Le Hip-Hop latino américain et les dynamiques de l`appropriation

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Le Hip-Hop latino américain et les dynamiques de l`appropriation
IEP de Toulouse
Mémoire de recherche présenté par M. Adrien Pierrin
Directeur du mémoire : M. Philippe Mary
Date : 2012
Le Hip-Hop latino américain et les dynamiques de l’appropriation
culturelle au niveau local.
Etude autour du cas des villes d’El Alto en Bolivie et de Mérida au Mexique.
IEP de Toulouse
Mémoire de recherche présenté par M. Adrien Pierrin
Directeur du mémoire : M. Philippe Mary
Date : 2012
Le rap latino américain et les dynamiques de l’appropriation culturelle au
niveau local.
Etude autour du cas des villes d’El Alto en Bolivie et de Mérida au Mexique.
Avant-Propos
« Le rap c’est ce que l’on fait, le Hip-Hop c’est ce que l’on vit » KRS One
Depuis son émergence dans les ghettos noirs du Bronx du New-York des années 1970,
le Hip-Hop est devenu un moyen d’expression artistique omniprésent sur la scène culturelle
internationale. Le journaliste et critique musical Kelefa Sanneh déclare :
« Le Hip-Hop, à l’origine un nom, est devenu un adjectif constamment utilisé mais rarement
défini ; Les gens parlent de mode Hip-Hop et de romans Hip Hop, de films Hip-Hop et de
basketball Hip-Hop. Tout comme le Rock and Roll dans les années 1960, le Hip-Hop est aussi
un mouvement comme un enjeu marketing, et le mot est alors utilisé pour décrire tout et son
contraire en relation avec la jeunesse actuelle ».1
En peu de temps, la portée géographique du Hip-Hop s’est étendue de manière exponentielle.
Celui-ci est devenu le vecteur d’expression d’excellence pour véhiculer tout type de message
en relation avec la manière de s’habiller, de parler ou même de marcher. Sa musique a dominé
les classements de ventes par disque,
son style vestimentaire a atteint des records de
bénéfices, son lexique linguistique s’est intégré au quotidien des jeunes et son image s’est
diffusé et installé partout autour du globe. Nous avons même pu remarquer la tendance
actuelle de l’utilisation routinière du Hip-Hop en tant qu’outil marketing pour les sociétés de
boissons, de chaussures de sport et même de jouets pour enfants.
Quelque soit le lieu où vous vous trouvez, une expression de la culture Hip-Hop peut y être
retrouvée. Cependant, afin de mieux cerner l’objet d’étude de ce mémoire, il me parait
primordial de débuter par une mise en perspective du mouvement Hip-Hop dans sa globalité
et de la pratique socioculturelle du rap en tant que nouvel art à part entière du XXI siècle.
1
J. Kun, Two turntables and a social movement : Writing Hip-Hop at century’s end. American Literary, 2002,
p.581
Remerciements
Je tiens à remercier tous les acteurs qui m’ont épaulé durant les deux années
nécessaires à la production de ce mémoire. Tout d’abord, merci à tous les rappeurs et
producteurs boliviens, mexicains, péruviens, togolais et français qui m’ont permis de me
décider et de me pencher sur un sujet d’étude qui m’est personnellement enrichissant. Merci à
tous les acteurs du milieu Hip-Hop latino américain qui ont acceptés de me recevoir, de
m’accorder un entretien ou de répondre à mes questionnaires. Merci au centre culturel
autogéré La Quilla et aux maisons de production Templo Maya Producciónes et Yuc Side
Prod pour m’avoir ouvert les portes de l’événementiel et de l’enregistrement semi
professionnel au niveau local. Merci à tous ceux qui m’ont conseillé dans la problématisation
de cette étude et dans la structuration de mes propos, à tous ceux qui m’ont aidé à tracer ma
route entre l’Afrique et les Amériques, etc.
Je remercie personnellement mon frère Alexandre qui a suscité ma passion pour la culture
latino américaine, Philippe Mary pour son soutien et son aide, Pierre Boisson pour ses
confidences, son analyse réfléchie et ses retranscriptions d’entretien, Marc Perrenoud pour sa
bibliographie exhaustive, Fisko 23, El Gallo, Ochkan, Percy, Mozco, etc.
Jamais je n’oublierai cette expérience vécue en Amérique latine.
Peninsularap y 2G Familia en la casa parceros !
Avertissement
L’IEP de Toulouse n’entend donner aucune approbation, ni improbation dans les mémoires de
recherche. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur(e).
Sommaire
Introduction
Première partie. Le rap latino américain, un outil de revendication identitaire
Chapitre I. De la colonisation culturelle à la contestation indigène
Chapitre II. La réappropriation d’une identité culturelle locale
Deuxième partie. Le rap latino américain, l’expression d’un métissage culturel
Chapitre I. Un contexte contemporain au carrefour des cultures
Chapitre II. Une illustration contemporaine des phénomènes d’acculturation
Conclusion
Annexes
Bibliographie
Table des matières
Introduction
Le Hip-Hop se défini généralement comme un mouvement regroupant un ensemble de
quatre disciples pivots : le DJing, le graffiti, le breakdanse et le rap. Ces quatre disciplines
sont considérées « comme les racines d’un mouvement qui a stimulé la jeunesse urbaine à
utiliser la musique, la danse et d’autres formes d’expressions artistiques pour décrire la vie
comme ils la voyaient »2. La musique rap, comme dernier des quatre éléments à avoir émergé,
est devenu la forme la plus ostensible et la plus dominante de ce mouvement Hip-Hop.3
Depuis que le mouvement Hip-Hop tend vers une influence exponentielle, celui-ci évolue en
tant que mouvement culturel à part entière englobant alors de nouveaux éléments comme la
mode vestimentaire, le langage et même une attitude comportementale par une appropriation
de la rue et de ses valeurs.4
Le Hip-Hop est une expression culturelle qui émerge à travers un contexte de pauvreté, de
marginalisation, de racisme et d’aliénation.5 Pour la jeunesse vivant dans les quartiers
centraux de New York, le Hip-Hop est devenu « un moyen créatif d’essayer d’échapper à la
pauvreté et à l’oppression tout en les commentant ».6 La majorité des études sur le Hip-Hop
de ces deux dernières décennies aux Etats Unis se concentraient sur l’utilisation de cet art face
aux phénomènes sociaux de marginalisation et de sous représentation.7
Emmet Price argumente, par exemple, que le Hip-Hop a émergé « comme un moyen et un
mode d’expression qui s’est développé par ses commentaires sociaux, ses critiques politiques,
ses analyses économiques, ses exigences religieuses, sa conscience urbaine populaire tout en
combattant à long terme les préjudices raciaux, la persécution culturelle et les inégalités
sociales, économiques et politiques. »
2
N. Allen, Exploring Hip-Hop therapy with high-risk youth, Praxis, 2005, p.31
E. Price, Hip-Hop culture, Santa Barbara: ABC-CLIO, 2006
4
N. Allen, 2005
5
B. Kitwana, The state oh the Hip-Hop generation : How Hip-Hop’s cultural movements is evolving into
political power. Diogènes, 2004, P.118-119. T. Rose, « Black noise : Rap music and black in contemporary
America. » Middletown : Wesleyan University Press. 1994.
6
E. Basu & S. Lemmele, « The vinyl ain’t fail : Hip-Hop and the globalization of black popular culture »,
Oxford : Pluto Press, 2006, P.23
7
M. Dyson, Known what I mean ? Reflections on Hip-Hop, New York, Basic Civitas Books, 2007. Kitwana,
2004. Price, 2006. Rose, 1994
3
1
Tricia Rose, l’une des grande spécialiste américaine de la musique rap et de la culture HipHop, développe à travers le prisme de la culture afro américaine que le Hip-Hop est une forme
de « résistance créative » qui permet aux afro américains des quartiers du centre-ville de
dénoncer et de contrer les manifestations d’oppression, de discrimination et de sousreprésentation.
A la fin des années 1970, le Hip-Hop entame une véritable métamorphose socio-économique
et symbolique. En effet, l’une des premières représentations de cette évolution est l’énorme
succès en 1979 du tube Rapper’s Delight du groupe Sugar Hill Gang qui institutionnalise le
Hip-Hop en tant que musique populaire établie. Nous assistons alors à la première vague HipHop, qui fait passer ce style musical du milieu local New Yorkais à l’ensemble du pays et
même au niveau international. D’autre part, cette nouvelle reconnaissance offre au Hip-Hop
l’opportunité de ne plus être qu’une forme d’expression culturelle mais aussi l’élève au rang
d’objet commercial à part entière.8 Ce qui au commencement était perçu comme une
« résistance créative » dans les quartiers du centre de New York, évolua vers une nouvelle
définition en tant que « manifestation commerciale ».9
Les années qui suivirent dévoilent une propagation exponentielle du mouvement Hip-Hop au
niveau national puis international. Comme affirmé auparavant, c’est l’intégration du Hip-Hop
dans les rouages de l’industrie du disque qui a permis le décollage de ce mouvement. Lorsque
les grandes maisons de production américaines (dites majors) se rendent compte du potentiel
que représente ce nouveau courant musical, une véritable course aux talents s’engage. Ces
nouveaux artistes du star system sont portés par une promotion qui n’aurait pu être imaginable
dix années plus tôt. De la radio à la télévision en passant par des tournées nationales géantes,
tous les moyens médiatiques sont déployés pour favoriser leur succès. Très rapidement, les
médias internationaux s’approprient cette nouvelle tendance musicale, et basé sur le modèle
américain, le même schéma économico-médiatique va s’installer en Angleterre, en France et
en Allemagne. La flambée exponentielle que va connaître le Hip-Hop peut être comparable à
celle du Rock deux décennies plus tôt. Peu à peu, l’incroyable diffusion du Hip-Hop en tant
que mouvement cultuel originellement « étatsunien » va être visible aux quatre coins de la
planète, y compris dans des régions géographiques dont les contextes sociaux économiques
sont fortement éloignés de ceux des Etats Unis.
8
9
Price, 2006
Kitwana, 2004, P.116
2
A la fin du siècle, de nombreux acteurs de la sphère Hip-Hop ou spécialistes du mouvement
(sociologues, musicologues et linguistes américains) ont commencé à se questionner sur
l’avenir du Hip-Hop. Les critiques les plus vives provenaient des artistes eux-mêmes. Par
exemple, le groupe pionnier Afrika Bambaataa a cherché à renouveler l’attention collective
autour des origines du mouvement. Ceux-ci pointèrent du doigt la trop forte corrélation entre
la musique rap et l’industrie capitaliste, et dénoncèrent la perte du contexte originel dans la
production musicale. Le point de vue du groupe est que les contrats ont pris le pas sur « la
tendance culturelle initiale, démontrant que l’objectif premier des artistes était devenu la rente
financière plutôt que l’activisme socio politique ».10 Plus récemment, en 2006, l’artiste Nas
sortait son album controversé, « Le Hip-Hop est mort », à travers duquel celui-ci remettait
ouvertement en question l’évolution du Hip-Hop en tant que forme d’art décomplexé.
Nas écrit « Tout le monde sonne identique, commercialise le jeu / réminiscence de quand il
n’était pas que du business / Ils ont oublié où tout a commencé / donc nous nous réunissons
ici face à notre cher défunt »
D’autre part, par le biais des médias et des universitaires, la nature contradictoire du
courant Hip-Hop devint un sujet central de questionnement. Le Hip-Hop est-il « La voix des
marginaux »11 ? Est-il « La représentation marchande de l’expression culturelle afro
américaine »12, ou est-il « Une écœurante exposition de violence et de misogynie musicale »13
? Finalement, le consensus général tend à ce que le Hip-Hop est un tout qui englobe chacun
de ces aspects. Best et Kellner écrivent :
« A son apogée, le rap est un puissant réquisitoire contre le racisme, l’oppression et la
violence qui attire notre attention sur la crise des quartiers du centre-ville et qui décrit de
manière crue la détresse des afro-américains (…) A son périgée, le rap est lui-même raciste,
sexiste, il glorifie la violence et son prisme lucratif est plus une tare qu’une consécration »14
Par l’étude des cas des villes d’El Alto en Bolivie et de Mérida au Mexique, le point crucial
que nous soulevons ici est que le Hip-Hop possède de nombreuses interprétations. Il n’existe
10
Price, 2006, P.37
Rose, 1994, P.1
12
Kun, 2002, P.581
13
R. Stephens & E. Wright, « Beyond bitches, niggers, and ho’s : Some suggestions for including rap music as a
qualitative data source », Race & Society, 2000, P.23
14
D. Caldwell, « Affiliating with rap music : Political rap or gangsta rap ? » Noviatas Royal, 2008, p.17
11
3
pas une forme unique d’expression, au contraire ce mouvement culturel se caractérise
notamment par sa souplesse et sa flexibilité d’appropriation.
Qu’il soit progressiste ou
paraisse conservateur, réfléchi ou spontané, la compréhension du mouvement Hip-Hop doit
automatiquement s’associer à la compréhension de son contexte d’ancrage.
Par le biais de ce mémoire, nous allons démontrer que le rap en tant que représentant le plus
fort de la communauté Hip-Hop se caractérise par sa diversité d’approche, tant dans son
appropriation par ses acteurs que dans sa réception par le public. Nous comprendrons que le
Hip-Hop est avant tout un outil, un vecteur de transmission d’idées, qui peut être utilisé pour
suivre tout objectif et tout ordre éthique. On ne doit cependant pas oublier le fait que ce
mouvement demeure fondamentalement artistique. Le sociologue américain Dyson écrit :
« Il est vrai que ceux qui échouent à comprendre la complexité culturelle du Hip-Hop, et
l’approchent de manière simpliste, peuvent être induis en erreur par des comportements peu
honorables. Mais ceci peut être affirmé et confirmé pour toute forme d’art (…). Il est insensé
de critiquer l’engagement d’un art ou d’un mouvement culturel simplement parce que des
enfants trouvent « cool » que 50cent se soit fait tirer neuf fois dessus. En fait, c’est une raison
supplémentaire de clarifier ce qu’une forme d’art fait de riche, de ce qui l’appauvri »
4
Méthodologie
C’est au cours de mon année de mobilité en troisième année que le sujet de ce
mémoire m’est apparu comme évident. Après avoir passé plus de six années à pratiquer le rap
en milieu amateur en France, j’ai pu découvrir certaines de ses déclinaisons en Afrique et en
Amérique latine ce qui m’a amené à m’interroger sur les caractéristiques et l’identité de la
pratique locale du Hip-Hop.
En effet, ayant travaillé au sein d’associations et d’ONG sociaux culturelles locales, la
barrière culturelle entre « le jeune blanc occidental », que je représentais, et la population
indigène a rapidement été dépassé. Durant toute cette année de mobilité, j’ai travaillé avec de
nombreux adultes et jeunes locaux pour mettre en place des projets culturels, des activités
ludiques, des animations et ateliers didactiques ou autres cours divers et variés de culture
générale, etc. Parallèlement à mes postes de coordinateur de projet, je me suis affairé à
développer une certaine quantité de projets personnels de collaboration artistique. Mon statut
de bénévole volontaire expatrié au sein des quartiers périphériques a favorisé une facile
intégration auprès de la population locale. Ensuite, mes activités professionnelles et
personnelles m’ont aussi permis de générer une liste de contacts des différents acteurs du
réseau musical local, et plus spécifiquement du milieu Hip-Hop qui s’est finalement dévoilé
beaucoup plus accessible que je ne l’imaginais.
Si j’ai entamé mes collaborations artistiques et mon travail de réflexion sur la réception du
Hip-Hop au niveau local lorsque j’étais en poste au Togo (les six premiers mois jusqu’en
Janvier 2010), c’est véritablement mon arrivée dans les régions andines qui a radicalement
modifié le sujet de mon étude. Dès le début de mon stage au Pérou, j’ai été en contact avec
des jeunes membres de petits gangs locaux, appelés pandillas, puisque je donnais des cours
d’éducation civique dans les collèges et lycée de la capitale Lima. Le Hip-Hop m’a toujours
permis de mieux m’intégrer auprès des jeunes, dès lors que l’un apprenait que je pratiquais
dans une langue étrangère, leur regard sur moi était radicalement différent. Une approche et
une relation plus naturelle pouvait s’installer et alors j’ai pu entamer un travail de
renseignement sur la pratique locale : les différents groupes de rap et leur style propres.
