour mort par l’ennemi. (A Guide to Research Reports and Minor Tasks for Pacific History
Students, Teaching the Pacific Forum)
En quoi l’expérience de cette guerre aux Nouvelles-Hébrides fut-elle différente de
celle d’autres îles du Pacifique ? Comment cet extrait l’illustre-t-il ?
Activité de discussion
Observez la carte ci-dessous. Identifiez les différents secteurs de la carte et les
éléments-clés. Que nous montre la carte ? Les souvenirs de la Seconde Guerre
mondiale dans l’archipel hébridais auraient-ils été plus négatifs s’il y avait eu des
batailles, des combats et des morts ? Pourquoi ?
L’impact de l’occupation américaine
I nfr astructure : équipement
Les anciens ont de bons souvenirs de l’occupation militaire américaine pendant la
guerre. Certains possèdent même des objets, tels que des plats, des pièces de monnaie, des bouteilles de Coca-Cola ou des photographies comme souvenirs de ces années.
D’autres se souviennent toujours des histoires et des chansons. Il est indéniable que l’occupation américaine des Nouvelles-Hébrides a marqué les esprits de tous les habitants
de l’archipel. Mais quels furent les autres impacts de l’occupation américaine ?
L’infrastructure des centres urbains de Luganville et de Port-Vila fut améliorée par
La Seconde Guerre mondiale aux Nouvelles-Hébrides : 1942 à 1945
87
les Américains pendant la guerre. Ils construisirent des ponts, des terrains d’aviation,
des routes et des quais, dont beaucoup sont toujours utilisés aujourd’hui. Réfléchissez
à un exemple d’infrastructure construite par les Américains que vous avez déjà vu ?
L’aéroport de Bauerfield à Port-Vila ou celui de Pekoa à Santo en sont des exemples. La
route circulaire de l’île d’Efate, en est un autre exemple.
Certains noms que nous employons encore sont en relation avec l’occupation américaine. A Port-Vila, les Américains avaient attribués des noms à certains quartiers comme
Nambatu, Nambatri et D-Dock. Connaissez-vous d’autres exemples de noms donnés
pendant la Seconde Guerre mondiale toujours employés aujourd’hui ? Interrogez des
anciens de votre quartier s’ils peuvent vous renseigner sur d’autres exemples.
Avez-vous déjà entendu parler de la liane américaine, également connue sous le
nom de « mile-a-minute » ? C’est une liane plantée par les Américains comme une
sorte de plante de camouflage. Elle servait à cacher des véhicules et d’autres matériels
de la vue des bombardiers japonais. Interrogez les anciens de votre quartier pour savoir s’ils ont entendu parler de la liane américaine. Si elle se développe dans l’île dont
vous êtes originaire, demandez à quelqu’un de vous la montrer. Certains utilisent cette
plante comme coagulant, pour arrêter une hémorragie lorsque quelqu’un s’est blessé.
Est-ce que l’introduction de cette liane américaine a pu avoir des effets néfastes ?
Le matériel laissé par les Américains, bien qu’une grande partie ait été jetée
dans l’océan, favorisa la modernisation de l’économie de plantation. Et même si des
gardes armés entouraient le secteur où une grande partie de l’équipement fut déversée, certains Européens (ainsi que des Indochinois et des Mélanésiens) parvinrent à
récupérer une partie des équipements. De plus, quelques propriétaires de plantations à
Les campagnes militaires dans
le sud-ouest du Pacifique, 19421944 (Costello 1981 : 574).
C o a gu l a n t : anti-hémorragie
88
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Santo avaient reçu le titre de propriété des équipements laissés sur leur terre comme règlement de loyers des terrains utilisés par les Américains.
Dans certains endroits de l’archipel, nous pouvons encore voir des vestiges de la
Seconde Guerre mondiale. Au nord d’Efate, le « bassin américain (ou « le parc américain ») près du village de Tanaliu fut construit par les militaires pendant leur occupation. Il est possible de retrouver des traces historiques en marchant autour de Quoin
Hill. On peut voir des carcasses d’avions dans la brousse de Santo, et à Aore, on trouve
des vieilles structures de stockage construites sur les flancs des collines. Connaissezvous d’autres exemples ?
Qu’en est-il des effets culturels de l’occupation américaine des Nouvelles-Hébrides ?
A l’arrivée des militaires américains, la population des îles fut témoin de richesses matérielles jamais vues auparavant. Elle rencontra également des « hommes blancs » qui
ne la traitaient pas nécessairement de la même manière que les Anglais et les Français.
En effet, les Américains s’opposaient parfois au gouvernement du condominium en faveur des Mélanésiens. Elle vit des soldats noirs américains porter les uniformes militaires officiels et participer aux activités militaires ainsi que des infirmières américaines
travailler à côté des hommes ou encore des artistes américains venir dans les îles faire
des spectacles pour le personnel militaire américain. Elle eut accès aux magasins et
aux films américains. Elle goûta les rations militaires de nourriture et elle apprit l’argot
américain tel que « OK. »
Dans l’extrait suivant, Lindstrom évoque l’impact le plus durable de l’occupation
américaine.
L’impact le plus persistant de l’occupation fut la transformation de l’Amérique en symbole
politique. Dès 1946 et jusqu’à nos jours, plusieurs groupes politiques du Vanuatu ont évoqué
L’Amérique et l’expérience de la guerre pour critiquer et résister aux autorités gouvernementales de l’archipel avant et après l’indépendance nationale. Ces groupes réclamaient des relations spéciales, voire familiales, avec les Etats-Unis et imploraient le retour des Américains
dans l’archipel pour les libérer à la fois de l’autorité ennuyeuse du gouvernement et moderniser économiquement le pays (Lindstrom 1996 : 36).
Que ce soit l’introduction de l’argot, la construction d’hôpitaux et de routes, les débuts
des stringbands, la distribution de médicaments ou la camaraderie partagée entre certains militaires et leurs amis indigènes, l’occupation américaine eut des répercussions
inoubliables aux Nouvelles-Hébrides pour ceux qui ont connu cette époque. Avec la disparition des générations de la Seconde Guerre mondiale, pensez-vous que le souvenir
des Américains en tant que « ol man we oli givhan long yumi long taem blong Wol Wo Tu »
restera aussi fort ?
Questions de compréhension
1. Qu’est-ce que l’argot ?
2. Quel est, selon Lindstrom, l’impact le plus persistant de l’occupation
américaine ? Que signifie « persistant » ?
Pour aller plus loin
1. Observez attentivement les deux photographies ci-dessous. Quelles en sont les
conséquences sur l’environnement aujourd’hui ?
La Seconde Guerre mondiale aux Nouvelles-Hébrides : 1942 à 1945
89
2. Pensez-vous que les Américains avaient conscience des nuisances qu’ils ont
créées pour l’environnement ? Qu’en est-il des insulaires, s’en rendirent-ils
compte ?
3. En vous basant sur ce que nous avons lu, pourquoi les Américains ont-ils jeté
leur matériel de guerre dans l’océan ?
Activité de discussion
Si vous aviez été présent lors de la création de « Million Dollar Point », qu’auriezvous fait ? Quelle aurait été votre réaction ?
Plus en détail – « Tales of the South Pacific »
James Michener a servi dans la marine américaine dans le Pacifique pendant deux
ans lors de la Seconde Guerre mondiale. Michener écrivit un récit fictif des NouvellesHébrides. Cet ouvrage remporta le prix Pulitzer (récompense pour les écrivains) et lança
sa carrière d’écrivain. « Tales of the South Pacific » (1947) devint très populaire aux EtatsUnis après sa publication en 1947 si bien qu’il fut aussi interprété en comédie musicale.
Ces contes donnent une vision romancée du Pacifique pendant les années de guerre.
Ils idéalisent une partie du monde inconnue avant la Seconde Guerre mondiale. Ce
livre décrit les relations entre soldats, infirmières, insulaires, Tonkinois (Indochinois),
planteurs français et la guerre, et devint un best-seller aux Etats-Unis. Le lieutenant
Joe Cable, un des personnages principaux, tombe amoureux d’une jeune Tonkinoise.
L’infirmière Nellie Forbush s’éprend d’un Français appelé Emile de Becque. Dans le
contexte de la Guerre dans les îles tropicales bordées d’une eau bleu turquoise et de
plages de sable blanc, les personnages de Michener captivèrent le public américain.
Le paragraphe suivant est tiré de « Tales of the South Pacific ».
J’espère que je pourrais vous raconter ce qu’est le Pacifique Sud. Ce que c’était réellement.
Un océan sans fin. Des points infinis de corail que nous appelons des îles. Des cocotiers
inclinant la tête avec élégance vers l’océan. Des récifs sur lesquels les vagues se cassent en
embruns et en lagons intérieurs, dont la beauté dépasse toute description. J’espère que je
pourrais vous raconter la jungle suffocante, la pleine lune se levant derrière les volcans et
l’attente. L’attente. L’attente éternelle et répétitive.
À gauche : naufrage dans le Canal
du Segond. À droite : Million
Dollar point, Santo en 2004,
soixante ans après le départ
des militaires américains.
Photo prise par Anna Naupa.
90
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Dans son livre, Michener décrit la mystique Bali ha’i (Ambae), une île qui peut à peine
être vue de la côte d’Espiritu Santo, où la plupart des soldats américains étaient postés.
Selon la légende, les insulaires envoyaient leurs plus belles femmes sur cette île afin
de les maintenir éloignées des militaires américains. C’est l’île où le lieutenant Cable
rencontre Liat, la jeune Tonkinoise dont il tomba amoureux. La comédie musicale
comporte une chanson sur cette île.
Bali Ha’i
Les gens vivent sur une île solitaire
Perdue au milieu d’une mer de brouillard
Les gens d’autres îles
Savent qu’ils aimeraient y être.
Bali Ha’i devrait t’appeler
Une nuit, un jour
Dans ton cœur tu l’entendras appeler
Viens, viens.
Bali Ha’i soupirera
Dans le vent de l’océan
Je suis là, ton île
Viens à moi, viens.
Pour aller plus loin
Pourquoi « Tales of the South Pacific » fut-il si populaire aux Etats-Unis après la
guerre ? Pourquoi les Américains accueillaient-ils aussi bien cette version romancée
de la vie dans le Pacifique pendant les années de guerre ?
Activité de discussion
Pourquoi cette représentation de Bali ha’i était-elle si appréciée chez les
Américains ?
La Seconde Guerre mondiale aux Nouvelles-Hébrides : 1942 à 1945 91
Soldats américains débarquant
sur une île du Pacifique (archives
US Army / Associated Press).
La Seconde Guerre mondiale :
suggestions de recherches à approfondir
Dans ce chapitre, nous avons principalement étudié le front Pacifique de la Seconde
Guerre mondiale et plus spécifiquement, l’occupation américaine des NouvellesHébrides. Cependant, cela représente seulement un petit segment de l’histoire de la
Seconde Guerre mondiale. Si vous avez accès à une bibliothèque ou à tout autre matériel de recherche tel qu’une encyclopédie ou Internet, choisissez un des sujets suivants
de recherche. Préparez une présentation courte pour votre classe. Si vous trouvez des
graphiques, présentez-les à votre classe.
Forces alliées
Puissances de l’Axe
Adolf Hitler / nazis
Pearl Harbor / USS Arizona
Hiroshima / Nagasaki / bombe atomique
Jour J / Normandie
Charles De Gaulle / France libre
Troupes de l’ANZAC
Bataille de la Bulge
Maréchal Pétain / Collaboration
Conquête de la Mandchourie
Winston Churchill
Bataille de France
Bombardement de Dresde
Bataille de Berlin
Bataille de Stalingrad
Guerre totale
Empereur Hirohito
Bataan
Iwo Jima
Dwight Eisenhower
Benito Mussolini / fascisme
Hideki Tojo
Dachau/Auschwitz/Holocauste
Blitzkrieg / Bataille de l’Atlantique
Guadalcanal
Piste de Kokoda
Joseph Staline / Union Soviétique
92
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
93
chapitre quatre
Croissance de Port-Vila et de
Luganville de la fin du 19ème siècle
aux années 1970
Introduction
Dans le chapitre « Planteurs et Plantations » du volume 2, nous avons étudié la concentration des plantations sur les îles d’Efate et de Santo. Afin de vendre le coprah aux bateaux qui passaient, les planteurs trouvaient avantageux de se situer près d’un port en
eau profonde. En conséquence, le port de Port-Vila et celui du Canal du Segond devinrent les principaux ports de commerce de l’archipel. Ces premières installations européennes étaient très simples, avec un minimum d’infrastructures et de services. Nous
allons voir comment Port-Vila et Luganville se sont agrandies depuis les premiers jours
de l’installation européenne jusqu’à leur développement urbain dans les années 1970.
Port Vila en 1942. Tiré de Vivre
en ville, programme de sciences
fondamentales de l’année 9.
94
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Port-Vila
Pendant les premiers temps de l’installation européenne dans l’archipel, Port-Vila devint
rapidement le plus grand centre de colonisation. Cet emplacement était attirant pour diverses raisons :
• Il possédait un grand port naturel en eau profonde près de la terre ferme.
• Il permettait de s’abriter efficacement contre les alizés du sud-est.
• Il y avait une source d’eau fraîche abondante.
• La plaine de Mele, proche du port, était fertile et convenait pour le développement
des plantations.
• Il était plus facile d’acheter ou d’acquérir de la terre à Port-Vila qu’au nord d’Efate,
car les indigènes y étaient plus accueillants.
Les colons français d’Efate s’établirent surtout dans le sud-ouest, de la baie de Mele au port
de Fila (nom donné autrefois à Port-Vila). Comme nous l’avons appris dans « Planteurs
et Plantations », un planteur français nommé Ferdinand Chevillard forma avec les planteurs de cette région, la municipalité de Franceville en 1880. Franceville reçut le soutien des 37 colons vivant alors à Efate, mais fut condamné par la France et l’Angleterre,
et Franceville s’éteignit brusquement (Scarr n.d : 8). Pourquoi les gouvernements français et britannique désapprouvaient-ils la formation de la municipalité de Franceville ?
Franceville fut créée avant la présence officielle française et britannique dans l’archipel, et
la municipalité récemment formée aurait pu établir ses propres règles et règlements distincts. Cependant, la création du conseil de Franceville mit en évidence le souhait des colons de posséder un système d’administration formel. Quand la convention de 1906 fut
signée, Port-Vila fut évidemment choisie comme centre du condominium.
Avec la présence des deux Commissaires Résidents ainsi que de celle des compagnies de commerce, Port-Vila devint « la capitale du condominium » (Bonnemaison
1994 : 421). La ville se développa sur le front de mer, où Burns, Philp et d’autres compagnies avaient installé leurs bureaux et leurs docks. Comme Margaret Rodman l’affirme
dans Houses Far From Home, « Port-Vila était un port avant de devenir une ville… »
(Rodman 2001 : 35). En effet, au début, Port-Vila ne ressemblait pas du tout à une agglomération urbaine. En 1910, l’anthropologue Félix Speiser livra une description de
Port-Vila :
Port-Vila n’est qu’un centre administratif et on ne trouve que quelques magasins et des résidences pour les fonctionnaires du condominium. Il y a peu de vie et seule l’arrivée des
bateaux apporte un peu d’animation. Un étranger arrivant à Port-Vila s’ennuierait et se sentirait seul, surtout que « la maison du sang » (seul hôtel à Port-Vila à l’époque) offrait peu de
confort et que la société n’était pas de premier choix (Speiser 1913 : 323).
De passage à Port-Vila en 1913, le planteur R.J. Fletcher écrit :
Port-Vila est une ville typique de Mélanésie — plages, magasins et bungalows…
Port-Vila est belle — vraiment belle… Voyez-vous, la brousse fut défrichée en grande partie autour de la ville — ce qui fait une énorme différence. Rien ne fut laissé sur place à part
des cocotiers et des banians. Ensuite, tout fut couvert par l’herbe. De plus, la baie est une
vraie perle. Il n’y a plus de problèmes de santé majeurs — la fièvre a été pour ainsi dire éradiquée grâce au défrichement de la brousse. D’ailleurs, il y a deux docteurs et un hôpital, de la
viande fraîche et de la glace, somme toute je me sens heureux (Fletcher 1925 : 24,71).
Croissance de Port-Vila et de Luganville de la fin des années 1800 aux années 1970
95
Heure du thé, Shepherd’s
Hill. Edward Jacomb (assis à
droite) en compagnie de trois
hommes. Collection de William
Stober avec son autorisation
(Rodman 2001 : 55).
Un an plus tard, en 1914, Edward Jacomb (1914 : 22), un avocat travaillant à Port-Vila,
écrivit ceci :
Port-Vila est, en terme européen, la capitale et la seule ville de l’archipel. De plus, on s’aperçoit que dans cette ville, la plupart des petits commerces tels que les boulangeries, les boucheries, les forges, les glaciers, les hôtels, etc. sont soit entre les mains des Français soit
fournissent des emplois pour les ressortissants français. De même, les bâtiments du gouvernement ont été érigés par des ouvriers de Nouméa dont la plupart des menuisiers, des maçons et des plombiers sont Français.
Pour aller plus loin
1. Comparez ces trois différentes descriptions de Port-Vila datant de 1910 à 1914.
Le premier récit fut écrit par un anthropologue, le deuxième par un planteur et le
troisième par un résident de Port-Vila. Pourquoi leurs points de vue sur Port-Vila
sont-ils si différents ? Est-il possible qu’entre 1910 et 1914, Port-Vila ait pu autant
changer ?
2. Le récit de Speiser sur Port-Vila nous donne une image d’une ville misérable
(sale) dont les résidents n’étaient pas fréquentables. Comparez cette description
avec celle de Jacomb, qui résida à Port-Vila.
96
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
zone construite
zone construite
route principale
route principale
Vivre à Port-Vila
Croissance de Port-Vila
entre 1913 et 1956 (Pierce
2004, cartes inédites).
G h ettoïsation   : mise
à l’écart
Quel genre de vie menait-on à Port-Vila dans les premières décennies du 20ème siècle ?
L’extrait suivant est tiré de « Port Vila : transit station or final stop ? » écrit par Gerald
Haberkorn (1989 : 7-8). Il nous parle des réalités vécues par les différents groupes vivant dans cette zone urbaine.
Vers 1930, avec 1000 habitants, Port-Vila était plus grande et plus paisible. Les Tonkinois
nouvellement arrivés vivaient à l’extrémité de la ville dans des baraquements « ressemblant à des étables sans aucun équipement sanitaire ». Quelques rares Chinois et Japonais
(jamais plus de 200), qui étaient arrivés comme stewards sur des bateaux de passage, ou
comme comptables pour les plantations d’Efate, se rassemblèrent en petites communautés. (MacClancy 2002 : 111). Alors que les Chinois et les Japonais étaient arrivés à l’origine de
leur plein gré, l’administration française avait fait venir les Indochinois depuis le début des
années 1920. Pour quelle raison ? Apparemment, la main-d’œuvre indigène était réticente
à s’engager dans des contrats à long terme. Ainsi, vers 1925, ils [les Tonkinois] étaient déjà
5000 dans l’archipel (MacClancy 2002 : 106). L’habitation urbaine était fortement soumise
à la ségrégation avec chaque groupe ethnique vivant dans des niches et enclaves spécifiques
(Bennett 1957 ; MacClancy 2002). À part cette ghettoïsation, le séjour des Néo-Hébridais
en ville pendant ces années était strictement régulé par l’administration du condominium.
Les Mélanésiens sans emploi qui ne venaient pas d’Efate n’étaient pas autorisés à rester
plus de 15 jours à Port-Vila. S’ils dépassaient cette limite, ils couraient le risque d’être ren-
Croissance de Port-Vila et de Luganville de la fin des années 1800 aux années 1970
97
voyés chez eux. Les Mélanésiens n’avaient pas le droit de rester en ville après neuf heures du
soir sauf s’ils souhaitaient faire un rapport au délégué de district le lendemain (MacClancy
2002 : 113).
Cependant, les gens des îles et les autres travailleurs n’étaient pas les seuls à faire
face à des difficultés pendant leur séjour dans la « capitale du condominium ». En 1945,
E. Aubert de la Rüe écrivit « Port-Vila et les singularités du condominium » dans « Les
Nouvelles-Hébrides : îles de cendre et de corail ». Il décrit Port-Vila comme une ville mal
équipée en infrastructures.
J’aimerais dire que le semblant de ville qu’est le chef-lieu des Hébrides est propre et bien
tenu, mais ce privilège est réservé uniquement au quartier britannique, le moins important.
L’herbe envahit les routes défoncées et caillouteuses et le service de la voirie paraît être laissé
aux soins des tourlourous, ces gros crabes terrestres, qui envahissent les rues à la tombée de
la nuit, à la recherche de détritus de toutes sortes. Il y a quelques années, Vila ignorait l’éclairage électrique et l’eau courante. Chacun s’approvisionnait, comme aujourd’hui encore sans
doute, en disposant aux coins de sa maison de gros réservoirs en tôle où s’accumule l’eau de
pluie recueillie par le toit et où pullulent les larves de moustique…
Le trafic et l’animation de Vila n’ont rien de bien assourdissant et l’on reste parfois des
semaines entières sans voir un navire en rade, en dehors des allées et venues de quelques
cotres de recruteurs (de la Rüe 1945 : 28).
Avant l’introduction des automobiles, les gens à Port-Vila voyageaient à cheval. En 1925,
un arrêté conjoint demandait qu’on cessât enfin de dresser les chevaux dans les rues
de la ville et d’y circuler à grand galop. (Bonnemaison 1994 : 421). Essayez d’imaginer
comment étaient les rues de Port-Vila. Au lieu de parkings, il devait y avoir partout des
poteaux pour attacher les chevaux. À votre avis, quelles étaient les autres différences visuelles dans les rues ?
Le chemin de fer, vers
1960. De petits trains
transportaient les produits et
les approvisionnements entre
les entrepôts et les plantations
(Archives nationales, VKS).
98
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Boulevard Higginson, PortVila, 1950 (Sanchez 1979 : 19).
Connu sous le nom de Kumul
Highway dans les années 1980
et au début des années 1990.
Pour aller plus loin
En vous basant sur la description de Port-Vila d’E. Aubert de la Rüe, pensez-vous
qu’il était agréable de vivre à Port-Vila ? Qu’est-ce que De la Rüe n’appréciait pas à
Port-Vila ?
Expression écrite
1. Imaginez que vous êtes originaire d’une autre île qu’Efate et que vous vivez
à Port-Vila au début des années 1900. Vous travaillez pour le Commissaire
Résident français. Écrivez une lettre à votre mère dans votre île natale et
racontez-lui comment est votre vie en ville. N’oubliez pas de dire si vous aimez
vivre en ville, ce que vous faites de votre temps libre, de mentionner les aspects
positifs et négatifs de la ville et aussi de dire si vous avez l’intention de retourner
dans votre île.
2. Vivez-vous à Port-Vila, ou avez-vous déjà visité cette ville ? Si vous vivez à PortVila, ou si vous l’avez déjà visitée, écrivez votre propre description de la ville.
Quels en sont les avantages ? Quels en sont les inconvénients ? Si vous ne
connaissez pas Port-Vila, interrogez quelqu’un qui y a déjà vécu. Demandez-lui
ce qu’il y aime et ce qu’il n’y aime pas.
Plus en détail – L’hôtel Rossi
En 1994, Roslyn Arthur, une élève de douzième année en histoire au Collège de
Malapoa, relata l’histoire de l’hôtel Rossi. L’extrait suivant provient de son projet de
recherche, The history of Hotel Rossi and its place in the development of the hospitality
industry in Vanuatu et est basé sur des interviews menés avec Reece Discombe, résident
de longue date à Port-Vila, ainsi qu’avec les membres de la famille Rossi.
Croissance de Port-Vila et de Luganville de la fin des années 1800 aux années 1970
99
L’hôtel Rossi fut bâti au début du siècle, probablement en 1902 par un Australien du nom
de Lockhart Bell. Il construisit le bâtiment avec l’idée d’ouvrir une imprimerie sur la côte.
Lockhart Bell imprima un journal intitulé New Hebrides Association Gazette (c’était en fait le
premier journal anglophone à voir le jour). Il vendit l’hôtel, vraisemblablement aux environs
de 1910, à un Australien nommé M. McLeod. Ensuite, en 1915, Monsieur Rolland acheta
l’hôtel et le donna à sa fille aînée, Madame Janet Reid. Celle-ci dirigea l’Hôtel Reid jusqu’en
1941, date à laquelle elle dut partir en Australie. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le
gouvernement britannique demandait, en effet, pour des raisons de sécurité, à toutes les
femmes (européennes) de se déplacer soit vers l’Australie soit vers la Nouvelle-Zélande.
Auparavant, M. Rolland s’occupait de l’Hôtel Modern pour Monsieur Frouin. Au début du
siècle, cet hôtel était mieux connu sous le nom de « la maison du sang », à cause des affaires
sanglantes qui avaient bâti sa réputation.
Mais M. Frouin vendit l’hôtel au condominium en 1915. Les chambres d’hôtel furent
aménagées en bureaux. Le gouvernement y mit la Trésorerie, les Travaux publics et
l’Administration. Aujourd’hui, ce même bâtiment fait fonction de commissariat de police.
Quand l’hôtel fut vendu au condominium, M. Rolland alla sur la côte et acheta l’hôtel qui
se trouvait près de la mer et qui plus tard deviendra l’Hôtel Rossi.
Roslyn Arthur fait ensuite mention de la taille du bâtiment, du nombre des chambres et
des différents gérants de l’hôtel.
Regardons maintenant d’autres sources d’information qui évoquent l’Hôtel Rossi.
Les faits suivants concordent avec l’information de Roslyn Arthur, et donnent plus de
détails sur la vie sociale de l’hôtel.
La maison du sang
On connaissait mieux le premier hôtel sous le nom de « maison du sang » à cause des
fêtes bien arrosées, des jeux de cartes et de l’atmosphère générale de festivité et de
débauche qui régnait. Il était situé sur le site de l’actuel commissariat de Police. Il restait
ouvert tard dans la nuit, surtout quand les bateaux passaient.
Le petit monde des recruteurs, des planteurs de Vila ou de passage s’y retrouvaient.
On y jouait aux cartes et on y buvait sec, de préférence du champagne les grands jours
et le reste du temps de l’absinthe et du gin… (Bonnemaison 1994 : 421). En 1912, R.J.
Fletcher décrivit son expérience à l’hôtel :
Je dormis deux nuits à l’hôtel à Port-Vila et cela me suffit. Ma chambre était un appentis
où j’eus pour compagnie la plus affreuse collection de bestioles rampantes. L’hôtel abritait
un effroyable ramassis d’aventuriers du Pacifique, ex-forçats et le reste, occupés à boire et
à se battre jour et nuit. J’ai couché avec mon revolver d’ordonnance au poing. De plus, je
ne possédais aucun objet de valeur, ce qui aurait pu intéresser les voleurs... (Fletcher dans
Bonnemaison 1994 : 421).
Pendant la Guerre, les affaires de l’Hôtel Reid ne furent pas affectées. L’Hôtel devait son
prestige à son emplacement sur le front de mer, sa nourriture française et ses serveurs
asiatiques. En conséquence, il devint aussi le club de détente le plus populaire de PortVila (Douglas 1996 : 121). Un soldat de la marine américaine décrivit l’hôtel comme suit :
Ce tout petit club construit sur la mer, avec ses serveurs chinois, ses tables couvertes de
tapis, ses billards et ses vérandas à volets, aurait pu être créé pour Kipling ou Maugham.
—‘Palms and Planes in the New Hebrides’, le National Geographic (1942 : 229).
L’hôtel Reids et le restaurant, à
Port-Vila dans les années 1940.
Collection Reece Discombe
(Vanuatu 1980 : 137).
100
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
L’extrait suivant de Ngaire Douglas dans « They Came for Savages » (1996) nous fournit
un aperçu sur l’histoire de l’hôtel.
Entre la fin de la guerre et 1951, il fut dirigé par plusieurs résidents, dont certains possédaient
des liens de parenté avec Reid. Il servait souvent de quartier d’affaires pour les représentants
de commerce et certains professionnels tels que des opticiens et des docteurs spécialisés
de Nouvelle-Zélande ou d’Australie. Ceux-ci installaient leurs marchandises et cabinets dans
une petite pièce ronde proche de la mer. Les chambres se trouvaient dans un bâtiment en
bois connu sous le nom de Australia House, situé le plus près possible de la rue principale
de Port-Vila. Un gérant, Ziggy Rolland, avait depuis la guerre une agence Peugeot et dans
l’une des chambres qui se trouvaient près de la rue, des pièces de rechange et des vélos
étaient en vente. L’auteur de récits de voyage, Colin Simpson, y demeura en 1950 et le décrivit
de la sorte : l’Hotel Rolland, un logement en tôle où le gérant s’excuse des aménagements
ajoutant qu’il ne recevait pas beaucoup de clients (Douglas 1996 : 122).
Roslyn Arthur complète ces informations sur les familles Rolland et Reid pendant la
période de la Seconde Guerre mondiale à la vente de l’Hôtel en 1951 à la famille Rossi.
Pendant le séjour de Mme Reid en Australie, c’est son cousin qui géra l’hôtel… Mme Reid
n’avait que deux enfants, une fille et un garçon. Son fils Ernie Reid prit la direction de l’hôtel
après son oncle, Monsieur Cecil Rolland, et le géra pendant quelques temps. Puis quand sa
fille, Aggie Reid, se maria à Antoine Rossi, l’hôtel lui fut donné.
L’hôtel devint l’Hôtel Rossi quand Antoine Rossi en prit la direction en 1951. Antoine
était le descendant d’un Corse, Mathieu Rossi, qui arriva dans les îles en 1880 pour
créer une plantation à Ambrym avec ses deux frères. Antoine se maria avec Agnès
Reid et transforma l’hôtel. Les anciens bâtiments furent démolis et remplacés par
deux édifices principaux, le bâtiment contenant les chambres et le bâtiment avec le bar
central et la salle à manger. Aggie Rossi était célèbre pour sa cuisine ainsi l’hôtel devint
populaire dans tout le Pacifique. Au début des années 1970, les Rossi vendirent l’hôtel à
la compagnie australienne Cambridge Credit ltd. L’hôtel garda son nom, selon une des
conditions de la vente. Pourquoi la nouvelle compagnie voulait-elle que l’hôtel garde le
nom de Rossi ? Qu’en pensez-vous ? La compagnie avait l’intention de construire un
immeuble de 14 étages avec 130 chambres sur le site (Douglas 1996 : 241). Ce qui ne se
produisit jamais. En 1994, les 20 chambres d’origine furent vendues pour en faire une
galerie de magasins. Aujourd’hui l’Hôtel Rossi n’est plus qu’un simple restaurant et a
changé de nom.
Questions de compréhension
1. Dans un dictionnaire, cherchez les définitions de :
•Fête arrosée • débauche • festivité
Comment se figure-t-on l’hôtel Rossi en lisant cette description ?
2. Quel rôle l’Hôtel Rossi a-t-il joué dans la vie sociale des habitants de Port-Vila
pendant les années du condominium ?
Pour aller plus loin
1. L’Hôtel Rossi fut transformé de façon importante au fur et à mesure des années,
Croissance de Port-Vila et de Luganville de la fin des années 1800 aux années 1970
101
selon les événements de l’histoire du pays. Quel fut le rôle de la Seconde Guerre
mondiale dans sa transformation ?
2. Dans l’extrait de Ngaire Douglas, on peut lire que d’après un auteur de récits
de voyage, l’hôtel s’appelait l’hôtel Rolland en 1951, mais en consultant d’autres
ressources on apprend qu’il était connu sous le nom de l’Hôtel Reid. Étant donné
les liens de parenté des différentes directions, pourquoi les noms Hôtel Rolland
et Hôtel Reid auraient-ils pu être utilisés indifféremment en ce temps-là ?
Enquête
Comme projet de recherche, enquêtez sur l’histoire d’un bâtiment particulier de
votre région. Cela peut-être un hôtel, une église, une école, un nakamal, un bureau,
un restaurant, un magasin, etc. Quand fut-il construit ? Quelle fut son utilisation
au cours du temps ? Qui en étaient les propriétaires ? Ajoutez à votre projet une
chronologie sur laquelle vous placerez les événements importants de l’histoire de
ce bâtiment. Quel impact le bâtiment a-t-il eu sur la région (social, économique, sur
l’environnement) ? Quel rôle le bâtiment a-t-il joué dans la vie de la communauté ?
Pourquoi ce bâtiment est-il important pour cette région ? Doit-il être conservé ?
Devrait-on le rajouter dans les archives des sites historiques et culturels du Centre
Culturel du Vanuatu (VKS)?
Développement de Port-Vila pendant la guerre
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Port-Vila et Santo se développèrent en vraies
zones urbaines. Négligées précédemment par les deux administrations, leurs infrastructures furent rapidement développées par les militaires américains (Bonnemaison
1994 : 422). Comme il est précisé dans le chapitre sur « La Seconde Guerre mondiale
aux Nouvelles-Hébrides », de nombreuses troupes américaines débarquèrent à Efate en
1942. Bien que l’influence militaire américaine fût plutôt concentrée à Santo, elle se fit
quand même ressentir à Port-Vila.
L’accroissement moderne de Port-Vila débuta pendant la Seconde Guerre mondiale, quand
de nombreuses troupes américaines arrivèrent à Port-Vila au début de 1942 et y restèrent
quelques années. Port-Havannah était la base principale des Américains jusqu’à ce que ceuxci se rendent à Santo. Ainsi, d’importants aménagements furent construits sur le rivage de
Port-Vila. Aucun grand quai ne fut construit, comme ce fut le cas à Santo, mais des quais
de déchargement et des entrepôts furent installés le long du canal profond qui se trouvait
derrière l’îlot Iririki. Des camps et des dépôts de stockage furent aussi établis sur le plateau
au sud de la ville dans des zones qui, aujourd’hui, portent toujours les noms militaires de
Nambatu et Nambatri. La plupart des aménagements au bord de l’eau furent conservés après
1945 et les activités portuaires furent déplacées en face de Iririki (Brookfield et Glick 1969 : v).
Les Américains occupent les bâtiments du condominium
L’administration du condominium avait traversé une longue période de crise du
bâtiment et des travaux publics dûe à l’insuffisance de matériaux et au manque de
constructeurs. En 1941, pour offrir davantage de bâtiments au personnel venant de
102
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
l’étranger, l’administration britannique envisagea de nouvelles constructions. Elle planifia
une résidence près de l’enclos britannique (British Paddock aujourd’hui appelé Parc de
l’Indépendance). Les matériaux mettaient des mois à arriver aux Nouvelles-Hébrides.
Quand la guerre fut déclenchée dans le Pacifique, avec le bombardement de Pearl
Harbor en décembre 1941, les délais des compagnies maritimes se prolongèrent encore.
À leur arrivée en 1942, les Américains prirent en charge la construction de la nouvelle
résidence. Lorsqu’elle fut achevée, elle fut nommée « Maison Blanche » tout comme
la résidence officielle du Président des États-Unis. Dans l’extrait suivant tiré de Houses
Far From Home (2001), Margaret Rodman décrit la répartition des bâtiments du
condominium à cette époque.
La Maison Blanche et l’église presbytérienne en face du British Paddock servirent
d’hôpitaux temporaires pour épauler l’hôpital presbytérien d’Iririki, l’hôpital français en
ville et un hôpital temporaire dans le bâtiment du Tribunal mixte jusqu’à l’achèvement
de l’hôpital militaire à Bellevue, une plantation à l’est de Port-Vila. La construction
d’un terrain d’aviation à surface corallienne en dessous de Bellevue ne prit qu’une
semaine. Une fois que l’hôpital militaire fut ouvert en septembre 1942, les avions
amenaient les soldats blessés lors des violents combats dans les îles de Salomon,
pratiquement au seuil du nouvel aménagement médical (Rodman 2001 : 109).
La « Maison Blanche » ne fut pas le seul bâtiment occupé, pendant la guerre, par les
Américains.
Les Américains qui avaient réquisitionné tous les bâtiments, y compris la Maison Blanche
étaient réticents à l’idée d’en abandonner un seul. Dès la fin de 1942, ils avaient occupé
tout l’espace utilisable de Port-Vila, qu’il soit français, britannique, du condominium ou
missionnaire. Il y avait des tentes au British Paddock et les soldats de la marine campaient
aussi sur Iririki, ce n’était cependant pas suffisant. La demande de terrain de la part des
États-Unis était apparemment insatiable, ils en voulaient encore plus (Rodman 2001 : 112).
Vue de Port-Vila en 1950
(Sanchez 1979 : 30).
Croissance de Port-Vila et de Luganville de la fin des années 1800 aux années 1970
103
Pour aller plus loin
1. Pourquoi les gouvernements français et britannique coopérèrent-ils pendant
la guerre avec les militaires américains ? Pourquoi les Américains pensaientils qu’ils avaient le droit d’occuper les bâtiments du gouvernement du
condominium pendant la guerre ?
2. Observez la photo de la page précédente de Port-Vila en 1950. Burns, Philp et
Ballande possèdent des entrepôts au bord de l’eau. Les maisons au premier
plan se trouvent à l’emplacement du « General Store » aujourd’hui. Qu’est-ce
qui est perceptiblement différent entre le port de Port-Vila de 1950 et celui
d’aujourd’hui ?
Littoral de Port-Vila en 1962,
avant la construction du front
de mer (Sanchez 1979 : 34). Les
habitants de Port-Vila en train
de célébrer la fête du 14 juillet
(La fête nationale française).
Après la guerre
Après le départ des Américains des Nouvelles-Hébrides, Port-Vila devint plus tranquille
qu’elle ne l’avait été depuis quelques années. Les responsables du condominium français et britannique purent récupérer les bâtiments du gouvernement et la vie continua
dans la petite ville portuaire et endormie de Port-Vila.
En 1951, un grand cyclone balaya l’archipel. Port-Vila fut rudement touché. Comme
la plupart des constructions étaient en bois et en fer, de nombreux bâtiments en ville
furent détruits. Par la suite, les édifices furent construits principalement en béton. La
construction devint l’industrie principale de Port-Vila et des entreprises s’installèrent à
la périphérie de la ville. La construction d’une partie du grand quai près d’Ifira (maintenant connu sous le nom de Star Wharf) débuta en 1963, mais les travaux ne commencèrent qu’en 1969. La plupart des nouvelles constructions dans la ville ne furent
pas planifiées, et sans plan d’aménagement urbain, les structures anciennes se mélangeaient aux nouvelles.
104
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Dès les années 1960 et 1970, de plus en plus de Mélanésiens se déplacèrent vers
Port-Vila afin de trouver un emploi. Ce flux migratoire engendra un nouvel essor du
secteur de la construction à Port-Vila dans les années 1970. L’adoption du statut de paradis fiscal en 1971 encouragea l’implantation soudaine de banques, d’entreprises de
constructions en ville. La plage où se trouve maintenant le Front de Mer fut transformée en terrain en 1974. L’hôpital central de Port-Vila fut construit en 1976 quand on
déplaça l’hôpital britannique de l’île d’Iririki. L’essor des années 1970, l’expansion des
zones urbaines et la transformation de Port-Vila (une ville européenne) en ville mélanésienne seront relatés en détail dans les chapitres « En route vers l’Indépendance » et
« La jeune Nation ».
Il est vrai que de nombreux changements se sont produits à Port-Vila pendant les années de guerre, mais la transformation la plus évidente se produisit à Santo. Nous allons maintenant voyager vers le nord et découvrir l’histoire de Luganville.
Luganville
Le canal entre Santo et Malo, connu sous le nom de Canal du Segond, était le principal port pour les planteurs de cette région. C’était essentiellement un centre de service pour les plantations de coprah et les villages le long de la côte sud et de la côte
est de Santo. Ce port était situé sur une terre marécageuse. On lui donna le nom de
Luganville, nom du capitaine d’un des premiers bateaux missionnaires à venir sur l’île
dans les années 1880.
En 1910, Felix Speiser estima qu’il y avait à peu près 150 Français vivant sur ses rivages. Les indigènes vivant près des plantations françaises furent pourtant en majorité
décimés (Speiser 1913 : 35-7). Il n’y avait aucun bâtiment à l’est de la rivière Sarakata,
sauf un magasin appartenant à un Français. La vie autour du Canal de Segond s’animait
quand le bateau à vapeur, le Pacific, jetait l’ancre apportant « un goût de civilisation »
(Speiser 1913 : 44). Les planteurs y chargeaient leurs marchandises, et des marchandises occidentales étaient achetées et vendues (couteaux, cartouches, poudre à canon,
tabac, calicot, perles, etc.). Les passagers des autres îles à destination de Port-Vila ou
de Sydney avaient l’habitude de fréquenter les planteurs de Santo. Les fêtes se poursuivaient souvent toute la nuit jusqu’à la fermeture du bar du bateau.
Dans l’extrait ci-dessous de Peter Stone dans The Lady and the President (1997), nous
apprenons comment était la vie avant l’arrivée des militaires américains à Santo du
point de vue de Tom Harris, un planteur de longue date et résident de Santo.
Harris, un Néo-zélandais calme et réservé, était à la fois planteur et agent de l’entreprise australienne Burns-Philp. On lui demanda de décrire Santo avant l’occupation des militaires
et la guerre. M. Harris répondit que tous les déplacements se faisaient par bateau. Il n’y
avait qu’une route digne de ce nom dans toute l’île — elle allait de la Délégation française
jusqu’à la rivière de Sarakata. Et cette route fut construite à peu près un an avant l’arrivée
des troupes américaines. Pour rendre visite à un voisin qui se trouvait à 400 mètres le long
de la plage, on se déplaçait en bateau. En ce temps-là, il n’y avait pas d’éclairage électrique
sur l’île. Les planteurs ne possédèrent leur propre groupe électrogène qu’un peu avant l’arrivée de l’armée. Le transport vers l’intérieur et vers les plantations se faisait grâce aux chars
à bœufs… De plus, rendre visite à un voisin était assez délicat. Avant 1927, les planteurs ne
voulaient pas tomber malades (Stone 1997 : 52).
Croissance de Port-Vila et de Luganville de la fin des années 1800 aux années 1970
105
Le s
in frastru ctu r es de Sant o
Beaucoup de baraquements préfabriqués (les
« Quonset huts » et les « Nissen huts »), faits de tôles
ondulées en acier et en fer existent toujours sur l’île. On les
reconnaît facilement à leur forme en demi-lune recouvrant une
ossature en acier. Les grands baraquements (Quonset) pouvaient
mesurer jusqu’à 30 m de long et 13 m de large, beaucoup possédaient
un sol en ciment. On les utilisait comme entrepôts et garages. Les plus
petits étaient connus sous le nom de « Nissen Hut » (13 m x 5 m de large).
On les utilisait comme bureaux et dortoirs. Ils reposaient sur des pilotis en bois
(surtout de cocotier), possédaient un plancher ainsi qu’un système d’isolation.
De nombreux baraquements furent démantelés après la guerre et envoyés sur
d’autres îles et même en Nouvelle-Zélande (Stone 1997 : 58).
La plus grande partie de la
base navale américaine près du
« Pier Four » était constituée
de « Quonset Hut » (quatrième
quai) (Stone 1997 : 53).
Questions de compréhension
1. D’où vient le nom de Luganville ?
2. Dans un dictionnaire, cherchez la définition de « décimé ». Dans le contexte de
l’époque, qu’est-il arrivé aux indigènes vivant dans la zone appelée aujourd’hui
Luganville ?
Pour aller plus loin
Effectuez la comparaison entre Luganville et Port-Vila pendant ces années ?
Pourquoi ces deux villes étaient-elles différentes ?
106
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Les années de guerre
Pendant la Seconde Guerre mondiale, la vie à Santo changea radicalement. C’était la
fin des jours paisibles à attendre les bateaux à vapeur pour de petites distractions. En
quelques jours, la petite communauté de Santo devint le quartier général de milliers de
militaires américains. Les extraits suivants tirés du livre « The Lady and The President »
(1997) décrivent Santo durant la guerre.
L’impact sur l’environnement de l’île et sur les indigènes fut énorme. Avant l’arrivée des
Américains, les routes n’existaient pas vraiment. La plupart des déplacements se faisaient
en bateau ou à cheval. Les bateaux américains accostèrent à la lisière de la jungle. En deux
mois, une base florissante s’établit à l’est de la rivière Sarakata, sur ce qui était auparavant
un marécage vaseux. Très vite, la population de Santo s’accrut de 40 000 soldats en plus des
15 000 habitants déjà sur place.
Santo pouvait se vanter d’avoir plus de services pendant la guerre que la plupart des villes
américaines. Le réseau téléphonique comprenait 7 réseaux et 570 différents tableaux de distribution. Santo pouvait aussi se réjouir d’avoir un réseau de transmission téléscripteur à enclenchement, une station radio, des kilomètres de routes en bon état, 43 cinémas, un grand
magasin, des magasins industriels de toute sorte, un laboratoire optique, quatre grands hôpitaux, une énorme blanchisserie à vapeur et pour combler le tout, un vrai temple maçonnique. Une salle à manger pouvait tenir et nourrir 1 000 hommes en une séance.
Avec des milliers de soldats n’ayant nulle part où aller et de l’argent à dépenser, il était
naturel qu’ils aient le désir de s’aventurer et d’essayer autre chose que la cuisine du campement. En un court laps de temps, de nombreux restaurants se développèrent à Santo et le
bifteck devint le plat le plus populaire. Cela changeait de la routine des plats de la cantine
militaire. Charles Grazziani, qui possédait une propriété sur la plage de Champagne Beach
au nord de l’île, ouvrit un restaurant qui servait des biftecks. Il s’en sortait très bien… Des
blanchisseries apparurent quasiment du jour au lendemain et les Indochinois tirèrent vite
profit de ce commerce lucratif. Dès 1944, il y avait plus de 40 000 soldats en garnison permanente en plus des allées et venues des troupes en transit. Il dut y avoir en tout 500 000
hommes de passage à Santo tout au long de la guerre (Stone 1997 : 63).
Questions de compréhension
1. Comment le personnel militaire américain a-t-il contribué au développement de
Santo ?
2. Comment la population de Santo a-t-elle su tirer avantage de la présence de
milliers de militaires dans l’île ?
3. Combien de militaires américains mirent probablement les pieds sur Santo au
moment de la Seconde Guerre mondiale ?
