Il était une fois - Château de Versailles

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Il était une fois - Château de Versailles
Il était une fois…
Lycée François Rabelais,
Classe de Première ES 1
37 500 CHINON
Un beau jour d’été, au cœur même des jardins du château de Versailles, une petite fille de neuf ans,
accompagnée de ses parents et de son grand frère, se promenait. C’était une journée idéale pour visiter
les jardins. Le contraste entre le vert des pelouses et des arbres tranchait avec le bleu profond du ciel et
la lumière créait de magnifiques reflets dans les bassins et dans le Grand Canal.
Alice et sa famille visitaient ces jardins qu’ils avaient déjà traversés des dizaines de fois mais ils ne se
lassaient jamais de le parcourir, découvrant toujours de nouveaux endroits paisibles. Alice avait un
grand frère, c’était son protecteur, son tuteur. Souvent elle et lui s’amusaient à se comporter comme
des rois et des reines ; ils repartaient dans leurs jeux à l’époque de Louis XIV, pourtant plus de trois
cents ans auparavant. C’était leur petit rituel, ça les amusait et ils laissaient libre cours à leur
imagination qui se déployait chaque fois qu’ils venaient, comme si ce lieu leur apportait quelque chose
de magique. Ce jour-là, Alice voulait retourner au bassin de Cérès ; elle aimait ses formes et sa manière
de symboliser l’été. En y allant, elle aperçut un autre recoin. Elle vit alors que c’étaient les Bains
d’Apollon.
Cela faisait des mois qu’elle n’y avait pas été. La première fois qu’elle s’y était rendue, elle avait
trouvé le bosquet fabuleux et avait voulu y retourner à plusieurs reprises. Mais jamais elle n’avait
retrouvé ces bains, n’ayant pas fait attention à l’endroit exact où ils se trouvaient. En pénétrant dans le
bosquet, elle redécouvrit alors leur beauté. Assez fatiguée par sa marche, mais aussi ébahie devant la
splendeur des lieux, elle s’assit sur un banc, face aux bassins. Tout en contemplant la beauté du
paysage, elle sentit une torpeur soudaine s’emparer d’elle. Une sensation chaude et apaisante la fit se
laisser aller dans les bras de Morphée. Elle se sentait partir quand soudain, un vent frais caressa ses
petites joues rosées. Le vent lui apportait une odeur agréable, douce et envoûtante, lui donnant envie
de se laisser transporter. Elle se réveilla et sentit quelque chose de différent, comme si cette vague
l’avait transportée ailleurs. Le jardin lui paraissait différent, il avait l’air plus naturel. Plus la jeune fille
observait cette nature, plus elle s’aperçut du changement. Les arbres étaient plus petits, certains même
n’étaient plus présents. Leurs troncs semblaient plus fins tandis que le bassin se remplissait d’une eau
bien plus claire. La végétation elle-même paraissait moins dense, mais plus verte. Tous ces petits
changements heurtèrent la pensée d’Alice qui n’y fut pas insensible. Il lui paraissait étrange que ce lieu
ait changé à ce point. Mais peut-être n’était ce que son imagination qui lui jouait des tours ?
Décidée, elle se leva pour partir à la recherche de sa famille. Ils avaient sûrement dû s’inquiéter de son
absence lors de son étrange sommeil durant lequel elle avait perdu toute notion du temps. Elle
s’engagea dans les allées, et les parcourut tout en admirant le paysage qui lui semblait tout de même
changé, une fois de plus. Même le ciel avait l’air merveilleux. Il n’était plus de ce bleu profond mais on
pouvait percevoir quelques reflets rosés qui le parcouraient dans son immensité ; peut-être la nuit
Concours de nouvelles Versailles Lire au jardin 2013
approchait-elle ? Alice avait comme perdu ses repères…ni visiteur ni gardien ne se trouvaient à présent
dans le jardin. La panique s’empara d’elle ; elle avait dû dormir un si long moment que l’heure de
fermeture avait été dépassée. C’était l’été, les journées étaient bien plus longues et le soleil se couchait
bien plus tard. Il n’était d’ailleurs plus très haut dans le ciel, remarqua Alice avec un peu plus
d’attention. Le jour allait laisser place à la nuit, l’air semblait se rafraîchir à mesure qu’Alice avançait.
Ces lieux qui lui semblaient jadis si rassurants lui apparaissaient maintenant comme étranges.
Sa marche continuait lorsqu’elle entendit des bruits lointains. Elle prêta l’oreille plus attentivement et
repéra des sons de trompettes parmi un intense brouhaha festif. Ils semblaient venir du château. Ces
bruits étant désormais son seul repère avec l’extérieur, et elle s’élança dans la direction de ces
musiques.
