Développer l`estime de soi des enfants

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Développer l`estime de soi des enfants
« Développer l’estime de soi des enfants. Le rôle des parents »
Intervention de Monsieur Gilbert Jeanvion, ancien enseignant spécialisé et psychologue
scolaire, animateur au sein de l’« Association des Groupes de Soutien Au Soutien ».
Octobre 2012
L’enfant qui va à l’école est sur une trajectoire où les autres (parents, enseignants, copains)
attendent quelque chose de lui et où lui-même attend quelque chose de lui.
La notion d’estime de soi renvoie à un certain jugement de valeur, à une mesure portée sur
sa valeur personnelle, en référence à cette attente. Mais elle est aussi en relation forte avec
la notion de confiance en soi. Il faut que l’enfant ait pu expérimenter certaines
responsabilités pour qu’il puisse penser qu’il est en capacité de faire des choses,
d’entreprendre.
Deux éléments sont donc importants à prendre en compte dans l’estime de soi :
premièrement, l’enfant est en construction ; deuxièmement, cette construction se fait parmi
les « autres ». Au moment du CP, il y a un changement important : le regard des autres
prend une dimension particulière. Et c’est le regard des copains qui devient important,
davantage même que celui des parents. C’est en référence aux autres enfants que l’enfant
s’évalue, ce n’est plus uniquement en référence aux valeurs des parents.
Comment repérer un enfant qui a une estime de soi dégradée ?
Lorsqu’un enfant développe une estime de soi dégradée, il risque de s’enfermer dans une
fausse image de lui-même. Puisque l’image qu’il a de lui est dégradée, elle n’est plus
présentable aux autres : l’enfant va alors chercher à se créer une nouvelle identité (le clown,
le caïd, le fayot, l’affabulateur, etc.). Tous ces stéréotypes peuvent signaler une estime de
soi dégradée.
Un autre comportement qui peut amener à se poser des questions consiste pour l’enfant à
surinvestir un domaine particulier/. Ce qui doit interroger, c’est si l’enfant commence à
négliger les autres domaines de sa vie pour ne se consacrer qu’à un seul (ex : il n’a pas
d’amis, il n’a pas d’activité en dehors de l’école, etc.).
Comment prévenir ? Comment faire en sorte qu’il se fabrique une bonne estime de
soi ?
Le rôle des parents au cours de la petite enfance (jusqu’à 6/7 ans) est fondamental : tout ce
joue dans l’accompagnement. Les parents vont contribuer à la croissance de l’enfant en
établissant un équilibre, une complémentarité, entre les deux impératifs auxquels sont
soumis les enfants : (1) les « impératifs d’expansion vitale » ou –dit autrement– les pulsions
et (2) « les impératifs d’expansion sociale » ou les règles de la vie en société.
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1) Les impératifs d’expansion vitale désignent toutes les pulsions qui accompagnent
sa croissance : son corps grandit, l’enfant a de plus en plus de capacités à faire,
physiques ou intellectuelles, et il a aussi de plus en plus d’envies de faire, de pulsions. Il
a en lui des forces qui le poussent à vouloir avoir une maîtrise sur le monde qui
l’entoure ; il ne veut pas subir.
Une idée fausse consiste à penser que si l’enfant n’est pas motivé, stimulé, alors il
n’entreprend pas de lui-même. Tout au contraire, ces forces sont une « source d’énergie
naturelle », inhérente aux enfants, qui les poussent à entreprendre. C’est lorsqu’un
enfant n’utilise pas cette énergie qu’il faut se poser des questions.
En tant que parent, il est nécessaire d’approuver cette énergie. Il est bien que l’enfant
puisse lire dans les réactions de ses parents le plaisir qu’ils tirent à le voir entreprendre,
avancer, se construire. Ce soutien est nécessaire à l’entretien de cette énergie, ce désir
d’avancer, d’entreprendre : « tu as vu ce que tu es capable de faire ? »
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2) Les impératifs d’expansion sociale : Mais cette énergie est en général à l’état
« brut », elle doit aussi être canalisée. Le rôle des parents est de sécuriser l’enfant en lui
mettant des limites, des interdits, en lui présentant des exigences. Ces impératifs,
préparant l’enfant à s’intégrer socialement, conduisent les parents à exiger de l’enfant
qu’il reconsidère ses exigences premières : « pas tout et exactement l’objet désiré » /
« pas tout de suite », et « pas ici ». Par exemple, l’interdit de l’inceste de la période des
3-6 ans (l’enfant, attiré par le parent de sexe différent du sien, espère et tente de le
« voler » au parent de même sexe) permet de bien comprendre ce schéma, cet équilibre
entre les pulsions (l’énergie) et les barrières (les règles sociales). L’enfant ressent une
pulsion vers l’adulte du sexe opposé. C’est à l’adulte de lui expliquer que cette pulsion
vers un autre se réalisera (elle n’est pas « mauvaise »), mais pas sur l’objet désiré (vers
une autre personne que le parent), pas maintenant (quand il sera plus grand) et pas ici
(dans un lieu plus intime).
