Lettres choisies - Livret du professeur

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Lettres choisies - Livret du professeur
Classiques
& Contemporains
Madame de Sévigné, Voltaire,
Diderot, George Sand
Lettres choisies
LIVRET DU PROFESSEUR
établi par
F RANÇOIS T ACOT
professeur de Lettres
SOMMAIRE
DOCUMENTATION COMPLÉMENTAIRE
Autres textes des quatre épistoliers :
Madame de Sévigné ........................................................................................ 3
Diderot ...................................................................................................................... 4
Voltaire ..................................................................................................................... 5
George Sand .......................................................................................................... 8
Bibliographie complémentaire ................................................................ 9
© Éditions Magnard, Classiques et Contemporains, 2011
POUR COMPRENDRE :
quelques réponses, quelques commentaires
Étape 1 Écrire pour éduquer .................................................................. 11
Étape 2 La lettre, un genre littéraire ............................................... 13
Étape 3 La plume comme arme politique ...................................... 14
Étape 4 Des lettres pour aimer ............................................................. 15
Étape 5 De l’Ancien Régime à la République ............................ 16
Étape 6 Des lettres pour dire sa foi .................................................. 18
Étape 7 La langue française
dans la littérature épistolaire ........................................... 18
Conception : PAO Magnard, Barbara Tamadonpour
Réalisation : Nord Compo, Villeneuve-d’Ascq
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DOCUMENTATION COMPLÉMENTAIRE
Autres textes des quatre épistoliers
Afin de pouvoir, si cela est nécessaire, approfondir le propos, voici d’autres
textes des quatre épistoliers.
• Madame de Sévigné
Lettre à Mme de Grignan (12 juillet 1671), in Lettres, Flammarion, coll.
« GF », n° 282, 1976.
© Éditions Magnard, Classiques et Contemporains, 2011
L’amour de la belle langue, du style, se dévoile dans ces lignes et ces préoccupations feront écho aux mêmes désirs – accompagnés de regrets – chez
Voltaire. S’y ajoute l’admiration pour le progrès – d’essence divine – que
constitue l’efficacité des Postes.
[…] Avez-vous la cruauté de ne point achever Tacite ? Laisserez-vous
Germanicus au milieu de ses conquêtes ? Si vous lui faites ce tour, mandez-moi
l’endroit où vous serez demeurée, et je l’achèverai, c’est tout ce que je puis faire
pour votre service. Nous achevons le Tasse avec plaisir, nous y trouvons des
beautés qu’on ne voit point quand on n’a qu’une demi-science. Nous avons
commencé la Morale, c’est de la même étoffe que Pascal. À propos de Pascal,
je suis en fantaisie d’admirer l’honnêteté de ces messieurs les postillons, qui
sont incessamment sur les chemins pour porter et reporter nos lettres ; enfin,
il n’y a jour dans la semaine qu’ils n’en portent quelqu’une à vous et à moi ; il
y en a toujours et à toutes les heures par la campagne. Les honnêtes gens ! qu’ils
sont obligeants et que c’est une belle invention que la poste, et un bel effet de
la Providence que la cupidité ! J’ai quelquefois envie de leur écrire pour leur
témoigner ma reconnaissance, et je crois que je l’aurais déjà fait, sans que je me
souviens de ce chapitre de Pascal, et qu’ils ont peut-être envie de me remercier
de ce que j’écris, comme j’ai envie de les remercier de ce qu’ils portent mes
lettres, voilà une belle digression.
Je reviens à nos lectures, et sans préjudice de Cléopâtre que j’ai gagé d’achever vous savez comme je soutiens mes gageures. Je songe quelquefois d’où vient
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la folie que j’ai pour ces sottises-là ; j’ai peine à le comprendre. Vous vous souvenez peut-être assez de moi pour savoir que je suis assez blessée des méchants
styles ; j’ai quelque lumière pour les bons, et personne n’est plus touchée que
moi des charmes de l’éloquence. Le style de la Calprenède est maudit en mille
endroits de grandes périodes de roman, de méchants mots, je sens tout cela.
J’écrivis l’autre jour une lettre à mon fils de ce style, qui était fort plaisante. Je
trouve donc qu’il est détestable, et je ne laisse pas de m’y prendre comme à de
la glu. La beauté des sentiments, la violence des passions, la grandeur des événements, et le succès miraculeux de leur redoutable épée, tout cela m’entraîne
comme une petite fille ; j’entre dans leurs affaires ; et si je n’avais M. de la
Rochefoucauld et M. d’Hacqueville pour me consoler, je me pendrais de trouver encore en moi cette faiblesse. […]
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• Diderot
Lettre à Sophie Volland (9 septembre 1762), in Lettres à Sophie Volland,
Gallimard, coll. « Folio Classique », n° 1547, 1984.
Lettre à rapprocher de celle adressée à la princesse de Nassau-Sarrebruck
et de celles de George Sand concernant l’éducation de Solange et Maurice,
ses enfants. À noter : Diderot ne se fonde pas uniquement sur la raison et
s’avère une fois de plus féministe dans ces lignes.