Santo après la guerre
Quand les Américains quittèrent Santo, les bâtiments qu’ils avaient construits ne servirent plus à rien. Malgré cela, Santo continua d’être le centre commercial des îles du
nord. Les plantations au nord s’élargirent, surtout avec les Indochinois qui venaient y
Croissance de Port-Vila et de Luganville de la fin des années 1800 aux années 1970
107
travailler sous contrat. De même, les commerçants chinois ouvrirent leur commerce.
Dick Hutchinson était officier dans l’administration du condominium de 1956 à
1972. Il était le Délégué britannique du condominium pour le district central I et le district du nord et était basé surtout à Santo. Dans l’extrait suivant, il décrit quelques personnages intéressants et originaux de Luganville.
Il y avait une assez large communauté de Tahitiens à Santo. Le leader de ce groupe était Mao,
dont le bar et son groupe musical étaient renommés dans les années 1960. La plupart des
Tahitiens étaient protestants, mais n’avaient pas de pasteur… Après un certain temps, un ecclésiastique arriva enfin pour les servir…
Georges Dennis était le directeur du grand magasin français à Santo, la Compagnie
Française des Nouvelles-Hébrides (CFNH). À son arrivée, dans les années 1930, c’était encore un jeune homme. Quand les Américains débarquèrent en 1942, Georges se chargeait
de l’approvisionnement en alcool pour la CFNH. Les Américains voulaient de l’alcool, mais
avaient beaucoup d’essence. George voulait de l’essence, mais avait beaucoup de whisky. Un
jour, il demanda à un Américain s’il était possible de conclure un marché — une caisse
de whisky contre un fût de 44 gallons d’essence. « D’accord », dit l’Américain et ils firent
échange sur la « route des munitions »…
Il y avait aussi Marcel Marinacce, une autre figure française de Santo. Il possédait un bateau et pendant des années, il fit du commerce à travers les îles. Il fit fortune en vendant illicitement de l’alcool aux Néo-Hébridais. Un des stratagèmes favoris des contrebandiers était
de diluer le vin algérien bon marché dans des fûts avec de l’eau de mer, avant de le vendre.
Pourquoi de l’eau de mer ? Au contraire de l’eau douce, le vin algérien bon marché ne perdait pas sa couleur. Le risque d’être découvert était faible (Hutchinson dans Bresnihan and
Woodward 2002 : 323).
Luganville, second centre urbain du pays, n’était avant-guerre qu’un comptoir colonial
vers lequel ont convergé diverses vagues de migration (colons européens, coolies et marchands asiatiques, main-d’œuvre océanienne et migrants des autres îles de l’archipel). Ces
vagues migratoires se sont intensifiées après-guerre pour peupler les anciens camps américains et ont donné à Luganville, du point de vue de sa taille comme de ses infrastructures, sa véritable morphologie urbaine.
Jusqu’à l’indépendance, Luganville était devenu le centre administratif condominial
des îles du nord et le fief des colons français et des Mélanésiens francophones de la région. Le développement urbain soutenu des années 1950 et 1960 fut quelque peu freiné,
durant les deux décennies suivantes, du fait de l’éloignement de Port-Vila, des faibles infrastructures de Santo et de son incapacité à avoir su bénéficier du boom économique néocalédonien du début des années 1970.
Dans les années 1980, suite à la tentative de sécession de l’île lors de l’indépendance,
Santo connut de sérieux bouleversements dans sa composition sociale. Le départ ou l’expulsion de nombreux colons et de Néo-Hébridais métis impliqués dans la rébellion de
1980 fut compensés par la venue de cadres et de travailleurs anglophones.
Les habitants de Santo sont aujourd’hui d’origines très diverses. Ce trait est encore plus
accentué pour Luganville dont 87 % des 7 000 habitants en 1989 (35,2 % en 1972) sont
originaires d’autres îles ou de pays étrangers (Bill, 1995 ; Bonnemaison, 1977). Les plus
fortes communautés sont constituées de groupes de migrants en provenance des îles voisines (fort contingent de gens d’Aoba, de Pentecost, de Mallicolo, des Banks et de Paama).
Camille Gloannec était l’assistant du Délégué français du condominium dans le district du nord, de 1964 à 1969. Il décrit Santo :
108
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Appelé « Ouest Sauvage » des Nouvelles-Hébrides, Santo était le lieu de résidence et de travail d’une société multiethnique au sein de laquelle les divers groupes entretenaient d’habitude de bonnes relations entre eux. Contrairement aux Néo-Hébridais qui ne pouvaient pas
avoir de nationalité par la Convention de 1906 et le Protocole de 1914, les métis de cette île
étaient reconnus comme ressortissants d’une des deux puissances coloniales. C’est peutêtre la raison pour laquelle ils ne montraient pas de rancune envers les autres minorités. Les
Wallisiens et les Futuniens… reçurent la citoyenneté française quand leurs îles devinrent un
territoire d’outre-mer en juillet 1961. Et qui plus est, un certain nombre d’entre eux avaient
été recrutés pour venir aux Nouvelles-Hébrides de 1959 jusqu’à 1962. Ils remplacèrent les
Indochinois et les Tahitiens sur les plantations…
Les insulaires des îles Gilbert étaient dans une certaine mesure la minorité la plus importante dans les plantations du Canal. Ils n’étaient pas supervisés par le Délégué français du
condominium…
Les Chinois sous le système juridique britannique venaient presque tous de Hong-Kong
et jouèrent un grand rôle dans le commerce…
Les pêcheurs japonais et coréens qui déposaient leurs prises à la « South Pacific Fishing
Company » à Palekula… avaient choisi d’être britanniques…
Les Européens… les Français métropolitains ou les Caldoches, les Anglais, les Australiens,
les Belges, les Suisses et les Américains représentaient une classe très hétérogène. Ils étaient
planteurs, éleveurs de bétail, marins du genre « beachcomber » (écumeurs de plages), recruteurs de travailleurs, négociants, employeurs, artisans, propriétaires de bars, restaurateurs,
hôteliers, entrepreneurs, petits industriels… (Gloannec dans Bresnihan and Woodward
2002 : 255-6).
Expression écrite
Les Délégués du condominium décrivaient Santo comme étant une zone urbaine
habitée par des gens de différentes nationalités. À votre avis, quel effet cela devait-il
faire de vivre dans une communauté multiculturelle ? Écrivez une histoire sur
une communauté de ce genre ou rédigez une composition sur les avantages et
inconvénients de vivre dans une communauté multiculturelle.
Plus en détail – voyage au bout du monde
Charlene Gourguechon travaillait à New York comme chargée des relations publiques
pour une compagnie théâtrale. Au début des années 1970, elle se rendit aux NouvellesHébrides avec son mari, Jean Gourguechon, et Kal Muller, un photographe. Ils
passèrent beaucoup de temps à Mallicolo à découvrir les Big Nambas au nord de l’île et
les Small Nambas au sud. Pour aller à Mallicolo, ils devaient passer par Santo et se sont
ainsi familiarisés avec Luganville et ses excentricités. Dans son livre Voyage Au Bout Du
Monde (1977), Gourguechon nous donne une description fantaisiste de la vie dans les
îles. Dans l’extrait suivant, elle nous parle de sa première arrivée à Santo.
Santo. Je suis éblouie, excitée. Une longue route bordée de cabanes et de baraquements
« Quonset » éparpillés dans divers états pêle-mêle. La végétation luxuriante s’élance vers
Croissance de Port-Vila et de Luganville de la fin des années 1800 aux années 1970
109
un soleil tout puissant. La route longe la côte. À un mile se trouve une autre île Aore, de
bleu et de vert vêtue. Nous dépassons plusieurs voitures et quelques indigènes casqués
sur leur moto. Les silhouettes noires marchant le long de la route se retournent chaque fois
qu’un véhicule s’approche. C’est comme dans un film au ralenti. Tout est lent. Les gens ne
semblent même pas se mouvoir.
Je me penche en avant et donne une tape sur l’épaule de Kal. « Où est le centre-ville ? »
« Ici même ! »
La seconde ville de l’archipel — son centre commercial — et son centre-ville — on se
croirait toujours en pleine brousse.
Lo Po, Fun Kwan Chee et Wong, des magasins chinois, sombres et délabrés, bordent
un sentier recouvert d’herbe qui par euphémisme pourrait être appelé un trottoir. Tous les
bâtiments n’ont qu’un seul étage. Ce sont des structures en ciment qui semblent fières de
leur propre laideur. Nous dépassons les délégations françaises et britanniques, perdues
derrière les cocotiers, les bananiers et les bougainvilliers. Un bateau amarré au quai principal
semble combler le vide… (Gourguechon 1977 : 12-13).
Questions de compréhension
1. Quelle est la définition de « pêle-mêle » ?
2. Qu’est-ce qui surprend Gourguechon à Santo ?
3. Comment Gourguechon caractérise-t-elle le train de vie à Santo ? Trouvez la
phrase qui l’illustre ?
Port-Vila, et, dans une moindre mesure, Luganville étaient les zones urbaines du condominium. Les événements principaux de la lutte pour l’indépendance des îles se déroulèrent dans ces deux villes. Nous découvrirons les mouvements indépendantistes dans le
chapitre suivant « En route vers l’indépendance ».
110
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
111
chapitre cinq
En route vers l’indépendance :
1970 à 1980
Introduction
La République de Vanuatu fut proclamée le 30 juillet 1980. Mais comment s’est déroulée cette accession à la souveraineté semée d’embûches, après des décennies de gouvernement colonial ? Partisans d’une indépendance immédiate ou différée, une chose est
sûre : les insulaires voulaient avoir des droits sur le foncier et voulaient décider de leur
avenir. Ce désir d’autonomie et d’indépendance par rapport aux deux puissances coloniales s’est forgé sur plusieurs décennies d’oppression et d’exploitation. Il forme aujourd’hui le ciment d’une souveraineté nationale.
A u t o n o m ie  :
indépendance, liberté
I n d é p e n d a n c e : sans
tutelle, libre arbitre
La question de l’identité
Qui suis-je ?
Sous les ailes des ennemis jurés de l’histoire
J’ai été trahi dans la demeure du protocole de 1914,
Ma belle terre a été possédée par des imposteurs.
Je suis ignorant de la sagacité occidentale,
Mon futur est incertain,
Pandémonium est un bon mot
Pour mon prétendu gouvernement,
Je désire ardemment le jour de l’amélioration.
Je voyage à l’étranger avec une carte d’identité
Car je suis apatride (sans-patrie) et n’ai aucun droit
De faire appel à la cour suprême de mon pays.
Qui suis-je, perdu dans cet océan de confusion ?
Mon « tea taré » prend à peine le temps d’entendre mes plaintes
Au moins, je peux encore nager
Mais je ne veux pas m’échouer
Dans le désert d’une République française du Pacifique.
Qui suis-je ?
Je suis le troisième citoyen de mon pays,
Le seul condominium au monde.
—Par Donald Kalpokas dans Some Modern Poetry
from the New Hebrides (1975)
S a ga c it é : perspicacité,
clairvoyance
t e a t a r é : l’homme blanc
112
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Lecture du journal francophone,
Nabanga, avant les élections de
1979 (Archives Nationales, VKS).
Juxtap oser : mettre
à côté de ; contraster
Avant l’indépendance du Vanuatu, il était difficile de définir l’identité des Néo-hébridais.
La poésie de Donald Kalpokas reflète le sentiment dans les années 1970 des insulaires
qui ne pouvaient pas s’exprimer dans le condominium franco-britannique. Cette crise
d’identité est soulignée plusieurs fois dans la poésie « qui suis je ? » (Who am I ?). Les
impacts de la christianisation et du condominium, qui étaient également les signes de
l’influence culturelle française et britannique, avaient considérablement changé la vie
traditionnelle des insulaires. Dans le volume 2 de cette série, nous avons évoqué les impacts de l’influence étrangère dans l’archipel. La culture traditionnelle a beaucoup souffert du vaste dépeuplement pendant les premières années de l’installation européenne
(voir le chapitre « Un siècle de dépeuplement : 1820-1920 ») et l’encouragement des
missionnaires à abandonner certaines pratiques coutumières (voir le chapitre « Le début de la christianisation dans l’archipel » dans le volume 2). Les cultures françaises,
anglaises et chrétiennes se juxtaposaient aux cultures traditionnelles, générant une
confusion d’identité et un sentiment d’impuissance à affirmer certains droits indigènes.
En effet, les droits des insulaires n’étaient pas identiques à ceux des citoyens français
et anglais. Aucun gouvernement ne se sentait responsable du bien-être des insulaires.
En outre, les insulaires ne possédaient pas officiellement la citoyenneté d’un pays. Les
cartes d’identité étaient la seule forme d’identification. La volonté de s’exprimer et de
réclamer une identité spécifique alimenta la revendication d’indépendance.
Pour aller plus loin
Que signifie avoir une identité ? Décrivez-vous en quelques lignes, en détaillant les
caractéristiques particulières qui vous rendent différent des autres. Vous possédez
peut-être une compétence particulière, ou vous êtes exceptionnellement doué en
sport ou en musique. Vous possédez peut-être des talents de créateur et vous êtes
En route vers l’indépendance : les années 1970 à 1980
113
habile de vos mains. En quoi vos caractéristiques personnelles sont-elles différentes
de celles de vos camarades ?
L’enjeu foncier
Les paragraphes suivants sont adaptés du livre de Marcellin Abong, « La pirogue du
Dark Bush : aperçus critiques sur l’histoire du Nagriamel » (Port-Vila : VKS, 2008).
La terre pour les Mélanésiens n’est pas un bien que l’on possède. Ce serait plutôt l’inverse : c’est la terre qui possède les hommes. A leurs yeux, elle ne peut être vendue étant
donné les liens ancestraux et coutumiers qui les rattachent à elle. Dans les conceptions
locales, la terre est comme une « mère » nourricière. Elle est inaliénable. Depuis des générations, les terres mélanésiennes ont été transmises d’une génération à l’autre. On
pouvait certes, prêter des jardins, transmettre leur usufruit, mais en aucun cas les céder contre des valeurs monétaires. Les Européens de l’époque, tout comme leurs successeurs actuels, avaient un point de vue radicalement différent. Dans les conceptions
occidentales, la terre représente, avant tout, une valeur économique. Une terre non exploitée ne présente à leurs yeux aucun intérêt. Dans nos îles, par exemple, ils en mesureraient la rentabilité par la taille des plantations de cocotiers qu’ils arrivaient à y
développer. Toutefois, avant de conférer aux terres une valeur ajoutée, il s’agit prioritairement de s’en emparer, avant qu’un concurrent n’en revendique la propriété. Ce principe
valait tout autant pour les puissances coloniales que pour les colons individuellement.
Ainsi, jusqu’en 1960, qu’ils soient Anglais ou Français, les colons hébridais revendiquaient plus de 30 % de la totalité des superficies foncières de l’archipel. Des bruits
couraient à Santo, comme quoi les colons allaient même jusqu’à acheter plus de terres
qu’il n’en existait effectivement. A moins, bien sûr, de comptabiliser des superficies
sous-marines. Les villageois de Mallicolo et de Santo, tout comme ceux des autres îles,
manifestèrent alors leurs désaccords, refusant qu’on leur subtilise toujours davantage de terres coutumières. La terre est l’essence de la vie. Sans elle, un Mélanésien est
condamné à « flotter ». Un homme sans connexion avec la terre est considéré sans racine, il n’est pas un « rili man » comme on dit en bislama, un « homme authentique ».
Le géographe Joël Bonnemaison évoque cette condition en terme d’ « hommes lieux et
d’hommes flottants » (Bonnemaison, 1986). Sethy Regenvanu, l’un des pères fondateurs du Vanuatu indépendant, qui fut également ministre dans plusieurs gouvernements, précise les choses ainsi :
« La terre pour le Ni-Vanuatu ressemble à une mère par rapport à son enfant. C’est à travers
la terre que le Ni-Vanuatu définit son identité et aussi par la terre qu’il maintient sa force spirituelle… La terre représente beaucoup plus qu’une simple marchandise qu’on achète et puis
qu’après on rejette quand elle n’a plus de valeur. La terre représente une chose dont la valeur
est intrinsèque car elle fait partie de son être et de sa vie. » (Regenvanu, 2004).
Depuis que Quiros avait posé les pieds sur les rivages de cet archipel, tous les colons
qui l’ont suivi essayèrent d’imposer à la fois leur propre idée de la propriété foncière
et leurs conceptions bien particulières de la manière de s’approprier les terres. Ainsi,
ils s’obstinèrent notamment à refuser de reconnaître la différence fondamentale entre
le concept occidental et la vision indigène du lien à la terre. Ils n’accordèrent de crédit, qu’au principe scélérat et matérialiste « d’appropriation perpétuelle » des terres.
114
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Leurs méthodes n’étaient pas plus honnêtes que leurs intentions. Les Européens achetèrent de préférences des domaines situés sur les côtes. Leur monnaie d’échange était
le plus souvent l’alcool et les fusils, quand il ne s’agissait pas simplement d’un peu
de tabac. Ces marchandises bien peu recommandables n’en suscitent pas moins de
fortes convoitises auprès des indigènes. Convoitises qui entraînèrent fréquemment des
guerres entre tribus, occasionnant de nombreux morts. L’astuce était subtile : en distribuant toujours davantage de biens meurtriers, les indigènes faisaient le sale boulot à la
place même des Européens. Et, à force de s’entretuer, il demeurait toujours moins de
propriétaires fonciers indigènes, ce qui permettait aux colons d’accroître encore plus la
taille de leur domaine, sans même avoir à payer quelque chose en échange.
Dans le chapitre « Planteurs et plantations » du volume 2, nous nous sommes
renseignés sur l’étendue des activités de spéculation foncière de la Société Française
Nouvelles-Hébrides (SFNH, autrefois la CCNH) pendant les premières années de la colonisation européenne dans l’archipel. En 1980, 15,3 % de la surface foncière de notre
archipel avaient été acquis par les colons français et anglais et étaient enregistrés par le
Tribunal mixte comme titre de propriété à vie. Parmi ces 15,3 %, les Anglais et optants
britanniques (personnes qui avaient choisi d’être assujetties aux lois britanniques) revendiquaient 3,1 % contre 12,2 % pour les Français et optants français (personnes qui
avaient choisi d’être assujetties aux lois françaises) (Van Trease 1987 : 35).
La réforme foncière fut le cri de ralliement. Pendant plus d’un siècle, le contexte politique favorisa en général les revendications foncières européennes (Crocombe 1970).
Dans son livre intitulé « Land and Politics in the New Hebrides » (1974), l’indépendantiste
Barak Sope a écrit :
Temp orisat i o n  :
ajournement
En racin er : prendre
racine, fixer profondément
Les décisions et les actions sur la question foncière vont dominer politiquement.
L’administration du condominium a été très lente en présentant un système de baux (pluriel
de bail) fonciers acceptable à la fois pour une minorité européenne [mais majoritaire politiquement] et la majorité mélanésienne [mais minoritaire politiquement]. La temporisation de
l’administration a rendu les questions de terre plus sujettes aux pressions politiques. Des lois
foncières révisées sont nécessaires, en tenant compte des vues des Néo-Hébridais et pas seulement concentrées sur les seules législations foncières françaises et britanniques, comme ce
fut le cas dans le passé. Si les idées des Néo-Hébridais sont à nouveau ignorées, les Français et
les Anglais malgré leur volonté ne réussiront jamais à imposer un nouveau système de baux
aux masses indigènes. Les lois européennes ne doivent en aucun cas détruire les émotions
profondément enracinées liant socialement la personne indigène à sa terre (Sope 1974 : 5).
Dans les années 1970, la spéculation foncière étrangère allait bon train En 1967, un
Américain du nom d’Eugene Peacock avait subdivisé de grands terrains sur Santo et
vendait les parcelles principalement à des investisseurs sur Hawaï. En 1971, au moment
où les travaux de débroussage et de travaux publics ont débuté, les gouvernements français et britannique ont convenu qu’une subdivision foncière mal contrôlée ne serait
pas une bonne idée. Les terrains achetés par les investisseurs étrangers attireraient un
grand nombre de migrants aux Nouvelles-Hébrides et les demandes de services gouvernementaux qui n’existaient pas encore dans les secteurs ruraux augmenteraient.
L’immigration massive pouvait marginaliser la population indigène, en particulier par
l’acquisition de biens fonciers. Le gouvernement français proposa une taxe sur les subdivisions et pour la première fois, les deux administrations tombèrent d’accord pour
contrôler ensemble l’immigration des gens qui n’étaient ni Français ni Britanniques
(Van Trease 1987 : 107).
En route vers l’indépendance : les années 1970 à 1980
115
Pour aller plus loin
1. Pourquoi les enjeux fonciers devinrent-ils le cri de ralliement des NéoHébridais ? Quelles étaient les différences entre les points de vue européens et
mélanésiens au sujet de la terre ?
2. « Les lois européennes ne doivent en aucun cas détruire les émotions
profondément enracinées liant socialement la personne indigène à sa terre. »
Réécrivez cette phrase avec vos propres mots. Comment peut-on relier cette
phrase avec la réponse de la question 1 ?
3. Expliquez comment le fait de limiter les subdivisions des investisseurs étrangers
et la régulation de l’immigration ont pu aider à protéger les terres indigènes
dans les années 1970.
Enquête
Aujourd’hui, la spéculation foncière et la subdivision des terrains continuent, bien
qu’elles se fassent maintenant avec des baux plutôt que des titres de propriété à
vie. Avez-vous constaté cela dans votre région ? Quels pourraient être les sources
de mécontentement de votre communauté si de grands espaces fonciers étaient
subdivisés et vendus pour faire des habitations résidentielles ou d’autres activités ?
Rappelez-vous, l’aliénation des terrains peut s’effectuer également avec le système
de bail. Référez-vous au paragraphe « Les droits fonciers au Vanuatu » dans « La
jeune nation » (ce volume) pour de plus amples informations sur ce sujet.
Naissance du Nagriamel
Ce sous-chapitre est adapté du livre de Marcellin Abong, « La pirogue du Dark Bush :
aperçus critiques sur l’histoire du Nagriamel » (Port-Vila : VKS, 2008).
On trouve à l’origine du lancement du Nagriamel un vaste processus de dépossession foncière des terres indigènes. Menée sur l’initiative des colons européens de Santo,
cette entreprise prit de l’ampleur après-guerre, principalement du fait des routes carrossables qui avaient été ouvertes par les Américains en direction de l’intérieur de l’île,
vers des zones évacuées de leurs populations de par leur proximité avec les camps militaires. Les terres les plus convoitées étaient celles se trouvant en amont de la rivière
Sarakata, dans un domaine foncier connu sous le nom de « Luganville Estate ». La propriété de ce territoire fut attribuée, pour quatre-vingt-dix-neuf ans, à la Société Française
des Nouvelles-Hébrides, par deux jugements du tribunal condominial en 1951 et 1959.
L’initiative d’une contestation indigène fut prise, durant les années 1960, par Paul
Buluk, « chef coutumier » de l’intérieur de Santo, qui réclamait des droits fonciers sur
une partie des terres de la SFNH, et dont il entendait prouver qu’elles avaient été occupées par ses propres aïeuls. De là, date sa rencontre avec Jimmy Stevens qui fut,
quelques années auparavant, conducteur de bulldozer. Il avait à ce titre procédé luimême, sur ordre de la compagnie qui l’embauchait, à la destruction des vestiges du village ancestral de Buluk, y compris les tombes des parents de ce dernier. Stevens avait
été approché par les man-bush pour le témoignage qu’il pouvait rapporter sur sa participation à cette action.
Les sollicitations de Buluk auprès de Stevens dépassèrent rapidement la demande
d’un simple soutien. Elles se transformèrent en une proposition de prendre la tête d’un
116
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
mouvement indigène de revendication foncière. Comme chaque fois qu’il était question de la kastom, tout commençait par un « don » : « Lorsque je leur demandais de
quel pouvoir ils disposaient pour revendiquer la terre (…), ils me répondirent, aucun, sinon leurs coutumes traditionnelles [traditional customs]. Mais ils ne savaient comment
ils pouvaient les utiliser au mieux, et comptaient sur moi pour leur donner la solution »
(Stevens, cité par Van Trease, 1987 : 139)
La date exacte de la fondation du Nagriamel demeure mal connue. L’officialisation
Jimmy Stevens, le premier chef du Nagriamel, écrit au sujet de son mouvement
dans « New Hebrides : The Road to Independence » (1977 : 35-41).
Le mouvement Nagriamel débuta en 1960. À cette époque, il ne s’appelait pas encore
Nagriamel, mais simplement namele. Tous les hommes portant des feuilles de
namele et les femmes avec les feuilles de nagria se réunirent et formèrent une voix —
Nagriamel — 1963.
La véritable signification du mouvement Nagriamel aujourd’hui [1977] et depuis
le commencement n’est pas de faire partir l’homme blanc, ni de chasser les autres
insulaires ni même de détruire n’importe quoi. Non. Mais c’est de trouver une
manière de stopper la loi du Tribunal mixte, qui nous destituait de nos terres. En
1960, nous combattions pour deux choses : (1) l’intervention du Tribunal mixte pour
récupérer nos terrains dans les limites connues par nos ancêtres et (2) le retour des
villageois qui avaient été déplacés loin de leurs villages par les Américains (ainsi que
par les puissances du condominium) pendant la guerre.
En 1963, je fus élu comme chef et fus autorisé à parlementer avec les deux
gouvernements. L’idée d’un quartier général ici à Fanafo était de créer quelque chose
en dehors des deux gouvernements : un petit quartier général pour tous les indigènes.
Quand nous sommes venus la première fois, c’était vraiment difficile, étant donné que
toute cette zone était recouverte de brousse épaisse. Ce fut un travail collectif pour
débroussailler la végétation et y installer des jardins. Fanafo est le siège central du
mouvement Nagriamel, mais nous avons également d’autres petits sièges à Nduindui,
Walurigi, Longana et sur Maewo.
En 1968, je fus emprisonné pour des problèmes de terre. Je ne pouvais pas prendre
un avocat à Port-Vila. J’avais lu dans la revue « Pacifique lsland Monthly » que les
Fidji étaient en train d’accéder à l’indépendance et les avocats avaient joué un rôle
important dans sa réalisation. Ainsi, chaque membre de Nagriamel rassembla l’argent
nécessaire pour obtenir un avocat. Notre avocat, K.C. Ramrakha nous a dit qu’il ne
serait pas simple de se débarrasser des deux gouvernements.
En 1971, nous avons envoyé K.C. Ramrakha aux Nations Unies pour présenter
notre pétition. Nous savions que quelque chose n’allait pas avec la loi des deux
gouvernements, car elle n’avait jamais correctement fonctionné. En outre, rien n’était
préparé pour une future indépendance de la population noire.
En 1971, Nagriamel fut le premier mouvement organisé à œuvrer pour la
décolonisation des Nouvelles-Hébrides en envoyant officiellement une pétition
aux Nations Unies (ONU).
En route vers l’indépendance : les années 1970 à 1980
117
Jimmy Stevens, le chef du
mouvement Nagriamel,
C. 1992. Photographie
de Philippe Metois.
du mouvement remonte à l’année 1965. Dans l’arrière salle d’un bar de Luganville, fut
proclamé l’« Act of Dark Bush », pour énoncer le principe de la restitution des terres
indigènes annexées et contester toute extension des plantations de colons français. Les
quelques centaines de membres du mouvement, estimés pour la période qui précède
les années 1970, adhérèrent au projet de Buluk et Stevens de s’installer à l’intérieur
des limites du domaine contesté de la SFNH. Cette décision multiplia les conflits que
Buluk avait ponctuellement déclenchés sous la forme de saccage des clôtures des plantations des colons. Pour de telles opérations, il avait déjà écopé de quelques mois de prison en 1964. Pourvu d’une charte fondatrice et de militants regroupés sur la base d’une
propriété collective de la tenure foncière, il manquait au Nagriamel une assise territoriale. Il fut convenu de la nécessité de disposer d’un lieu symbolique et d’un territoire
suffisamment grand pour permettre la fondation d’un nouveau type de communauté.
Cette communauté devait se mettre au service d’une libération des indigènes, s’élever
contre l’aliénation coloniale et préparer les opprimés du dark bush à leur émancipation
politique. Cette communauté fut établie dans un coude de la rivière Sarakata et prit le
nom de Fanafo.
Le nom Fanafo, « panier de fruit » dans la langue locale, vint symboliser la richesse
des terres destinées à nourrir les hommes du Nagriamel. Ce hameau passa rapidement
à la taille d’un village et devint le quartier général de l’administration du Nagriamel.
Cette installation fut décisive pour les succès ultérieurs que connut ce mouvement,
notamment du point de vue de son expansion au-delà des limites de l’île de Santo.
L’étymologie du nom Nagriamel provient des noms de deux plantes traditionnelles,
nangaria (cordelyne fruticosa) et namele (cycas circinalis) : « La feuille de namele est notre
tabou, notre loi, notre coutume, la feuille de nagria est notre sérénité, notre corps »
(Stevens, cité par Beasant, 1984 : 17).
118
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
De la stratégie échafaudée par Jimmy Stevens à partir de la fondation d’un « quartier général des populations indigènes », il se dégagea une nécessité d’élargir la base du
mouvement et d’obtenir les moyens de son engagement. Des circonstances favorables
à la réussite du Nagriamel s’ouvrirent à Stevens au cours de sa condamnation, en 1968,
à six mois de prison en compagnie de Buluk, suite à une tentative d’extension du village de Fanafo. Il mit à profit sa détention pour repenser ses perspectives. Il finit par se
convaincre de la nécessité d’une politique d’ouverture du Nagriamel, en associant plusieurs facteurs : l’abandon résolu de l’anti-colonialisme français, dans la perspective
d’un soutien de la France ; l’élargissement géographique du Nagriamel en direction des
populations du nord de l’archipel et un plan favorisant leur émigration à Santo ; le renforcement de sa propre emprise sur le Nagriamel et la légitimation de son autorité par
les man-bush sur une base coutumière. L’imposition de ces trois orientations visait à
pérenniser ce mouvement, en ne l’enfermant pas dans la seule revendication foncière
des man Santo.
A cette époque, Stevens se cantonnait encore dans son rôle de conseiller au service
des man-bush de Santo, représentés par Buluk. Mais il songeait déjà à représenter l’ensemble des Mélanésiens laissés pour compte du système colonial. L’idée de l’extension
inter-insulaire du Nagriamel fut le déclencheur véritable de ses succès. Elle créa les circonstances favorables à une ascension de son leader. L’administration française saisit
cette occasion pour mener des négociations avec Stevens. Un accord tacite fut trouvé
sur la question de la redistribution de terres en possession de la SFNH. Mais au-delà
d’un accord sur cette intention, qui ne se traduisit pas dans les faits avant 1975, ces
compromis instaurèrent une reconnaissance réciproque de l’autorité coloniale française et de celle décrétée coutumière de Stevens. Ces connivences avec l’administration
française allaient graduellement s’intensifier en direction d’une réelle coopération.
L’étape suivante pour Stevens fut d’envisager la constitution d’une fédération politique des îles du Nord sous la bannière du Nagriamel.
L’organisation du Nagriamel
On assiste progressivement à une concentration du pouvoir entre les mains de Jimmy
Stevens :
Le Nagriamel n’est pas un parti. Le Nagriamel n’est pas la politique. Il est le cœur des
hommes, il est leur coutume. Mais pour la faire briller de nouveau… il faut utiliser la bonne
méthode… le Nagriamel existait avant moi. Mais il faut le réformer de nouveau – pour s’en
emparer et l’emblématiser sur le drapeau que nous hisserons. Voilà mon travail. Les gens
me demandèrent – nous voulons voir le Nagriamel s’élever pour les générations à venir. Je
leur répondis que je ferai de mon mieux… (Stevens cité par Van Trease, 1987 : 160).
Cette insistance portée sur la coutume, comme source de force et de revitalisation de la
société mélanésienne, donna au Nagriamel sa pleine audience hors de Santo, et permit
d’unir les partisans de Stevens une fois le problème des terres résolu, c’est-à-dire, une
fois que les droits des Mélanésiens sur le bush inexploité furent reconnus. A Fanafo,
« capitale du Nagriamel » dans la brousse de Santo, la population était estimée dans les
années 1970 à cinq cents personnes (ce mouvement revendiquait, à cette époque quinze
mille adhérents pour tout l’archipel). La singularité de ce village et de l’ambiance qui y
régnait, tenait notamment à la diversité de sa population, en provenance de différentes
îles. Regroupées en quartiers selon leur île d’origine et leur appartenance religieuse, habitant des cases construites suivant une architecture représentative des différents styles
En route vers l’indépendance : les années 1970 à 1980
119
de l’archipel, ces communautés coexistent en gardant une certaine autonomie. Hormis
certaines activités communautaires de la vie quotidienne, l’organisation collective de la
production était essentiellement orientée autour des cultures commerciales (huile de
palme, arachide), de l’exploitation forestière et des activités de métayage.
La répartition des bénéfices était égalitaire. Stevens en recevait une part laissée à l’appréciation de chacun des membres, une autre supportait l’organisation administrative
du Nagriamel. Ces prélèvements étaient plus élevés pour les membres du mouvement
travaillant à l’extérieur de Fanafo. Ils étaient reversés à l’Union Board Office qui disposait d’un fichier de tous les travailleurs affiliés au Nagriamel. Sa principale fonction
était d’organiser l’exploitation des terres consacrées aux productions agricoles commerciales. Les terres du Nagriamel Custom Territory – c’est-à-dire l’ensemble des terres vivrières des man-bush – étaient enregistrées par le Nagriamel Custom Land Trust Board.
Le centre administratif de ces organismes était constitué par le quartier général du
Nagriamel, un des seuls bâtiments en dur du village.
La spécificité du Nagriamel est indissociable de la nature de son leadership, c’est-àdire de la manière dont Stevens conçut l’organisation administrative du mouvement
pour conforter son pouvoir personnel. La hiérarchie exacerbée et le fédéralisme sont,
dès le départ, deux fondements du mouvement. Derrière la position autocratique de
Stevens se déroule tout un organigramme du mouvement obéissant à un ordre strict :
« 1/ Chief President (Jimmy Stevens) 2/ Assistant Chief 3/ Land Owner (Buluk) 4/
Chief Comitee 5/ Comitee Members 6/ Secretary Comitee 7/ Union Secretary » ; suivent près de trente autres titres d’importance décroissante. A chacune de ces qualifications correspondait un badge, sur lequel était écrit le grade de son possesseur. Tous les
man-bush de Santo étaient cependant tenus de s’appeler « frères », et « amis » lorsqu’il
s’agissait des autres insulaires du mouvement.
Le comité était l’organe de délibération rassemblant les représentants de chaque île,
pour discuter de la vie au quotidien comme des grandes lignes politiques du mouvement. Il se déroulait suivant un protocole moderniste avec secrétaire et prise de notes,
et servait également de tribunal coutumier ; chaque insulaire était jugé selon les traditions de Santo. Ce comité se décomposa par la suite en plusieurs organes de délibérations. Le « Land Comitee » était l’institution la plus englobante. Composé de vingt et
un chefs coutumiers de Santo représentant les naked bush people, il fixait les règles du
mouvement à l’égard des colons et des investisseurs étrangers sur les terres indigènes.
Le Upper Comitee comportait quinze membres provenant des quinze îles que regroupait le Nagriamel. Sa fonction était de superviser l’application des projets approuvés par
le Land Comitee. L’instance administrative supérieure, le Ten Head Comitee, détient
le pouvoir exécutif et agit à la manière d’un gouvernement. Il ne comprend que des
membres d’autres comités, reconnus aux rangs de « chefs coutumiers », et ayant vécu
durant une période significative à Fanafo. Toute décision concernant la communauté
de Fanafo était d’ailleurs du ressort de cette instance. Mais dans tous les cas de figure,
les grandes orientations étaient d’abord prises par le Chief President avant d’être, le cas
échéant, discutées par les divers comités.
Les soutiens extérieurs du Nagriamel
Les alliances extérieures du Nagriamel furent mises en place à la seule initiative de
Stevens. Elles renforcèrent sa dérive autocratique sur le mouvement et, par extension,
provoquèrent sa fuite en avant vers des menées séparatistes. Les premiers contacts extérieurs du Nagriamel furent pris avec André Leconte, un millionnaire néo-calédonien
soucieux d’agrandir une de ses plantations à Santo. Ce premier rapprochement dévoila
120
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
une des nombreuses ambiguïtés de la stratégie de Stevens : combattre pour la protection
de la tenure foncière indigène, tout en facilitant l’exploitation de ces mêmes terres par
des investisseurs étrangers. L’alliance du Nagriamel avec Leconte fut également un test
pour l’administration française dans sa stratégie de redistribution foncière et de reconquête de l’estime des Mélanésiens, par le développement des infrastructures et des administrations francophones. Après 1974, la redistribution des terres s’accéléra ; 8 800
hectares furent ainsi rendus jusqu’à la fin des années 1970. La construction de l’école et
du dispensaire français à Fanafo a été réalisée de 1973 à 1974 (Van Trease, 1987 : 149).
Une route traversant l’île vers le nord fut également ouverte de Fanafo à Matantas.
Cette période correspond également pour le Nagriamel aux premières tentatives de
Stevens d’adopter une attitude militante sur un plan international. En 1969, Stevens
contacta les nationalistes fidjiens, qui jugèrent cependant le personnage peu crédible.
Toutefois, l’inter-médiaire par lequel furent établis ces contacts, l’avocat indo-fidjien
Karam Ramrakha, poursuivit pour le compte du Nagriamel des démarches auprès
de l’ONU. Il présenta en 1971 une pétition au comité de décolonisation, condamnant
le condominium et requérant une enquête sur les velléités d’indépendance à Santo.
Stevens justifia cette démarche au Fiji Times : « Les indigènes se font emprisonner et,
dans de nombreux cas, ils se voient menacés et chassés de leurs terres ».
Stevens avait également traité, dès 1967, avec Eugène Peacock, un spéculateur terrien américain désireux d’investir aux Nouvelles-Hébrides. Ce fut là, une des alliances
les plus retentissantes du Nagriamel. Peacock, commercialement basé à Hawaii, opérait sur une vaste échelle avec de gros moyens. Il avait acquis d’immenses superficies
de terres, notamment à Santo. Son plan était de subdiviser ses propriétés en petites parcelles pour les revendre à des anciens combattants américains du Vietnam.
Au cours des années 1970, les responsables du Nagriamel furent préoccupés par la
concurrence du très récent National Party (NHNP) dans le domaine des revendications
foncières. L’opposition du Nagriamel, indique Hours (1974 : 238), fut celle « des gens
de la brousse par opposition aux indigènes les plus évolués, anglicans, scolarisés, employés ou petits fonctionnaires urbains, petits propriétaires, que sont les ‘cols blancs
mélanésiens’ et l’amorce d’une petite bourgeoisie indigène politisée ».
La requête du National Party à l’ONU, en 1974, en faveur d’une indépendance en
1977, mit le feu aux poudres. Elle décida de l’alliance du Nagriamel avec le parti des colons français de Santo – le Mouvement Autonome des Nouvelles-Hébrides (MANH)
– et de ses rapprochements avec le mouvement John Frum de Tanna, l’Union des
Communautés des Nouvelles-Hébrides (UCNH) et le parti francophone de Port-Vila.
L’échec des Modérés aux premières élections générales de novembre 1975 et la piètre
performance de l’alliance entre le MANH et le Nagriamel sur Santo amenèrent Peacock
à abandonner ses dernières illusions, malgré sa participation à l’organisation de plusieurs démonstrations de force à Luganville en décembre de la même année. Celles-ci
se solderont d’ailleurs par l’expulsion administrative de Peacock hors des NouvellesHébrides. Quant à Stevens, ces vicissitudes le poussèrent à s’orienter vers des menées
toujours plus séparatistes. Les autorités coloniales ne réalisèrent que tardivement, au
moment même où se déroulaient les premières manifestations violentes à Luganville
que, parmi les soutiens étrangers les plus résolus à la cause de Stevens ne se trouvait
pas le seul Peacock. L’aide la plus active au Nagriamel provenait, depuis le courant de
l’année 1975, du milliardaire américain Michael Oliver et de sa Phœnix Foundation.
Moses Olitsky de son vrai nom, Oliver était un juif lituanien, rescapé des camps nazis, qui fit fortune aux États-Unis, et mit celle-ci à contribution pour son indéfectible
cause : la création d’un État associant des principes idéologiques libertaires et l’ultra-li-
En route vers l’indépendance : les années 1970 à 1980
121
béralisme de l’économie de marché.
L’influence d’Oliver sur Stevens et le soutien logistique apporté par la Phœnix
Foundation permirent la constitution d’une Fédération des Communautés AutoGouvernées du Nagriamel le 27 décembre 1975, et la programmation de l’indépendance des îles du Nord. Cette fédération était censée inclure Santo et ses îlots, excepté
le centre urbain de Luganville ; toutes les îles voisines, Aore, Lalo, Aoba, et Maewo ;
toutes les îles appartenant au groupe des Banks et des Torres ; ainsi que tous les autres
groupements des Nouvelles-Hébrides qui désiraient se joindre à la fédération, en tant
que peuple libre et indépendant. Stevens avait préparé dans ce sens, avec l’aide des juristes de la Phœnix Foundation, une Constitution, et reçut également de cette organisation tous les symboles matériels d’un État souverain. Une monnaie fut frappée,
des passeports et des exemplaire de la Constitution imprimés, un drapeau fut choisi.
Radio Fanafo reçut des moyens techniques et une assistance pour étendre sa diffusion.
Enfin, les transferts de fonds pour développer la structure administrative du Nagriamel
et créer une banque fédérale se firent plus substantiels.
Le Nagriamel différera à deux reprises sa déclaration d’indépendance, avant que
cette revendication ne soit mise en veille jusqu’aux événements de 1980. Oliver fut, à
son tour, expulsé, mais poursuivit son aide active au Nagriamel, dans la perspective de
mener l’indépendance de Santo à son terme.
Questions de compréhension
1. Nagriamel fut le premier parti à envoyer une pétition aux Nations Unies pour
l’indépendance. Qu’est-ce qui était, d’après Stevens, à la base de cette pétition ?
En d’autres termes, pourquoi le Nagriamel a-t-il estimé que l’indépendance était
nécessaire ?
2. En vous basant sur le récit de Stevens, en plus de Santo, quelles îles faisaient
partie du mouvement Nagriamel ?
3. Les soutiens étrangers du Nagriamel étaient-ils désintéressés ?
La formation des partis politiques
Depuis les débuts du condominium, les mouvements sociaux indigènes qui se sont
manifestés jusqu’à l’indépendance intègrent une dimension politique de contestation
des conséquences de l’ordre colonial, notamment en matière de spoliations foncières
et du respect des croyances et des pratiques indigènes. Certain de ces mouvements ont
subsisté à l’indépendance (John Frum, Nagriamel). Qu’ils se soient organisés en partis au cours de leur histoire, ne change rien à leur antériorité, en tant que mouvements
coutumiers, à la naissance des partis politiques. Dans l’extrait suivant d’un des discours de Barak Sope lorsqu’il était Premier ministre, ce dernier présente John Frum et
le Nagriamel comme les précurseurs des partis politiques contemporains du Vanuatu
dans la lutte pour l’égalité des droits et l’autonomie politique :
La première fois que je suis venu ici, à Sulphur Bay, j’étais encore à l’université et j’écrivais mon livre. Je suis venu parler avec le vieux Mweles et les autres anciens du mouvement
John Frum. A cette époque, le Vanuaaku Pati n’était pas encore né, pas plus que le NUP
Une pièce de monnaie frappée
pour l’Etat du Vemerana
par la Fondation Phoenix.
Photographie de Ben Bohane.
122
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
[National United Party] ou tous les autres partis. Il n’en existait pas un seul. Seuls existaient
les mouvements John Frum et Nagriamel. Et à l’époque, tous les anciens de ces mouvements
avaient déjà discuté de l’indépendance, celle-là même dont nous disposons aujourd’hui…
—Barak Sope, extrait d’un discours tenu à Sulphur Bay (Tanna), le 15 février 2000, recueilli
et traduit par Tabani, 2008.
Le contexte international au début des années 1970
Le constat des disfonctionnements répétés dans l’administration du condominium accéléra la prise de conscience de la nécessité d’une évolution juridique du condominium.
La perspective d’une indépendance des Nouvelles-Hébrides fut anticipée par la GrandeBretagne dans le contexte de son désengagement des territoires sous son administration ou celle de l’Australie dans le Pacifique. Au moment où s’achève l’émancipation
des colonies anglaises et françaises du continent africain, le premier pays océanien à accéder à l’indépendance est Samoa, en 1962. Puis ce sera le tour de Nauru (1968), des
îles Fidji (1970), de la Papouasie-Nouvelle-Guinée (1975), des îles Salomon et Tuvalu
(1978) et de Kiribati (1979).
L’Angleterre et l’Australie ont parfois été présentées par la France comme ayant précipité l’accession à l’indépendance de pays du Pacifique pas suffisamment prêts, notamment du point de vue de la formation de leurs personnels politiques, pour gérer
efficacement les destinées de leurs pays. Inversement, il fut reproché à la France de
craindre une théorie des dominos : la perte des autres territoires océaniens : à commencer par la Nouvelle-Calédonie, puis la Polynésie française où étaient menés les
essais nucléaires français depuis l’indépendance de l’Algérie (où ils avaient lieu auparavant.)
Dès lors la position de la Grande-Bretagne sur les Nouvelles-Hébrides, à l’inverse de
celle de la France, n’était pas de savoir s’il fallait ou non accorder une indépendance,
mais à quel moment l’accorder. Au cours des années 1970, la France se résoudra à son
tour à accepter l’idée d’une indépendance. Toutefois, certaines autorités administratives
et certains francophones continuèrent à caresser jusqu’au bout, l’idée qu’un désengagement britannique était une chance pour la France de continuer à diriger seule les
Nouvelles-Hébrides.
Une conséquence de ces antagonismes fut de modeler la formation des partis politiques modernes du pays sur le clivage d’une opposition entre anglophones (soutenus
par l’Angleterre et l’Australie) et francophones (soutenus par la France). Les premiers
insistaient sur la proposition d’une indépendance immédiate et d’un pouvoir centralisé,
les seconds favorisaient la perspective d’une indépendance différée et des structures
constitutionnelles fédéralistes. Les premiers partis politiques :
Le New Hebrides National Party (NHNP) trouve son origine dans une association,
l’Association Culturelle des Nouvelles-Hébrides (ACNH), qui reprenant les grands che-
Le s partis fr ancoph ones – les Modérés
À la différence du NHNP, qui prônait une indépendance immédiate, ces partis
politiques préconisaient une approche progressive, étape par étape, vers
l’indépendance, proposant le milieu des années 1980 pour une indépendance
totale. Leur approche modérée de l’indépendance leur valut cette description
pendant la première élection de 1975. Ces partis étaient principalement
francophones, à la fois indigènes et expatriés.