Elle courait, attirée par ces sons et mourant d’envie de découvrir d’où ils provenaient. Parcourant les
allées, traversant les bosquets, elle avait pour seul but désormais d’atteindre le château. Il était encore
loin, avec tous ces jardins à traverser ! Et pourtant elle l’apercevait, dans toute sa grandeur par cette si
belle journée.
Soudainement, elle trébucha et sa tête se retrouva emmêlée dans des branches. Elle sortit sa
petite tête déboussolée de ces lauriers et regarda alors le sol, se demandant comment elle avait bien pu
faire pour tomber. Elle vit alors des racines dépassant du sol. Ce ne fut qu’au bout de quelques minutes
qu’elle se demanda si elle s’était fait mal. Son regard fut alors attiré sur ses genoux. Ils étaient rouges et
avaient l’air d’avoir assez mal subi le choc. Ce n’est qu’en s’en apercevant qu’elle commença alors à
sentir une vive douleur. Sa course vers le château s’était interrompue ; elle ne pourrait plus y aller aussi
rapidement. Elle commença à avoir peur car elle savait que l’évènement qui produisait cette musique et
ce brouhaha ne durerait pas indéfiniment et qu’elle n’arriverait peut-être pas à temps. L’idée selon
laquelle elle passerait la nuit dans le jardin au milieu de la nature – qui était certes peu sauvage à
Versailles mais qui restait très différente de son lit réconfortant de petite fille - commençait à
s’imprégner en elle.
Alice tenta de se lever mais la douleur fut si terrible qu’elle ne put faire le moindre pas. Elle
décida de se rasseoir et d’attendre. Sûrement un gardien viendrait faire un tour de garde, et puis sa
famille devait forcément s’inquiéter et avoir contacté les responsables ou bien même les secours. Mais
personne n’arrivait ; elle commençait à se sentir seule et perdue dans ce jardin. Dépitée, elle se mit à
observer le ciel : elle vit que la nuit commençait à tomber. Elle ne s’en était pas aperçue jusque-là,
tellement elle était ensorcelée par les bruits.
Alors elle remarqua que ces bruits s’était arrêtés laissant place à une mélodie dont elle reconnut le son.
C’était un sifflement. La nuit était tombée sur le jardin de Versailles, la lueur de la lune étincelait dans
l’eau des bassins ; la lumière des lucioles éclairait aussi les immenses allées de ce jardin. Alice ne perçut
alors plus cet endroit comme un lieu étrange mais merveilleux et féerique. La jeune fille entendit le
sifflement se rapprocher, et elle décida de se lever pour voir d’où le son provenait.
Elle entendit des craquements de branches et aperçut une silhouette. Sa curiosité la poussa à
aller à sa rencontre. Elle se trouva alors face à face avec un jeune homme. Il était grand, bien plus grand
qu’elle. Sa carrure semblable à celle d’un jeune homme laissait à penser qu’il était plus âgé qu’elle.
Cependant, quelque chose d’étrange la surprenait. Ce beau garçon était vêtu d’un costume suranné,
d’une mode ancienne, comme elle en avait pu voir dans ses livres d’Histoire. Alice voulut lui parler
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mais sa timidité la rendait soudainement muette. Aucun son ne parvenait à sortir de sa bouche. Puis
finalement, d’un air un peu bête, elle osa lui demander son nom.
« Vous ne me reconnaissez donc point ?, s’étonna-t-il. Pourtant je n’ai guère l’habitude de
devoir me présenter… Mais puisque vous me semblez étrangère au Château, au point d’en
méconnaître les usages, je veux bien vous avouer que je suis le fils du roi Louis XIV, Monseigneur le
Dauphin. Et vous, qui êtes-vous donc ? Que faites-vous, seule, dans ces allées ? »
- Eh bien, je m’appelle Alice, je me suis assoupie et j’ai perdu mes parents. Ils doivent être en
train de me chercher.»
Alice ne comprenait plus rien à cette étonnante situation : d’abord la parlure de ce personnage
lui semblait venir d’un autre siècle, et ses vêtements correspondaient bien avec l’époque de Louis XIV.
Elle songea alors à un spectacle que le château organisait pour le quatre-centième anniversaire d’André
Le Nôtre, le créateur des jardins. Serait-il un des comédiens, celui qui incarnerait le rôle du Dauphin
dans une mise en scène contemporaine, un « son et lumière » original ? Cela expliquerait pourquoi il
affirmait avoir cette identité, pourquoi il était ainsi vêtu, pourquoi il employait ce langage si désuet….
