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Vies consacrées, 84 (2012-2), 140-154
Le fait congréganiste français
du XIXe siècle au miroir
de la sainteté canonisée
Historien des congrégations féminines1, après avoir longuement scruté les textes de Thérèse de Lisieux2, j’ai co-organisé en
2010 un colloque consacré à l’ouverture du procès de béatification
de la carmélite (procès des années 1910-1911)3. Ce faisant, j’ai eu
la curiosité de chercher en quelle compagnie la jeune carmélite
avait été canonisée en 1925. Et j’ai été frappé de la présence
conjointe de deux fondatrices de congrégations du XIXe siècle, les
premières d’une longue liste à être portées sur les autels. Cette
coïncidence m’a conduit à un double questionnement∞∞: peut-on
compter ensemble les saints d’un même pays, d’une même
période, et plus précisément ici des saints et saintes du XIXe siècle∞∞?
Existe-t-il une conjoncture de la canonisation et, si oui, comment
est-elle observable et plus encore, que signifie-t-elle∞∞?
Trouver des réponses appropriées se heurte à des obstacles
de principe et de méthode. De principe d’abord. Si en effet on
peut comparer une congrégation de femmes à une autre, au
regard de son implantation ou de son activité, les saints ne
sont-ils pas incomparables dans leur singularité∞∞? On trouve
réponse à cette objection en rappelant l’existence d’une institution romaine (la Congrégation des Rites4) chargée de «∞∞faire∞∞» des
saints, selon une procédure minutieuse mise en place depuis
1634 par le pape Urbain VIII, dans la constitution Cælestis
Jérusalem∞∞; et tous les prétendants à la sainteté canonisée doivent
s’y plier, avant de trouver place dans le calendrier liturgique avec
1. Le catholicisme au féminin, Cerf, 1984. Réédition, 2012.
2. Quatre volumes au Cerf sous le titre général d’Écritures thérésiennes (2002-2011), et
deux études plus ciblées chez Jérôme Millon (2010-2011).
3. Voir, en attendant les actes du colloque, les articles de Dominique-Marie Dauzet et
de Claude Langlois dans Vie thérésienne, 204, oct-déc. 2011.
4. Remplacée depuis 1969 par la congrégation pour la cause des Saints
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les autres saints. De ce fait, il ne paraît pas déplacé d’examiner
ensemble une catégorie de saints∞∞: les historiens l’ont fait, depuis
une trentaine d’années5, mais plus pour la période médiévale et
moderne, et davantage en s’intéressant à l’histoire des saints
qu’à celle, plus tardive, de leur canonisation comme pratique
collective. La difficulté de méthode me paraît plus importante.
Pour avoir examiné de près un dossier de canonisation dans sa
phase initiale6, j’en vois mieux toute la richesse mais aussi toute
la complexité. Il est évidemment hors de question d’examiner,
au cas par cas, toutes les canonisations identifiées, d’autant plus
que la période prise en compte, celle des canonisations effectives, couvre les cent dernières années (1905-2009). Et ce siècle
reste largement terra incognita pour les historiens, sauf quelques
repères limités7. Cet article n’est donc que l’esquisse d’une
approche, non en termes de spiritualité, mais d’une histoire
même de la spiritualité, qui est encore, pour cette période, à
écrire.
Une liste impressionnante
Pour entrer rapidement dans le vif du sujet, je propose de partir de la liste des canonisations de saintes et saints du XIXe siècle.
Décès
Nom (Congrégation)
Bx/se
St/te
1923
1925
Pie XI (7 canonisations)
1897
Thérèse de l’Enfant Jésus (Thérèse Martin),
carmélite
1864
*Madeleine-Sophie Barat (Dames du Sacré-Cœur)
1908
1925
1846
*Marie-Madeleine Postel (Écoles chrétiennes de la
Miséricorde)
1908
1925
5. La thèse pionnière est celle d’André VAUCHEZ, La sainteté en Occident aux derniers
siècles du Moyen Âge (1198-1431), Rome, École française de Rome, 1981, rééditée en
1988.
6. Appelé procès ordinaire. Celui-ci consiste en l’audition de témoins sélectionnés,
dont l’organisation est confiée à l’évêque (l’Ordinaire) du lieu où le futur saint est
décédé.
7. Benoît PELLISTRANDI, «∞∞La sainteté contemporaine∞∞», Mélanges de la Casa de
Velasquez, 32-2, 2003, p. 165-184. Article consultable en ligne. On trouve des travaux
sur la politique de canonisation de Jean-Paul II.