En route vers l’indépendance : les années 1970 à 1980
123
vaux de bataille du Nagriamel, militait pour la restitution des terres aux Mélanésiens
et pour la promotion de leur culture. L’ACNH était elle-même le fruit d’un rapprochement entre deux représentants de l’Eglise presbytérienne originaires de Lelepa, Donald
Kalpokas et Peter Taurakoto, et d’un éminent pasteur de l’Eglise anglicane, le Révérendpère Walter Lini originaire du nord de Pentecôte. Tous les trois étaient favorables à la promotion d’une identité commune fondée sur la référence aux traditions mélanésiennes.
Alors que certains de ses points de vue principaux pouvaient paraître similaires à
ceux du Nagriamel, la stratégie de l’ACNH était fondée sur une vision de la coutume en
harmonie avec les principes chrétiens et les besoins d’une organisation moderne.
En juillet 1971, l’Association Culturelle des Nouvelles-Hébrides organisa une manifestation pour soutenir la récente législation condominiale interdisant les subdivisions
foncières des grands domaines : 500 personnes défilèrent dans Port-Vila. Les protestations des Européens ne furent pas prises en compte, la loi ne fut pas modifiée, la subdivision des terrains prit fin et beaucoup de spéculateurs perdirent l’argent qu’ils avaient
investi. Cette manifestation fut la première démonstration publique de l’ACNH…
(MacClancy 2002 : 149).
L’expérience du condominium avait démontré que les intérêts des insulaires
n’étaient pas suffisamment protégés, en particulier en ce qui concerne les droits fonciers. Suite à l’élan recueilli par l’ACNH en secouant les gouvernements du condominium, la question de l’indépendance devint une force motrice importante et l’ACNH se
transforma en parti politique.
En août 1971, l’ACNH fut rebaptisé le New Hebrides National Party (NHNP).
Quelques mois plus tard, ce parti fut soutenu par un millier de membres mélanésiens ;
ces cadres politiques, en provenance essentiellement de Port-Vila et de Luganville (Sope
1977), étaient issus d’une classe moyenne anglophone en formation, qui avait bénéficié
du réseau des églises protestantes pour leur éducation et leur ascension sociale.
Le premier objectif du NHNP, tel qu’il est mentionné dans la constitution de ce parti
en 1974 consiste à : « Favoriser, préserver, rétablir et encourager la culture des NéoHébridais. Chercher les progrès sociaux, éducatifs et politiques des Néo-Hébridais en
relation avec la coutume et la civilisation occidentale ».
En janvier 1977, au congrès de ce parti à Tautu, à Mallicolo, le New Hebrides National
Party fut renommé le Vanua’aku Pati, signifiant « notre terre ». Si au moment de sa
création, le VP était un parti clérical, anglophile, urbain et moderniste, son organisation
bureaucratique lui permit également de prendre assez rapidement une orientation que
Jupp et Sawer (1982) qualifient de « populiste ». Il avait, par ses affiliations religieuses,
Vincent Boulekone, Kalkot MatasKelekele et Jean-Marie Leye
c.1978 (Vanuatu 1980 : 181).
124
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Un long chemin en avant vers l’indépendance– le MANH
Les Nouvelles-Hébrides auraient dû être indépendantes en 1984 ou 1985 — ce fut
l’un des points principaux soulignés par les responsables du parti politique MANH
pendant leur congrès de quatre jours tenu à différents endroits sur Ambae.
Le représentant du MANH à l’Assemblée pour Luganville, M. Georges Cronsteadt,
souligna ce point ; 1983 ou 1985 serait le bon moment pour l’indépendance, parce
qu’alors les gens pourraient prendre les bonnes décisions pour eux-mêmes et être
prêts à la fois politiquement et économiquement.
L’indépendance économique doit survenir d’abord, ensuite vient l’autonomie et
enfin l’indépendance. —New Hebrides News No.65 du 20 février 1977
des assises certaines dans le monde rural, dans lequel il a pu apparaître plus « grassroots » que ses concurrents francophones de la coalition dite des Modérés.
« Le VP peut être qualifié de ‘populiste’ dans le sens où il réunit les leaders les plus
cultivés qui disposent de partisans dans le monde rural (…) La majorité des délégués VP
(ou des organisateurs de communautés locales), par le biais des Églises, des coopératives ou des écoles, s’occupent de l’agriculture des villages ou sont au service des communautés rurales. Seuls, le Nagriamel et les John Frum détiennent eux aussi la capacité
d’organiser leurs partisans indigènes, et seulement dans des communautés bien précises » (Jupp et Sawer, 1982 : 562-563).
Rapidement après sa création, le New Hebrides National Party afficha ses positions
anti-françaises, tendance qu’il développa jusqu’à l’extrême au fur et à mesure des avancées vers l’indépendance.
Dans le cadre du Forum du Pacifique Sud, Walter Lini, futur Premier ministre VP du
Vanuatu indépendant, déclara en 1976 : « Nous condamnons vigoureusement l’attitude
négligente de la France à l’égard des droits de l’homme des peuples du Pacifique. Aussi
longtemps que la dernière des îles du Pacifique demeurera colonisée par la France, aucun d’entre nous ne sera libre » (Lini, cité par Plant, 1977 : 14).
La question du bilinguisme, en recouvrant des clivages politiques et les intérêts postcoloniaux des puissances de tutelle, devint l’enjeu central de tous les antagonismes
entre partis opposés. Le VP devint encore plus hostile aux intérêts français à partir du
moment où certains de ses partisans, dont notamment le Mouvement Autonome des
Nouvelles-Hébrides et le Nagriamel de Jimmy Stevens, s’engagèrent vers la sécession.
Les parties francophones – Les Modérés
Au début des années 1970, des expatriés francophones et des insulaires formèrent également des partis politiques pour représenter leurs intérêts. En décembre 1971, l’Union
de la Population des Nouvelles-Hébrides (UPNH) fut formée par quelques colons français et plus de 200 Mélanésiens francophones. Il préconisait la continuation du condominium, avec l’accès à la citoyenneté française pour les Néo-hébridais francophones.
En février 1974, une division interne du parti eut comme conséquence la formation
d’un groupe détaché, l’Union des Communautés des Nouvelles-Hébrides (UCNH). Les
Mélanésiens impliqués dans ce nouveau parti et certaines communautés étrangères
préconisaient une approche progressive vers l’indépendance.
En 1977, l’UCNH s’allia avec trois partis de Santo, le Tabwemasana (un parti à tendance francophone dont le centre était le village catholique de Port-Olry) et le Fren
Melanesian Pati et un parti « coutumier » du Centre Brousse de Tanna appelé Kapiel,
En route vers l’indépendance : les années 1970 à 1980
125
pour former la Tan-Union. Le Tan-Union réclamait un gouvernement interne autonome en 1978.
En janvier 1974, le Mouvement Autonomiste des Nouvelles-Hébrides (MANH) fut
formé. Il rassemblait principalement des planteurs français basés sur Santo et voulait
créer une structure politique aux Nouvelles-Hébrides semblable à celle de NouvelleCalédonie et de Polynésie française. Il forma une alliance avec le Nagriamel en 1974
jusqu’à la rébellion en 1980 (Beasant 1984 : 28) connue sous le nom de « Fédération
des indépendants » (FDI).
Avant 1975, l’organisation la plus proche d’une institution représentative des insulaires et des colons était le Conseil consultatif. Cependant, les membres de ce Conseil
étaient principalement désignés, plutôt qu’élus. En 1975, tous les partis indigènes récemment formés se présentèrent à la première élection d’une Assemblée représentative. Les résultats de cette élection, puis la dislocation de l’Assemblée représentative qui
en fut issue, accentua les différences de stratégies entre les nationalistes anglophones
du VP et les Modérés francophones.
L’extrait suivant est tiré d’une entrevue avec Vincent Boulekone, un francophone impliqué dans la lutte pour l’indépendance. Il décrit les débuts de l’UCNH et les points de
vue indépendantistes des Modérés.
Inglan, hem i wantem go kwik, be Franis i stap long olfala sistem blong hem. Inglan i talem
se, mi, mi save go. Franis i se no, mi stap. Sapos mi talem se bambae mi stap, bae yu no go.
From mi tu bambae mi agri yet blong givim Indipendens long yufala. So tingting nao long ol
franis man we i stap long ples ia oli luk se oli wik long ples ia. From Franis tufala i mas go.
Folem Protocol we i stap.
Long saed blong ol manples, plan blong olgeta se Indipendens bae i kam be i no mas kam
kwik. I no long 1977. Bae yumi givim 10 yia mo. So, long ples ia nao i krietem smol clash bitwin ol grup blong manples. Wan i se kwik taem, Walter Lini i se 1977, narafala i talem se, ‘No,
yumi go step-by-step.’ Olgeta we oli klem blong go step-by-step ia nao, olgeta ol Francophone.
Ale, mi stap tok ia from se mi ia nao. Olsem, mi wetem Gerard Leymang. Yumi wok wetem ol
waet man tu i kam wetem mifala. From naoia i nomo gat eni posibiliti. Mi askem long Franis
Gavman mifala tu, bae mifala i mas aot. Emia nao mifala i krietem UCNH.
Taem we UCNH i bon i gat ol Franis man i stap insaed. Mo i gat ol Inglis man tu i stap insaed. Ol plantas olsem Ernie Reid, mo Seagoe, mo ol man olsem. Long Luganville, Santo, i gat
ol narafala plantas, ol Franis man mo Inglis man. Olgeta tu, be olgeta long we oli krietem wan
narafala pati oli kolem MANH Pati. Long Vila, UCNH i bon.
Fes toktok blong UCNH i se Vanuatu i mas karem Indipendens blong hem, be, step-bystep. Mi mi kam Secretary-General, evri samting nao mi stap raetem, polisi, ol tingting, olsem… [UCNH] i fomem wan gud komiuniti. I no minim se sakemaot evri man. Yufala ol waet
man, ol haf-kas, ol sinua, yufala i mas pat blong tingting, yufala i mas kam pat blong niufala
nasonel komiuniti we bambae i bon afta Indipendens. Evriwan bae i pat blong hem. Emia nao
nem blong pati emi Union des Communautés des Nouvelles-Hébrides.
—Entrevue par Anna Naupa, le 10 septembre 2004
Questions de compréhension
1. Quelle était la différence principale entre le NHNP et les partis modérés
concernant leurs points de vue sur l’indépendance ?
2. Pourquoi la citoyenneté française aurait-elle été un moyen d’attirer les insulaires
126
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
pour rejoindre l’UPNH ?
3. Pourquoi est-il important pour des représentants d’être élus plutôt que nommés ?
Activité de discussion
Lisez l’article de journal concernant le MANH. En classe, organisez un débat
pour savoir si l’indépendance économique aurait dû précéder (se produire avant)
l’indépendance politique.
La demande officielle d’indépendance
La pétition aux Nations Unies
En août 1973, le NHNP a envoyé une lettre aux Nations Unies, au gouvernement
français et au gouvernement britannique pour exiger l’indépendance des NouvellesHébrides. L’extrait suivant est tiré de cette lettre :
Le New Hebrides National Party se souciant de la vie humaine, du développement libre des
indigènes des Nouvelles-Hébrides :
• affirmequ’ilestimpératifpourl’avenirduterritoirequ’ildisposed’unsystèmedegouvernance qui lui permette de développer son autonomie et sa stabilité.
• affirmequelesadministrationsbritanniquesetfrançaisesdoiventcesserimmédiatement
leur influence sur le territoire.
• affirme que les Nations Unies doivent immédiatement effectuer une mission aux
Nouvelles-Hébrides pour étudier la possibilité de l’établissement d’un système de gouvernement en collaboration avec le New Hebrides National Party.
• affirmequeladatedel’indépendanceseradécidéeaumoment,oùlanouvelleformede
gouvernement existera et fonctionnera sous l’égide des Nations Unies.
La Commission Spéciale des Nations Unies pour la Décolonisation adopta plusieurs
résolutions lors de sa 931e réunion, le 6 août 1973. Certaines sont décrites ci-dessous :
• LaCommissionSpécialeréaffirmeledroitinaliénabledupeupledesNouvelles-Hébrides
à l’autodétermination conformément à la déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux
pays colonisés et aux peuples, citée dans la résolution 1514 de l’Assemblée générale (XV)
du 14 décembre 1960.
• La Commission Spéciale réitère son regret profond face au refus continu des puissances concernées, à savoir la France et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, de coopérer avec la Commission dans sa considération de la question des
Nouvelles-Hébrides…
• LaCommissionSpécialeestattristéedesavoirquelesintentionsdespuissancesparrapport au respect de l’avenir du territoire n’aient pas encore été formulées clairement. À ce
propos, il est rappelé le souhait exprimé par l’administration britannique et par certains
indigènes de transformer rapidement le Conseil consultatif en une assemblée législative
et de créer une autorité exécutive locale…
• Encequiconcernelesdroitsfonciers,laCommissionSpécialeconsidèrequelesdésirs
des habitants indigènes de contrôler la vente de la terre doivent être respectés. Elle considère d’ailleurs que les responsables des transactions foncières devraient être désignés
parmi la population indigène concernée.
• La Commission Spéciale regrette que les conditions de scolarisation continuent à res-
En route vers l’indépendance : les années 1970 à 1980
127
ter loin derrière les préoccupations territoriales. Elle invite les pouvoirs administratifs à
considérer ce champ comme essentiel au développement des Nouvelles-Hébrides, car il
permet de préparer le peuple à prendre des mesures positives vers l’autonomie et le développement économique. — rapport A/9023/Add. 5 de l’Assemblée générale des Nations Unies
Pour aller plus loin
1. Examinez le champ lexical du rapport de l’ONU. Identifiez les mots qui
démontrent le soutien de la Commission de l’ONU à une indépendance des
Nouvelles-Hébrides. Quelle est la tonalité du rapport ?
2. Le dernier point du rapport évoque des inquiétudes dans le domaine de
l’éducation. Le NHNP a également présenté des observations sur ce sujet.
Pourquoi y avait-il une exigence d’éducation dans la lutte pour l’indépendance ?
Plus en détail – la position de la France
La position de la France à l’égard de ses territoires du Pacifique était liée
directement aux décisions prises par le gouvernement du Général de Gaulle,
devenu président de la République en 1958, selon lesquelles la tendance des
colonies françaises dans le Pacifique à vouloir leur autodétermination et peutêtre leur indépendance, devait être inversée. Les territoires français dans le
Pacifique étaient très importants pour les gaullistes qui cherchaient à renforcer et
promouvoir la puissance et le prestige de la France dans les affaires du monde.
Lorsque l’Algérie acquit son indépendance en 1962, la France a dû abandonner sa
zone d’essais nucléaires située dans le Sahara et s’est alors tournée vers les îles
reculées de la Polynésie française qui représentaient alors un candidat idéal.
Les conséquences de cette nouvelle politique pour le Vanuatu furent immenses
et permettent d’expliquer la réticence du gouvernement français à coopérer avec
le gouvernement britannique dans le domaine foncier. Le Vanuatu n’était pas un
territoire français mais simplement une zone d’administration mixte. Néanmoins,
au cours des années 1960, le gouvernement français commença à appliquer une
politique qui avait pour but d’accroître l’influence française au détriment des
Britanniques et visait finalement à permettre à la France de s’implanter dans les
îles du Vanuatu pour une durée illimitée.
— Communication personnelle Howard Van Trease
Questions de compréhension
1. Ce témoignage affirme que la volonté de la France était de garder aussi
longtemps que possible les Nouvelles-Hébrides sous tutelle coloniale Que
s’est-il finalement passé ?
2. Vouloir garder des territoires était-il, selon vous, la seule motivation de la France
pour différer l’accession de l’indépendance des Nouvelles-Hébrides ?
3. Lorsque les français et les britanniques ont accordé l’indépendance au Vanuatu,
128
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
d’autres puissances étrangères les ont-elles remplacées pour assister le
fonctionnement du nouvel Etat souverain ?
Un soutien croissant
L’Église et le mouvement indépendantiste
La participation de l’Église au mouvement indépendantiste était directement liée au fait
que les missions furent les vecteurs principaux de l’éducation des insulaires. Les gouvernements français et britanniques avaient été extrêmement négligents dans le domaine de l’éducation des insulaires en vue de leur autonomie, en dirigeant des écoles
primaires pour expatriés pendant des décennies, tout en laissant les Églises responsables de l’instruction des Mélanésiens.
Il a été reconnu qu’il y avait une opposition importante pour augmenter les opportunités scolaires des insulaires de la part de la communauté des planteurs français et de
l’administration britannique qui n’avait pas confiance dans les capacités scolaires des
insulaires (Van Trease, comm. pers. Octobre 2004). Le gouvernement français se sentait également menacé par la possibilité d’une élite instruite reconsidérant sa position
de tiers dans le pays.
Tous les dirigeants politiques du Vanuatu de cette époque devaient leur éducation
aux Églises. Vers la fin des années 1960 et le début des années 1970, le clergé était le
groupe mélanésien le plus instruit dans le pays. Ce lien entre Églises et éducation eut
comme conséquence le soutien ecclésiastique en faveur de l’indépendance.
Dans l’extrait suivant tiré du livre « Faire de deux pierres un coup » (2002), Jeremy
MacClancy décrit la participation de l’Église au mouvement indépendantiste.
Les Églises essayèrent d’adopter une position neutre vis-à-vis de ces mouvements politiques.
En 1973, l’Église presbytérienne fut la première à déclarer publiquement son soutien en faveur d’une autonomie rapide. Trois ans plus tard, la Conférence des Églises de l’Assemblée
du Pacifique se déclara défavorable à la poursuite du condominium et demanda instamment aux pouvoirs coloniaux d’accélérer le mouvement vers l’indépendance. Malgré les efforts de certains religieux, les gens mettaient en relation des Églises et des partis. Du coup, il
était presque impossible de ne pas mélanger religion et politique. On pensait que presbytériens et anglicans soutenaient obligatoirement le NHNP, et les catholiques les partis modérés. (MacClancy 2002 : 151).
L’Église anglicane et surtout l’ Église presbytérienne ont fourni au VP son modèle d’organisation et sa logistique. Le VP s’est appuyé sur ses réseaux nationaux et internationaux (notamment l’Église presbytérienne australienne et le World Council of Churches)
(Huffer, 1993 : 77). La référence par le VP à une kastom expurgée de toute trace de paganisme permit de rassurer un certain nombre de communautés Seven Day Adventist
et Church of Christ, et suscita à l’inverse, pour des raisons historiques et idéologiques,
une forte opposition parmi les communautés et groupes affiliés aux mouvements John
Frum et Nagriamel. A la veille de l’indépendance, Walter Lini rappela son attachement à
l’Église, et le rôle qu’il espérait la voir jouer à l’avenir :
L’Église doit-elle faire de la politique ? Ma réponse est oui. Elle doit faire de la politique car
l’Église et la politique sont les deux faces d’une même médaille : l’existence de l’homme
En route vers l’indépendance : les années 1970 à 1980
129
ou la vie de l’homme. L’Église est un corps qui doit élever les standards moraux de la justice. La politique influence le jugement moral en abolissant ce qui est ancien et injuste et en
créant de nouvelles structures permettant de rendre les jugements équitables, pour que tout
homme soit protégé de l’exploitation ou de la privation de ses droits comme être humain, et
de même pour toute nation parmi les autres nations (...). L’Église doit faire de la politique,
car son rôle aujourd’hui n’est pas tant concerné par les individus que par les gouvernements
responsables du changement des système et des structures pour que justice se fasse. (Lini,
1980a : 19).
Dans le « British Information Service Bulletin » (bulletin d’information britannique),
« News in the New Hebrides », Père Gerard Leymang écrivit au sujet du « christianisme
et de la politique » dans les mois précédant l’indépendance. L’extrait suivant est adapté
de son article écrit dans la première parution du bulletin le 30 octobre 1979.
Nous avons proclamé, dans le préambule de notre Constitution des Nouvelles-Hébrides, que
« l’établissement de la République libre et unie des Nouvelles-Hébrides est fondé sur les valeurs mélanésiennes traditionnelles, la foi en Dieu et les principes chrétiens. ».
Avant de laisser le gouvernement d’Unité Nationale et à la lumière de ce que j’ai éprouvé
et entendu, permettez-moi de faire un certain nombre de commentaires personnels sur les
principes chrétiens de notre Constitution.
• L’indépendance de la religion par rapport à la politique : il existe une séparation entre les
concepts politiques et le salut de Dieu.
• La politique est indépendante de la religion : les situations politiques sont basées sur les faits
et suivent une certaine méthodologie. Celles-ci [les méthodologies politiques] ne dépendent pas toutes de la religion, bien qu’elles doivent impliquer le respect d’autrui. Pour
la foi chrétienne, il n’y a pas de Tabwemasana, pas de Vanua’aku Pati, mais plutôt des
hommes, déchirés entre leur foi et leurs sentiments politiques. Certains répondront que
notre coutume néo-hébridaise ne se différencie pas tellement finalement de la religion et
de la politique… mais la distinction entre religion et politique est essentielle pour nous
permettre d’éviter de refaire les erreurs que nous subissons aujourd’hui dans le Pacifique
et aux Nouvelles-Hébrides.
La participation de l’Église dans la politique des années 1970 a fourni un appui important au mouvement vers l’indépendance.
Pour aller plus loin
Pourquoi les presbytériens et les anglicans décidèrent-ils de soutenir le National
Party et les catholiques de soutenir les « modérés » ?
Activité de discussion
En classe, organisez une discussion au sujet du rôle de la religion dans la politique.
La première moitié de la classe plaidera pour la séparation de la religion et de
l’Etat, l’autre moitié soutiendra l’utilisation de la religion dans la politique. Relisez
l’opinion de Gérard Leymang pour en reprendre les grandes idées.
Expressi on écrite
Écrivez un essai au sujet du rôle de la religion dans la politique. Est-ce que
M é t h o d o l o gie : manière
de procéder
130
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
les pasteurs et les prêtres devraient être des chefs politiques ? Quels sont les
avantages et les inconvénients de combiner Église et état ?
Le rôle des médias : Redéfinition de la coutume
Lissant Bolton, une anthropologue australienne, a écrit un article intitulé « Radio and
the Redefinition of Kastom in Vanuatu » (1999) qui soutient le fait que la radio a joué un
rôle significatif dans la promotion d’une identité nationale, par le biais d’un discours officiel sur les valeurs de la coutume. Alors que beaucoup de missionnaires et de fonctionnaires du gouvernement considéraient la coutume comme négative, dans les années
1970, Radio Vila a défendu le concept de la coutume comme une caractéristique importante pour la définition d’une identité nationale. La coutume (kastom) a uni les îles et a
favorisé une identité qui était nettement différente de celle des puissances coloniales.
Rh étorique : moyens
de persuasion, art du
discours, éloquence
Des discussions concernant la coutume — débats au sujet de sa validité comme base de l’indépendance et pour savoir quel parti politique était le plus légitime pour représenter la coutume — furent diffusées sur les ondes radio. La coutume devint, à cette période, une partie
de la rhétorique du nationalisme Néo-Hébridais, une façon pour les politiciens et les autres
de caractériser la nation et d’en affirmer sa valeur et son importance.
L’identification de la coutume comme caractéristique qui rend le Ni-Vanuatu différent
joua même sur la façon dont la coutume elle-même était comprise… N’étant plus considérée
comme une manifestation de l’obscurantisme et du paganisme, la coutume était définie non
seulement comme bonne, mais aussi comme cruciale pour la caractérisation positive de la
nation nouvellement indépendante.
Cette caractérisation positive de la coutume atteignit son paroxysme en décembre 1979
avec le premier festival national des arts, qui eut lieu à Port-Vila.
L’organisateur du festival, Godwin Ligo a indiqué que le festival « a provoqué une prise de
conscience parmi les Ni-Vanuatu par rapport à l’importance et l’éclat de leur propre culture.
Ils réalisèrent également l’importance de développer et de préserver la culture, la coutume et
les traditions afin de renforcer l’identité nationale. Le premier festival des arts se déroula à un
moment essentiel de l’histoire du Vanuatu et montra au monde son identité, qui était leur passeport à travers la porte de l’indépendance en tant que « Ni-Vanuatu » (Bolton 1999 : 350-351).
Ambong Thompson est conservateur au département audiovisuel du Centre Culturel.
Il travaillait pour le service d’information britannique basé à Port-Vila vers la fin des années 1970. Il aida à la diffusion d’émissions de radio qui dépeignaient la signification de
l’indépendance.
1978 mi stap wok wetem British Gavman. Long taem ia i bin gat British Gavman, Franis
Gavman mo condominium. Wok blong mi long taem ia, mi stap helpem hem blong sanem
ol samting blong buk long ol skul blong British Gavman truaot ol aelan. I no bin gat tumas
aepot long taem ia. Men transport we mifala i bin yusum blong sanem ol buk i go long aelan hem i sip.
Long ‘79 i gat wan vacancy long British Information Service (BIS). Long taem ia i bin
gat informesen sevis blong Franis Gavman tu. Mi bin aplae blong kam olsem Assistant
Information Officer long BIS. Mi transfer ofis long infomesen sevis. Mifala we i wok long
taem ia, i gat mi, Joe Carlo, Agnes Kalkoa, Bob Makin, Jonas Cullwick long Lolam Haos.
Olgeta we oli wok long Franis infomesen, olgeta i bin wok long Franis Residency antap.
En route vers l’indépendance : les années 1970 à 1980
131
Mifala i bin wok long 1979, taem ia tu olsem process blong kasem indipendens, wok
i stap go hed. So, mi bin joenem infomesen sevis long taem ia mo oli stap tingting blong
yusum Radio Niu Hebrides plante long saed blong indipendens. Oli wantem yusum radio
plante blong putum ol infomesen insaed blong brodcastem ol infomesen ia i go aot long evri
man aelan, blong mekem se oli awea se Vanuatu bae i kasem Independens. So mos long ol
radio program mo interview we mifala i mekem long taem ia… mi stap tokabaot radio be
taem ia tu i bin gat wan niuspepa we mifala i lukaotem we oli kolem ‘British Information
Newspaper’… Radio Niu Hebrides long taem ia, wok blong hem i blong traem long mekem
pipol i awea long infomesen long Indipendens. Olsem, plante pipol oli harem se bae yumi
kasem indipendens be oli no save se indipendens hem i wanem, mo wanem process nao
yumi mas go tru long hem blong kasem indipendens.
— Entrevue par Anna Naupa, le 9 septembre 2004
Le service d’information français contribua également à la formation d’une conscience
nationale basée sur la coutume. Paul Gardissat, un Français, rassembla des contes et légendes et les diffusait sur les ondes radio. Il inventa la phrase en bichelamar « kastom,
kalja mo tradisen » comme jingle de son émission. Ses auditeurs lui envoyaient souvent
des contes de leurs régions pour les partager avec le reste du pays via les ondes radio.
Les histoires orales étaient également éditées dans le journal français, Nabanga. Son
travail fut depuis compilé dans un livre intitulé Nabanga (2004).
Questions de compréhension
1. Comment Bolton définit-elle la coutume ?
2. D’après Thompson, comment Radio New Hebrides fut-elle principalement
utilisée en 1979 ?
3. Était-il facile de voyager dans tout l’archipel pour diffuser les informations ?
Pour aller plus loin
1. Pourquoi la radio était-elle un des moyens les plus puissants et les plus efficaces
pour transmettre une idée comme la nationalité ?
2. Pourquoi l’émission de radio de Paul Gardissat était-elle populaire dans les îles ?
3. Écoutez-vous la radio ? Quels sont les autres types de médias existants
aujourd’hui au Vanuatu ? Quel genre d’information entendez-vous fréquemment ?
Enquête
Interrogez quelqu’un qui se rappelle avoir écouté la radio pendant les années
précédant l’indépendance. Demandez-lui de rappeler ses souvenirs au sujet des
différentes émissions et commentaires qui étaient diffusés sur la radio.
La coutume dans le discours du Nagriamel
Jimmy Stevens cherchait à faire de la coutume sa propre idéologie et de fonder sur elle
la légitimité du Nagriamel :
Le Nagriamel fait partie d’une fédération, d’un État que nous appelons Natakaro. Dans la
Constitution du Nagriamel, Natakaro représente toutes les Nouvelles-Hébrides. Hélas, quand
132
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
les Blancs sont arrivés ici, ils ont remplacé le nom et la notion de Natakaro par ‘NouvellesHébrides’. Avant que les Blancs n’arrivent, il avait une loi que certains nommaient Natama ou
Namangi qui excluait toute autre loi pour régir le pays » (Stevens, cité par Bernard, 1983 : 73).
Stevens, tout en posant des revendications censées être démocratiques (que l’on retrouvait par exemple dans des slogans du type « individual rights for everybody » lancés en
des occasions publiques par les membres du Nagriamel) (Beasant, 1984 : 61), cherchait à tout prix à conserver l’aspect communautaire du Nagriamel, en plaçant la coutume au-dessus de toute autre considération : « Si vous voyez quel-qu’un aller nu, cet
homme est un des vôtres, vous peuple nu de Santo. Quelqu’un qui va nu, vous pouvez
voter pour lui » (Stevens cité par Philibert, 1990b : 458). Il s’agissait pour Stevens de
préserver les man-bush de la « politique » (politik), en assumant seulement lui-même
cette « contagion ».
Appliquée à des situations concrètes, la position de Stevens d’une individualité incarnant organiquement son peuple, lui permettait de justifier ses actes les plus arbitraires, comme par exemple l’expulsion de Mélanésiens originaires des autres îles :
Parce que c’est la coutume. Natakaro a parlé ! Natakaro dit : ‘vous pouvez rester ici si vous
vous conformez à la coutume, mais si vous voulez installer votre pouvoir contre la coutume,
vous devez vite retourner chez vous’. Ceci n’est pas la déclaration d’un seul homme mais la
voix de la coutume, de la coutume qui a toujours existé... Aussi, aujourd’hui, les gens qui
habitent Santo doivent voter pour la coutume de Santo. S’ils veulent voter ‘politique’, ils
doivent retourner chez les gens du Vanuaaku. Moi je crois que ce parti vient de NouvelleZélande et d’Australie, mais voilà, les Noirs ne peuvent pas aller vivre en Nouvelle-Zélande
ou en Australie (Stevens, cité par Bernard, 1983 : 73).
Le véritable tournant dans l’évolution politique du Nagriamel se situe vers 1976, lors
de sa rupture définitive avec le Vanua’aku Pati et les élites occidentalisées émergentes.
Le VP ne cessera, depuis ce moment, de dénoncer Jimmy Stevens pour avoir rejoint les
Français, et réciproquement, ce dernier n’aura de cesse d’accuser les membres du VP
d’avoir « quitté la coutume et rejoint l’homme blanc » (Van Trease, 1987 : 168).
La fièvre de l’indépendance
Man if estat i o n   :
démonstration collective,
publique et organisée
d’une opinion
De plus en plus de manifestations
Les années 1970 furent une décennie de protestations et de manifestations. Ce fut une
période où les insulaires se rassemblèrent pour exprimer leurs opinions politiques, que
ce soit sur les droits de l’homme, la politique ou encore les enjeux fonciers et sociaux.
Dans l’ensemble des îles, les gens organisèrent des marches et manifestèrent pour leurs
convictions politiques.
Les manifestations sont une manière de faire évoluer les situations existantes.
Avez-vous déjà participé à une marche ou connaissez-vous quelqu’un qui y a pris
part ? Quelle en était la cause ? Qui organisait cette marche ? Quel en a été le
résultat ? Qu’est-ce qui a été réalisé grâce à cette action collective ?
En route vers l’indépendance : les années 1970 à 1980
133
Les gens d’Ifira dans la baie de Port-Vila furent impliqués dans des contestations foncières avec des colons du condominium durant les années 1960-1970. Ces conflits portant
sur la terre étaient particulièrement importants étant donné l’implication de certains leaders du NHNP (Barak Sope et Kalkot Matas-Kelekele) et les intérêts fonciers à Port-Vila, le
centre administratif des deux administrations coloniales (Van Trease 1987 : 204-205).
Le 1er février 1977, 300 personnes originaires de South West Bay à Mallicolo manifestèrent et exigèrent la restitution des terrains coutumiers. Les habitants du village de
Tautu au nord-est de Mallicolo protestèrent contre le développement de l’aéroport de
Norsup sur des terres qu’elles considéraient malhonnêtement aliénées. Le 3 mars 1977,
une double manifestation eut lieu à Port-Vila. Le Tan-Union et la FDI (Fédération Des
Indépendants) organisèrent un rassemblement « pour sauvegarder nos avancées vers
une indépendance sereine et paisible ». Le Vanua’aku Pati manifesta également pour
soutenir les mêmes objectifs. Il y avait 1400 personnes dans les rues. Le 5 mars 1977,
une protestation importante au sujet des terres se déroula à Mele (Efate). Un millier de
villageois de Mele marchèrent pour revendiquer des terrains appartenant à l’Église catholique et en exiger la restitution à leurs propriétaires coutumiers (Plant 1977 : 117)
Les terrains aliénés et les revendications foncières étaient souvent les causes des manifestations des années 1970. Les aliénations foncières les plus importantes s’étaient
produites dans seulement quatre îles : Efate, Epi, Santo et Mallicolo. Néanmoins, les
Mélanésiens, originaires de tout l’archipel et majoritairement affiliés à un parti politique, soutenaient les tentatives de reprise de contrôle des terrains perdus pendant la
période coloniale.
Les insulaires purent ainsi, à travers ces manifestations, exprimer leur volonté. Le
A gauche : Manifestation pour
la francophonie le 25 juin
1977. Ce fut la plus grande
manifestation organisée
pendant l’ère du condominium
(MacClancy 2002 : 157). A droite :
Manifestation des habitants de
Mele en 1977 pour que la terre
des alentours de Mele soit rendue
à ses propriétaires traditionnels
(MacClancy 2002 : 155).
134
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
fait d’être unis dans le soutien aux revendications foncières et à l’indépendance montra
aux puissances coloniales le sérieux de leurs exigences.
Frén ésie : agitation, fièvre
Les inquiétudes des francophones
La frénésie des partis politiques, la tension croissante entre anglophones et francophones et les déclarations fortes du Vanua’aku Pati sur la question de la langue, alimentèrent beaucoup les inquiétudes des insulaires francophones qui craignaient d’être mis
de côté. Jeremy MacClancy (2002 : 140) a exposé leurs craintes :
Puis à la mi-juin, le VAP proposa, lors de son sixième congrès, que l’Anglais soit la principale langue européenne d’enseignement dans les écoles primaires et secondaires. Horrifiés
par les implications de cette proposition, les enseignants français, les parents des enfants et
les anciens élèves des écoles françaises participèrent le 25 juin à la plus grande marche jamais organisée à Port-Vila : ils marchèrent du Monument aux Morts jusqu’au quartier général du VAP où ils essayèrent de soumettre une pétition.
L aquais : serviteurs
Le changement de nom du NHNP en Vanua’ aku Pati (VAP) en 1977 marqua l’intensification du dévouement de la part de ses meneurs politiques à reprendre les terres
aliénées et à s’engager dans l’indépendance. Le VAP renforça également ses positions anti-françaises, considérant les Mélanésiens francophones comme les laquais
de la puissance coloniale. Ce ressentiment ne fut pas la meilleure manière d’unir les
Mélanésiens à une cause commune, et compliqua la lutte pour l’indépendance en dressant les uns contre les autres.
Pour aller plus loin
1. Quelles étaient les implications de la proposition du VAP, qui effrayaient les
francophones ?
2. Comment la dénonciation des Francophones a-telle pu affaiblir la lutte pour l’indépendance ?
3. Pourquoi le VAP a-t-il pris cette position ?
Slogan et logo du Vanua’aku Pati.
Activité de discussion
À la suite des déclarations du sixième congrès et après la manifestation pour la
francophonie, le VAP modifia sa politique et inclut le Français et l’Anglais comme
langues principales d’enseignement dans les écoles. Aujourd’hui, le Vanuatu
possède trois langues officielles : le Français, le Bichelamar et l’Anglais. Comment
cela conditionne-t-il notre quotidien ?
Le gouvernement provisoire du peuple (GPP)
Le 29 novembre 1977, des élections furent tenues pour qu’une nouvelle assemblée législative remplace l’Assemblée représentative défaillante. Lorsque les gouvernements
britanniques et français eurent refusé les exigences du Vanua’aku Pati de créer un
vrai gouvernement autonome après des élections et un scrutin majoritaire (ainsi que
l’abaissement de l’âge de vote à 18 ans), le VAP boycotta l’élection. Par conséquent, les
En route vers l’indépendance : les années 1970 à 1980
135
puissances coloniales déclarèrent que tous les députés avaient été « élus sans contestations » et George Kalsakau d’Ifira fut choisi comme premier ministre.
En réponse à ces événements, le VAP leva son drapeau le 29 novembre 1977 et proclama le gouvernement provisoire du Peuple (Beasant 1984 : 41). Le drapeau rouge et
noir du GPP fut brandi dans les centres de l’ensemble des îles. Cela entraîna des frictions à Santo, où des protestataires brûlèrent le drapeau. À Port-Vila, les opposants au
Vanua’aku Pati se rassemblèrent en dehors des bureaux du Parti pour les empêcher de
lever le drapeau.
Après des discussions prolongées avec les autorités de condominium, le VAP suspendit le GPP le 11 avril 1978. L’âge de vote fut abaissé à 18 ans, et le « Plan Dijoud »,
connu pour appeler à un Gouvernement d’Unité Nationale, fut adopté.
Plus en détail – le Plan Dijoud
L’extrait suivant est tiré de « The Santo Rebellion » (1984) de John Beasant et décrit la
formation du « Plan Dijoud » en 1978.
En août 1978, Paul Dijoud, le nouveau secrétaire d’État français pour les départements et
territoires d’outre-mer, inspecta le condominium et fit une série de propositions qui furent
rapidement connues comme le « Plan Dijoud ». Elles furent conçues pour débloquer
l’impasse [entre les indépendantistes et les gouvernements français et britanniques], mais
pour produire également un gouvernement et une constitution favorable aux intérêts français
et francophones (Beasant 1984 : 42).
L’extrait suivant de « The Politics of Land in Vanuatu » (1987) de Howard Van Trease
décrit plus en détail le Plan Dijoud.
Le Plan Dijoud […] requit : l’établissement d’un Gouvernement d’Unité Nationale,
un nouveau recensement, l’écriture d’une Constitution qui garantit le régionalisme,
la conservation de la langue et de la culture françaises, le concept de représentation
proportionnelle dans la formation de l’Assemblée nationale pour la reconnaissance des droits
des minorités et une nouvelle élection suivant le recensement (Van Trease 1987 : 232).
Les Français bénéficieraient du plan, car il leur permettrait de protéger leurs intérêts.
Les Anglais soutenaient le plan puisque le Gouvernement d’Unité Nationale incluait
le Vanua’aku Pati dans le gouvernement et éviterait la menace d’un futur désordre et
d’une indépendance retardée. Tous les partis politiques s’entendirent sur la création
d’un Gouvernement d’Unité Nationale, bien que le Vanua’aku Pati discutait le fait que
les nouvelles élections devaient être tenues avant que la Constitution ne soit rédigée de
sorte qu’un corps représentatif l’approuve (Beasant 1984 : 42).
Pour aller plus loin
1. Pourquoi était-il important d’effectuer un recensement avant l’élection ?
2. Comment le Plan Dijoud se rapporte-t-il aux inquiétudes francophones décrites
auparavant dans le chapitre ?
D é b l o q u e r : ouvrir la
route, trouver une solution.
136
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Pour réaliser un Gouvernement d’Unité Nationale, un vote de censure fut organisé le
21 décembre 1978 contre Kalsakau. Le père Gérard Leymang fut choisi comme Premier
Ministre, et un certain nombre de leaders du VAP obtinrent des postes de ministre. Ceci
permit un remaniement ministériel du gouvernement de la Tan-Union élu en 1977.
Dans un autre extrait, Beasant (1984 : 42) écrit :
La discussion fut intense par rapport à la nomination du Premier Ministre et le nombre de
ministères à attribuer au Vanua’aku Pati. Un accord fut, en fin de compte, conclu au début de
décembre et dans les quinze jours le gouvernement de la Tan-Union fut démis par la motion
de censure. Père Gerard Leymang de l’UCNH fut élu Premier Ministre et le Gouvernement
d’Unité Nationale se composa de dix ministères, dont cinq donnés au Vanua’aku Pati.
Les portefeuilles ministériels furent distribués de la façon suivante :
Premier ministre
Vice premier ministre et ministre des Affaires sociales
Ministre des Finances
Ministre des Affaires intérieures
Ministre de l’Éducation
Ministre de la Santé
Ministre des Travaux publics
Ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Tourisme
Ministre des Transports et de la Communication
Ministre des Ressources naturelles
Gérard Leymang (UCNH)
Walter Lini (VAP)
Guy Prevot (UCNH)
Maxime Carlot (UCNH)
Donald Kalpokas (VAP)
John Naupa (VAP)
George Kalkoa (VAP)
Aimé Malere (MANH)
Luke Dini (UCNH)
Thomas Reuben Seru (VAP)
La Constitution fut publiquement signée le 5 octobre 1979. De nouvelles élections
eurent lieu le 14 novembre de la même année.
Plus en détail – la Constitution de la nouvelle nation
Une des principales conditions du Plan Dijoud était l’écriture d’une Constitution précédant l’indépendance. La Commission de rédaction fut composée des représentants
des différents partis nationaux. Chaque parti et groupement religieux dépéchèrent une
délégation. Les puissances coloniales contribuèrent en dépêchant deux experts juridiques pour aider à la rédaction de la Constitution : le Français Charles Zorgbibe et le
Britannique Yash Gai pour la Grande-Bretagne.
La rédaction de la Constitution unit les meneurs des différents partis politiques qui
étaient prêts à travailler ensemble pour le bien du pays, en dépit d’avis différents sur un
certain nombre de questions principales.
Comme le Chef Vincent Boulekone l’écrivit dans une lettre au président de l’UCNH,
Jean-Marie Leye, par rapport à sa défection du parti en 1978 :
Je veux travailler avec mes compatriotes et ne pas être un outil à leur disposition. Je me rends
compte que les membres de l’UCNH ne soutiennent pas les aspirations des Mélanésiens qui
cherchent à travailler et discuter avec leurs frères qui ne sont pas membres de l’Assemblée
[c.-à-d. membres du VAP] (Van Trease 1987 : 232).
En route vers l’indépendance : les années 1970 à 1980
137
Le cocktail de la constitution devait se tenir à 19 h au restaurant l’Houstalet. Mon
mari me demanda d’être prête pour cette heure. Avec les autres épouses des leaders
politiques, nous avons attendu et attendu. Mais le comité continua d’y travailler
jusqu’au matin suivant, et arriva pour le petit-déjeuner.
— Anne Naupa, septembre 2004
Père Gérard Leymang debout
à droite du père Walter
Lini pour la signature de la
Constitution, le 5 octobre
1979 (Vanuatu 1980 : 189)
Les mots de Boulekone signifiaient un changement d’opinion parmi certains dirigeants
francophones. Les citations suivantes furent prononcées par des membres de la
Commission de rédaction et leurs familles durant une conférence publique tenue au
Campus Emalus de l’Université du Pacifique Sud (USP) à Port-Vila en l’honneur du 25ème
anniversaire de la signature de la Constitution.
Le nom Vanuatu (signifiant dans une des langues de l’archipel « le pays qui se tient
La constitution fut écrite très rapidement, en environ 3 ou 4 mois. Elle est
probablement la plus courte au monde ! —Kalkot Matas-Kelekele, septembre 2004
Ce fut un défi énorme d’écrire une constitution différente des deux systèmes
gouvernementaux. Nous dûmes décider de la direction à prendre pour le pays.
—Ati George Sokumanu, septembre 2004
J’étais une représentante de l’Église et de la société. Nous avons défendu les principes
chrétiens des fondements des Nouvelles-Hébrides. —Madeleine Kalchichi, sept. 2004
138
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Nous eûmes des réunions et des discussions au sujet de l’ébauche chez Barak Sope
à Malapoa, ces soirées se terminant souvent vers 2 h du matin. Quand le temps fut
venu de présenter l’ébauche dans les îles, je partis pour Tongoa et les îles Shepherds
avec le chef Kalsakau. Nous y allâmes en bateau, mais le moteur nous fit défaut et
nous obligea à employer du bois de construction pour pagayer jusqu’à Tongoa !
—George Pakoa Tarimanu, septembre 2004
debout » ) de la nouvelle république fut choisi par le gouvernement pendant cette période.
Quand une première ébauche de la Constitution fut achevée, elle fut présentée dans
toutes les îles pour gagner le soutien de toutes les communautés. Chaque groupe se
rendant dans les îles incluait des représentants de chaque affiliation politique et religieuse.
Comme le jour de la signature de la Constitution approchait, la Commission de
rédaction travailla dur, et ce, jusqu’à des heures tardives.
La Constitution fut signée le 5 octobre 1979. Les gouvernements français et
britanniques approuvèrent la Constitution rédigée par des insulaires. Les élections
pouvaient désormais être tenues pour élire un nouveau gouvernement qui mènerait les
Nouvelles-Hébrides à l’indépendance.
Pour aller plus loin
1. La rédaction de la Constitution fut un travail difficile, en particulier parce qu’elle
posait les règles de base du bon fonctionnement de la nouvelle nation. Pourquoi
est-ce important pour une nation d’avoir une Constitution ?
2. Les membres de la Commission de rédaction ont présenté l’ébauche de la
Constitution dans toutes les îles. Pourquoi était-ce nécessaire de le faire ?
3. La rédaction de la Constitution incluait à la fois les avis de certains francophones
et des anglophones, c’était une étape préalable requise pour conduire à la
formation d’une nouvelle nation. Si vous deviez lister les différentes branches de
la société vanuataise qui devraient être représentées pour n’importe lequel des
amendements à la Constitution aujourd’hui, qui incluriez-vous ?
L’élection de novembre 1979 et ses conséquences
L’élection se déroula le 14 novembre 1979. Presque deux ans, jour pour jour, après l’instauration du Gouvernement Provisoire du Peuple par le Vanua’aku Pati, Walter Lini fut
élu Premier Ministre à une majorité des deux tiers. Le VAP remporta 26 des 39 sièges
à l’Assemblée avec un total de 62.3 % des suffrages. Cette majorité des deux tiers lui
donnait le pouvoir de changer la Constitution s’il le souhaitait. Chose intéressante, le
gouvernement français, bien qu’il s’attendait à voir les francophones remporter les élections, exigea plus tard des révisions de la Constitution qu’il avait pourtant approuvée en
octobre 1979.