L’enfant doit comprendre qu’il y a des comportements et des valeurs à respecter et qu’il
doit s’inscrire dans ses comportements et ses valeurs.
C’est un véritable apprentissage : l’enfant doit apprendre à grandir dans sa capacité à vivre
avec les autres. C’est pour cela que jusqu’à l’âge de 5/6 ans, on ne négocie pas les règles
fondamentales avec un enfant. C’est comme cela, cela s’impose à lui. Si on ne met pas cela
en place, on risque d’avoir un enfant qui contestera tout. Et la suite sera difficile.
Quels sont les risques si ces deux impératifs ne s’équilibrent pas ?
Si l’impératif de l’inscription sociale est trop « mou » ou « babacool ».
L’enfant risque de croire qu’il est en capacité de faire des choses qui ne sont pas de son
âge.
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Il peut alors demander, voire exiger, les mêmes prérogatives que ses parents « Tu le
fais bien toi, pourquoi je ne le ferais pas ? ». Il faut lui montrer que les adultes doivent
aussi se soumettre à certaines règles.
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Il est important qu’il passe par toutes les étapes de l’enfance, qu’il ne grille pas les
étapes. Si on lui laisse croire qu’il peut faire certaines choses qui ne sont pas de son
âge, alors que l’enfant sait très bien qu’il n’a pas l’âge de le faire, alors l’enfant se
construit « en faux ». Par exemple, il va affirmer « moi, je sais lire », alors qu’en fait il
a la trouille, il est dans une attitude de déni de ce qu’il est.
C’est le plaisir de réussir qui va devenir moteur. Sans limites, la sensation de manque
n’existe pas et il ne reste que la recherche d’une jouissance immédiate, à la place du
nécessaire désir (de grandir, d’apprendre…).
Si l’impératif d’expansion vitale est survalorisé.
L’enfant risque de surinvestir certains domaines et de complètement abandonner les
autres domaines de sa vie. La précocité scolaire peut ainsi être le signe d’une estime de
soi dégradée. L’enfant veut être estimé dans le créneau de l’école et il y met toute son
énergie ; le reste est alors laissé de côté (par ex les relations avec les camarades).
L’enfant risque d’avoir peur de décevoir ses parents si ceux-ci survalorisent
systématiquement tout ce qu’il fait et de manière surdimensionnée. Si on le félicite
toujours, alors on fait croire à l’enfant que ses performances peuvent toujours être
améliorées, qu’il doit toujours chercher à faire plus. Il faut savoir dire à son enfant « on
est content de ce que tu fais, c’est inutile de chercher à devenir le champion de monde ».
Mettre trop la pression à un enfant, c’est lui dire que l’on n’est pas (jamais ?) satisfait de
ce qu’il nous montre de ses performances.
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L’enfant risque aussi de croire qu’il est tellement supérieur que les autres doivent être à
son service. Cette attitude peut alors mener à des comportements pervers avec les
autres.
Si l’impératif d’inscription sociale est trop rigide.
Si on cherche trop à canaliser l’enfant, on risque d’éteindre cette source d’énergie. Il
risque alors de manquer de curiosité, d’être timide.
L’enfant risque de devenir soumis, ce qui étouffe le désir d’apprendre et de grandir ;
Si l’équilibre est respecté.
L’enfant apprend grâce au désir d’apprendre. Il ne s’agit pas de dressage ou de
conditionnement, mais d’un apprentissage qui génère l’estime de soi. Cette confiance
passe par l’acceptation par les parents de l’existence de cette énergie vitale, tout en
prenant conscience de la nécessité de lui poser des limites.
Respecter les besoins de l’enfant en fonction de son âge.
Sans doute, les parents d’aujourd’hui sont trop impatients car ils anticipent les difficultés à
venir et la place que leurs enfants devront se faire dans la société. Si on va trop loin dans
nos demandes, cela risque d’être contre-productif. Les enseignants sont d’ailleurs soumis au
même stress que les parents.
Avant 6/7 ans (période œdipienne). Lorsque l’enfant voit que ses parents tiennent leur place
de parents par rapport à lui, l’enfant, cela le sécurise et le pousse de manière naturelle vers
les apprentissages qui le feront grandir.