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Claude Langlois
Décès
Nom (Congrégation)
Bx/se
St/te
1859
Jean-Marie Vianney, curé d’Ars
1905
1925
1834
*André-Hubert Fournet (Filles de la Croix-SaintAndré)
1926
1933
1879
Bernadette Soubirous, voyante de Lourdes
1925
1933
1826
*Jeanne-Antide Thouret (Charité de Besançon/La
Roche-sur-Foron)
1926
1934
Pie XII (6)
1868
*Marie-Euphrasie Pelletier (Bon Pasteur d’Angers)
1933
1940
1838
*Jeanne-Élisabeth Bichier des Ages (Filles de la
Croix-Saint-André)
1934
1947
1876
Catherine Labouré, voyante (Médaille Miraculeuse,
Paris)
1933
1947
1863
*Michel Garricoïts (Prêtres du Sacré-Cœur de Jésus)
1923
1947
1852
*Émilie de Rodat (Sainte Famille, Villefranche-deRouergue)
1940
1950
1856
*Emilie de Vialar (Saint-Joseph de l’Apparition)
1939
1951
1925
1962
1948
1967
Jean XXIII (1)
1868
*Pierre-Julien Eymard (religieux et religieuses du
Saint-Sacrement)
Paul VI (3)
1862
Pierre (Bénilde en religion) Romançon, frère des
Écoles chrétiennes
1816
*Julie Billiart (Sœurs de Notre Dame, Namur)
1906
1969
1885
*Thérèse Couderc (Cénacle)
1951
1970
1940
1988
Jean-Paul II (5)
1852
Philippine Duchesne (implante les Dames du
Sacré-Cœur au États-Unis)
1837
*Claudine Thévenet (Jésus-Marie, Lyon)
1981
1993
1861
*Eugène de Mazenod, évêque de Marseille (Oblats de
Marie Immaculée)
1975
1995
1840
*Marcellin Champagnat (Petits frères de Marie)
1955
1999
1914
*Léonie Aviat (Oblates de Saint-François de Sales)
1992
2001
Benoît XVI (3)
1856
*Saint-Théodore Guérin (Providence, Saint-Maryof-the-Woods, EU)
1998
2006
1898
*Marie-Eugénie Milleret de Brou (Assomption)
1975
2007
1879
*Jeanne Jugan (Petites sœurs des Pauvres)
1982
2009
* Fondateurs et fondatrices. Hommes en italiques
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On qualifie ici de saints seulement ceux que l’on désignait
ainsi habituellement, sans inclure les martyrs, canonisés massivement par Jean-Paul II8. On identifie comme français toute personne, née en France et y ayant vécu — française donc par sa
formation et sa culture — même si elle a fini sa vie ailleurs, en
Italie9, en Belgique, aux États-Unis. Enfin, un saint du XIXe siècle
est celui dont l’activité principale — qui joue un rôle prépondérant dans sa canonisation — a été exercée pour l’essentiel durant
ce siècle. La difficulté se situe évidemment aux extrémités de la
période. Julie Billiart est morte tôt dans le siècle (1816) mais a
fondé en 1803, dans le diocèse d’Amiens, les sœurs de NotreDame qui ensuite s’installeront de manière définitive dans celui
de Namur10. Et Léonie Aviat, décédée un siècle plus tard (1914),
a créé dès 1866 une congrégation qu’elle portera comme fondatrice.
La sainteté du XIXe siècle est officiellement reconnue durant
tout le siècle suivant∞∞: vingt-cinq canonisations, de 1925 à 2009.
La moyenne des délais entre mort et canonisation est juste de
100 ans11. On est en présence d’une évidente accélération des
procédures, au regard de la reconnaissance des saints de la
Réforme catholique dont trois connus sont encore portés sur les
autels par Pie XI de 1925 à 1930, près de trois siècles après leur
mort12. Mais la situation diffère au début et à la fin (provisoire)
du processus. Le délai moyen, pour les quatre premiers canonisés de 1925 est de 58 années. Certes la rapide canonisation de
Thérèse de Lisieux — obtenue en 27 ans — abaisse la moyenne,
mais celles de Sophie Barat et de Jean-Marie Vianney ont été
menées avec une relative célérité13. Preuve d’une réputation de
sainteté avérée, pour la jeune carmélite et le «∞∞saint∞∞» curé d’Ars,
8. Les seules Missions étrangères de Paris ont compté dix évêques et prêtres parmi les
103 martyrs de Corée canonisés en 1984, autant parmi les 117 martyrs vietnamiens
canonisés en 1988 et encore neuf de leurs membres parmi les 120 martyrs chinois
canonisés en 2000. Pareillement, nous n’avons pas inclus ici le mariste Pierre–Louis
Chanel, martyrisé en 1841 à Futuna et canonisé en 1954 par Pie XII.
9. C’est le cas de la fondatrice de la Charité de Besançon, interdite de séjour dans son
diocèse d’origine et décédée à Naples.
10. La Belgique était alors incorporée dans l’Empire français.
11. H∞∞: 106∞∞; F∞∞: 97. La différence n’est pas significative. La médiane est proche, 94 ans.
12. Jean Eudes et Pierre Canisius (1925), Robert Bellarmin (1930). Délai moyen,
294 ans.