Elle repensa aux saynètes qu’elle s’était imaginées, avec ses parents et son frère, certains dimanches
pluvieux où ils fouillaient dans des malles, à la recherche de vieux accoutrements : elles
correspondaient si bien avec ce qu’elle était en train de vivre ! Elle eut un petit sourire en pensant se
retrouver, par la puissance de l’imagination, à cette lointaine époque.
Mais sa mémoire reprit le pouvoir dans son esprit, et elle revit par le souvenir les portraits du
Dauphin qu’elle avait pu observer au début de sa visite, dans certaines salles du château. La
ressemblance était flagrante. S’il était réellement un des comédiens, le casting avait été
remarquablement bien fait ! L’illusion théâtrale serait totale et les spectateurs se retrouveraient, grâce
aux talents de cette troupe de théâtre, pleinement immergés dans l’époque du Roi Soleil ! De plus Alice
trouvait un certain charme, sans doute dû à des années de pratique théâtrale, à ce soi-disant « Dauphin
». Il lui parut alors évident qu’il était en effet un simple comédien.
La coupant dans sa réflexion, le « Dauphin » la questionna :
« Vous étiez donc au dîner organisé dans la cour Royale par Sa Majesté le Roi tout à l’heure ?
Ne seriez-vous pas la fille au Comte de Neymerault ? »
Alice conclut qu’il jouait vraiment bien son rôle : elle parvint même à croire à ce beau
mensonge quelques instants de plus. Elle se promit de demander à ses parents, dès qu’elle les aurait
retrouvés, de réserver des places pour ce spectacle. Alors la jeune Alice esquissa un petit rire, décidant
de le suivre dans son jeu et de lui donner la réplique :
« Eh bien oui, j’y étais, Votre Altesse, et mon père est bien ce Comte dont vous me parlez.
J’apprécie beaucoup vos jardins ; ils m’impressionnent tant, que j’y resterais des heures entières.»
A ces mots, Le Dauphin se rapprocha soudainement et l’effleura doucement. Il était ébahi.
« Alice… Alice vous êtes… étonnante », s’émut-il.
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Il la regardait avec ses grands yeux verts, parcourait son visage, analysait chacun de ses traits
dans les moindres détails avec un air déconcertant. Alice ne savait que faire ; jamais un garçon ne
s’était comporté de cette manière avec elle. Elle décida de le laisser poursuivre, il s’en tenait
certainement à son rôle.
Le Prince lui prit la main et décida de lui montrer les plus beaux endroits du jardin. Ils
s’avancèrent dans les allées tout en poursuivant leur conversation. Chacun apprenait à faire la
connaissance de l’autre. A présent, Alice doutait que ce Dauphin soit en fait un comédien.
Elle songea qu’il ne pouvait pas avoir prévu leur rencontre : pourquoi s’aventurerait-il dans le jardin
avec elle, si cela constituait une scène ? La jeune fille ne pouvait pas répondre à toutes les
interrogations qui se pressaient dans son esprit. Elle se persuada tout de même de rester dans son jeu,
car cette histoire alimentait ces rêves de petite fille. Ils continuèrent à avancer dans les allées.
Du doigt, il lui montrait des oiseaux nocturnes qu’ils pouvaient distinguer dans la noirceur du
soir. C’était sous un tout autre angle que la jeune fille découvrait le jardin. Ce n’était plus en
compagnie de ses parents ni de son grand frère protecteur qu’elle s’y promenait mais en compagnie
d’un Prince, durant une magnifique soirée. Certes ce Prince n’en était peut-être pas vraiment un, mais
l’idée selon laquelle le Dauphin en personne lui tenait la main émerveillait Alice. Alors elle se mettait à
le vouvoyer, à jouer la Princesse. Elle sautillait dans sa petite robe rose ; on eût dit qu’elle était ici à sa
place, qu’elle était à son aise pour vivre à cette époque.
Alice ne pensait plus au fait que cet instant ne durerait pas éternellement ; elle profitait de
chaque seconde et s’amusait à redécouvrir chaque recoin du jardin. Elle ne voyait plus les choses de la
même manière.
Alice aperçut des roses. Certaines étaient si rouges, si éclatantes, d’autres au contraire d’une
blancheur immaculée… Jamais elle n’en avait vu de telles. Ces roses, si vivaces, rendirent Alice
obnubilée par la fantastique et surnaturelle couleur qu’elles dégageaient malgré la nuit. Emerveillée,
elle s’en approcha, toujours son Prince à ses côtés. Le Dauphin perçut à quel point Alice s’extasiait
devant ses fleurs et décida de lui en offrir une. Le Dauphin cueillit une rose blanche, puis une autre, la
plus belle, qu’il posa doucement dans sa main. Alice la saisit délicatement tout en remerciant son
Dauphin. Après en avoir apprécié toute la beauté, elle voulut sentir son parfum. Et sans la quitter des
yeux, elle la porta jusqu’à son nez.