Vers 6/7 ans. Cet âge est celui de « l’âge de raison ».
- 1) L’enfant peut porter un jugement. Il connaît les règles, sait ce qui est autorisé ou
non, bien ou mal. Il est capable d’élaborer une décision et de la mettre en œuvre.
- 2) L’enfant a accès à un groupe de pairs (ses camarades). Avant, ce sont
davantage papa/maman et la maîtresse qui lui servent de référence. Il va commencer
à regarder sa valeur dans le regard que ses camarades portent sur lui. L’enfant est
mû par la peur de l’exclusion.
Nos valeurs d’adultes peuvent nous conduire à vouloir lui apprendre à assumer ses
différences, à les positiver. Mais l’enfant a du mal à envisager de les assumer, car cela
représente un risque : ne plus être accepté dans son groupe d’appartenance. Sur la question
des exigences de porter des vêtements (ou d’avoir divers équipements) de marques, on a le
sentiment que les enfants se fixent une valeur personnelle qui correspond à ce qu’ils portent
sur le dos. Il est important de se poser des questions si l’enfant ne peut pas se passer des
marques, si cela devient systématique au lieu de ponctuel. Cela peut traduire une estime de
soi fragile voire dégradée.
Si on cède systématiquement, on transmet un message négatif sur sa propre valeur « oui, tu
besoin de cela pour avoir de la valeur pour les autres ».
Une réaction par rapport à cela est de ne pas céder systématiquement à ses exigences,
mais en faisant s’expliquer l’enfant sur ces demandes « pourquoi tu ne veux que cela ? »
« Qu’est-ce que cela va faire si tu ne l’as pas » ? « Qu’est-ce que tu en penses » ?
Parler c’est bien, échanger c’est mieux.
Il n’est pas question de toujours donner la réponse ou l’explication de l’adulte à l’enfant. Mais
il faut lui poser des questions. Mettre l’enfant en situation de justifier ses choix, d’avoir une
explication à son comportement, afin qu’il puisse mettre des mots sur les peurs qui l’animent
éventuellement.
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Comment aider l’enfant à faire ses devoirs, tout en le confortant dans son estime de
soi ?
Lorsque les devoirs se passent mal, c’est un exemple où l’élan vital ne fonctionne plus. Il n’y
a plus que les exigences des parents. Il faut alors se demander pourquoi la source s’est
tarie : les exigences sont-elles trop fortes ? C’est la même chose avec des problèmes du
comportement ou un échec scolaire. Il faut comprendre l’origine.
Il faut aussi accepter qu’il y a un moment où on ne peut plus se contenter de subir une telle
situation et que l’on doit accepter d’aller demander de l’aide afin d’aller au fond des choses :
qu’est-ce qui a fait dégénérer la situation ? Il est possible que ce ne soit pas une question de
devoirs, mais une question plus générale d’opposition de l’enfant à l’adulte.
En dehors de ses situations difficiles, il est important de soutenir l’enfant de manière positive.
Et ce, malgré la fatigue, les rythmes modernes, etc.
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Les erreurs sont positives. Elles font partie de l’apprentissage : l’erreur n’est pas une
faute. L’erreur devient intéressante si on lui apprend à la dépasser. Le dialogue est là
aussi important « comment tu as fait pour arriver à ce résultat ? ». « D’après toi,
pourquoi cela ne fonctionne pas » ? Et en valorisant la recherche de la solution « on
a trouvé pourquoi tu t’es trompé, c’est bien ! C’est le meilleur moyen de s’améliorer ».
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On ne demande pas de tout faire bien du premier coup. L’utilité de l’exercice, c’est
aussi de faire apparaître les lacunes pour les dépasser.
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Il faut encourager l’enfant à estimer la qualité de son travail. « Qu’est-ce que tu en
penses ? ».
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Respecter le rythme de l’enfant : s’il est fatigué, par exemple. Ou alors s’il a besoin
de décompresser à la sortie de l’école. Il faut choisir le moment où il est le plus
disponible.
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Fixer un rythme une fois pour toute (de telle heure à telle heure) et le respecter.
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Attention à la manière dont on parle à l’enfant et aux mots qu’on emploie : c’est
toujours le devoir, l’exercice qui est raté, pas l’enfant ! Donc éviter les remarques du
type « tu n’est vraiment pas doué en mathématique ! ». L’enfant n’est pas sa dictée !
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Ne pas surajouter du travail.
Notes complémentaires ajoutées par M. Jeanvion.