A Tanna, le rapport de force avait toujours été en faveur des coutumiers. Néanmoins,
lors du vote de l’assemblée constituante en 1979, l’engagement désordonné des trois
En route vers l’indépendance : les années 1970 à 1980
139
Poster de la campagne du
NHNP. Collection John Naupa.
partis locaux membres de l’alliance des Modérés à cette échéance électorale (John Frum,
Kapiel, Kastom) précipita la victoire des nationalistes du VAP. De par leur défaite, les
groupes coutumiers allaient prendre une orientation qui s’apparentait bien davantage à
une sédition à l’autorité du gouvernement central, qu’à une véritable tentative de sécession. Le dénouement en fut, dans l’île, la rébellion de mai/juin 1980.
La rébellion débuta par la capture des délégués régionaux du gouvernement, le 25
mai 1980, et fut suivie d’une opération armée de la milice britannique. Cette situation
explosive déboucha sur une tentative d’assaut du siège de l’administration à Isangel,
soldée par un affrontement armé, des blessés et la mort d’Alexis Yolou, le leader des
Modérés. Ces événements marquèrent la fin de l’expansion du mouvement des partisans de la kastom, en direction d’une légalité politique sur des bases autonomistes.
La répression qui s’ensuivit, s’exerça à la fois, à l’encontre des cadres politiques francophones engagés aux côtés des coutumiers (condamnation à un an d’emprisonnement
du Président Jean-Marie Leye) et des leaders John Frum (condamnation du député
Kapiel, Charlie Nako). La responsabilité des heurts incomba au seul camp des vaincus.
Les peines furent nombreuses mais, somme toute modérées. Ce souci d’apaisement ne
valait cependant pas sur un plan verbal. Les païens et John Frum furent qualifiés, par le
nouveau gouvernement, de terroristes, et les francophones, en général, d’agents du colonialisme français :
Des gens ont utilisé l’idée de « coutume » pour entièrement contredire les idées de développement et de démocratie dans ce pays. A Santo et Tanna la coutume a été portée à des
extrêmes par des gens qui revendiquaient de façon erronée leur respect des voies traditionnelles. En devenant entre leurs mains une arme politique, ils en font quelque chose de plus
du tout mélanésien […] Ce qui s’est passé à Santo et Tanna a clairement démontré au peuple
140
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
des Nouvelles-Hébrides, qu’au travers de leur opposition à l’indépendance, les soi-disant
Modérés ne sont vraiment pas des modérés. Ils sont des terroristes assoiffés de pouvoir, qui
ne toléreront aucun système démocratique (Lini, 1980a : 42).
Sécession n i s te :
indépendantiste, autonomiste
La mort de Yolou fut exploitée dans chaque camp, mais ne profita véritablement qu’aux
seuls nationalistes, alors qu’elle aurait très bien pu conduire au renversement du gouvernement VAP. Au même moment, Jimmy Stevens lança un mouvement sécessionniste à Santo et déclara que le Vemarana, le nouveau nom de l’État de Santo, suivrait sa
propre route pour l’indépendance. Il réclama que Tanna fasse également sécession des
Nouvelles-Hébrides de la même manière (Beasant 1984 : 80).
La rébellion de Santo
Jimmy Stevens et le Nagramiel à
Fanafo, 1980 (Shears 1980 : 58).
Dans la période de transition qui devait mener les Nouvelles-Hébrides à l’indépendance, la France encouragea l’hypothèse d’une structure largement confédérale de la
future république. Celle-ci devait laisser ouverte la voie d’une étroite association de
cet archipel avec la Nouvelle-Calédonie, afin d’éviter tout effet de contamination indépendantiste sur les autres territoires du Pacifique, et garantir ainsi le programme d’expérimentations nucléaires français en Polynésie. Parmi les sympathisants du VP, les
autorités françaises furent soupçonnées, du fait de leur soutien à l’idée d’une confédération, d’encourager une possible sécession de Santo. Pour le moins, les autorités françaises furent fidèlement informées des plans de Stevens, puisque lors de sa visite à
Paris au premier trimestre de 1980 en compagnie de Michael Oliver, chez qui il venait
de séjourner à Carson City, Stevens donna à Paul Dijoud, secrétaire d’État aux DOMTOM, les gages d’une association de Santo avec la Nouvelle-Calédonie. Il lui remit un
exemplaire de la Constitution de Natakaro signifiant une partition des quinze îles du
nord des Nouvelles-Hébrides (Beasant, 1984 : 68).
Le Nagriamel et la sécession de Santo
La Phœnix Foundation continua pour sa part à participer de loin aux menées séparatistes du Nagriamel, en l’intégrant dans un réseau d’influences internationales autour
du cas de Santo, et en finançant l’encadrement administratif du Nagriamel. La manifestation la plus médiatique de cette collaboration fut le plan monté par Oliver pour
transférer, sous l’égide de l’organisation Fatima International, 100 000 boat peoples
vietnamiens à Santo.
Dans ce fouillis d’alliances tacites et de collaborations déclarées, de spéculations diverses, d’entreprises coloniales sans véritable coordination, les élections de 1979 viendront faire l’effet d’un coup de pied dans la fourmilière. Les alliés du Nagriamel furent
mis devant le fait accompli quant à l’échec de leur stratégie légaliste. Les autorités françaises elles-mêmes en vinrent, dès ce moment, à s’accorder sur un double langage, acceptant la perspective d’une indépendance sous l’autorité d’élites anglophones, tout en
laissant ouvertes les solutions les plus extrêmes dans l’intention de préserver divers intérêts, plus ou moins incompatibles (ceux des petits colons à court terme, de la position
de la France dans le Pacifique à moyen terme et du maintien de la francophonie à long
terme).
La perte de ces élections provoqua un véritable choc dans le camp francophone. La
situation se dégrada très vite. Dans les heures qui suivirent son annonce, les premières
En route vers l’indépendance : les années 1970 à 1980
141
réactions se firent entendre à Santo : Jimmy Stevens déclara sur Radio Fanafo que les
élections avaient été truquées et proféra un certain nombre de menaces à l’intention
des membres du VP résidant à Santo. Les démonstrations de force et les intimidations
du Nagriamel et du parti Tabwemassana envers leurs opposants politiques se déchaînèrent. Les francophones et leurs infrastructures furent totalement épargnés des saccages
que subirent les antennes administratives et les locaux commerciaux des anglophones.
Tout envoi de troupes fut bloqué par l’inspecteur général Robert, contre l’avis des
Britanniques et des leaders du VP. Cette opposition des autorités françaises à toute intervention armée sur Santo persista durant les six mois suivants, jusqu’à la veille de
l’indépendance du pays en juillet 1980. Toutes les discussions et les tentatives de conciliation qui se succédèrent, semaine après semaine, échouèrent. Stevens évita autant
qu’il put ces négociations (bien qu’il accompagna fin février la délégation des partis
Modérés à Paris) et déclara, dès janvier 1980, que la voie d’une indépendance séparée pour les îles de Santo et Tanna était désormais un fait irréversible. Le 21 janvier, il
somma l’administration britannique d’interrompre ses activités à Santo et donna sept
jours à ses fonctionnaires pour quitter l’île (Beasant, 1984 : 80).
La réplique du gouvernement central à la proclamation d’un gouvernement de la
République de Vemarana à Santo fin janvier se fit attendre jusqu’à début mai, et prit la
forme d’une décision du conseil des ministres fixant le 30 juillet 1980 comme date ultime pour l’indépendance. Cette décision engendra en retour, dans la nuit du 27 mai, le
saccage du centre administratif britannique, des prises d’otages et le vol de munitions et
de dynamite par les sympathisants du Nagriamel. En cette occasion, ils s’emparèrent de
la municipalité de Luganville. Cette nuit agitée fut suivie au petit matin par un discours
de Stevens sur Radio Fanafo rebaptisée, entre-temps, du nom de Radio Vemarana :
Ceci est la voie de la délivrance et de la liberté, protégée et défendue par le gouvernement de
la Fédération Indépendante du Nagriamel, Santo, Nouvelles-Hébrides. Ceci est le service de
radiodiffusion situé approximativement à 25° de latitude sud et 168° de longitude ouest de la
planète terre ou Urantia, sous les limbes de la Voie lactée. Aujourd’hui est né le Vemarana.
Les gens de Santo lui ont donné ce nom et les gens de Santo travaillent pour son administration. Venez rejoindre le Vemarana, quelle que soit votre race, pour tous ensemble aider le
gouvernement de Vemarana à quitter le pays de Vanuatu. Le Nagriamel fut indépendant dès
1976, alors que, si nous avons bien compris, l’indépendance du gouvernement de Vanuatu
ne prendra effet qu’en juillet 1980. Soyez vigilants, car le Vanuatu indépendant n’est pas la
même chose que le Vemarana indépendant (Stevens, cité par Beasant, 1984 : 94).
Walter Lini accusa les Français de soutenir la rébellion. L’extrait suivant est tiré de « The
Politics of Land in Vanuatu » (1987) écrit par de Howard Van Trease. Il donne quelques
détails :
Il était évident que les fonctionnaires français connaissaient entièrement les plans de leurs
propres ressortissants et leur rébellion contre le gouvernement Lini et les encourageaient activement dans leurs efforts… Aucun des dirigeants et du personnel français ne fut attaqué
pendant cette rébellion et n’entreprit quelque chose à l’encontre des activités de ceux qui y
étaient impliqués. D’ailleurs, la Résidence de France maintenait le contact avec les rebelles
et ses fonctionnaires à Santo par radio que le gouvernement du Vemarana autorisa pendant
toute la durée du soulèvement. Le Commissaire Résident français […] approuvait pleinement
le concept de créer un gouvernement autonome pour Santo et avait annoncé publiquement
que les forces françaises seraient déployées à partir de Nouméa pour contrecarrer la mobili-
142
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
sation d’une armée volontaire des VAP.
Il est donc prouvé de façon accablante que les officiers supérieurs de la Résidence de
France étaient entièrement impliqués dans la rébellion sécessionniste, notamment en soutenant les colons et les commerçants français ainsi que la population métissée de Santo (Van
Trease 1987 : 254-255).
Le gouvernement français nia toute participation dans ce conflit, mais Lini exigea une
action militaire française et britannique pour apaiser la rébellion (Shears 1980 : 49).
À ce moment, le Vanuatu n’était pas encore indépendant et devait compter sur la puissance militaire des gouvernements français et britannique.
Questions de compréhension
1. En vous basant sur les commentaires des colons, décrivez l’attitude de certains
Français envers la rébellion de Santo.
2. Pourquoi le gouvernement des Nouvelles-Hébrides indiqua-t-il seulement aux
Anglais d’évacuer l’île ?
3. La rébellion fut-elle violente ?
Enquête
Interrogez quelqu’un qui se rappelle la période de la rébellion de Santo. Où était
cette personne quand la rébellion a éclaté ? Comment a-t-elle été informée de la rébellion ? Quelles nouvelles étaient diffusées au sujet des événements de Santo ?
Quel était le point de vue commun au moment du soulèvement de Santo ?
La répression des partisans du Vemarana
Dans les jours qui suivirent, le gouvernement élu de Vanuatu décréta un blocus total
de Santo, décision qui entraîna le départ de l’île de 2 000 résidents britanniques et mélanésiens anglophones. Le 2 juin, fut composé un Cabinet du Vemarana. Le 6 juin,
Stevens ordonna la libération de tous les otages. Durant tout le mois, la capitale, PortVila, connut à son tour une aggravation des tensions, suite à une grande manifestation
des francophones. Divers signes d’émergence d’une dissidence violente furent relevés.
Cette situation entraîna l’arrivée en renfort, le 15 juin à Port-Vila, de 200 Marines anglais, après que la France envoya 55 gardes mobiles. Ces manœuvres renforcèrent un
climat devenu anxiogène. Les jours précédents avaient en effet vu éclater de nouveaux
troubles à Tanna, en juin, marqués par l’assassinat de Yolou.
A Santo par contre, le Vemarana connut deux mois d’indépendance effective. Les
administrations furent réouvertes, les fonctionnaires payés et le blocus largement
contourné, grâce à une logistique assurée par ses nombreux soutiens néo-calédoniens.
Mais avec l’approche de la date fatidique, et sous la pression des manifestations du VP
soutenue par les Britanniques, il fut exigé par Andrew Stuart, délégué de la Reine d’Angleterre, que les délais pour une indépendance le 30 juillet soient tenus. Le 14 juin,
Walter Lini assista, en tant que chef du gouvernement légitime, au Forum du Pacifique
Sud à Tarawa (Kiribati) et signa le 17 avec les autorités de PNG un accord sur une intervention de leurs troupes à Santo pour y réduire la sécession.
En route vers l’indépendance : les années 1970 à 1980
143
Plus en détail – L’arrivée des troupes papoues
En l’absence de soutien de la Grande-Bretagne et de la France, une inquiétude
grandissait quant à savoir si l’indépendance aurait lieu comme prévu le 30 juillet.
Avec le peu d’options qu’il lui restait, Lini participa au forum des îles du Pacifique
qui eut lieu à Kiribati au début juillet. Le forum donna son soutien unanime à
l’indépendance du Vanuatu en date du 30 juillet 1980, et Lini fut en mesure de
rencontrer les premiers ministres de Papouasie Nouvelle-Guinée et d’Australie.
Ces deux derniers acceptèrent de soutenir le Vanuatu afin de mettre fin à la
rébellion une fois l’indépendance obtenue, si la situation ne se réglait pas (si le
calme ne revenait pas). La Papouasie Nouvelle-Guinée fournit des troupes et
l’Australie un support logistique. Lini n’eut d’autre choix que d’accepter cette aide
extérieure puisque la Grande-Bretagne, tout comme la France, refusait de remplir
son obligation de maintien de l’ordre.
—Communication personnelle Howard Van Trease
Troupes de la Kumul
Force arrivant à Santo
(Shears 1980 : 166).
Devant la tournure prise par les événements, l’intransigeance des colons de Santo et la
détermination du Nagriamel, les autorités françaises réalisèrent que toute tentative de
sécession était désormais vaine. Aussi, Britanniques et Français s’entendirent sur un
rétablissement de l’ordre à Santo avant le 30 juillet, au moyen d’un contingent mixte de
100 Marines et de 100 parachutistes, même si les Français justifiaient leur décision au
nom de la seule protection de leurs ressortissants, et se refusaient à envisager une quelconque répression. L’envoi à Luganville d’une troupe conjointe, placée sous commandement français, eut lieu le 24 juillet. La veille, l’inspecteur général Robert s’était rendu
à Santo, pour y tenir un discours qui se voulait rassurant. Mais il contribua ensuite à
insuffler un climat de panique, lorsque trois semaines plus tard l’échec patent de cette
intervention entraîna le départ des troupes franco-britanniques et l’arrivée consécutive
144
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
des troupes papoues.
La Kumul Force composée de 300 hommes, deux navires patrouilleurs et quatre
avions prit position sur Santo le 18 août. Le premier jour de l’intervention, le transfert
de pouvoir entre les mains du Commandant papou, le Colonel Toy Huai, se déroula
sans heurt, les troupes papous étant occupées à s’emparer des points stratégiques de
Luganville. Mais dès le lendemain, les contrôles et les arrestations commencèrent. A partir du 23 août, un certain nombre d’actes de sabotages furent commis par les hommes
du maquis organisé par Fornelli, ce qui accentua la répression et offrit le prétexte à la venue de renforts papous, composés de commandos spécialement entraînés pour le combat dans la jungle (Beasant, 1984 : 130). Le 30 août, le fils aîné de Stevens fut abattu par
les Papous lors de la fusillade du véhicule dans lequel il circulait en compagnie de deux
colons.
Questions de compréhension
1. Pourquoi le gouvernement des Nouvelles-Hébrides a-t-il demandé à la PNG et à
l’Australie de les aider à arrêter la rébellion de Santo ?
2. D’après Beasant, quelle était la vraie raison cachée derrière la présence militaire
française et britannique ?
3. Quel était le nom de la force papoue de défense ?
La mort d’Eddie Stevens et la fin de la rébellion
Le lendemain, les troupes papoues investirent Fanafo et Port-Olry (deux bastions de
la résistance). A Fanafo, ils trouvèrent Stevens, assis sur une chaise sous le grand banian du village, avec derrière lui, un regroupement de quelques centaines de man-bush,
hommes, femmes et enfants. Parmi les quelques Européens encore présents, qui étaient
venus s’y réfugier, certains tentèrent de s’échapper ou de se défendre contre les soldats,
mais la plupart en furent empêchés. Quelques centaines de Vémaranistes furent arrêtés
durant ces opérations, et malgré l’arrestation de Jimmy Stevens, des accrochages avec les
forces papoues se poursuivirent dans le nord de Santo pendant quelques jours.
Jimmy Stevens décrit comment il apprit la nouvelle et ce qui s’est produit après à
Fanafo :
J’étais à la maison jusqu’à 15 h et il n’y avait toujours aucun signe du retour d’Eddie comme
cela était prévu… Je suis allé en brousse emmenant la mère Susan. Tout en montant la colline, Susan regarda en arrière et aperçut un camion se dirigeant très rapidement vers nous
en nous signalant de nous arrêter. En voyant le signal, j’ai alors ordonné à John de s’arrêter
sur le côté de la route… J’ai reconnu Frankie descendant de l’autre camion, en le regardant,
j’ai vu des larmes sur son visage et il m’annonça alors la mort d’Eddie, il avait été abattu. J’ai
interrogé Frankie au sujet du corps d’Eddie et il a dit qu’il était toujours dans la brousse où
il avait été abattu. J’ai alors ordonné à Frankie d’aller voir les gardes et ramener la dépouille
à la maison.
Quand je suis arrivé à l’école, tous les Français, les métis et les Chinois allèrent se cacher, je ne voulais pas parler, mais je me suis dirigé vers la salle radio… quatre hommes
étaient à l’intérieur, ils m’ont présenté leurs condoléances en raison de la mort d’Eddie et
En route vers l’indépendance : les années 1970 à 1980
145
je leur ai demandé qui avait envoyé Eddie. Ils m’ont donné beaucoup de réponses, mais je
leur ai crié qu’il ne leur était pas permis de prendre des décisions eux-mêmes sans ma permission ou d’ordonner quelque chose… J’ai discuté avec les Français et les métis sur le fait
qu’il était trop tard maintenant pour protéger la ville et « vous avez fui, vous avez ouvert la
voie à la politique et cela a eu comme conséquence la mort de mon fils ». Si bien qu’à partir de ce moment-là, personne ne fut autorisé à utiliser des armes dangereuses ou être en
possession d’armes à feu, chacun devait déposer ses armes et l’ordre fut passé aux gardes
du Nagriamel de contrôler les va-et-vient des véhicules au QG et confisquer les armes. Les
Français et les métis ne furent pas très contents de cela. Je leur ai dit que demain (c’est-àdire le samedi), nous enterrerions Eddie, mais que dimanche je savais que les miliciens papous entreraient dans notre bastion et que je voulais qu’ils se rendent tous avec moi (dans
Beasant 1984 : 133).
Il n’y eut aucun rituel funéraire à l’enterrement d’Eddie Stevens. Les 3000 personnes
habitant de Fanafo assistèrent à l’enterrement. Le même jour, Radio Vemarana diffusa
sa dernière émission :
Nous sommes le 30 août 1980… Bonjour au président du Nagriamel et aux ministres du
Vemarana. Ce message est destiné aux habitants de l’île de Vemarana et des quinze îles
des Modérés et du Nagriamel, du sud et du nord. Vous avez pu entendre sur les annonces
radio quotidiennes de Port-Vila, des choses qui vont à l’encontre de vos pensées, des discussions accusant vos pensées. Ne vous inquiétez pas ! Ce ne sont que des calomnies. Si
quelque chose est vrai, vous l’entendrez sur Radio Fanafo. Ne perdez pas espoir, restez vigilants. Ne pensez pas à la reddition aux forces. Laissez-nous nous occuper de notre propre
île, Vemarana, la terre des indigènes est le seul endroit où nous pouvons parler et combattre pour le devenir de notre île. Aujourd’hui, une force militaire est présente sur notre
île. Cela va à l’encontre de l’humanité et de Dieu. Ne vous inquiétez pas s’ils nous tirent dessus comme des porcs ou des chiens. Nous sommes sur notre propre île. Chacun doit se tenir droit et ne pas abandonner, car nous sommes dans notre bon droit et Dieu le sait… J’ai
le regret de vous apprendre qu’Eddie Stevens est mort hier. Il a été abattu par les troupes de
Papouasie-Nouvelle-Guinée et les forces de police de Walter Lini aux alentours de 3 heures.
Ce sont de bien tristes nouvelles pour nous le Vemarana et les modérés. Quoi qu’il en soit,
ne nous inquiétons pas parce que la mort engendre la mort et pour nous il est temps de regarder ce qui se passe dans notre pays. C’est la faute du Père Lini qui fait venir des forces armées chez nous dans nos îles pour nous abattre comme des cochons. Mais si Dieu le veut,
Dieu nous répondra bientôt (cité dans Beasant 1984 : 135).
La rébellion de Santo prit fin le dimanche 31 août 1980. John Beasant en décrit la fin :
À 4 h 30 du matin, un convoi de soldats papous et de miliciens quitta tranquillement
Luganville pour se rendre à Fanafo. Une heure plus tard, le convoi freina et entama une approche lente vers la porte principale de Fanafo. En y arrivant, ils la découvrirent verrouillée,
sans surveillance. Une sirène retentissait et son gémissement plaintif rompait le silence du
matin.
La serrure de la porte fut détruite par deux tirs de mitrailleuse et le convoi franchit l’obstacle… Sur le chemin, une partie des soldats fut laissée en position pour sécuriser la route…
les soldats restants se déplacèrent lentement vers le coeur même de Fanafo, le quartier général de Stevens. Devant le très petit bâtiment qui abritait le siège du Nagriamel depuis presque
vingt ans, se tenait solitaire Frankie Stevens, le cadet, agitant le drapeau blanc de reddition.
146
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Prisonnier du Nagriamel
menotté emmené en prison
(Shears 1980 : 167).
Stevens lui-même était assis sur une chaise, entouré par environ 1 500-2 000 broussards du
Nagriamel, en compagnie des femmes et des enfants. Le drapeau de Nagriamel fut abaissé
et les couleurs de la République du Vanuatu furent levées : le coeur de la rébellion avait cessé
de battre (Beasant 1984 : 136).
De septembre à novembre, la répression se prolongea sous l’action conjointe des forces
papoues, de la Vanuatu Mobile Force (constituée pour l’essentiel de miliciens du VP) et
des avions de la Royal Australian Air Force assurant le transport des prisonniers vers
Port-Vila. De nombreuses brutalités furent constatées et beaucoup d’arrestations eurent
un caractère sommaire, malgré diverses protestations dont celles du Conseil des Églises
de Vanuatu (Vanuatu Christian Council) et d’Amnesty International. Le chiffre officiel
donné par le gouvernement de Vanuatu sur le nombre d’arrestations était de 2 774.
Les peines les plus fortes allaient de cinq à sept ans d’emprisonnement. Quelques centaines de Français échappèrent à toute poursuite judiciaire en fuyant vers la NouvelleCalédonie, 127 ressortissants étrangers furent déclarés interdits de séjour, dont 110
citoyens français (Beasant, 1984 : 143). Le jour du procès venu, onze chefs d’inculpation furent prononcés contre Jimmy Stevens le 21 novembre par le juge britannique
Cook. Les condamnations donnèrent lieu, illégalement, à une accumulation des peines.
Stevens, assumant durant le procès toute la responsabilité de la rébellion, se vit infliger
quatorze ans et demi de prison et 220 000 vatus d’amende (environ 2 000 US$). Pour
sa défense, il déclara :
Je suis un des grands chefs de la coutume du Nagriamel et je voudrais que le Président de
la Cour me considère en tant que tel. Parce que des gens m’ont demandé de remplir des
fonctions, je les ai acceptées (parce que mon peuple m’a demandé de faire des choses, je les
ai faites). Je n’avais pas envisagé tous les troubles qui pouvaient avoir lieu. Aujourd’hui, je
peux voir tout le mal qui a été fait et je réalise que j’ai fait une erreur en acceptant le rôle de
Premier ministre du Vemarana. J’ai écouté bien trop de gens, les représentants de la France
En route vers l’indépendance : les années 1970 à 1980
147
avaient promis de ne jamais me laisser tomber, l’inspecteur général Robert me l’avait promis. Ils me l’avaient tous promis... Cela fait vingt ans que je dirige le Nagriamel, il n’y a jamais eu de tué par ma faute, mais le Vanuatu a tué trois de mes hommes : Alexis Boulouk,
Alexis Youlou à Tanna, et l’un de mes fils, il y a peu de temps. C’est tout ce que j’avais à
dire » (Stevens, cité par Bernard, 1983 : 125-126).
Cérémonie du kava après la
signature de la Constitution
(Vanuatu 1980 : 192).
Activité de discussion
Les deux rébellions se sont terminées seulement après la mort d’un homme abattu
par balle. À votre avis, a-t-on raison d’interdire l’usage des armes à feu au Vanuatu ?
Enquête : les hommes-clés de la lutte pour l’indépendance –
« les pères de l’indépendance »
Recherchez plus de détails au sujet des personnes impliquées dans le mouvement
de l’indépendance. Choisissez un nom dans le texte et enquêtez sur sa vie (des
informations peuvent être trouvées dans l’annexe de ce volume). Beaucoup d’autres
personnes furent impliquées dans le mouvement indépendantiste. Pour vous
renseigner sur ces personnalités politiques, vous pouvez lire Vanuatu (1980), Yumi
Stanap (1980) et vous pouvez également interroger vos grands-parents, vos parents
ainsi que vos professeurs à propos de leurs souvenirs sur ces mouvements qui
ont conduit à l’indépendance. Découvrez ce qui est arrivé à ces politiciens après
l’indépendance. Comme projet de recherche, choisissez un chef dirigeant que vous
connaissez et établissez une chronologie de sa carrière dans la vie politique du
Vanuatu.
148
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Enquête : les souvenirs de l’indépendance
Interrogez des personnes de votre entourage à propos de leurs souvenirs des
mouvements indépendantistes, du jour de l’indépendance, des manifestations
ou des diffusions d’émissions de radio en faveur de l’indépendance ? Quel était
le sentiment commun vers la fin des années 1970 ? Dans chaque île, des gens
ont contribué ou se sont opposés à l’indépendance, même s’ils n’étaient pas au
premier plan de ce mouvement.
Le jour de l’indépendance : le 30 juillet 1980
Le jour de l’indépendance du Vanuatu, le 30 juillet 1980, le premier Premier ministre
de la République, Walter Hayde Lini, s’adressa à la nation :
Notre route vers l’indépendance fut parfois passionnante et, à d’autres moments, déprimante. Plus récemment, elle fut endeuillée d’événements profondément tragiques, mais aujourd’hui nous y sommes arrivés et aujourd’hui nous marchons sur une route différente qui
sera infiniment plus longue et beaucoup plus difficile. Désormais, nous sommes responsables de nos décisions, car celles-ci influenceront nos modèles de vies et ceux des futures
générations de Ni-Vanuatu. Par conséquent, bien que cette date soit un moment de célébration qui se doit d’être joyeuse, c’est également le début d’une longue réflexion.
Comme tous les autres pays dans le monde, la nouvelle nation du Vanuatu possédait
un hymne national, un drapeau national, des armoiries (blason, emblème) nationales
et une devise nationale.
Hymne national
Yumi Ol Man Blong Vanuatu
Devise nationale
Long God Yumi Stanap
Drapeau national
Rouge (sang du peuple), noir (couleur de la peau du
peuple), vert (les îles et l’agriculture) et jaune (couleur de la chrétienté et couleur
de nos plages) ; la dent de cochon signifie la prospérité, les feuilles de namele
représentent la paix et la forme en Y symbolise la forme de l’archipel.
Pour aller plus loin
1. Pourquoi dans son discours Lini dit-il « bien que cette date soit un moment de
célébration qui se doit d’être joyeuse, c’est également le début d’une longue
réflexion » ?
2. L’hymne national du Vanuatu affirme une identité nationale forte. Pouvez-vous
trouver les lignes de la chanson qui le démontrent ? Vous pouvez retrouver la
version complète de l’hymne national dans les annexes de ce livre.
En route vers l’indépendance : les années 1970 à 1980
149
Expressi on écrite
Votre école possède-t-elle une chanson qui lui est propre ? Qu’en est-il de votre
province ou de votre village ? Écrivez une chanson qui indique les caractéristiques
particulières de l’un des précédents endroits (école, province, village).
L e s a v ie z-vou s ?
• Le drapeau national a été conçu par Kalontas Malon originaire de l’île d’Emau.
• L’hymne national a été composé par François Issav.
Partition de l’hymne national
du Vanuatu (Vanuatu 1980 : 1).
Plus en détail – le blason du Vanuatu
Le blason d’une nation, ou les armoiries d’un Etat représentent les valeurs d’un pays.
Maintenant, regardons plus en détail notre blason national. Observez les deux images
ci-dessous, elles montrent le dessin original du blason (dessin d’un membre d’équipage
sur le bateau du capitaine Erskine en 1853) et le blason actuel.
Le croquis original représente un homme en « nambas », une femme et un enfant,
tous deux en habits distinctifs et traditionnels d’Efate. La femme porte une ceinture à la
taille avec une longue queue en pandanus accrochée en bas du dos. L’image originale
est celle d’une famille. Le blason actuel représente seulement un homme habillé dans
un « nambas » plus simple se tenant debout devant des feuilles de namele et une dent
de cochon. L’explication de sa signification est la suivante :
L’homme est un Ni-Vanuatu, un Mélanésien et un chef. La lance qu’il tient représente
son rôle, en tant que défenseur et protecteur de son peuple. Ses bracelets (en coquillage,
monnaie coutumière) montrent son rôle en tant que négociant dans les échanges
économiques et fournisseur de services, de marchandises et de ressources. Sa coiffure et
son habit représentent les différents types d’habillement existant dans tout le pays. L’homme
se tient fermement sur le sol, sur la terre de son pays, le Vanuatu. Les feuilles croisées de
cycadée [namele] en fond symbolisent la paix provenant de l’autorité et de la jurisprudence
des chefs. La dent de cochon circulaire symbolise l’unité, la richesse et la prospérité, les
150
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
conséquences des interactions humaines, l’autorité et la paix. La natte devant l’homme
rappelle l’importance de l’agriculture dans notre économie traditionnelle. Les nattes sont le
produit du travail des femmes et les femmes sont les gestionnaires et les actrices de notre
économie rurale. (Vanuatu 1990 : 28).
Activité de discussion
Identifiez les différences entre le schéma original et le blason actuel. Pourquoi
certaines choses ont-elles été enlevées du schéma ? A votre avis, la place des
femmes est-elle proportionnellement représentée sur ce logo ?
Enquête
Choisissez le drapeau national, l’hymne national ou la devise d’un Etat pour
examiner les valeurs quelles représentent.
À gauche : croquis original
à l’origine du blason du
Vanuatu : Homme et femme
de l’île Sandwich ou Vaté
(Efate) (Erskine 1853 dans Jolly
1997). À droite : Le blason du
Vanuatu conçu par l’Australien
Richard Charles Fraser.
151
chapitre six
L’édification nationale 
du 30 juillet 1980 à nos jours
Introduction
Depuis l’indépendance du Vanuatu, des débats sur divers sujets controversés se sont
poursuivis à la fois au niveau national et international à propos du développement économique du pays et des prises de position politiques de ses dirigeants. La question
d’une coexistence ou d’une opposition entre un système fondé sur des principes d’économie politique moderne et les réalités quotidiennes des populations rurales qui continuent d’adhérer à un mode de production domestique non-monétarisé, demeure au
centre de toutes les préoccupations. De part l’accélération des changements sociaux
dans l’archipel, les politiques culturelles demeurent un aspect essentiel des constructions idéologiques officielles. Du fait d’une exploitation accrue des ressources en
matières premières, le Vanuatu s’est aussi préoccupé des problèmes urgents de l’environnement à l’échelle nationale et régionale. L’émergence des inégalités sociales et
d’une réelle pauvreté parmi certaines couches de la population urbaine, sont autant de
phénomènes qui sont devenus préoccupants depuis trois décennies.
Dans ce chapitre, nous allons nous concentrer sur les premières années de souveraineté du pays. Ce chapitre est composé de cinq parties qui correspondent à chacun des
aspects de la vie du Vanuatu.
La politique
Mère, où allons-nous ?
Mon corps est las
Ma tête me fait mal
Je pleure mon peuple
Mère, où allons-nous ?
Pourquoi deux divisions ?
Pourquoi deux peuples différents
Ne peuvent-ils pas te suivre ?
Où nous mènent-ils, Mère ?
Pourquoi ne puis-je pas faire entendre ma voix ?
Je suis trop insignifiant pour que l’on m’écoute
Pourquoi m’avoir mis au monde alors ?
Mère, où allons-nous ?
Quel est notre destin ?
C o n t r o v e r s e  : faisant
l’objet d’une discussion,
d’une polémique
152
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Écoute-moi cette fois
Ne pouvons-nous pas changer ce système
Avec cette nouvelle technologie ?
Mère, où allons-nous ?
Ai-je une valeur à tes yeux ?
M’écouteras-tu cette fois ?
Je ne peux supporter ce fardeau plus longtemps
Mère, où allons-nous ?
– Poème de Mildred Sope dans « The Questioning Mind » (1987).
À cause de la tutelle de deux puissances à l’époque coloniale, le Vanuatu hérite d’un
système double. Bien que l’on désirât une unité nationale, les distinctions entre anglophones et francophones sont demeurées présentes. Même si cette opposition a en partie perdu sa dimension politique, elle se perpétue sur un plan culturel et linguistique.
Dans son poème, Mildred Sope exprime les inquiétudes qu’elle ressentait sur l’avenir
du Vanuatu. La lutte avait conduit avec succès à l’indépendance. Cependant, l’orientation politique du jeune État-nation restait imprévisible.
La création d’une République parlementaire
Vous pouvez découvrir plus
d’informations sur la structure
du gouvernement du Vanuatu et
sur le système électoral dans le
livre des sciences fondamentales
de l’année 9, « Les Nations
et les gouvernements ».
1
Unité dans la diversité
La Constitution1 établit la structure politique de l’État du Vanuatu. Son préambule affirme que :
Nous, peuple du Vanuatu,
Fier de notre lutte pour la liberté,
Déterminé à préserver les fruits de cette lutte,
Profondément attaché à notre diversité ethnique, linguistique et culturelle,
Et conscient par ailleurs de notre destin commun,
Proclamons la création de la République libre et unie du Vanuatu, fondée sur les valeurs
traditionnelles mélanésiennes, la foi en Dieu et les principes chrétiens.
A cette fin, nous nous nous donnons cette Constitution.
Les paragraphes suivants sont adaptés de l’ouvrage de Patricia Siméoni, « Atlas du
Vanouatou » :
Le 29 novembre 1979, un gouvernement entièrement composé de membres du Vanua’aku
Pati est constitué sous la présidence du Pasteur Walter Lini. Le 18 février 1980, un vote décidera de la modification du nom du futur État qui se dénommera la République du Vanuatu.
Ce nom est issu de la langue raga de Pentecôte, île d’où est originaire Walter Lini. Ce terme
signifie « mon pays » ou « notre terre » en raga, mais il fait aussi référence à « l’île qui
s’élève au-dessus de la mer » et est ainsi souvent traduit par « le pays dressé — le pays qui
se tient debout ».
L e s ins t it utio n s
La République vanuataise est une démocratie parlementaire. Le Président est élu pour une
période de cinq ans renouvelable par un collège électoral composé du Parlement et des
L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours
153
Présidents des conseils régionaux (art.34 et 32). Le rôle de ce chef d’État consiste à veiller au
respect de la Constitution (art.16 et 37) et à symboliser l’unité de la nation (art.31). Il demeure
toutefois essentiellement honorifique.
Le pouvoir exécutif est détenu par le Premier ministre et des membres du conseil des
Ministres qu’il désigne (art.37). C’est le Parlement qui élit le Premier ministre (art.39). Les
membres du Parlement sont élus au suffrage universel selon un scrutin proportionnel, tous
les quatre ans. Le Parlement se réunit en session ordinaire deux fois par an pour voter des
lois (art.17 à 49).
En matières de traditions et de coutumes, le gouvernement se réfère au Conseil National
des Chefs, le Malvatumauri (art.27). Celui-ci est composé de chefs élus par les conseils coutumiers locaux et se réunit au moins une fois par an.
Un Médiateur de la République est nommé pour cinq ans (art.59 à 63). Il a pour fonction
d’enquêter si nécessaire sur les agissements de tout fonctionnaire ou autorité publique. Il
veille aussi au bilinguisme au sein de l’administration.
La décentralisation du pouvoir est matérialisée par la division de l’archipel en provinces
gouvernées par des conseils régionaux auxquels participent des chefs coutumiers (art.80 et
81). Le pouvoir effectif des provinces demeure toutefois limité.
E x é c u t if : pouvoir chargé
de l’application des lois
Questions de compréhension
1. Analysez le préambule de la Constitution. A quoi voit-on que le Vanuatu a gardé
certains aspects du colonialisme ?
2. Quelles sont les deux lignes dans le préambule qui illustrent l’unité dans la
diversité ?
La politique intérieure et le « socialisme mélanésien »
La Pacific Way, idéologie pan-Pacifique qui prônait l’unité dans la diversité, montra ses
limites avec l’accession à l’indépendance des États mélanésiens et le renforcement de la
pénétration de nouvelles formes de capitalisme. Les désaccords sur des questions d’alignement géopolitique et d’économie régionale se creusèrent. Des rivalités entre pays
« polynésiens » et « mélanésiens » traversèrent des institutions acquises à la Pacific
Way (notamment des organismes régionaux comme la Commission du Pacifique Sud,
le Forum du Pacifique Sud, le Bureau du Pacifique Sud pour la coopération économique
et l’Université du Pacifique Sud (USP).
Les dirigeants de Vanuatu ont apporté une contribution substantielle à certains développements de cette idéologie.
Walter Lini et Barak Sope furent les principaux promoteurs de la version mélanésienne de la Pacific Way. Des thèmes comme ceux de l’adhésion à un « communalisme
mélanésien », à une « discipline communale » et à tout un ensemble de traditions
« spécifiquement mélanésiennes » furent diffusés dès le début des années 1980. Ils
furent regroupés derrière le slogan d’une Melanesian Way complémentaire, mais distincte, de la Pacific Way, devant conduire à une « Renaissance mélanésienne » et à
un « socialisme mélanésien ». La Melanesian Way diffère peu dans son contenu de la
Pacific Way. Elle correspond à une dynamique politique régionale et fut conçue comme
une contrepartie nationaliste à l’idéologie de l’unité océanienne. Comme l’écrit Howard
P a n -P a c if iq u e : doctrine et
mouvement de solidarité entre
tous les peuples du Pacifique
C o m m u n a l is m e : qui
appartient à la communauté,
qui la concerne
S o c ia l is m e : Théorie visant
à transformer l’organisation
sociale dans un but de justice
entre les hommes au plan du
travail, de la rétribution, de
l’éducation, du logement, etc.
154
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
(1983 : 186) :
Le socialisme mélanésien n’est pas seulement l’instrument qui permet de promouvoir la
coopération entre les États mélanésiens. Il est censé être aussi une charte pour la création
d’une société mélanésienne socialiste à Vanuatu. C’est pourquoi il faut le comprendre dans
le contexte de la nation Ni-Vanuatu.
Le socialisme mélanésien fut conçu pour évoquer une identité ancestrale qui persisterait en dépit des changements sociaux et culturels. Que ce soit du point de vue de l’intégration de la République du Vanuatu dans un ensemble régional ou dans la façon dont
ce pays subit les effets de la mondialisation, l’idéologie du socialisme mélanésien demeurait conforme à l’ordre international dominant. Le Vanuatu n’a provoqué aucune
dissonance politique sérieuse dans le concert des nations. Le transfert de souveraineté
ne fut concédé que lorsque les garanties de fiabilité politique du nouvel État et sa stabilité institutionnelle furent assurées. Du point de vue des modalités de l’organisation
de cette passation de pouvoir, « en l’absence de concepts indigènes sur l’organisation
gouvernementale à grande échelle, (…) les Ni-Vanuatu n’avaient pas d’autre choix que
d’accepter les institutions politiques de l’État moderne, telles qu’elles dérivent des particularités de l’histoire et de la société européenne » (Premdas, 1987 : 148).
La diffusion du socialisme mélanésien correspond paradoxalement dans les faits à
une pénétration accrue du capitalisme. En considération des enjeux de l’édification nationale, le maître mot de cette idéologie est sans conteste le « développement ». Mais
pour un pays qui au lendemain de l’indépendance demeure essentiellement rural, et
dans lequel plus du tiers de la population vit uniquement d’une économie de subsistance, ce développement impose un certain nombre de choix politiques et culturels. Le
socialisme mélanésien encourageait un développement contrôlé qui ne nuirait pas à la
base villageoise communale de la nouvelle nation. Le socialisme mélanésien serait prétendument plus adapté à la situation vanuataise. Selon Howard (1983 : 191) :
C a p italisme : système de
production dont les fondements
sont la propriété privée des
moyens de production et
l’accumulation du capital
L’idée globale que [Lini et ses associés] avaient du type de société à créer, comprenait la promotion du développement rural, une plus grande autonomie, la propriété des moyens de
production, une main-d’œuvre locale et la préservation de leur héritage culturel et naturel.
Des objectifs raisonnables, soutenus en principe non seulement par la plupart des socialistes, mais aussi par de nombreux capitalistes.
La seule dimension qui pouvait apparaître quelque peu socialiste dans le programme du
Vanua’aku Pati était une planification très centralisée de la politique économique, qui
devait conduire à l’indépendance économique en 1996 (David, 1997 : 123). Toutefois,
les résultats de ce programme se firent attendre. De sorte que le socialisme n’a jamais
été un facteur dominant du pays sous le pouvoir de Walter Lini. C’est même tout le
contraire, rappelle Howard (1983 : 193) : « Comparé à d’autres nations des îles du
Pacifique, Vanuatu semble être l’État le moins ‘socialiste’ en termes d’étatisation des
institutions financières et des moyens de production. »
Lini prit également soin de se démarquer du communisme, d’où justement le choix
du terme alternatif de « communalisme ». Présenté comme un antécédent mélanésien de toute forme de socialisme de par ses origines mélanésiennes pré-coloniales.
D’après Lini (cité par Premdas, 1987 : 142) : « [Le « communalisme »] se base sur une
conscience de la communauté où l’individu ne doit pas prétendre que lui-même ou ses
intérêts personnels passent avant l’intérêt général de la communauté. »
L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours
155
D’autres motifs encore traversent l’imaginaire du socialisme mélanésien, dont l’humanisme comme forme chrétienne des rapports humains détachés du matérialisme et
orientés vers la « compassion et la mutualité ». Dans une vue d’ensemble, ces divers
principes reflètent une position parfaitement opposée aux catégories occidentales qu’ils
rejettent : « communalisme versus individualisme, partage versus intérêt privé, humanisme versus matérialisme » (Premdas, 1987 : 142).
Mais, le socialisme mélanésien était ainsi avant une idéologie nationaliste : il permettait à ses promoteurs de s’identifier à l’État et de concentrer entre leurs seules mains le
sort de l’édification nationale. Les propos de Ralph Regenvanu, acteur politique local, attestent cette prise de conscience :
Une infime minorité, légitimée par son éducation et par une idéologie nationaliste qui donne
à l’État le rôle de gardien de la nation, put accroître les gains acquis grâce à son contrôle des
affaires de l’État et utiliser ses intermédiaires pour rallier d’autres groupes de la société nationale à son discours dominant. Cependant, plus l’héritage du vaste programme de changement social contenu dans ce discours devenait clair, plus l’hégémonie de l’élite nationale, et
donc la légitimité de l’État, s’amenuisait » (Regenvanu, 1993 : 40-41).
Des difficultés politiques croissantes
I n d iv id u a l is m e : doctrine qui
fait de l’individu le fondement de
la société et des valeurs morales
M a t é r ia l is m e : Manière de
vivre, état d’esprit orienté vers
la recherche des satisfactions
matérielles, de plaisirs
V e r s u s : contre
N a t io n a l is m e : théorie
politique qui affirme la
prédominance de l’intérêt
national par rapport aux intérêts
des classes et des groupes
qui constituent la nation
ou par rapport aux autres
nations de la communauté
L é git im it é : qualité d’un
pouvoir d’être juridiquement
fondé et accepté par tous
les citoyens (quant à ses
origines et à ses formes)
Caricature politique parue dans
Island Business News (mai 1982)
qui dépeint la situation entre
Walter Lini, un expatrié expulsé
ainsi que Thomas Reuben Seru
et George Worek, deux députés
du Parlement. La caricature est
intitulée : Est-ce la chute de Lini ?
Les difficultés grandissantes pour le gouvernement de Walter Lini
Des failles dans le premier gouvernement du Vanuatu commencèrent à apparaître
quand on accusa Walter Lini d’accaparer le pouvoir. Il consultait très peu le Président,
ce qui ne concordait pas avec la Constitution (Van Trease 1995 : 87). Sans solliciter
le conseil de ses ministres, Lini renvoya plusieurs conseillers ministériels expatriés.
Il donna aussi son accord pour divers prêts douteux de plusieurs millions de dollars
sans consulter son ministre des Finances (Keith-Reid 1982). Ces actions allaient à l’en-
E x p a t r ié : personne
ayant quitté son pays
pour s’établir ailleurs
156
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
contre de la structure gouvernementale, car avant l’exécution d’une décision, le cabinet
ministériel devait d’abord en débattre et en évaluer les conséquences. De plus, les actions de Lini n’étaient pas non plus conformes avec la politique du parti. En outre, le
gouvernement expulsa l’éditeur Christine Coombe en 1983 à la suite d’articles plutôt
négatifs dans son journal Voice of Vanuatu. Les actions de Lini furent perçues comme
des violations des droits de l’homme et elles ne servaient plus les intérêts du peuple de
Vanuatu (Van Trease 1995 : 87). Le Vanuatu Weekly Hebdomadaire, journal du gouvernement, fit très peu mention de ces difficultés.
