le baptème en urgence de Tristan
Transcription
le baptème en urgence de Tristan
AH n°195 juillet 1997 Le baptême en urgence de Tristan On se rendra compte, à la lecture du texte de Corinne Delalande, que même lorsqu’un appel implique de se rendre sur place sans délai, la réponse à apporter ne doit pas relever de l’improvisation. C’est sur un sérieux fond de formation, de réflexion et d’approfondissement spirituel que reposent la justesse de la relation avec les personnes, le bien-fondé du contenu et du déroulement de la célébration. Depuis 2001, je suis aumônier à l’hôpital mère enfant Jeanne de Flandre au CHRU de Lille. Ma mission consiste à visiter, écouter, accompagner, « prier », selon leurs souhaits, avec les personnes malades que je rencontre au quotidien. J’interviens en pédiatrie, en maternité, en gynécologie, en réanimation néonatale et en soins intensifs. La tâche est lourde mais passionnante et multiple. Souvent appelée en service de réanimation néonatale, je suis amenée à célébrer des baptêmes en urgence. Je vous livre une célébration vécue parmi tant d’autres, celle du petit Tristan, deux jours. Le bip sonne : appel du service de réanimation néonatale dans lequel sont accueillis des bébés prématurés au pronostic de vie incertain, des tout-petits en grande difficulté ou en danger de mort. A mon arrivée, je consulte toujours les médecins et les soignants, m’informant ainsi de la pathologie du bébé. Le petit Tristan est atteint d’une malformation pulmonaire, maladie génétiquement incurable et ne subsiste que grâce au respirateur. IL vient juste d’entrer dans la vie, et la sienne, si frêle, est menacée. Je me présente aux parents, et comme à l’accoutumée demande : « Quel est votre souhait pour votre enfant ? » Je laisse toujours du temps aux parents et à la famille d’extérioriser la demande ainsi que toutes les émotions liées à cela : angoisse, culpabilité, stress, peut, abattement, impuissance ou, a contrario, espoir, combativité, etc… C’est selon. C’est aussi constamment le choc de la violence de l’annonce, et pour moi, il y a la nécessité de m’adapter au plus vite à la situation à laquelle je suis confrontée. J’appelle cela la « pastorale de l’urgence », et je la vis souvent. Les jeunes parents demandent le baptême, ils sont croyants, et veulent pouvoir dire l’Amour de Dieu qui est là, malgré tout, et s’en remettre à celui qui le « protégera », s’il doit partir, me dit sa maman. Dans ce box, nous sommes six réunis autour de Tristan, qui est dans les bras de sa maman assise, son papa à côté, son parrain, sa marraine. Je les invite au recueillement, à la prière, et j’introduis la célébration. Accueil « Confions Tristan à la bonté de Dieu, notre Père et prions pour ses parents, sa famille, et tous les baptisés ici présents. C’est toi Tristan qui nous rassembles et surtout toi, Seigneur, pour que, par ce sacrement, tu fasses entrer Tristan dans ton Eglise. » 1 AH n°195 juillet 1997 A l’aide du petit livret, que j’ai distribué, chacun peut suivre le déroulement. (Ce livret contient une adaptation du rituel du baptême en urgence des petitsenfants, mis en place depuis 1992 par l’équipe du CHRU ; c’est notre principal support). La Parole En fonction des circonstances, je choisis parmi les textes suivants : - Première lettre aux Corinthiens 12,12-13 : Baptisés pour former un seul corps. » - Isaïe 54,10 : « Un amour sans faille. » - Isaïe 43,4 que j’ai lu ce jour-là : « Car tu comptes à mes yeux, tu as du prix et je t’aime. » Je procède ensuite à la bénédiction de l’eau, présentée soit dans une coupelle, ou parfois, dans une petite dosette d’eau stérile. Après l’invocation de l’Esprit Saint sur Tristan et sa famille, j’introduis la profession de Foi : la foi en Jésus-Christ, en l’Eglise dans laquelle tout enfant est baptisé. Le geste Puis, c’est le sacrement du baptême. « Tristan, je te baptise au nom du Père, au nom du Fils, au nom du SaintEsprit. » Je demande à chacun s’il le souhaite, de faire après moi le signe de Croix sur le front de Tristan ; cela permet à la famille de prendre part au sacrement. Ce geste reste toujours émouvant ; j’y tiens car, c’est pour moi l’occasion de « signifier » que nous ne sommes pas chrétiens tout seuls, que nous constituons ensemble une celle d’Eglise à l’hôpital, dans l’épreuve. Envoi Enfin, je rassemble la prière finale dans un « Notre Père », puis un « Je vous salue Marie », mère de Jésus au pied de la Croix et notre mère à tous. Je termine : « Que le Seigneur nous garde tous dans sa Paix, Amen. » Je laisse place au silence, à la révolte, à la résignation, aux pleurs qui parlent plus que des mots… Puis, après avoir fait signer les registres et donné un certificat de baptême, je me retire en laissant toute leur place aux parents, à la famille, et leur propose de les revoir si besoin est… Ce n’est pas tant la durée du baptême qui compte mais l’intensité du moment vécu avec cette famille dans le désarroi. Chaque baptême célébré est bien unique, car unique est aussi le bébé auprès duquel je suis appelée. La réalité de l’hôpital n’est pas celle de la paroisse ; il faut vite s’adapter tout en acceptant le règlement interne et les conditions spécifiques au service. Quelle que soit la demande immédiate, dans l’urgence, mon souci premier est d’essayer de discerner le besoin, le désir profond des personnes afin d’y répondre au mieux, et ce, dans le respect, pour que chacun puisse vivre ces moments difficiles, intenses en émotion, dans une paix relative. Je suis témoin, parfois avec les soignants présents, à la fois d’une souffrance extrême et d’un amour indicible. Alors, pour moi, aumônier, l’essentiel réside 2 AH n°195 juillet 1997 dans la délicatesse du geste, la justesse de la parole, l’accueil simple de l’humanité partagée dans la fragilité, dans l’humilité de ma mission. J’ai accompagné Tristan ainsi que ses parents jusqu’à son décès, trois semaines après son baptême ; un parcours riche, poignant, dans lequel les parents et moimême avons cheminé avec foi, courage et dignité. J’ai préparé et célébré avec eux son A-Dieu dans le lieu de prière de l’hôpital, où parents et amis se sont rassemblés dans un même élan d’amour et de solidarité. C’est là une des expériences intenses de célébration que je vis fréquemment à Jeanne de Flandre, et qui demande un investissement personnel important et beaucoup d’énergie. Corinne Delalande 3