Pourtant, le mouvement Hip-Hop de la capitale de Lima dans sa globalité était trop difficile
d’accès, trop peu ouvert, et finalement ne s’avérait pas représentatif de l’angle d’attaque
identitaire qui m’intéressait. Lorsque j’ai reçu le premier projet matériel du groupe militant
5
bolivien Ukamau y Ke, j’ai compris que même au sein d’une région culturellement
identifiable, la pratique du Hip-Hop peut posséder de multiples formes d’appropriation.
D’autre part, c’est à partir de ce moment-là que j’ai orienté une partie de mon étude vers le
rap andin bolivien qui m’était alors plus familier et plus intéressant de par son ancrage et son
influence indigène. Comment cette culture locale peut-elle s’approprier un mouvement
américain dont les valeurs paraissent être aux antipodes du mode et du cadre de vie andin, et
finalement construire un modèle qui lui semble propre ?
Ensuite, je me suis rendu compte que mon étude manquait d’un caractère comparatif. Dresser
un état des lieux de l’identité d’un mouvement culturel à un instant T ne me parait pas être
l’angle d’attaque le plus pertinent. Dans un premier temps, les courants musicaux actuels,
comme le Hip-Hop ou la musique électronique, sont en constante évolution et il est difficile
d’analyser un mouvement culturel dans son ensemble, car il conviendrait de prendre en
compte le Hip-Hop par le prisme de ses quatre déclinaisons. D’autre part, le contexte social,
politique et économique d’un pays comme la Bolivie est aussi très instable et en constante
mutation. Finalement, avec le temps et le budget dont je dispose en tant qu’étudiant expatrié
en stage, il me parait difficile de développer l’ancrage d’un mouvement aussi large et
complexe que le Hip-Hop dans un pays en plein développement comme la Bolivie. Je préfère
ainsi rediriger mon axe d’étude sur les tenants et aboutissants de la réception du mouvement
culturel international Hip-Hop, par le biais de son représentant le plus légitime qu’est le rap,
dans un contexte local fortement traditionnel et indigène. J’ai donc décidé d’intégrer un
deuxième élément comparatif, parallèlement au contexte bolivien, qui est celui de la région du
Yucatan au Mexique. Intégrer une deuxième donnée m’aide à proposer une vision plus large
mais aussi et surtout plus juste. D’un côté la Bolivie, pays qui s’oppose historiquement aux
valeurs et au mode de vie du berceau du Hip-Hop, les Etats Unis, de l’autre le Mexique de la
péninsule du Yucatan, région fortement indigène qui se construit entre rejet et mimétisme
culturel avec le géant nord-américain.
Le point d’orgue de ma démarche repose sur une observation participante active,
réfléchie et parfois officieuse. J’ai pu mettre à profit mes contacts professionnels et personnels
pour administrer un certain nombre d’entretiens et de questionnaires avec des acteurs locaux.
En général, la préparation de mon mémoire n’entrait dans les discussions qu’à partir de la
deuxième ou de la troisième rencontre puisque certains assimilaient ma démarche à une
6
approche journalistique qui pouvait les effrayer, ou tout simplement influencer voir fausser
l’objectivité de leur propre discours. Mon intention reste de relater une réalité des plus
objectives et des plus exactes.
En Juillet 2010, j’ai passé un premier mois sur les routes boliviennes à récolter des
informations auprès des différents contacts que j’avais suscité depuis mon stage au Pérou,
notamment de jeunes rappeurs dont les discussions demeuraient pour la plupart superficielles
mais révélatrices. Voyageant avec mon amie, j’ai surtout amassé une liste de contact et de
lieux que j’ai relancés depuis le Mexique et la France, producteurs indépendants locaux,
documentalistes français, studios d’enregistrement, foyers de jeunes, centres culturels, etc. De
retour en France, j’ai su rester proche de ce réseau par le partage de nos différentes actualités
culturelles et musicales via Internet et ses réseaux sociaux. J’ai profité de cette période de
cours pour administrer un certain nombre d’entretiens écrits avec des musiciens et
producteurs locaux. J’ai, à ce moment, pris contact avec le documentaliste et journaliste
français Pierre Boisson qui tournait à cette même période un documentaire sur le Hip-Hop en
Bolivie, Made in Bolivia. Evidemment, de nombreux travaux en sociologie et en linguistique,
principalement d’auteurs américains, ont alimentés la base académique de mon approche.
Cependant, à cette époque je ne possédais pas encore de véritable pied à terre au Mexique, ce
pour quoi j’ai décidé de retourner sur le terrain latino-américain pour alimenter mon étude.
Dès la fin de ma quatrième année à Science Po Toulouse, je me suis engagé dans un nouveau
stage optionnel de trois mois à Mérida, au sein du service musique traditionnelle de l’Etat du
Yucatan, sud-est du Mexique. Je ne voulais pas être directement attaché à une structure de
musique actuelle ou une maison de disque indépendante qui inévitablement aurait engendré
une approche beaucoup plus subjective de la part des acteurs locaux, et sensiblement moins
critique de ma part. Au cours de ces trois mois, je me suis investi uniquement sous l’étiquette
de rappeur français et d’organisateur d’événements culturels. Je me suis démené pour accéder
par mes propres moyens au réseau local et régional. Par exemple, dès ma première semaine
j’ai rencontré un jeune dans une petite boutique qui vendait de la peinture et des magazines de
musique, je me suis présenté, j’ai rappé, puis tout s’est enclenché voir bousculé. Je ne
m’attendais pas à de tels retours mais en l’espace d’un mois j’avais déjà établi de nombreuses
collaborations musicales locales tout en participant aux événements Hip-Hop de la capitale.
Pour accélérer mon intégration au milieu local,
j’ai fait le pont avec mon association
étudiante française Assoc Ya Sound pour générer quatre événements en partenariat avec la
maison de production Templo Maya Producciónes et le centre culturel local La Quilla. Par la
7
suite, j’ai participé à la production d’un projet national, Chichiverano, qui m’a permis d’être
en relation avec des artistes et producteurs de la capitale, Mexico D.F. L’ensemble de ces
activités annexes à mon stage ont favorisé une quantité considérable de rencontres et
d’informations internes et externes sur l’identité et les dynamiques du mouvement Hip-Hop
yucateco. Par la suite, j’ai imité cette méthode plus officieuse pour me présenter auprès de
radio et artistes boliviens, mais mes finances personnelles ne m’ont pas permis de réitérer
l’expérience en Bolivie.
8
Problématisation
Il ne m’est pas aisé de trouver la problématisation la plus pertinente autour d’une
thématique aussi vaste. Ma première étape dans ce travail de réflexion est de faire face aux
différentes limites qui m’incombent, ou celles que je me suis imposé à moi-même. Puis de
coordonner mes intérêts personnels aux enjeux sociologiques d’une telle étude.
Tout d’abord, comme vous l’avez compris, mon choix originel relève d’un premier aspect
personnel, voir passionnel. Je me suis ancré dans le domaine des musiques actuelles, et
notamment celui du Hip-Hop, depuis près de sept années. Si le Hip-Hop se décline sous de
multiples disciplines, je me suis naturellement porté vers le rap qui m’apportait une ouverture
des plus judicieuses. Je me suis interdit d’appréhender un angle d’attaque francophile puisque,
honnêtement, je pense que de nombreux sociologues de qualité, comme Karim Hammou,
Julien Guedj, Antoine Heimann, ou autre Béatrice Sberna (etc.) explorent cet univers sous les
angles socio-économiques et/ou politico-culturels.
D’autre part, par le biais de mes séjours et de mes stages en Amérique latine je me suis
fortement attaché à la culture traditionnelle locale. La culture et l’histoire andine en particulier
dévoile une forte opposition au colonialisme occidental, que ce soit au niveau socio
économique, politique et culturel. Un passé qui ne s’efface pas avec le temps et qui semble
même s’enraciner sous de nouveaux aspects contemporains comme l’implantation de grandes
firmes transnationales qui se placent au-dessus du droit de l’indigène local. Cet angle
d’attaque me parait inévitable dans l’étude d’un courant culturel revendicateur comme le HipHop.
Bien évidemment, cette étude ne tend pas à relater un état des lieux musical de toutes les
influences du Hip-Hop en Amérique latine, ce travail nécessiterait des années de présence sur
le terrain et une connaissance plus ou moins exacte de chacun des groupes reconnus ou non
sur le continent. Voilà pourquoi le rap latino-américain n’est pas l’unique sujet de fond de ce
mémoire, mais aussi et surtout le support d’illustration de la réception d’un mouvement
culturel international à part entière. La Bolivie andine et le Mexique du Yucatan, par le prisme
du rap local, me permettent de mettre en évidence les caractéristiques de réception d’un
mouvement culturel étranger à différents degrés. De plus, le rap est à son essence un
mouvement culturel à caractère identitaire (cf. Ghettos noirs du Bronx), essentiellement
9
développé à partir d’une multitude de luttes sociales pour l’accès à une reconnaissance
juridique des populations noires discriminées. La Bolivie et le Mexique sont actuellement
deux pays en pleine crise identitaire, entre un conservatisme culturel fort marquée par un désir
de reconnaissance de la diversité sociale, et une ambition « moderniste » centrée sur
l’ouverture internationale et l’unification sociale sous la bannière de nation une et indivisible.
Il faut aussi comprendre l’idée de « rap latino-américain » au sens linguistique du terme. Soit
une nouvelle limite que je me suis imposé, de par le caractère chronophage que représenterait
cette étude sur l’ensemble du continent sud-américain. Et d’autre part, mon manque de
connaissance et d’affinité avec la langue et la culture lusophone forme un obstacle de taille
pour une telle entreprise. Je m’attache à définir une étude représentative sur un mouvement
culturel latino-américain, et dans cette optique on ne peut omettre le plus grand producteur de
musique Hip-Hop d’Amérique après les Etats Unis, soit le Mexique. J’ai directement évincé
le rap latino américain dit chicano, soit des mexicains immigrés aux Etats unis comme
Cypress Hill ou Delinquentes Habits, car aujour’dhui n’évoluent que par le prise de la culture
américaine.
Un dernier point me semble important à soulever autour de la question des courants culturels
internationaux comme le Hip-Hop, et finalement autour de mon travail dans son ensemble,
c’est son inscription réelle dans le temps. Cette étude s’est concrètement étalée entre fin 2009
et mi 2012 et ne peut servir de représentation exacte de la situation dans un futur même
proche. A l’heure de la rédaction de ce mémoire, les faits constatés courant 2010 ne sont peutêtre plus vérifiables aujourd’hui. Par exemple, je me positionne fortement sur un mouvement
identitaire lancé par un rappeur d’El Alto, Bolivie, Abraham Bojorquez qui est mort dans un
accident routier courant 2011. Qu’en sera-t-il de son mouvement d’ici à cinq ans, je ne peux
rien garantir.
Ainsi, mon objectif principal, à travers ce mémoire à portée sociologique, est de
soulever les différentes caractéristiques d’un mouvement culturel lorsqu’il sort de son propre
contexte d’ancrage. Comprendre la majorité des tenants et aboutissants d’une réception locale
d’un mouvement culturel définitivement international. D’autre part, prendre comme support
un courant culturel qui se veut fortement connoté dans le monde par le pays dans lequel il a
émergé, et étudier son insertion dans un contexte totalement différent. Quelles sont les formes
d’appropriation ou de rejet de la part de la population locale, en particulier de la part des
10
jeunes et des adultes sensibilisés à ce mouvement ? Si appropriation il y a, de quelle manière
celle-ci s’effectue ? Mimétisme, plagiat, inspiration, opposition, etc. La réponse est sans doute
un peu tout à la fois, et voilà pourquoi nous pourrons nous rendre compte que le rap peut être
concrètement comparé à un outil à part entière, au sein du mouvement culturel Hip-Hop,
d’une malléabilité sans fin et sans limite. Nous allons pouvoir nous rendre compte que tout
comme dans les ghettos noirs new yorkais, un jeune bolivien peut s’accaparer l’outil
rapologique à des fins militantes voir activistes, tout comme un jeune mexicain peut prendre
possession du rap pour affirmer son appartenance à sa propre culture ancestrale maya. D’un
autre côté, celui-ci peut aussi être calqué sur son modèle d’origine américain, tant sur les
paroles chantées que sur le style vestimentaire ou la langue utilisée. Bien évidemment, on
assiste fréquemment à un mélange entre ces deux tendances, soit un véritable métissage entre
les cultures. Celle d’appartenance et celle mondialisée. Sociologiquement, ce phénomène se
traduit par les concepts d’acculturation, de « glocalisation », etc. Soit l’évolution culturelle, au
sens large, d’un territoire et d’un peuple engendré par l’insertion d’une nouvelle culture, que
ce soit de manière volontaire ou non, que ce soit par l’occupation territoriale, par voie
médiatique ou autre, etc.
En s’appuyant sur les régions latino-américaines de la Bolivie andine, à travers la ville d’El
Alto, et du Mexique du Yucatan, par le biais de la ville de Mérida, nous pouvons nous
interroger sur les caractéristiques de la réception et de l’appropriation locale d’un mouvement
culturel international comme le Hip-Hop ?
11
12
Partie I. Le rap, un outil de revendication identitaire
« Nous voulons préserver notre culture à travers notre musique. Avec le Hip-Hop, nous
évoquons toujours notre passé, nos ancêtres indigènes aymaras, quechuas et guaranis. Nous
voulons montrer les réalités de ce qui se passe dans notre pays. Nos textes critiquent les
politiciens qui profitent de nous. Le Hip-Hop est devenu un instrument de lutte, un instrument
du peuple. » Abraham Bojorquez - Ukamau y Ke
Pendant près de dix mois, j’ai abordé l’Amérique Latine à travers des expériences
radicalement différentes. Dans un premier temps, une approche citadine via la mégalopole
péruvienne de Lima et la capitale de l’état du Yucatan Mérida, puis une démarche rurale et
provinciale par le biais de la région péruvienne de Piura et la ville de Chulucanas (où j’ai vécu
deux mois) ainsi qu’en parcourant les terres boliviennes cinq semaines durant.
Ce double vécu a fait naître chez moi un intérêt particulier autour de cette « culture latinoaméricaine » complexe, évolutive et bigarrée. En effet, un mélange de traditions et de
modernités semble être inhérent à ces régions aux histoires coloniales fortes, s’éloignant par
exemple des images conventionnelles du folklore andin ou mexicain.
C’est de cette étonnante dynamique culturelle que je veux témoigner dans ce mémoire afin de
montrer le Rap dans un nouveau jour. Tout d’abord dans cette première partie, l’intérêt
premier est de mettre en lumière l’appropriation locale naturelle du mouvement Hip-Hop, par
le biais du rap, en tant que véritable outil de revendication culturelle, revalorisation identitaire
ou d’outil marketing.
La Bolivie comme essence d’un territoire tiraillé entre son passé et son futur, entre un
multiculturalisme historique et la construction d’un état nation, entre sa culture autochtone
ancestrale et ses évolutions historiques. Comment après trois siècles d’oppression coloniale,
trois guerres internationales, l’amputation arbitraire de la moitié du territoire national, le rap
est-il devenu un vecteur de rassemblement identitaire alternatif en Bolivie ?
13
Chapitre I. De la colonisation culturelle à la contestation indigène
I.
Histoire d’une identité indigène
A.
Du VIIème siècle avant J.C à l’établissement de la Bolivie
Du VIIe siècle avant notre ère à 1 200 apr. J.C, le centre de l'Empire Tiahuanaco
occupe le haut plateau bolivien, près du lac Titicaca et est peuplé d'Indiens majoritairement
Aymaras, Chiquitos et Quechuas. Avec près d’un siècle d’incorporation à l'Empire inca, ces
premières civilisations sont le foyer d'ères culturelles prédominantes.15
Le Haut-Pérou, qui correspond au territoire de la Bolivie actuelle, est conquis en 1538 par le
conquistador espagnol Pizarro. Avec l'installation des colons espagnols, de nombreuses villes
sont fondées, une multitude de mines d'argent commencent à être exploitées et le territoire
devient un des centres les plus prospères et les plus peuplés de l'empire espagnol. Cependant,
la Bolivie est une des premières colonies espagnoles à se rebeller. Les révoltes se multiplient
sous la bannière de personnages emblématiques tels que Tupak Katari en 1981, et c'est
finalement après la victoire de Sucre à Ayacucho que la région obtient son indépendance, le 6
août 1825, et prend le nom de Bolivie, le 11 août de la même année. Une constitution, rédigée
par Simón Bolívar, qui avait pris la tête de l’insurrection populaire, est adoptée en 1826.
Dès le début de son existence comme État indépendant, la Bolivie connait une période
d'instabilité politique. Le premier président, le général Antonio José de Sucre, est expulsé du
pays après avoir assuré ses fonctions pendant seulement deux années. Le pays subit ensuite
plusieurs décennies de luttes entre diverses factions, de révolutions et de dictatures militaires.