2
Walter Lini définit le terme
Non-Aligné comme ne prenant
parti ni pour les pays capitalistes
ni pour les pays communistes
(Arutangai 1995 : 62).
Le Mouvement des Non-alignés
est en fait un groupe de nations
qui ne souscrivaient à aucune
idéologie en particulier.
Une nation non alignée
La position officielle du gouvernement de Walter Lini en matière de politique extérieure fut celle d’une parfaite neutralité : ni tournée vers l’est, ni vers l’ouest, Vanuatu
se voulait le pays moins aligné parmi les pays dits non-alignés.2 Toutefois, les soutiens
financiers et les contacts diplomatiques de toutes sortes furent utilisés pour travailler à l’indépendance de l’archipel. D’où la diversité des relations diplomatiques que le
Vanuatu a nouées avec Cuba, la Libye, l’URSS, les États-Unis d’Amérique, tandis que
sous un autre aspect, ses dirigeants prenaient la défense des Aborigènes australiens et
des Maoris, condamnaient l’Apartheid, soutenaient l’indépendance de la Namibie, du
Timor-Oriental, de l’Irian Jaya et la cause palestinienne. En parallèle, Lini et ses ministres surent tisser des liens tous azimuts avec les organisations internationales, ce qui
permit à Vanuatu de devenir le pays le plus aidé financièrement au monde, par notamment, toutes les grandes puissances du bassin Pacifique (Australie, Nouvelle-Zélande,
France, Grande-Bretagne, Japon, Chine, États-Unis) sans compter ses liens avec les
pays du Commonwealth.
La dénonciation du colonialisme et de la politique nucléaire de la France fut, par
contre une constante de la politique extérieure de Vanuatu pendant les années Lini.
Elle fut conçue comme un signe fort d’une rupture des élites anglophones avec l’ancien
ordre colonial. C’est la seule véritable entorse à la position officielle de Lini d’extrême
neutralité. Le VAP a soutenu dès l’indépendance du Vanuatu le Front de Libération
Nationale Kanak et Socialiste (FLNKS) et combattu pour la « coutume mélanésienne »
spoliée par le colonialisme d’inspiration français. La position officielle de Vanuatu pour
l’indépendance immédiate et sans compromis de la Nouvelle-Calédonie fut à l’origine
du renvoi d’Yves Rodrigue, premier ambassadeur français nommé dans l’archipel, et
entraîna une rupture des relations diplomatiques avec la France.
Pour aller plus loin
En tant que jeune nation, pourquoi le Vanuatu voulait-il devenir un membre du
Mouvement des Non-alignés, libres de suivre des idéologies différentes ?
Investigation
1. Quelles sont les relations actuelles du Vanuatu avec la Libye, Cuba et l’ancienne
URSS ?
2. Le communisme et le capitalisme sont des systèmes économiques que les
nations sont libres de choisir. Effectuez une recherche sur ces deux courants de
pensée politico-économiques.
L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours
157
Pendant que le Vanuatu se rappelle le jour où il a hissé son propre drapeau le 30 juillet
1980, la communauté de Freswota se souvient également de la longue lutte encore
existante de notre voisine mélanésienne, l’Iran Jaya, afin d’obtenir sa souveraineté…
La communauté fut le fer de lance de soutien de l’Irian Jaya en hissant le drapeau du
« Morning Star ».
Pendant la période post-indépendance, le Vanua’aku, parti au pouvoir, avait comme
politique de voir leurs voisins mélanésiens libérés de la colonisation.
—Vanuatu Daily Post no. 1219, 3 août 2004
Création des frontières politiques et géographiques :
Des Torres à Hunter
En mars 1983, le Vanuatu revendiqua les îles Matthew et Hunter comme faisant partie
du Vanuatu. En plus des précédentes sorties dans ces îles les plus méridionales, une expédition partit les visiter en bateau. Le drapeau de Vanuatu fut hissé sur l’île de Hunter
et l’expédition fit le tour de Matthew. L’article de journal suivant décrit cette crise :
Article de Journal sur
Matthew et Hunter (The
Voice of Vanuatu, 1983).
La France contesta la revendication du Vanuatu, annonçant que Matthew et Hunter faisaient partie de la Nouvelle-Calédonie. Toutefois, lorsque les Français avaient des intérêts dans cette partie de la Mélanésie, les cartes françaises montraient bien que Matthew
et Hunter faisaient partie de l’archipel des Nouvelles-Hébrides. Même les Britanniques
158
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Carte de la partie méridionale du
Vanuatu montrant Matthew et
Hunter et la Nouvelle-Calédonie.
Immin en t : proche
étaient d’accord avec ces cartes du condominium. Ce n’est qu’en 1975 que la France
considéra, en accord avec la Grande-Bretagne, ces îles comme appartenant au territoire
de la Nouvelle-Calédonie. Pourquoi la France attendit-elle les années 1970 pour modifier les frontières géographiques qu’elle avait dressées depuis des décennies ? Avec la
menace imminente de l’indépendance du Vanuatu, la France voulut élargir les eaux territoriales de la Nouvelle-Calédonie de façon à couvrir les îles Matthew et Hunter.
Questions de compréhension
1. Donnez le nom des trois îles qui revendiquent des droits coutumiers sur
Matthew et Hunter.
2. Quel est le nom futunien de Hunter ? Que signifie ce nom ?
3. Quel est le nom du bateau qui a transporté l’expédition du gouvernement
vanuatais vers ces îles situées tout à fait au sud ?
Pour aller plus loin
1. Selon le droit international, les pays délimités par un océan peuvent revendiquer
leur territoire jusqu’à 18 kilomètres du rivage. Dans ces eaux que l’on nomme
eaux territoriales, les lois d’un pays peuvent être appliquées (par exemple, les
pêcheurs illégaux peuvent être emprisonnés). En plus, ces pays ont une zone
d’économie exclusive (ZEE) de 300 kilomètres et ont des droits exclusifs sur les
ressources naturelles trouvées dans cette région. Un pays peut ensuite décider
de qui pourra accéder aux pêches et aux minéraux sous-marins. Pourquoi, donc,
d’après vous, la France et le Vanuatu voulurent-ils inclure Matthew et Hunter
dans leur territoire ?
2. Souvent, quand des îles appartenant à différentes nations se trouvent proches
les unes des autres, les ZEE de chaque pays se chevauchent. Quand cela se
produit, comment le problème peut-il être résolu ? En utilisant la carte ci-dessus,
tracez la ZEE du Vanuatu et celle de la France. Se chevauchent-elles ? Maintenant
avec un crayon de couleur différente, tracez la ZEE de la France si Matthew et
Hunter lui appartenaient. Comment cela affecterait-il la ZEE du Vanuatu ?
3. D’après la loi du Vanuatu, les clans peuvent revendiquer leur terre coutumière
L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours
159
seulement en surface, mais sous la surface tous minéraux découverts
appartiennent au gouvernement. Avec ce type de loi, quels sont les problèmes
qui peuvent survenir ?
Enquête
Votre école se trouve-t-elle près de la mer ? Jusqu’à quelle distance du rivage, votre
école est-elle autorisée à utiliser la mer et ses ressources avant que le propriétaire
coutumier ne revendique les limites de son territoire ?
Un partisan de la décolonisation
Quand le Vanuatu accéda à l’indépendance, le gouvernement dirigé par le Vanua’aku
Pati continua de soutenir la décolonisation dans le Pacifique. Il fut partisan de l’indépendance du Timor-Oriental, de la Polynésie française, de la Nouvelle-Calédonie et de
l’Irian Jaya. En dehors du Pacifique, le gouvernement du Vanuatu condamna aussi le
système de l’apartheid sud-africain et demanda l’indépendance de la Namibie (qui fut
achevée en 1990). Le gouvernement prit également parti pour la cause palestinienne
au Moyen-Orient. Enfin, le Vanuatu fut un acteur engagé du mouvement anti-nucléaire
dans le Pacifique Sud.
Le mouvement anti-nucleaire dans le Pacifique
Une bombe nucléaire américaine
explose au-dessus de l’atoll Bikini
dans les îles de Marshall en 1946.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, l’Occident poursuivait des recherches sur le
développement de nouvelles armes et de nouvelles sources d’énergie. L’énergie
nucléaire produite est une énergie si puissante qu’elle peut également être utilisée
comme une arme. On l’utilisa pour construire des bombes très destructrices, que les
160
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Des agents secrets français
coulèrent le Rainbow Warrior I
dans la baie d’Auckland en juillet
1985. Le bateau appartenait
à l’organisation activiste
Greenpeace qui était sur le
point de partir pour protester
contre les essais nucléaires
de Mururoa. Photo avec
l’autorisation de Greenpeace.
États-Unis employèrent contre le Japon en 1945. À cause de la nature dévastatrice des
explosions nucléaires, les sites d’essais devaient se trouver, dans des régions isolées et
très peu peuplées.
Les États-Unis dirigèrent des essais nucléaires sur les atolls de Johnson et Bikini
dans les îles Marshall dans les années 1950 et 1960, avec des effets accablants sur
l’environnement et la santé de la population. La Grande-Bretagne procéda également à
ce type de test en Australie de 1952 à 1958. En 1962, quand l’Algérie (colonie française
d’Afrique du Nord) devint indépendante, la France déplaça son programme d’essais
Mururoa
Par Vatdoro
On t’a fait beaucoup de mal, la douleur est forte
Mais tu as toujours gardé le silence, seuls tes amis du Pacifique peuvent ressentir
Ce qui t’est arrivé, nous compatissons avec toi Mururoa
C’est pourquoi nous sommes venus, venus te sauver
Te libérer de cette brutalité coloniale.
Refrain :
Mururoa (répété 8 fois)
Une carte postale de Greenpeace
de 1985. Greenpeace est
une organisation mondiale
environnementale qui a
longtemps protesté contre
les essais nucléaires
dans le Pacifique.
Tu es si belle et malheureuse, attendant l’aide de quelqu’un
Ils ne cessent de répéter que l’opération est sans danger, pour montrer au monde que
tout va bien
Ils n’ont pas de pitié, pas de pitié du tout
Ils nous traitent en peuple inférieur
Mais nous continuerons à nous battre, à nous battre pour ta liberté
Pour dire à l’humanité entière que tu as le droit de vivre
Pour dire à l’humanité entière que tu as le droit de vivre
L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours
161
nucléaires du désert du Sahara vers le Pacifique. Des sites d’essais furent établis sur
les atolls de Mururoa et Fangataufa en Polynésie française. De 1976 à 1996, la France
procéda à 192 essais nucléaires près de ces atolls. (Henningham 1992 : 127).
Plusieurs nations du Pacifique se rassemblèrent pour protester contre ces essais
nucléaires dans le Pacifique. Une grande partie des Français également critiquèrent ces
essais nucléaires. En 1983, Vanuatu fut l’hôte d’une conférence du Mouvement Nucléaire
du Pacifique. En août 1984, le Premier ministre Walter Lini déclara :
Notre position… est de s’opposer aux essais nucléaires français pour des raisons morales
et pas nécessairement par rapport au fait que ces essais sont scientifiquement dangereux.
Évidemment si le gouvernement français pense que ces essais ne représentent aucun
danger, pourquoi ne les effectue-t-il pas en France ? Que le gouvernement français continue
d’effectuer ces essais nucléaires dans le Pacifique Sud à des milliers de kilomètres de la
France est en soi immoral et aucun scientifique ne pourra nous convaincre du contraire (cité
dans Henningham 1992 : 202).
Pour aller plus loin
1. Quel est le ton des paroles de Vatdoro ?
2. La France a repris les essais nucléaires en Polynésie française en 1995. Cette fois
ce ne fut pas seulement les pays du Pacifique qui protestèrent, mais également
d’autres pays du monde. Il y eut des manifestations et le boycottage de produits
français. Quelles sont les autres moyens d’exprimer fortement une opinion
contre les essais nucléaires ?
Activité de discussion
Bien que les essais nucléaires ne soient plus effectués dans le Pacifique, le transport
de substances radioactives à travers le continent Océanien est une préoccupation
environnementale qui reste d’actualité. De plus, certains pays du Pacifique ont
autorisé l’utilisation de leur zone sous-marine comme lieu de décharge pour les
déchets nucléaires. En classe, organisez un débat sur les problèmes dus à ces
activités. Et s’il y avait une fuite de radioactivité et que cela affecte le reste du
Pacifique ? Gardez à l’esprit que beaucoup d’États du Pacifique sont petits et
ne possèdent que peu de ressources, et que pour se débarrasser de ses dépôts
nucléaires, un pays plus riche compense économiquement le stockage de ses
déchets. Cela constitue un revenu non négligeable pour le pays en question.
Expressi on écrite
Écrivez un poème ou une chanson sur les problèmes que posent les essais et
bombes nucléaires.
Enquête
Recherchez les effets des essais nucléaires sur l’environnement, la santé et la vie
sociale.
B o y c o t t a ge : Blocus
matériel et moral contre un
pays et les biens qu’il produit
N u c l é a ir e : relatif au noyau
de l’atome et à l’énergie qui en
est issue ainsi qu’aux techniques
qui utilisent cette énergie
162
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Les émeutes de Port-Vila en 1988
En attendant, les problèmes fonciers n’étaient toujours pas résolus dans certaines parties du pays, notamment à Port-Vila. Les villages de Ifira, Pango et Erakor s’inquiétaient
de l’indemnisation versée par le gouvernement en contrepartie de leur expropriation et de la transformation de leurs terres en domaine public de la capitale Port-Vila.
Barak Sope, un ministre originaire d’Ifira s’en inquiéta également en 1988. Quand le
ministre des Terres décida de fermer la société commerciale foncière et urbaine (le
VULCAN : Vanuatu Urban Land Corporation), l’organisme chargé de rétribuer les villages pour le don de leurs terres à la capitale, des troubles s’ensuivirent. Le lundi 16
mai 1988, 1 500 personnes marchèrent jusqu’au bureau du Premier ministre et présentèrent une pétition au ministre des Terres, William Mahit. Voilà ce qu’écrit l’historien
Van Trease (1995 : 78) au sujet de cette situation :
Une fois que le ministre Mahit tenta de calmer la situation, la plupart des manifestants se
dispersèrent, sauf un petit groupe d’à peu près 150 personnes qui se rassemblèrent sur le
front de mer pour un barbecue bien arrosé et finirent par créer une émeute dans la rue principale de Port-Vila. Ils brisèrent les vitrines et pillèrent les magasins, engendrant des dommages estimés à environ deux millions de dollars australiens. La police et les forces spéciales
du Vanuatu (VMF : Vanuatu Mobile Force) furent appelées à rétablir l’ordre avec du gaz lacrymogène. C’est alors qu’un homme du village de Pango fut accidentellement écrasé et tué
par un véhicule des forces spéciales. De plus, à la demande de Lini, le gouvernement australien expédia du matériel anti-émeute supplémentaire (des grenades lacrymogènes avec leurs
propulseurs et des masques à gaz). Les liens de Sope avec la Libye entraînèrent une vague
de paranoïa à l’étranger, et on pensait que cette crise était une tentative de renversement du
gouvernement. Cependant, peu de temps après l’émeute, Lini déclara à la presse étrangère
qu’« En ce qui me concerne, cette affaire n’a rien à voir avec la Libye, c’est purement et simplement un problème foncier ».
Ce n’était pas simplement un problème foncier, mais aussi une lutte entre Sope et Lini
pour la direction du Vanua’aku Pati. Barak Sope fut renvoyé de son ministère. Dans le
cas où la situation politique empirait, le Premier ministre confirma que les gouvernements australien et néo-zélandais étaient prêts à les soutenir militairement. Pendant
ce temps, Sope était en train de rassembler des partisans pour adopter une motion de
censure contre le gouvernement de Lini. Toute cette activité menée pour obtenir des
partisans commençait à menacer la stabilité du gouvernement alors que les anciennes
alliances se brisaient et que des nouvelles se formaient.
J’avais 9 ans quand les VMF sont venus arrêter mon père. Il était à peu près 8 heures
du soir. Ils ont encerclé la maison, se cachant dans la brousse et pointant leurs fusils
vers nous. Mon père avait fait sa valise très rapidement, je suis parti chercher ses
savates dans la véranda à l’arrière de la maison et un soldat était caché derrière le
citronnier avec son fusil. Sur la véranda se trouvant à l’avant de la maison, ma sœur
de 15 ans criait sur un soldat qui l’avait insultée sans raison. Puis ils ont emmené mon
père à l’arrière du camion de l’armée. — Témoignage d’un enfant d’un des détenus
L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours
163
En février 1987, Walter Lini, qui était en voyage officiel aux États-Unis fut victime
d’une attaque cérébrale sévère. Plusieurs dirigeants voulaient lui faire subir un examen
médical pour décider de son aptitude à poursuivre ses fonctions. Cependant, Lini était
décidé à garder le pouvoir, en dépit du souhait de certains membres du Vanua’aku Pati
de voir un changement à la tête du gouvernement (Sope et ses partisans en particulier).
La perte de confiance en Lini et l’abus évident de ses pouvoirs furent à son apogée quand le Président Ati George Sokomanu forma un gouvernement intérimaire le
18 décembre 1988. Celui-ci aurait effectivement dissout le gouvernement de Lini et
conduit le pays vers de nouvelles élections nationales. Néanmoins, les forces spéciales
du Vanuatu (VMF), sur ordre de Lini, arrêtèrent tous ceux qui étaient présents à une
réunion secrète dont le secrétaire personnel de Sokomanu, John Kalotiti. Ils furent emprisonnés sans possibilité de libération sous caution.
Plus en détail – la crise presidentielle et constitutionnelle de 1988
C a u t io n : libération d’une
personne contre une somme
d’argent élevée jusqu’au prononcé
d’une peine par un tribunal
En 1988, les députés parlementaires de l’opposition boycottèrent trois séances
consécutives du Parlement et perdirent leur titre de député. Des élections partielles
devaient se tenir en décembre 1988 pour les 18 sièges vacants du Parlement. Toutefois,
l’Union des Partis Modérés (UPM) et le Parti Progressif Mélanésien (PPM) planifièrent
de boycotter les élections, car ils voulaient la dissolution du Parlement et une élection
générale. Craignant la création d’un État représentant un seul parti, le Président fit la
déclaration suivante au Parlement :
Ceci, à mon avis, n’est pas du tout une démocratie, et pour toute personne raisonnable
qui observe ces événements, cela semble évident. Il est clair que l’on se moque de la
Constitution dans tous ses aspects et les actions de toutes les personnes impliquées dans les
six derniers mois animés politiquement, sans tenir compte des difficultés constitutionnelles,
sont un bien triste héritage des intentions que nous avions lors de la fondation de cette
République (Sokomanu, cité dans Van Trease 1995 : 89-90).
Lini condamna le Président en le décrivant comme étant « une disgrâce et un imposteur
politique » et demanda sa démission. Selon les termes de la Constitution, le Parlement
ne peut être dissout que par trois quarts des députés réunis en séance, après un vote de
Il était clair que les politiciens des deux côtés (VAP et UPM) se trouvaient dans une
confusion totale et que la situation était mauvaise pour le pays.
Étant donné cette situation, je décidais d’organiser une réunion entre les quatre
leaders pour essayer de résoudre les différends et calmer la situation. Mon idée était
de faire les choses de manière traditionnelle, de s’asseoir ensemble, de boire du
kava, de tuer un cochon, de le manger et d’échanger des nattes. Je leur aurais ensuite
parlé, et les quatre leaders se seraient serrés la main pour montrer leur réconciliation.
3
Boulekone, Carlot et Sope étaient d’accord. Lini, lui, ne l’était pas.
À mon avis, la situation s’est détériorée et le pays en souffre. Cependant, lorsque
j’abordais Lini, il ne voulut pas discuter de la situation avec moi.
—Ati George Sokomanu (dans Van Trease 1995 : 222)
3
Ces trois hommes étaient les
leaders des partis en désaccord
avec le gouvernement de Lini.
164
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
… Il était difficile de s’adapter à la vie en prison. Nous étions des prisonniers
politiques, mais nous étions traités comme des criminels de la pire espèce. La
nourriture était mauvaise et des gardes furent placés dans tous les coins avec, en
permanence, les armes braquées sur nous. Un policier et le directeur de la prison,
dégoûtés de la façon dont nous étions traités, démissionnèrent. Après deux mois, les
autorités relâchèrent quelque peu leur pression. Ils laissèrent nos femmes préparer
notre nourriture et l’amener à la prison (Sokomanu dans Van Trease 1995 : 223).
la majorité des députés ou sur avis du Conseil des ministres.
L’historien Howard Van Trease écrivit ceci dans le chapitre « Years of Turmoil : 
1987-91 » de « Melanesian Politics » (1995) :
Cependant, Sokomanu continua à s’engager. Le dimanche 18 décembre, il prêta serment à un
gouvernement intérimaire avec Barak Sope comme Premier ministre, Maxime Carlot comme
vice-Premier ministre et trois autres ministres (Willy Jimmy, John Naupa et Frank Spooner).
Au même moment, il appela les citoyens à une nouvelle élection générale qui devait se tenir
en février de l’année suivante. Il contacta aussi la police et la Force Mobile du Vanuatu, leur
demanda de prêter allégeance et leur donna 24 heures pour se décider avant d’appeler de
l’aide militaire extérieure. Le secrétaire, John Kalotiti, fut arrêté au camp de la Force Mobile
pour avoir distribué la circulaire du Président.
La police et les forces spéciales, sous l’ordre du Premier ministre, arrêtèrent Sope, Carlot
et les trois autres… les inculpant de sédition. On leur refusa la caution…
En même temps, Lini demanda à la Cour Suprême de prendre une décision au sujet
de la dissolution du Parlement faite par Sokomanu. La cour jugea cette action illégale
et ordonna au Président de rester en dehors de la politique. Le 21 décembre, Sokomanu
fut mis en garde à vue, après avoir été assigné à domicile plusieurs jours. La réaction du
Parlement, à dominante VAP, fut rapide et décisive. Le 19 décembre, avant que Sokomanu
ne soit effectivement arrêté, une proposition ayant pour but de le retirer de ses fonctions fut
présentée et signée par 20 des députés…
Pendant ce temps, un combat juridique pour décider du sort des six individus… avait
déjà commencé… Voici les accusations retenues contre Sokomanu : conspiration séditieuse
avec pour intention de renverser le gouvernement de Lini, incitation à la mutinerie au sein
des forces de sécurité du pays et administration de serments illégaux. Sope et les autres
membres du gouvernement intérimaire furent accusés de conspiration séditieuse, incitation
à la mutinerie et également de déclarations illégales et séditieuses.
À ce moment-là, Sope commença une grève de la faim demandant une représentation
étrangère légitime pour ses compagnons et lui… soi-disant que… les avocats du Vanuatu
craignent de nous représenter de peur de se faire expulser. Les avocats de Sokomanu
plaidèrent le fait que Sokomanu avait agi par rapport à ses inquiétudes face à la détérioration
globale de la situation politique et économique du pays. Cette crainte l’a forcé à se rabattre
sur les pouvoirs tacitement admis d’un leader traditionnel mélanésien… M. Sokomanu avait
œuvré en se basant sur le fait que les coutumes mélanésiennes pouvaient outrepasser la loi
constitutionnelle. Le Président a agi en tant que chef et chrétien (Van Trease 1995 : 90-93).
Pendant les semaines angoissantes qui suivirent, la Cour rendit sa décision concernant
ceux qui faisaient partie du gouvernement intérimaire et acquitta Frank Spooner, John
L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours
165
Naupa et John Kalotiti. Le juge Ward déclara Sokomanu coupable de toutes les plaintes
retenues contre lui et le condamna à 6 ans de prison. Willie Jimmy fut condamné à 6
ans de prison, Sope et Carlot à 5 ans. Les accusés firent appel devant la Cour Suprême.
Cette fois, un jury de trois juges, un de Tonga, un de Papouasie-Nouvelle-Guinée et un du
Vanuatu fut habilité a participer au procès. D’après Howard Van Trease (1995 : 95) :
À la suite d’un renversement spectaculaire des décisions précédentes, les trois juges
décidèrent que la Cour Suprême s’était trompée sur plusieurs points importants de la loi et
déclarèrent que les accusés devaient être relâchés… Cependant, la cour condamna les actions
du Président, car d’après la Constitution il n’avait pas le droit de dissoudre le Parlement sans
l’avis du conseil des ministres. Il n’avait pas non plus le droit d’établir un gouvernement
intérimaire puisque les individus nommés n’étaient pas des députés élus au parlement.
Le vendredi 14 avril 1989, les quatre accusés furent relâchés et des célébrations furent
organisées avec les familles.
Cette crise constitutionnelle démontra au pays que personne, pas même pas un
Président ou un Premier ministre, n’était au-dessus de la loi. Elle démontra aussi que
la relation entre les leaders du pays et la Cour Suprême devait être digne de respect et
d’objectivité. Le recours à des juges extérieurs au Vanuatu révéla que les juges étaient
influencés politiquement alors qu’ils ne devaient pas l’être.
Questions de compréhension
1. Pourquoi le Président Sokomanu a-t-il formé un gouvernement intérimaire ?
2. La grève de la faim commencée par Barak Sope pour qu’on lui accorde une
représentation légitime a démontré que les avocats étrangers dans le pays
risquaient de se faire expulser. Étant donné ce que nous avons lu plus tôt dans
le chapitre sur l’expulsion des expatriés (la plupart des avocats en ce temps-là
étaient des expatriés), la déclaration de Sope était-elle fondée ?
3. Cherchez la définition dans un dictionnaire des mots suivants :
• conspiration
•sédition
•incitation
•mutinerie
•trahison
autant de mots qui font partie du vocabulaire politique.
Pour aller plus loin
1. Le rôle d’un Président de la République est d’être le garant du caractère
démocratique de la République. Pensez-vous que c’était ce que Sokomanu
essayait de faire ?
2. Le Président Sokomanu a tenté de former un gouvernement intérimaire parce
qu’il craignait la formation d’un État avec un seul parti suite aux élections
partielles. Quel aurait été ce parti ? Quel régime politique représente un Etat à
parti unique ?
3. Pourquoi est-ce important d’avoir une Cour Suprême libre de toute influence du
gouvernement ?
Enquête
Cette crise constitutionnelle connut l’un des principaux procès au cours duquel
la conduite des dirigeants du pays fut mise en cause. Connaissez-vous d’autres
procès impliquant des personnalités politiques du Vanuatu ?
O b j e c t iv it é : impartialité,
absence de préjugés
166
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
La politique et l’économie :
le programme de réforme globale
Dans le chapitre « Nations et Gouvernements » du livre de Sciences Sociales, nous
avons étudié la structure du gouvernement du Vanuatu. Pendant les 17 premières années de l’Indépendance, cette structure comprenait 9 ministères, avec leurs départements et bureaux respectifs et plusieurs corps statutaires (comprenant Air Vanuatu,
le Malvatumauri, la Banque Nationale, le Centre Culturel National, le Vanuatu
Broadcasting and Television Corporation, le Vanuatu Commodities Marketing Board,
le Vanuatu Livestock and Development). En 1997, elle fut modifiée avec l’introduction
du Programme de Réforme Globale initié par la Banque de Développement Asiatique.
Ce programme fut approuvé par le Gouvernement Vohor.
Nous allons maintenant lire deux perspectives du Programme de Réforme Globale.
Le ministre du CRP en octobre 2004, Marcellino Pipite, en dresse le bilan. Le premier extrait est tiré d’un bulletin d’information de l’Unité de Développement des
Programmes d’études (Curriculum) et a été compilé par Charles Pierce.
Pourquoi avons-nous besoin d’un Programme de Réforme Globale ?
Il y a plusieurs raisons :
1. Beaucoup de personnes, surtout dans les régions rurales, sont mécontentes des services
rendus par le gouvernement (par ex. : écoles, dispensaires, routes et alimentation en eau).
Il faut améliorer le niveau de la mise à disposition de services.
2. Certaines personnes s’inquiètent de l’inefficacité du fonctionnement du gouvernement.
Les décisions sont prises par intérêt politique et non par intérêt pour le peuple. L’argent venant de l’Aide ne parvient pas jusqu’aux gens dans les villages. Les actions [du gouvernement] doivent être plus transparentes.
3. L’économie du Vanuatu croît faiblement […] Il y a un besoin d’augmenter le revenu du gouvernement en augmentant les impôts et en encourageant plus d’investissement dans le
secteur privé.
L’extrait suivant de Joel Simo (2004) explique aussi le CRP :
R e structurer : réorganiser ;
modifier la structure
d’une organisation
Du rab le : qui dure longtemps
Privatisation : vente du
capital d’une entreprise publique
à des actionnaires privés, par
opposition à nationalisation
L ib éralisation : libre
circulation des marchandises
Bien avant que le Vanuatu n’accepte le Programme de Réforme Globale, Dr. John Fallon
a publié un rapport en 1994 dans lequel il citait bien clairement les parties principales
du gouvernement qui devaient être réformées. En 1997, le Vanuatu accepta finalement le
Programme de Réforme Globale à condition de restructurer ses services publics parce qu’ils
devenaient trop coûteux à diriger. Le CRP est censé améliorer l’investissement étranger en
supprimant les règlements commerciaux et d’investissement, augmenter les revenus de
change en faisant la promotion des exportations et en réduire les déficits gouvernementaux à
travers des diminutions dans les dépenses gouvernementales. Ces mesures sont supposées
amener le Vanuatu vers une expansion durable. Les programmes de réformes varient d’un
pays à l’autre, mais en général ils incluent :
• La réduction d’employés dans le secteur public
•La privatisation des entreprises du gouvernement
•La libéralisation du commerce
• La Taxe sur la Valeur Ajoutée ou d’autres changements sur les impôts
• La diminution des dépenses sociales telles que l’éducation et la santé
• La dévaluation de la monnaie nationale et la suppression des salaires
Le CRP fut mis en service en 1997. Résultat : la quantité de fonctionnaires du Vanuatu fut
L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours
167
L e P ro gramme d e Ré forme G lobale
( CR P   :   Compre he n sive Re fo rm Program)
Le Programme d’Ajustement Structurel (SAP : Structural Adjustement Program) ou
le Programme de Réforme Globale est un programme que la Banque Mondiale et le
Fond Monétaire International imposent à un pays quand celui-ci a atteint son niveau
économique le plus faible et ne peut plus gérer ses affaires. Le Programme de Réforme
Globale fut initié par la Banque de Développement Asiatique, une branche de la
Banque Mondiale, en 1997. L’argent ou l’aide pour la restructuration des services du
gouvernement est accordé sous conditions. — Joel Simo
réduite de plus de la moitié. Les raisons fournies affirmaient que cela allait améliorer la performance du secteur public à travers des politiques qui allaient améliorer l’environnement
réglementaire et les coûts concurrentiels commerciaux du pays.
À travers cet exercice de restructuration, les budgets de l’éducation et de la santé furent
réduits, touchant de nombreuses écoles et dispensaires dans le pays. On conseilla au gouvernement de privatiser ses corps statuaires pour mieux gérer les ressources humaines.
Avec les diminutions de dépenses du gouvernement, moins de subventions étaient allouées à la santé, l’éducation, les budgets d’aide sociale, etc. Les personnes aisées pouvaient
toujours se payer ces services, mais ceux qui l’étaient moins dépendaient des subventions
du gouvernement. Avec l’idée de rendre les économies faibles, plus concurrentielles dans le
marché mondial, les programmes de réformes ont été suivis d’un fort taux de chômage et
de diminutions des prestations salariales. Avec la libéralisation du commerce, une concurrence des importations bon marché s’accrut signifiant souvent la ruine des petits producteurs. Aujourd’hui, il est clair que ces produits bon marché arrivent en masse en provenance
des pays asiatiques.
Les prix de la nourriture et des premières nécessités, comme l’eau et l’électricité, augmentèrent aussi à cause de la dévaluation de la monnaie et à cause des impôts qui y sont appliqués. Le CRP a eu un effet draconien sur le bien-être et les moyens de subsistance des
plus pauvres. Le CRP a déçu le Vanuatu dans toutes ses promesses.
Dans une révision du CRP en octobre 2004 à Luganville, Santo, le gouvernement du
Vanuatu dirigé par Serge Vohor est arrivé à la même conclusion :
Nous devons évaluer si la réforme a été exécutée avec succès depuis que le gouvernement a
reçu 30 millions de dollars américains provenant de la Banque de Développement Asiatique
pour financer cette réforme.
Les services du gouvernement diminuent et s’aggravent. Le revenu du gouvernement continue de diminuer. Pourquoi les dépenses du gouvernement continuent-elles d’augmenter ?
Je pense que l’approche prise en s’en prenant à tous les secteurs du gouvernement en
même temps, nous venons de le découvrir dans le dernier forum, nous a dépassé et nous fait
tourner en rond pendant les réunions.
Le CRP a fait du bon travail en établissant une structure légitime, des institutions et des
instruments de travail, mais cela ne peut pas marcher s’il n’y a pas de bons chauffeurs pour
conduire ces instruments. Il faut se débarrasser des mauvaises habitudes qu’il y a en nous.
En tant que ministre du CRP, je veux voir des changements avant notre prochain sommet en 2006.
168
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
— Ministre du PRC, l’Honorable Marcellino Pipite (cité dans The Ni-Vanuatu volume 1
publication 6).
Questions de compréhension
1. Nommez 3 améliorations que le CRP devait amener au Vanuatu.
2. Simo déclare que le CRP a déçu le Vanuatu avec ses promesses. De quelle
manière ?
3. Sur qui M. Pipite rejette-t-il le blâme ?
Pour aller plus loin
Le même gouvernement qui a mis en exécution le CRP, a admis son échec 7 ans
plus tard. Quel enseignement peut-on en tirer ?
Enquête
Cherchez des opinions différentes opinions sur le CRP. Interrogez des gens et
découvrez s’ils comprennent ce qu’est le CRP. Est-ce qu’ils approuvent le CRP ?
L’économie
La voie du « développement »
Avec son indépendance, le pays put prendre position dans le monde politique et gérer
ses affaires internes. Toutefois, les capacités de la partie marchande de son économie
ne lui permettaient pas de soutenir les budgets publics sans les financements de ses anciennes tutelles. Les revenus engendrés par ce paradis fiscal étaient insuffisants. Les
gouvernements français et britannique acceptèrent ainsi de maintenir un certain niveau d’assistance économique au Vanuatu les premières années de son indépendance.
Le Vanuatu reçut aussi des prêts pour soutenir ses institutions telles que les hôpitaux
et l’éducation. Cependant, toutes ces subventions et tous ces prêts faisaient l’objet de
conditions. Par conséquent, le Vanuatu n’était pas libre dans l’affectation de ces fonds.
Le Vanuatu était politiquement indépendant, mais économiquement lié aux anciennes
puissances coloniales.
Le Vanuatu et sa dépendance envers l’aide étrangère
Extraits tirés d’un article du Pacific Magazine et du Pacific Islands Monthly.
Le gouvernement a demandé aux Nations Unies que le Vanuatu reste dans
la catégorie des ‘pays les moins développés’, bien que le Conseil Social et
Economique des Nations Unies ait recommandé un changement de statut.
S’adressant à l’Assemblée Générale des Nations Unies à New York, le
Premier ministre Serge Vohor proposa que l’on diffère le changement de statut à l’année 2000. Il déclara que la faible situation économique de son pays
et le programme rigoureux de réforme en place justifiaient de garder sa désignation actuelle. —Pacific Magazine jan/fév. 1998, Vol.23 No.1
Le pont de la rivière Sarakata à Luganville à Espiritu Santo sera remplacé par
L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours
169
un nouveau qui sera financé par l’Union Européenne. La nouvelle travée, qui
se trouvera en amont du pont actuel, coûtera environ 200 million de vatus.
—Pacific Magazine juillet/août 1995, Vol. 20 No. 4
Le Forum du Pacifique Sud vient de remettre 20 000 dollars fidjiens au
Gouvernement du Vanuatu suite à un tremblement de terre et un tsunami
(causé par un cyclone) en novembre dernier. Cet argent provient d’une collecte mise au profit des victimes de catastrophes naturelles.
—Pacific Islands Monthly mars 2000, Vol. 72 No. 33
L’Aéroport International de Bauerfield doit être amélioré grâce à un don japonais de 8 millions de dollars américains. Les équipements de navigation seront améliorés et l’aérogare sera agrandi afin de recevoir plus de passagers.
—Pacific Magazine nov./déc. 1989,Vol. 14 No. 6
La Chine a fait un don de 540 000 dollars américains pour la construction du
projet hydroélectrique dans l’île de Mallicolo.
—Pacific Magazine jan/fév. 1995,Vol. 20 No. 1
Le Vanuatu a reçu 400 000 dollars de l’Australie pour améliorer son alimentation en eau et son système sanitaire… Les fonds viennent du Programme
de Subvention des Produits de Base du Australian International Development
Assistance Bureau.
—Pacific Magazine mai/juin 1995,Vol. 20 No. 1
Pour aller plus loin
1. Comme il est dit dans le premier extrait, pourquoi le Premier ministre Serge
Vohor a-t-il demandé aux Nations Unies de garder le Vanuatu dans la catégorie
des ‘pays les moins développés’?
2. L’aide étrangère est une aide conditionnelle. Qu’est-ce que cela signifie ?
Activité de discussion
Quels sont vos réflexions quant à la dépendance du Vanuatu par rapport à l’aide
étrangère ? En classe, organisez un débat sur les avantages et les inconvénients à
dépendre de l’aide venant d’autres pays et organisations.
Enquête
Y a-t-il des projets sur votre île qui sont actuellement financés par l’aide étrangère ?
Si oui, expliquez quels sont ces projets et comment votre communauté va en
bénéficier.
Plus en détail – le paradis fiscal
En 1970 et 1971, l’administration britannique du condominium des Nouvelles-Hébrides
fit adopter des lois bancaires et commerciales qui ont transformé le Vanuatu en un
170
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
paradis fiscal international ou Centre Financier Offshore (CFO). Les contrôles sur
les devises étrangères et sur les taux d’intérêt furent supprimés ou abaissés à des
niveaux très faibles. Il n’y avait aucun impôt sur le revenu. Ainsi, dans les années
1970, les banquiers et les organisations financières commencèrent à utiliser les
Nouvelles-Hébrides pour déposer leurs devises étrangères dans un centre financier
exempt d’impôt. Parfois leur argent ne restait aux Nouvelles-Hébrides qu’un seul jour
avant d’être déplacé quelque part ailleurs, ce qui peut correspondre à une action de
blanchiment d’argent sale, c’est-à-dire gagné illégalement. Beaucoup d’entreprises
étaient enregistrées aux Nouvelles-Hébrides, bien qu’elles n’aient jamais eu de siège
social aux Nouvelles-Hébrides ; leurs affaires étaient, par exemple, dirigées en Europe.
C’était une manière pour ces investisseurs d’éviter de payer des impôts dans leurs
propres pays ; processus que l’on nomme l’évasion fiscale. Le paradis fiscal des
Nouvelles-Hébrides leur promettait secret et confidentialité.
Les retombées attendues du CFO découlant de l’effet multiplicateur escompté
(Rawlings, 2003). De nouveaux investissements devaient notamment stimuler l’emploi
salarié en particulier et l’activité économique en général (augmentation du commerce,
développement des infrastructures, intensification de l’urbanisation). Quarante ans plus
tard, on est en droit de se demander si toutes les attentes furent remplîtes et si elles
permettent d’atténuer les critiques aujourd’hui formulées à l’étranger envers le CFO.
Quels avantages résultent réellement [du centre financier offshore du Vanuatu] pour le
pays et ses habitants ? Le chiffre de 342 emplois locaux créés par le centre offshore, avancé
par ses responsables, est artificiellement gonflé par l’adjonction de tous les employés de
banques dont l’activité ne repose évidemment pas sur le seul centre financier. Les taxes
collectées (essentiellement les droits d’enregistrement des entreprises) rapporteraient au
gouvernement entre 2 et 4 millions de dollars par an, pour un revenu global de 60 millions
de dollars par an : assez loin par conséquent des 15% revendiqués par les dirigeants.
Plus opaque encore est le secret qui entoure le montant global des transactions du centre
financier, qui se chiffrerait en « milliards de dollars » selon le principal hebdomadaire
économique de la région, Island Business, publié à Fidji. La pression que semblent
désormais exercer les grandes puissances mondiales pour mettre un terme à l’existence de
ce genre de non-droit économique n’a encore guère perturbé la quiétude du centre financier
[…]. Outre qu’il contribue à donner une certaine touche néo-coloniale à sa capitale PortVila, le centre financier entretient l’illusion que le Vanuatu ne pourra sortir de la spirale de la
dépendance qu’en accentuant la libéralisation de son économie (Wittersheim, 2006 : 122-123).
Chronologie du paradis fiscal des Nouvelles-Hébrides
1969 Port-Vila possède une banque, la Banque de l’Indochine
1970-1 Le gouvernement britannique fait adopter une loi faisant des Nouvelles-Hébrides
un paradis fiscal international
1972
500 entreprises extraterritoriales (pour la plupart australiennes) s’établirent à
Port-Vila
1973
Port-Vila possède 13 banques étrangères
2010 Accord entre les gouvernements français et Vanuatais relatif à l’échange de
renseignements en matière fiscale.
Depuis l’an 2000, l’Organisation de la Coopération et du Développement Economique
(OCDE) fait pression sur les paradis fiscaux partout dans le monde. On leur demande de
L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours
171
mettre fin au secret bancaire et de partager l’information avec les autorités fiscales des
pays dont les citoyens souhaitant échapper à l’impôt, cachent illégalement leur argent. Le
paradis fiscal du Vanuatu a perdu plusieurs des avantages qu’il possédait au début des
années 1970.
L’industrie principale du Vanuatu aujourd’hui est le tourisme et c’est la source
principale de revenus pour le pays. Si le paradis fiscal du Vanuatu avantage toujours les
investisseurs qui sont attirés par l’absence d’impôts sur le revenu et sur les entreprises,
cela suscite néanmoins quelques problèmes. Les contributions au produit intérieur brut
du Centre Financier diminuent. Dans la plupart des pays, l’impôt sur le revenu remplit sa
fonction économique, à savoir la redistribution des ressources par le gouvernement aux
écoles, aux hôpitaux, aux travaux publics et aux services publics tels que les bibliothèques
et les musées, etc. Au Vanuatu, il n’y a pas d’impôt sur le revenu, même si les frais de
scolarité payés par les familles correspondent à un impôt déguisé, payé par la majeure
partie de la population, sur ses revenus. Aussi le gouvernement doit trouver de l’argent
par d’autres biais que l’impôt direct. Sans impôt sur le revenu, il doit imposer des taxes
sur les importations (telles que le kérosène et le savon), sur la nourriture importée (telle
que le riz, les boîtes de conserve et le sucre) et sur d’autres produits manufacturés
et services. La Taxe sur la Valeur Ajoutée (la TVA) et la taxe sur le débit (TD) en sont
les exemples. Il y aussi des taxes routières à payer. Cela veut dire que beaucoup de
produits et de services au Vanuatu sont coûteux. Cela réduit aussi les subventions
du gouvernement pour les services publics (les écoles, les hôpitaux et les routes). La
décision du condominium de faire du Vanuatu un paradis fiscal a eu des effets d’une
grande portée sur le développement de l’économie et de l’urbanisme à Port-Vila, mais
aujourd’hui la situation contraste avec ses débuts optimistes et prospères.
Questions de compréhension
1. Quelle est l’utilité de l’impôt sur le revenu ?
2. Pour quelle raison le gouvernement du Vanuatu a-t-elle introduit la TVA et la
TD ?
Activité de discussion
Devrait-on introduire l’impôt sur le revenu au Vanuatu ?
En tant que jeune État, avec l’agriculture comme secteur d’activité principal, les plantations demeurèrent économiquement importantes, surtout celles qui produisaient du
coprah. Le bétail, surtout les bovins, et la pêche se développèrent. Afin de diversifier
l’économie à Vanuatu, le tourisme fut encouragé. Dans les « Plus en détail » suivants,
nous verrons comment les différentes industries de Vanuatu contribuent à l’économie
nationale. Il existe d’autres industries qui ne sont pas mentionnées. Si cela vous intéresse, effectuez une recherche sur celles qui se trouvent dans votre région.
172
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Plus en détail – le tourisme au Vanuatu
La lettre qui suit se trouve dans un dépliant touristique qui est disponible à l’office de
tourisme de Port-Vila.
Tiré de « Vanuatu : What’s
on ». Jasons Travelmedia,
Auckland, NZ.
Images du Vanuatu présentées
à l’étranger par l’Office national
du tourisme (2004).
Bienvenue au Vanuatu,
A tous les visiteurs et ceux qui ont l’intention de visiter le Vanuatu, je vous souhaite un
accueil chaleureux dans nos îles. Le Vanuatu a un héritage naturel, pittoresque et historique
unique au monde. Cet archipel d’îles en forme d’Y est couvert de forêts tropicales et de terres
fertiles, alors que ses rivages de plages blanches sont baignés de l’eau claire de l’Océan
Pacifique. Voici les beautés naturelles qui bénissent le Vanuatu. Nos villages sont entourés
d’un environnement propre et la vie est simple et sans souci. Des gens très accueillants
vous attendent pour vous souhaiter la bienvenue. Voilà pourquoi nous décrivons le Vanuatu
comme étant « d’une autre ère, et vivant à un autre rythme ».
L’époque coloniale contribua beaucoup au caractère actuel de notre nation. Grâce au
système d’administration mixte, nous sommes le seul pays du Pacifique Sud ayant deux
langues officielles, le français et l’anglais. Il y aussi le bichlamar, langue nationale que les
gens des différentes îles utilisent pour communiquer entre eux.
Ce mélange de cultures dans un cadre éblouissant, offre une gamme étendue
d’attractions touristiques compétitives dont certaines sont uniques au Vanuatu. Marcher sur
le bord du volcan actif de Tanna ou assister au spectaculaire saut du Gaul sur Pentecôte.
Par ailleurs, notre Centre Financier International vous offre un choix d’investissements
qui aident notre industrie du tourisme à rester viable et compétitive. De nouveaux
aménagements et de nouvelles routes aériennes se mettent en place.
Avec sa vie sans souci, son héritage multiculturel, ses merveilles naturelles et ses
aménagements conçus pour les touristes, le Vanuatu enchantera vos vacances. Il y a
tellement à voir et à faire. Tankyu tumas (merci beaucoup) et bonnes vacances parmi nous.