[…] Au premier moment que je jouirai de ma tête, je tâcherai de satisfaire
notre chère sœur, en lui jetant sur le papier une infinité de conjectures auxquelles
la bonté de son âme donnera force de preuves. Je parlerai à son cœur et j’en
imposerai à sa raison. J’élèverai contre cette raison et ses subtilités le sentiment
qui nous démontre tant de choses et je lui dirai : De deux partis l’un ; il faut
enseigner à vos enfants la morale du vice ou la morale de la vertu, et leur dire :
Faites le bien, soyez doux, justes, complaisants, humains, véridiques, soumettezvous aux lois de la nature et de la société, respectez les usages reçus, soyez sûrs
que vous obtiendrez l’estime et la considération des hommes, si vous la méritez
par une conduite respectable ; ou leur dire : Volez, trompez, mentez, qu’il n’y ait
rien de sacré pour vous, foulez aux pieds toute honnêteté, allez à votre bien-être
aux dépens de qui il appartiendra, moquez-vous de toutes ces distinctions futiles
de juste et d’injuste. Paraissez bon, mais gardez-vous bien de l’être.
En vérité, un enfant à qui l’on tiendrait un pareil discours, croirait qu’on se
joue de lui. Ce sont nos actions qu’on pèse et non pas nos discours. Nos
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actions sont toujours évidentes. On peut être le maître de blesser les autres,
mais on n’est pas le maître de les faire taire. Ils parlent, et tôt ou tard le malhonnête homme est démasqué, avili, perdu, accablé par ses semblables qui
n’ont pas le droit de lui jeter la première pierre et qui lui jettent la première et
la dernière, car les méchants sont bien plus blâmés par les méchants que par
les bons. Et puis, après une mauvaise action, on est bien plus voisin d’une
seconde ; après deux mauvaises actions, bien plus voisin encore d’une troisième. On en fait donc trois, on en fait donc mille, et l’on tombe dans le châtiment et le mépris que l’on mérite. Mais que vous dirai-je là-dessus, que je ne
vous aie pas dit et que vous ne sachiez pas mieux que moi ? Je n’ai pas la vanité
de me croire plus avancé que vous dans ces questions qui tiennent purement
et simplement à la bonté de l’esprit et du cœur. Je penserai peut-être aussi bien
que vous et vous aurez toutes deux l’avantage de dire mieux que moi, parce que
vous êtes des femmes et que votre ramage simple, facile, uni, ôtera aux idées
l’air abstrait, hérissé et pédantesque que notre savoir scolastique leur donne
plus ou moins. […]
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• Voltaire
Lettre à un premier commis (20 juin 1733), in Lettres (1711-1778), Rivages
poche, coll. « Petite Bibliothèque », n° 634, 2009.
Une fois encore Voltaire plébiscite la liberté et la diffusion des Lettres. Ce
texte peut être rapproché de ceux du volume, mais aussi de celui, bien connu
pour son antiphrase : « De l’horrible danger de la lecture ».
Puisque vous êtes, monsieur, à portée de rendre service aux belles-lettres, ne
rognez pas de si près les ailes à nos écrivains, et ne faites pas des volailles de
basse-cour de ceux qui, en prenant l’essor, pourraient devenir des aigles ; une
liberté honnête élève l’esprit, et l’esclavage le fait ramper. S’il y avait eu une
inquisition littéraire à Rome, nous n’aurions aujourd’hui ni Horace, ni
Juvénal, ni les œuvres philosophiques de Cicéron. Si Milton, Dryden, Pope et
Locke n’avaient pas été libres, l’Angleterre n’aurait eu ni des poètes ni des philosophes : il y a je ne sais quoi de turc à proscrire l’imprimerie : et c’est la proscrire que la trop gêner. Contentez-vous de réprimer sévèrement les libelles diffamatoires, parce que ce sont des crimes ; mais tandis qu’on débite hardiment
des recueils de ces infâmes Calottes [ouvrages satiriques] et tant d’autres productions qui méritent l’horreur et le mépris, souffrez au moins que Bayle entre
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en France et que celui qui fait tant honneur à sa patrie n’y soit pas de contrebande.
Vous me dites que les magistrats qui régissent la douane de la littérature se
plaignent qu’il y a trop de livres. C’est comme si le prévôt des marchands se
plaignait qu’il y eût à Paris trop de denrées : en achète qui veut. Une immense
bibliothèque ressemble à la ville de Paris, dans laquelle il y a près de huit cent
mille hommes : vous ne vivez pas avec tout ce chaos : vous y choisissez quelque
société et vous en changez. On traite les livres de même ; on prend quelques
amis dans la foule. Il y aura sept ou huit mille controversistes, quinze ou seize
mille romans, que vous ne lirez point ; une foule de feuilles périodiques que
vous jetterez au feu après les avoir lues. L’homme de goût ne lit que le bon,
mais l’homme d’État permet le bon et le mauvais.
Les pensées des hommes sont devenues un objet important de commerce.
Les libraires hollandais gagnent un million par an, parce que les Français ont
eu de l’esprit. Un roman médiocre est, je le sais bien, parmi les livres ce qu’est
dans le monde un sot qui veut avoir de l’imagination. On s’en moque, mais
on le souffre. Ce roman fait vivre et l’auteur qui l’a composé, et le libraire qui
le débite, et le fondeur, et l’imprimeur, et le papetier, et le colporteur, et le
marchand de mauvais vin à qui tous ceux-là portent leur argent. L’ouvrage
amuse encore deux ou trois heures quelques femmes avec lesquelles il faut de
la nouveauté en livres, en tout le reste. Ainsi, tout méprisable qu’il est, il a produit deux choses importantes, du profit et du plaisir.