À cela s'ajoutent des conflits avec les pays frontaliers, comme le Chili, le Paraguay et
le Brésil. Comme pour la plupart des guerres latino-américaines du XIXe siècle et XXe siècle,
la majorité des conflits trouvent leurs origines profondes dans l'incertitude des frontières et
des compétences des institutions coloniales espagnoles et l'absence d'occupation effective sur
de vastes portions de territoires.
Ainsi, le désert d'Atacama était l'objet de conflits entre le Chili et la Bolivie, il était
revendiqué par chacun en raison de ses riches gisements de nitrate. En 1879, le Chili s'empare
du port bolivien d'Antofagasta : c’est le point de départ de la guerre du Pacifique (1879-1883).
15
E. Fisbach, La Bolivie, l'histoire chaotique d'un pays en quête de son histoire, Paris, Temps, 2001
14
La Bolivie et son allié le Pérou sont vaincus par le Chili. Le territoire bolivien est alors
dépouillé de ses possessions sur la côte et perd tout accès à la mer.
B.
La Bolivie à deux vitesses du XXème siècle
En 1935, la guerre du Chaco se conclut par la cession d'une partie de la Bolivie au
Paraguay, des pertes humaines considérables et une faillite économique nationale sans
précédent.
En politique intérieure, les gouvernements se succèdent rapidement, caractérisant une
instabilité politique: coups d'État, guerres civiles et révolutions. Dès la bipolarisation de la
planète sous la crise de la Guerre Froide, la Bolivie se retrouve au cœur du conflit, comme de
nombreux pays d’Amérique du Sud. Le bloc américain et le bloc soviétique tentent de
conquérir le cœur du peuple ou du gouvernement national en proposant des arguments ciblés
et intéressés. D’un côté, les américains se positionnent du côté des militaires et des anciens
élèves de « l’école de Chicago » pour s’implanter directement au sein du gouvernement et
prendre le contrôle des différentes ressources nationales. De l’autre, les communistes
approvisionnent et arment les guerilleros, la résistance active, en prônant l’auto détermination
des peuples et en s’opposant à la main mise croissante des politiques occidentales néolibérales. Ce schéma se transpose à la quasi-totalité du continent d’Amérique du Sud, avec les
exemples des situations chiliennes ou argentines.
Sous la présidence de Víctor Paz Estenssoro, le gouvernement s'engage dans une ère de
réformes économiques et sociales, dont les principales caractéristiques sont la nationalisation
des compagnies minières et la redistribution des terres. Il tente également de développer le
système d'enseignement et d'instaurer le suffrage universel, avec en particulier l'extension du
droit de vote aux Amérindiens qui au fil des décennies font de plus en plus entendre leur voix.
Alors que la situation économique est critique, une junte militaire renverse le gouvernement
par le biais de révoltes de mineurs. Ce nouveau gouvernement militaire, supporté par les Etats
Unis en pleine guerre froide, instaure alors une politique économique conservatrice et réprime
les mouvements de guérillas antigouvernementaux, concentrés dans les régions minières
montagneuses. Ainsi, l'armée bolivienne met les révolutionnaires en déroute en octobre 1967,
lors d'une bataille au cours de laquelle Che Guevara est capturé, puis exécuté.
Presque
vingt
années
plus
tard,
l’agitation
populaire
replace
Victor Paz Estenssoro au pouvoir. Il se heurte à nouveau à une situation économique
15
catastrophique même s’il réussit à redresser l'économie et à réduire l'inflation, en introduisant
des
mesures
d'austérité
et
en
faisant
appel
à
des
investisseurs
étrangers.
Les différents quinquennats qui suivirent sont marqués par l’austérité économique nationale et
la main mise américaine sur les ressources minérales, forestières et en hydrocarbures.
Cependant, le débat qui cristallise l’essor de cette nation demeure la dépossession totale des
droits des indigènes en tant que représentant historique du peuple bolivien. Spoliés de leurs
terres et de leurs libertés depuis près de deux siècles, les autochtones andins vont finalement
être à la source de la révolution du nouveau millénaire.
Deux principales guerres vont être à la l’origine de ce basculement dans la vie politique
bolivienne. La première est celle de la Guerre de l’Eau en 2000 dans la troisième ville du
pays, Cochabamba. La population locale s’oppose à la privatisation du système municipal de
gestion de l’eau publique, action appuyée par les acteurs internationaux dont la Banque
Mondiale, et la seconde la Guerre du Gaz que nous développerons plus longuement dans la
sous partie qui suit.
16
II.
De la (re)valorisation de la culture indigène
A.
Le réveil indigène
Du Mexique au Chili, cela fait plus d’une décennie que les sociologues, politologues
et ethnographes dénotent de nombreux mouvements de revalorisation des communautés
indigènes au sein de leurs propres Etats d’appartenance.16 Que ce soit de manière violente ou
non, les descendants de la culture amérindienne multiplient les révoltes sociales face à
l’extorsion de leurs terres par les firmes transnationales qui s’implantent via des accords
politico-économiques signés avec les représentants des gouvernements nationaux. Les deux
guerres qui vont marquer la Bolivie entre 2000 et 2003 en sont de parfaites illustrations,
excepté qu’à la différence d’autres pays comme le Pérou, ces peuples indigènes vont
finalement accéder à une véritable représentation gouvernementale.
En 2005, un séisme se produit dans la vie politique Bolivienne. Le cocalero Evo Morales
(appelé ainsi car il exploite des champs de coca) est élu président de la République. La
révolution de cette élection est que ce représentant de l’Etat est le premier en Bolivie issu de
la population indigène. Ainsi de par son origine, il reçoit le soutien d'une grande partie du
peuple et forme un gouvernement d'inspiration socialiste et assurément indigéniste, en rupture
avec la politique intérieure favorable aux Etats-Unis. Au grand dam des 20 % de Boliviens
qui se partagent la moitié du revenu national, Evo Morales a pour objectif de mettre fin à «
l’État colonial » et aux privilèges des firmes multinationales; il s'oppose à l’impérialisme
américain et se veut le porte-parole des populations défavorisées (c’est-à-dire non blanches).
À cet égard, sur le plan international il se range logiquement aux côtés du Métis Hugo
Chavez, président du Venezuela. Le président indigène tient aussi à nationaliser les
hydrocarbures et renégocier tous les contrats des entreprises étrangères dans un court délai.
Selon lui17, l'État se doit d’être propriétaire de toutes les ressources naturelles, y compris « à
la bouche du puits », et en contrôler la production et la commercialisation.
Le gouvernement bolivien d'Evo Morales a rapidement mis en place une nouvelle
constitution. Celle-ci a pour objectif primordial d’accorder des droits légitimes aux indigènes
du pays et fait du Quechua et de l'Aymara, en plus d'autres langues, des langues officielles en
Bolivie, à côté du Castillan. La nouvelle Constitution a été présentée et approuvée par les
16
A. Labrousse, Le réveil indien en Amérique Latine, Favre, 1988
H. Do Alto & P. Stefanoni, Nous serons des millions : Evo Morales et la gauche au pouvoir en Bolivie, Paris,
Raisons d’agir, 2008, P.124
17
17
électeurs le 15 janvier 2009 à l'occasion d'un référendum. En fait, cette Constitution de 2009
pose les bases de la reconstruction démocratique et sociale du pays, en reconnaissant les
nations autochtones, l'autonomie départementale, le contrôle sur les ressources naturelles, le
renouvellement des institutions de l’État au sein d'un pluralisme juridique, politique, culturel
et linguistique.
En effet, il faut savoir que les indigènes sont largement majoritaires en Bolivie. Ils
représentent presque 70 % de la population nationale. Parmi ceux-ci, 30 % sont des Quechuas
et 25 % des Aymaras. Les autres groupes indigènes sont des Chiquitano, des Guaranis, des
Arawaks, des Ignaciano, des Chimané, des Movima, des Trinitario, des Itonama, des Tanaca,
etc.18 La Bolivie est un pays multilingue avec plus d’une quarantaine de langues, presque
toutes amérindiennes. Quelque 43 % des Boliviens parlent l’espagnol comme langue
maternelle. Presque toutes les autres langues appartiennent aux langues amérindiennes, mais
la plupart, sauf quelques-unes, ne comptent que fort peu de locuteurs. Evo Morales a
réellement souhaité remettre en valeur cette culture andine ancestrale en accordant la valeur
juridique aux quelques langues traditionnelles majoritaires représentatives.
B.
La reconnaissance de l’égalité dans la différence
D’autre part, si les droits et libertés fondamentales de la population indigène
commence à être assurés de manière effective depuis l’accession au pouvoir d’Evo Morales,
ceux-ci réclament aussi un droit au pluralisme juridique et politique. Le mouvement populaire
autochtone exige la mise en place d’un Estado Plurinacional, ou «État plurinational», soit la
reconnaisse du droit à l’autodétermination de tous les peuples indigènes et des descendants
d'Africains à l’intérieur du territoire bolivien. Le peuple autochtone veut pouvoir se doter
d’institutions indépendantes, représentatives et dont les décisions juridiques ont bien
évidemment force de loi. Ainsi, une coalition des principales organisations autochtones et
paysannes a présenté une politique visant à transformer radicalement l’État-nation bolivien
par le biais du Pacto de Unidad, ou « Pacte de l'unité ».
« Article 1.- Cette Constitution respecte et constitutionalise la préexistence des nations et
peuples indigènes originaires et afro-descendants, le contrôle ancestral sur leurs territoires et
garantit sa libre détermination qui s’exprime dans la volonté de conformer et de faire partie de
l’Etat Unitaire Plurinational Communautaire, et dans le droit de contrôler ses institutions, son
18
A. Labrousse, 1988
18
auto gouvernement, de développer son propre droit et sa justice, sa culture, ses formes de vie
et de reproduction, de reconstituer ses territoires et le droit de définir son développement avec
identité. » Extrait du Pacte de l’Unité.19
En réclamant l’auto-gouvernance de leurs propres territoires ou en accédant au pluralisme
juridique, politique, culturel et linguistique, l’octroi du statut de «nation» aux peuples
indigènes est ainsi une manière officielle d’exiger la restitution de leurs territoires ancestraux.
L’'une des revendications principale concerne le «pluralisme juridique»: Soit la
reconnaissance de différents systèmes de justice «communautaire indigène» dont le statut doit
être égal à celui de la justice «ordinaire». Mettre en place une harmonisation et une
coordination entre les différents systèmes judicaires afin d’accéder à une véritable égalité,
voir une équité nationale. Pour les autochtones, il était nécessaire de mettre fin aux siècles de
discrimination en matière d’accès à la justice et de traitement égal devant la loi. Pour rendre
accessible à tous l'État bolivien plurinational, les fonctionnaires devraient en principe
maitriser l'aymara, le quechua ou le guarani.
Aujourd’hui, la Bolivie demeure un pays déchiré. Si la revalorisation de la culture indigène
semble être en marche (du moins jusqu’en 2010), l'élection d'Evo Morales aurait accru les
tensions entre la majorité indienne pauvre et la minorité blanche riche. Depuis des décennies,
les communautés indigènes demandent la démarcation de leurs territoires, mais les titres de
propriété ne sont que partiellement attribués, et 80 % des terres sont restées aux mains des
héritiers des grands propriétaires. La Bolivie demeure toujours aux bords de l'éclatement, les
menaces séparatistes des provinces riches sont toujours présentes. Il semble bien difficile de
concilier les intérêts des Cruceños (habitants de Santa Cruz) et ceux des indigènes.
19
Confère annexe 1
19
Chapitre II. La réappropriation d’une identité culturelle locale
I.
La résistance culturelle alteña
A. El Alto, une « ville de migrants »
L’illustration de cette crise socio-économique que traverse la Bolivie peut se
comprendre par le biais de la ville d’El Alto, voisine de la capitale administrative bolivienne.
Situé à dix kilomètres de La Paz, El Alto est à l’origine une banlieue délaissée par le
gouvernement local et national. Mais aujourd’hui et depuis 1988, cet enchevêtrement
improbable de bicoques insalubres à plus de 4100mètres au-dessus de la mer est bien plus
qu'une « banale » banlieue déshéritée. C'est une ville en elle-même. Si près d'un million de
Boliviens vivent ici, concentrés sur cette plaine de quelques centaines de kilomètres carrés au
pied de la Cordillère des Andes, cette ville est progressivement devenue la troisième zone de
concentration urbaine en Bolivie, après La Paz et Santa Cruz.20
El Alto est le résultat d’un exode rural presque constant. La ville draine un flux incroyable
d’indigènes (74% de la population totale), dont une majorité de Quechuas et d'Aymaras, que
la rigueur du climat pousse au départ des villages montagnards isolés. La langue espagnole
n'y est pas majoritaire. Les indiens des hauts plateaux, altiplano, communiquent
principalement en aymara, parfois en quechua. Si le catholicisme, et une cathédrale, a même
vu le jour dans la ville, la culture traditionnelle ancestrale demeure prépondérante, voire
souveraine.
El Alto fait partie de ces villes qui se sont développées sur le tas, sans infrastructures adaptées
à l’accueil de ces nombreux voyageurs en quête de sédentarisation et de « confort ». En effet,
tous espèrent trouver une forme d’amélioration de leurs conditions de vie aux abords de la
capitale. Mais La Paz n'est pas la riche Santa Cruz, située à quelque 700 kilomètres à l'est, au
contraire, la ville d’El Alto cumule tous les critères de ces villes marginalisées caractérisées
par un niveau de pauvreté considérable, de fortes inégalités sociales, un racisme et une
discrimination constante.21 Caractérisée comme une « ville de migrants » où la plupart des
habitants sont des migrants de troisième génération, une organisation politique structurelle
20
F. Demoraes, Etude de l’évolution de l’agglomération de La Paz – El Alto depuis les vingts dernières années,
compte tenu des contraintes environnementales du site, Mémoire de maîtrise, Chambéry, Institut savoisien de la
montagne, Département de géographie, Université de Savoie, 1998
21
B. Dangl, « The price of fire : Resource wars and social movements in Bolivia », Oakland, AK Press, 2007. S.
Lazar, « El Alto, rebel city : Self and citizenship in Andean Bolivia», Durham, Duke University Press, 2008
20
adéquate s’est progressivement mise en place. Cette ville fortement structurée autour d’un
esprit solidaire et égalitaire s’est calquée sur les expériences passées de syndicats de mineurs
ou autres groupes communautaires ruraux.22 Le producteur bolivien Cleverth affirme qu’ « il
y avait des jeunes catholiques de droite, des jeunes de gauche, d'autres plus indigénistes ».
Plus de cinq cent Juntas vecinales, associations de quartier, et des centaines d’associations
socio politiques, coopératives et médias populaires maillent la citadelle indigène. Ces
organisations ont joué un rôle prépondérant dans « la représentation des résidents par des
prises de décision politiques et économiques, comme l’incitation à la construction et au
maintien de structures publiques, auprès de l’Etat et de son gouvernement »23 Ces
organisations assurent aux alteños, à ces populations discriminées marginales d’El Alto, une
représentation officielle auprès d’un Etat qui ne les prend que rarement en compte.
Finalement, leur rôle dépasse le stade de la représentation jusqu’à devenir un outil de
résistance concret face aux prises de décisions politico-économiques du gouvernement. De
2000 à 2003, El Alto va être le théâtre d’une guerre politico-économique autour du contrôle
des gisements de gaz se trouvant au cœur du sud-est bolivien, « La guerre du gaz ». Les
indigènes soutenus par les syndicats et organisations locales de la ville s’opposent à la
libéralisation de ces ressources alors que le président en place soutient les grandes firmes
internationales. Cette guerre, qualifiée de massacre par les alteños, connait son apogée en
2003 quand les habitants d’El Alto appuyés par le parti d’Evo Morales décident de bloquer
l’unique sortie routière de la capitale La Paz. Les bains de sang s’enchainent dans cette
période de blocage jusqu’à la fuite du pays du président Sanchez de Lozada qui plie face à la
ténacité de la gronde populaire.
B. Le basculement de la guerre du gaz
C’est à travers cette réalité que la ville d’El Alto est rapidement devenue le symbole
national du pouvoir populaire, une ville dans laquelle ses habitants se sont battus pour la
justice sociale, pour l’égalité et contre les privilèges d’une élite minoritaire. La jeunesse
locale, intimement liée au développement de leur ville, se retrouve naturellement portée par ce
mouvement contestataire et s’affiche progressivement en tant que porte étendard de la cause
indigène. Pourtant, cette jeunesse ne compte pas s’enliser dans les organes politiques
traditionnels et tend à redéfinir l’objet et les moyens de la lutte populaire.
