Shiseido la marque dans l`histoire

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Shiseido la marque dans l`histoire
PATRICKMATHIEU Recherche & Conseil
Encyclopédie
Shiseido
la marque dans l’histoire
Cosmétique, créé en 1872 par Yushin Fukuhara.
Au Japon, la beauté ne va pas sans une idée d’harmonie et d’équilibre. Equilibre entre l’ombre et la lumière, entre la
nuit et le jour, dans le cycle des marées et des saisons. Et surtout, équilibre entre le corps et l’âme. Shiseido, « la
maison qui apporte le bonheur » selon les trois idéogrammes tirés d’un poème de Confucius qui forment son nom,
s’inspire directement de cette philosophie. Numéro quatre mondial de la cosmétique, la firme a su tout au long de
son histoire mêler esthétique orientale et savoir-faire occidental, héritage traditionnel et recherche de pointe, dans
des produits très haut de gamme, au style raffiné, qui participent à l’émancipation de la femme japonaise.
Par Jean
Watin-Augouard
Historien des marques,
rédacteur en chef de la
« Revue des Marques ».
Descendant d’une famille de samouraïs de Chiba (près de Tokyo), fils et petit-fils de pharmacien en médecine
chinoise, Yushin Fukuhara officie dans la marine après une initiation à la médecine occidentale à l’université de
Tokyo. En 1872, fort de ses expériences à l’étranger, il ouvre la première pharmacie occidentale au Japon, dans le
quartier chic, nouvellement construit à l’européenne, de Ginza. Dessinée par l’architecte anglais Thomas James
Waters, la boutique réalise, sous le nom Fukuhara-Sisheido, des ordonnances privées à partir de matières premières
importées d’Occident. Un médecin, et c’est là le secret du grand succès à venir de la maison, conseille les clientes
huppées, les élégantes geishas qui résident dans ce quartier, le plus connu de Tokyo, surnommé Shimbashi Geisha.
L’endroit, du dernier chic à l’occidentale, est plus convivial que l’hôpital et ses médicaments « chinois ». En 1888, la
pharmacie lance le « savon dentaire hygiénique » ; emballée dans une boîte en métal laquée. Cette Fukuhura
Toothpaste, première pâte dentifrice nippone, contribue à la notoriété de la boutique. Son sigle, un aigle, symbolise
l’efficacité. En 1897, autre innovation avec le premier produit cosmétique Shiseido à formule scientifique. Produit
culte de la marque, il demeure, un siècle plus tard, au catalogue. Eudermine, du grec eu signifiant « bon » et derma,
« peau », est une eau de soin née, elle aussi, de la rencontre de l’Orient et de l’Occident. De couleur rouge, symbole
de vie au Japon, elle connaît un succès immédiat auprès des geishas, malgré ou plutôt grâce à son étiquette libellée
en français, son décor floral pointilliste et son flacon en verre. Les caractères romains sont indéchiffrables pour les
clientes, mais l’effet exotique fait mouche. Tout comme, en 1917, les poudres de riz (là encore, en français sur les
emballages) teintées qui vont à l’encontre de la tradition et du blanc de craie qu’il est d’usage de porter chez les
dames de bonne compagnie.
En 1915, Yushin Fukuhara laisse sa place à son fils Shinzô. Grand voyageur, artiste peintre, photographe de renom
et homme d’affaires éclairé, Shinzô Fukuhara fait évoluer l’entreprise familiale de la pharmaceutique à la cosmétique,
notamment en ouvrant une boutique de cosmétiques en face de la pharmacie. De nouveaux produits et la création
d’un département artistique en 1916 contribuent à développer l’esprit et l’image Shiseido. Convaincu par le succès
d’une huile capillaire à base de camélia, lancée en 1898, il décide de faire du camélia son nouveau sigle. Il en dessine
un premier jet en 1915, qui sera repris par la suite par les artistes maison, avant de s’imposer sur tous les produits
en 1919. La même année, il enrichit la pharmacie, devenue un lieu de rencontre depuis 1902 grâce à sa fontaine à
sodas (made in USA, unique à cette époque au Japon), de salons de coiffure et de beauté, et d’un magasin de
vêtements. L’ensemble – dont la maison dessinée par Frank Lloyd Wright – sera détruit par le tremblement de terre
de 1923 avant d’être reconstruit dans le même quartier, enrichi d’un magasin d’exposition (plus tard la Galerie d’art
Shiseido) et d’un salon de thé, Shiseido Ice Cream Parlour (aujourd’hui, le célèbre restaurant Shiseido Parlour). La
société cultive son image sophistiquée et luxueuse par le biais d’annonces, de livres de beauté, de carnets de
tendances et de cadeaux promotionnels. En 1924, elle lance un magazine pour ses plus fidèles consommatrices : ce
journal d’avant-garde, devenu Hanatsubaki (« camélia » en japonais) et rédigé par des écrivains de renom, est
aujourd’hui lu par neuf millions de personnes.
Yoshiharu Fukuhara, petit-fils du fondateur et neveu de Shinzô, entre dans l’entreprise après la Seconde Guerre
mondiale. Renforcement de la marque sur le plan national (aujourd’hui, quarante salons de beauté, dix restaurants,
quarante-quatre boutiques de mode à l’enseigne The Ginza, quatre musées et galeries, trente mille points de vente)
et développement international sont à l’ordre du jour. La firme s’installe en 1957 à Taïwan, puis en 1963 en Italie et,
trois ans plus tard, aux États-Unis (prononcer Shiseido comme « She say do » !). Grand francophile comme ses
prédécesseurs, Yoshiharu Fukuhara choisit l’univers du Français Serge Lutens, en 1980, pour signer la nouvelle image
Shiseido et les luxueux salons du Palais Royal. En 1997, décision est prise d’accéder au premier rang mondial. Un
projet ambitieux qui doit prendre en compte la crise économique de l’archipel nippon et les 85 % des ventes qui y sont
réalisés. Seule stratégie possible : une politique internationale plus forte et un développement des marques. Shiseido
implante donc son siège régional européen (en plus de ceux de Tokyo pour l’Asie et de New York pour l’Amérique) à
Paris.
Ouverture sur l’Europe de l’Est, nouveaux Shiseido Beauty Galleries – lieux de démonstration et non de vente –, achats
(notamment d’Helen Curtis aux États-Unis), et des marques bas de gamme dans de nouveaux segments de la
cosmétique avec 5S pour l’Amérique et ZA pour l’Asie : le géant nippon passe à la vitesse supérieure pour atteindre
son objectif. La France reste toutefois le pays d’élection de Shiseido. Déjà propriétaire des salons de coiffure Carita
et Alexandre Zaouri, la firme japonaise excelle dans un marché peu développé, pour des raisons culturelles, dans son
propre pays : la parfumerie. Sa filiale BPI est à l’origine des jus, et de leurs grands succès, Issey Miyake et Jean-Paul
Gaultier. Côté innovation, Shiseido a lancé sur le marché français Relaxing Fragrance et Energizing Fragrance. Leur
secret ? Des parfums aromacologiques aux vertus bienfaisantes sur le corps et l’esprit. Parce que les odeurs et les
textures ont des pouvoirs sur notre énergie intérieure. Shiseido, pour le bien-être physique et spirituel…