Les spectacles méritent encore plus d’attention. Je ne les considère pas
comme une occupation qui retire les jeunes gens de la débauche ; cette idée
serait celle d’un curé ignorant. Il y a assez de temps, avant et après les spectacles, pour faire usage de ce peu de moments qu’on donne à des plaisirs de
passage, immédiatement suivis du dégoût. D’ailleurs, on ne va pas aux spectacles tous les jours, et dans la multitude de nos citoyens il n’y a pas quatre
mille hommes qui les fréquentent avec quelque assiduité.
Je regarde la tragédie et la comédie comme des leçons de vertu, déraison et
de bienséance. Corneille, ancien Romain parmi les Français, a établi une école
de grandeur d’âme, et Molière a fondé celle de la vie civile. Les génies français
formés par eux appellent du fond de l’Europe les étrangers qui viennent s’instruire chez nous et qui contribuent à l’abondance de Paris. Nos pauvres sont
nourris du produit de ces ouvrages, qui nous soumettent jusqu’aux nations qui
nous haïssent. Tout bien pesé, il faut être ennemi de sa patrie pour condamner nos spectacles. Un magistrat qui, parce qu’il a acheté cher un office de
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judicature, ose penser qu’il ne lui convient pas de voir Cinna, montre beaucoup de gravité et bien peu de goût.
Il y aura toujours dans notre nation polie de ces âmes qui tiendront du
Goth et du Vandale ; je ne connais pour vrais Français que ceux qui aiment les
arts et les encouragent. Ce goût commence, il est vrai, à languir parmi nous ;
nous sommes des sybarites… Nous jouissons des veilles des grands hommes
qui ont travaillé pour nos plaisirs et pour ceux des siècles à venir, comme nous
recevons les productions de la nature ; on dirait qu’elles nous sont dues. Il n’y
a que cent ans que nous mangions du gland ; les Triptolèmes qui nous ont
donné le froment le plus pur nous sont indifférents ; rien ne réveille cet esprit
de nonchalance pour les grandes choses, qui se mêle toujours avec notre vivacité pour les petites.
Nous mettons tous les ans plus d’industrie et plus d’invention dans nos
tabatières et dans nos autres colifichets, que les Anglais n’en ont mis à se rendre
les maîtres des mers, à faire monter l’eau par le moyen du feu, et à calculer
l’aberration de la lumière. Les anciens Romains élevaient des prodiges d’architecture pour faire combattre des bêtes ; et nous n’avons pas su depuis un siècle
bâtir seulement une salle passable pour y faire représenter les chefs-d’œuvre de
l’esprit humain. Le centième de l’argent des cartes suffirait pour avoir des salles
de spectacle plus belles que le théâtre de Pompée ; mais quel homme dans Paris
est animé de l’amour du bien public ? On joue, on soupe, on médit, on fait de
mauvaises chansons, et on s’endort dans la stupidité, pour recommencer le lendemain son cercle de légèreté et d’indifférence. Vous, monsieur, qui avez au
moins une petite place dans laquelle vous êtes à portée de donner de bons
conseils, tâchez de réveiller cette léthargie barbare et faites, si vous pouvez, du
bien aux lettres, qui en ont tant fait à la France.
Lettre à M. de Chamfort (janvier 1764), in Lettres (1711-1778), Rivages
poche, coll. « Petite Bibliothèque », n° 634, 2009.
Sur l’aspect civilisateur de la Littérature…
Je saisis, monsieur, avec vous et avec M. de La Harpe, un moment où le
triste état de mes yeux me laisse la liberté d’écrire. Vous parlez si bien de votre
art, que si même je n’avais pas vu tant de vers charmants dans la Jeune
Indienne, je serais en droit de dire : « Voilà un jeune homme qui écrira comme
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on faisait il y a cent ans. » La nation n’est sortie de la barbarie que parce qu’il
s’est trouvé trois ou quatre personnes à qui la nature avait donné du génie et
du goût, qu’elle refusait à tout le reste. Corneille, par deux cents vers admirables répandus dans ses ouvrages ; Racine, par tous les siens ; Boileau, par l’art,
inconnu avant lui, de mettre la raison en vers ; un Pascal, un Bossuet, changèrent les Welches en Français ; mais vous paraissez convaincu que les Crébillon
et tous ceux qui ont fait des tragédies aussi mal conduites que les siennes, et
des vers aussi durs et aussi chargés de solécismes, ont changé les Français en
Welches. Notre nation n’a de goût que par accident ; il faut s’attendre qu’un
peuple qui ne connut pas d’abord le mérite du Misanthrope et d’Athalie, et qui
applaudit à tant de monstrueuses farces, sera toujours un peuple ignorant et
faible, qui a besoin d’être conduit par le petit nombre des hommes éclairés. Un
polisson comme Fréron ne laisse pas de contribuer à ramener la barbarie ; il
égare le goût des jeunes gens, qui aiment mieux lire pour deux sous ses impertinences que d’acheter chèrement de bons livres, et qui même ne sont pas souvent en état de se former une bibliothèque. Les feuilles volantes sont la peste
de la littérature.
J’attends avec impatience votre Jeune Indienne ; le sujet est très attendrissant. Vous savez faire des vers touchants ; le succès est sûr, personne ne s’y intéressera plus que votre très humble et obéissant serviteur.
• George Sand
Lettre à Henriette de la Bigottière (décembre 1842), in Correspondance,
tome V, édition de Georges Lubin, Classiques Garnier, de 1964 à 1991 (27
volumes).