Elle sentit alors un parfum à la fois doux et envoûtant s’emparer d’elle. Elle l’avait déjà senti
auparavant, lorsqu’elle s’était endormie. Ce parfum était enivrant, elle ne pouvait lâcher la rose ni
l’éloigner d’elle. C’était plus fort qu’elle. Elle se sentait repartir, s’endormir, mais ne pouvait résister
contre cette force agréable. Elle détacha ses yeux de la fleur un instant, cherchant son Prince des yeux.
L’image qu’elle avait de lui était floue, elle ne distinguait plus clairement ses traits. Elle retira alors la
rose blanche de ses cheveux et en effeuilla les pétales autour d’eux, dessinant un cercle fragile, mais
réel, qui les enserrerait. Elle percevait le regard que le Prince portait sur elle mais ne pouvait en
distinguer clairement l’éclat. Alors les fleurs n’eurent pour elle plus aucun intérêt ; elle s’inquiétait
seulement ce qu’adviendrait son Prince. Elle ne voulait le perdre pour rien au monde et s’accrochait
alors à ce qu’elle voyait de lui, tentant de garder son image nette. Elle se focalisait sur son regard, et
sentait les larmes monter en elle autant que la force qui la poussait loin d’ici. Le Prince devenait de plus
en plus flou, jusqu’à ne devenir plus qu’une vague silhouette claire parmi l’obscurité. Alors elle sentit
que c’était fini, et se laissa tomber.
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Elle ouvrit les yeux. Il faisait à nouveau jour, le soleil se levait sur le château ; avait-elle dormi
sur le banc toute la nuit ? Et c’est alors qu’elle se rappela très clairement ce qu’elle avait vécu. Mais
l’avait-elle vécu ou bien n’était-ce qu’un rêve ? Elle s’en rappelait bien plus clairement qu’elle ne se
souvenait de ses rêves habituellement, mais en même temps comment oublier un rêve pareil ? Il lui
avait paru si réel ! Elle avait pu ressentir tellement d’émotion ! Les souvenirs des parfums, des couleurs
et surtout celui de la douceur du Dauphin lui paraissaient être de vrais moments de bonheur. Il lui
semblait impossible que ce ne fût qu’un rêve. Et cela lui paraissait tout aussi impossible que ce moment
fût réel. Tout avait été tellement surnaturel dans ce monde ! Alice repensa alors à la possibilité que ce
Prince fût un comédien. Mais cette idée lui paraissait maintenant absurde, tant le Dauphin avait eu un
comportement digne de la personne qu’il affirmait être et tant son comportement avait été naturel. Il
était inconcevable qu’un comédien, même le meilleur, eût joué d’une telle manière.
De plus, cette idée selon laquelle un acteur aurait simplement joué la comédie avec elle ne lui plaisait
pas ; elle préférait penser qu’elle avait vécu un conte de fées avec son Prince.
A présent, elle ne voyait plus l’intérêt de se dépêcher de partir à la recherche de ses parents. Et
elle savait que cela ne servirait à rien d’essayer de retrouver son Prince, car elle sentait bien que les
éléments étaient revenus à leur place. Plus rien n’était comme la veille. Le bosquet des bains d’Apollon
avait retrouvé sa forme d’origine. Les arbres étaient redevenus bien plus grands. Tout avait changé, et
elle aussi avait grandi.
Alors elle passa sa main dans ses longs cheveux ébouriffés. Des pétales blancs jonchaient le sol
sablonneux de l’allée, jusqu’à la tige effeuillée d’une rose. Cette rose blanche était pour elle un signe, le
signe que son Prince avait existé ! Elle garderait pour elle le souvenir vivace de cette expérience unique
mais éphémère ; il n’appartenait qu’à elle et à son Prince, et elle ne souhaitait pas le partager. C’était
pour elle la plus merveilleuse histoire possible.
Régulièrement, comme à leur habitude, elle retourna visiter les jardins avec ses parents. Et à chaque
fois, elle s’éclipsa, toute seule, s’empressant de retourner dans son bosquet, espérant y retrouver celui
qu’elle avait aimé le temps d’une soirée. Jamais elle ne retrouva le charme de ces sensations
étonnantes, ailleurs que dans son souvenir.
Désormais, elle savait que chaque jour était unique et que le bonheur était aussi éphémère
qu’un pétale de rose.
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