— L’Honorable Jean-Alain Mahe, Ministre du Commerce et
du Tourisme de la République de Vanuatu, 2003.
Pour aller plus loin
1. Le nombre de paquebots de croisière qui visitent nos ports augmente chaque
année. De plus, ces paquebots visitent de nouveaux endroits tels que Pangi au
sud de Pentecôte et l’île Wala au nord-est de Mallicolo. Quels sont les effets de
ces visites régulières ? Quels en sont les bénéfices et les inconvénients ?
2. Y a-t-il des phrases dans l’extrait ci-dessus avec lesquelles vous n’êtes pas
d’accord ? Si oui, pourquoi ?
3. Pourquoi fait-on mention des possibilités d’investissement dans cette ‘lettre de
bienvenue’ ?
4. « L’époque coloniale contribua beaucoup au caractère actuel de notre nation.
Grâce au système d’administration mixte, le Vanuatu est le seul pays du
Pacifique Sud ayant deux langues officielles, le français et l’anglais. » Cette
partie fait référence au gouvernement du condominium avant l’Indépendance
et le décrit comme un « système unique d’administration mixte ». En se
basant sur ce que nous avons appris dans « En route vers l’indépendance », le
condominium est-il décrit de façon suffisante ? Pourquoi ?
L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours
173
Expressi on écrite
Imaginez que vous êtes un touriste et que vous pouvez visiter n’importe quel
endroit, ou iriez-vous ? Pourquoi ? Faites une rédaction expliquant votre choix. Dans
cette composition, justifiez votre choix.
Activité de discussion
Que veut-on dire par « dans une autre ère, à un autre rythme » ? Pourquoi cette
phrase attire-t-elle les touristes ?
Enquête
Le tourisme est important pour l’économie de notre pays. L’île dont vous êtes
originaire attire-t-elle des touristes ? Si oui, pour quelles raisons à votre avis ?
Plus en détail – le kava du Vanuatu et son exportation
Le Vanuatu espère exporter le kava vers la Chine
Par Ricky Bihini
Les scientifiques chinois s’intéressent
aux valeurs médicinales du kava du
Vanuatu et si tout se passe comme
prévu, le Vanuatu devrait exporter
du kava vers la Chine avant la fin de
l’année. Pendant la dernière visite à
Beijing des fonctionnaires supérieurs
du Vanuatu, les fonctionnaires chinois
ont manifesté leur intérêt pour le
kava du Vanuatu.
Ainsi, une livraison de 18 kg de
kava sec fut récemment apportée en
République Populaire de Chine par le
ministre du Commerce, M. Bule…
L’industrie du kava de 228 millions
de vatus a connu un grand repli en
2002 quand 3 pays européens ont
décidé de retirer de leurs marchés, le
kava du Vanuatu, de Fidji et de Samoa.
L’interdiction du kava en Europe
provient des allégations que cette
substance serait responsable de
maladies du foie. C’est une hypothèse
que les experts en matière de kava
réfutent avec véhémence, car les gens
du Vanuatu boivent du kava depuis
des centaines d’années et ne se sont
jamais plaints de maladies du foie.
Les pays européens qui ont interdit
le kava sont l’Allemagne, la France
et la Suisse. Les fonctionnaires du
commerce du Vanuatu estiment que
si le Vanuatu peut obtenir un marché
pour le kava dans le pays où il y a
1/6 de la population mondiale, et qui
est en train de rapidement devenir
un puissant acteur économique, les
fermiers dans les zones rurales du
Vanuatu en tireront énormément
profit.
— Vanuatu Daily Post no 1251
(16 septembre 2004)
Questions de compréhension
1. Pourquoi la Chine est-elle considérée comme un marché potentiel pour
l’exportation du kava ?
2. Qu’est-il arrivé au marché du kava en 2002 ?
Publicité du VCMB (Pacific
Islands Monthly, sept 1991).
Une marque de tisane vendue
aux États-Unis utilisant des
extraits de kava du Vanuatu.
174
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Pour aller plus loin
Comment l’industrie du kava a-t-elle changé au cours des années ?
Expression écrite
Imaginez que vous êtes un responsable commercial du Vanuatu et que vous êtes
chargé de la promotion de l’exportation du kava en Chine. Rédigez une publicité
convaincante qui doit apparaître dans un journal chinois décrivant le kava.
Activité de discussion
Observez la photo du paquet de thé aux extraits de kava de la page précédente.
Pourquoi les produits comme le ‘Anxiety Release Tea’ sont-ils populaires aux ÉtatsUnis ?
Enquête
Comment l’usage social du kava a-t-il évolué avec le temps ? Que pensezvous de l’usage croissant du kava comme moyen de relaxation, des débouchés
économiques et des effets sociaux. Réfléchissez à vos propres réponses et
ensuite interrogez d’autres personnes (professeurs, professionnels de la santé,
propriétaires de nakamal, etc.). Ont-ils tous la même réponse ?
Plus en détail – l’élevage bovin du Vanuatu
Lisez l’article de journal suivant sur la viande de bœuf au Vanuatu et répondez aux
questions :
Viande de bœuf du Vanuatu totalement sans OGM
Par Kalvau Moli
Vanuatu Daily Post no 1207
(16 juillet 2004).
Le département de l’agriculture et du
bétail a confirmé que la qualité de la
viande de bœuf du Vanuatu est unique,
car elle est biologique.
John Joël, un inspecteur en
boucherie au sein du service de la
quarantaine a déclaré que son travail
est d’assurer la qualité de la viande de
bœuf du Vanuatu. D’après le service
de la quarantaine et du bétail, il n’y
a aucun organisme génétiquement
modifié (OGM) qui entre dans la
production bovine du Vanuatu.
Les OGM qui sont actuellement un
problème mondial ont été mentionnés
quand l’inspecteur a affirmé que
d’après l’Indicatif de Sécurité
Alimentaire, la qualité du bœuf au
Vanuatu est toujours exceptionnelle.
Pendant la journée portes ouvertes
cette semaine dans la plantation
du gouvernement près de l’institut
d’agronomie, les fonctionnaires ont
confirmé que, bien que les règlements
interdisant les OGM au Vanuatu soient
restreints, la Quarantaine mettra tout
en œuvre pour stopper l’entrée des
végétaux génétiquement modifiés.
La recherche scientifique sur les
végétaux hybrides visant à améliorer
les pâturages devient un enjeu mondial
alors que le monde est toujours divisé
sur l’utilisation des OGM.
Grâce à l’élevage organique du bétail
du Vanuatu, nous possédons une des
meilleures viandes exportées jusqu’au
Japon, ainsi qu’en Nouvelle-Calédonie
et en Australie qui représentent les
marchés les plus prisés.
L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours
175
Questions de compréhension
1. D’après l’article, qu’est-ce que l’Indicatif de Sécurité Alimentaire ?
2. Pourquoi l’industrie bovine au Vanuatu attache-t-elle tant d’importance à ce
qu’aucun OGM n’entre dans le pays ?
3. Que signifie « marchés les plus prisés ». Quels autres produits du Vanuatu sont
en accord avec cette description ?
Plus en détail – la mondialisation et le libre échange
Dans les années 1990, la presse commençait à vulgariser l’usage de certains concepts
comme celui de mondialisation qui se réfère à l’intensification des pratiques mondiales
de libre-échange.
L’économiste écossais Adam Smith, au 18ème siècle, fut l’un des premiers théoriciens
du libre-échange. Il développa le concept de l’avantage comparatif, ce qui veut dire que
M o nd i alisation
La mondialisation est le terme utilisé pour décrire l’accroissement de la
circulation des produits, des services et des investissements autour du monde
liant ainsi les économies nationales.
Cela veut dire que le gagne-pain d’un cultivateur de cacao sur Santo dépend de
la situation politique en Côte-d’Ivoire. Cela signifie qu’un cyclone qui ravage la
production de vanille à Madagascar peut changer l’économie agricole mélanésienne.
Avec la mondialisation, l’argent et les produits se déplacent de plus en plus autour du
monde. — Daniel Gay, Économiste (Vanuatu Daily Post no 1217, 30 juillet 2004)
La mondialisation s’intéresse principalement à une augmentation des marchés,
des commerces et des profits et se soucie peu du bien-être, de l’intérêt public, de
l’environnement, de la santé et de la stabilité sociale.
— Stanley Simpson, Coordinateur du Pacific Network on Mondialisation (PANG)
(Vanuatu Daily Post no 1270, 13 octobre 2004)
Cependant, la mondialisation n’est pas simplement un choix politique où les
pays peuvent décider d’en faire partie ou pas. C’est plutôt un processus dont
certains éléments ne sont que partiellement sous le contrôle des gouvernements.
La mondialisation possède aussi une composante socioculturelle qui implique
le transfert de cultures et de langues à travers les frontières nationales, brisant
ainsi les distinctions culturelles nationales. Par exemple, la musique hip-hop de la
culture pop américaine et les fast-foods se sont dispersés à travers le monde.
La mondialisation présente quelques avantages tels que cette capacité qu’ont
les gens à voyager plus, facteur déterminant dans les protestations contre le FMI
(fonds monétaire international), la Banque Mondiale et le G8. L’Internet est aussi
un produit et un moyen pour faire avancer la mondialisation.
176
Protection n isme : actions
menées pour protéger les
industries locales de la
concurrence étranger
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
les pays se spécialisent dans certaines productions et exploitations de ressources les
plus rentables.
Le libre-échange signifie que les pays peuvent importer et exporter librement les
produits, payant peu ou pas de taxes. Cela veut dire que les pays peuvent acheter des
produits à bas prix puisque la taxe sur l’importation a été levée. Quelle nourriture
consomme la population au Vanuatu qu’elle ne produit pas elle-même ? Le riz ! Quelle
production le Vanuatu peut-il échanger contre des biens qu’il ne produit pas ?
Le Vanuatu est actuellement dans un système de libre-échange avec les nations
membres du Groupe de Fer de Lance Mélanésien (Fidji, Papouasie Nouvelle Guinée,
Salomon). C’est pourquoi on peut facilement trouver sur le marché national des boîtes
de thon des Salomon, le riz de Papouasie-Nouvelle-Guinée et les biscuits de Fidji. Le
Vanuatu peut en échange exporter vers ces pays le kava, la viande de bœuf et le bois
avec des taxes et tarifs d’exportation réduits. Le Vanuatu est signataire de l’Accord du
Commerce des Pays du Pacifique (Pacific Island Countries Trade Agreement, PITCA) qui
permet aux nations du Pacifique de faire du commerce à moindre coût.
Cependant, les conventions économiques de libre-échange sont fermement
critiquées à travers le monde. Aux réunions de l’OMC (Organisation Mondiale du
Commerce) à Seattle, dans l’État de Washington en 1999 et à Cancun, au Mexique en
2003, il y eut des manifestations de masse contre la libéralisation du commerce. Car
le « commerce libre » n’est pas équitable. Il ne profite qu’aux pays riches, dits Pays du
Nord. Comment ? Car ces pays riches peuvent poser les règles et conditions du libre
échange de façon à ce qu’ils en tirent davantage de profit. Les pays les plus pauvres,
dits Pays du Sud, n’ont pas d’autre choix qu’accepter les termes de ces accords face
à la menace de supprimer leurs aides au développement. Ils exportent donc leurs
produits à un prix bien inférieur, comparativement, à celui des marchandises importées.
L’argument des opposants au libre-échange consiste à dire que les pays riches peuvent
restreindre les importations de produits qui menacent leurs producteurs locaux alors
qu’ils forcent les pays en voie de développement à ouvrir leurs propres marchés. Ainsi
les pays pauvres moins puissants économiquement sont perdants parce qu’ils doivent
acheter plus de produits étrangers (qui sont facilement importés à cause des taxes
faibles) et les marchés sur lesquels ils peuvent vendre leurs produits sont limités.
Cela signifie également que si les pays possèdent une production inégale de biens à
l’exportation, un pays peut être soudain envahi de produits bon marché d’un autre pays
sans exporter une quantité égale de produits. Dans ce cas, les producteurs locaux sont
menacés et l’économie nationale également.
En 2003, le Gouvernement du Vanuatu essaya de protéger certains producteurs
locaux contre ce genre de situation. L’importation de poulets entiers fut interdite et Toa
Farms à Port-Vila, un producteur local devint le seul fournisseur. On appelle ce genre
d’action du protectionnisme, que les pays riches ne se gênent pas de mener quand leurs
intérêts économiques sont menacés.
Certains contestataires ajoutent que la libéralisation du commerce nuit à
l’environnement parce que les pays s’intéressent plus à la production et au transport
des marchandises ainsi qu’aux services et se soucient peu des effets que cela peut avoir
sur l’environnement.
Questions de compréhension
1. Qu’est-ce que la mondialisation ?
L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours
177
2. Pourquoi peut-on critiquer la libéralisation du commerce ? Donnez deux raisons.
3. Qu’est-ce que le protectionnisme ?
Pour aller plus loin
1. Si un pays ne produit pas de biens destinés à l’exportation, comment peut-il tirer
avantage d’un accord de libre-échange ?
2. Certains économistes expliquent que le libre-échange et le protectionnisme ne
peuvent pas fonctionner en même temps. Pourquoi ?
Activité de discussion
Avec l’intensification du commerce à travers le monde, quels pourraient être les
effets négatifs sur l’environnement ?
Enquête
Visitez un magasin et examinez les produits en vente. Quels produits sont fabriqués
au Vanuatu ? D’où viennent les produits importés ? Si possible, comparez les
produits fabriqués localement et ceux importés, quels produits sont moins chers ?
Après avoir dressé un tableau succint du système politique et économique du vanuatu,
nous examinerons les composantes sociales du pays.
La vie sociale du pays
Dans la rubrique « Plus en détail » , divers aspects de la vie actuelle au Vanuatu seront
abordés : la vie de village ; la vie en ville ; le sport ; la religion ; la musique ; la culture ;
les relations internationales.
Plus en détail– l’urbanisation au Vanuatu
Dans le chapitre « Croissance de Port-Vila et de Luganville », nous avons étudié le
développement de ces deux villes à l’époque coloniale. Ces deux villes connurent une
croissance importante dans les années 1970 quand le pays obtint le statut de paradis
fiscal. En 1980, Port-Vila en particulier était devenue prospère. En tant que capitale,PortVila était le centre administratif du pays et les Ni-Vanuatu des autres îles s’y rendaient
pour trouver du travail. Alors que Port-Vila était principalement une ville européenne
pendant les premières années du condominium, elle devint une ville mélanésienne à
l’indépendance, même si les comunautés d’expatriés y restent nombreuses.
Aujourd’hui au Vanuatu, en plus de Port-Vila et Luganville, il y aussi des centres
urbains à Norsup à Mallicolo et Lenakel à Tanna. Ils furent créés en 1992 quand le
Gouvernement essaya de décentraliser le développement hors de Port-Vila.
Toutefois, le développement des zones urbaines du pays n’est pas simple. Etant donné
les lois foncières, les zones municipales doivent être déclarées domaine public. Ainsi, la
population fait l’objet d’expulsion de la part du gouvernement. Dans l’extrait suivant de la
thèse de Samantha Sherkin intitulée Forever United : Identity-Construction Across the Rural-
178
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Urban Divide (1999), nous allons découvrir que les gens de Mataso qui vivaient à PortVila ont été expulsés de la plantation Colardeau et ont dû s’installer à Ohlen.
Matah Keru, qui signifie Mataso Number Two, est le nom vernaculaire désignant la
communauté urbaine des gens de Mataso. Cette communauté composée d’environ 200
personnes est située dans la grande banlieue de Port-Vila à Ohlen Freshwind.Matah Keru
occupe un quartier d’une superficie nette de 0,94 hectares à Ohlen (Département des
Terres). La communauté urbaine de Mataso vit sur cette terre depuis le 23 avril 1990.
Cependant la majorité de ces immigrants urbains vivaient autrefois sur les terrains d’André
Colardeau, propriétaire de la Plantation Colardeau. Les gens de Mataso, à la différence
d’autres travailleurs indigènes, vivaient librement sur cette terre (c’est-à-dire qu’ils ne
payaient aucun loyer) en reconnaissance et en dédommagement de 45 ans de travail.
Cependant, en 1990, le gouvernement décida de construire le parlement sur cette terre et
expulsa en conséquence tous les occupants de Mataso et des autres îles. En dépit de leur
La composition des
terrains individuels dans
la communauté de Matah
Keru (Sherkin 1999 : 103).
Légende de la c ar t e
1 * Ma i s on
2 Mais on inha bi té e
3 terres privées n on
dévelo p pé e s
4 j ardins p ri vé s
5 terres non dévelo p pé e s
apparten ant à l a
com m un a uté
6 le Nakam al (ce n tre
de réuni on s )
7 l’Églis e Pres b ytéri e n n e
8 Nakam al pri vé
(un kava- ba r)
Le public est avisé au nom du gouvernement de la République du Vanuatu que les
membres de la Communauté de Mataso doivent quitter les lieux situés et connus sous
le nom de Colardeau (ancien titre de propriété 81) et nouveau titre de propriété 11/
OC24/019 le 30 avril 1990. (Sherkin 1999 : 110)
— Avis d’expulsion distribué au Chef Timataso et au Président du Tokomel Komiti
(un comité organisé par la communauté de Mataso à Port-Vila)
L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours
179
manque de chance, de pluies diluviennes et du manque d’aide de la part du gouvernement,
la communauté de Mataso se réimplanta et s’établit avec succès sur une nouvelle terre
achetée et approuvée par le gouvernement. Toutefois, un bon nombre de ces habitants,
de toutes les générations, restent nostalgiques de leur ancien quartier, expliquant que
non seulement il était mieux situé tout près du centre de la ville, mais, qu’il représentait
également un tribut pour des années de loyaux services… (Sherkin 1999 : 102).
Co nd i tion s d e vie scan d al eus es
L’augmentation dramatique de la croissance démographique a conduit à… un rapide
développement d’installations de type « squat » ou « bidonville » dans les environs
de Port-Vila… il est courant de trouver huit personnes partageant une seule pièce
mesurant quatre mètres sur trois mètres. Les problèmes sanitaires et de traitement
des ordures sont évidents avec un emploi excessif des fosses septiques (là où elles
existent) dans les endroits bondés de monde, ceci conduit à la pollution du lagon de
Port-Vila… On estime qu’en 1990, 25 pour cent de la population urbaine de Vanuatu
vivait dans des taudis et des squats manquant de services essentiels (Bryant 1993 : 51).
La planification de la réimplantation de la communauté commença le 23 avril
1990. Le Ministre des Terres avait initialement fait trois promesses au Tokomel
Komiti de Mataso. Il avait promis de porter assistance dans le déménagement des
maisons individuelles et des biens, de défricher et de nettoyer un site désigné par le
gouvernement avant le grand déménagement, et enfin de ne pas imposer de tarif ou
de loyer sur le nouveau terrain. Aucune promesse ne fut tenue. Chacun commença à
démonter sa maison en tôles, n’ayant aucun moyen de transport vers le nouveau lieu.
Heureusement, la municipalité finit par mettre plusieurs véhicules à disposition. Il fallut
4 jours pour tout déménager : le 26 avril, il n’y avait plus aucune trace d’habitation des
gens de Mataso sur l’ancienne Plantation Colardeau.
Malheureusement, le nouveau site à Ohlen n’était pas très accueillant. A leur arrivée, les gens
de Mataso se trouvèrent dans une forêt dense au lieu d’un site défriché, selon la promesse
faite précédemment par les fonctionnaires du gouvernement. En plus, la pluie ne cessa de
tomber et on s’inquiéta du bien-être des jeunes enfants et des vieillards. Une petite clairière
fut bientôt découverte et on plaça une bâche qui servit d’abri contre les orages. On ne tint
pas compte des biens personnels ou plutôt on les étiqueta et on les entassa sous les arbres.
A cause de la pluie, cet endroit boisé fut transformé en marécage…Le Malvatumauri aida
la communauté de Mataso en demandant à d’autres communautés de Port-Vila de venir
travailler la terre. Les jeunes et les femmes des différentes églises apportèrent aussi leur
assistance : les jeunes aidèrent à construire les maisons et les femmes apportèrent de la
nourriture cuite et du linge. Aujourd’hui, la communauté de Mataso se souvient et décrit ce
déménagement comme un exploit (Sherkin 1999 : 112).
On ne peut vraiment pas définir les gens de Matah Keru comme des squatters, ils ont
officiellement acheté la terre sur laquelle ils habitent actuellement. Cependant, leurs
conditions de vie indigentes illustrent, plutôt qu’elles ne contredisent, les taudis urbains
caractéristiques. Ainsi on peut suggérer que la communauté de Matah Keru vit dans un
état de pauvreté urbaine que l’on distingue par un niveau de vie et de conditions d’habitat
dégradés, par une augmentation des inégalités de salaire et de services essentiels et par un
taux élevé de malnutrition… (Sherkin 1999 : 118).
N o s t a l gie  : regret ou
mélancolie à l’égard du passé
T r ib u t  : dédommagement
pour service rendu
180
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Pour aller plus loin
1. Réfléchissez au déménagement de la communauté de Matah Keru. Etait-ce
justifié ? Pourquoi ?
2. Quelles sont les responsabilités des citadins envers leurs communautés
urbaines ? Pouvez-vous dire que, d’une certaine façon, les communautés dans
les îles sont similaires aux communautés urbaines ? Pourquoi ? Justifiez votre
réponse en donnant des exemples.
Activité de discussion
Si vous êtes déjà allés dans une des zones urbaines du Vanuatu (ou si vous habitez
à Luganville ou à Port-Vila), la municipalité assure-t-elle le minimum de services à
la population ? Pourquoi ? En classe, discutez des problèmes auxquels les citadins
doivent faire face.
Enquête
Quelle est la responsabilité du gouvernement envers ses citoyens ? Est-ce que
les citadins ont le droit d’avoir accès à l’électricité et à l’eau ? Quelle est la
responsabilité d’un propriétaire envers ses locataires ? Recherchez quels sont les
droits et les obligations des citadins.
Plus en détail – le rôle des chefs au Vanuatu : le Malvatumauri
Le Nakamal du Malvatumauri
à Port-Vila, 1995.
Il n’y avait pas, à proprement parler, de
chefs avant la période coloniale. « Il n’y
a pas de chef dans la coutume des NiVanuatu, hormis dans quelques régions
bien déterminées – il y a surtout des
big-men » (MacClancy, 1980 : 126). La
diffusion du terme de chef et l’attribution
des prérogatives qui lui correspondent,
découlent d’une stratégie coloniale. Elle se
servait des chefs comme de médiateurs,
pour tenter de construire de toutes pièces de
nouvelles hiérarchies :
La question des chefs ne prit le devant
de la scène politique qu’à partir de 1975.
Lors des dernières étapes des négociations
sur l’avenir de l’archipel, les autorités
condominiales statuèrent sur l’instauration
d’un Collège électoral des chefs, chargé
de désigner quatre de ses membres,
pour participer à la future assemblée
représentative en tant que représentants
de l’autorité locale. Le rôle et la légitimité de ces représentants de la kastom prit une
tournure fortement polémique de septembre 1975 à juin 1976. Cette institutionnalisation
des chefs coïncide avec l’élargissement du débat sur la coutume. Les chefs devinrent
L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours
181
l’élément central d’une controverse nationale sur ce qu’était la « tru kastom » et sur ce
qui était « giaman » (MacClancy, 1981 : 126).
Officialisé sous le nom de Malvatumauri (« Le terme ‘Malvatumauri’ est un composé
de différentes langues de Vanuatu : mal = chef, vatu = place, île, mauri = grand,
baleine ») en 1976, le Conseil national des chefs avait été envisagé, dès le départ par les
autorités administratives françaises, comme un moyen pour freiner le National Party
(futur VAP). Les propositions françaises allaient dans le sens d’une décentralisation
du pouvoir du futur gouvernement autonome. L’autorité des chefs aurait permis sa
légitimation locale, tandis qu’à un niveau national, le Malvatumauri devait occuper le
rôle d’une chambre haute (un Sénat coutumier), contrebalançant ainsi les décisions de
l’Assemblée représentative qui paraissait irrémédiablement destinée à tomber entre les
mains des nationalistes.
Cette stratégie coloniale française échoua manifestement, après que le VAP, qui
boycotta pourtant les travaux de l’Assemblée représentative, s’accorda finalement sur la
création d’un Conseil des chefs doté d’un rôle consultatif auprès de la future Assemblée
pour toutes matières relatives à la coutume. La position ainsi adoptée par le VAP lui fut
profitable : sur les vingt-quatre membres de ce Conseil qui siégèrent pour la première
fois en février 1977 afin d’élire leur président (le chef Willie Bongmatur qui fut reconduit
dans ses fonctions jusqu’en 1993), quatorze chefs furent apparentés au VP et dix autres
au parti Modéré des francophones. A la même occasion, le Conseil des chefs vota
une motion en faveur de l’instauration immédiate d’un gouvernement indépendant. Il
ruina ainsi les derniers espoirs placés par les autorités françaises dans une structure
fédéraliste (Zorgbibe, 1981 : 72 ; 76).
La version finale du texte de la Constitution du nouvel État entérina l’existence
du Malvatumauri et lui assigna une mission symbolique – renouer les liens avec un
pouvoir autochtone confisqué par les colonisateurs – et des prérogatives honorifiques
renforcées. Aucun éclaircissement ne fut cependant apporté à l’attribution même
de la qualité de chef. Sinon que dans la République de Vanuatu, est chef celui qui
est officiellement admis à participer au processus de désignation de représentants
régionaux, eux-mêmes chargés de procéder à la nomination des chefs membres
du Conseil national. La Constitution dispose que le Conseil national des chefs est
« composé de chefs coutumiers élus par leurs pairs au sein des Conseils régionaux
des chefs » (art. 27 1). Le CNC agit en étroite collaboration avec le Parlement et le
gouvernement, et élit un « Président » (art. 27-4). Le CNC est « compétent dans tous les
domaines relatifs à la coutume et à la tradition » (art. 28-1), notamment concernant « la
protection et la promotion de la culture et des langues néo-hébridaises » (art. 28-1). Il
peut être « consulté sur toutes questions, particulièrement celles relatives à la tradition
et à la coutume, en liaison avec tout projet de législation du Parlement » (art. 28-2).
Le Conseil ne participe pas au pouvoir législatif : « Le Parlement légifère sur
l’organisation du Conseil national des chefs, en particulier, sur le rôle des chefs dans
les villages, dans les îles et dans les régions » (art. 29). En tant que garant de la
Constitution pour tous les aspects coutumiers, le Conseil des chefs vint à offrir une
légitimité réciproque au pouvoir d’État qui lui a donné naissance, et ses membres
devinrent les médiateurs privilégiés de l’État à un niveau local.
182
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Plus en détail– nouvelles églises chrétiennes et autres religions
L’article de journal suivant évoque la naissance de l’Eglise Glorieuse (Glorious Church)
et de ses multiples adeptes à travers les îles.
L’Église Glorieuse continue devoir de Sanma Province
Par Eleanor Waiwo
La Glorious Church est une nouvelle
Église qui a récemment atteint les
îles du nord et a pour but d’unifier
les gens afin qu’ils puissent renvoyer
la Gloire de Dieu et aider à soulager
la souffrance des gens, à la fois
spirituellement et physiquement.
L’Église Glorieuse est née le 11
juin 2000, apparemment pendant le
jour de la Pentecôte, sur la petite île
d’Aniwa. Le message a été ensuite
propagé dans les quartiers de PortVila notamment à Ohlen, Melek Tree
—Vanuatu
et Black Sands. L’Église fut introduite
à Port-Vato à l’ouest d’Ambrym par
son fondateur le Révérend Samuel
Joshua qui croit que Dieu lui a
révélé dans une vision de répandre
le message dans toutes les îles du
Vanuatu…
« Le groupe religieux n’est pas là
pour causer la désunion parmi les
autres groupes religieux, mais son
rôle est d’unifier les gens, de partager
des idées, tandis qu’il travaille pour
le Christ » à expliqué le Révérend
Joshua.
Daily Post no 1226 (12 August 2004)
Dans un autre article, le Vanuatu Daily Post a interviewé Mustapha Kalaos, le Secrétaire
Général de la Société Musulmane du Vanuatu.
Musulmans au Vanuatu
Par Shirley Joy
L’Islam existe au Vanuatu depuis
1978 et son fondateur est feu Henri
Nabanga du village de Mele qui fut le
premier à se convertir au Vanuatu. En
1987, quelques personnes se trouvant
aux alentours de Mele embrassèrent
cette foi et leur première Mosquée
fut établie en 1992 à Mele. Depuis, le
nombre de musulm ans à Mele s’est
accru.
Quelle a été la réaction du Chef et de
la Communauté de Mele ?
Quand l’Islam apparut pour la
première fois à Mele, le chef de
Mele et son peuple respectèrent la
décision des musulmans de choisir
leur foi. Ceci leur valut le respect des
musulmans et ils vivent paisiblement
ensemble dans la communauté.
L’Islam devint en général acceptable
dans le village de Mele grâce à la
bonne humeur et au caractère
correct de Hussein et des autres
habitants du coin qui le soutenaient
pendant les premiers jours de l’Islam
à Mele. Une des choses importantes
qui convainquit le village d’accepter
l’Islam est sa façon complète de vivre
dans ce monde et le monde à venir.
Nous apprenons que la communauté
musulmane grandit et croît chaque
année. Combien y a-t-il de membres
en tout ?
Chaque année, de plus en plus de
gens à Mele et dans les autres parties
du pays entrent dans la religion de
l’Islam. C’est une décision personnelle,
je ne connais pas le nombre exact
de musulmans à Mele. Mais je peux
dire qu’il y a beaucoup de femmes et
d’hommes ainsi que les membres de
L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours
leur famille.
Vos enfants vont-ils à l’école normale
ou doivent-ils aller dans des écoles
spécialisées pour apprendre les
enseignements arabes comme l’exige
la Loi islamique ?
Les enfants qui sont ici au Vanuatu
vont à l’école normale et reçoivent
la même éducation que les autres
enfants. Ils font partie de la même
communauté. Nos enfants qui
ont la chance d’aller étudier à
Fidji vont dans des écoles où ils
—Vanuatu
183
étudient les matières normales en
plus des études sur le Coran et le
comportement éthique. D’autres sont
dans des universités à l’étranger et
étudient l’ingénierie, la médecine,
l’informatique et la gestion.
Comme vous le savez, l’éducation
est la clé du développement de
n’importe quelle communauté et
nous souhaitons voir nos enfants
éduqués pour qu’ils puissent
contribuer à la prospérité du pays.
Daily Post no 1275 (20 October 2004)
Pour aller plus loin
1. Dans le volume 1, nous avons découvert les différentes Eglises chrétiennes
qui se sont installées dans l’archipel. Quel effet peut avoir l’introduction de
nouvelles croyances et religions sur les premières Eglises qui sont venues dans
l’archipel ?
2. D’autres Eglises telles que l’Eglise Mormonne, l’Eglise de la Nouvelle Alliance
(New Covenant Church), la Maison de Potter (Potter’s House) et les Témoins
de Jéhovah se sont également installées récemment. Y a-t-il d’autres nouvelles
Eglises ? Y a-t-il des similarités entre elles ? des différences ?
Activité de discussion
Le préambule de la Constitution déclare « nous (…) proclamons la création de
la République de Vanuatu libre et unie, fondée sur les valeurs mélanésiennes
traditionnelles, la foi en Dieu et les principes chrétiens ». De ce fait, peut-on
justifier l’introduction de nouvelles Eglises dans notre pays ? Doit-on les laisser
faire ? En classe, discutez ce problème.
Enquête
1. En plus des Eglises chrétiennes, d’autres religions ont été introduites au Vanuatu
telles que la secte Bahaï (en 1953) et l’Islam (en 1978). L’article de journal cidessus nous parle des Musulmans de Mele. Effectuez des recherches sur ces
religions. Vous pouvez vous renseigner auprès de vos professeurs ou trouver des
informations dans une encyclopédie ou sur Internet.
2. Recherchez des informations sur le Conseil Chrétien du Vanuatu (Vanuatu
Christian Council VCC). Quand a-t-il été créé ? Que fait-il ? Quelle est son
organisation ? Sa structure ? Quelles sont les Eglises membres ?
184
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Plus en détail – une nation récente avec une population jeune
La population du Vanuatu est caractérisée par sa jeunesse. Lors du recensement de
2009, 38,8 % de la population était âgée de moins de 15 ans et seulement 5,8 % de la
population était âgée de plus de 60 ans. La population urbaine est elle aussi en forte
croissance. De 1989 à 1999, le taux de croissance urbaine était de 4,2 %. En 2009, la
population urbaine (à Luganville et à Port-Vila) comptait 57 207 habitants, dont plus de
56 % âgés de moins 25 ans (2009 : Bureau National des Statistiques).
Témoignage sur les difficultés rencontrées par la jeunesse :
Logo du Challenge
international de la jeunesse
J o e l A l be r t : Long tingting blong mi, mi ting se… wan samting [we hem i holem bak ol yut
blong yumi] hem i from se ol yut, oli no save ol samting we oli save mekem long laef blong
olgeta [Yut] hem i wan taem we yumi lanem fulap samting. Ekspiriens blong mi wetem Youth
Challenge mo samfala woksop we mi stap givhan long hem, mi luk se sam taem we mifala i
holem wan woksop olsem long saed blong HIV/AIDS mi luk se ol yut oli tekem ol infomesen
we mifala i stap givim aot… taem we oli gat wan samting we i save givhan olgeta mi luk se oli
glad blong kasem save ia.
Naoia we i stap, sapos we yumi lukluk gud, komparem faev yias taem i bin go bak…
Vanuatu i jenis we i jenis. Divelopmen i kam antap, ol niufala stael i stap kam antap, ol
yangfala naoia i jenis i no olsem bifo… defren long ol yangfala long taem blong ol mama
mo papa blong yumi… bae yumi no tingting hevi long ol samting ia [the change that is
happening] kasem wataem? Kantri blong yumi i stap divelop naoia. Wanem we i stap se yumi
mas mekem ol gudfala disisen long laef blong yumi. From yumi no save stopem divelopmen.
Dans le monde d’aujourd’hui, comment peut-on trouver un équilibre entre nos coutumes
traditionnelles et la réalité du développement ?
Mi ting se sapos i gat sam spesel aweanes blong ol yangfala o ol man, blong talem se
divelopmen i stap kam, be yu mas be awea long hem se hem i impoten iet blong save se yu
kamaot long wea, yu mas save histri blong yu, blong holem taet i kam long fiuja, yu save se
taem we yu gat pikinini yu pasem ol laen blong yu, ol histri blong yu i go. Taem ol pikinini
blong yumi oli kam antap long fiuja, oli save se, mi mi kam aot long laen olsem ia, langwis
blong mi i olsem ia… yumi save se divelopmen yumi no save stopem, be iet yumi save
konsiderem ol kastom blong yumi, ol kalja blong yumi insaed long laef blong yumi.
Yu mas lukluk i go long fored tu. Yumi mas luk i go long fiuja. Long fiuja bae yu wanem
kaen man… mo yu no ting daon long yu wan. Yu no ting se yu no gat hop. Yu gat laef, yu stap
laev yet. Yu go long sam woksop, i gat plante we oli fri. Go long wei; karem sam infomesen
blong yu. Olsem wan yangfala yu mas tingting strong long laef blong yu, long fiuja blong yu.
Wanem nao yu wantem long laef blong yu? Wanem nao, bae yu kam long fiuja? Iven we yu
talem se, mi no gat hop. Mi no gat edukesen. Mi no gat wok. Mi no gat graon long aelan.
Yu mas gat wan tingting we hem i wan gudfala tingting. Tekem ol samting olsem ol impoten
samting long laef. Wan samting we mi faenem long ol yut blong Vanuatu, hem i wok blong
fraet. Fulap taem yumi stap sem, yumi stap fraet. Mi ting se, olsem wan yangfala, yu mas
tingting strong. Toktok plante long ol fren. Jenjem fasin blong yu, ol samting yu mekem we
i no stret tumas… mekem we bae yu go insaed plante wetem ol yangfala, yu toktok long ol
yangfala, hem i save lidim yu i go long wan wei we bae i save mekem se yu glad long laef
blong yu long fiuja.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes du Vanuatu ?
Yu no ting daon long yu wan. Yu neva ting se yu wan samting nating… yu mas gat gudfala
L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours
185
tingting long yu wan se yu save mekem wan samting yet. Yumi mas save se yumi ol yut, yumi
fiuja blong Vanuatu.
Yumi mas save se kastom blong yumi i stap. Divelopmen i stap kam naoia, be yu mas
tingbaot se yumi laef wetem ol kastom blong yumi tu… long fiuja yu mas tijim i go long
pikinini blong yu… yu ded yu go finis be pikinini blong yu bae i glad blong talem nem blong
yu mo histri blong yu. Tru long ol fasin olsem ia i save tekem Vanuatu long wan ples we i kam
wan gudfala kantri. —Entrevue par Sara Lightner, le 24 septembre 2004.
Pour aller plus loin
1. Quel est le sens du mot développement ? Quel est son effet sur la vie
quotidienne ? Comment cela affecte-t-il la vie des jeunes en particulier ?
2. Si vous avez accès à un journal, comptez le nombre d’articles qui parlent d’une
aide donnée au Vanuatu par des sources étrangères. Combien y en a-t-il ?
Activité de discussion
Nous entendons souvent la phrase « Les jeunes sont l’avenir du Vanuatu ».
Qu’est-ce que cela signifie pour vous ? En classe, organisez une discussion par
rapport au sens de cette phrase.
Expressi on écrite
1. En tant que jeunes au Vanuatu, pensez-vous devoir faire face à des difficultés
que vos parents, professeurs et anciens ne comprennent pas ?
2. Quel est le problème actuel le plus important dans la vie de la jeunesse du
Vanuatu ?
La renaissance culturelle à travers le festival des arts
Le Mini festival des arts de Malawa se prepare
Plus de 40 groupes coutumiers de
South-West Bay à Mallicolo et des îles
environnantes se préparent pour le
Mini Festival des Arts de Malawa, qui
débutera le 23 août et se terminera
vendredi 27 août. L’objectif du festival
est principalement de faire participer
les jeunes, de leur enseigner les
traditions et les danses coutumières
et d’en faire renaître la valeur.
Le festival aura lieu dans les
villages de Wipie, de Lohbangalo et de
Lawa à South-West Bay. La première
partie aura lieu dans le nasara ou
dans l’espace de réunion du Chef.
L’ouverture officielle se tiendra le
lundi 23 août. On pourra voir
l’arrivée des participants à
Lohbangalo, suivie des salusalu, les
discours des chefs, des représentants
de la province, des députés et autres
diplomates. Une cérémonie d’échange
de cochons se fera entre les chefs des
communautés de Lawa et de Lamap
pour remercier la communauté de
Lamap d’avoir pris l’initiative du
premier mini festival organisé à
Lamap.
Les jours suivants mettront en
valeur les coutumes et les traditions
qui régulaient la vie des
anciens, et certaines qui sont tou-
186
Vanuatu Daily Post
no 1232 (20 août 2004)
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
jours pratiquées. À retenir, des
dessins sur sable uniques seront expliqués par 12 groupes de Mallicolo
qui ont participé au Festival des dessins sur sable à Pentecôte le mois
dernier. Il y aura aussi des démonstrations de sculpture et de préparation de plats locaux.
Le mercredi 25 août sera sur un
autre registre, avec des représenta-
tions, dans la matinée de plusieurs rituels funéraires traditionnels comme
la danse coutumière sacrée du Lohto,
une danse réalisée seulement par les
esprits des morts. Le groupe coutumier de Bankir présentera aussi une
cérémonie mortuaire, suivie par plusieurs autres danses des différentes
îles qui, selon certaines sources, seront présentées pour la première fois.
Pour aller plus loin
Pourquoi les festivals des arts sont-ils si populaires au Vanuatu ?
Pour quelles raisons organise-t-on des festivals des arts ? Quel est leur apport aux
communautés ?
Activité de discussion
Imaginez que l’on organise un festival des arts dans votre communauté. Quels
en seraient les événements principaux ? A quels événements participeriez-vous ?
Quelles seraient les particularités culturelles de votre communauté à montrer dans
ce festival des arts ?
Le tout premier festival de
dessins sur sable tenu au village
de Atanbwal, à Pentecôte, en mai
2004. Photo par Anna Naupa.
L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours
187
Le Premier ministre, Père Gérard Leymang :
Le premier festival, notre festival, est une
occasion très spéciale d’apprécier notre culture
dans son intégralité. Les meilleures productions
artistiques de l’archipel des Nouvelles-Hébrides
seront réunis pour quelques jours à Port-Vila.
Plus qu’une exposition artistique, ce festival
à l’aube de notre indépendance acquiert une
valeur symbolique. C’est l’image vivante de
notre unité et de la richesse de la diversité de
nos racines.
—Pacific Islands Monthly, décembre 1979
Plus en détail – le sport au Vanuatu
Les athlètes du Vanuatu
représentant la nation dans
différents sports allant du
golf au ping-pong en passant
par l’athlétisme se sont
rassemblés pour une photo de
groupe avant de partir pour
les Jeux du Pacifique Sud de
2003 à Suva, dans les îles
Fidji (Vanuatu Daily Post).
Le Vanuatu au semi-marathon international de Nouméa
Le dimanche 22 août, à 7 heures, la délégation du Vanuatu composée de
20 personnes se trouvait sur la ligne de départ pour la course des 21,1
kilomètres du 22ème semi-marathon international de Nouméa.
Cette participation importante à un événement international fut le résultat
de plusieurs mois d’entraînement musclé ayant permis de sélectionner les
meilleurs coureurs de longue distance du pays.
—L’Indépendant du Vanuatu no 45, 3 septembre 2004
Activité de discussion
En classe, listez les différents sports pratiqués au Vanuatu aujourd’hui. Dans cette
liste, lesquels sont pratiqués dans votre école ?
188
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Enquête
Choisissez un des sports dans la liste et décrivez-le. Est-ce un sport de compétition ?
Y a-t-il des championnats annuels, à l’échelle nationale et internationale ? Y a-t-il une
ligue ? A votre connaissance, depuis combien de temps pratique-t-on ce sport au
Vanuatu ?
Plus en detail– spirit blong bubu i kam bak
En 1996, une exposition majeure sur l’art du Vanuatu intitulée « Spirit blong Bubu i
Kambak » fut présentée au Musée National du Vanuatu à Port-Vila. L’exposition voyagea
également à Nouméa, Paris et Bâle en Suisse. Les pièces mises en évidence étaient des
pièces provenant des collections d’art d’un certain nombre de musées ainsi que celles du
Musée National. Plusieurs exemples d’objets traditionnels fabriqués dans les années 1990
furent également exposés pour montrer la continuité artistique traditionnelle du Vanuatu.
De nombreuses pièces furent rassemblées dans les îles au siècle dernier et font
partie des collections de musées étrangers. De plus, plusieurs de ces objets étaient des
exemples des traditions culturelles et artistiques disparues au Vanuatu.
L’extrait suivant est tiré d’un article de Ralph Regenvanu, l’ancien Directeur du Centre
Culturel.
L’exposition à Port-Vila a permis au public de voir des pièces antiques créées par leurs
ancêtres et qui sont à la base de leur identité culturelle souvent oubliée. La motivation
principale des organisateurs de cette exposition était non seulement de sensibiliser les NiVanuatu à la richesse de leur culture traditionnelle artistique, mais aussi de les stimuler
à recréer ces pièces et de retravailler la matière avec laquelle elles ont été effectuées. Ce
pensum a été soulevé en réponse à plusieurs facteurs en relation avec l’histoire du Vanuatu,
les réalités matérielles de préservation des objets artistiques indigènes et les tendances
actuelles de créativité dans notre pays (Regenvanu 1996 : 37).
Logo du centre culturel du
Vanuatu. Le Centre Culturel
du Vanuatu se consacre à la
préservation, la protection
et le développement des
différents aspects cuturels du
pays, et la conservation des
enregistrements publics et
des archives, au bénéfice des
bibliothèques publiques.
Pour aller plus loin
Le Musée National a la responsabilité de préserver l’héritage et les traditions
culturels du Vanuatu, mais nous avons une responsabilité aussi. Que pouvonsnous faire pour que notre culture reste vivante ?
Activité de discussion
« Nous voilà confrontés à une situation où une partie substantielle de notre héritage
culturel national (et dont certaines pièces sont des plus précieuses étant donné leur
ancienneté) se trouve à l’extérieur de notre pays… » (Regenvanu 1996 : 38)
Il y a plusieurs collections d’art de notre archipel qui se trouvent dans des musées à
l’étranger. Considérez à la fois les avantages et les inconvénients de cette situation
et discutez-en en classe.
Enquête
1. Interrogez les anciens de votre communauté. Y a-t-il des formes d’art, des
plans d’habitation, des motifs de nattes, des modèles de panier, etc., dont ils
L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours
189
se souviennent et dont on ne se sert plus ? Notez toutes les informations qu’ils
vous donnent afin de préserver cette partie de notre héritage culturel.
2. Si vous habitez à Port-Vila, ou quand vous y viendrez, visitez le Musée National.
Observez les collections. Qu’y trouve t-on ? Y a-t-il des objets originaires de votre
île natale ?
Plus en détail – les liens avec les Australiens d’origine mélanésienne
Des insulaires sarclant les
mauvaises herbes dans un
champ de jeunes cannes à sucre
du Queensland, n.d. Photo de
la collection de la Capricorn
Coast Historical Society.
En souvenir des premiers pionniers mélanésiens, pour leur contribution à
l’établissement de l’industrie de la canne à sucre dans le district de Mackay… »
— Inscription gravée sur la statue de bronze d’un coupeur mélanésien de canne à sucre
dans le parc de Mackay, décoré des drapeaux du Vanuatu, de la Nouvelle-Bretagne, des îles
Salomon, de Fidji et des îles Loyautés (dépliant du Conseil Municipal de Mackay)
En août 2004, Jeanne Tarisese du Projet de la Culture des femmes au Centre Culturel
du Vanuatu, se rendit à Mackay, au Nord du Queensland en Australie. Elle fut invitée à
prendre part à une célébration commémorant le 10ème anniversaire de la reconnaissance
fédérale australienne des Mélanésiens de nationalité australienne.
Pendant son séjour à Mackay, Jeanne séjourna avec Pam Viti, une Australienne
d’origine mélanésienne dont le père était de Pentecôte et la mère d’Ambae. Pam
travaillait sur un projet de recueil de données sur les Mélanésiens qui sont venus à
l’origine comme travailleurs. Un des buts du projet etait de se faire une idée du nombre
de Mélanésiens qui ont effectivement travaillé en Australie.