Texte qui est à rapprocher des lettres adressées à Gustave Flaubert présentes dans le volume et de l’incipit de son autobiographie (Histoire de ma
vie), par la proximité voulue avec le lecteur et la volonté de faire œuvre utile.
Voir aussi son rapport avec la critique littéraire.
[…] Ma vie entière se consumera peut-être à chercher la vérité, sans que je
sache en formuler une seule face. À chacun sa tâche. Je fais ce que je puis faire.
Née romancier je fais des romans, c’est-à-dire que je cherche par les voies d’un
certain art à provoquer l’émotion, à remuer, à agiter, à ébranler même les
cœurs de ceux de mes contemporains qui sont susceptibles d’émotion et qui
ont besoin d’être agités. Ceux qui n’en sont pas susceptibles disent que je
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remue du poison parce que je mets un peu de lie dans le vin de leur ivresse
insolente. Ceux qui ont la foi, le calme et la force, n’ont pas besoin de mes
romans. Ils ne les lisent pas, ils les ignorent, ce sont les gens que j’admire et
que j’estime le plus. Aussi n’est-ce pas pour eux que je travaille, mais pour de
moindres intelligences.
Ceux qui trouvent de la perversité dans mes écrits sont des pervers euxmêmes. Ceux qui y voient de la souffrance, de la faiblesse, des doutes, des
efforts et surtout de l’impuissance, n’y voient que ce que j’y vois moi-même.
Est-ce que j’ai jamais combattu ces critiques et ces jugements-là ? Nullement.
Mais j’ai ému, et l’émotion porte à la réflexion, à la recherche. C’est tout ce
que je voulais. Faire douter du mensonge auquel on croit, crier après la vérité
qu’on oublie, c’est assez pour ma part, et ma mission n’est pas plus haute que
cela.
Si je fais sur moi-même un travail plus sérieux, ce n’est point avec le projet
d’en proclamer hardiment la solution. D’autres plus éclairés et plus puissants
que moi, le feront, et moi j’éclairerai mes très humbles productions d’artiste de
la part de lumière philosophique et religieuse que j’aurai peu à peu obtenue.
Quelque chose de moi que vous lisiez, n’y attachez donc pas plus d’importance
qu’il ne faut. Fermez le livre en disant : « Voilà ce qu’elle cherchait en écrivant
cela, je vais essayer, moi, de le trouver ». Et votre conclusion vaudra certainement mieux que celle que je vous aurais donnée. […]
Bibliographie complémentaire
Pour mieux connaître les auteurs du volume, notamment dans leurs rapports avec la correspondance, on pourra consulter :
– Le Sévigné, Lettres, 19 artistes répondent à 19 lettres de la Marquise, Mango,
coll. « Il suffit de passer le pont », Album Dada, 1996.
– Claude Tricotel, Comme deux troubadours, histoire de l’amitié FlaubertSand, Sedes, 1978.
– Copier/Coller, Écriture et réécriture chez Voltaire, actes du colloque international (Pise, 30 juin-2 juillet 2005), textes réunis et édités par Olivier Ferret,
Gianluigi Goggi et Catherine Volpilhac-Auger, éditions Plus, Pisa University
press.
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– Jules Barbey d’Aurevilly, Les Œuvres et les Hommes, Littérature épistolaire,
éditions Alphonse Lemerre, 1892.
– Brigitte Diaz, L’Épistolaire ou la pensée nomade, PUF, coll. « Écriture »,
2002.
– Georges May, « La littérature épistolaire date-t-elle du XVIIIe siècle ? », in
Studies on Voltaire, vol. 56, p. 823-844, 1967.
– Revue Romantisme, numéro spécial sur l’épistolaire au XIXe siècle, dirigé
par J.-L. Diaz, n° 90, 1995.
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N.B. : seuls les deux premiers ouvrages mentionnés sont accessibles à des
élèves de collège. Les cinq suivants sont à réserver aux professeurs.
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POUR COMPRENDRE : quelques réponses,
quelques commentaires
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Étape 1 [Écrire pour éduquer, p. 84]
1 Loin de faire preuve de faiblesse, les deux femmes – capables de reconnaître leurs torts, leurs défaillances – affirment leur personnalité et signifient
sans ambiguïté à leurs enfants qu’elles sont les dépositaires de l’autorité et
comptent l’exercer avec fermeté et bienveillance pour leur bien futur. Mme de
Sévigné et George Sand, toutes deux femmes de caractère, de volonté ferme,
prouvent s’il en était besoin encore que l’autorité n’est pas contraire à l’affection, la tendresse.
2 Mme de Sévigné encourage sa fille à se montrer opiniâtre, à persévérer
dans l’effort. Le procédé stylistique employé ici est le chiasme, dont l’étymologie grecque signifie « construction en miroir ». Le plus célèbre du genre peutêtre, est tiré de L’Avare de Molière : « Il faut manger pour vivre et non vivre
pour manger ».
5 et 6 C’est la notion de mérite personnel qui est plébiscitée par les trois
auteurs. Un contresens fréquent chez les élèves consiste à penser que les philosophes des Lumières (leurs précurseurs et continuateurs aussi, bien entendu),
parce qu’ils prônent l’égalité, entendent placer tous les citoyens sur un strict
pied d’égalité. Il n’en est rien, leurs écrits le prouvent : chacun doit bénéficier
des mêmes chances au départ et sera ensuite récompensé selon ses qualifications. La lecture de l’article « Égalité » de Voltaire (in Dictionnaire philosophique portatif) le rappelle à merveille.
