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Insémination dans le cadre de l’homoparentalité
Annick Delvigne, MD, PhD
Centre de PMA du CHC de Liège
Clinique Saint-Vincent, 207, rue Fr lefebvre, 4000 Liège
Correspondance : [email protected]
Résumé :
La prise en charge de l’homoparentalité lesbienne s’inscrit dans un consensus scientifique quant au
devenir favorable des enfants élevés sans père.
Un grand nombre de pays européens, ainsi que de nombreux états américains et le Canada
encadrent l’homoparentalité dans un contexte juridique favorable à une bonne intégration de la
différence.
La préparation à la parentalité différente s’inscrit comme un principe de précaution et ce dans le
cadre d’une prise en charge pluridisciplinaire.
La prise en charge médicale par insémination artificielle avec donneur (IAD) doit tenir compte de la
particularité de ces couples fertiles sans oublier que l’effet de l’âge reste le principal facteur
pronostic dans le cadre d’un pronostic globalement plus favorable que pour les couples infertiles.
Introduction :
La prise en charge du projet parental des couples de lesbiennes est effective en Belgique depuis les
années 80 et la question s’ouvre actuellement en France. Cette différence au sein de 2 pays
frontaliers pose question et a engendré une migration importante de patientes de la France vers la
Belgique pour ces soins particuliers. La Belgique n’a pas fait l’impasse ni sur d’adaptation sociale et
juridique afin encadrer cette parentalité différente, ni sur l’évaluation prospective du bien-être des
enfants au travers d’études médicales bien menées (Breawaeys et al., 1997). Les conclusions de ces
études sont cohérentes et convergent pour conclure positivement, ce qui pose dès lors question
quant aux motivations du refus de traitement de ces patientes dans d’autres pays (Hunfeld et al.,
2002).
Néanmoins, cette parentalité différente suppose que l’on prépare et questionne les patientes afin de
faciliter l’accueil et l’intégration de l’enfant dans sa famille élargie et la société en général.
Finalement l’approche médicale sera également adaptée à ces patientes nécessitant une prise en
charge médicale alors qu’il n’existe pas de réelle pathologie d’infertilité.
Ce résumé développera ces points et concernera uniquement l’homoparentalité lesbienne en
prenant comme base de réflexion l’expérience belge et les études internationales publiées.
Préalable à la prise en charge de l’homoparentalité :

La prise en charge de l’homoparentalité doit évidemment d’abord répondre aux exigences
juridiques du pays concerné afin de réaliser le traitement en toute légalité et d’accueillir
l’enfant dans un contexte sociétal qui l’encadre et le protège.
En Belgique, la prise en charge des patientes en Procréation Médicalement Assistée (PMA)
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est réglementée par plusieurs textes de loi réglementant l’agrément limité des centres de
PMA ainsi que leur fonctionnement et le remboursement des traitements. La loi de juillet
2007 intitulée « Loi relative à la PMA et à la destination des embryons surnuméraires et des
gamètes.» précise les aspects éthiques de l’accès aux soins. Elle définit “l’auteur du projet
parental: comme toute personne ayant pris la décision de devenir parent par le biais d'une
procréation médicalement assistée, qu'elle soit effectuée ou non au départ de ses propres
gamètes ou embryons ». Cette définition reconnait donc explicitement la parentalité pour
des parents du même sexe ou seul. La Belgique ne fait pas figure d’exception en Europe
puisque d’autres pays travaillent selon les mêmes principes ainsi l’Espagne, Les Pays-Bas, le
Royaume-Uni, la Finlande, le Danemark, la Grèce pour ne citer que les plus proches de la
France ; mais bien d’autres à l’est adoptent une attitude d’ouverture semblable (République
Tchèque, Estonie, Russie, Lituanie).