13. Respectivement, 61 et 66 ans.
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mais aussi d’une volonté de faire aboutir vite les premières canonisations de fondatrices. A l’inverse, le délai moyen des trois
dernières canonisations de Benoît XVI est de 130 ans. Deux
raisons au moins à ces retards. Pour sœur Saint-Théodore
Guérin14, comme plus tôt pour Philippine Duchesne15, la canonisation tardive — mais accélérée dans son processus — est liée
à une volonté de Jean-Paul II d’offrir aux catholiques américains
des saints autochtones, même s’ils sont issus de l’émigration. La
situation est différente pour Jeanne Jugan, à l’origine des Petites
sœurs des pauvres∞∞: il a fallu du temps pour faire admettre par sa
propre congrégation et par Rome qu’une domestique charismatique, tôt écartée de toute fonction, pouvait être considérée
comme une fondatrice à part entière16.
Cette sainteté nouvelle, comme l’ont montré les exemples
déjà indiqués, s’écrit résolument au féminin∞∞: dix-huit saintes
pour sept saints, soit près de trois femmes pour un homme. Une
telle suprématie, assez rare pour être soulignée, s’explique avant
tout par le poids des congrégations féminines nouvelles. Sur dixhuit saintes reconnues, on compte quatorze fondatrices∞∞; mais
aussi, sur les sept saints, deux sont fondateurs de congrégations
féminines17. Par ailleurs, le fait congréganiste féminin déborde
le cas, déjà très majoritaire, des fondatrices∞∞: en effet, parmi les
quatre autres femmes portées sur les autels, on trouve une dame
du Sacré-Cœur (Philippine Duchesne) ayant tôt18 implanté
plusieurs communautés de son ordre aux États-Unis et deux
sœurs de charité, bénéficiaires d’apparitions mariale, Catherine
Labouré, alors qu’elle était au noviciat parisien des filles de la
Charité (1830), et Bernadette Soubirous, la voyante de Lourdes
(1858), devenue religieuse chez les sœurs de Nevers19. Au milieu
14. Délai de 150 ans.
15. Délai de 130 ans.
16. C. LANGLOIS, Catholicisme, religieuses et société. Le temps des bonnes sœurs
(XIXe siècle), DDB, 2011, p. 187-210.
17. Même si l’un d’entre eux, Pierre-Julien Eymard, fonde deux familles religieuses
distinctes∞∞: à Paris, en 1856, la Société du Saint-Sacrement, et à Angers, en 1864, la
Société des Servantes du Saint-Sacrement.
18. Elle appartient à la nouvelle congrégation des Dames du Sacré-Cœur et arrive en
Louisiane en 1818.
19. Le rapport des deux voyantes à leur congrégation est différent. Pour Catherine
Labouré, ce sont les Lazaristes qui s’appuient sur des visions de Catherine encore
novice (une Vierge au globe, 1830), pour susciter une médaille protectrice qui deviendra
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de toutes ces femmes, issues de congrégations actives, pour la
plupart fondées au XIXe siècle, la carmélite Thérèse de Lisieux
fait vraiment figure d’exception.
Un cas demeuré discret
Or cette suprématie des nouvelles congrégations déborde
largement le cas de la France, comme on peut le constater en
examinant tous les dossiers de canonisation du XIXe siècle20,
dont la grande majorité n’a pas abouti21. Sur plus de 500 candidats à la sainteté, 400 sont morts entre 1850 et 1899. La balance,
pour le siècle, est de 55% d’hommes et de 45% de femmes22. Cette
féminisation des prétendants à la sainteté s’explique également
par la part prépondérante des fondatrices de nouvelles congrégations, qui représentent à elles seules les deux tiers des femmes.
Et le fait congréganiste féminin concerne aussi des fondateurs
puisque 30% des candidats à la sainteté, le plus souvent des religieux, parfois des laïques, sont impliqués dans la fondation de
congrégations de femmes. Le fait congréganiste féminin est
immédiatement italien autant que français23∞∞; puis, au fil des
années, le phénomène s’étend à une catholicité qui reste largement européenne (Espagne, Irlande, Pologne24) et timidement
américaine (surtout le Québec).
L’émergence des fondatrices — et fondateurs — de familles religieuses du XIXe siècle, inscrit dans un processus de canonisation
la médaille miraculeuse (1832). La bénéficiaire de cette vision ne sera connue qu’après
sa mort en 1876. Pour Bernadette Soubirous, il s’agit de trouver à la voyante de Lourdes
une famille religieuse d’accueil pour échapper aux risques de médiatisation. Elle choisit une congrégation de sœurs de Charité, largement présente dans le Sud-Ouest,
plutôt qu’une nouvelle congrégation enseignante, créée au XIXe siècle, les sœurs de la
Croix-Saint-André… dont le fondateur sera canonisée en même temps qu’elle.