22
23
Dangl, 2007
Dangl, 2007
21
La jeunesse d’El Alto est la partie de la population qui est le plus touchée par les phénomènes
de marginalisation. Les deux principaux critères sont la pauvreté et le racisme. La pauvreté
puisque cette jeunesse ne possède pas les moyens de satisfaire ou même de générer leurs
propres ambitions. Le racisme permanent de par leurs origines sociales et culturelles ; ces
jeunes sont issus d’une « ville bidon ville » isolé de la capitale et, tout comme en France avec
le taux de chômage des jeunes d’origine maghrébines24, sont d’origines autochtone ou de
culture amérindienne et se voient fréquemment refuser l’accès à l’emploi stable. Ainsi, il n’est
pas rare de voir des groupes entiers d’adolescents et de jeunes adultes s’impliquer
sérieusement dans les organisations sociales et politiques de quartier.25 Cette participation
politique repose aussi sur un manque de confiance croissant des organes politiques et de ses
représentants, de par les différentes expériences vécues par cette jeunesse marginalisée.
Notamment durant la Guerre du Gaz où celle-ci fut directement confrontée à la répression de
la junte militaire.26 D’autre part, les jeunes alteños souffrent d’un système éducatif pauvre et
un d’un manque de compréhension de la part de leurs ainés. Un jeune explique au
documentaliste Pierre Boisson « Même nos prof ne comprennent pas notre situation.
Comment veux-tu parler de futur ou d’ambition à l’Alto ?! ». Le producteur de La Paz
Cleverth lui explique que « c'est intéressant de voir comment ces jeunes, malgré ces barrières,
ont réussi à se construire un enseignement critique assez important. Ils questionnent les
politiques gouvernementales, source notamment de leur position économique difficile »
Pourtant même en ce qui concerne ces organes politiques et sociaux d’El Alto, certains jeunes
rappeurs affirment que les formalités autour de l’engagement au sein de la vie de quartier sont
« sales » et « corrompues », il est ainsi difficile de se faire une idée objective de la viabilité de
l’implication de la jeunesse dans ces organes.
Par contre, ce que l’on peut mettre en évidence est véritablement un rejet des structures
politiques basiques de manière générale. Si un nombre déjà important de jeunes participent de
manière active aux actions locales de ces organismes, la majorité ne croit plus en la capacité
de mobilisation de ceux-ci. Leur crédibilité et leur fiabilité est aujourd’hui très affaiblie aux
yeux de la jeunesse indigène. Les outils de représentations qu’ils proposent ne sont pas
adéquats à leurs attentes, et aujourd’hui certains adolescents tentent de trouver des voies
24
K. Hammou, « Rapper en amateur. Une mise à l’épreuve atypique autour d’une association des Quartiers
Nord de Marseille », ethnographiques. org, 2007
25
M. Yapu, «Jovenes aymaras, sus movimientos, demandas y politicas publicas», La Paz, Fundacion PIEB, 2008
26
C. Merkle, « Youth participation in El Alto », Environment and Urbanization, 2003, P.210-213
22
alternatives qui leurs permettent de redéfinir leur propre identité.27 En effet, la jeunesse d’El
Alto est définitivement plus impliquée dans les mouvements politiques « qui prennent racine
dans la redéfinition de leur identité nationale et culturelle ». Pour eux, changer leur
communauté et faire aller de l’avant la ville d’El Alto consiste à apporter une image nouvelle
en relation à leur propre histoire ancestrale. Les alteños, et par ce biais toute la communauté
nationale indigène, se comporte finalement comme « honteux de leurs propres
origines » m’affirme un jeune rappeur de Santa Cruz, Mc Dan du FE Crew. Un sentiment
comparable à de nombreuses communautés locales longtemps discriminées et marginalisées,
qui finissent par incorporer une forme de fatalisme et de honte de leur propre situation. De
même, le documentaliste Pierre Boisson décrit comment les jeunes alteños ne veulent en
aucun cas revivre les conditions de résistance populaire connues durant le Guerre du Gaz.
« Il est évident que l’oppression et la répression militaire suscitent une force contestataire
exponentielle, mais il est juste impossible d’envisager une lutte perpétuelle par les armes
lorsque votre adversaire réplique par des attaques en hélicoptère au beau milieu de votre
ville… Surtout quand tes munitions à toi se limitent à des pierres (rires). »
Les jeunes matérialisent cette volonté par la recherche de nouveaux moyens de contestations,
le Hip-Hop, par le biais du rap, est alors devenu un puissant instrument qui a permis à la
jeunesse locale de poursuivre cette lutte, utilisant l’art et non les armes comme vecteur de
changement positif au sein de leur communauté.
27
J. Samanamud, C. Cardenas, & P. Prieto, « Jovenes y politica en El Alto : La subjectividad de los otros », La
Paz, Fundacion PIEB, 2007
23
II.
Une pratique locale indigéniste et militante ?
A.
La redéfinition identitaire par la jeunesse
Si je n’ai pas pu me rendre dans la ville d’El Alto afin de récolter personnellement des
informations auprès des jeunes locaux, je me suis appuyé sur de nombreuses sources dont la
fiabilité du documentaliste et journaliste Pierre Boisson, qui est un ami proche de mon frère
ainé, pour retranscrire de manière juste et objective la situation actuelle de la jeunesse alteña.
Celui-ci m’a notamment confié des rush d’interview video afin de mettre en valeur le discours
de ces rappeurs, qui n’auraient pas lieu d’être dans son documentaire Made in Bolivia. De
longs entretiens avec une grande majorité de la scène Hip-Hop locale, qui m’ont permis
d’accéder à leur discours face à la caméra tout comme des discussions naturelles annexes et
des révélations non filmées de la part du documentaliste.
Le point de vue originel de cette jeunesse indigène reste simple et logique, chacun désire un
futur qui lui permet de s’épanouir en tant que tel. Avant même de parler de lutte identitaire ou
culturelle, Pierre Boisson a été confronté à une population excédée par sa propre situation. La
discrimination, la marginalisation, la pauvreté ou le chômage sont les premiers vecteurs du
rapprochement d’une partie de la jeunesse avec la musique. Le rappeur Rolando du groupe
Wayna Rap (wayna qui signifie « jeune » en aymara) affirme « Nous sommes la jeunesse de
Bolivie, nous sommes l’avenir de notre pays et nous comptons bien faire quelque chose pour
nous sortir de cette impasse sociale et politique. Et quitte à lutter pour le changement, que ce
soit de manière pacifique par la musique ».
Dans cette optique, certaines structures socio culturelles ont vu le jour sous l’impulsion des
jeunes de la ville, appuyés financièrement par des ONG internationales. Le centre Culturel
Wayna Tambo est par exemple le centre le plus connu pour son Hip-Hop local. On y retrouve
de nombreuses activités et ateliers pour les adolescents du quartier, mais aussi et surtout
différents groupes de jeunes rappeurs, tous d’origine indienne et alteña. Ceux-ci passent leur
journée à écrire, à répéter et à rapper leurs textes militants et contestataires sur les ondes de
Radio Wayna Tambo. Le premier critère d’engagement est bien évidemment le contenu des
textes rédigés par ces rappeurs d’El Alto qui s’opposent à la corruption, l’oppression ou la
mainmise des Etats Unis sur les richesses et ressources nationales, etc.
24
Dans une interview donnée au New York Times,28 l’artiste le plus reconnu du groupe Wayna
Rap, Abraham Bojorquez, insiste sur les paroles de ses chansons. « Nous n’exprimons pas
seulement notre mal être, ou des histoires du style ma fiancée m’a plaqué ou je vais me
saouler...non, il s’agit aussi de trouver des solutions aux problèmes de notre société. Les
thèmes de notre musique sont inspirés des réalités de cette ville. La mort et les conflits durant
la Guerre du Gaz se retrouvent dans nos chansons. On y raconte comment les balles ont été
tirées contre des personnes et notre révolte par rapport à cela, qu’on exige la justice. Trop de
gens vivent dans la pauvreté et la délinquance et nos chansons exigent la justice. ». Il continue
et tente de définir sa vision d’une redéfinition de la lutte indigène « Plus que tout notre
musique est une forme de contestation mais avec des propositions pour le changement. Nous
voulons unir les gens, nous organiser. Nous recherchons l’unité et pas la division. Nous
voulons ouvrir les yeux des gens ... la musique fait partie de la vie. »
Pourtant, ce qui tend à faire reconnaitre la musique contestataire d’El Alto, plus que celle de
Cochabamba par exemple, est le véritable lien identitaire qui se dégage de nombreuses
chansons et groupes alteños. Ces rappeurs ne se focalisent pas sur la provocation en ellemême, mais sur une valorisation culturelle comme vecteur d’un message revendicateur à
portée socio-politique. Le moyen est ainsi tout autant important que la finalité du message. En
effet, il n’est pas rare d’écouter leurs rolas (qui signifie « chansons » en espagnol) exprimées
entièrement en aymara ou en quechua, quand d’autres mélangent l’espagnol, l’anglais et les
langues indigènes locales.
Grover du groupe Wayna Rap raconte « Mes parents sont originaires des provinces de
Masuyo. Ils ont dû migrer à 14 ans et se sont adaptés à un mode de vie différent, comme la
plupart des gens d’ici. Quand j'étais à l'école, les gens qui ne pouvaient pas bien prononcer le
castillan étaient victimes de discrimination. (…) J'ai pris l'initiative avec mes pairs de la
nouvelle génération de construire une attitude positive et rejeter ce sentiment honte. (…)
Aujourd’hui, quand je dis Indien, c’est un honneur pour nous. Ne vous sentez pas mal à cause
de vos vêtements ou en parlant en aymara, c'est ce que nous sommes. Je crois en cette
attitude, celle d'affirmer nos racines et nos coutumes. »29
28
J. Forero, « Young Bolivians Adopt Urban U.S. Pose, Hip-Hop and All », New York Times, 26 Mai 2005
Confère annexe 2
29
25
Dans la chanson Jichaw (qui signifie « maintenant » en Aymara) du groupe Wayna Rap, les
chœurs, aussi en aymara, défendent la ferveur des Indiens boliviens. «Maintenant nous
parlons, maintenant nous allons le faire savoir, car maintenant nous allons nous lever (...) ».
Puis le couplet passe à la langue espagnole où le rappeur Grover chante la façon dont « la
révolution a commencé, contre le système et l'état. ». Dans la chanson « Le peuple ne cèdera
pas», écrit par Abraham Bojórquez et interprétée par son groupe Ukamau y Ke, les paroles
mettent en évidence la violence face à laquelle les manifestants autochtones ont été soumis.
Elle insiste sur le mépris du peuple vis-à-vis de l'ancien président en poste, M. Sánchez de
Lozada, et condamne l'Etat pour la vente du gaz naturel bolivien aux firmes américaines
« dont les billets sont rois ». « Goni (surnom reconnu du président), les gens demandent le
gaz, les gens demandent la paix. Le gaz n'est pas à vendre, parce que les gens dépendent de la
démocratie - ils exigent leurs droits. » Une autre chanson, « Le peuple béni », rédigée et
interprétée en espagnol par le groupe los Clandestinos, met en valeur l'esprit combatif de la
communauté indienne opprimée. «Le peuple béni est blessé ; combien de fois es-tu tombé?
(…) Mais je ne partirai jamais, je vis où j'aime. Je survivrai. Je dis ce que je pense, ce que je
suis. Il fait froid ; les rues sont avec moi. »
Ainsi, le rap comme moyen d’expression est véritablement utilisé comme un outil de fierté
identitaire comme de mobilisation et de contestation socio-politique. Dans cette optique, de
nombreux textes comme ceux de Nina Uma prônent l’indépendance culturelle traditionnelle
locale face aux mouvements d’assimilations engendrés par la culture dominante occidentale.
« Nous assistons à un choc culturel avec la mondialisation, la modernité et la consommation.
Ils nous font croire que c'est du développement mais c'est de la propagande. C'est une
question d'équilibre, on ne veut pas que les gens retournent dans vivre dans des cavernes.
Mais entre les deux extrêmes, il y a un juste milieu. Ce thème du rejet des valeurs américaines
fera partie d’une analyse poussée sur le paradoxe que celui-ci représente dans la seconde
partie de ce mémoire.
B.
Entre authenticité et pragmatisme local
L’inspiration musicale locale est née de l’importation directe et indirecte de la culture
Hip-Hop américaine. Le rappeur blanc trentenaire des quartiers riches de La Paz Marraquetta
Blindada raconte « En 1997, mon grand frère est revenu des Etats Unis avec des CD de Tupac
et de Public Enemy. A cette époque le rap n’existait pas en Bolivie. Quand on a entendu la
26
force de cette musique et la possibilité d’adapter les textes à notre contexte... C’est à partir de
là qu’on a voulu initier un mouvement Hip-Hop en Bolivie, un Hip-Hop bolivien. »
Il est clair que les jeunes amérindiens ont démontré leur capacité à s’accaparer et à
s’approprier ce type musical en le modelant au contexte local. Que ce soit au niveau des textes
et de la langue, mais aussi au niveau de la mode vestimentaire ou de la production musicale
elle-même. Dans la majorité des cas, nous pouvons assister à un mélange ingénieux entre les
codes et pratiques américaines avec les valeurs et principes indigènes. Du coté des
productions musicales, l’approche est tout à fait authentique. Du sample (boucle sonore) à la
batterie, en passant par les rythmiques, les sonorités et les mélodies, les « instrumentales »
(fond musical support instrumental du rap) du Hip-Hop alteño respirent d’originalité et
d’authenticité culturelle. Si l’aspect originel étasunien est naturellement perceptible, les
jeunes producteurs locaux vont mettre à l’honneur les traditionnelles flutes andines (flûtes de
pan ou zampoñas) et les tambours traditionnels (ou bombos) vont se substituer aux batteries
numériques fréquemment utilisés à l’international. C’est ici une nouvelle expression d’une
valorisation de la culture ancestrale indigène par le biais du rap et de sa production musicale.
D’autre part, un style vestimentaire propre s’est développé autour de ce mélange d’influences
internationales. Le code vestimentaire du rappeur américain se mélange, ou s’échange contre
un style indigena. On retrouve les pantalons larges baggis et les cagoules d’activistes voir de
terroristes, mais aussi les traditionnels ponchos originaires des Andes. Ces rappeurs portent
des ponchos classiques et spécifiques, comme ceux des guerriers sorciers mais en général
pour des événements particuliers et ponctuels comme des clips videos ou des concerts. De
manière ordinaire, les chulos (bonnet andin en laine d’alpaga comportant deux pattes
protégeant les oreilles) se substituent très fréquemment aux casquettes retournées du rappeur
occidental. La réappropriation du chulo est véritablement représentative de l’émergence d’un
style andin affirmé qui s’exporte de plus en plus aux Etats Unis ou en Europe. Ces jeunes
récupèrent un simple vêtement traditionnel pour en générer une mode vestimentaire qui
s’enracine dans la modernité de la jeunesse actuelle. Beaucoup de rappeurs s’affichent avec
un style plus commun, plus populaire. Par recherche d’authenticité, certains rappeurs vont
rester fidèles à leurs habits du quotidien et se vêtir des typiques chemises courtes à carreaux
latino-américaines. Sur les vestes et les t-shirts des jeunes d’El Alto, apparaissent aussi des
dessins incaïques ou des inscriptions en aymara. Se mélangent alors des mots comme coca,
pachamama, tawantinsuyu à des thématiques plus occidentales comme le sida, la
27
discrimination, le racisme ou la justice. Finalement, ce métissage culturel engendre des
expressions et des visuels inédits tels que « Tupak Army » (en relation à l’armée indigène
révolutionnaire dirigée par Tupak Katari) ornés d’AK-47 et de grenades vêtues de chulos.
D’autre part, comme je viens de le mettre en lumière, l’essor de ce style Hip-Hop métissé a
généré le développement d’un réel marché local, national et même international. Les
traditionnels chulos sont devenus « tendances » puisqu’il n’est pas rare de voir des rappeurs
français, anglais, allemands ou américains en porter en toute saison. De même, l’accroche
médiatique internationale démontre une certaine émergence de l’attrait populaire pour ce HipHop local bolivien, authentique, indigène. Des médias de renoms comme Le New York Times
ou France 2430 viennent sur le terrain du « ghetto » d’El Alto immortaliser ce rap aymara
conscient et militant. Le documentaliste Pierre Boisson remet en question ce phénomène que
lui-même est venu chercher « Ils sont vraiment forts, c’est un sujet en or et surtout, leur
discours parait taillé sur mesure pour un media occidental en quête d’exotisme culturel ».
