les origines du prix de journee dans les hopitaux en france

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les origines du prix de journee dans les hopitaux en france
LES ORIGINES
DU PRIX DE JOURNEE
DANS LES HOPITAUX EN FRANCE
(1850-1940)
Claire Bouinot
Doctorante, Ecole des Mines (CGS), 34 rue Gay Lussac, 75005 Paris, 01.55.42.01.39
[email protected] ou [email protected]
Résumé
Dans cet article nous nous intéressons aux prémices de la "comptabilité analytique" dans les hôpitaux français.
Ces derniers se seraient intéressés à la formation de leurs coûts dès les années 1850 quand il a fallu calculer un
prix de journée opposable à divers organismes d'assurance. Mais la comptabilité analytique hospitalière ainsi
développée pour des questions de tarification ne semble pas avoir trouvé d'application en interne en l'absence
de préoccupations gestionnaires.
Abstract
In this paper, we deal with the birth of cost accouting in french hospitals. They would have taken an interest in
their costs formation as early as 1850 years when they were supposed to give a dayly price to insurance
organizations. But the cost accounting developped in hospitals at this time to deal with rates doesn't seem to
have had any internal application in the absence of strong management concerns.
Mots clé. – prix de revient – hôpitaux – prix de journée
1
Introduction. Henri Bouquin1 rappelle qu’il existe différentes thèses sur les facteurs de
développement de la comptabilité analytique dans l'industrie au début du XIXème siècle. Si
celle de l’intégration verticale et du salariat est la plus communément admise, certains
avancent plutôt le rôle déterminant de la pression concurrentielle, enfin d’autres penchent
pour la thèse de la nécessité d’informer les associés sur la bonne utilisation des capitaux. En
particulier, Yannick Lemarchand et Marc Nikitin2 montrent que des grandes entreprises
françaises comme Saint-Gobain, sous l’aiguillon de la concurrence, en sont venues à calculer
dès les années 1820-1830, des coûts de revient précis, par exemple ceux d'un pied carré de
glace. Qu'en est-il alors des organisations comme les hôpitaux français qui opèrent en dehors
d'un marché concurrentiel, qui emploient en grande partie un personnel religieux et qui n'ont
aucun compte à rendre à des associés ?
Dès le milieu du XIXème siècle, il semblerait que les hôpitaux se préoccupent de la formation
de leurs coûts. L'impulsion viendrait manifestement de la nécessité de calculer un prix journée
pour obtenir de divers organismes d'assurance le remboursement des séjours de certains
malades. En même temps que les lois se succèdent pour organiser le régime de financement
par le prix de journée, les hôpitaux qui sont de plus en plus inquiets de l'état de leurs finances
se mettent à contester les modalités de calcul en déployant des arguments de "comptabilité
analytique" proches de ceux qui ont pu être débattus quelques années plus tôt dans l'industrie.
Les comptes moraux, les revues ou encore les ouvrages de cette époque (1850-1940) font état
de l'avancement des réflexions en matière de comptabilité du prix de revient dans le secteur
hospitalier (1).
Mais dans les sources que nous avons utilisées nous ne trouvons trace de ce qu'a pu être
l'utilisation en interne de la comptabilité analytique ainsi développée. Les hôpitaux se
seraient-ils contentés d'un usage exclusivement externe ? Vu la variété des utilisations de la
comptabilité à des fins de gestion dans le secteur industriel à cette même époque3, on est alors
en droit de s'interroger sur l'existence de véritables préoccupations gestionnaires dans les
hôpitaux (2).
