Chômage et exclusion sociale

Transcription

Chômage et exclusion sociale
Chômage et exclusion sociale
Denis FOUGÈRE
(CNRS, CREST-INSEE)
Conseil d’Orientation de l’Emploi
Mardi 13 décembre 2005
Chômage et exclusion sociale
• Chômage et exclusion sociale: une double
causalité
• Le chômage de masse est générateur d’exclusion
• Mais en retour l’exclusion est un
« multiplicateur » du chômage en raison:
– du confinement des individus dans la précarité
– de sa transmission intergénérationnelle
– de sa concentration territoriale
La précarisation des parcours
professionnels
1.
2.
3.
La progression des emplois précaires à bas salaires : la
proportion d’actifs occupés dans des emplois précaires (CDD ou
intérim), à temps plein ou à temps partiel, rémunérés à des niveaux
de salaire inférieurs au salaire médian est passée entre 1990 et
2002 de 5,9 à 7,5% dans le cas des hommes, de 7,6 à 10,4% dans
celui des femmes
Une précarisation accrue des trajectoires
professionnelles : en 20 ans, la proportion d’actifs en
chômage ou en emploi précaire trois ans de suite est passée
de 4 % des actifs à plus de 9 %, après avoir atteint un
maximum égal à 11% en 1997
Une protection sociale mal adaptée aux évolutions du
marché du travail : la précarisation a des conséquences
directes sur la protection sociale des salariés (notamment
pour l’ouverture des droits à l’assurance-chômage); nécessité
de repenser l’ensemble de la protection sociale pour prendre
en compte les grandes tendances des marchés du travail
contemporains
Transitions emploiÎchômage
et type de contrat
Moins d’un an d’ancienneté
0,45
45,0%
Emp. aidés
0,4
Intérim
40,0%
Intérim
CDD
0,35
35,0%
CDI
30,0%
0,25
25,0%
0,2
20,0%
0,15
15,0%
0,1
10,0%
0,05
5,0%
1985
1988
Emp. aidés
CDD
CDI
0,3
0
1982
1 à 5 ans d’ancienneté
1991
1994
1997
2000
0,0%
1982
1985
1988
1991
1994
1997
2000
Précarisation des trajectoires
12,0%
3 années consécutives de
chômage ou d'emploi
précaire
10,0%
3 années consécutives en
chômage
8,0%
2 années en chômage, une
année en emploi précaire
6,0%
2 années en emploi
précaire, une année en
chômage
4,0%
2,0%
0,0%
1982
3 années consécutives en
emploi précaire
1985
1988
1991
1994
1997
2000
Le devenir des salariés précaires
60,0%
50,0%
40,0%
30,0%
Chômage
Emploi précaire
Inactivité
Emploi CDI
20,0%
10,0%
0,0%
1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000
• Les transitions vers le
chômage sont très
fréquentes et contracycliques
• Les transitions vers les
CDI sont peu fréquentes
et pro-cycliques
• Croissance continue de
la fréquence des
transitions vers l’emploi
précaire
(Îprécarisation)
Autres exemples
• Chômage et santé :
– Le chômage détériore la santé (Mesrine, 2000; Kuhn,
Lalive et Zweimuller, 2004)
– Une mauvaise santé rend plus difficile le retour à
l’emploi
• Chômage (ou pauvreté) des parents et échec scolaire
des enfants (Goux et Maurin, 2005)
• Chômage et délinquance:
– Le chômage (et la pauvreté) accroissent le nombre de
délits (Entorf et Spengler, 2000; Kelly, 2000; Fougère,
Kramarz et Pouget, 2005)
– La hausse de la délinquance provoque la fuite des
« classes moyennes » (Levitt et Cullen, 1999, Fougère,
Kramarz et Pouget, 2005) et accroît la concentration
Le constat général
• La montée continue du chômage et de la précarité a
engendré l’exclusion durable d’une part croissante
de la population hors de la sphère de l’emploi
• On peut aujourd’hui parler d’un noyau dur de la
pauvreté, c’est-à-dire de personnes, et parfois de
ménages entiers, durablement pauvres
• Malgré l’amélioration de la situation macroéconomique de la fin des années 90, ce noyau dur
de la pauvreté a résisté (travaux de l’Observatoire
National de la pauvreté et de l’exclusion sociale)
• Ces nouvelles formes de pauvreté sont de plus en
plus ancrées dans certaines zones urbaines ou périurbaines
Le cumul des difficultés
• Cumul et récurrence des difficultés vécues
par les personnes et ménages pauvres :
– pour près des deux tiers des allocataires de minima sociaux
qui recherchent activement un emploi, cette recherche
d’emploi se heurte à des contraintes financières et
matérielles (difficultés de garde d’enfants, coût ou absence
de transports, etc.)