C’est alors que le discours authentique des rappeurs boliviens en quête de revalorisation de
leur culture ancestrale et d’une justice sociale pour tous semble être caduque. En effet, Pierre
Boisson a longtemps insisté sur ce point qui n’est jamais mis en avant dans les précédentes
études sociologiques ou les divers articles médiatiques que l’on peut trouver sur Internet. Il
l’affirme haut et fort, « ce sont des artistes travestis qui vivent d’un folklore local ».
Il m’explique que « lorsque le Hip-Hop est arrivé en Bolivie, ce sont tout d’abord les blancs
des quartiers riches de La Paz qui écoutaient puis pratiquaient cette musique. Le Break danse
se développait bien plus rapidement dans les quartiers mais il n’apportait pas de cachet local
ni de discours conscient. Lorsque Marraquetta Blindada a donné ses premiers ateliers
d’écriture dans la ville d’El Alto à la sortie de la guerre du gaz en 2003/2004 et qu’il a
entendu certains jeunes discuter en Quecha ou en Aymara, il a compris qu’il y avait quelque
chose à creuser. » Alors que les jeunes du centre Wayna Tambo cherchaient une voie
alternative à la représentation politique traditionnelle, ce rappeur bolivien blanc de La Paz a
mis en évidence le lien qui pouvait se créer entre la musique, les conflits contemporains d’El
Alto et la culture historique amérindienne. A cette période, Marrequetta leur explique « vous
cherchez à vous démarquer, vous avez toutes les armes en main. Faites du rap en aymara sur
la guerre du gaz ou sur l’oppression des peuples autochtones. »
30
J. Kunin, « Bolivie : Abraham Bojorquez, rappeur anti-bling-bling », France 24, 11 Avril 2008
28
Après avoir côtoyé durant trois mois des artistes de Wayna Tambo comme Wayna Rap qui
représentent le fer de lance de ce rap bolivien conscient, celui-ci s’est retrouvé face à une
désillusion quant au véritable moteur de l’engagement d’une partie de cette jeunesse. Il est
difficile de savoir si la culture indigène, qu’il appelle « folklore », est la source d’une prise
position socio politique ou un simple outil marketing que ces jeunes mettent en avant pour se
démarquer de la scène nationale et internationale. « Il n’existe pas d’industrie du disque en
Bolivie. Tu ne peux gagner ta vie en tant que rappeur bolivien en Bolivie. Le seul moyen est
d’être remarqué à l’étranger en affirmant ta différence. » Ces quelques rappeurs misent
l’intégralité de leur médiatisation, et donc de leur rétribution économique, sur ce sentiment
d’appartenance et la revendication d’une culture forte. Aujourd’hui, ceux-ci sont
subventionnés par de grandes ONG internationales pour mettre en place des ateliers d’écriture
en province, faire des interventions en centre de rétention ou dans des écoles du pays. Ils
participent à des clips vidéo sur la pollution urbaine et sonore financés par la mairie de La Paz
ou développent des activités annexes comme la mise en place de magasins de chulos et de
ponchos urbains aux Etats Unis.
Pierre me décrit le paradoxe qui se dégage de certains acteurs du groupe Wayna Rap. La
spécificité de ce groupe est son rap aymara conscient et militant, pourtant il affirme que « des
membres sont enfermés dans cette spirale marketing. Certains se lassent de la thématique
culturelle et ne parlent d’ailleurs que très peu la langue aymara. Ils doivent écrire leur paroles
de chanson phrase par phrase, avec une relecture obligatoire. » Le groupe s’est déjà scindé en
deux sur la question des médias et de leur identité en tant que groupe musical à part entière ;
certains ont préféré quitter le mouvement car « ne se sentaient pas ou plus motivés, voir
concernés, par le sujet ». Il termine son explication en me racontant le quotidien de ces
« rappeurs travestis », entre alcool, marijuana, ego trip (improvisation basé sur la fierté de son
crew, sa bande, et de soi-même) ou autre anglicisme omniprésent.
Le Hip-Hop, en tant que mouvement culturel musical d’origine américaine, s’est
internationalisé puis relocalisé. Dans son ancrage local, celui-ci s’est adapté au contexte dans
lequel il évolue. Si le panorama démographique historique andin se rapproche de
l’exploitation et de l’oppression des populations noires en Amérique du Nord, les jeunes
alteños au cœur de conflits socio-politiques de tailles ont décidé d’amener un nouvel élan
29
contestataire par le biais d’un instrument culturel souple et pacifique, la musique. L’objectif
principal est d’apporter un message positif autour d’une redéfinition des moyens de
valorisation de l’identité culturelle locale. Bousculer la discrimination et le racisme ambiant
autour de l’identité indigène pour se la réapproprier avec fierté et audace. Pourtant, si le rap
peut être un outil de revalorisation de la culture locale et de son ancrage dans la société
actuelle, cette même spécificité identitaire semble aussi être un support pour générer de
l’attractivité médiatique et donc économique. Ce point nous amène à nous questionner sur
l’authenticité véritable de certains documentaires ou articles de médias internationaux qui ne
prennent pas le temps de creuser derrière le discours de certains jeunes rappeurs.
Finalement, le fond du débat n’est pas de savoir si oui ou non un rappeur latino
américain est un militant ou un usurpateur, mais de comprendre pourquoi un jeune rappeur
serait plus attiré par l’activisme que permet le rap ou pourquoi celui-ci demeure séduit par sa
approche nord américaine, son image et ses principes ? Nous poursuivrons cette analyse dans
la prochaine partie de ce mémoire où nous allons mettre en lumière un métissage indéniable
des cultures par le biais de la mondialisation et de ses phénomènes d’acculturation.
30
31
Partie II. Le rap latino-américain, l’expression d’un
métissage culturel
« Les Etats Unis demeurent le plus fort potentiel d’influence Hip-Hop sur le monde (…) ce
pays propose un mélange intense de sonorités et de possibilités générées par son propre
multiculturalisme national (…) Sans doute que les nouvelles générations participent à la
transmission et à l’adaptation du Hip-Hop dans le reste du monde, surtout pour nous qui en
sommes les voisins » Ochkan – Triple 9
Après avoir vécu sept mois entre le Pérou et la Bolivie, j’ai pris l’initiative de partir
autant de temps que je le pouvais au Mexique. La Bolivie, par le biais d’El Alto, représente un
aspect considérable de cette étude puisqu’elle illustre parfaitement un contexte indigène
conflictuel, historique, contemporain et omniprésent. L’arrivée du Hip-Hop dans la ville
sinistrée d’El Alto dévoile l’appropriation spécifique d’un mouvement international
américanisé dans une culture traditionnelle locale forte.
Comme expliqué au cours de l’introduction, pour tenter de cerner la réception du rap latinoaméricain dans son ensemble sans pour autant quitter mes études et m’installer en Amérique
latine, je me devais de mettre en valeur un axe comparatif. D’un côté, une ville caractérisée
par sa densité socio-culturelle amérindienne, et de l’autre une ville tiraillée entre une
inscription identitaire ancestrale, des vestiges coloniaux importants et une proximité unique
avec le précurseur du mouvement Hip-Hop.
Trois mois immergé dans la société mexicaine m’ont ainsi permis de comprendre la source
d’une pluralité intrinsèque au courant musical Hip-Hop latino-américain. Ce mémoire n’a pas
pour prétention de catégoriser la globalité des variances du Hip-Hop latino-américain, mais de
mettre en évidence les sources et les caractéristiques d’une appropriation locale plurielle d’un
mouvement culturel extérieur tel que le Hip-Hop.
32
Chapitre I. Un contexte contemporain au carrefour des cultures
I.
Ancrage d’un héritage maya et colonial
A.
Mérida, histoire d’une richesse
La péninsule du Yucatán, située au Sud-Est du Mexique, est considérée d’après les
ethnographes et les archéologues spécialisés dans les cultures précolombiennes comme le
centre historique et le symbole de l’une des plus grandes civilisations connues à ce jour, la
civilisation Maya. La métropole de Mérida, anciennement appelée T'ho ou Ichkanzihóo,
aujourd’hui capitale de l’Etat du Yucatán, représentait l’épicentre de la culture maya et de son
activité socio-économique pendant des siècles. De ce fait, certains historiens la considèrent
comme étant la plus ancienne ville continuellement occupée dans les Amériques.31
Au XVIe siècle, les conquistadors espagnols débarquent sur les plages de la péninsule du
Yucatán et, avec trois campagnes militaires successives sur près d’un demi-siècle, ils arrivent
finalement à s’emparer, avec le soutien de tributs dissidentes, des terres les plus attractives du
« pays ». En effet, le site de la ville de Mérida avait déjà été choisi par les mayas pour ses
avantages stratégiques : tout d’abord sa position géographique permet à la cité de demeurer à
l’intérieur des terres tout en conservant un accès à la mer au Nord, d’autre part cette zone était
naturellement plus accessible pour les soldats espagnols car déjà « aménagée » par
l’implantation ancestrale de la population indigène. Le principal atout que représente Mérida
est aussi et surtout la présence de nombreux accès naturels à l’eau douce par le biais des
anciens puits mayas sacrés appelés cenotes. Conquise par Francisco de Montejo, surnommé
El Mozo, les espagnols développent leur cité sur les ruines des cinq grandes pyramides qui
structuraient l’ancienne « ville des cinq collines ». Les pierres imposantes des sites religieux
mayas furent démantelées et utilisées comme fondement des infrastructures des colons,
comme la cathédrale de San Ildefonso, qui est connue pour être la plus ancienne cathédrale
sur l’ensemble du continent américain.
Dès mon arrivée à Mérida, j’ai remarqucé sur le trajet de l’aéroport au centre-ville la
structuration spécifique qui se dégage de cette ville. Le poids du passé colonial sur les
infrastructures de Mérida est indéniable, la ville et ses quartiers sont organisés sous le concept
31
E. Thompson, Grandeur et décadence de la civilisation maya, Paris, Payot, 2003, P 103
33
du damier, aussi traditionnel aux Etats Unis et le centre-ville lui-même se rapproche plus de
l’image d’une cité andalouse que latino-américaine. Les pierres sculptées de l’ancienne T'ho
ont étaient largement réutilisés pour la construction des premières somptueuses résidences des
conquistadors qui, extraordinairement, demeurent visibles et vivantes au jour d’aujourd’hui.
Une grande partie de l’architecture coloniale des XVIIIe et XIX e siècles est encore debout
dans le centre historique de la ville, notamment rassemblée dans l’imposante avenue qui porte
le nom du colon, El Paseo Montejo.
Mérida est aujourd’hui la capitale culturelle, politique et économique de la péninsule du
Yucatan. Cette ville est l’une des plus sures et des plus prospères du Mexique. Si la « légende
urbaine » régionale fonde la richesse de Mérida et du Yucatan sur la corruption politico
économique ambiante et le fait que les narcotrafiquants mexicains y installeraient leurs
propres familles, l’histoire de la péninsule et de Mérida révèlent que les colons se sont
définitivement installés dans la région après la découverte de « l’or vert », la plante henequén
également appelée sisal. Sa fibre très résistante est extraite de ses feuilles pour la fabrication
de cordage, de tissus grossiers et de tapis. Cette plante est à l’origine du développement de
nombreuses haciendas, géantes exploitations agricoles latino américaines, et demeura la
spécificité commerciale de la région pendant près de deux siècles.32
B.
Un passé conflictuel pour un métissage contemporain
Surnommée « la cité blanche », pour la beauté de ses vestiges coloniaux, Mérida est
une destination touristique de choix au Mexique. Pourtant, ce n’est pas forcément son passé
colonial qui attire les voyageurs mais aussi et surtout sa culture traditionnelle locale. Si depuis
l’implantation des colons espagnols, la grande majorité de la population parle couramment le
castillan et plus de 80% de la population régionale demeure vouée au christianisme, une partie
considérable de cette population est d’origine indigène et près de 40% de la population
régionale parle les langues locales indigènes.33 Aujourd’hui, devant le Chiapas, le Yucatán est
la région avec le plus haut pourcentage de personnes parlant au quotidien une langue
indigène, en majorité le Maya, le Nahuatl, le Ch'ol ou même le Zapotèque. De plus, subissant
de plein fouet les difficultés agricoles actuelles, les paysans indigènes quittent
progressivement les provinces du Yucatán pour s’installer dans la capitale Mérida afin d’y
trouver un emploi et une situation « confortable » pour leurs familles. Il n’est pas rare de voir
32
33
M. Lapointe, Histoire du Yucatan : XIXe-XXIe siècles, L’Harmattan, 2006
H. Favre, L’intégration socio-économique des communautés indiennes du Mexique, 1963, P.453-469
34
dans les rues de la ville une multitude d’allusions à la culture indigène maya. Que ce soit au
niveau des traits de visages et de l’accent particulier des autochtones, des enseignes et des
devantures de magasins qui sont parfois rédigées en Maya, des nombreuses iconographies ou
statuettes mayas qui ornent les rues de la métropole, etc. D’autre part, Mérida suscite un
attrait touristique incomparable au Mexique généré par son conservatisme culturel unique.
Travaillant au sein du département des arts traditionnels de l’état du Yucatán et organisant
quotidiennement des événements de danses et de musiques, j’ai pu me rendre compte que
toute la culture de la région et de Mérida reposait sur un ingénieux mélange multiculturel. En
effet, si la population locale est fortement attachée à ses traditions et à ses ancêtres mayas, la
grande majorité des spécialités culinaires ou des danses et des chants traditionnels sont au
final l’illustration d’une rencontre historique des cultures. Les saveurs du Yucatan révèlent
une fusion intelligente entre les cultures mayas et espagnoles, comme la cochinita
pibil (cochon de lait cuit dans un four creusé dans la terre) ou les célèbres panuchos (à base de
galettes de maïs et de haricots noirs). Les grands festivals de musique mettent en avant un
métissage historique comme par le biais de la trova, qui allie la poésie créole, le rythme à
tendance maya et les typiques guayaberas (costumes raffinés espagnols). Le point d’orgue de
ce métissage culturel se comprend à travers les danses traditionnelles yucateca (du Yucatán)
comme la jarana, dansée quotidiennement par les autochtones, qui mélange le chant castillan
aux danses mayas et caribéennes. Les femmes s’habillent des traditionnels ternos au style
ostensiblement andalou et aux apparats et dorures définitivement d’origines mayas. On
retrouve même des événements, localement très importants, directement importés de la
culture espagnole comme les Vaquerías qui sont de grandes fêtes autour de la tauromachie
aménagée et adaptée aux moyens du bord. Finalement, nous sommes loin du schéma culturel
rencontré dans la ville d’El Alto en Bolivie, car à Mérida si l’histoire reflète de nombreux
conflits entre indigènes et colons, la culture actuelle semble montrer un métissage naturel et
complet « pleinement » assumé par la population locale.
35
II.
Le rap à Mérida, expression d’un paradoxe culturel ?
A.
Une jeunesse au service d’une culture
En 2002, le cap du million d’habitants a été dépassé, positionnant Mérida dans les
quinze plus grandes villes mexicaines. Actuellement, la ville concentre sa richesse sur un
centre ville moderne et actif, un tourisme inépuisable mais aussi sur les quelques dizaines de
millionnaires dont la majorité sont installés dans les grandes haciendas qui bordent la ville.
Cependant, de nombreuses voix s’élèvent face à la non prise en compte des intérêts des
indigènes, des quartiers périphériques et des nouveaux arrivants. Les pouvoirs publics
négligent l’importance de cet exode rural et sont fortement critiqués par la population pour ne
pas avoir développé les infrastructures nécessaires à l’accueil de ces nouvelles familles dans
les quartiers périphériques de la ville : Réseau routier insalubre, service de transports publics
insuffisant, absences d’écoles et d’hôpitaux, etc.