1. Tarification au prix de journée : la nécessité de calculer
un prix de revient
La notion de prix de journée a progressivement émergé en France des pratiques et des textes
officiels, avant de devenir le principal mode de financement au tournant du XXème siècle. En
effet, les hôpitaux, pris en étau entre la réduction régulière des ressources traditionnelles
(dons, legs, rentes etc) et la montée des charges liée à un afflux important de nouvelles
clientèles, voient dans le prix de journée une facilité de financement. Pourtant, il n’est pas
certain qu’il soit si avantageux qu’on le pense. En effet, au fur et à mesure que les hôpitaux
affinent leurs méthodes de calcul du prix de revient de la journée, ils constatent que les frais
engagés pour un malade, voire un type de malade, sont bien supérieurs au prix de journée
1
Henri Bouquin, La comptabilité de gestion, Coll. Que Sais-je ?, PUF, 1997
2
Yannick Lemarchand et Marc Nikitin, Histoire des systèmes comptables, in Encyclopédie de Comptabilité,
Contrôle de gestion et Audit, Economica, 2000, sous la dir. de Bernard Colasse, pp.781-780
3
Chandler A.D. (1977), La main visible des managers, Economica, Trad. Française, 1988
2
qu’ils perçoivent, ce qui les amène à s’interroger sérieusement sur l'opportunité d’intégrer
dans le calcul certaines charges comme les dotations aux amortissements. Le constat du
manque à gagner échauffe certains esprits qui tiennent à démontrer aux organismes de
remboursement que l’incomplétude des textes qui régissent le calcul des différents prix de
journée pénalise financièrement les hôpitaux. Les débats sont sans aucun doute riches en
réflexions " comptables " et à de nombreux égards comparables à ceux relevés dans le milieu
industriel à cette même époque.
1.1. Le prix de journée comme source croissante de revenu des hôpitaux
Le prix de journée n’est pas né avec la réforme hospitalière de 1941, comme beaucoup l’ont
cru, il était connu depuis fort longtemps, depuis l’Ancien Régime semble-t-il. Certains
hôpitaux à cette époque percevaient au titre des militaires de passage qu’ils hébergeaient, une
sorte d’indemnité journalière devant couvrir les frais engagés. L’état primaire de la
comptabilité hospitalière à cette époque ne permettait pas de calculer un véritable prix de
revient du séjour, aussi le taux de remboursement appliqué était-il le plus souvent fixé
arbitrairement. La forte diversité des prix d’un hôpital à l’autre en témoigne. L’historien Jean
Imbert note que "au milieu du XIXè siècle d’ailleurs, la fantaisie la plus arbitraire règne dans
le calcul de l’hospitalisation des militaires : la commission des hospices réclame, pour
chaque soldat soigné au ministère de la Guerre, 8 francs par jour à Lombez (Gers) et 0,27
francs par jour à Pont-l’Abbé (Finistère)4 ", le décret du 7 germinal An XIII (28 mars 1805)
complété de l'instruction du 8 février 1823 imposant effectivement aux établissements de
calculer un prix de journée, mais ne fixant aucun moyen précis d’opérer ce calcul. Toutefois,
les indemnités pour frais d'hospitalisation constituaient un revenu à caractère exceptionnel à
cette époque. Il devient déjà plus substantiel à partir de la moitié du XIXème siècle, les frais
de séjour étant toujours dus par les populations de militaires et de marins mais également par
certains malades dits payants. On estime que les frais d’hospitalisation représentent près de
15% du total des ressources de l’hôpital en 1847 et 20% en 18535.
Vers la fin du XIXème la clientèle hospitalière se diversifie sous l’influence de l’évolution
sociale et du progrès des techniques médicales. L’hôpital est tenu par les différentes lois qui
se succèdent d’accueillir l’ensemble des indigents (vieillards, infirmes, malades sans
ressources, enfants trouvés etc) mais également des malades non-indigents que sont les
victimes d’accidents du travail, les bénéficiaires d’un régime de prévoyance, les militaires et
victimes de guerre et d’autres malades payants. Il convient de souligner que l’admission
croissante de cette dernière catégorie de malades ne va sans porter atteinte au principe qui
veut que l’hôpital soit réservé aux pauvres. Toutefois, la diversification de la clientèle a le
mérite de générer dans une période de crise de financement de nouveaux revenus, les
indemnités journalières, dont les régimes de calcul varient avec le type de population
concerné. En 1938, ces ressources représentent près de 44% des recettes hospitalières.