7 Diderot suggère à la princesse :
– de ne pas confier l’éducation de ses enfants à une tierce personne, mais
de s’en charger elle-même ;
– de privilégier l’exercice de la raison (pour ne pas tomber dans la superstition, l’erreur, le fanatisme, etc.) ;
– de mener ses enfants à la sincérité avec soi-même, qui induit la sincérité
avec autrui ;
– de leur inculquer la valeur des choses, et ce d’autant plus qu’ils appartiennent à un monde privilégié ;
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– de leur apprendre à ne pas abuser de leur statut social privilégié car « la
puissance ne donne pas la paix de l’âme » ;
– de leur apprendre à ne pas mépriser le travail, eux dont la classe sociale est
censée ne pas le connaître.
Ces pages 55 à 59 sont, de plus, très intéressantes du point de vue énonciatif car elles sont fondées sur deux stratégies :
– l’utilisation d’exemples concrets illustrant des propos à caractère philosophique ;
– l’utilisation de la première personne du singulier, qui permet à la princesse de recevoir le message sans se sentir contrainte, ni se voir reprocher quoi
que ce soit en tant que membre d’une aristocratie qui est, sur le fond, assez
mise à mal malgré toute la tempérance de Diderot.
9 et 10 George Sand prône pour ses enfants une éducation :
– qui permette l’épanouissement par un dosage convenable d’activités
variées (intellectuelles et artistiques, physiques) ;
– par l’instruction en commun qui oblige à l’effort, à l’ouverture d’esprit, à
la tolérance, à l’émulation sans affectation ;
– qui transmette les principes fondamentaux de la religion sans tomber dans
la dévotion excessive ou une rigueur qui mènerait à l’intolérance.
Le fait que George Sand dise ne guère apprécier l’éducation de masse, en ce
qu’elle ne permet pas l’individualisation parfois nécessaire et manque également parfois de finesse, n’est pas contradictoire avec ses principes. En effet,
George Sand considère simplement l’enfant dans toutes ses composantes : un
individu unique qui doit apprendre à se fondre dans une communauté. Ses
principes, teintés de rousseauisme, la rapprochent également des théories
émises par Rabelais dans la lettre sur l’éducation de Gargantua à Pantagruel
(Pantagruel, chapitre 8) et dans son abbaye de Thélème (Gargantua, chapitre
52).
Enfin, si les grands-mères peuvent constituer de meilleures éducatrices que
les mères, c’est bien entendu parce qu’elles bénéficient de l’expérience que la
génération d’écart leur a fournie : elles savent les erreurs à ne pas commettre,
notamment celle d’attendre trop de ses enfants et/ou de projeter ses désirs
refoulés en eux.
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Étape 2 [La lettre, un genre littéraire, p. 86]
6 La modernité de cette affirmation de Voltaire peut séduire le lecteur
moderne en ce que la multiplication des œuvres écrites peut nuire à la
Littérature elle-même. Le phénomène de l’édition de mémoires et/ou récits de
peoples (animateurs de télévision, vedettes improbables d’émissions de téléréalité (appelée Trash TV outre-manche…), le phénomène d’autoédition (évacuant le nécessaire travail du professionnel qu’est l’éditeur), la multiplicité des
blogs et sites Internet nuit souvent à la lecture des ouvrages dits « classiques »,
réputés ennuyeux, difficiles d’accès,… et s’avère des plus nocifs pour les plus
défavorisés, tant l’influence du milieu social est visible et importante dans ce
domaine. Au XVIIe siècle, comme aujourd’hui la qualité est parfois supplantée
par la quantité, et la flatterie des instincts les plus bas est un facteur de popularité et de gain substantiel. Voltaire lui-même, en sacrifiant à la littérature
amoureuse avec L’Ingénu, flattera le goût du public afin d’être bien lu…
8 George Sand privilégie la sincérité, la proximité sincère avec le public, y
compris le plus modeste, quand son ami Flaubert se montre trop épris de perfection et semble n’écrire que pour des happy few. Le meilleur écrivain, pour la
romancière, est donc celui qui est lu parce qu’il est compris et apprécié en raison de l’humanité qui transparaît au travers de ses lignes. Quand Flaubert brocardait la stupidité des bourgeois, George Sand essayait de mener les plus
modestes à la littérature en acceptant, par exemple, de gagner moins d’argent
afin que la place de théâtre (où ses œuvres étaient représentées) soit accessible
aux plus modestes ; ou en favorisant la publication d’œuvres écrites par des
ouvriers, des compagnons, tels qu’Agricol Perdiguier, par exemple.
9 La limite de cette remarque de George Sand est évidente : Guy de
Maupassant fut considéré comme un butor par bien de ses contemporains et,
semble-t-il, souvent à juste titre (cf. le Journal des Goncourt, entre autres).
Plus près de nous, Louis-Ferdinand Destouches dit Céline se révéla être un
homme simple, effacé à qui l’on doit une écriture très novatrice (cf. Voyage au
bout de la Nuit), mais aussi l’infect pamphlet antisémite Bagatelle pour un massacre. François Villon mena une vie de larron et fut probablement assassiné (si
ce n’est exécuté par décision de justice) et, parmi nos contemporains, Henry
de Monfreid mena une vie d’aventurier, s’adonna aux paradis artificiels et eut
de coupables amitiés pour Mussolini.
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Si l’on choisit donc de penser que la valeur d’une œuvre est proportionnelle
à la valeur de l’individu qui la produit, que penser alors des œuvres des écrivains susnommés ?