L’accueil de l’enfant au sein d’une famille homoparentale implique que cette famille soit
reconnue légalement au sein de la société dans laquelle elle évolue. En Belgique, le mariage
homosexuel a été légalisé depuis janvier 2003 déjà et la possibilité pour un tel couple
d’adopter depuis avril 2005. Cette dernière avancée est capitale pour permettre au parent
qui n’a pas de lien génétique avec l’enfant d’être reconnu à part entière et d’avoir ainsi des
droits et une autorité parentale équivalente au parent génétique du couple homosexuel. De
nouveau, cette législation ne fait que renforcer un mouvement amorcé dans les pays du Nord
puisqu’une telle adoption est légale depuis 1999 au Danemark, 2001 au Pays-Bas au, 2003 en
Suède, 2005 en Allemagne, Espagne et Royaume-Uni.

La question essentielle qui sous-tend l’adhésion à l’homoparentalité est sans aucun doute le
devenir et le bien-être des enfants ainsi conçus et élevés. Cette question a fait l’objet de
nombreuses études bien menées et publiées dans des revues scientifiques reconnues. Ces
études sont soit prospectives avec groupes contrôles (Golombo et al., 1997, 2010, 2003 ;
Baetens et al., 1997 ; Vanfraussen et al., 2003 ; MacCallum et al., 2004 ; Baetens and
Brewaeys, 2001), soit des études de larges cohortes avec groupes contrôles (Anderssen et al.,
2002) ce qui permet d’atteindre un bon niveau de preuve. En effet, une revue systématique
colligeant, selon le protocole de Cochrane, les résultats d’études incluant des groupes parfois
limités (8 études retenues sur 162 entre 1978 à 2002) confirment la cohérence de ces études
et leur bon niveau de preuve (Hunfeld et al.,2001). Les conclusions sont les mêmes que ces
études aient été menées en Europe ou outre-Atlantique.
La critique qui peut être formulée pour certaines d’entre-elles est l’hétérogénéité des
groupes étudiés mélangeant des enfants conçus au sein d’une famille hétérosexuelle et
élevés par un couple homosexuel après recomposition familiale avec des enfants conçus par
IAD, ainsi nommés « fatherless ». Les études belgo-hollandaises et anglaises qui respectent
des groupes homogènes (comparaison d’enfants nés d’IAD au sein d’un couple hétéro- ou
homosexuel, et de mères célibataires) souffrent d’un effectif plus réduit mais présentent
l’avantage, en particulier pour les études menées par Susan Golombok, d’une observation
longitudinale des mêmes enfants depuis le début de l’Œdipe jusqu’à l’âge adulte en passant
par l’adolescence avec des témoignages de tiers indépendant (enseignant). Néanmoins pour
ces études, les groupes concernés par cette parentalité différente avaient bénéficié d’une
prise en charge préalable par des pédopsychiatres, ce qui peut biaiser l’approche par une
sélection de la population étudiée.
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Les conclusions de ces études peuvent être résumées comme suit :
-
-
Evaluation du développement psychosocial des enfants et la qualité de l’éducation
(« parenting ») au sein des couples homosexuels ne met pas en évidence de différence
significative avec le groupe contrôle constitué de couples hétérosexuels : ces enfants
« fonctionnent » bien jusqu’à l’âge adulte tant sur base de leur relation familiale positive que
de leur bien être psychologique. Ils ont une bonne estime de soi et on observe une
orientation sexuelle parallèle à celle des enfants éduqués par un couple hétérosexuel.
Ce n’est pas l’orientation sexuelle ou le type de famille qui sera prédictif du le bien être de
l’enfant mais bien la chaleur et le soutien qui lui sera apportés.
Refuser l’accès aux IAD pour les lesbiennes parce que cela n’est pas dans l’intérêt de l’enfant
est injustifié sur base des études réalisées.
Certains guides de conduite publiés par des groupes d’experts condamnent clairement la
discrimination dans la prise en charge de la parentalité différente. L’ “ASRM Ethics Committee”
conclut dans son rapport concernant « Access to fertility treatment by gays, lesbians, and unmarried
persons » en ces termes : « This statement explores the implications of reproduction by single
individuals, unmarried heterosexual couples, and gay and lesbian couples, and concludes that ethical
arguments supporting denial of access to fertility services on the basis of marital status or sexual
orientation cannot be justified.” (ASRM Fertil Steril. 2009).