4
Imbert J., Les hôpitaux en France, Coll. Que-Sais-Je ?, PUF, 1994, 6ème édit., p. 42
5
Rochaix M., Les questions hospitalières, de la fin de l’Ancien Régime à nos jours, Berger-Levrault, 1996,
p.133 et 183
3
Les différents textes de loi organisent le régime prix du journée pour chacune des catégories
de population accueillies à l’hôpital : les modes de calcul, les plafonds, les modalités de
révision etc. Nous citons ci-après les principaux textes en signalant leur degré de précision en
matière de calcul des prix de journée. La loi du 07/08/1851 prévoit l’admission dans un
établissement hospitalier d’administrés domiciliés dans une commune autre que celle de
l’établissement. Rappelons qu’à cette époque, l’hôpital est géré par la commune. Une
indemnité (plus qu'un prix de journée puisque aucune modalité de calcul n'est encore
précisée) fixée par le Préfet est théoriquement versée par la commune de domiciliation pour
dédommager l’établissement des frais avancés. La loi du 07/07/1877 fait obligation aux
hôpitaux civils d’accueillir les militaires malades moyennant un prix de journée forfaitaire
fixé par convention avec l’Etat. Les éléments à intégrer dans le calcul sont précisés dans le
décret du 01/08/1879. De nombreuses dépenses restent hors champ du calcul : les dépenses de
pharmacie, les frais de bureau, les frais d’entretien des cours et jardins… mais sont tenues
compte des indemnités locatives, c’est-à-dire des frais engagés pour les grosses réparations et
l’entretien des bâtiments. Détail plutôt surprenant, les hôpitaux différencient le prix de
journée en fonction du grade militaire, l’officier coûtant plus cher que le sous-officier ou le
soldat. La loi du 15/07/1893 prévoit l’assistance médicale gratuite (AMG) pour les malades
placés aux frais de l’Etat, département ou commune. La loi du 14/07/1905 organise
l’assistance obligatoire pour les vieillards, infirmes et incurables. Pour ces deux lois, un prix
de journée à caractère obligatoire est arrêté par le Préfet sur proposition de la commission
administrative de l’établissement. Les modes de calcul sont précisés par les textes mais restent
plutôt flous comme on va le voir ci-après. Théoriquement, un seul prix de journée est proposé,
en distinguant toutefois l’hôpital de l’hospice, et il est illégal de pratiquer des régimes
tarifaires différenciés suivant le type de malades hospitalisés. Pourtant, certains hôpitaux
comme l'Assistance Publique de Paris parviennent à obtenir du Préfet des prix de journée
différents selon l’âge du malade (enfant ou adulte) et l’unité d’hébergement (chirurgie,
médecine). Mais malgré la pratique de tarifs différenciés, les remboursements pour frais
d'hospitalisation aux hôpitaux sont loin de couvrir les dépenses réellement engagées faute de
tenue d'une comptabilité détaillée6 et du fait de tarifs plafonds prévus par la majorité des lois
citées ci-dessus. Le décalage entre le prix de journée " réel " ou " prix de revient " et le prix de
journée conventionnel, c’est-à-dire celui remboursé par les tutelles, est ainsi très important.
C’est ce que souligne Henri Daru en 1913 dans son précieux ouvrage consacré aux prix de
journée des établissements hospitaliers7. Arrêtons-nous quelques instants sur ses écrits.