20. Vu le grand nombre de dossiers, on a seulement retenu les personnes décédées
avant 1900.
21. Sur les 95 Français décédés entre 1850 et 1899, pour lesquels un procès a été ouvert,
on aboutit à 32 béatifications et 18 canonisations. Le «∞∞taux de réussite∞∞» est d’un bon
tiers.
22. Le parfait équilibre des sexes est atteint pour les trois dernières décennies.
23. En fait sur les 49 saints canonisés, décédés dans la seconde moitié du XIXe siècle,
— en dehors des martyrs —, on compte 22 italiens, 14 français et 13 autres provenant
de divers pays.
24. Même si la Pologne comme telle n’est pas un État au XIXe siècle
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relancé par Pie IX et Léon XIII25, s’opère en deux temps∞∞: pour les
premières béatifications, en 1906-1908, sous Pie X, et en 19251926, sous Pie XI, pour les premières canonisations et des béatifications nouvelles. Les premières fondatrices proclamées
bienheureuses, sont, en 190626, Julie Billiart27, et, en 1908, MarieMadeleine Postel et Madeleine-Sophie Barat. Ces deux dernières
sont à l’origine d’importantes congrégations enseignantes, l’une
normande (Écoles chrétiennes de la Miséricorde28), l’autre internationale (Dames du Sacré-Cœur29). En 1925, ces deux fondatrices sont canonisées30, les premières d’une longue lignée∞∞; et en
1925-1926, a lieu aussi la béatification de deux fondateurs (PierreJulien Eymard et André-Hubert Fournet31) et d’une autre fondatrice (Jeanne-Antide Thouret32). Le mouvement est lancé. Et
pourtant ces premières fois, comme les suivantes, ne paraissent
pas avoir suscité de grandes manifestations, sinon dans les
familles religieuses et dans leurs entourages proches. Et ces fondatrices, présentement, n’ont pas acquis une forte notoriété33.
Aussi est-il nécessaire de s’interroger∞∞: si l’émergence d’une nouvelle catégorie de saintes — des femmes qui fondent leur propre
congrégation — est un phénomène important, la reconnaissance
de celles qui ont assumé avec succès cette lourde charge ne paraît
pas avoir été au rendez-vous.
25. Pie IX, 54 (dont 23 martyrs japonais)∞∞; Léon XIII, 18∞∞;Pie X, 4∞∞; Benoît XV, 3, Pie XI,
34.
26. Cette première béatification est à rapprocher de la Constitution Conditæ a Christo
(1900), premier document romain traitant nommément des congrégations à vœux
simples, cadre canonique dans lequel s’inscrivent les nouvelles congrégations féminines.
27. cf supra.
28. Sa maison-mère est à Saint-Sauveur-le-Vicomte, dans le diocèse de Coutances.
Quand le diocèse voisin de Bayeux doit s’occuper, à partir de 1909, du procès de
Thérèse de Lisieux, ses responsables prendront langue avec un prêtre de ce diocèse
ayant œuvré à la béatification (1908) de Marie-Madeleine Postel.
29. Il s’agit de deux congrégations tôt créées, en 1806 et 1800. Les deux fondatrices
sont décédées respectivement en 1846 et en 1864.
30. Julie Billiart plus tardivement, en 1969.
31. Canonisé en 1933.
32. Canonisée en 1934.
33. La quête de notoriété est fondamentale dans le procès de canonisation, elle est
connue sous le nom de réputation de sainteté examinée soigneusement du vivant du
saint potentiel et plus encore après sa mort.
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Deux années particulières
Pour essayer de comprendre ce paradoxe, il me paraît intéressant de regarder de plus près les deux années 1920 et 1925 qui
constituent deux moments privilégiés où la sainteté française est
mise à l’honneur. En 1920, au sortir d’une guerre au cours de
laquelle les initiatives de paix de Benoît XV, en 1917, avaient été
très froidement accueillies par les belligérants, notamment en
France, le pape canonise Jeanne d’Arc, l’héroïne nationale, ainsi
que Marguerite-Marie Alacoque, la Visitandine qui avait donné
un grand essor à la dévotion au Sacré-Cœur. Les Filles de la charité, la première famille de «∞∞filles séculières∞∞», qui a servi de
modèle aux fondations du XIXe siècle, est aussi honorée par la
béatification de leur fondatrice, Louise de Marillac, et par celle de
sœurs guillotinées en 1794, en même temps que des Ursulines.
La promotion française de 1925 est plus impressionnante.