Même si cela est parfois problématique, il faut donc dissocier l’auteur et son
travail, ou en conscience choisir de ne pas lire les auteurs infâmes. Mais la liste
en sera très subjective et fort longue.
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Étape 3 [La plume comme arme politique, p. 88]
1 Les aristocrates étant censés ne se soucier que d’eux-mêmes et être méprisants à l’égard du petit peuple, l’affirmation de Mme de Sévigné « Il faut que
le bien particulier cède au bien public » a de quoi surprendre. Cependant, et
sans jamais renier sa caste, la célèbre épistolière, en chrétienne convaincue, ne
devait-elle pas se montrer ouverte à autrui, généreuse ? Et puis, sans les plus
modestes, que deviendraient les plus puissants ? Même si la majorité des aristocrates ne se montraient pas aussi sociaux que Mme de Sévigné, quelques-uns
savaient cependant se montrer généreux. Rappelons, de plus, que parmi les
amis de Mme de Sévigné il y avait M. de la Rochefoucauld (auteur des
Maximes) qui, comme La Bruyère (bien connu pour ses Caractères), par
exemple, n’hésitait pas à dénoncer les abus des classes dominantes et demandait plus d’ouverture d’esprit, de tolérance, de dignité à l’égard des plus faibles.
Là encore, il convient donc de ne pas systématiser et proposer une approche
trop manichéenne de l’Histoire. C’est bien, après tout, au XVIIe siècle, et de la
part d’aristocrates, que se manifestèrent les premières velléités républicaines !
2 Voltaire, proposant ici de mettre la littérature à la portée de toutes les
bourses, de diffuser largement les livres afin de favoriser l’entente entre les pays
(« les Belles-Lettres réunissent les nations »), de combattre la diffamation mais
la censure également, fait bien œuvre de « philosophe des Lumières ».
Rappelons que le grand-œuvre du XVIIIe siècle fut l’Encyclopédie, dont le but
était d’universaliser, de diffuser le plus largement possible la culture.
3 et 4 Cf. question 7 de l’étape 1. Denis Diderot est reconnu pour son
ouverture d’esprit, sa tolérance, et, naturellement, pour avoir dirigé les travaux
de l’Encyclopédie. Qu’il veuille promouvoir une éducation fondée sur le respect, le travail, la tolérance, la sincérité, l’inscrit bien, lui aussi, dans la mouvance des philosophes des Lumières. Cela fait de lui un écrivain dont les idées
sont, pour leur grande partie, celles qui régissent notre vie actuelle. La lecture
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des philosophes du XVIIIe siècle est donc tout à fait pertinente et d’actualité
pour un adolescent du XXIe siècle.
5 Pour Diderot, tout pouvoir doit se fonder sur l’humain et s’avérer juste.
Le paradoxe est que, concernant Diderot et Voltaire, pénétrés sincèrement de
ces idées généreuses, altruistes et modernes pour l’époque, ils aient été les amis
et aient bénéficié des largesses de Catherine II de Russie et Frédéric II de Prusse
qui, pour être éclairés, n’en étaient pas moins des tyrans sanguinaires.
7 George Sand, rappelons-le, avait bénéficié d’une éducation très complète,
dispensée par Deschartres, le propre précepteur de son père décédé en 1808,
alors qu’elle n’avait que quatre ans. Ce qui était très rare pour une fille à cette
époque. De même, il était rarissime que les enfants fussent confiés à leur mère
après une séparation de corps : en 1836, la future George Sand se vit, en effet,
confier la garde de ses enfants par le tribunal de Bourges lorsque sa séparation
de corps d’avec son mari fut prononcée par ce tribunal (le divorce n’existait
plus, et ne fut rétabli qu’en 1884). George Sand entend responsabiliser son fils
Maurice qui a atteint un âge assez avancé pour se former un jugement. Il s’agit
bien là d’une conception novatrice de l’éducation des enfants.
8 Le fait qu’une femme, écrivain de surcroît, puisse affirmer qu’elle accepte
le point de vue des autres alors qu’on lui défend généralement d’exprimer le
sien, montre que George Sand s’était accaparé les droits que la société ne lui
offrait pas vraiment ; une telle attitude aurait été impensable du temps de
Mme de Sévigné, où seul l’homme – à condition d’être « bien né » – possédait
des droits.
Étape 4 [Des lettres pour aimer, p. 90]
1 Les termes « amis » et « amitié » possédaient un sens plus fort que celui
qu’on leur prête de nos jours. Ils marquent ici la grande affection qui est prodiguée par Mme de Sévigné à sa fille, par exemple.
3 Bien que l’on ait vu précédemment que Mme de Sévigné pouvait se soucier des plus démunis (question 1 de l’étape 3), elle n’en demeure pas moins
une aristocrate de haut rang. Elle compte donc parmi ses amis les personnalités les plus éminentes de son époque, et parmi elles, la grande écrivaine
Mme de Lafayette, auteure du roman La Princesse de Clèves. Parmi ses proches,
on trouve également le Cardinal de Retz qui fut un haut dignitaire de l’Église
de France, et un fin politique hostile à Louis XIII et même au jeune Louis XIV.