6
Il convient de préciser ici que la comptabilité hospitalière, progressivement organisée par le législateur à partir
du tout début du XIXème siècle, est tenue par trois personnes et selon des modalités différentes : le receveur de
la commune (décret du 7 floréal An XIII, qui prévoit la séparation de l'ordonnateur et du receveur, complété par
le décret du 31/05/1862 qui précise les règles comptables), le secrétaire (ou ordonnateur, le décret du 7 floréal
An XIII) et l'économe (instruction du 20/11/1836 complétée du décret du 09/09/1899). Toutefois, les trois
comptabilités resteront, jusqu'à la réforme comptable de 1951, tenues en partie simple. Les comptabilités du
receveur comme de l'ordonnateur ne faisaient que distinguer les sections de recettes et dépenses ordinaires et
extraordinaires (ancêtres des actuelles sections d'exploitation et d'investissement).
7
Daru H. (Inspecteur-Contrôleur-adjoint des Hospices Civils de Lyon), Les prix de journée des établissements
hospitaliers, Librairie Georg, 1913, p.7
4
1.2. A la recherche du prix de journée exact : les premières arcanes de la
comptabilité de prix de revient à l'hôpital
L’établissement du compte moral (ancêtre du rapport de gestion) dans lequel doit figurer le
calcul du prix de journée est imposé à tous les établissements de bienfaisance en vertu du
décret du 7 floréal An XIII (27 avril 1805) mais, comme le relève Henri Daru, " le législateur
reste muet sur la façon d’y procéder ". Une circulaire ministérielle vient combler cette lacune
seulement en 1888 (circulaire du 26 mars 1888) en précisant certains éléments de calcul du
prix de journée des malades bénéficiaires de l'assistance. Doivent être exclues du calcul les
dépenses afférentes à la gestion des biens (impôts, assurances, frais de réparation des biens),
celles engagées par les services annexes (consultations, bains publics etc), celles afférentes
aux secours à domicile et celles consacrées aux travaux de construction et de grosses
réparations. Le total des dépenses est divisé par le nombre de journées, le quotient donnant le
prix de revient réel d’une journée d’hospitalisation. Il est demandé aux établissements
d’établir un prix de journée distinct pour les malades accueillis dans les hôpitaux et les
vieillards hébergés en hospices, car ils dépendent de régime de remboursement différent (lois
de 1893 et 1905). L’auteur note que cette distinction est rarement opérée par les petits
établissements pour lesquels vieillards et malades cohabitent dans les mêmes services, car le
suivi comptable de leurs consommations respectives n’est pas réalisé. Il est suggéré à ces
établissements qu’ils réorganisent leur système de distribution de consommables en
introduisant une " feuille de distribution journalière ". Autre complication, cette fois-ci pour
les grands établissements, lorsque ceux-ci sont éclatés en plusieurs sites : il faut alors procéder
à la ventilation des charges communes que sont les frais du service général (buanderie,
boulangerie, pharmacie etc) en fonction du prix de revient des fournitures réellement
consommées par les différentes structures et à la ventilation des frais d’administration en
fonction du nombre de journées. On trouve là les premiers questionnements liés à la mise en
place d’une comptabilité analytique, à savoir ventiler les charges communes entre les
différents services opérationnels. Malgré les précisions apportées par la circulaire, Daru
remarque que les prix de revient établis par chaque hôpital demeurent incomparables du fait
de la diversité des modalités de calculs. Certains hôpitaux, note-t-il en 1912, intègrent dans le
calcul les dotations aux amortissements, d’autres non car considérant que les dons et les legs
sont destinés à couvrir ce type de dépenses. Par ailleurs, le décompte du nombre de journées
est fort variable d’un établissement à l’autre selon que les enfants sont comptés comme une
journée ou une demi-journée, les nouveaux-nés comptabilisés ou non. Cette remarque est
importante car elle souligne la préoccupation déjà prégnante de tenir compte pour la
tarification du niveau de consommation suivant le type de malade. Il reste qu’aucune étude
empirique ne fonde cette intuition. L’auteur reconnaît " toutes les difficultés qu’entraînerait la
recherche annuelle du coût de chacune des catégories de malades hospitalisés ; surtout dans
un hôpital qui reçoit des enfants et des adultes, et possède des services de médecine et de
chirurgie ". De surcroît, il fait l’hypothèse qu’il n’y a pas de différence de coûts majeure entre