C’est l’année sainte, occasion des premières canonisations de Pie
XI. Présentons-les dans l’ordre chronologique34 qui paraît avoir
été soigneusement voulu∞∞: Thérèse de Lisieux au premier rang,
«∞∞l’étoile de mon pontificat∞∞», répétera Pie XI∞∞; puis les deux fondatrices, Marie-Madeleine Postel et Madeleine-Sophie Barat∞∞; enfin,
ensemble également, Jean Eudes, fondateur des Eudistes35, et le
curé d’Ars36. Les bienheureux, également à l’honneur, ouvrent et
ferment la marche de ce cortège sans équivalent. En tête, les religieuses martyres d’Orange (1794)37∞ ; et en queue, Bernadette Soubirous, la voyante de Lourdes∞∞; Jean de Brébeuf et ses compagnons
jésuites, martyrs de la nouvelle France38∞ ; enfin Pierre-Julien
34. Respectivement les 17, 24 et 31 mai.
35. Mais aussi des sœurs de Notre-Dame de charité qui s’occupant de femmes de
«∞∞mauvaise vie∞∞».
36. Dans l’encyclique Quas primas du 11 décembre 1925, proclamant la fête du ChristRoi, Pie XI récapitule les fastes religieux de l’année sainte∞∞: «∞∞Voici les canonisations,
où Nous avons décerné, après la preuve éclatante de leurs admirables vertus, les honneurs réservés aux saints, à six confesseurs ou vierges∞∞». Aux cinq canonisés d’origine
française, il faut ajouter Pierre Canisius. La sainteté contemporaine (celle du
XIXe siècle) s’impose de manière collective. Toutefois, deux saints du XIXe ont été canonisés plus tôt, le rédemptoriste autrichien Clément-Marie Hoffbauer, mort en 1820,
canonisé en 1909, et l’italien Gabriele dell’Addolorata, mort en 1862 et canonisé en
1920. Si le premier est à cheval sur deux siècles, le second appartient pleinement au
XIXe siècle.
37. Le 10 mai.
38. Le 5 juillet 1925, Pie XI béatifiait 103 martyrs de la Corée.
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Eymard, fondateur d’une congrégation eucharistique de prêtres
et de sœurs (Servantes du Saint Sacrement39). L’année 1926
apporte encore sa part de bienheureux, un fondateur (AndréHubert Fournet) et une fondatrice (Jeane-Antide Thouret), mais
surtout les 191 prêtres et religieux «∞∞martyrs de Septembre∞∞» (1792)
auxquels il faut adjoindre le prêtre angevin Noël Pinot.
Cette reconnaissance collective de 1920 et 1925 sert de repère
commode pour mieux comprendre la conjoncture complexe de
la canonisation au début du XXe siècle. Le premier point à souligner est, pour la France, l’importance de Jeanne d’Arc40, canonisée en 1920 et, dans le même temps, reconnue par les parlementaires français comme héroïne nationale. Mais l’apogée de son
culte a coïncidé avec sa béatification en 1909. Jeanne d’Arc est
une héroïne célébrée autant par les Laïcs que par les Catholiques,
par les Républicains que les Royalistes. Dès le second Empire, les
Catholiques se la réapproprient quand Mgr Dupanloup, évêque
d’Orléans, ouvre son procès. En 1894, Léon XIII la déclare vénérable, manière d’encourager le «∞∞ralliement∞∞» des Catholiques à
la République. Les étapes vers la canonisation sont très suivies
de fidèles aussi différents que Thérèse de Lisieux qui lui consacre
deux pièces (1894 et 1895) et Charles Péguy qui commence à
écrire sa première Jeanne d’Arc au même moment. La béatification de 1909 s’inscrit aussi dans un contexte de nationalisme
exacerbé41. La gloire durable de Jeanne a eu comme effet de reléguer au second plan les nouvelles figures de fondatrices, qui
émergeaient en 190842.
Une sainteté au féminin∞∞?
La difficulté de prendre conscience de la nouveauté des
saintes fondatrices du XIXe siècle provient plus encore de la
39. Respectivement les 2 juin, 21 juin et 3 août.
40. Philippe MARTIN (éd.), Jeanne d’Arc. Les métamorphoses d’une héroïne, Nancy,
Éditions Place Stanislas, 2009.
41. On en trouve des échos dans la liturgie de Jeanne aux résonances guerrières, qui
use volonté de figures comme Judith.
42. On peut en prendre la mesure par les publications cumulées des années 1908-1910
dans les bibliothèques publiques françaises∞∞: Jeanne d’Arc, 515 ouvrages∞∞; Jean Eudes,
41∞∞; le curé d’Ars, 27 (mais 40, en 1905 l’année de sa béatification )∞∞; Sophie Barat, 22∞∞;
Marie-Madeleine Postel, 11.