De nombreuses associations politico économiques locales ont émergées, tout comme dans la
ville d’El Alto, pour faire entendre la voix de ces habitants marginalisés. La population se
regroupe dans des structures indépendantes puisque ceux-ci n’accordent plus de confiance à
leurs dirigeants pour faire prévaloir leurs propres intérêts. La corruption politico économique
est l’un des sujets les plus sensibles au Mexique, la population locale présente une sensible
timidité à dénoncer librement ce manque de transparence, de peur des représailles d’ « un
voisin » côtoyant les narcotrafiquants profondément impliqués dans les rouages de la société
mexicaine. Si jusque là le peuple n’est pas en guerre ouverte avec le gouvernement, ou si le
pays n’est pas en guerre civile, l’évolution de la situation demeure laborieuse au niveau
national. A l’échelle locale, celle-ci est presque gelée. Au Yucatán par exemple, le maire de la
capitale Mérida et le gouverneur de l’Etat font partie intégrante du même parti politique que
celui du nouveau président en place, le PRI. La ligne directrice de la politique du Yucatán est
d’attirer un maximum d’entreprises et de touristes, soit des investissements publics qui se
limitent trop souvent à des événements marketings ponctuels (concerts, salon VIP), des
infrastructures vitrines (cinémas duplexes, etc.) ou dans l’entretien et le développement du
centre ville. Dans ce cadre, la population s’organise et se rassemble dans une communauté
civile solidaire active qui se forge tout d’abord dans le foyer familial puis au sein du voisinage
des quartiers périphériques dont la population est sociologiquement homogène, indigène et
pauvre.
36
Dans la même optique que les rappeurs boliviens, certains jeunes mexicains, qui ne font
confiance en aucune structure politisée, vont utiliser la musique pour réaffirmer leur identité
et mettre en évidence les injustices sociales omniprésentes dans le Yucatán et dans le pays. Le
rap des groupes Los Mayucas ou la Ceiba Flava dénonce ces injustices sociales quotidiennes
en s’appuyant sur leur authenticité sociale « nous sommes de vrais indigènes mayas, nous
représentons la véritable population » ou par le biais du débat autour du droit à l’égalité dans
la différence.
Hombre de Maíz, leader du groupe nationalement reconnu Los Mayucas (qui est un raccourci
pour Maya et yucateco), m’explique à propos de leur chanson Raices (qui signifie « les
racines »), « Ecoute, Los Mayucas c’est les racines latines pour toujours. On représente pour
les yucatecos de toute origine, mayas, métissés, Nahuatls, etc. Notre but est de rassembler ces
gens sous la même bannière, celle de la culture, celle de notre histoire. Si quelque chose peut
bien nous unir face au gouvernement corrompu, c’est notre identité commune ». Comme en
Bolivie, les rappeurs mexicains veulent renverser la tendance et redéfinir le sentiment de
fierté culturel. Si au quotidien à Mérida les nouveaux indigènes citadins dissimulent au
maximum leur accent maya ou leurs origines provinciales, Los Mayucas leur proposent au
contraire de les mettre en avant, tel un outil d’appartenance et de fierté commune.
En effet, ces rappeurs militants s’approprient fréquemment les débats les plus conflictuels tant
sur le plan national qu’international pour y apporter une vision humaniste ou au contraire
fataliste. Padre Anderson, pionnier du rap dans le Yucatán et rappeur principal du groupe la
Ceiba Flava (la Ceiba étant une plante médicinale maya, et flava un dérivé du mot anglais
flavor) clame à son tour que son objectif est de « promouvoir la diversité culturelle par le bais
des éléments du Hip-Hop ». Le groupe s’attaque à la politique indigéniste du gouvernement
mexicain développé jusque dans les années 2005. Soit l’intégration des populations
autochtones à la « communauté nationale » sous l’angle de l’état nation occidental, ou
l’assimilation pure et simple des indigènes dans la société civile dans le but de promouvoir
une nation unie et unique.
Padre Anderson résiste et se montre favorable à la politique néo-indigéniste des années 1980.
Dans sa chanson Movimiento y fe il écrit « Tu te crois supérieur, tu penses être le meilleur ?
Mais regarde derrière toi et enfin tu comprendras, tu ne peux être présent sans le passé, et tu
ne seras pas si tu ne le reconnais pas. Tes ancêtres te regardent, ne prends pas le mauvais
37
chemin. Fais leur honneur et ne les oublie pas, la Ceiba Flava est là et représente cela ». En
effet, le développement d’une élite socio-économique indienne, les aspirations démocratiques,
la prise de conscience ethnique et l’exode rural massif de la fin des années 1970 ont engendré
une revalorisation du statut des indigènes amérindiens. Avec le soutien de la scène
internationale, c’est l’ensemble des indigènes d’Amérique latine qui réclament l’égalité
juridique et le droit à la différence culturelle, concept aujourd’hui intitulé « l’égalité dans la
différence ». La jeunesse mexicaine du Yucatán utilise ainsi le rap pour réaffirmer son
engagement local, son engagement historique, identitaire et militant.34
La fierté que ces jeunes apportent à leurs origines et leurs racines indigènes est ici aussi
l’illustration d’une redéfinition identitaire. Apporter des valeurs positives à leur propre
situation pour renforcer le sentiment d’appartenance à une communauté, et donc générer une
revalorisation de soi même. Quelque part, même en écartant l’aspect politico culturel de ce
phénomène, la pratique du « rap conscient » (en opposition au rap ego trip dénué de tout
message) est une forme d’engagement politique comme expression d’une jeunesse motivée,
entreprenante, et impliqué dans les joutes socio politiques contemporaines.
Ochkan, rappeur du groupe Triple 9 et producteur au sein de la structure indépendante Templo
Maya Producciónes résume que les protagonistes du rap du Yucatán « sont toujours à la
recherche de leur identité. Du coup, on a fait des tentatives de fusion entre le rap et la culture
locale, des fusions ont été faites avec des genres musicaux comme la trova, las noces, la
cumbia, etc. Dans le langage, les mots d'origine maya s'incorporent à nos paroles, ainsi qu'un
éventail de sujets dont le message principal est la fierté d'être yucateco. Le rap yucateco tente
de conserver ses racines culturelles, car ce sont elles qui nous donnent une identité. »
Lorsque j’ai collaboré à la production de l’EP (Extended Play, soit un format plus court que
celui de l’album) Chichiverano (chichi signifie cannabis en maya, et verano signifie « l’été »
en espagnol) au sein de la maison de disque indépendante Templo Maya Producciónes, j’ai pu
rencontrer de nombreux acteurs impliqués dans le mouvement de revalorisation identitaire.
Comme en Bolivie avec la culture quecha et aymara, certains mettent en avant la langue
maya, d’autres les instruments traditionnels mayas comme le Marimba ou les flûtes et sifflets
cérémoniaux, etc. Cependant sur l’ensemble de mes expériences sur le terrain, la grande
34
A. Collorafi, État, indigénisme et mouvement indigène dans le Mexique du xxe siècle, Paris, thèse : Université
de Paris 3, 1993, P-179
38
majorité des rappeurs que j’ai pu connaitre étaient jeunes, membres de gangs locaux,
américanisés dans leur manière de s’habiller et dont les paroles et textes de chansons sont
fréquemment centrés autour du « romantisme », de la violence de la rue et de l’orgueil
personnel ou du groupe.
B.
Le rap ou la mode « à l’américaine »
En trois mois d’étude sur le terrain, dont les deux premiers de manière totalement
officieuse (je me présentais en tant que simple rappeur amateur français), j’ai eu la possibilité
de côtoyer la grande majorité de la scène Hip-Hop locale. Tout d’abord, il faut savoir que les
« artistes » étrangers attirent toujours l’attention. Que ce soit sur scène en live ou que ce soit
dans un magasin spécialisé ou tout simplement dans la rue, un jeune Français travaillant pour
la mairie ne passe pas inaperçu. D’autre part, je me suis empressé de tisser des relations pour
accéder à des séances d’enregistrement en studio gratuites et pour m’impliquer dans
l’organisation d’événements pour la jeunesse locale. En effet, pour cause de grandes chaleurs,
mon stage ne débutait quotidiennement qu’à partir de 16h pour se terminer aux alentours de
23h à la fin de chaque événement municipal traditionnel. Cela me laissait ainsi une bonne
partie de la journée pour m’activer dans des projets annexes, comme des collaborations avec
des rappeurs mexicains ou la mise en place d’événements locaux en partenariat avec mon
association musicale iepienne toulousaine, Assoc Ya Sound. Par le biais des quatre concerts
mis en place dans le centre culturel autogéré La Quilla ainsi que tous les événements rap où je
me rendais en tant que public, je me suis rapidement rendu compte que la communauté HipHop locale était véritablement restreinte, quelques centaines d’individus.
Les quatre événements que j’ai proposés se centralisaient autour du concept de Battle
(compétition libre d’improvisation) en quatre rounds qui portait le nom de Batalla en Mérida,
el micro de oro (« Bataille à Mérida, le micro d’or »). Le concept, très courant dans les pays
occidentaux, n’existait pas dans cette ville et nous a permis de favoriser une affluence
considérable. Chaque soirée de 150 à 200 personnes se déplaçaient et la moyenne d’âge sur
chaque événement gravitait autour de 18 ans. Pour moi ce fut un choc puisque les seuls
rappeurs avec qui je travaillais étaient pour la majorité des trentenaires, et que mes partenaires
locaux parlaient de véritable « succès » pour ces soirées. 200 personnes dans une ville d’un
million d’habitants, alors qu’à Toulouse, ville de 440 000 habitants, nous pouvons faire
39
jusqu’à 1500 entrées au Bikini pour un concert Hip-Hop. Bien évidemment, cela soulève la
question des revenus (de la disposition à payer), des transports et du style musical.
Chabela Torna, administratrice du centre culturel autogéré La Quilla m’explique que « le rap
n’est pas vraiment un style musical présent dans le Yucatán. A l’origine, les jeunes écoutent
de la musique électronique pour faire la fête et historiquement la musique contestataire au
Mexique est le Rock. J’organise beaucoup de concerts métal. Le rap est arrivé plus tard,
certains jeunes adultes utilisent le rap comme un outil de revendication ou de contestation,
mais tous les autres, tous les jeunes que tu vois ce soir sont surtout passionnés par les filles, la
frime, et le style (rires). »
Le regard de cette administratrice m’a ouvert les yeux sur un point crucial du rap que ce soit à
Mérida ou à El Alto. Le rap reste un style peu commun car plus jeune, et la grande majorité de
ses adeptes sont des adolescents obnubilés par le rap américain et son « style » dans sa vision
la plus commerciale. La proximité unique des Etats Unis avec le Mexique a favorisé une
émergence plus rapide du Hip-Hop dans ce pays que dans le reste du continent latino
américain comme la Bolivie. Leurs histoires sont intimement liées et leurs cultures
s’entrecroisent. Socio-économiquement, le gouvernement mexicain s’aligne sur les initiatives
américaines, le journaliste Joël Garreau parle même de politique « mexaméricaine » néo
libérale, chrétienne, centrée sur l’Etat nation, etc.35 Les influences et échanges socio culturels
sont nombreux notamment par le biais du flux de migration entre les deux pays qui le plus
important au monde. Les mexicains créent par exemple des spécialités culinaires face à la
nouvelle demande américaine, les fajitas et les burritos sont des plats Tex Mex (abréviation
pour « Texas » et « Mexique »), soit une innovation marketing pour mieux vendre la culture
mexicaine aux Etats Unis. Inversement, certains produits, comme le Coca-Cola, font
désormais partie intégrante de la culture mexicaine (le Mexique est le premier pays
consommateur de cette boisson au monde). Aujourd’hui aux Etats Unis, les latino-américains
représentent la première minorité ethnique devant les Afro-Américains et les émissions
américaines tournent en boucle à la télévision mexicaine. Bien évidemment, comme la
communauté afro américaine dans les années 1970, cette communauté de mexicains
marginalisés vivants aux Etats Unis, les chicanos, pratiquent un Hip-Hop totalement
35
J. Garreau, Les neuf nations de l'Amérique du Nord, Houghton Mifflin, 1981
40
américanisé, entre apologie des gangs et de la luxure et réutilisation de l’espagnol et des
apparats des gangs latino américains (notamment les tatouages sur l’ensemble du corps).
La chaine de télévision musicale MTV est l’un des plus grands vecteurs de diffusion du HipHop au Mexique, en Amérique latine et dans le monde. Des logiques de mimétisme se mettent
en place au sein de la jeunesse mexicaine. Majoritairement issue de la culture nationale
conservatrice et chrétienne, certains adolescents se détachent de leur éducation traditionnelle
pour se porter vers une appropriation d’un style ostensiblement américanisé. Les videos clips
de rap américain diffusés par MTV proposent une panoplie de gangsta (« gangster de la
rue ») dont les personnages sont confiants, fiers, forts et dont les activités sont libres
notamment autour des allusions à luxure autour du sexe, de la drogue et de la violence.
Aujourd’hui sous l’effet du mimétisme de leurs ainés, une multitude d’adolescents mexicains
des quartiers périphériques s’organisent en bande, ce sont des pandilleros comme ils disent
sur place (« membre d’une pandilla », d’un gang) et doivent se montrer forts, féroces et au
style vestimentaire et comportemental agressif. Une aubaine pour l’exportation du style rap
gangsta américain qui se mélange parfaitement au « folklore » mexicain.
Dans cette optique, Fisko 23, producteur et rappeur de la capitale Mexico D.F, exprime qu’
« aux Etats Unis, le Hip-Hop prend la forme des gens qui le pratique comme dans chaque lieu
du Mexique ou du monde. Après, le Hip-Hop américain commercial de MTV séduit la
jeunesse, que ce soit les américains eux-mêmes ou des cultures totalement étrangères où les
jeunes ont faim de liberté et d’émancipation de soi. Ca n’étonne personne, à part les parents
(rires), parce qu’ils voient des grosses maisons, des filles dénudées, de l’argent et des
personnes célèbres et que beaucoup de mexicains échangeraient sans aucun doute leur vie
contre celle d’un américain que l’on voit dans ces clips (rires). »
Ces jeunes en quête de célébrité et de respect dans leur quartier ou dans leur ville « jouent les
gangsters » et s’improvisent rappeurs. Le rap est un élément supplémentaire de la panoplie
qui comprend casquette de baseball, jeans baggis et maillots de basket excessivement larges,
démarche nonchalante et comportement négligé, etc. Celui-ci permet d’affirmer haut et fort
l’appartenance à un groupe « dominant » et finalement après avoir discuté avec de nombreux
d’entre eux, ceux-ci ne comprennent pas l’Anglais et ne connaissent pas grand-chose de la
culture Hip-Hop mis à part ce qu’ils peuvent voir sur MTV.
41
Tout comme en Bolivie, le rap est un produit culturel qui s’est principalement importé via les
grands médias internationaux et par les flux migratoires entre les Etats Unis et le continent
latino américain. Tout comme dans les quartiers noirs de New York, le rap s’implante
idéalement dans des contextes similaires de détresse populaire, mais pour aller plus loin,
l’appropriation de ce style semble être plurielle, selon le vecteur de diffusion, selon le type de
réception active ou passive.
42
Chapitre II. Une
d’acculturation
illustration
contemporaine
des
phénomènes
I.
Les dynamiques de l’appropriation culturelle
A.
De la « déculturation » colonialiste aux phénomènes d’acculturation actuels
Aujourd’hui, l’histoire de la colonisation européenne et celle du continent latino
américain sont indissociables. Source de nombreuses conséquences structurelles politiques,
sociales, religieuses et économiques, la colonisation est montrée du doigt comme la
domination, voire la soumission, d’une culture par une autre. En effet, des siècles de violation
massive des droits de l’Homme sont dès lors mis en lumière et reconnus par la communauté
internationale, l’esclavage des populations autochtones, l’imposition de croyances de la
« culture source » (culture du colon), l’exploitation des richesses locales, etc. Si l’aspect
négatif prédominant de la colonisation est indéniable, il n’en est pas moins la source de la
compréhension actuelle des tenants et aboutissants du métissage culturel international auquel
nous assistons.