l’hospitalisation d’un enfant et d’un adulte car selon lui, " il n’y a qu’à examiner les prix de
journée d’un hôpital d’adultes et d’un hôpital d’enfants pour en être convaincu ". C’est
pourquoi il recommande l’adoption d’un tarif unique quel que soit le profil du malade
hospitalisé, et cela conformément aux lois de 1893 et de 1905. Il est intéressant de constater
que cette idée ne résiste pas aux analyses postérieures. Il devient vite évident que les malades,
fiévreux, contagieux et opérés ne consomment pas les mêmes ressources, notamment en ce
qui concerne les frais médicaux et pharmaceutiques, ces derniers représentant une part, certes
5
mineure mais croissante, des dépenses hospitalières. Il est donc revendiqué régulièrement que
la loi de 1893 soit révisée pour établir deux prix de journée, l’un pour la médecine et l’autre
pour la chirurgie8. Ce qui implique nécessairement la mise en place d’un système de suivi
individuel des consommations pharmaceutiques. En revanche, les autres dépenses, notamment
celles de personnel, sont considérées comme consommées de façon égale par les malades.
L’Assistance Publique de Paris par exemple pratiquait des prix différenciés par service. Le
prix de journée réclamé uniformément à tous les malades en état de payer en 1878 était de
3f30. En 1895, constatant qu’il " n’était plus en rapport avec la dépense réelle effectuées dans
les services de chirurgie et d’accouchement ", des augmentations ont été adoptées en
différenciant les services : 5f en chirurgie et accouchement pour la journée adulte, des tarifs
réduits étant appliqués pour les journées enfants9.
Par ailleurs, Daru tente de déterminer le comportement du prix de journée en fonction des
caractéristiques de l'hôpital : celui-ci augmente lorsque le nombre de lits diminue, augmente
avec la taille de la ville, varie avec le type d’établissement (l’hôpital est deux fois plus cher
qu’un hospice), etc.
Dans la suite de son texte, Daru dénonce non seulement la faiblesse des prix plafonds et des
prix planchers prévus par les lois de 1893 et 1905 au regard des frais réellement engagés par
les hôpitaux mais également les effets pervers de la révision quinquennale des prix de journée.
Ce dernier mécanisme imposé par ces deux mêmes lois ne permet pas d’intégrer les effets de
l’inflation et peut engendrer des pertes financières sérieuses. Ces critiques sont reprises de
manière très détaillée par Ogier (1918), ardent défenseur du prix de journée.
Les développements les plus intéressants relatifs aux calculs du prix de revient d’une journée
d’hospitalisation sont probablement ceux qui ont trait au régime spécial des malades militaires
organisé par la loi du 07/07/1877. Celle-ci oblige les hôpitaux civils à recevoir et traiter tous
les malades de l’armée. Parfois même, certains hôpitaux sont obligés de consacrer une salle
spéciale pour eux. Et c’est dans ce cas que se pose un problème fondamental : quand la " salle
militaire " est sous-occupée, ce qui est fréquemment le cas, l’indemnité journalière militaire
se révèle très insuffisante, du fait de l’existence de charges qui sont " absolument
indépendantes du nombre de malades " (Daru, 1913, p.53) comme l'entretien du matériel, le
chauffage, l'éclairage, le personnel spécialement attaché aux salles militaires etc. Il est alors
suggéré de pouvoir faire ressortir deux éléments dans le prix de journée négocié avec l’Etat,
d’une part un prix de journée malade intégrant les dépenses variables (nourriture,
blanchissage, etc) et d’autre part une indemnité fixe annuelle dite de " non-occupation "
couvrant les dépenses fixes (grosses réparations, chauffage etc). Ces remarques sont
importantes car elles montrent que le souci de distinguer charges fixes et charges variables
dans le calcul du prix de revient est déjà très présent dans les établissements hospitaliers au
début du XXème siècle. De plus, émerge la notion du coût de sous-activité : le maintien d’une
8
Ogier E. (Directeur du contrôle au Ministère de l’intérieur), Fixation du prix de journée dans les hôpitaux et
hospices, Revue philanthropique, 1918, pp. 337-351
9
Administration générale de l’assistance publique à Paris, Note sur la comparaison entre les budgets de 1878 et
de 1896, Imprimerie typographique de l’école d’Alembert, 1895 imprimé à Montévrain, p.23
6
salle disponible pour les malades militaires génère des frais incompressibles. Il reste toutefois
à établir un taux d’occupation standard pour obtenir exactement le coût de sous-activité.
