Janis Joplin, la perle rare - extrait

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Janis Joplin, la perle rare - extrait
JANIS JOPLIN, LA PERLE RARE
« J’aime mieux vivre dix ans super-­‐hyper pleinement
que de vivre jusqu’à 70 ans dans un fauteuil devant la télé. Je ne veux rien faire à moitié
et vivre uniquement l’instant présent ».
(Janis Joplin)
Devant elle, il y a la petite coupelle contenant la poudre blanche qui ruine sa vie. Quelques grammes de ce que l’on appelle encore, à cette époque « Sister héroïne ». De quoi oublier tout ce qui fait mal, tout ce qui heurte, et gagner le paradis artiViciel d’où, parfois, l’on ne revient pas. Janis est là, seule, assise face à la drogue, seringue en main. Prête à commencer le rituel tant et tant de fois exécuté, même si trouver un endroit où piquer sa peau fragile est difVicile. Qu’importe la souffrance aigue qui va la déchirer quand l’aiguille pénètrera la veine trop dure ! Celle que l’on appelle la « Mama cosmique » sait qu’ensuite, ce sera le nirvana-­‐ un Eden où elle trouvera, enVin, l’amour qui lui a tant manqué dans sa jeune vie. Elle n’a que 27 ans mais déjà, elle est à bout, usée, désespérée. Prête à tout pour sentir, une fois encore, la fulgurance de l’orgasme chimique la traverser, et lui faire oublier le désespoir qui la ronge... Vivement, Janis fait glisser la poudre blanche dans le creux d’une petite cuillère, avant de la diluer à l’aide d’un peu d’eau. Puis elle approche sa seringue, la plonge dans la mixture, l’aspire, avant de l’approcher de son bras et de l’y enfoncer. Et la drogue entre en elle, Vlash violent, trop violent, qui la secoue toute entière. Prend-­‐elle conscience que son organisme affaibli ne supporte pas l’afVlux d’héroïne, de la bonne, de la pure, a dit le dealer ? Ou bien a-­‐t-­‐elle déjà sombré dans ce coma dont elle ne sortira jamais ? Quoiqu’il en soit, la jeune femme jadis « harponnée par les démons du blues » ferme les yeux. Pour toujours...
Triste Vin pour Janis ! Et pour tout ce que représente cette battante, cette rebelle qui s’est dressée, autant qu’elle l’a pu, contre l’injustice, le racisme, la pauvreté et, en règle générale, contre cette Amérique profonde au sein de laquelle elle est née, un jour de 1943, à Port Arthur, au Texas, dans une famille tout à fait représentative de la classe moyenne américaine de l’époque. Fille de Seth Joplin, employé chez Texaco, elle a un jeune frère, Michel, et une jeune sœur, Laura. Chez elle, personne ne manque de rien, sinon peut-­‐être de fantaisie. Janis grandit en effet dans une atmosphère austère, même si sa maison est pimpante. Très jeune, elle suit les siens à l’église, et chante dans les chœurs, comme son frère et sa sœur. Mais contrairement au reste de sa famille, la petite Janis n’est pas fascinée par la religion. Elle s’ennuie lors des ofVices, ne croit qu’à moitié à ce Dieu qui règne, lui dit-­‐
on, sur le ciel et la terre, rêve déjà à des horizons plus vastes que ceux que lui promettent les homélies des prêtres. Alors, au grand désespoir de sa mère, quand elle ne s’agite pas sur les bancs de l’église, elle s’évade, au moins en esprit, ce dont témoignent sa distraction extrême et son regard exaspéré...1 Le monde, Janis en est certaine, est bien plus intéressant et plus vaste que l’environnement dans lequel elle vit. Puis, surtout, elle comprend mal le sort qui lui est fait, parce qu’elle est née Ville. Doit-­‐elle pour autant prendre plaisir à boucler ses cheveux, jouer à la poupée, et verser un thé imaginaire dans de ridicules tasses en plastique ? Plus tard, lui dit-­‐on, elle se mariera et aura des enfants. Un avenir qui, déjà, lui paraît insupportable, quand elle n’a pas dix ans et se rêve artiste, en écoutant du blues...
« Janis Joplin », Jean-­‐Yves Reuzeau, Gallimard.
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