– les difficultés d’accès au logement se doublent souvent,
pour les ménages les plus pauvres, de difficultés d’accès
aux services bancaires et financiers
– corrélation très forte entre difficultés scolaires et
pauvreté monétaire : le taux de retard en sixième est de
35% pour les enfants des familles les plus pauvres, contre
12% pour les enfants des ménages les plus riches
(pauvreté des enfants; illettrisme)
Une ségrégation urbaine plus
sensible
• Polarisation socio-économique dans l’espace des
villes et de leurs quartiers (Maurin, 2004; Guilluy et
Noyé, 2005)
• Dans les ZUS, la proportion de chômeurs était de
25,4% en 1999
• La part de non-diplômés chez les 15 ans et plus était
de 33,1% (17,7% en moyenne nationale)
• La part des salariés en CDD, intérim et stages était
de 20% (12,1% en moyenne nationale)
• Disjonction accrue entre domicile et lieu de travail,
sensible en particulier pour tous ceux dont l’emploi
est localisé dans le centre des grandes villes
Le sur-chômage des immigrés
et des français enfants
d’étrangers
• Le taux de chômage
des travailleurs étrangers (respectivement,
originaires d’un pays d’Afrique) est strictement le double (resp.
le triple) du taux de chômage des travailleurs de nationalité
française
• Les jeunes Français d’origine maghrébine sont deux fois et demi
plus souvent en chômage que les jeunes Français d’origine
française, quel que soit leur niveau d’études (Fougère et Pouget,
2004)
• Une grande partie de l'écart de salaire entre salariés de parents
français et salariés de parents africains est expliquée par les
différences de caractéristiques observables (niveau d’éducation,
expérience de travail, etc.)
• En revanche, les caractéristiques observables sont incapables
d'expliquer les écarts de fréquence d’accès à l’emploi
(Aeberhardt, Fougère, Pouget et Rathelot, 2005)
Évolution des CSP des actifs occupés
70%
40%
60%
35%
30%
50%
25%
40%
20%
30%
15%
20%
10%
10%
0%
1982
5%
1987
1992
1997
Français ouvriers
Etrangers ouvriers
Français employés
Etrangers employés
2002
0%
1982
1987
1992
1997
Français art., com., ent.
Etrangers art., com., ent.
Français cadres, prof. int.
Etrangers cadres, prof. int.
2002
Évolution des taux de chômage
40%
40%
35%
35%
30%
30%
25%
25%
20%
20%
15%
15%
10%
10%
5%
5%
0%
1982
0%
1982
1987
Français
1992
1997
Etrangers
2002
1987
1992
1997
2002
Français
Europe de l'Ouest
Maghreb
Afrique
L’école est-elle encore un vecteur d’intégration ?
• L’accès à l’enseignement supérieur ne progresse
plus
• La part des jeunes qui sortent du système éducatif
initial sans diplôme professionnel ou sans diplôme
général supérieur au brevet ne décroît plus ; elle
reste à un niveau élevé (près d’un sortant sur cinq)
• Le phénomène de ségrégation sociale dans les
établissements scolaires n’aurait pas évolué de
manière importante dans la période récente
• Mais il se concentrerait sur certaines zones urbaines
et y exercerait un effet local important, peu sensible à
un niveau agrégé
• Ainsi Felouzis (2004) a mis en évidence une ségrégation
« ethnique » au sein des collèges de la région bordelaise
– relégation des élèves en grande difficulté scolaire
Les grandes orientations pour
l’action
•
•
•
•
•
Réduire les distances physiques et sociales au marché du
travail : désenclavement des quartiers, amélioration des
dessertes par transports collectifs, aides aux activités
économiques créatrices d’emploi dans les zones concernées (y
compris par la mise en place de politiques de micro-crédits)
Accélérer la construction de logements sociaux locatifs (créer
un service public de caution permettant notamment aux jeunes
ménages d’accéder plus facilement au premier logement)
Renforcer l’aide aux ménages pauvres avec enfants, par
exemple en instaurant une allocation familiale dès le premier
enfant (sous conditions de ressources), et en relevant les
majorations pour enfants dans les barèmes des minima sociaux
et de l’aide au logement
Concentrer l’effort et les moyens d’éducation et de formation,
notamment en réduisant de façon significative, pour les
catégories d’élèves les plus en difficulté, le nombre moyen
d’élèves par classe, et ce dès la maternelle
Lutter contre les discriminations à l’œuvre dans les processus