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prééminence durable des saints de la Réforme catholique, exaltés depuis le début du XVIIe siècle43∞∞: on en a la preuve avec les
canonisations tardives de Marguerite-Marie Alacoque (1920) et
de Jean Eudes (1925). Cette prééminence se manifeste de manière
très visible dans une collection de qualité — «∞∞Les saints∞∞» — qui
paraît à partir de 189744 en prenant en compte l’ensemble de la
sainteté catholique depuis la Vierge Marie45. On y trouve, sans
surprise, Vincent de Paul et François de Sales, en compagnie de
figures moins connues mais plus récemment portées sur les
autels. Benoît Labre [190846] et Grignion de Montfort [1903] ont
été canonisés respectivement vingt et quinze ans plus tôt∞∞; Jeanne
de Lestonnac [1904] vient d’être béatifiée en 1900. Pour JeanBaptiste de la Salle canonisation et Vie du nouveau saint coïncident [1900]. L’éditeur parfois anticipe une sanction romaine qui
tarde∞∞: pour Jean Eudes [1907], la biographie paraît deux années
avant la béatification, et pour Louise de Marillac [1911] et Marguerite-Marie Alacoque [1912], elles précèdent la sanction
romaine de près de dix ans. Et que dire de la Vie de la royale carmélite Louise de France [1907] dont le procès s’ouvre seulement
à Rome… mais n’aboutira pas?
Certes, dans cette même collection, on trouve quelques
nouvelles figures du XIXe siècle. Avec des décalages significatifs∞∞:
La Vie de la fondatrice du Sacré-Cœur, Mère Barat [1909] suit de
près sa béatification; par contre celle de Marie-Madeleine Postel,
dont la congrégation n’a pas la même notoriété, doit attendre
[1917]. L’ouverture d’un procès suffit parfois à mobiliser des
plumes impatientes, ainsi pour Anne-Marie Javouhey [1909] et
pour Émilie de Rodat [1912]. Mais ces anticipations de décisions
souhaitées ne suffisent pas à assurer la promotion des saintes d’un
nouveau type47, d’autant plus que Pie XI n’entend pas abandonner
l’exaltation de la Réforme catholique, comme en témoignent les
43. Comme en témoignent les canonisations de Charles Borromée (1610) ainsi que
celles d’Ignace de Loyola et de Thérèse d’Avila (1622).
44. Chez l’éditeur parisien V. Lecoffre.
45. Présentation de la collections par Christian SORREL, «∞∞La sainteté entre hagiographie et histoire∞∞», Gérard CHOLVY (éd.), La sainteté, 1999, Montpellier, p. 9-10.
46. Entre crochets […] la date de parution de la vie du saint.
47. D’autant plus que l’écriture hagiographique, qui se veut aussi rigoureusement
critique, gomme les différences d’un saint à l’autre.
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canonisations de Pierre Canisius (1925) et de Robert Bellarmin
(1930) pour permettre leur immédiate promotion au rang de docteur de l’Église, en compagnie de Jean de la Croix (1926).
Mais la concurrence vient paradoxalement du renouveau du
culte des martyrs. La nouvelle mission du XIXe siècle a contribué
à raviver la mémoire des fondations glorieuses du catholicisme
sur les traces de François Xavier, notamment au Japon48. Les violences subies, à partir des années 1840, par des missionnaires
français, dans les nouveaux terrains de la mission asiatique et
océanienne aboutissent aux premières béatifications de martyrs
du XIXe effectués dès la fin du siècle49, bien avant la reconnaissance des nouvelles fondatrices. Mais surtout, ce nouveau culte
des martyrs missionnaires réveille une lecture conflictuelle de la
Révolution, renforcée par la victoire des Républicains dans les
années 188050. Les Catholiques français trouvent bientôt l’appui
de Rome pour exalter les «∞∞martyrs∞∞» de la Révolution, d’autant
plus facilement que les conflits du début du XXe siècle — interdiction d’enseigner pour les congrégations (1904), rupture du
concordat par la loi de Séparation (1905) — ravivent des souvenirs toujours à vif. Si la quête des «∞∞martyrs∞∞» de la Révolution s’est
d’abord polarisée sur ceux de Septembre 1792, la lourdeur de ce
dossier n’a permis son aboutissement qu’en 1926, alors que la
France et la papauté venaient de sceller leur réconciliation. Mais
dès 1906, Pie IX a su peser avec ces armes spirituelles dans le
confit avec la République en proclamant la première béatification des victimes de la Révolution, les Carmélites de Compiègne.
La béatification des religieuses martyres de la Révolution continuera en 1920 et en 1925, au bénéfice de Filles de la Charité,
d’Ursulines et de Sacrementines.
Ces célébrations, étalées sur vingt ans, de 1906 à 1926, sont
l’occasion de rappeler la nocivité de la Révolution française, à
48. La canonisation par Pie IX, en 1862, des martyrs de Nagasaki (1597) a constitué le
point de départ d’une politique qui s’étendra bientôt aux martyrs de la nouvelle
mission.