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8 et 9 Il est souvent admis que l’amitié doit tout tolérer. Celle de George
Sand et Gustave Flaubert n’est pas du tout de cette nature-là. Leur amitié est
profonde et sincère (l’émotion de Flaubert à l’enterrement de son amie en
juin 1876 est là pour le démontrer) comme leurs relations et correspondances
en attestent. Elle est cependant fondée sur une sincérité totale et quand il y a
divergence, aucun des deux ne s’embarrasse de précautions oratoires : les arguments sont développés, illustrés avec énergie, âpreté parfois. Le jugement alors
porté trouve un écho favorable en ce qu’il suscite non un quelconque reniement mais une réflexion. Et puis, la force des sentiments, l’humour (Flaubert
n’est pas qu’un sanglier solitaire lançant dans son « gueuloir » des bribes de
roman entre deux crises de dépression !) font accepter les quatre vérités qui
viennent d’être dites ou lues… « Cruchard », « Pifoël » (cf. la lettre de Balzac),
« vieux troubadour », ne font que sourire.
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Étape 5 [De l’Ancien Régime à la République, p. 92]
2 Comme vu précédemment, Mme de Sévigné appartient à la haute aristocratie et sait se montrer généreuse avec les moins fortunés. Elle n’en accepte
pas moins, elle qui fréquente le roi, les faveurs de celui-ci quand son fils en
bénéficie. La pension est un moyen de remercier, d’encourager, un mécénat
véritable (voir Molière !) mais, ne le nions pas, un moyen efficace aussi de
domestiquer les courtisans : « vous serez bien traité./Et jusqu’au ventre en la
litière » comme Jean de La Fontaine l’écrit dans sa fable Le Cheval s’étant voulu
venger du cerf.
3 Le mérite évoqué par Denis Diderot est de nature politique : un gouvernement digne de ce nom doit reconnaître les excellences du peuple – quelle
que soit la condition sociale concernée – et la récompenser. George Sand place
ici cette notion sur un plan éducatif, humain, voire affectif : le fils doit mériter tous les efforts consentis par sa mère et en consentir de semblables à son
tour. Les deux auteurs se rejoignent, on le sait sur bien des points, y compris
sur celui-ci. Mais, dans ces deux exemples précis la différence d’acception du
terme doit être prise en compte.
4 Mme de Sévigné évoque, dans ses lettres, les grands auteurs, les grands
acteurs, les grands musiciens, les grands personnages, ce qui correspond à son
éducation – qui fut fort bonne (cf. présentation) et à son temps qui privilégie
le beau, l’esthétisme, le raffinement. En contrepoint, la société du XVIIe siècle
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est une période difficile qui nous apparaît même cruelle : comment parler de
manière aussi « légère » de supplices abominables qui constituent un spectacle
auquel on se rend parfois – sinon souvent – en famille ? C’est que pour survivre aux maladies et/ou épidémies, aux famines, aux guerres, il faut composer
avec la mort. Celle-ci, on le sait, est omniprésente et l’affronter à travers ces
scènes affreuses permet de la mettre à distance (une autre manière de mettre à
distance, plus positive, s’exprimant lors des fêtes du Carnaval). Et puis, accompagner le criminel repentant dans son supplice, porte terrible vers l’autre
monde, apparaît comme un devoir du chrétien : ayant fait amende honorable,
le voleur châtié, l’assassin exécuté revient dans le troupeau des croyants et la
solidarité, la compassion sont de mise. Notre époque est donc, malgré toutes
les horreurs des guerres, attentats et crimes, bien loin de la mentalité du
XVIIe siècle, elle qui choisit par tous les moyens de repousser l’idée de trépas.
5 L’énonciation qui propose les expressions « petit conte » ou « mille petits
contes agréables comme celui-là » s’appuie sur l’antiphrase (qui sera si chère à
Voltaire) ; l’impact de la formule faisant ressortir toute l’horreur de la situation
par effet de contraste.
8 Si Diderot était admis à l’Académie Française, soutenu par les gens de
Lettres et par le Roi, la censure (cf. p. 49) aurait moins de prise sur lui, ce qui
favoriserait la diffusion de la connaissance voulue par les Encyclopédistes.
Voltaire, qui a collaboré à ce vaste projet didactique, soutient tout naturellement la possibilité de son élection.
9 L’écrivain, selon George Sand, en se montrant fort combatif, en « restant
debout » va, par la proximité qu’il a avec ses lecteurs, leur insuffler sa force et
les mener vers un destin positif. L’auteur déchu entraîne ses lecteurs dans sa
chute, ce qui est pour elle inacceptable.
De plus, la production de l’écrivain doit rendre compte de l’humain car le
lecteur, cet autre lui-même ne le suivra que dans ce cas-là : il faut valoriser ses
émotions, et pencher vers le bien. Alors, le phénomène d’attraction fonctionnera à plein et le romancier aura fait « œuvre utile ». Cet aspect éducatif, moral
même, sera pourtant souvent reproché à la « bonne Dame de Nohant ».
Cette prise de position marque de manière sensible le poids des romanciers
au XIXe siècle, surtout s’ils sont engagés. La lecture de l’ouvrage de Michel
Winock, Les Voix de la liberté, (Seuil, 2001) en rend excellemment compte.