Les devoirs : débat très actuel ; 68% des parents considèrent que les devoirs doivent être
maintenus.
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Aspects positifs : moment de« rencontre » et d’échange entre l’enfant et de ses
parents, témoignant à leur enfant l’intérêt qu’ils ont pour sa scolarité, et qui permet un
« suivi » des activités scolaires, l’expression de leurs encouragements et/ou de leur
mécontentement, enfin une aide en cas de difficultés.
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Aspects négatifs : la fatigue de l’enfant en fin de journée ou de semaine, les
différences de capacités parentales à aider l’enfant, et peut-être surtout le stress
parental, qui en fait parfois un moment de « comparution » pour l’enfant, et un moment
où les parents communiquent leurs peurs / l’avenir, ce qui génère plutôt un manque de
Confiance en Soi ; aussi, la tendance à anticiper les apprentissages scolaires :
Pourquoi ? Quelles conséquences ? A citer : la recrudescence des phobies scolaires.
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Des enjeux parentaux ? (Attention : ce ne sont que des erreurs possibles !)
Tentation d’affirmer sa valeur de parents (porteurs de savoirs, d’autorité, de
capacité d’aide…) en utilisant le terrain scolaire. Cela peut être la tentation lorsqu’on
doute de sa propre capacité à être de bons parents. Mais le risque est grand de
vouloir apparaître « meilleur maître que le maître », et de mettre l’enfant en position
très inconfortable (conflit de loyauté !). Bien sûr le risque symétrique existe chez les
enseignants, s’ils veulent se montrer meilleurs parents que les parents ! Alors…
Chacun dans son rôle ?
Besoin de calmer son angoisse de parents face à un avenir incertain où la
compétition est dure : il faut être dans les meilleurs… mais on peut obtenir ainsi des
résultats très négatifs ! L’enfant n’a-t-il pas surtout besoin de cette confiance en Soi,
d’une appréhension juste de ses forces et de ses limites ?
Besoin de se prémunir contre d’éventuels reproches des enseignants : c’est
toujours la faute aux parents en cas de difficultés ! Il faut savoir garder une bonne
Estime de Soi, même en cas de mise en cause : le métier de parent est aussi un
métier impossible, et la culpabilité est une mauvaise conseillère (tous les parents
ne cherchent-ils pas à faire tout ce qu’ils peuvent pour que leur enfant grandisse
bien ?!)
Essai de compenser de supposées( ?) défaillances des enseignants, censés ne
pas toujours utiliser les bonnes méthodes… Comment l’enfant peut-il faire confiance
à cet enseignant si les parents le critiquent, doutent et montrent ainsi leur méfiance?
En cas de doute, une seule solution : en parler avec l’enseignant, le directeur…
Utiliser les devoirs comme alternative occupationnelle à la télé, la console,
l’ordinateur, etc. en reprenant le « contrôle » des activités de l’enfant. C’est bien sûr
une mauvaise solution : on peut aussi limiter l’utilisation de ces appareils !
Comment bien aider son enfant à faire des devoirs ? Conseils de « bon sens » ??
L’erreur n’est pas une faute, elle est même le vrai moyen de parvenir à s’améliorer,
mais à condition de la laisser apparaître (ne pas chercher à l’éviter), et d’amener
l’enfant à en rechercher la cause – après lui avoir demandé d’estimer lui-même la
qualité de son travail.
L’enfant n’est pas son résultat, sa note : un devoir peut être raté, nul… pas l’enfant !
Ne surajoutez pas du travail, et limitez au strict nécessaire le temps contraint.
Choisir un moment de meilleure disponibilité pour les 2 : accompagner les devoirs en
faisant la cuisine, pendant que son enfant a un œil et demi sur son dessin animé
favori… n’est peut-être pas la meilleure formule !
Alors quelle attitude parentale face aux devoirs ?
Construire de la Confiance en Soi… Soi-parent si possible, Soi-enfant bien sûr. Lui
faire prendre conscience qu’il dispose de ressources propres, l’aider à réfléchir
plutôt qu’à réaliser, ne pas le juger mais l’encourager…
Articuler son rôle de parent face à la scolarité, avec celui des enseignants, en
recherchant les complémentarités et non la concurrence ou la répétition : les
« devoirs » à faire à la maison ne sont sans doute pas, dans leur forme actuelle, la
meilleure formule : chacun de sa place doit pouvoir contribuer à la meilleure
scolarité possible. Cela suppose de vrais échanges avec les enseignants, la
définition de ce que chacun attend de l’autre, de la part des parents, et peut-être
l’élaboration d’outils pour communiquer mieux.
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