A l’heure actuelle, il n’existe plus d’arguments scientifiques qui soutiennent le rejet de la prise en charge des
couples homosexuels. Ce refus relève de la liberté thérapeutique de chacun, fonction de sa position éthique,
mais qui peut être qualifié de discrimination sur base de l’orientation sexuelle, elle-même condamnable.
IAD en Belgique, en quelques chiffres.
En Belgique, les centres de PMA sont soumis à l’obligation d’enregistrement online de leurs données pour la
fécondation in vitro, ceci conditionnant le remboursement des frais de laboratoire. Pour l’insémination intrautérine l’enregistrement se fait sur base volontaire hormis lors de stimulation par gonadotrophines.
En pratique, sur base des remboursements octroyés par la sécurité sociale on peut extrapoler que 75 à 89 %
des IIU pratiquées en Belgique sont effectivement enregistrées dans la base de données. Ces données sont
publiées annuellement sur le site www.belrap.be et accessibles à tous. Sur base de ces enregistrements,
quelques données concernant les IAD sont interpretables (années 2008/2009) :
-
26013 IIU ont été initiés dont 2241 (8,6%) abandonnées sur ces 2 années.
-
29 % des patientes concernées ne disposait pas d’un remboursement par la sécurité sociale, ce chiffre
correspond aux patientes étrangères dont la majorité viennent de France et aussi de Hollande soit,
7584 couples.
-
34 % de toutes les inséminations ont été réalisée avec un sperme de donneur (IAD).
-
Pour 74 % de ces IAD, l’indication du recours au donneur était l’absence de partenaire (=
homoparentalité et femmes célibataires).
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-
28% des IIU sont pratiquées en cycle naturel, 46% sous citrate de Clomiphène (CC) et 20% sous
gonadotrophines (NB : la loi belge exige le recours préalable à 4 cycles de CC ou l’absence d’ovulation
avec 150 mg de CC pour obtenir le remboursement des gonadotrophines)
-
Le taux de grossesses cliniques (rythme cardiaque positif) après IAD est de 15%.
-
Le taux de grossesses cliniques après IIU (toutes) est de 11% et après IIU sous gonadotrophines de
13%.
-
Le taux de grossesses gémellaires en IIU dans ces conditions de stimulation est de 5,6% et de
grossesses triples de 0,2%.
Prise en charge médicale des IAD dans le cadre d’une parentalité alternative :
Cette prise en charge pose 2 questions : d’une part, cette population particulière de patientes, ne consultant
pas à priori pour une infertilité mais bien pour avoir accès à une banque de sperme, nécessite-t-elle une
approche médicale différente en termes de stimulation associée à l’IAD ? Et d’autre part, cette parentalité
« sans père » requière-t-elle une préparation psychosociale spécifique ?
-
Stimulation et IAD ?
Peu de données spécifiques relatives aux résultats d’IAD dans cette population sont disponibles.
Une étude londonienne (Ferrara et al., 2002) a évalué rétrospectivement les facteurs pronostics de 1056 IAD
réalisées chez 261 patientes: 212 célibataires et 49 lesbiennes. Les stimulations ont été réalisées chez 106
patientes mais seulement 10 d’entre-elles présentaient une dysovulation, les autres stimulations étaient
administrées empiriquement.
Les taux cumulatifs de grossesses après 8 cycles d’IAD étaient respectivement de 86, 51 et 32 % à moins de 35,
35-40 et plus de 40 ans. La différence du taux d’accouchement pour les patientes de moins de 35 ans est
significativement différentes (p< 0,016). Si on corrige les données pour l’âge, il n’existe pas de différence pour
le taux de grossesses entre les femmes célibataires (9,6%) et lesbiennes (13,5 %).
Les données ont donc été cumulées pour l’analyse de la stimulation ovarienne, et aucune différence
significative n’est observée pour le taux de grossesss en cycles naturels, stimulés au CC ou avec des
gonadotrophines, et ce, même pour les patientes plus âgées.