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Étape 6 [Des lettres pour dire sa foi, p. 94]
3, 4 et 9 Voltaire, contrairement à ce qui est souvent prétendu, n’était pas
athée. Il est vrai que, toutefois que déiste, il était violemment anticlérical
(même s’il avait des prêtres pour amis !) et avait en horreur les jésuites (vus
comme hypocrites et violents) et les intégristes de toute nature. Son expression
« Écrasons l’infâme » n’était donc pas une invitation à déchristianiser la France,
mais à la libérer de tout ce qu’elle pouvait avoir de fanatique, d’intolérant en
matière de religion. La condamnation voltairienne des abus, excès et indignités de certains religieux s’étendait, naturellement, bien au-delà des frontières
de l’hexagone (cf. le chapitre 6 de Candide, situé à Lisbonne et qui évoque
« l’Université de Coïmbre » siège de l’Inquisition). La formule de la page 44,
ligne 250, rend donc parfaitement compte de son engagement, sachant que la
culture littéraire contribue à la formation d’un esprit tolérant.
Parmi les auteurs du présent volume, un autre s’avère croyant mais très anticlérical ; il s’agit de George Sand.
7 Quand George Sand utilise des termes appartenant au champ lexical de
la religion, c’est sûrement pour en montrer le caractère vain : qu’importent les
sermons, l’obédience à un culte figé ? Ils n’apportent rien de bon à l’humain ;
alors que l’exemple, lui, est porteur de valeurs dignes de considération.
Flaubert est donc invité à sortir de son idéologie littéraire sclérosée, et exhorté
à montrer son vrai visage, celui d’un être sensible et talentueux qui saura –
enfin –séduire les lecteurs.
8 Le « travail sera éternel » si la vie l’est aussi, ce qui n’est certain dans
aucune des alternatives. Ce qui suppose donc que la mission dévolue à l’être
humain soit sans limites ; il est de notre « devoir » de poursuivre notre tâche,
celle qui justifie notre existence et pour laquelle nous sommes faits, et ce en
toute circonstance. L’existence d’un paradis où l’on vivrait une autre vie de
repos, d’oisiveté ne fait pas partie de l’imaginaire sandien…
Étape 7 [La langue française dans la littérature épistolaire,
p. 96]
1 Le verbe « fussiez venue » est conjugué au subjonctif plus-que-parfait et
exprime le souhait formulé par Mme de Sévigné. Le XVIIe siècle utilisait couramment les temps et formes du subjonctif. Le XXe siècle les a quasiment aban-
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donnés. Le présent et le passé du subjonctif survivent encore ; l’imparfait de la
troisième personne du singulier également, dans la langue recherchée. Il existe
même une association de défense du subjonctif imparfait. Pour favoriser l’apprentissage, au collège, ou la révision, au lycée, du passé simple et du subjonctif imparfait, on peut se tourner avec profit vers le délicieux poème Complainte
amoureuse d’Alphonse Allais.
3 Au XVIIe siècle, le nom commun « amitié » désignait l’affection portée à
quelqu’un de condition sociale équivalente et généralement réciproque ;
« aimable » signifiait digne d’être aimé ; « embrasser » marquait le fait de tenir
dans le cercle de ses bras. Le sens de ces mots a bien sûr évolué : l’amitié n’est
plus forcément réciproque et ne concerne plus obligatoirement des personnes
de conditions égale ; elle peut même désigner les relations entretenues avec les
animaux familiers, tels le chien. « Aimable » se réduit aujourd’hui à « sympathique » et « embrasser » a remplacé le verbe « baiser » qui, lui, a hérité de
connotations obscènes.
Avec les siècles, les mots évoluent et, le plus souvent perdent, de leur force
d’origine. Le terme « étonné » en rend bien compte : le choc violent comparé
à celui du tonnerre est devenu une petite surprise…
4 « aigle » vient du latin aquila, mot féminin de la première déclinaison ; son
étymologie justifie donc son emploi au féminin au XVIIe siècle.
7 L’Angleterre est le pays désigné par Voltaire. Il est parfois ignoré que la
langue anglaise est très riche, ayant deux origines : le français (qui lui a donné
deux devises, celle de la monarchie britannique : Dieu et mon droit et celle de
l’ordre de la Jarretière et de la reine elle-même : Honni soit qui mal y pense) et
le saxon (les Angles étaient une population germanique du nord de
l’Allemagne). De nombreux mots français ont ainsi survécu en anglais et nous
reviennent parfois : « challenge » vient ainsi du vieux français « challenger » qui
signifiait relever un défi pour l’honneur de sa dame.
D’autre part, l’anglais a parfois conservé, dans le sens des mots français, des
subtilités qui ont disparu de la langue française, l’appauvrissant quelque peu.
Voltaire, dont on connaît l’anglophilie, déplore bien entendu cette dégénérescence de notre langue.
8 Corneille a inspiré Jean Racine. Nul plagiat, bien entendu, chez l’auteur
de Phèdre. Corneille s’est inspiré de la littérature espagnole du XVIe siècle pour
sa pièce Le Cid, par exemple. La Fontaine s’est inspiré d’Ésope ou Phèdre pour
ses Fables ; Molière, de Plaute pour L’Avare. Montaigne disait bien, au
XVIe siècle, dans ses Essais (1580) que ce qui avait été acquis et assimilé pro-
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duisait une œuvre originale qui appartenait en propre à celui qui la concevait
et publiait. Et non un plagiat.
9 George Sand voudrait que Flaubert ne se focalise pas uniquement sur le
négatif mais rende compte du monde tel qu’il est dans sa diversité. Alors les
lecteurs se reconnaîtront dans ses personnages et prendront plaisir à le lire.
Peine perdue car sa dernière œuvre – inachevée – Bouvard et Pécuchet (roman
suivi du Dictionnaire des idées reçues) pourfendait la bêtise crasse de deux bourgeois…
© Éditions Magnard, 2011
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