La colonisation a généré de nombreux bousculements socio économiques directs sur les
populations indigènes latino américaines, mais c’est véritablement à partir de la deuxième
moitié du XXème siècle que les anthropologues ont développé les premières réflexions autour
des conséquences culturelles de la colonisation, que ce soit sur le plan militaire ou socio
politique, et autour des phénomènes internationaux d’acculturation.36 L’histoire coloniale
révèle une imposition culturelle unilatérale des occidentaux par la force des armes et par la
force de l’Eglise, un phénomène global que les sociologues anthropologues nomment
« déculturation » ou sous forme actuelle liée à l’immigration « assimilation ». Lorsque qu'un
groupe ou un individu adopte l'ensemble ou une majorité des traits culturels d’une société
étrangère à la sienne et qu’il abandonne sa propre culture d'origine, on parle d'assimilation. En
1972, l’ethnologue français Jean Poirier instaure le concept de déculturation représentant la
« perte de tout ou partie de la culture traditionnelle au profit d'une culture nouvelle » qui
exprime justement la situation engendrée par la colonisation culturelle des civilisations mayas
et aymaras par les espagnols.37
36
S. Alberro, L'Acculturation des Espagnols dans le Mexique colonial : déchéance ou dynamisme culturel ?,
Paris, 1992, P.149-164
37
J. Poirier, « Ethnies et cultures », Ethnologie régionale, Paris, Gallimard, Encyclopédie de la Pléiade, 1972
43
Aujourd’hui, l’histoire de nombreux pays latino américains, comme le Mexique ou la Bolivie,
se comprend par le biais de ces siècles de colonisation et de résistance locale face à
l’envahisseur. Durant la colonisation et des décennies après l’implantation des espagnols, les
rapports entre les indigènes et les étrangers colonisateurs se résumaient dans leur globalité au
pillage des ressources et la soumission de la culture locale. Si le concept de déculturation
semble être intrinsèque aux objectifs du colon au XVIème siècle, la situation actuelle dans les
Etats latino américains se rapproche plus des phénomènes d’acculturation. Même si une
certaine partie de la culture occidentale, comme sa représentation la plus ostensible avec la
langue castillane ou l’économie marchande néo libérale, se sont progressivement implantés et
imposés au Mexique ou en Bolivie, nous assistons dès lors à une nouvelle approche de
l’international, soit un schéma basé sur l’échange et la cohabitation des cultures. Avec les
dynamiques de globalisation qui ont débutées dès la fin du XIXème siècle, ces pays se
retrouvent au cœur d’un système mondial d’échange marchand, idéologique et culturel.
B.
Américanisation et phénomènes d’acculturation
Une des phases principales au sein des phénomènes d’acculturation est l’abandon total
ou partiel de la culture d’origine d’un groupe, pour adopter, sur le temps et par la force ou
non, les valeurs d’un nouveau groupe. La colonisation a ainsi engendré l’imposition d’une
langue et d’une religion, qui ne sera que rarement remis en cause aujourd’hui dans ces pays.
Dans les villes à forte densité indigène comme Mérida et El Alto, les populations rurales
cachent au maximum leur appartenance à la culture traditionnelle. Par exemple, le fait de ne
pas parler le castillan ou de ne pratiquer que sa langue ancestrale est un symbole de pauvreté,
de ruralité, d’obsolescence, et finalement de honte. D’autre part, la religion catholique s’est
parfaitement développée dans ces pays latino américains, au Mexique par exemple la
« légende urbaine » voudrait que plus de 99.9% de la population serait catholique. Selon
Robert G. Escarpit38, le Mexique est le troisième pays avec le plus haut taux de chrétiens, soit
près de 95% de la population qui ont adopté de manière définitive une religion qui leur est à
l’origine étrangère et imposée par les armes.
38
R.G. Escarpit, « Au Mexique : christianisme et religions indigènes », 1947, P.10
44
En 1936, M. Herskovits, R. Linton et R. Redfield proposent une définition39 qui fait
aujourd’hui encore autorité. « L’acculturation est l’ensemble des phénomènes qui résultent
d’un contact continu et direct entre des groupes d’individus de cultures différentes et qui
entraînent des changements dans les modèles culturels initiaux de l’un ou des deux groupes. »
Si le concept d’acculturation exprime un échange parallèle équitable entre les deux cultures, il
est fréquent qu’une culture soit plus forte, plus exportée et finalement plus présente, on parle
alors de « culture source » et de « culture cible ». Dans le domaine économique, idéologique
et culturel, s’il y a effectivement influence des civilisations les unes sur les autres, la notion de
réciprocité est discutable. En relation à l’expansion extraordinaire de la culture américaine
dans le monde au cours du XXème siècle, les phénomènes d’acculturation sont souvent
décrits comme une « forme de colonisation moderne et modérée »40. De nombreux
sociologues et politologues s’interrogent sur l’égalité réelle de ces échanges de cultures41.
Cette acculturation régionale et internationale uniforme sous le modèle américain n’est-elle
pas avant tout une perte culturelle, une perte de l’identité d’une population stable,
traditionnelle et intégrative pour les individus ? Le risque d’une dislocation, voire d’une
disparition de la mémoire collective fondatrice du groupe social d’appartenance ?
En effet, tout comme dénoncé par le mouvement altermondialiste lors des différents forums
sociaux, la globalisation et les phénomènes d’acculturations verticales diffusent une doxa
américaine qui s’est imposée à travers son modèle économique, social et politique. Le mode
de vie américain séduit, il séduit une grande majorité des Etats et notamment les pays en voie
de développement qui tendent vers l’accès au confort et à la liberté d’entreprendre. De
nombreux abus socio économiques, comme les inégalités générées par le commerce
international ou la dépossession des terres indigènes par les firmes transnationales, sont
fréquemment dénoncés par les spécialistes économistes ou sociologues42, cependant les
tenants et aboutissants des échanges culturels peuvent aussi être perçu comme un gage de
transformation sociale et d’évolution naturelle de notre société aujourd’hui définitivement
globalisée. L’aliénation culturelle du groupe dominé, par l’intrusion d’éléments étrangers
affectant la culture et déstabilisant ses éléments centraux (langues régionales, solidarités
39
R. Redfield, R. Linton & M.J. Herskovits, « Mémorandum pour l’étude de l’acculturation », Américan
Anthropologist, 1936, P.149-152
40
J. Poirier, 1972
J.N. Pieterse, « Global Multiculture, Flexible Acculturation », Cultures of Globalization : Coherence,
hybridity, contestation, Londres, Routledge, 2008, P.65-80
42
J.P. Allegret, P. Le Merrer, Économie de la mondialisation, Opportunités et fractures, Paris, De Boeck, 2007
41
45
familiales et communautaires, rapport au temps, etc.), est l’une des visions de l’acculturation.
Celle-ci est dite « négative » car résulte d’une conception particulière de la culture, définie
dans une perspective culturaliste comme un système homogène, cohérent et relativement
imperméable aux apports extérieurs.
Le rap et les valeurs que ce mouvement véhicule s’intègre directement dans ce débat. Le HipHop comme l’un des objets issu de l’acculturation représente idéalement le processus
dynamique dans lequel s'engage une culture évoluant sous l'influence d'une autre culture.
46
II.
Le rap latino américain, expression d’une pluralité culturelle
« Si on ne bouge pas, le capitalisme et le système néolibéral vont continuer à nous bombarder
et à s'emparer de tout avec ses grands médias, ses films ou sa musique. Nous aussi on doit
contribuer à notre manière pour faire bouger les choses, si on reste consommateur on ne
changera rien. » Nina Uma, rappeuse d’El Alto
A.
Un ajustement culturel positif
L’Espagne n’est plus l’Etat qui influence le plus le continent latino américain. Si sa
culture est enracinée en Amérique latine, le rayonnement culturel des Etats Unis se propage
par l'adhésion progressive des populations mondiales à sa culture spécifique et, dans cette
zone géo linguistique, son influence ne s’établie pas sur une coercition militaire autocratique
mais sur son modèle socio économique moderne. Aujourd’hui, ce sont les mouvements
migratoires, les processus d’intégrations politiques, les médias, les Technologies de
l’Information et de la Communication, et le tourisme qui constituent l’essentiel des sources
d’acculturation. Par le biais de dynamiques expliquées précédemment, le modèle américain
s’est internationalisé, puis s’est relocalisé pour s’adapter et être approprié au niveau local. Les
contacts consentants et volontaires entre les deux cultures induisent des ajustements culturels
progressifs, parfois radicaux et censés être mutuellement enrichissants. Si l’on veut
schématiser, les phénomènes d’acculturation sont perçus comme positif quand la « culture
source » n'affecte pas le libre arbitre de l'individu et quand elle permet un enrichissement de la
personnalité individuelle et/ou collective. À l'inverse, elle est négative quand elle provoque un
effet de déculturation ou quand elle entraîne des tensions pouvant aboutir sur des conflits
internes.
Le rap latino américain est un objet d’étude idéal pour comprendre les mécanismes
d’appropriation d’un mouvement culturel étranger, et stéréotypé, puisque celui-ci englobe
presque toutes les composantes de la société américaine ; de la plus « digne » comme la
valorisation culturelle identitaire, à la plus « obscène » comme l’apologie de la luxure, de la
violence et de la drogue. Cependant, plus qu’un simple prisme de la société américaine, de ses
valeurs et des courants culturels qui en découlent, le Hip-Hop latino américain s’est aussi et
surtout réapproprié sa propre culture traditionnelle locale. Finalement, chaque forme de rap
pratiqué au niveau local dans les pays de l’Amérique hispanique relève d’une inspiration plus
47
ou moins forte de la culture américaine source. Le degré de mimétisme s’élève fréquemment
lorsque l’on s’approche d’un groupe d’individus jeunes et citadins, insérés dans cette nouvelle
génération fraichement sensibilisée aux médias internationaux. Inversement, plus le sujet est
âgé et vivant, ou ayant vécu, en zone rurale, ou périphérique, plus celui-ci se démarquera
d’une influence stricte des sources américaines.
En effet, des textes politiquement engagés, une plume réfléchie et authentique, un message
allié d’une mélodie et de rimes enrichies, etc. Le rap poétique, militant et humaniste, que l’on
nomme aussi de « rap conscient » dans le milieu Hip-Hop, est la forme de rap qui est
généralement pratiquée par les plus anciens rappeurs qui ont un vécu, dont l’histoire
personnelle suscite la pratique du rap et non le contraire. De plus, on remarque que le contexte
dans lequel le rappeur évolue est primordial. Les groupes comme Los Mayucas à Mérida ou
Wayna Rap dans la ville d’El Alto sont représentatifs de jeunes ayant grandis dans un
sentiment de crise identitaire et dont le parcours historique collectif a poussé à utiliser le rap
en tant qu’outil, que moyen d’expression, de redéfinition et de revalorisation de soi même en
tant que représentant d’une culture en danger. La rappeuse Nina Uma utilise par exemple le
rap, originellement américain, comme un moyen de contestation de l’emprise économique et
militaire américaine. Tout comme de nombreux groupes de rap bolivien qui s’opposent au
rôle des Etats Unis, et de leurs firmes transnationales, dans la guerre du gaz. Si ce phénomène
peut sembler contradictoire, le rap est alors dissocié de son appartenance directe avec les Etats
Unis pour être récupéré comme symbole d’une population afro américaine oppressée.
Nina Uma explique au journaliste Pierre Boisson que pour elle « le rap américain, c'est plus
de l’afro que du nord américain. Les racines sont afro, la race noire, la population soumise…
C'est un genre de contestation libre. Je me suis mis à rapper car c'est un mouvement très libre.
Tu peux en faire sans solfège ou académie (…) et si tu veux tu peux y raconter ce que vit un
gamin de 18 ans qui vit à Yanacachi (village bolivien attaché au district de La Paz). » Dans ce
sens là, le rap semble être une idéale illustration des phénomènes d’acculturations positives
entre les Etats Unis et les pays latino américains. Le rap, comme mouvement américain, est
réapproprié par les populations indigènes pour revendiquer leur droit à l’égalité dans la
différence. Par le biais des phénomènes d’acculturation, cet élément culturel étranger permet
de donner la parole à une population marginalisée et pourtant directement concernée. La
jeunesse mexicaine s’empare du débat social et exprime même au sein du mouvement HipHop les tensions et divisions autour d’une même thématique : comme celle de l’Etat nation
48
uniforme moderne face à celui d’un Etat pluriel reconnaissant l’égalité dans la différence.
Dans cette même optique, le peuple bolivien, bien plus isolé du modèle occidental et
américain, a adopté le Pacte de l’Unité autour de cette même question de la reconnaissance
d’une pluralité juridique nationale pour assurer une égalité équitable entre les citadins et
ruraux, les villes et les villages ancestraux. Les rappeurs boliviens s’engagent dans ce débat
lorsqu’ils s’expriment dans la langue traditionnelle locale pour revendiquer le droit à
l’existence et à la reconnaissance de leur culture ancestrale ayamara ou quecha.
B.
De la tradition à l’émancipation, vers une uniformisation culturelle
D’un autre côté, si les phénomènes d’acculturations génèrent des processus de
rapprochement et d’appropriation culturels qui permettent de mettre en valeur la culture
locale, le rap latino américain est aussi un exemple idéal pour dévoiler les mécanismes
complexes qu’engendre la rencontre des cultures. Le degré d’importation et d’intégration des
éléments d’une culture étrangère dépend de nombreux critères comme le cadre de vie familial,
le niveau de revenu, l’âge, l’histoire personnelle, le vecteur source de l’importation culturelle,
le taux d’affinité avec la culture locale, etc. Une grande majorité de la jeunesse latino
américaine vivant dans des villes de taille conséquentes possède aujourd’hui un accès plus ou
moins fort à la télévision, aux programmes de divertissement et musicaux américains tout
comme à Internet. Si la place d’Internet demeure marginale, car les connexions sont
laborieuses et instables, celle de la télévision et des programmes américains est prédominante
jusqu’à implanter des valeurs opposées à celles de la population indigène.
Un jour alors que j’organisais un événement Hip-Hop à Mérida, j’ai rencontré à nouveau un
jeune rappeur solo de 16ans, El Pequeño Darius, qui était impliqué dans une « typique »
bagarre de gangueros (petits et moyens gangs organisés par quartiers). Il criait dans la rue
« Tu veux me tuer ? Alors il faudra que tu tues tout le gang (…) et nos mères qui font nos
gangueros de demain » Le décalage me paraissait incroyable alors que ce jeune habillé en
gangster américanisé déblatérait des menaces de morts couteau à la main, quand la veille
celui-ci me racontait que sa famille était catholique pratiquante, que sa mère refusait de lui
laisser s’habiller en sportwear (vêtements de sports), et qu’il n’avait pas même le droit de
sortir après 17h le soir.
49
J’ai donc décidé de faire un faux entretien, pour être honnête j’ai retranscrits de tête le passage
qui suit 20 minutes après notre discussions : « Chaque rappeur à sa propre personnalité, mais
pour moi le groupe passe avant tout. Le rap est né dans les quartiers noirs pauvres et nous on
se reconnait là dedans. L’image est très importante, il faut être fort et gagner contre les
faibles. Chez moi, c’est ma mère qui décide, dans le quartier c’est moi et mes potes les rois,
c’est ça le rap ganguero »
El Pequeño Darius représente le paradoxe de toute une partie des jeunes rappeurs latino
américains tiraillés entre deux cultures, celle d’appartenance et celle dominante importée. En
effet, le caractère stéréotypé du rap américain attire bien plus qu’on ne peut l’imaginer,
surtout pour des populations urbaines isolées. Les images de liberté et d’indépendances que
soulèvent les vidéos clips de rap séduisent la jeunesse. Le personnage du gangster parti de
rien et qui édifie un empire dans lequel le sexe, la drogue et l’alcool prolifèrent excitent et
stimulent les jeunes mexicains dont les mama galinas (littéralement « mères poule », mères
latino américaines très protectrices) ont toujours étaient très conservatrices. Alors que ces
jeunes sont exposés en permanence à des programmes étrangers, ce sont les valeurs mêmes de
leur propre culture que ceux-ci remettent en cause. Ainsi, les rappeurs adolescents latino
américains semblent pour la plupart rechercher une forme d’émancipation que la culture
traditionnelle locale ne leur permet pas. Que ce soit en Bolivie ou au Mexique, le phénomène
de mimétisme qui s’installe va alors de soi quand ces deux cultures aux valeurs opposées se
confrontent. Le rap pratiqué qui en découle est ainsi beaucoup moins centré sur l’originalité
ou l’authenticité des paroles. Le plus important est de se montrer, de faire du bruit et de
« représenter » pour son groupe. Voilà pourquoi j’ai effectué peu d’entretiens, dont certains
officieusement, avec de jeunes adolescents rappeurs, puisque au final ceux-ci me livrent une
vision souvent tronquée, un discours malheureusement caduque et artificiel. Si l’intérêt
sociologique demeure important, la démarche individuelle est plus difficile. Pour établir un
portrait objectif de l’individu et de ses influences, il faut pouvoir approcher la personne tant
dans son intimité familiale qu’au sein de son groupe d’appartenance.
Cependant, il faut bien comprendre que dans la majorité des cas, si le rap est relocalisé à
l’international, il est aussi et surtout personnalisé et approprié de manière individuelle.
Chaque rappeur est issu d’un ensemble de caractéristiques qui façonne à différents degrés son
engagement politique, la légèreté de ses thématiques travaillées, ses choix vestimentaires, etc.