Pendant cette célébration, Jeanne raconta des légendes coutumières aux enfants des
écoles primaires de Mackay. Le programme fut sponsorisé par le Service Bibliothécaire
du Conseil Municipal de Mackay. Elle chanta aussi des chansons qui accompagnèrent
certaines des histoires. Les enfants étaient surtout intéressés par l’histoire du trou dans
la lune, une légende originaire de l’île de Maewo. En plus des légendes, Jeanne montra
aux élèves comment tresser un panier et des petits jouets avec les feuilles de cocotier.
Elle apporta également des paniers et des nattes en pandanus des différentes îles pour
C o m m é m o r e r : célébrer
un anniversaire
190
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
les montrer aux élèves.
Les élèves posèrent beaucoup de questions, surtout sur la vie des enfants de
leur âge vivant au Vanuatu. Ils voulaient découvrir le quotidien d’un élève vanuatais,
l’organisation des écoles,le repas des élèves à midi et ce leurs occupations pendant leur
temps libre.
Comme nous l’avons étudié dans le volume 1, Mackay et Rockampton étaient deux
régions vers lesquelles les Mélanésiens étaient emmenés pour travailler dans les
champs de canne à sucre. De nombreux descendants de ces Mélanésiens s’intéressent
à leurs ancêtres.
Dans une des classes que Jeanne visita, l’instituteur fit comprendre aux élèves que
l’établissement de Mackay devait sa réussite au dur labeur des Mélanésiens. Il est
impératif que les élèves comprennent l’importance de cette partie de l’histoire et que les
Mélanésiens soient fiers de leur héritage. Que le Gouvernement australien reconnaisse
formellement les contributions des Mélanésiens à l’économie australienne est aussi
important.
En juillet 2002, un groupe de dix Australiens mélanésiens de Mackay arriva à
Vila. Ce projet intitulé « Pèlerinage au Vanuatu » fut le rêve de plusieurs vieux
Australiens mélanésiens qui voulaient « retourner » aux îles pour visiter la terre
natale de leurs ancêtres et connaître leurs familles du Pacifique.
J’ai un souhait – marcher sur la plage où ma grand-mère a été recrutée à Ambae.
— Elsie Kiwat, descendante de travailleurs d’Ambae et d’Erromango
Tiré de Pilgrimage to Vanuatu
2002 : A dream come true.
Rotary Club de Mackay.
Au Vanuatu, nous avons trouvé le maillon manquant de la chaîne — nous nous sentons
chez nous. C’est vraiment triste ce que nos familles en Australie ont perdu. Nous avons
des sentiments partagés — de la colère pour les mauvais traitements subis par ceux qui
ont été kidnappés, de la colère pour ce qui est arrivé et de la tristesse pour ce que nos
familles au Vanuatu ont enduré quand nos gens ont été kidnappés… Maintenant que
nous sommes retournés à Mackay, nous aimerons encourager nos familles à visiter le
Vanuatu et essayer de retrouver les membres de leur famille.
— Lauriann Trevy, Dulcie Trevy et Georgina Kissier, descendantes de travailleurs de Mallicolo
Pour aller plus loin
1. Que signifie pour un Australien d’origine mélanésienne d’être reconnu par le
gouvernement fédéral australien ?
2. Pourquoi les Australiens d’origine mélanésienne désiraient-ils se rendre au
Vanuatu et voir la terre de leurs ancêtres ?
Enquête
1. Connaissez-vous quelqu’un d’un autre pays qui a immigré au Vanuatu ? Si oui,
comment s’identifie-t-il avec son pays d’origine ? Retourne-t-il visiter son pays ?
2. Connaissez-vous des histoires sur des membres de votre famille partis travailler
dans les champs de canne à sucre d’Australie ou de Fidji, ou dans les mines
de nickel en Nouvelle-Calédonie ? Et concernant l’émigration de ces dernières
L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours
191
décennies ? Votre famille est-elle en contact avec des parents vivant à l’étranger ?
Interrogez les membres de votre famille pour savoir s’ils connaissent des
histoires sur des parents partis travailler à l’étranger.
Plus en détail – les jeunes femmes parlent
De 2001 à 2002, le Projet des Jeunes du Vanuatu (VYPP : Vanuatu Young People’s
Project), basé au Centre Culturel du Vanuatu, acheva son projet intitulé ‘Jeunes
Femmes, Beauté et Image de Soi.’ Le VYPP « fut formé en 1997 pour répondre aux
besoins du nombre croissant de jeunes vivant en zone urbaine à Port-Vila, en se
concentrant sur la recherche, le soutien de leur cause et la production de vidéos.
Le VYPP a étendu son champ d’action pour examiner les problèmes qui touchent les
jeunes vivant en zones rurales et également dans les autres îles » (VYPP 2002 : ii). Le
but de ‘Jeunes Femmes, Beauté et Image de Soi’ était de noter les opinions des jeunes
femmes sur les problèmes qui affectent les idées des gens sur la beauté et l’image de
soi. On interrogea soixante-dix-neuf femmes de Port-Vila et d’Erromango qui donnèrent
leurs opinions sur la coutume, l’argent, la religion et les relations. Les questions de
discussion qui suivent sont des exemples de problèmes abordés pendant les entrevues.
Activité de discussion
1. Pouvez-vous vous habiller de la même manière dans votre village qu’en ville ?
Justifiez votre réponse.
2. Est-il vrai qu’il y a beaucoup de règles sur ce que peuvent ou non porter les
femmes ? Justifiez votre réponse et expliquez votre point de vue ?
3. Il semble y avoir beaucoup de jalousie causée par la façon de s’habiller des
femmes. Est-ce vrai ? Si oui, pourquoi ?
4. Pensez-vous que les femmes ont le même degré de liberté dans la façon de
s’habiller que les hommes ? Pourquoi ?
L’article suivant est tiré de « Young Women Speak : A report on the Young Women, Beauty
and Self-Image Video Training Project » (2002) :
Les Pantalons et le Respect
Les jeunes femmes de Vanuatu aujourd’hui font face à un paradoxe quand il s’agit de porter
des pantalons. D’un côté, elles se sentent plus libres de porter les genres de vêtements
qu’elles aiment, surtout les pantalons, que les femmes plus âgées et mariées avec des
enfants. D’un autre coté, quand elles portent des pantalons, on les accuse, comme il en
est souvent le cas pour les jeunes du Vanuatu, d’abandonner et de manquer de respect
envers la coutume et la communauté. Cependant, il est clair qu’en réalité les jeunes femmes
sont conscientes de leur relation entre leur apparence, la coutume et la culture et sont
soucieuses de s’habiller de façon respecteuse. En terme d’image de soi, les jeunes femmes
sont partagées entre leur désir de se montrer, de se sentir séduisantes et à l’aise et leur désir
d’être respectueuses. Ces deux désirs souvent contradictoires sont des facteurs déterminants
P a r a d o x e : une situation
contradictoire
192
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
de l’image de la jeune femme.
Le désir des jeunes femmes d’être non seulement respectueuses, mais aussi d’être
respectées par les autres, a aussi un effet déterminant sur leur image. Les jeunes femmes
sentent que leurs désirs, choix et besoins en terme de beauté et d’image de soi, ne sont pas
souvent pris en compte et respectés par les chefs, la famille et les autres. Chercher le respect,
aussi bien que l’attrait et le confort, est pour ainsi dire très important dans le développement
des idées des jeunes femmes sur la beauté et l’image de soi et c’est une des plus grandes
barrières contre une image positive de soi à laquelle se trouvent confrontées les jeunes
femmes d’aujourd’hui.
Pour aller plus loin
D’après le glossaire, un paradoxe est une contradiction, ou quelque chose
d’ironique. Pouvez-vous trouver d’autres exemples de paradoxe ?
Expression écrite
« Quand les femmes portent des pantalons, cela attire les hommes et cause
des viols ». Êtes-vous d’accord avec cette déclaration ? Pourquoi ? Rédigez une
composition qui expose vos opinions et vos arguments.
Activités tirées de l’Annexe 2 de
Young Women Speak : A report
on the Young Women, Beauty
and Self-Image Video Training
Project (2002) : Les Jeunes
Femmes Parlent : Compterendu d’un projet de formation
de vidéo sur les jeunes femmes,
la beauté et l’image de soi.
Activité de discussion
1. Y a-t-il des règles dans votre communauté concernant les femmes qui portent
des pantalons ? Décrivez-les et expliquez pourquoi vous êtes d’accord ou pas
avec ces règles ?
2. Quelles sont les différences entre les vêtements d’aujourd’hui et d’autrefois ? En
classe, faites des groupes et listez ces différences.
Enquête
Que signifient les mots ‘beauté’ et ‘image de soi’ pour toi ? Que signifient-ils
pour les autres ? En classe, interrogez vos camarades pour découvrir ce qu’ils en
pensent.
Pourcentage croissant des maladies liées au style de vie
En 1998, le Secrétariat de la Communauté du Pacifique et le Ministère de la Santé
du Vanuatu achevèrent un sondage national sur les maladies non transmissibles. Ce
sondage fut effectué du 10 août au 2 septembre sur 1638 adultes des provinces de
Sanma, de Penama, de Malampa, de Shefa et de Torba. 815 des sondés étaient des
hommes et 805 des femmes. L’extrait suivant est tiré du compte-rendu du sondage
et montre les changements de mode de vie liés à l’augmentation de la fréquence de
nouvelles maladies.
Le jardinage et la marche étaient les activités physiques les plus communes quelque soit
l’âge. De façon significative, beaucoup plus d’hommes que de femmes ont déclaré faire du
jardinage, du sport et de la marche quotidiennement ou hebdomadairement.
Par rapport à l’intensité des activités physiques, la majorité des sondés (78,2%) font
L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours
193
régulièrement des activités physiques modérées. Une plus grande proportion d’hommes que
de femmes effectue des activités physiques intenses. On remarque une tendance croissante
à entreprendre des activités physiques intenses quand on passe des zones urbaines aux
zones rurales.
Les résultats sur les fréquences de consommation de nourriture montrent que 56,4%
des sondés mangent quotidiennement du riz et du pain, alors que seulement 17,1% se
nourrissent quotidiennement de nourriture locale telle que le bougna ou le laplap. 18,3%
à 21% des personnes mangent de la viande (bœuf, poisson, poulet, etc.) fraîche ou en
conserve. 66,2% utilisent le lait de coco chaque jour dans leur cuisine alors que 30,4% se
servent d’huile végétale. 93% des sondés utilisent du sel chaque jour et 62,2% du sucre.
Les boissons gazeuses, le lait et le Milo/thé/café ne sont pas des boissons consommées
quotidiennement par la plupart de la population.
On remarque aussi une forte tendance à consommer de la nourriture locale telle que les
racines comestibles, le lait, la chair de noix de coco et les fruits et légumes quand on passe de
la zone urbaine à la zone rurale ainsi qu’une diminution de la consommation du pain et du riz
(des aliments de base non traditionnels), de matières grasses / d’huile et de viande fraîche.
Ce sondage a aussi déterminé la fréquence des maladies non transmissibles et les
facteurs de risque au Vanuatu. En général, les taux d’obésité, d’hypertension et de cas limites
d’hypertension ont augmenté depuis 1985 d’à peu près 10%. Cependant, les taux de diabète
et d’intolérance au glucose restent stables… Bien que le nombre de femmes consommant de
l’alcool, du kava et du tabac soit le plus bas dans la région du Pacifique,leur consommation
de kava depuis 1985… Le kava n’est pas considéré comme un facteur de risque pour la santé
et sa consommation chez les hommes reste stable depuis 1985. (SPC 2000 : v-vii).
Pour aller plus loin
1. Pourquoi les problèmes de santé en zones urbaines et en zones rurales sont-ils
différents ?
2. Alors que notre mode de vie change, que doit-on faire à propos de notre régime
alimentaire et de nos activités ?
3. En vous basant sur ce que vous savez sur l’équilibre alimentaire, pourquoi est-il
plus bénéfique de consommer du taro ou d’autres racines comestibles que du
riz blanc ou du pain blanc ?
Activité de discussion
Pensez-vous que votre santé est meilleure ou pire que celle de vos parents au
même âge ? En classe, organisez un débat sur la façon de régler votre mode de vie
pour rester en bonne santé dans le monde actuel.
Enquête
1. Effectuez des recherches sur les termes suivants :
• Obésité • Maladie non transmissible • Maladie coronaire • Hypertension
• Maladie due au mode de vie • Diabète
2. Renseignez-vous sur les autres pays du Pacifique. Nos voisins font-ils face aux
mêmes difficultés concernant l’accroissement de fréquence des maladies non
transmissibles ? Si oui que font-ils pour lutter contre ce problème ?
Pour une actualisation des
informations sur les sujets
relatifs à l’alimentation et la santé
publique des Ni-Vanuatu, se
reporter à l’Atlas du Vanouatou de
P. Siméoni p318-319 et p303-312.
194
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
3. Demandez à une personne travaillant dans le domaine de la Santé de venir
parler à votre classe des maladies dues au mode de vie. Pourquoi devons-nous
nous inquiéter à ce sujet ?
Les preoccupations environnementales du Vanuatu
Tout comme leurs ancêtres, les Vanuatais dépendent de leur environnement pour
subsister ou pour en tirer un profit économique. Dans les « Plus en détail » suivants,
nous examinerons divers problèmes et préoccupations actuels sur l’environnement.
Plus en détail – l’intérêt extérieur pour le bois du Vanuatu
La sylviculture est une industrie
importante au Vanuatu.
Les bûcherons du Vanuatu
Le Vanuatu, dont les réserves de bois
de construction sont minimes et
les moins attirantes de Mélanésie, a
confirmé une interdiction de deux
ans sur les exports de bûches brutes.
Le Premier ministre Maxime Carlot
Korman a souligné en mars cette
interdiction à la réunion tenue avec
la mission du gouvernement malais
qui s’est rendue le mois dernier à
travers la Papouasie-Nouvelle-Guinée,
les îles Salomon et le Vanuatu.
Les Malais espéraient réparer
leur image ternie dans la région par
les reportages sur la profanation
des forêts mélanésiennes par
des compagnies forestières
essentiellement malaises…
Vanuatu a imposé cette
interdiction après que l’on a tiré la
sonnette d’alarme sur les licences
d’exploitation forestière accordées
à trois compagnies malaises et
une compagnie chinoise pour l’île
d’Erromango.
Le gouvernement a annulé
les licences et les contrats de ces
compagnies asiatiques. Il a expliqué
qu’il y avait eu une erreur réciproque
sur la quantité de bois qui pouvait
être exploitée durablement à
Erromango.
L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours
D’après une recommandation
du Département des Forêts, on ne
peut pas exploiter plus de 25 000
mètres cubes annuellement dans
195
l’ensemble du Vanuatu. L’entreprise
Parklane avait obtenu une licence
d’exploitation pour 75,000 mètres
cubes par an […]
Pour aller plus loin
1. Comment peut-on faire le lien entre cet article et les autres chapitres de ce
programme d’histoire ?
2. Pourquoi le gouvernement a-t-il annulé les licences d’exploitation forestière des
compagnies asiatiques ?
3. Renseignez-vous sur les méthodes de mesure des bûches. Combien de bois y
a-t-il dans un mètre cube ?
4. Que signifie ‘exploitée durablement’ ?
Activité de discussion
Pourquoi les compagnies malaises s’intéressaient-elles à notre bois ?
Plus en détail – la gestion des ressources marines dans les villages
L’extrait suivant est tiré d’une publication de l’UNESCO intitulée « Evolution of villagebased marine resource management in Vanuatu between 1993 and 2001 (Evolution de la
gestion des ressources marines dans les villages du Vanuatu entre 1993 et 2001) » par
R.E. Johannes et F.R. Hickey (2004).
Une étude des villages côtiers du Vanuatu en 1993… révéla que, pendant les trois dernières
années, les mesures de gestion de ressources marines, créées pour réduire ou éliminer la
pêche intensive ou les autres effets humains nuisibles pour les ressources marines, avaient
rapidement augmenté.
L’élan majeur de ces événements fut la promotion de la part du Département des Pêches du
Vanuatu d’un programme volontaire de gestion des Trochus dans des villages. Le Trochus est
un grand escargot de mer dont la coquille est vendue pour faire des boutons, des incrustations
pour les sculptures en bois et comme composant dans certaines peintures. C’est l’exportation
commerciale marine la plus importante des zones rurales. Initialement, ces programmes ne
concernaient que quelques villages de pêcheurs. Le Département mena un sondage sur les
stocks de Trochus des communautés et conseilla aux villageois d’arrêter régulièrement et
pendant quelques années la pêche des Trochus, et de l’autoriser ensuite durant des périodes de
pêches brèves. On donna le choix aux villageois de suivre ou non ce conseil.
L’étude de 1993 révéla que les villages qui avaient suivi ce conseil, avaient trouvé cette
méthode tellement avantageuse que les autres villages en firent de même. Par ailleurs, en
voyant l’importance de la protection des stocks de Trochus, de nombreux villages décidèrent
de prendre des mesures de protection des autres animaux marins dont les poissons, les
langoustes, les bénitiers, les bêches de mer (concombres de mer) et les crabes. Ils interdirent
ou limitèrent aussi certaines pratiques de pêche nuisibles telles que la pêche nocturne au
harpon et l’utilisation des filets, surtout les filets à mailles. Un des villages sondés établit
également une zone marine protégée et la peupla de bénitiers géants.
Island Business Magazine
Vol 22 No 4 (avril 1995)
196
o
*
fonctionnant en 2001.
fonctionnant en 1993,
mais cessé depuis.
D
Dispute foncière
marine actuelle.
*
Initiative sur les
bénitiers aussi
enregistrée comme
Zone Marine Protégée.
†
#
Il y a une différence
de 3 dans les totaux
des mesures de
gestion des ressources
marines parce que les 3
sanctuaires des bénitiers
dans lesquels les autres
espèces sont protégées
sont enregistrés
comme Zone Marine
Protégée et n’ont pas
été comptés en double
pour calculer le total.
Nombre total
d’initiatives de
gestion villageoise
effectives en 2001.
TOTAL Nombre total de
mesures de gestion de
chaque type en 2001.
Les chiffres indiquent
plus d’une initiative
en fonctionnement
dans un seul village.
Anelguahat
Mele
Mangililiu
Tanolio
Siviri
Saama
Emua
Paunangisu
Epao
Eton
Erakor
Marae
Lamen Bay
Pescarus
Lutas
Pelongk
Litzlitz
Uri
Uripiv
Norsup
Tautu
TOTAL
D
o
•
o
o
D
D
x
x
x
o
•
•
•
•
•
D
D
D
D
8
•
•2
•
•
•
•o
•o2
•o
x
x
11
18
o
o
o
o
o
o
o
•
o
o
o
o
o
•
o
o
•
o
o
o
o
o
0
o
o
o
o
11
o
o
o
10
•
•
o
o*
•
o
•
o
o
•
•*
o
o
o3
•
•
o2
o*
•
o2
o
o
8
7
5
5
4
2
9
#
Divers
Méthodes de pêche
nuisibles à l’habitat
Crabes
•
o
o
D
Bénitiers
•
•
•
marines protégées
Zones
•
•
•
Utilisation des filets
Légende
Fonctionnant en
1993 et en 2001.
Clôtures de pêcherie
•
Trochu
Les initiatives de gestion des
ressources marines dans 21
villages au Vanuatu, 1993 et
2001 (UNESCO 2004 : 22).
Pêche au harpon
l a ge s ti o n i m pl i q u ant :
Bêche-de-mer
tabl eau 1
En 2002, 21 des villages où l’on avait mené un sondage en 1993 furent revisités afin
de déterminer les résultats des mesures de gestion instaurées par les villageois. Le critère
principal d’évaluation était de déterminer combien de mesures de gestion avaient cessé et
combien de nouvelles mesures avaient été instaurées. Les résultats démontrèrent que les
mesures de gestion de ressources marines avaient plus que doublé entre 1993 et 2001.
Tortues
UNESCO 2004 : 9.
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
4
2
4
5
4
2
3
3
3
3
3
3
5
8
7
10
2
12
4
0
0
86†
Questions de compréhension
1. Observez le tableau ci-dessous. En vous basant sur les informations données,
quels villages ont pratiqué une gestion des crabes ?
2. En vous basant sur la liste des villages dans le tableau, dans quelles îles a-t-on
fait des recherches pour ce projet ? Consultez la carte du Vanuatu si vous ne
connaissez pas les villages énumérés.
Pour aller plus loin
Pourquoi est-il important de pratiquer des méthodes traditionnelles de gestion de
ressource marine ?
L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours
197
Enquête
1. Quel est l’usage des bêches de mer ? Renseignez-vous non seulement sur les
bêches de mer mais aussi sur toutes les formes de vie marine qui existent dans
notre océan.
2. Y a-t-il des Initiatives de Ressource Marine dans votre région ou aux alentours de
votre école ? Interrogez les gens de votre communauté et renseignez-vous.
Plus en détail – le bassin hydrographique de la rivière Tagabe
L’extrait suivant vient de l’article Proposition de Projet sur le Bassin Hydraulique de la
Rivière Tagabe (2004) de l’Unité de l’Environnement.
Contexte historique
Le bassin hydrographique de la rivière Tagabe se trouve au nord de Port-Vila, juste en dehors
des limites municipales. Actuellement ce bassin alimente en eau la municipalité et quelques
villages comme Erakor et Eratap à l’est. Il existe une pression de plus en plus grande pour
développer ce bassin car l’exode rural continue d’augmenter. Les districts résidentiels de
Port-Vila se sont tout doucement étendus vers le bassin. Avec cette expansion il y a un risque
de contamination de la source d’eau qui alimente la ville. Les communautés se trouvant
en aval, par exemple la communauté de Blacksands, possèdent des puits peu profonds se
trouvant dans une terre très perméable. Il y aussi des activités agricoles qui se déroulent à
l’intérieur de ce bassin et donc des règlements sur les pesticides et les herbicides seront mis
en application afin d’éviter la contamination de la source d’eau par ces polluants.
La compagnie privée UNELCO gère l’alimentation de l’eau de la municipalité. La station
de pompage est située au sein du bassin près des districts résidentiels. Bien que ces districts
ne constituent pas de menace immédiate, leur expansion rapide due à une hausse de la
démographie (exode rural croissant et fort taux de natalité) pourrait poser un problème
à l’avenir. En sachant qu’il faudra du temps et de l’argent pour trouver une source d’eau
alternative, une commission de gestion fut établie. C’est la Commission de Gestion de la
Rivière Tagabe (Tagabe River Management Committee TRMC) qui a pour objectifs :
• de formuler et de mettre en application un plan de gestion du bassin hydrographique de
la rivière Tagabe ;
• d’utiliser ce plan comme modèle pour planifier l’usage multiple de la terre se trouvant au
sein des bassins hydrographiques partout au Vanuatu.
Le comité s’est mis d’accord sur un plan de réhabilitation pour l’usage de la terre se
trouvant dans le bassin hydrographique de la Rivière Tagabe. Les activités proposées
aideront à protéger la qualité de l’eau, à augmenter la capacité de rétention d’eau et, en
même temps, à laisser les personnes qui possèdent un bail dans cette zone à en tirer
profit économiquement. Les activités proposées sont :
• Un Jardin Botanique– pour créer un ‘espace vert’ proche de Port-Vila ;
• Une Banque de Graines pour les Forets– qui contribuera au jardin botanique et au
Département des Forêts ;
• Des Terrains d’Expérimentation pour l’Agriculture– pour fournir une production élevée de
nourriture et un terrain de recherche pour les officiers ;
• Une Station de Recherche Agricole– pour les recherches sur l’amélioration des récoltes ;
198
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
• Une Station de Recherche sur le Bétail– pour améliorer le parc de bétail qui existe déjà et
éviter la pollution de la rivière par les eaux de ruissellement ;
• Terre allouée à l’usage spécifique de UNELCO– cela protègerait la zone se trouvant près des
pompes, des réservoirs et des puits qui alimentent Port-Vila.
—préparé par le département de l’Environnement en 2004 pour être soumis au SPREP
(Programme régional pour l’environnement dans le Pacifique Sud)
Pour aller plus loin
1. Quels sont les effets de l’augmentation de l’exode rural sur le bassin
hydrographique de la Rivière Tagabe ?
2. Pourquoi est-il important de mettre en application des plans qui ont rapport à
l’environnement comme ceux de la Commission ?
3. Quelles autres activités pourrait-on mettre en place dans le bassin
hydrographique de la Rivière Tagabe ?
Enquête
D’où provient l’eau de votre école ? Que fait-on pour s’assurer de sa propreté ?
Plus en détail – évaluation des impacts sur l’environnement
L’extrait suivant provient d’un document de l’Unité de l’Environnement du
Vanuatu : Evaluation des Impacts sur l’Environnement (EIE).
Bulletin de Faits 2 — Evaluation des Impacts sur l’Environnement
Cette brochure contient des informations importantes pour tous les ministères du
gouvernement du Vanuatu, les organismes gouvernementaux, Les conseils provinciaux et les
conseils municipaux.
Important
La loi sur la gestion et la protection de l’environnement de 2003 oblige tous les
organismes du gouvernement du Vanuatu à entreprendre une Evaluation Préliminaire sur
l’Environnement (EPE) à chaque demande de projet, de proposition, ou d’activité qui vise
le développement… Si un organisme du gouvernement propose un développement ou un
projet, il doit faire suivre la demande auprès du directeur de l’unité de l’environnement du
Vanuatu qui décidera de l’évaluation préliminaire sur l’environnement.
Information sur l’EIE
Qu’est-ce qu’une EIE ? L’EIE est un processus qui permet de déterminer les effets et l’impact
d’un projet de développement sur l’environnement naturel et le système social/coutumier
ainsi que de mettre en place des mesures visant à minimiser les impacts possibles.
Pourquoi entreprendre une EIE ? Le but de l’EIE est de prévoir les impacts sur l’environnement
d’un projet de développement et d’établir des rapports, des plans et des recommandations
qui mettront en place les conditions dans lesquelles le projet doit se poursuivre pour limiter
les effets négatifs sur l’environnement.
L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours
199
Quelles activités de développement sont assujetties à une EIE ?
a. Tout projet, toute proposition, toute activité de développement qui provoque ou
vraisemblablement provoquera un impact social, économique et/ou coutumier significatif
et un impact sur l’environnement.
b. Des activités qui affecteront toutes les ressources coutumières, les ressources en eau,
les dynamiques côtières, espèces protégées ou menacées, la qualité de l’air, la santé
publique, la terre, les zones protégées, ou encore les ressources renouvelables comme les
forêts doivent subir une EIE.
Tout projet ou demande de développement doit être assujetti à une Evaluation Préliminaire
sur l’Environnement effectuée auprès du Ministère, de l’Organisme gouvernemental, de la
Province ou du Conseil Municipal qui a reçu le projet ou la demande de développement.
Amendes
Une activité assujettie à une EIE ne peut être entreprise avant l’approbation écrite du
ministre. Entreprendre une activité alors que l’approbation du ministre a été refusée
est un délit passible d’une amende maximum de 1 000 000 de vatus ou de 2 ans
d’emprisonnement.
Questions de compréhension
1. Qu’est-ce qu’une EPE ? Une EIE ?
2. Qui prend la décision de mener une EIE ?
3. Que se passe-t-il si vous continuez de développer une terre alors que
l’approbation du ministre n’a pas été accordée ?
4. Pour quelles raisons doit-on effectuer une EIE ?
Pour aller plus loin
Pourquoi a-t-on inclus des EPE / EIE obligatoires dans la loi de la gestion et de la
protection de l’environnement 2003 ?
Activité de discussion
Est-ce important d’effectuer des EIE ? Pourquoi ? En classe, organisez une
discussion sur ce processus.
Enquête
A-t-on déjà effectué une EIE dans votre région ? Si oui, pour quelles raisons ? Les
projets concernés ont-ils reçu une approbation ou un refus ?
200
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Plus en détail – la pêche au Vanuatu
Les articles de journaux suivants se concentrent sur deux différents problèmes liés à la
pêche dans notre archipel.
La Pêche : Une industrie ni Vanuatu
Vanuatu Daily Post no 1284
(2 novembre 2004)
Par Shirley Joy
Le secteur des pêches a recommandé
au Forum National de l’Industrie
d’établir une liste de discrimination
positive des espèces marines et d’eau
douce afin de permettre aux NiVanuatu de se lancer ultérieurement
dans l’établissement de piscicultures.
Le directeur du Département des
Pêches, M. Moses Amos est à l’origine
de cette recommandation et souligne
l’intérêt de cette liste pour protéger et
permettre aux fermiers et pêcheurs
locaux de s’aventurer dans l’élevage
du tilapia en mer ou en eau douce…
Dans un exposé bien documenté,
M. Amos a expliqué que le
département souhaitait accomplir
un développement durable dans le
secteur des pêches avec un avantage
social et économique pour la
population d’ici 2010.
Son objectif est d’accomplir une
gestion et un développement durables
des ressources marines et sa mission
d’encourager le développement de
la pêche dans les zones rurales tout
en prenant en compte les valeurs
traditionnelles et en respectant la vie
de la population du Vanuatu…
Le Département a obtenu un
fond de 3,8 millions de vatus pour
le développement d’un projet
d’aquaculture en eau douce et est
associé dans le développement de
la pisciculture d’Erapo et dans le
développement de deux projets
pilotes de viviers à Sarete village
au Sud-Santo. Des plans pour le
développement de piscicultures à
Nambauk et à Sarapo à Santo sont en
cours…
Concernant le secteur de la pêche
rurale, M. Amos a dit que la loi VIPA
serait révisée afin que la pêche du
vivaneau campêche (sarde rouge
appelé poulet également au Vanuatu)
soit réservée aux Ni-Vanuatu. Les
investisseurs étrangers ne pourront
plus attraper les sardes rouges et
exploiter cette pêche.
Le « Foreign Correspondent » souligne le
commerce des poissons d’aquarium
Le « Foreign Correspondent », un des
programmes d’actualités les plus
populaires en Australie a préparé un
programme spécial sur le commerce
de poissons d’aquarium du Vanuatu…
Un communiqué de presse de
l’ABC circulant sous forme de
courriel (courrier électronique)
déclare « Mark Corcoran du Foreign
Correspondent a voyagé au Vanuatu,
un pays du Pacifique Sud, pour mener
une enquête sur le commerce de
poissons d’aquarium. Cette industrie
grandissante, la plus récente dans
les pays en voie de développement,
récolte actuellement 20 millions de
poissons tropicaux par an, mais au
Vanuatu on accuse ce commerce
d’exploitation, de corruption et de
pêche intensive. »
Presque tous les poissons
tropicaux du Vanuatu sont attrapés
par une compagnie du nom de
Sustainable Reef Supplies (SRS)
L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours
établie au Vanuatu par des hommes
d’affaires américains.
En trois ans seulement, le SRS
a réussi à se mettre à dos les tours
opérateurs qui dépendent des
201
poissons tropicaux, car ils sont une
attraction principale au Vanuatu…
Les scientifiques craignent l’arrivée
d’un désastre écologique…
Vanuatu Daily Post no 1289
(9 novembre 2004)
Pour aller plus loin
Expliquez ce que sont une ferme de tilapia d’eau douce et le commerce de poissons
d’aquarium.
Activité de discussion
Le commerce de poissons d’aquarium est-il une bonne chose pour les îles du
Vanuatu ? En classe, organisez un débat sur ce sujet.
Plus en détail – où sont passées toutes les tortues ?
Programme de contrôle des
tortues au village de Tikilasoa,
île de Nguna, 2003.
202
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Chanson de la Tortue
Composée par George Bumseng et Kami Robert
Les tortues sont d’étranges et mystérieuses créatures
Nées pour nager
À travers la mer sans fin
Les hommes se repaissent de leurs œufs
Les tuent et les flèchent
Chassant les tortues sans merci
Mais à partir d’aujourd’hui
Vous allez devoir changer vos manières
Sinon elles disparaîtront
Juste sous vos yeux
Chœurs :
Levez la main si vous voulez
Sauver nos tortues
Levez la main si vous vous inquiétez
De notre monde
Dieu le père a fait toutes les créatures
Dans ce monde, il ne veut pas
Que nous détruisions tout ce qu’il a fait
Tiré du guide du Wan Smol
Bag « Drama in Environmental
Education » (2002 : 17).
Chœurs :
Nous avons déjà tellement pris
À l’océan
Le moment est venu de décider, allons-nous
Continuer à tout prendre ou garder
Ce qui reste ?
Les tortues marines vivent sur la terre depuis plus de 100 millions d’années. Les tortues sont
des reptiles et malgré le fait qu’elles soient aquatiques, elles ne possèdent pas de branchies
mais des poumons. Cela ne les empêche pas de rester sous l’eau pendant de longues
périodes. Elles dorment même la nuit sur le récif. Ces…créatures marines nagent des milliers
de kilomètres à travers les océans, mais elles doivent retourner à la plage où elles sont nées
pour y pondre leurs œufs. A l’âge de 20 à 30 ans, elles sont prêtes à pondre leurs œufs et
doivent nager jusqu’à la plage où elles sont nées. Les tortues s’accouplent dans les eaux peu
profondes près de la plage. L’accouplement dure à peu près six heures et un mois plus tard,
les tortues femelles viennent sur le rivage pour pondre.
Les principales menaces pour les populations de tortues sont le ramassage des adultes
pour les cérémonies coutumières et la consommation personnelle, le ramassage des adultes,
des œufs et parfois de la carapace pour le commerce et la mort dans les filets de pêche
commerciaux.
—World Wildlife Federation Environment Fact File 5, dans Wan Smol
Bag « Drama in Environmental Education–A Guide » (2002)
Panneau de signalisation sur les
tortues (UNESCO 2004 : 25).
L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours
203
Pour aller plus loin
1. Pourquoi est-il important de protéger nos tortues ?
2. Y a-t-il d’autres oiseaux ou espèces marines qui sont menacées ? Comment
pouvons-nous les protéger ?
Activité de discussion
Dans certaines de nos cultures, par exemple aux îles Maskelyne, les tortues
continuent d’être attrapées car elles sont utilisées pour les cérémonies coutumières.
Enquête
Si vous habitez à côté de la mer, effectuez des recherches pour connaître le nombre
de tortues présentes dans votre région. La population est-elle en augmentation ou
en diminution ? Les habitants de votre région se préoccupent-ils de protéger ces
tortues ?
Le lien entre les aspects culturels, économiques, politiques et sociaux de la vie des
Ni-Vanuatu, c’est leur relation avec la terre. La dernière partie de ce chapitre est intitulée « Les droits fonciers au Vanuatu » et se concentre sur la relation traditionnelle avec
la terre et son évolution dans un cadre contemporain.
Les droits fonciers au Vanuatu
L’importance de la terre
Quand les Nouvelles-Hébrides sont devenues indépendantes en 1980, les leaders du
mouvement indépendantiste ont choisi de leur attribuer le nom de ‘Vanuatu’. Ce nom’
veut dire ‘terre éternelle’ (Taurakoto in Vanuatu 1980 : II). ‘Vanua’ veut dire terre et ‘tu’
signifie à la fois régner, exister, être, espérer, force, racines, histoire, le passé, le présent,
le futur, l’infini. En un mot, Vanuatu veut dire ‘Notre terre pour toujours’ (Vanuatu
1990 : 27). En déclarant le pays comme étant la terre pour toujours, les Ni-Vanuatu revendiquent leurs droits traditionnels sur la terre. En nommant le pays Vanuatu, ils reconnaissent la haute valeur culturelle qu’ils plaçent en leur terre qui permet de leur
conférer une identité, de subsister et de leur donner de la force. Avec ce nom, la population continue de respecter le lien spécial avec la terre.
204
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Dans les années 1930, un missionnaire catholique essaya d’acheter des terres à un
homme influent de Vao. L’homme déclara fermement qu’il ne pouvait pas vendre la
terre. Le missionnaire insista, en pensant que l’homme essayait de négocier pour
obtenir plus de biens en échange. Mais l’homme refusait toujours. Une nouvelle
fois, le missionnaire persévéra dans sa démarche. Finalement, l’homme, agacé par le
harcèlement du missionnaire, se jeta à terre et se roula dans la boue. Il se leva et dit,
« Ne comprenez-vous donc pas ? Comment puis-je me vendre moi-même ? »
— Adapté d’un récit du Père Doucere
Le premier ministre des Terres de la jeune nation du Vanuatu, Sethy Regenvanu,
prononça ces paroles :
La terre pour un Ni-Vanuatu est ce qu’une mère est pour un bébé. C’est avec la terre
que nous définissons notre identité et c’est avec la terre que nous maintenons notre
force spirituelle. — cité dans Van Trease The Politics of Land in Vanuatu (1987 : xi).
Pipol blong Vanuatu oli bilif se graon hem i wan samting we olgeta i save soemaot
aidentiti blong olgeta long hem from bilif we i stap se oli joen wetem graon ia from
spirit blong ol bubu blong olgeta i stap oltaem long graon ia. I no hemia nomo be
graon hem i wan samting we i givim laef mo evri samting we oli nidim. Graon long laef
blong wan man o woman Vanuatu hem i tabu from we long plante ples long kantri i
gat ol stori blong wan klan o famli i kamaot long graon.
— Joel Simo, Review of Customary Land Tribunal, 2004
Questions de compréhension
1. Qu’est-ce que l’homme de Mallicolo voulait démontrer au missionnaire quand il
s’est couvert de boue ?
2. Dans la métaphore de Regenvanu, la terre est la mère et nous sommes les
enfants, quel genre de relation avec la terre cela illustre-t-il ? (Indication : quel
genre de relation existe-t-il entre une mère et son enfant ?)
3. A partir de toutes les citations, qu’est-ce qui rend la terre si importante pour les
Vanuatais. De quelles autres manières la terre est-elle encore essentielle ?
4. Que veut-on dire par ‘force spirituelle’ ?
5. Quel lien avec les ancêtres la terre procure-t-elle ? Est-ce en rapport avec
l’endroit où les ancêtres sont enterrés ?
Enquête
Joel Simo mentionne qu’il y a de nombreuses légendes coutumières selon
lesquelles les hommes ont émergé de la terre. A Erromango, un récit raconte que
L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours
205
les premiers habitants de l’île sont sortis de la terre et se sont dispersés à travers
l’île comme une vigne d’igname. A Tanna et Ambrym, les histoires racontent que
les premiers hommes sont nés des volcans, en provenance du centre de la terre.
Joël ajoute également que « Sapos yumi lukluk long stori blong buk blong Jenesis hem
i talem tu se man kam aot long graon. » Recherchez une histoire similaire venant de
votre île natale. Vous pouvez aussi trouver quelques exemples dans le volume 1.
Plus en détail – la terre et l’identité
Expressi on écrite
Cherchez dans les journaux de ces deux derniers mois tous les articles parlant
de problèmes fonciers. Les problèmes ont-ils été résolus de façon adéquate ?
Pourquoi ? Présentez vos réponses sous forme d’une rédaction.
Activité de discussion
1. Pourquoi la terre est-elle importante pour vous et votre famille ? En classe,
organisez un débat sur ce sujet.
2. Comment les problèmes fonciers touchent-ils la vie quotidienne ? Quels genres
de pressions les problèmes de terre exercent-ils sur les communautés rurales ?
Quels en sont les effets sur la population urbaine ? Ces problèmes sont-ils plus
répandus aujourd’hui que par le passé ? Comment les gens réglaient-ils autrefois
les litiges fonciers ? Et aujourd’hui quels sont les arguments employés lors des
litiges fonciers ? Divisez la classe en plusieurs groupes et ensemble débattez de
ce sujet.
Enquête
Recherchez la définition du mot ‘métaphore’ dans le dictionnaire. Que signifie ce
mot ? Quelle est la métaphore de la citation ?
Les droits fonciers
La métaphore, la terre est notre mère et nous sommes ses enfants, ne sous-entend pas
que nous possédons cette terre. Elle suggère au contraire que nous la respectons et que
nous en prenons soin comme nous respectons et prenons soin de nos parents. A travers un respect approprié pour la terre, nous avons le droit de recevoir tous les avantages que cette terre nous donne, comme la nourriture, l’abri et l’identité. Il est donc
plus juste de dire que nous détenons des droits sur la terre plutôt que de dire nous possédons la terre. Nous ne sommes pas les propriétaires coutumiers, mais des gardiens
traditionnels de la terre. Nous maintenons la terre au nom de tous les ancêtres de cette
terre et au nom des générations futures.
206
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Ancienne plantation à vendre
en 2003, région de Mele, Efate.
Photographie de Ben Bohane.
Pour aller plus loin
On peut aussi dire qu’un gardien traditionnel tient la terre par fidéicommis (don,
legs fait à une personne chargée de faire parvenir les biens légués à une autre personne) pour les générations futures. Comment peut-on relier ceci au concept de
durabilité ?
Activité de discussion
De quelle manière montre-t-on notre respect pour la terre ? Réfléchissez aux
systèmes traditionnels de gestion des ressources et à des techniques de jardinage.
Nous employons ces méthodes de gestion de la terre pour s’assurer que la terre
continuera à pourvoir à nos besoins.
Il y a différents types de droits fonciers. Le droit qu’une personne a sur un terrain peut dépendre de ses liens généalogiques avec la terre, ou de ses rapports avec les gens qui vivent
sur cette terre. Par exemple, si votre famille a cultivé un terrain depuis des générations,
alors en tant que descendant vous possédez le droit principal et permanent d’utiliser cette
terre. Avoir un lien avec le groupe qui est identifié comme étant le gardien est l’une des
plus importantes règles de la coutume qui détermine si une personne a des droits permanents ou non sur un terrain. Si vous n’avez pas de lien avec le clan qui possède le terrain
que vous voulez utiliser, ce groupe pourra vous laisser les droits d’utiliser ce terrain, mais
uniquement pour une période déterminée. Par conséquent, la période durant laquelle
une personne peut revendiquer ses droits fonciers peut permettre de faire la distinction
entre les différents types de droits fonciers, c’est à dire temporaires ou permanents.
Une autre façon d’étudier les droits fonciers consiste à savoir qui a le pouvoir de décision sur le terrain. Par exemple, dans un couple, l’homme et la femme ont tous les
deux le droit de cultiver le terrain mais il est fort probable que l’homme ait décidé de
L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours
207
l’endroit où est placé le jardin. D’une autre manière, dans un clan c’est peut-être le frère
aîné qui a le dernier mot sur les décisions concernant la terre, ou peut-être que tous
les hommes adultes d’une famille ont leur mot à dire dans les décisions, mais pas les
femmes. Connaissez-vous des situations où les femmes ont le pouvoir de décision par
rapport à un terrain ?
La dernière façon de décrire les différents droits fonciers est d’examiner les usages
fonciers autorisés. Par exemple, si on vous permet de cueillir les fruits des arbres d’un
certain endroit, mais pas de construire une maison ou de cultiver un jardin, ou encore si
on vous autorise seulement le passage sur un terrain.
Selon la culture et les droits fonciers, les gens n’ont pas les mêmes droits sur une
terre. Ces différences de droits varient en fonction des îles et des communautés. Ce qu’il
faut retenir, c’est que les droits fonciers d’une personne sont basés sur les liens qui existent entre les membres d’une famille, et sur les rapports entre les gardiens originels et
les autres personnes.
Questions de compréhension
1. Quelles sont les façons utilisées pour décrire les droits fonciers ?
2. Selon les usages fonciers autorisés, quels sont les différents types de droits
fonciers ?
Enquête
Quels droits fonciers possédez-vous ? Est-ce que ce sont les mêmes droits que
vos frères et sœurs ? Et vos parents, quels droits ont-ils ? Nous entendons souvent
les gens parler au sujet des terres. Certaines de ces questions sont liées aux litiges
fonciers existants entre les familles ou encore entre les communautés. D’autres
questions ont un rapport avec les baux fonciers, les lotissements et l’aliénation de
la terre.
Qu’est-ce qu’un regime foncier ?
Un régime foncier décrit les actes autorisés d’un individu sur sa terre et la gestion des
droits fonciers des personnes. Quelqu’un peut avoir des droits par ses parents, son
conjoint, sa famille ou à travers un accord avec une personne qui est responsable d’un
terrain. Un terrain peut très bien aussi être légué comme cadeau. Se faire adopter est
également une autre manière d’obtenir des droits. Y a-t-il d’autres modes d’acquisition
de droits fonciers ?
Autrefois, quand les guerres tribales étaient communes, la terre changeait régulièrement de mains selon les alliances formées par les communautés. Aujourd’hui, il n’y
a plus de guerre, bien que de violentes disputes au sujet de la terre aient été signalées.
Dans cette partie, nous allons découvrir les différents aspects des droits fonciers traditionnels du Vanuatu.
Ré gim e f o n c ie r : mode
d’exercice et de gestion des
droits fonciers sur une terre.
Ainsi, nous utilisons le terme
de détenteurs de terre plutôt
que de propriétaires terriens
quand nous parlons de
régime foncier traditionnel.
208
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Les droits fonciers traditionnels
Une étude des droits fonciers au Vanuatu permettrait de montrer les grandes différences entre les pratiques de succession. Bien que les chercheurs aient essayé de
généraliser les droits fonciers au Vanuatu, il y a toujours des exceptions à cause des pratiques variées et des contextes culturels changeants. Familiarisons-nous d’abord avec
les concepts fondamentaux et la terminologie utilisée pour les régimes fonciers afin de
pouvoir décrire nos propres droits fonciers.
Héritage matrilinéaire
Dans ce système, un individu peut détenir une terre grâce à la relation qu’il a avec le
clan de sa mère. Toutefois, bien que la terre soit transmise grâce à la mère, cela ne veut,
en aucun cas, dire que les enfants hériteront de façon égale. Par exemple, si seuls les
hommes détiennent des droits fonciers permanents dans une culture particulière, alors
les femmes dans un régime matrilinéaire n’ont pas nécessairement plus de pouvoir du
fait que l’on acquiert la terre par elles. Dans ces conditions, la terre reste l’affaire des
hommes et ils héritent de la terre à travers les frères de leur mère (qui représentent la lignée de leur mère), plutôt qu’à travers leur mère elle-même.
Héritage patrilinéaire
Les droits fonciers sont transmis dans la lignée du père, de père en fils.
Double descendance
Dans ce régime, les enfants peuvent hériter des droits fonciers des deux parents, bien
que typiquement une des deux lignées soit plus importante que l’autre.