49. Jean-Gabriel Perboyre, tué en Chine (1840) et Pierre-Louis Chanel, en Océanie
(1841), sont béatifiés en 1889 par Léon XIII, vingt ans avant les premières fondatrices.
Sur la place des martyrs dans les canonisations ultérieures, Bernard ARDURA, «∞∞Béatifications et canonisations au XXe siècle∞∞», Gérard CHOLVY, Op. cit., p. 223-237.
50. La célébration du 14 juillet comme fête nationale date de 1880.
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Le fait congréganiste français de la sainteté canonisée
travers l’exaltation de ses victimes. Or ce temps des martyrs
révolutionnaires coïncide exactement avec le moment où s’opère
l’émergence, par la béatification et la canonisation, des fondatrices des nouvelles congrégations de femmes. Les polémiques
que suscite l’établissement de ce nouveau martyrologe rendent
plus malaisée la compréhension de la nouveauté introduite par
les fondatrices dans la France postrévolutionnaire. De tels
procès, de plus, montrent l’importance de ne pas négliger le
contexte politique. Ce fut également le cas pour la béatification
des trois fondatrices de congrégations enseignantes, en 1906 et
1908, au lendemain de la loi de 1904, interdisant l’enseignement
congréganiste. La célébration, en 1906, de la fondatrice d’une
congrégation d’origine française installée à Namur était une
manière pour Rome de remercier la Belgique51 qui servait de
refuge aux congrégations françaises. En 1908, la béatification de
la fondatrice des Dames du Sacré-Cœur, Sophie Barat, s’opère
dans une France que les 2500 religieuses de cet ordre ont presque
toutes quittée depuis 1903, pour faire des fondations ailleurs52.
Il ne restait de cet ordre prestigieux que quelques sœurs pour
fermer les ultimes maisons, en Bretagne et en région parisienne53.
Manière détournée, pour Rome, de protester. La canonisation de
1925 coïncidera avec la réouverture de certains pensionnats en
France.
Faisons retour, une dernière fois, à la promotion de 1925. Ce
n’est plus, comme en 1909, Jeanne d’Arc qui accapare toute l’attention des fidèles, mais bien Thérèse de l’Enfant-Jésus, au plus
haut de sa gloire, et aussi — il ne faut pas l’oublier — Jean-Marie
Vianney. Et Pie XI entend utiliser la popularité de ces nouveaux
saints français en les donnant en exemple à la catholicité, faisant
en 1927, de la carmélite de Lisieux, la patronne des missions, et,
en 1929, du curé d’Ars, le modèle de tous les curés. Ultime effet
d’occulter la nouveauté congréganiste.
51. La congrégation belge s’était aussi tôt ouverte au nouveau monde (États Unis,
1840) et plus tard à l’Afrique (Congo belge, 1894).
52. Chantal PAISANT∞∞: «∞∞Quand résister c’est faire le choix du départ. La Société du
Sacré-Cœur∞∞», P. CABANEL (dir.), Lettres d’exil 1901-1909, Brepols, 2008, p. 174-176.
53. Les dernières sœurs encore présentes y célébrèrent la nouvelle bienheureuse.
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En termes de «∞∞gender∞∞»
Mais cette conjoncture mouvementée n’explique pas tout.
Une analyse en terme de gender54 pourrait apporter ici quelque
lumière. Les familles religieuses les plus anciennes désignent
leur fondateur au masculin, Benoît, François — même s’il y eut
Claire — Dominique, Ignace. Avec la Réforme catholique, on voit
apparaître des couples fondateurs, mais la reconnaissance de
l’efficace présence d’une femme à côté du fondateur, fut lente à
se manifester∞∞: Jeanne de Chantal est canonisée en 1767, un
siècle après François de Sales∞∞; Louise de Marillac, qui a œuvré
aux côtés de Vincent de Paul, seulement en 1934∞∞; quant à Alix Le
Clerc, qui a secondé Pierre Fourrier, elle doit se contenter d’une
tardive béatification en 1947. Cette présence d’un couple fondateur se retrouve pour la nouvelle congrégation des sœurs de la
Croix-Saint-André où la canonisation du fondateur, AndréHubert Fournet (1933) précède celle de la fondatrice, JeanneÉlisabeth Bichier des Ages (1947).
Mais ce modèle duel de l’époque moderne disparaît quand les
femmes occupent, au XIXe siècle, une place de fondatrice à part
entière. Et Rome ratifie ce modèle par la canonisation des fondatrices tout en marquant quelque remords qui se manifeste par la
présence tardive de quelques fondateurs reconnus comme bienheureux, tels Pierre-François Jamet en 1987 (Bon sauveur de
Caen), Guillaume Chaminade en 2000 (Marie Immaculée) et
Pierre Bonhomme en 2003 (Notre-Dame du Calvaire). Mais cette
prééminence féminine a un prix, l’obscurité relative des fondatrices féminines. Pour importantes que soient ces nouvelles
congrégations, celles-ci ne possèdent pas, à Rome et dans la
catholicité, les relais que fournit l’appartenance à un grand ordre55.