d’accès à la formation, à l’emploi et au logement et à la santé
Les programmes de lutte contre les
ghettos aux Etats-Unis (1)
• Programmes centrés autour de l’action sur les
personnes, avec l’idée de les sortir des ghettos
• Programme Gautreaux, mis en œuvre à Chicago à
partir de 1976, ciblé sur les ménages Noirs ayant des
faibles revenus et vivant dans des immeubles publics
d’habitation. Le programme leur offrait des aides
financières afin de s’installer dans des quartiers
périphériques comptant moins de 30% de Noirs
• Les études réalisées ont montré qu’après
déménagement, les résultats scolaires des enfants
des familles concernées se sont significativement
améliorés. Il en a été de même pour les perspectives
d’emploi de leurs parents
Les programmes de lutte contre les
ghettos aux Etats-Unis (2)
•
•
•
•
•
Le U.S. Department of Housing and Urban Development a étendu ce
programme sous la forme d’une expérimentation baptisée Moving to
Opportunity (MTO) conduite à partir de 1994 dans cinq grandes
villes : Baltimore, Boston, Chicago, Los Angeles, et New-York
Etaient éligibles à ce programme expérimental les ménages vivant
dans des immeubles publics d’habitation et dans des quartiers où le
taux de pauvreté dépassait 40%
Les aides prenaient la forme de bons (vouchers) permettant de louer
des appartements à des propriétaires privés ou de se reloger dans des
quartiers moins pauvres (+ aide dans la recherche et l’installation)
Ce programme a amélioré les conditions de vie des ménages
bénéficiaires, et notamment du point de vue de leur santé et de leur
sécurité (Katz, Kling et Leibman, 2001)
Malheureusement, les perspectives d’emploi et de revenu des parents
ne semblent pas avoir été significativement modifiées par le
programme
La réduction de la taille des classes
• La plus vaste expérimentation à ce jour a été conduite aux
Etats-Unis dans le cadre du projet STAR (Student/Teacher
Achievement Ratio)
• Ce projet a concerné près de 110 000 élèves répartis
aléatoirement dans des classes de 13 à 17 élèves ou de 22 à
26 élèves, depuis la dernière année de maternelle jusqu’à
l’équivalent du CE2
• Les résultats de cette expérience sont sans ambiguïté : le
passage dans une petite classe a un effet bénéfique pour les
élèves appartenant aux minorités et aux ménages pauvres
• Par ailleurs, l’essentiel du gain est obtenu dès la première
année et les effets perdurent au cours des années suivantes,
sans pour autant que les écarts se creusent (Krueger, 2001)
• Autres études : Angrist et Lavy (1999), Piketty (2004)
Et l’affirmative action ?
• Point de vue des économistes : théorie de la
« discrimination statistique » (Aigner et Cain, Lundberg,
Rotschild et Stiglitz)
– Les écarts de salaires à l’embauche entre groupes reflètent, dans le cas des
minorités, la moindre précision des informations disponibles sur la qualité
des candidats (effets de CV, mais surtout absence de garants, cf. argument
des « liens faibles »)
– Cette situation peut conduire les membres des minorités à sous-investir en
formation (équilibre auto-entretenu, cercle vicieux)
– Solutions : améliorer l’information statistique et sa diffusion, mettre en
œuvre des politiques d’equal pay ou même d’affirmative action (forcer le
recrutement des individus issus des minorités dans les emplois qualifiés)
– L’affirmative action a une justification du point de vue de l’efficacité
économique si le coût des distorsions allocatives est inférieur à celui du
sous-investissement en capital humain
– Question non résolue théoriquement, d’où nécessité d’études empiriques
Les effets de l’affirmative action aux U.S.A.
• L’accent est unilatéralement mis sur les effets pervers de
l’affirmative action (AA)
• Mais l’ensemble des études empiriques disponibles oblige
à nuancer l’analyse (Holzer et Neumark, 2000)
– Pas de conclusions nettes sur l’efficacité productive
(coût/production)
– Pas d’effets des politiques d’AA dans la police sur la criminalité
(pas de hausse en particulier)
• Remarquable étude d’Arcidiacono (2005): l’existence de
politiques d’AA à l’entrée des universités (règles
d’admissions et aides financières) influencent fortement la
décision de suivre des études supérieures