Il est indéniable que la réception locale du mouvement culturel Hip-Hop est multiple,
50
plurielle. On peut alors soulever une manifestation presque paradoxale à travers ce
mouvement Hip-Hop, un mouvement identifiable unitaire dont l’appropriation locale demeure
irréversiblement plurielle. La grande majorité des rappeurs latino américains que j’ai pu
rencontrer sont d’ailleurs l’illustration de cette appropriation plurielle car individuelle. Dans
la ville de La Paz, le groupe Esencia Urbana affirme à Pierre Boisson que « on a besoin de
flute de pan pour être bolivien ». Ce groupe a fait le choix de piocher pour chaque chanson
dans un répertoire différent. Ils peuvent écrire en anglais, rapper sur l’amour habillés de
ponchos et de casquettes de baseball américain. Dans la ville de Cochabamba, de nombreux
paroliers écrivent autour de l’univers de la guerre des gangs, non pas parce qu’ils reproduisent
ce qu’ils voient sur la chaine MTV, mais parce que cette ville est la première ville productrice
de cocaïne au monde. Le groupe yucateco Los Mayans jongle entre textes engagés rédigés
dans la langue maya et ego trip agressifs chantés en anglais, etc. La stabilité d’une influence
n’est pas immuable, et l’outil d’expression que représente le rap suit l’évolution du rappeur et
de son histoire personnelle. Le producteur et rappeur Fisko 23 généralise la situation
mexicaine et formule que « tous les jeunes commencent le rap pour l’image qu’il renvoit. Puis
ils s’engagent politiquement si ce sont des militants, soit ils font comme moi (rires) et écrivent
des textes romantiques pour les filles, ou comme souvent au Mexique ils changent de style
musical car le rap n’est pas rentable (rires). »
51
52
Conclusion
Aujourd’hui, le Hip-Hop latino américain, dans le sens linguistique du terme, est le fruit de la
rencontre passée et actuelle de différentes cultures. Ce mouvement culturel d’origine nord
américain est l’illustration de la mixité et de la densité socio économique que représente notre
société moderne contemporaine. Ce courant musical international a traversé les frontières
pour s’implanter, via les médias et les flux migratoires, dans les différentes cultures du
monde. Lorsque le rap a émergé dans le « continent latino américain », il s’est développé par
le biais d’un ancrage contextuel spécifique. Dans la plupart des cas, l’histoire des populations
locales dévoile une relation très forte entre un passé colonial omnipotent et une racine
culturelle ancestrale omniprésente.
Pour une population majoritairement indigène, rurale et marginalisée, comme dans la ville
d’El Alto et plus sensiblement dans la ville de Mérida, le rap s’est implanté en tant que moyen
d’expression à part entière. Celui-ci devient un véritable outil de revalorisation culturelle
entrant en opposition à la dégradation de l’identité et des droits des populations autochtones.
Le rap permet alors à la jeunesse locale de redéfinir son rapport à la globalisation et de mettre
en lumière les contradictions inhérentes aux phénomènes d’acculturation. D’autre part, le rap
latino américain donne la possibilité de comprendre une forme d’influence d’une « culture
source » sur une « culture cible ». Après les conséquences socio culturelles engendrées par la
colonisation espagnole, l’omnipotence médiatique de la culture américaine installe un
nouveau choc culturel avec les pays latino américains pratiquants et conservateurs. Le rap est
alors l’essence de l’expression directe de la luxure occidentale, cette même luxure stéréotypée
par les vidéos clips des chaines internationales américaines qui séduit une partie de la
jeunesse latino américaine. Sous l’effet de phénomènes de mimétisme, les jeunes rappeurs
latino américains s’approprient à différents degrés le style vestimentaire, le comportement, le
vocabulaire ou les thématiques développées dans leurs propres paroles.
Le rap latino américain est l’illustration du processus de globalisation, des phénomènes
d’acculturations ou de ce que Mac Luhan développe à travers les concepts de village
planétaire et de la progressive offre culturelle uniformisée.43 Finalement, si le rap latino
43
M. Luhan, Pour comprendre les médias, Paris, Seuil, 1968, P.404
53
américain est un outil de revendication identitaire ou d’émancipation culturelle, il est surtout
un mouvement définitivement pluriel, un outil malléable et individualisé. A la différence de la
colonisation culturelle espagnole, le rap s’est imposé par un échange culturel volontaire. Il
permet de mettre en évidence le paradoxe qu’il est de fait un moyen de reconnaissance de la
diversité socio culturelle (pluralité de l’appropriation locale) ainsi que de l’unicité culturelle
sous un mouvement international identifiable (regroupement autour de la bannière du HipHop).
Entre unité et diversité, le rap latino américain reflète les enjeux d’une société en constante
évolution et en permanente remise en question.
54
Annexes
Annexe 1 : Copie du document du Pacte de l’Unité signé entre le gouvernement d’Evo
Morales et les Mouvements et Organisations Sociales de l’Etat Plurinational de Bolivie.
Annexe 2 : Extrait de l’entretien avec le rappeur bolivien Grover du groupe Wayna Rap
Annexe 3 : Couverture du projet musical Chichiverano (Diapo étant mon nom de scène)
Annexe 4 : Affiche de l’événement El Micro de Oro, Batalla en Mérida et flyer explicatif du
déroulement du battle de rap.
Annexe 5 : Photo avec les juges et les finalistes du battle El Micro de Oro, Batalla en Mérida.
Annexe 1 :
55
Annexe 2 :
¿Que es la historia de tu grupo Wayna Rap?
Mira, wayna rap se inicia más o menos en el 2003, ya como agrupación pero anteriormente ya
teniamos “tiratatas” que son muy comunes aca en la ciudad del alto. En el 99, 2000 ya
empezamos a meternos en lo que es la cultura del Hip-Hop y en el 2003 hay un hecho politico
muy importante por el Alto y por Bolivia que es la guerra del gaz. Ahi nos argrupemos entre
varios jovenes de movimiento del Hip Hop del Alto pero tambien de La Paz. Fuimos 20
muchachos mas o menos que formaron parte de esta agrupación de Wayna Rap. Las reuniones
se hacian acqui en la ciudad del Alto. Conversamos muchos, y nosotros como jovenes
pensemos que era el momento de actuar y no solamente de esperar, de escuchar de lo que
pasa. Entonces empezemos a movernos porque antes no teniamos el suficiente dinero para
entrar en un instituto de gravacion. Era nuestra manera de gravar no, entonces al final del
2003 sacamos el album de Wayna Rap “Winamasis Uno” que en espanol significa “hermanos
de sangre”. Entonces empezamos lo que es el Hip Hop, mas personas reuniendo, algunas se
fueron alejando. Tuvimos una programacion ahi, en la radio de Wayna Tambo. Hicimos
varios talleres a jovenes, conocimos a muchas personas, nos fuimos abriendo puertas.
(…)
¿Cuales son sus mensajes?
Bueno, tenemos muchos debates, acerca de diferentes temáticas, dentro de nosotros. Siempre
estamos cuestionando las cosas, no es que sacamos de una vez. Tenemos reuniones, siempre
estamos coordinando con los jovenes, es algo muy activo que hacemos aquí en la ciudad del
Alto.
¿Y la cultura aymara en tu musica?
Mira, mis papas son de provincia, son de Masuyo. Ellos han tenido que migrar aquí a la
ciudad a los 14 anos. Se han adaptado a otro estilo de vida, como la mayoria de la gente aquí
en el Alto. Entonces cuando estaba en el colegio, siempre hablaban en castellano, y a las
personas que no podian pronunciar bien el castellano les discriminaban. Eso fue mi caso,
cuando no podia pronunciar porque mi papa y mi mama siempre se comunican en aymara. Yo
tome ese iniciativa con los companeros y dijimos mira el Hip Hop es actitud entonces
56
empezemos a construir ese actitud para que los jovenes de nuestra nueva generacion no se
sientan avergonzados, que digan lo que son, que no tengan vergüenza de ser indios, indigenas.
Cuando yo digo indigenas, para nosotros es un orgullo. Somos indigenas. No temos porque
sentirnos mal. Y si hablamos en aymara en queshua, es porque lo somos. A los jovenes aveces
les dicen ese es aymara, campesino, ese es tara para menospreciarlos.
Entonces, nos dijimos entre nosotros que habia que creer esa actitud, para afirmar nuestras
raices, nuestras costumbres.
¿Tu musica como medida politica?
Por ejemplo, a partir del 2003, surgio una nueva politica aunque muchos lo niegen. Un
cambio politico tremendo. La gente d’El Alto fue un actor muy revolucionario. La gente
estaba bien organizada. Bolivia es un gran ejemplo por Latinoamerica por los cambios que se
estan dando. Dar la luz a latinoamerica. Yo pienso que estamos en esta lucha. Se estan
difundiendo en muchos paices, en peru por ejemplo, en ecuador igualmente. Hay mucha gente
que ha tomando la iniciativa del rap en Aymara, en Queshua. Yo pienso que poco a poco se
va extendiendo por latinoamerica esa dinámica de cambio, de valorizacion, de no perder
nuestras raices, nuestras costumbres.
(…)
¿Y las migraciones, el vínculo entre ciudad y campo?
Siempre hay este vínculo. Yo sigo manteniendo este vínculo con mis papas, aunque son
cristianos. Permanente contacto, es un gran puente. Sobre todo que ahora se hace el rap en
aymara, hay muchos que dicen “waou”, hay muchos jovenes que dicen “quiero meter la
tambien”, entonces hay michas gente interesada. Hay otros que no comparten la idea. Gente
que no esta de acuerdo.
Pero hay mucha gente que se siente identificada con el rap en aymara. Yo tengo amigos de la
calle que me dicen que han olvidado su idioma, que se sienten desconectados, y que me dicen
“que bueno”. Hay algunos que se ponen sentimentales. Es muy bueno tambien lo que se hace
con el Hip Hop también.
¿Que dice la oposicion?
57
Hay algunos que no estan de acuerdos porque dicen que el Hip Hop es solamente una cultura
de Estados Unidos, que nosotros estamos mezclando lo con musica de yankee. Ahi hay una
fuerte resistencia al imperio.
Al principio, te cuento, cuando empecemos a cantar en aymara hay que dijeron “como van a
cantar en aymara si el rap es en ingles, si el rap es esto”. Empezaron a cuestionarnos.
Diciendo que el Hip Hop no es de campesinos. Pero la gente se va abriendo más poco a poco.
¿Tenias ganas de cantar en aymara desde el principio?
Claro, siempre habia estas ganas de cantar más que todo para revalorizar, para reinvidicar
nuestra cultura, nuestra cultura, para sentirse orgulloso de lo que somos. Para contestar a ellos
que nos dicen “caras de llama, indio, campesino”. Es el momento de sacar lo que somos, no
hay que sentirse avergonzados. Somos indigenos, hablamos aymara. En mi casa, mi papa y mi
mama hablan aymara, era el momento de decir las cosas en su idioma.
¿Utilizan instrumentos andinos?
Utilizamos instrumentos andinos, ahora justamente estamos trabajando con musicos que
hacen folklore aquí en bolivia, autoctonos. Estamos haciendo con ellos una produccion mas
grande. Algunos que hacen musica zouk tambien, metiendo asi una buena fusion con el Hip
Hop.
¿Tus relaciones con los Estados Unidos ?
En 93, 94, aca habian concursos de baile, era muy fuerte. Ahi empece a conocer amigos que
tenian esta conexión. Yo empece a escuchar musica en K7, a Tupac, a Public Ennemy, a Dead
Prez, a Notorious, a Rakim... Yo le comentada a un amigo que se llamaba Alvaro, que su
hermano estaba en EEUU y le mandaba discos a el. Entonces el me comentaba lo que se
pasaba alla, que el hip hop era algo asi de la rebeldia. Me tradujo algunas letras de Notorious,
de Tupac, escuchemos tambien a agrupaciones haciendo rap en espanol como Cypress Hill,
Control Machete. Entonces busque mas informaciones, entonces vi las raices sociales del Hip
Hop. Me quede encantado porque yo veia esta discriminacion que habian subido los negros en
EEUU y las luchas de Jesse Jacksons, Martin Luther King, Black Panthers y vi como el rap
ayudaba este proceso, a denunciar algunas cosas de lo que estaba pasando. Me fascino,
empece a escuchar más y más discos. Y asi me fui metiendo rap en la radio, ya queria
compartir esta musica con los demas. Empece a la radio con K7 a difundir y hablar de lo que
58
es el Hip Hop, que es algo de reinvidacion, que tiene muchas cosas que decir. Esas cosas me
encataron.
¿Y como pasaste de las K7 de Tupac al Hip Hop boliviano?
Antes la ciudad del Alto no existia, siempre lo veian como una zona roja. Habian muchos
problemas que nuestra ciudad estaba pasando. Empecemos a hacer letras sobre eso, a contar
muchas cosas. Improvisando con los amigos, unos diciendo “waou esa letra habla de lo que
vivimos”, entonces poco a poco empecemos a comunicar con esos amigos por el Rap.
(…)
Annexe 3 :
59
Annexe 4 :
Annexe 5 :
60
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26 Mai 2005
62
Introduction ………………………………………………………………………………. P.1
Première partie. Le rap latino américain, un outil de revendication identitaire ………….. P.13
Chapitre I. De la colonisation culturelle à la contestation indigène ……………………… P.14
I. Histoire d’une identité indigène ……………………………………………………….. P.14
A. Du VIIème siècle avant J.C à l’établissement de la Bolivie …………………………... P.14
B. La Bolivie à deux vitesses du XXème siècle ………………………………………….. P.15
II. De la (re)valorisation de la culture indigène …………………………………………... P.17
A. Le réveil indien bolivien ………………………………………………………………. P.17
B. La reconnaissance de l’égalité dans la différence ……………………………………... P.18
Chapitre II. La réappropriation d’une identité culturelle locale ………………………….. P.20
I. La résistance culturelle alteña ………………………………………………………….. P.20
A. El Alto, une « ville de migrants » ……………………………………………………... P.20
B. Le basculement de la guerre du gaz …………………………………………………… P.21
II. Une pratique locale indigéniste et militante ? …………………………………………. P.24
A. La redéfinition identitaire par la jeunesse ……………………………………………... P.24
B. Entre authenticité et pragmatisme local ……………………………………………….. P.26
Deuxième partie. Le rap latino américain, l’expression d’un métissage culturel ……….... P.32
Chapitre I. Un contexte contemporain au carrefour des cultures …………………………. P.33
I. Ancrage d’un héritage maya et colonial ………………………………………………... P.33
A. Mérida, histoire d’une richesse ………………………………………………………... P.33
B. Un passé conflictuel pour un métissage contemporain ………………………………... P.34
II. Le rap à Mérida, expression d’un paradoxe culturel ? ………………………………… P.36
A. Une jeunesse au service d’une culture ………………………………………………… P.36
B. Le rap ou la mode « à l’américaine » ………………………………………………….. P.39
Chapitre II. Une illustration contemporaine des phénomènes d’acculturation ………….... P.43
I. Les dynamiques de l’appropriation culturelle ………………………………………….. P.43
A. De la « déculturation » colonialiste aux phénomènes d’acculturation actuels ……...… P.43
B. Américanisation et phénomènes d’acculturation ……………………………………… P.44
II. Le rap latino américain, expression d’une pluralité culturelle ………………………... P.47
A. Un ajustement culturel positif …………………………………………………………. P.47
B. De la tradition à l’émancipation, vers une uniformisation culturelle ………………….. P.49
Conclusion ………………………………………………………………………………... P.53
63
Résumé
Aujourd’hui, le Hip-Hop latino américain, dans le sens linguistique du terme, est le fruit de la
rencontre passée et actuelle de différentes cultures. Ce mouvement culturel d’origine nord
américain est l’illustration de la mixité et de la densité socio économique que représente notre
société moderne contemporaine. Ce courant musical international a traversé les frontières
pour s’implanter, via les médias et les flux migratoires, dans les différentes cultures du
monde. Lorsque le rap a émergé dans le « continent latino américain », il s’est développé par
le biais d’un ancrage contextuel spécifique. Si ce rap géo localisé est un moyen de
revendication identitaire ou d’émancipation culturelle, il est surtout un mouvement
définitivement pluriel, un outil malléable et individualisé. A la différence de la colonisation
culturelle espagnole, le rap s’est imposé par un échange culturel volontaire par le biais des
phénomènes d’acculturations contemporains. Il permet de mettre en évidence le paradoxe
qu’il est de fait un moyen de reconnaissance de la diversité socio culturelle (pluralité de
l’appropriation locale) ainsi que de l’unicité culturelle sous un mouvement international
identifiable (regroupement autour de la bannière du Hip-Hop).
Entre unité et diversité, le rap latino américain reflète les enjeux d’une société en constante
évolution et en permanente remise en question.
Mots Clefs
Hip-Hop, Amérique Latine, identité, culture, acculturation
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