Pour comprendre comment ces termes sont utilisés, prenons quelques exemples
dans différentes communautés de l’archipel.
Etude de cas 1 : le village de Mele à Efate
Un exemple d’arbre généalogique
des droits fonciers du village
de Mele à Efate (d’après Naupa
2004). Naniu veut dire coco,
tekuru fruit à pain, nawita,
pieuvre et toufi igname.
Le régime foncier de Mele peut être décrit comme étant de double descendance.
Traditionnellement, la lignée de la mère est plus prononcée que celle du père à cause
du système de clan naflak répandu dans toute l’île. Le naflak est un totem partagé par
les membres d’un clan. Il détermine tous ceux qui possèdent des droits fonciers dans
ce naflak. Par exemple, une personne peut appartenir au naflak de la pieuvre ou de
l’igname. Et comme ce système était répandu dans toute l’île, cela signifiait qu’une per-
L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours
209
sonne pouvait très bien être apparentée à quelqu’un appartenant au même naflak tout
en se trouvant de l’autre côté de l’île. Bien que n’étant pas du même sang, ces deux personnes avaient l’obligation morale de se traiter mutuellement comme des membres
d’une même famille dans tous les aspects, et de se donner des terres au besoin. Quand
une personne d’un autre village rendait visite à quelqu’un appartenant au même naflak, la deuxième personne devait en faire autant. En observant le diagramme ci-dessus,
nous constatons que les droits fonciers se transmettaient par la mère.
Alors que le système du naflak était très commun dans le passé, cela ne voulait pas
dire qu’un système patrilinéaire foncier n’existait pas, mais qu’on ne le pratiquait pas
très souvent dans ce système d’héritage par double descendance.
Etant donné que Mele est d’origine polynésienne, une culture patrilinéaire, cela
aurait contribué à la complexité du régime foncier de Mele. Il est possible que les
Polynésiens, patrilinéaires, aient du s’adapter au système matrilinéaire d’Efate, tout en
conservant quelques aspects de leur propre système.
Aujourd’hui, le système patrilinéaire est le plus utilisé dans les modes de transmission de la terre. Le système matrilinéaire du naflak est toujours reconnu mais il est moins
utilisé que le système patrilinéaire. Les raisons de ce changement sont surtout dues
aux circonstances : l’influence missionnaire à suivre un système d’héritage patrilinéaire
occidental, et une population croissante dans l’île et dans les villages.
Avec une population croissante, la demande foncière est plus forte et pour protéger
les terres, le système naflak fut abandonné en grande partie, assurant ainsi que la terre
sera conservée par la famille proche (et en évitant que les personnes possédant le même
totem, mais n’étant pas du même sang, ne s’accaparent les terrains).
Etude de cas 2 : Alti Ezekiel, nord ouest de Santo
Bae mi no tokbaot fasin we ol bubu oli stap yusum bifo, be bae mi tokbaot hemia we mifala i
stap yusum graon tedei. Mifala i no save tekem graon long saed blong mama.
Sapos defren man i kam long ples blong mifala, mifala i nogat raet blong givim graon long
hem. Tedei mifala i gat ol pikinini, be hem i gat graon. Wan man i save wok long solwota i go
kasem long wan vilij. Bigfala graon hemia blong hem wan nomo. Mifala i gat pis long graon,
hem i no sotfala nating. Mi gat ol pikinini oli stap. Fes bon hem i wan gel, seken wan hem i
boe. So gel hem i no gat raet blong holem graon. Graon blong hem i stap wetem man blong
hem. Sapos wan man i kam tekem hem, tufala i mas go stap long graon blong man blong
hem. Be boe blong mi i gat raet blong wok long graon blong mi. Sapos wan man i gat ol gel
nomo, mo evriwan oli mared be wan nomo i stap, hem nao hem i gat raet blong graon. Sapos
evriwan i mared, graon i mas go long pikinini boe blong brata blong papa blong olgeta.
Etude de cas 3 : Billy Bong, Ambrym du nord
I gat wan wei bakegen long saed blong graon. I gat wan olfala man we i nogat pikinini hem i
stap, mo brata blong hem tu i nogat. Hem i stap gogo, afta hem i sik. Bae hem i askem wan
memba blong famli i kam stap wetem hem blong lukaotem gud hem. Hem i karem kakae
blong olfala ia, hem i kukum blong hem i kakae, mo katem faea wud blong hem tu. Hemia i
minim se hem i givim wan raet long hem. Saed ia, bae plante man oli lukluk, bae olfala ia i talem long man ia se : « Samtaem mi ded, bae yu holem graon blong mi ? » Hemia wan rejista
we mi no pem ia, big promis blong hem nomo i rejista ia. So, man ia i mas redi gud long ol
ting blong ded, from long taem we olfala i ded, bae hem i mekem gud wan ded seremoni i go
long ples we mama i kam long hem. Bae hem i stap lukaotem pig blong mekem rere ol kakae.
Taem olfala i ded, from hem i bin mekem promis finis, man ia we i lukaotem olfala we i ded i
gat raet long evri samting folem promis bitwin olfala we i ded finis wetem hem.
Les cas 2 et 3 ont été tirés
de Kastom Fasin blong
Holem Graon (1998 : 24)
210
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Questions de compréhension
1. Quel genre de régime foncier traditionnel existait autrefois à Mele ?
2. Comment hérite-t-on de la terre au nord-ouest de Santo ?
3. Au nord d’Ambrym, comment une personne peut-elle obtenir de la terre ?
Activité de discussion
L’étude de cas de Mele montre comment les circonstances peuvent modifier
le régime foncier pratiqué. A part l’influence missionnaire et les changements
démographiques, quelles autres conditions peuvent altérer un régime foncier ?
Enquête
Lorsque vous dessinez votre
arbre généalogique, vous pouvez
utiliser des symboles, le triangle
représente un homme et le
cercle représente une femme.
Quel est le régime foncier utilisé dans votre communauté ? Dans votre famille, la
terre s’obtient-elle de façon matrilinéaire, patrilinéaire ou des deux côtés ? Dessinez
votre arbre généalogique avec les trois dernières générations et indiquez si les
droits fonciers sont obtenus par les femmes, les hommes ou les deux.
Est-ce la même chose dans la région où vous vivez ? Est-ce que tous les membres
de votre famille possèdent les mêmes droits ? Quelles sont les différences ou les
similitudes ? Quels sont les droits permanents et ceux qui sont temporaires ?
Quand une personne meurt qu’advient-il de sa terre ? Est ce que la terre est
transmise à ses enfants ? Et que se passe-t-il si cette personne n’a pas d’enfants ?
Dessinez un arbre généalogique pour illustrer le régime foncier utilisé actuellement
par votre famille. Comment cela a-t-il évolué avec le temps ?
‘Mama loa’ : la constitution et la terre
Parce que la terre fut la principale raison de la lutte pour l’indépendance, des lois furent
élaborées pour assurer la reconnaissance de cette relation traditionnelle. La Constitution
de l’État de Vanuatu est sa loi fondamentale. Elle est située au sommet de son système
juridique, les lois, les décrets et les actes du gouvernement doivent être conformes à ses
principes. C’est pour cette raison que la Constitution est surnommée ‘Mama Loa’. Le
titre 12 de la Constitution de la République de Vanuatu concerne la terre. Voici les articles 73, 74 et 75 de ce titre 12 qui évoquent les droits fonciers coutumiers au Vanuatu
(vous pouvez retrouver le titre 12 dans sa totalité dans les annexes) :
Titre XII
terre
L’article 73 devait avoir
pour effet d’abolir les titres
de propriété foncière à vie du
temps du condominium (les
terres qui avaient été aliénées
et inscrites dans les registres
du Tribunal mixte). Toutes
ces terres ont été rendues aux
propriétaires coutumiers.
4
Propriétaires fonciers
Article 734.
Toutes les terres situées dans le territoire de la République appartiennent aux
propriétaires coutumiers indigènes et à leur descendance.
Primauté de la coutume
Article 74.
Dans la République, les règles coutumières constituent le fondement des
droits de propriété et d’usage des terres.
L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours
211
Propriété perpétuelle
Article 75.
Seuls les citoyens indigènes de la République ayant acquis leur terre selon un
système reconnu de tenure foncière jouissent des droits de propriété perpétuelle sur celle-ci.
Par ailleurs, un des articles dispose que le gouvernement peut créer des lois afin de
faire respecter ces trois premiers articles.
Une fois que les fondateurs et fondatrices se sont mis d’accord sur la Constitution, il
a fallu être plus précis quant à la gestion quotidienne de cette terre. Ainsi, le parlement
adopta des lois qui établirent des règles fondées sur les principes constitutionnels.
Aujourd’hui, le Vanuatu possède une législation abordant les droits et les pratiques de
l’usage de la terre. Toutes ces lois se réfèrent au titre 12 de la Constitution pour faire respecter les valeurs coutumières de notre ‘Mama Loa’. Toutefois, en ce qui concerne le
problème contemporain des lotissements, certaines de ces lois doivent être révisées afin
de combler les failles de ce système.
Tableau 2. Les lois foncieres du Vanuatu et la legislation apparentée
Nom de la loi
Année
d’adoption
But
Loi sur la réforme foncière
1980
Rendre les terres aliénées durant le condominium
aux propriétaires coutumiers légitimes.
Loi sur les terres aliénées
1982
Faciliter les objectifs de la loi sur la réforme foncière en
donnant le choix aux propriétaires coutumiers soit d’établir
un bail avec l’aliénateur ou soit d’indemniser l’aliénateur
pour les améliorations effectuées sur la propriété.
Loi sur les terres aliénées
1982
Faciliter les objectifs de la loi sur les terres aliénées en
créant un bureau d’arbitrage des terres pour déterminer
la valeur des améliorations faites par l’aliénateur.
Loi sur l’arbitrage
des terres
1982
Faciliter les objectifs de la loi sur les terres Aliénées en
créant un bureau d’arbitrage des terres pour déterminer
la valeur des améliorations faites par l’aliénateur.
Loi sur les baux fonciers
1982
Soutenir la loi sur la réforme foncière et la loi sur
les terres aliénées en définissant les termes d’un
contrat de bail entre les propriétaires coutumiers
et ceux qui veulent utiliser leur terre. D’après cette
loi, la durée maximum de bail est de 75 ans.
Loi sur les terres urbaines
1993
Aider le gouvernement à définir le processus à suivre lors
de la création de terres urbaines. Cette loi soutient la loi
sur l’acquisition de la terre. Elle introduit aussi un impôt
foncier et un impôt par habitant pour les bailleurs.
Loi sur les titres de
propriété foncière à vie
1994
Permettre aux Ni-Vanuatu d’acheter des terrains
en zone urbaine. C’est la première loi qui fait
exception au régime foncier coutumier.
Loi sur le tribunal
foncier coutumier
2001
Promouvoir l’usage des tribunaux fonciers
coutumiers (cours coutumières) dans les règlements
de conflits fonciers. Pour faciliter les choses, un
bureau de tribunal foncier fut mis en place.
212
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Nom de la loi
Année
d’adoption
But
Loi sur les titres des
strates
2004
Permettre aux citadins de posséder une partie d’une
propriété, sans à avoir à acheter l’entière propriété,
par exemple, un appartement dans un immeuble
ou un bureau dans un ensemble de bureaux.
D’autres lois et politiques liées aux terres :
Île de Iririki, baie de Port-Vila.
La Loi sur les titres des strates
portait tout d’abord sur le
lotissement résidentiel de l’île.
Plan d’action stratégique sur
la biodiversité nationale
2001
Stratégie nationale pour conserver la diversité
biologique du pays sur la terre et dans la mer.
Loi sur l’environnement
2003
Les promoteurs doivent établir une évaluation
des impacts sur l’environnement (EIE) afin que
leur projet de développement soit accepté.
Questions de compréhension
1. Selon l’article 73 de la Constitution, à qui appartient la terre au Vanuatu ?
2. Avec vos propres mots, expliquez la signification de ‘propriété à vie’ (Article 75).
Est-ce que cela veut dire que n’importe qui peut ‘posséder’ une terre ?
3. Identifiez les articles du titre 12 de la Constitution auxquels les lois indiquées
dans le tableau font référence ? (cf. Annexes pour consulter la totalité du titre 12).
Pour aller plus loin
L’article 74 déclare que la propriété doit respecter les règles de la coutume. Etant
donné la valeur de la terre et les différences entre la possession et la détention
de droits sur une terre, comment ce terme de ‘propriété’, employé dans la
Constitution, peut-il potentiellement créer des problèmes ?
Les regimes fonciers modernes : les baux
La loi sur les baux fonciers (L. 4 de 1983) citée dans le tableau précédent est une des lois
foncières les plus utilisées actuellement au Vanuatu. Elle est importante parce qu’elle
permet aux propriétaires coutumiers de continuer de faire valoir des droits sur leurs
Diffé re n ts types d’usage de la t erre reconnus
par le gou vernement du V anuat u
Il y a deux catégories principales : la terre rurale et la terre urbaine (publique).
Voici les différentes zones que l’on trouve au sein des terres rurales et urbaines :
Un titre de p rop ri ét é
f on cière à vie : est un
droit qui permet d’aliéner la
terre de façon permanente. Une
tenure à bail est vue comme
une solution contre l’aliénation
permanente de la terre.
• agricole
• industrielle
• commerciale
• résidentielle
Seules les terres résidentielles urbaines peuvent faire l’objet d’un titre de propriété
foncière à vie. Toutefois, seuls les Ni-Vanuatu peuvent posséder une terre à vie,
les étrangers n’ont pas ce privilège.
L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours
213
terres bien qu’une tierce personne les utilise.
Un bail est un accord qui permet de louer la terre à un propriétaire traditionnel.
Etant donné que la vente de terre n’est pas permise au Vanuatu (à cause de l’aliénation
de la terre lors de la colonisation), les étrangers peuvent également utiliser la terre en la
louant. Parfois ces contrats de bail peuvent être officieux, tels qu’un accord verbal avec
le propriétaire. Cependant, les lois foncières ont aussi formalisé ces accords pour qu’ils
puissent être écrits sur papier et reconnus devant un tribunal. La reconnaissance formelle de ces baux est importante pour les gens qui louent la terre et veulent la développer. Ils doivent savoir de combien de temps ils disposent pour l’usage de cette terre
afin de décider de la somme à allouer pour son développement. D’après la loi, la durée
maximum d’un bail au Vanuatu est de 75 ans. Les deux formes de baux sont communes
au Vanuatu aujourd’hui puisqu’il y a beaucoup de Ni-Vanuatu qui vivent en dehors de
leur île d’origine ainsi que de nombreux étrangers qui habitent dans l’archipel sans posséder de revendication traditionnelle sur la terre. Les propriétaires coutumiers vivant
sur leur propre terre n’en ont pas besoin puisque la terre leur appartient.
Questions de compréhension
1. Quels genres de baux existent ? Recherchez des expressions dans le texte pour
les définir.
2. Les propriétaires coutumiers vivant sur leur propre terre ont-ils besoin d’un bail ?
Enquête
Si vous habitez en ville, ou si vous connaissez quelqu’un qui y vit, décrivez la façon
dont les gens obtiennent des droits fonciers. Quelle est la différence entre le régime
foncier urbain et rural ?
Plus en détail – la ville
A l’indépendance, le gouvernement du Vanuatu était responsable de l’application des
accords sur les droits fonciers se trouvant dans la Constitution. Les terres des zones
urbaines présentaient un véritable dilemme parce que les limites de la ville devaient être
définies et les titres fonciers existants devaient être pris en compte. Howard Van Trease
(1987 : 260) décrit comment le gouvernement aborda ce problème :
L’Arrêté No.26 de 1981 sur la réforme foncière détermina les limites de Port-Vila et de
Luganville et déclara ces zones terres publiques.
Les arrêtés fonciers No.30 et No.118 de 1981 permirent l’institution des sociétés
commerciales foncières de Port-Vila et de Luganville. L’objectif, pour le gouvernement, de
ces deux corporations était de gérer les terres urbaines. Elles devaient rédiger les baux de
location et encaisser l’argent des loyers. Les propriétaires coutumiers devaient recevoir
comme indemnisation un pourcentage de ces loyers versés annuellement.
Pendant les trois premières années de l’indépendance du Vanuatu, plusieurs lois
foncières furent votées (voir tableau 2). Cette législation s’appliqua aux étrangers
Un t it r e d e t e nure
à b a il : est un accord qui
permet à une personne
d’utiliser un terrain bien défini
pour une durée spécifique.
214
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Les limites de Port-Vila, 1980
et 2004 (Pierce 2004, inédit).
zone construite
zone construite
zone municipale
zone municipale
route principale
route principale
détenteurs de titres fonciers qui choisirent de rester au Vanuatu après l’Indépendance en
tant qu’aliénateurs.
A la fin de 1983, […] le Vanuatu eut enfin un cadre légal pour s’occuper des transactions
foncières selon les principes constitutionnels. Alors qu’il n’était pas possible pour des
étrangers et des citoyens non indigènes de posséder de la terre, il était possible de les louer
à bail, les investissements entrepris sur ces terres étant bien sûr protégés par la loi. En
février 1984, la Société Commerciale Foncière Urbaine de Port-Vila annonça qu’elle allait
commencer à distribuer des baux à tous les anciens propriétaires et à ceux qui avaient
remplacé les aliénateurs à l’intérieur des limites des zones urbaines (Van Trease 1987 : 264).
‘L’émeute de Port-Vila en 1988’, étudiée précédemment, décrit la réaction des
propriétaires traditionnels face à la mauvaise gestion de cette société. En 1988, le
ministre des terres, William Mahit, mit fin à cette société ainsi que celle de Luganville
à cause de leurs coûts élevés de fonctionnement, de la mauvaise gestion ou de la
corruption (Van Trease 1995 : 77). Les habitants d’Erakor, d’Ifira et de Pango à Efate
organisèrent une manifestation pour protester contre cette décision qui se termina
en émeute. La fermeture de la société signifiait que les propriétaires coutumiers
n’avaient plus leur mot à dire sur l’usage des terres à l’intérieur de la zone urbaine.
L’administration des terres publiques fut sous le contrôle complet du gouvernement
(Sope dans Van Trease 1995 : 211). Les villageois des alentours de Port-Vila avaient
attendu longtemps qu’on les indemnise, ce qui engendra en 1988 une émeute.
En 1992, la loi sur l’acquisition des terres fut votée. Elle décrit les procédures
permettant l’acquisition de terres par le gouvernement dans l’intérêt public. En 1993,
la loi controversée sur les terres urbaines permit au gouvernement de créer des zones
urbaines à Lenakel à Tanna et Norsup/Lakatoro à Mallicolo (Holmes 1996 : 16).
Quand la loi sur les titres de propriété foncière à vie de 1994 fut votée, les villageois
d’Erakor, d’Ifira et de Pango protestèrent une nouvelle fois. Leur argument était que le
L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours
215
gouvernement ne pouvait pas vendre les terres qui n’avaient pas encore été payées.
Le retard de paiement tenait aux difficultés de définir les limites coutumières des trois
villages, ainsi que celles à l’intérieur des villages. Autres sujets de discorde : qui avait
un droit sur quelle terre ? Qui avait le droit de recevoir un pourcentage de la somme
octroyée par le gouvernement ? Jusqu’alors les loyers étaient recueillis par les sociétés
urbaines et furent retenus le temps que les villageois résolvent leurs problèmes. Le
Premier ministre de l’époque, Maxime Carlot Korman, proposa le paiement d’une
large somme d’argent aux gens d’Ifira qui devait être versée à l’Ifira Land Trust comme
indemnisation (Holmes 1996 : 19). La plupart des villageois d’Ifira refusèrent bien que
certains se rendirent au bureau du Premier ministre pour y être payés. La loi sur les
titres de propriété foncière à vie fut la première exception aux principes établissant la
coutume comme base de toutes transactions foncières.
Questions de compréhension
1. Quel était le but des sociétés commerciales des terres urbaines ?
2. Quelles raisons a-t-on évoqué pour la fermeture de ces sociétés ?
3. Nommez les zones urbaines du Vanuatu.
Pour aller plus loin
La loi sur l’acquisition des terres expose la procédure que le gouvernement
doit suivre quand elle veut créer des terres publiques urbaines. Pourquoi le
gouvernement a-t-il besoin de posséder des terres ?
Expressi on écrite
Avec vos propres mots, expliquez comment la loi sur les titres de propriété foncière
à vie est une exception au régime foncier coutumier. Réfléchissez à la différence
entre les droits de propriété foncière à vie et les droits fonciers coutumiers.
Enquête
Vous vivez à Luganville ou à Port-Vila, ou vous êtes déjà allé dans l’une de ces deux
villes du Vanuatu ; identifiez les différentes zones résidentielles selon qu’elles sont
rurales ou urbaines. Par exemple, la zone de Blacksands à Port-Vila est une zone
rurale.
Depuis 1970, les lotissements sont un sujet de controverse dans nos îles. Mais pourquoi
beaucoup de Ni-Vanuatu sont défavorables à la création de lotissements ? Examinons
quelques exemples qui soulignent le problème des lotissements.
Plus en détail – les lotissements
Eugene Peacock
En 1967, un homme d’affaire américain du nom d’Eugene Peacock subdivisa une
grande partie de la terre qu’il avait achetée à Santo et aussi à Malapoa près de PortVila à Efate. Il vendit les actes de ces terrains à des investisseurs hawaïens. Quand en
C o n t r o v e r s e : polémique
216
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
1971, on commença à défricher la terre pour développer ces lotissements, les habitants
de Santo, ainsi que les puissances françaises et britanniques étaient préoccupées. Il
était évident que si n’importe qui pouvait créer un lotissement pour ensuite vendre
la terre à des personnes ni anglaises ni françaises ni néo-hébridaises, alors l’archipel
serait envahi par des investisseurs étrangers. La première manifestation de l’Association
Culturelle des Nouvelles-Hébrides protesta contre le lotissement des terres et soutint
les règlements britanniques et français pour ces questions. On fit payer des impôts sur
les lotissements et l’immigration aux Nouvelles-Hébrides fut strictement surveillée pour
les gens qui n’étaient ni Britanniques ni Français.
Publicité de 2004
concernant les lotissements
de Teoumaville, Efate.
L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours
217
Teoumaville
La vallée de Teouma à Efate fut subdivisée à grande échelle au début du 21ème siècle.
Cela eut pour conséquence de créer le lotissement résidentiel rural de Teoumaville.
Teoumaville mit en vente un total de 166 terrains dont 106 terrains ayant une superficie
de 2500 m2 et 60 terrains ayant une superficie de 1250 m2. Les grands terrains furent
vendus à 1 million de vatus, alors que les plus petits avait une valeur de 650 000 vatus.
De nombreuses personnes originaires des autres îles se saisirent de l’occasion et
achetèrent ces terrains. La plupart louent actuellement une maison et travaillent à PortVila, qui se trouve à 15 km. Ils cultivent des jardins sur leur terrain à Teouma jusqu’à ce
qu’ils puissent y bâtir une maison. Une question reste en suspend : si Teouma est une
solution potentielle aux problèmes de logement à Port-Vila, alors pourquoi proteste-t-on
en général contre les lotissements ?
Questions de compréhension
1. Au début des années 1970, quelles étaient les préoccupations concernant les
lotissements de Peacock ?
2. En quoi les lotissements des années 1970 sont-ils différents de ceux de Teouma ?
Prenez en considération la nature des acheteurs de ces terrains.
3. Cherchez un aspect positif de ceux lotissements cités dans le texte. Pouvez-vous
en trouver d’autres ?
Activité de discussion
1. Les lotissements ont tendance à se trouver dans des zones à proximité des
infrastructures telles que l’électricité et les routes principales. Par exemple, la
majorité des lotissements du Vanuatu se trouvent à Efate et Santo. Pourquoi ?
2. Organisez un débat sur leurs avantages et inconvénients pour le Vanuatu.
Depuis les années 1970, les lotissements mettent en évidence la possibiliter d’aliéner
les terres. Avant l’indépendance, beaucoup de propriétaires coutumiers ne pouvaient
pas revendiquer leurs droits fonciers à cause de la législation du condominium (cf. le
volume 2.) La subdivision de Peacock à Santo aurait attiré plus d’étrangers et aurait
rendu difficile la revendication des droits coutumiers par les propriétaires coutumiers.
Pourquoi ? Parce que les Américains et les Européens ou tous ceux qui achetaient
un terrain auraient voulu que l’acquisition de leur propriété se fasse à la manière
occidentale avec des registres écrits, au lieu d’un régime foncier traditionnel fondé sur
la généalogie et l’histoire orale.
Pour se protéger de l’aliénation de la terre, la Constitution de la République du
Vanuatu prévut que toutes les terres seraient ‘rendues aux propriétaires coutumiers
légitimes’ (ou plus exactement aux détenteurs de terre). Les tenures à bail décrites cidessus étaient une façon de s’assurer que plus jamais la terre ne serait achetée ou
vendue, et auraient ainsi empêché l’aliénation des terres. Cependant, une durée de
bail de 75 ans dépasse largement une durée de vie humaine ! De plus, à la fin du bail,
le propriétaire coutumier doit rembourser tous les coûts de développement effectués
sur sa terre s’il veut revendiquer la terre et arrêter de la louer. Quand les coûts de
développement représentent de gros investissements, les propriétaires coutumiers
218
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
se trouvent dans l’impossibilité de les rembourser. Ainsi, un bail peut être prolongé.
L’aliénation de la terre est en fait déguisée sous forme de bail. Les lotissements
accélèrent d’autant plus ce processus.
Le fait que les lotissements fonciers ne permettent pas aux propriétaires traditionnels
de réaliser des bénéfices importants reste préoccupant. Imaginez, par exemple, qu’un
propriétaire coutumier vende 500 hectares à un investisseur pour 5 millions de vatus.
L’investisseur ensuite subdivise la propriété en mille terrains d’un demi hectare qu’il
vend à 1 million chacun. L’investisseur réalise une vente d’1 milliard de vatus ! Dans
cette situation, à qui bénéficie réellement du lotissement ? Si l’on ajoute le problème de
l’aliénation des terres, il devient évident qu’une fois de plus les propriétaires traditionnels
rencontrent des difficultés à revendiquer leurs droits sur leurs terres.
Certains investisseurs défendent de manière légitime le fait qu’une fois le bail signé,
ils aient le droit, devant la loi, de développer la dite propriété. C’est tout à fait juste.
Cependant, nombreux Ni-Vanuatu ne connaissent pas suffisamment les lois nationales
concernant les terres, et peuvent signer des contrats dont ils ne comprennent
pas parfaitement les termes. Un autre aspect de ce problème est que, parfois, les
propriétaires traditionnels, ou ceux qui se prétendent être les propriétaires, sont cupides
et vendent les terres familiales. Cela est-il correct envers les autres membres de la
famille ? Les faux propriétaires traditionnels créent des problèmes, pas seulement pour
la famille mais aussi pour les investisseurs.
Si les problèmes relatifs à la propriété au sein de la famille sont résolus avant la
signature du bail par un investisseur, les possibilités de léser les droits de la famille sont
réduites. De cette manière, un faux propriétaire ne peut pas signer de bail sur une terre
appartenant à quelqu’un d’autre. Si les gens étaient plus sensibilisés à ces questions,
les propriétaires traditionnels pourraient empêcher les lotissements par des personnes
étrangères à la famille.
Bien entendu, faire un lotissement coûte très cher, du fait que les routes d’accès et
l’alimentation en eau et électricité incombent à l’acheteur. Les propriétaires coutumiers
doivent être plus vigilants et prudents en amont de la signature du contrat afin d’éviter
ces situations déséquilibrées et inextricables. Le plus efficace est encore pour les
propriétaires coutumiers de ne jamais louer leurs terres.
Pour aller plus loin
Choisissez un paragraphe sur les lotissements à la page précédente. Avec vos
propres mots, expliquez le problème particulier des lotissements au Vanuatu.
Enquête
Y a-t-il un lotissement proche de votre école ? Est-il classé comme agricole,
commercial, industriel ou résidentiel ? Quel en est le nom ? Qui a subdivisé la
terre ? Quels bénéfices apporte-il à la communauté qui l’entoure ? Quels problèmes
peuvent surgir à l’avenir ?
Activités de groupe
Divisez la classe en groupe. Chaque groupe doit créer une publicité sur un
lotissement résidentiel. La publicité doit contenir :
• Le nom et la location du lotissement
• La taille du lotissement (nombre de terrains et superficie)
L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours
219
• Le nom de la compagnie, de la communauté ou de la famille qui vend ces
terrains
• Un plan illustrant les trois points mentionnés ci-dessus
• Une liste des services fournis par la subdivision (par exemple l’entretien des
routes, l’électricité, l’eau, etc.)
• Les autres aménagements du lotissement (par exemple les endroits tabou, les
cascades, les plages, les magasins, etc.)
• Le prix des différents terrains.
Chaque groupe doit aussi indiquer les raisons pour lesquelles il est idéal d’acheter
un terrain dans ce lotissement. Quel est son point fort ? Est-ce parce qu’il a été
développé par la communauté ou un propriétaire traditionnel ? Est-ce que c’est
parce qu’il a été développé par une agence immobilière ? Est-ce pour sa location,
son prix ou son investissement ?
Chaque groupe doit ensuite présenter la publicité de son lotissement au reste de la
classe.
Village de Lamap, Mallicolo,
2004. Photo d’Anastasia Riehl.
Les préoccupations foncières actuelles du Vanuatu en ce qui concerne les baux et les
lotissements sont des problèmes auxquels les anciennes générations n’étaient pas
confrontées. Mais cela ne veut pas dire que les baux et les lotissements sont néfastes,
même s’ils peuvent être dangereux. Les temps changent, ainsi que les circonstances et
les pratiques culturelles. Aujourd’hui, les titres de propriété font partie du régime fon-
220
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
cier du Vanuatu. Cependant, les Ni-Vanuatu gardent toujours du respect envers la terre
de leurs ancêtres, et cette relation à la terre reste essentielle. Par conséquent, ils ont
le devoir de gérer cette terre d’une façon durable, qu’il s’agisse de terres familiales ou
de celles qu’ils sont amenés à louer. Ils peuvent continuer de vivre de la terre à travers
l’agriculture ou le développement, mais ils doivent le faire de manière à ne pas encourager l’aliénation des terres quand les propriétaires ne sont pas assez informés sur la législation en vigueur.
Aujourd’hui, le Vanuatu est un pays souverain depuis trois décennies, donc encore
jeune comparé à d’autres Etats-Nations. La vie politique, économique, sociale et
environnementale du pays continue à se développer en même temps que le pays se
construit une place dans les affaires régionales et internationales.
A travers ces grandes lignes de l’histoire du Vanuatu, les Ni-Vanuatu peuvent tirer
des leçons du passé. En comprenant et célébrant l’héritage culturel national, ils doivent
faire en sorte que leur identité soit préservée.
Volume Trois – les annexes
219
annexe a
Listes des Commissaires Résidents
pendant le condominium
Les Commissaires Résidents britanniques aux Nouvelles-Hébrides
1906–1924
Merton Kind
1924–1927 Geoffrey Smith–Rewse
1927–1939
George Andrew Joy
1939–1949
R.D. Blandy
1949–1955
H.J.M. Flaxman
1955–1962
John Shaw Rennie
1962–1966
Alesander Mair Wilkie
1966–1973
Colin Hamiliton Allan
1973–1975
Roger du Boulay
1975–1978
John Stuart Campion
1978–1980
Andrew Christopher Stuart
Les Commissaires Résidents français aux Nouvelles-Hébrides
1901–1904
Gaudens Faraut
104–1904Amigues
1904–1908 Charles Bord
1908–1908 Colonna
1908–1909 Charles Moufflard
1909–1910 Colonna
1910–1911 Martin
1911–1913 Jules Repiquet
1913–1921 Louis Miramende
1922–1929 Henri d’Arboussier
1931–1933 Antoine Carlotti
1933–1940 Henri Soutot
1940–1946 Robert Kutter
1947–1949 André Ménard
1949–1958 Pierre–Amédée Anthonioz
1958–1960 Marcel Favreau
1960–1965 Maurice Delaunay
1965–1969
Jacques Mouradian
1969–1975 Robert Langlois
1975–1977 Robert Gauger
1977–1978 Bernard Pottier
1978–1980 Jean-Jacques Robert
Source : Voice of Vanuatu,
numéros 36 & 37, 1er août 1980
220
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
annexe b
Traduction anglaise des répliques
françaises de la scène tirée de la
pièce ‘A Joy Court’
[Scene V – the court case regarding an Englishman named Hughes is in its fifth sitting.
Language problems have arisen.]
French Judge. I don’t see the point of this interrogation! M. ‘Ug, you are simply
wasting the Court’s time.
Hughes. [Soothingly] I will summarise, M. le Juge francais! [To French Commandant]
So, you straightened your report after questioning your two soldiers yourself?
French Commandant. Perfectly !
Hughes. Do your two soldiers speak French?
French Commandant. No Sir ! They speak Bislama.
Hughes. So, you must interpret what you want to ask them. Who was the interpreter?
[Suggestively] Perhaps he could have made a mistake.
French Commandant. [Determined to squash this suggestion once and for all.] No Sir !
I do not have an interpreter! I have already told you that I have questioned them
myself!
Hughes. [Innocently.] In Bislama ?
French Commandant. [With a slight flush.] Absolutely, Sir, in Bislama!
Hughes. You speak Bislama then, M. le Commandant?
French Commandant. [Flushing slightly more.] Perfectly, Sir !
Hughes. [In pidgin-English.] You tell-im out along Court; time you been talk along two
feller, two feller e been tell-im you what name?
French Commandant. [Aghast.] I don’t understand!
(Jacomb 1914 : 44-52)
Hughes. What name ! You been tell-im out long Court you savvy spik pidgin English!
[French Commandant gazes helplessly at French Judge.]
Volume Trois – les annexes
221
French Judge. [Who has at length sized up the drift of the cross-examination.] This is too
much! M. ‘Ug, you mock the Court! You have no respect for the Administration!
M. le Président ! I ask that the Court passes a ruling!
Président. [Who is utterly fogged.] Why ?… what is it ?… I don’t understand! [To
Interpreter.] Translate !
Interpreter. I haven’t understand myself, M. le Président. I believe M. ‘Ug speaks
Bislama!
Président. [Who is getting tired and therefore forgetful.] Bislama ?… what is that?
French Judge. M. ‘Ug does not have the right to speak Bislama. We are not natives!
In other places it is not the official language in Court!
Président. No ! It is not one of the official languages of the Court. M. ‘Ug, you have
the right to speak French, even English if you like, but no other language.
[Scene VI – Hughes has brought in a witness and questions him in English]
Hughes. No ! M. le Président. I have two witnesses to present to the Court. First my
clerk, M. Stanley, and then the British Resident Commissioner.
Président. Good ! We shall hear M. Stanley!
[Stanley arises from his seat amongst the audience and is sworn in by the British Judge]
Hughes. Mr Stanley ! Will you please tell the Court where I was on the evening of the
third of February last?
Interpreter. Where was I on the evening of the third of February?
Stanley. We were at Paama, with all your boys.
Interpreter. We were on the island of Paama, accompanied by all your boys.
Hughes. When did we leave Vila?
Interpreter. When did we leave Vila?
222
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
annexe c
Les personnages clés de la
décolonisation du Vanuatu
Les résumés ci-dessous présentent les vies politiques des dirigeants importants l’histoire de la décolonisation du Vanuatu. De nombreux autres Ni-Vanuatu ont joué un
rôle important au cours de cette période historique majeure. Nous ne pouvons pas énumérer tous, par conséquent, seuls les personnages principaux sont décrits ci-dessous.
En interrogeant votre communauté, vous pourrez obtenir de plus amples informations.
Boulekone Vincent
Né en 1944 au centre de Pentecôte, Vincent Boulekone a été éduqué dans le système
français et a passé plusieurs années au séminaire puis à étudier le droit en NouvelleCalédonie. En 1973, il est revenu aux Nouvelles-Hébrides pour travailler en tant qu’avocat indigène pour la Résidence de France. La même année, il crée l’UCNH. Il forma
plus tard la Tan-Union. Il fut l’un des quelques parlementaires francophones du premier gouvernement de la République.
Kalpokas Donald
Né en 1943 sur l’île de Lelepa, au nord d’Efate, Donald Kalpokas fut l’un des fondateurs de l’Association Culturelle des Nouvelles-Hébrides (New Hebrides Cultural
Association). Il est diplômé de l’université d’Ardmore, en Nouvelle-Zélande et de l’USP
et fut le premier ministre de l’Éducation au Vanuatu.
Kalsakau George
Né en 1933 comme Chef de l’îlot Ifira, George Kalsakau a été éduqué dans le système
britannique et a travaillé avec la police britannique de la fin des années 1950 au début
des années 1970. En 1977, il fut brièvement élu premier Ministre et représenta le Efate
Natuku Party.
Korman Maxime Carlot
Originaire du village d’Erakor à Efate, Maxime Carlot fut un modéré dans les années
1970. Il fut ministre des Affaires intérieures dans le gouvernement des NouvellesHébrides et fit partie des quelques parlementaires francophones du premier gouvernement de la République de Vanuatu.
Leye Jean Marie
Né à Anatom, il fut le président de l’UCNH. Il a essayé d’obtenir la sécession de Tanna
pendant la période de la rébellion de Santo. Lors des procès qui ont suivi la rébellion, il
a été condamné à un an d’emprisonnement. Il fut le troisième Président du Vanuatu.
Volume Trois – les annexes
223
Leymang Gérard
Né en 1933 à Lamap au sud-ouest de Mallicolo, et éduqué dans le système français,
Gérard Leymang a été ordonné prêtre de l’Église catholique. Il fut premier Ministre du
Gouvernement de l’Unité Nationale des Nouvelles-Hébrides à partir de décembre 1978
et jusqu’à l’élection de 1979. Il appartenait à l’UCNH.
Lini Hilda
Née au nord de Pentecôte et diplômée de l’USP de Suva, Hilda Lini travailla activement
dans la politique au moment de l’indépendance puis s’engagea les mouvements antinucléaire. Elle fut la première femme parlementaire du Vanuatu.
Lini Walter
Né en 1942 à Pentecôte, Walter Hayde Lini était un prêtre anglican formé à l’université
de théologie de St-Peter dans les îles Salomon. Il fut le leader du Vanua’aku au moment
de l’indépendance et le premier premier Ministre du Vanuatu.
Mataskelekele Kalkot
Né sur l’îlot d’Ifira, Kalkot Mataskelekele fut sérieusement impliqué dans le mouvement vers l’indépendance. Formé comme avocat à l’USP, sa connaissance des lois fut
une valeur inestimable pour le mouvement indépendantiste. En 2004, il est devenu le
sixième Président du Vanuatu.
Malere Aimé
Né à Mallicolo, Malere fut l’un des présidents du MANH. Il a soutenu une approche
progressive vers l’autonomie dans les années 1970 (Beasant 1984 : 29). Il fut ministre
du Commerce, de l’Industrie et du Tourisme en 1977 dans le gouvernement Kalsakau et
ministre des Finances dans le gouvernement du Vemarana (Beasant 1984 : 137).
Molisa Grace
Née à Ambae, Grace Molisa fut éduquée en Nouvelle-Zélande. Elle est devenue plus
tard une critique de la société et une activiste, écrivant des poèmes au sujet de l’échec
du système du condominium et du statut des femmes.
Molisa Sela
Né en 1950 à l’ouest de Santo et éduqué à l’USP de Suva, Sela Molisa fut par le passé
Directeur général de la Vanuatu Cooperative Federation. Il fut élu dans le gouvernement de l’Unité Nationale par une élection partielle sur Santo en 1980.
Naupa John
Né en 1940 à Erromango, John Nivwo Naupa fut l’un des fondateurs de l’Association
Culturelle des Nouvelles-Hébrides. Il fut éduqué aux écoles publiques d’Onesua et
d’Iririki (Pango). Il fut ministre de la Santé pendant le gouvernement du condominium
et fut le premier ministre des Transports du Vanuatu.
224
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
Regenvanu Sethy
Originaire d’Uripiv à Mallicolo, Sethy John Regenvanu a été formé comme pasteur à
l’Université de Théologie du Pacifique de Suva. Il fut le directeur du département de
l’Éducation chrétienne de l’Église presbytérienne des Nouvelles-Hébrides ainsi que le
premier ministre des Terres du Vanuatu. Il a écrit la première autobiographie politique
par un Ni-Vanuatu, Laef Blong mi (2004).
Stevens Jimmy Moli
Né en 1926 à Tasmalum, au sud de Santo, Jimmy Stevens est né d’une mère de Mota
Lava et d’un père à moitié européen moitié tonguien. Beaucoup d’auteurs décrivent
Stevens comme un descendant d’une princesse tonguienne et d’un marin écossais. Il
devint le chef du mouvement Nagriamel vers la fin des années 1960. Il a mené la rébellion de Santo en 1980.
Sope Barak
Né en 1951 sur l’îlot d’Ifira, Barak Tame Sope a été instruit à l’Essendon Grammar
School en Australie et puis à l’USP de Suva. Il fut le premier secrétaire du cabinet du
premier Ministre et le secrétaire personnel du premier premier Ministre du Vanuatu.
Sokomanu Ati George (puis appelé George Kalkoa)
Né en 1933 dans le village de Mele, George Kalkoa fut le ministre des Affaires intérieures pour le gouvernement des Nouvelles-Hébrides, avant de devenir le premier
Président du Vanuatu. Il fut éduqué au Lelean Memorial et à l’école de formation des
professeurs de Nasinu sur Fidji.
Taurakoto Peter
Né en 1940 à Efate, Peter Kalpau Taurakoto fut l’un des fondateurs de l’Association
Culturelle des Nouvelles-Hébrides. Il est diplômé de l’université des professeurs de
Kawenu et de l’USP de Suva dans les îles Fidji. En 2005, il est devenu Médiateur du
Vanuatu.
Timaka Frederick
Né sur l’île d’Emae, Fred Timakata fut vice premier Ministre et ministre des Affaires intérieures dans le premier gouvernement de la République du Vanuatu. De 1989 à 1994,
il fut le deuxième Président du Vanuatu.
Yolou Alexis
Né à Loanatom à Tanna, d’une lignée de Yeremera, il avait été formé par les pères maristes à Montmartre. Il fut le 1er champion de boxe des Nouvelles-Hébrides. Il poursuivit
des études supérieures en France, à l’École de France d’Outre-mer ; ses capacités devaient lui permettre de jouer un rôle de premier plan dans l’histoire de son pays. Député
des Modérés de Tanna en 1979, il fut élu sous l’étiquette John Frum. Son meurtre, en
juin 1980, lors de la rébellion de Tanna souleva une réprobation unanime. Le refus du
Procureur MacKay, un Anglais, chargé de l’enquête, de poursuivre les coupables au motif du manque de preuves, déchaîna la fureur des amis de la victime et des ‘coutumiers’
de Tanna.
Volume Trois – les annexes
annexe d
L’hymne national du Vanuatu
Refrain
Yumi, Yumi, Yumi i glad blong talem se
Yumi, Yumi, Yumi i man blong Vanuatu
Verset 1
God i givim ples ia blong yumi
Yumi glad tumas long hem
Yumi strong mo yumi fri long hem
Yumi brata evriwan
Verset 2
Plante fasin blong bifo i stap
Plante fasin blong tedei
Be yumi i oslem wan nomo
Hemia fasin blong yumi
Verset 3
Yumi save plante wok i stap
Long ol aelan blong yumi
God i helpem yumi evriwan
Hemi papa blong yumi
Composé par François Issav
225
226
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
annexe e
Le Titre 12 de la Constitution
de la République de Vanuatu
Édition consolidée 2006
Titre XII – Terre
Propriétaires fonciers
Article 73.
Toutes les terres situées dans le territoire de la République appartiennent aux propriétaires coutumiers indigènes et à leur descendance.
Primauté de la coutume
Article 74. Dans la République, les règles coutumières constituent le fondement
des droits de propriété et d’usage des terres.
Propriété perpétuelle
Article 75.
Seuls les citoyens indigènes de la République ayant acquis leur terre
selon un système reconnu de tenure foncière jouissent des droits de
propriété perpétuelle sur celle-ci.
Loi foncière nationale
Article 76.
Une loi foncière nationale, votée par le Parlement après consultation
du Conseil National des Chefs, met en oeuvre les prescriptions des articles 73, 74 et 75. Cette loi peut prévoir des dispositions différentes selon les catégories de terres, l’une d’entre elles étant constituée par la
propriété urbaine.
Réparations
Article 77.
Le Parlement détermine les critères d’évaluation des réparations et le
mode de paiement qu’il estime appropriés à l’égard des personnes atteintes dans leurs intérêts par les dispositions légales prises en application du présent Titre.
Conflits
Article 78.(1) Lorsque, en application des dispositions du présent Titre, un conflit
relatif à la propriété d’une terre aliénée survient, le gouvernement se
constitue gardien de cette terre jusqu’à ce que le conflit soit résolu.
(2) Le Le gouvernement prend les dispositions pour que les instances ou
les procédures coutumières appropriées concourent à la résolution
des conflits nés de la propriété des terres coutumières.
Volume Trois – les annexes
227
Transactions immobilières
Article 79.(1) Nonobstant les dispositions des articles 73, 74 et 75, les transactions
immobilières entre les citoyens indigènes, d’une part, et les citoyens
non-indigènes ou les non-citoyens, d’autre part, doivent être soumises
à l’autorisation préalable du gouvernement.
(2) L’autorisation requise aux termes du paragraphe 1) ne peut être accordée dans l’hypothèse où la transaction pour laquelle cette autorisation
est demandée est préjudiciable aux interets :
du ou des propriétaires coutumiers de la terre en cause ;
(a)
du citoyen indigène qui n’est pas le propriétaire coutumier ;
(b)
de la collectivité locale habitant le territoire où se trouve
(c)
la terre ; ou
de la République.
(d)
Domaine public
Article 80.
Nonobstant les dispositions des articles 73 et 74, le gouvernement
peut devenir propriétaire foncier en procédant à des acquisitions pour
cause d’utilité publique.
Redistribution des terres
Article 81.(1) Nonobstant les dispositions des articles 73 et 74, le gouvernement
peut acheter des terres aux propriétaires coutumiers dans le but d’en
transferer la propriété aux citoyens indigènes ou a des collectivités indigènes originaires d’îles surpeuplées.
(2) Pour la redistribution des terres effectuée en application du
paragraphe 1), le gouvernement tient compte en priorité des facteurs
ethniques, linguistiques, coutumiers et géographiques.
228
Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois
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