L’auteur conclut en soulignant qu’il s’agit d’une population fertile où l’usage de stimulation ovarienne
empirique ne modifie pas significativement le taux de grossesses, quel que soit l’âge et la molécule utilisée. Le
taux d’accouchement est lié à l’âge avec 3% de naissances vivantes par cycle au-delà de 40 ans, ce qui est
néanmoins supérieur à celui observé au sein des couples infertiles du même âge (1,4 % selon Frederick et
al.,1994). La majorité des grossesses sont obtenues durant les 5 premiers cycles.
En conclusion, cette étude permet de confirmer ce qui pouvait paraître comme du bon sens, à savoir, qu’il est
inutile de stimuler une patient normo-ovulatoire dont l’indication de l’IIU est l’utilisation de sperme de
donneur. La surmédicalisation de cette population saine n’a d’autre effet que d’augmenter les grossesses
multiples. L’âge reste le principal facteur pronostic, invitant ces patientes comme d’autres à ne pas repousser
l’âge de la conception au-delà de 35 ans.
-
Une préparation psychosociale spécifique ?
Compte tenu des résultats positifs des études concernant le développement psychosocial de l’enfant au sein
des couples homoparentaux, on peut se poser la question de la légitimité de cette « préparation à la
parentalité différente ». A ce titre certains centres, rassurés par ces données scientifiques, ont abandonné
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cette approche et encadre ces couples comme les hétérosexuels consultant pour stérilité (Baetens and
Brewaeys, 2001)
Au CHC de Liège, nous avons opté pour un principe de précaution. Sachant que la plupart des études publiées
basent leurs observations sur des couples ayant bénéficié d’un encadrement psychologique avant d’entamer
les traitements, nous avons opté pour une approche globale et spécifique.
Notre mode de prise en charge se base sur l’expérience du Centre Hospitalier Universitaire (CHU) Saint-Pierre
de Bruxelles (ULB) basée sur le concept de l’écoute « à quatre oreilles », qui souligne l’importance de
l’interprétation du discours des patientes du point de vue du gynécologue et de celui du spécialiste du bienêtre, un psychiatre (Delvigne, 2013).
Notre prise en charge inclut un entretien avec le gynécologue et deux avec la psychologue , avant la décision
pluridisciplinaire. À celle-ci succède le début de la prise en charge véritablement médicale, qui n’est jamais
envisagée avant l’annonce d’une acceptation dans le programme.
Le premier entretien avec le gynécologue, qui a lieu avant l’acceptation de la demande, est donc aussi d’ordre
psychosocial. Le gynécologue s’assure que ce qui lui semble important, de son point de, car il nous semblait
capital que le médecin qui réalisera effectivement l’acte de l’insémination ait pu aussi s’assurer de l’adéquation
de la demande et soit ainsi à l’aise avec l’acte qu’il posera. De plus, l’approche plus pragmatique du somaticien
permet un entretien d’emblée plus factuel. Seule une rencontre ultérieure avec la psychologue et l’élaboration
des questionnements précédents qui en résulteront permettront d’apaiser et de donner sens à cette première
« confrontation » directe avec une réalité abordée de front.
Finalement, l’ensemble de ces consultations constituera souvent la base du cheminement vers une parentalité
différente mieux appréhendée. L’ensemble de ces entretiens aura pour but d’anticiper les éventuelles
difficultés en insistant, au cours des entretiens successifs avec le somaticien et le psychiatre, sur une nécessité
de transparence, de stabilité et de cohérence (Delvigne, A, 2013).
Sur base des données actuelles concernant le profil des couples homosexuels et le devenir des enfants qu’ils
élèvent une prise en charge particulière ne semble plus inconditionnelle. Certains centres, selon un principe de
précaution, propose toujours une réflexion pluridisciplinaire sur cette parentalité différente. Il s’agit avant tout
d’une préparation qui s’appuie sur des principes de de transparence, de stabilité et de cohérence et non sur
une évaluation.
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