54. Le terme est ici utilisé selon le sens qu’il prend dans les sciences sociales, l’analyse
selon le rapport des sexes.
55. Le succès de Thérèse est ainsi facilité par le choix d’un postulateur carme. La promotion de nouveaux saints du carmel s’opère dans une conjoncture qui reste à préciser. La béatification de la fille de Louis XV, Louise de France, avait au début du siècle
de forts soutiens, mais cette cause fut éclipsée par la béatification soudaine des carmélites de Compiègne et par la rapide montée en puissance d’une carmélite, issue
d’une famille bourgeoise, Thérèse de Lisieux, plus en phase avec le recrutement
du XIXe siècle et avec la nouvelle conception de la spiritualité. De son côté, la jeune
carmélite italienne de Florence, Thérèse Marguerite Redi, morte en 1770, dut attendre
la fin du cycle thérésien (1927) pour être à son tour béatifiée (1929).
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Le fait congréganiste français de la sainteté canonisée
Il est délicat, pour conclure, de s’interroger sur la signification
d’un phénomène que de judicieux observateurs ont, chacun à
leur manière, analysé. André Vauchez constatait en 1988, dans sa
thèse pionnière, une pratique de longue durée, du Moyen-Âge
à nos jours∞∞: à quelques exceptions près (martyrs africains ou
asiatiques), remarquait-il, «∞∞la sainteté catholique s’est développée de façon presque exclusive dans le cadre des “∞∞Instituts de
perfection∞∞” c’est-à-dire des ordres et des congrégations religieuses∞∞»56. Et le changement, constaté avec la promotion des
fondatrices des congrégations du XIXe siècle, s’inscrit sans peine
dans cette continuité. D’où cette question, posée à l’aube du
XXe siècle, par Dominique-Marie Dauzet∞∞: «∞∞Pourquoi une fondatrice de congrégation du XXe siècle dans un diocèse italien ou
espagnol — aujourd’hui totalement inconnue, sinon par
quelques centaines de ses filles ou de ses compatriotes — devraitelle être béatifiée plus volontiers qu’un maçon, un médecin ou
un chef d’entreprise qui a vécu dans la fidélité — parfois coûteuse, voire héroïque — à son baptême∞∞?∞∞»57. En effet, la sainteté
canonisée, malgré le changement de modèle, prôné par Vatican
II58, demeure très liée à une conception traditionnelle selon
laquelle les instituts religieux qui se donnent justement comme
finalité d’adopter un type de vie parfaite, sont les terreaux naturels de production de la sainteté canonisée. Ce qui laisse peu de
place aux séculiers, encore moins aux laïques.
Concluons
Au premier chef, la fabrication des saints ne peut se séparer
de modèles ecclésiologiques qui la fonde∞∞: la volonté récente de
porter les papes contemporains sur les autels en est une preuve
qui ne trompe pas. Mais dans le même temps, celle-ci obéit à une
logique bureaucratique qui reste, dans toutes ses étapes, largement hors de contrôle des fidèles qui ne peuvent intervenir que
56. André VAUCHEZ, op.cit., 1988, p. 36.
57. D.-M. DAUZET, «∞∞Faut-il encore canoniser∞∞?∞∞», Communio, 37 (5-6), 2002, p. 105.
58. Constitution Lumen Gentium, chapitre V.
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ponctuellement dans son processus59. Dans le même temps, le
processus de canonisation est une des modalités à travers lesquelles l’Église catholique écrit ou réécrit sa propre histoire en
usant de filtres qui laissent néanmoins apparaître certaines
innovations, comme une plus grande égalité des sexes. De ce fait,
les canonisations oscillent entre la ratification de figures d’intercesseurs, portées par une demande populaire, et la volonté de la
reconnaissance du rôle que des groupements spécialisés occupent dans l’Église. Tension classique entre le charismatique et
l’institutionnel, mais avec un net infléchissement au bénéfice du
second.
✍ Claude LANGLOIS,
Vincennes (France)
[email protected]
Quand un historien chevronné s’intéresse à la sainteté canonisée dans les
cent dernières années, quelques interrogations apparaissent, à propos
d’une sainteté qui s’écrit au féminin, grâce au fait congréganiste, mais se
trouve finalement peu reconnue, pour les motifs ici exposés. Certaines
innovations apparaissent pourtant, mais elles laissent intact l’infléchissement vers la reconnaissance de personnes ou de groupes institutionnellement constitués, quoiqu’il en soit du changement de modèle offert par
le Concile Vatican II.
59. Le dernier cas en date a été la dénonciation de l’antisémitisme du Père Dehon qui
a conduit Benoît XVI à suspendre in extremis sa béatification en 2005.
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