1.3. Les débuts de la normalisation du calcul des prix de journée
Sous la pression des responsables hospitaliers, économes et représentants des commissions
administratives principalement, les textes postérieurs s’efforcent de définir des modalités de
calcul plus précises et de nature à permettre aux prix de journée de correspondre plus
exactement aux dépenses engagées. Notamment, la loi du 28/06/1918 complétée du décret du
13/11/1918 réforme les lois de 1893 et 1905. Elle rend le prix de journée révisable chaque
année et autorise la distinction d’un tarif pour les services de médecine et de chirurgie. Pour
ce faire, la loi précise que la ventilation des charges communes se fait suivant le nombre de
journées et la ventilation des dépenses de personnel, d’achats de médicaments d’instruments
de chirurgie suivant des rapports fixés par la loi (par exemple, la chirurgie est comptée
comme une journée un tiers de médecine). Malgré la révision des textes, il subsiste des
lacunes importantes dans les modes de calcul qui pénalisent les hôpitaux. D’une part, le prix
de journée est calculé en fonction des prix de revient des exercices antérieurs, ce qui ne
permet pas de tenir compte de l’inflation de l'année. D’autre part, la notion d’amortissement
est exclue du prix de journée, en toute connaissance de cause semble-t-il. Car, selon Rochaix
(1996, p.189), même si des auteurs10 dénonçaient depuis longtemps déjà l'absence des
dépenses liées aux réparations et entretien du patrimoine dans le calcul du prix de journée,
beaucoup persistaient à croire que le renouvellement du patrimoine hospitalier devait
continuer à se faire financer par la charité privée. Cependant, la précision croissante des
modes de calcul apportée par les textes permet de supposer que les prix de journée des
hôpitaux tendent à devenir comparables. En 1936, peu de temps avant la réforme hospitalière
de 194111, la comparaison des prix de journée médecine/chirurgie pratiqués par l’ensemble
des hôpitaux français dément cette supposition12. Le prix de journée médecine, par exemple,
varie de 12,75 francs à l’Hospice Général de Tours à 50,27 francs aux Hospices Civils de
Marseille, soit un rapport de 1 à 4.
Les règles qui régissent le calcul des prix de journée ont, par leur imprécision relative, laissé
un certain jeu dans leur interprétation. La lecture des nombreux numéros de la Revue
Philanthropique au début du XXème siècle qui rapportent les réflexions de responsables
d’hôpitaux montre que ceux-ci ont profité de la situation pour justifier diverses manœuvres
visant à réviser à la hausse le prix de journée car celle-ci était en passe de devenir la source de
revenu majoritaire. Il convient de souligner à cet égard que toutes les réflexions rapportées par
10
Rochaix (1996, pp.208-209) tout un passage du Docteur Valleroux sur le coût de l'entretien et des réparations
des bâtiments hospitaliers parisiens qui peuvent jusqu'à doubler le prix de revient de la journée, De l'Assistance
sociale, 1885, p.168
11
La réforme hospitalière de 1941 (la loi du 21/12/1941 et le décret d'application du 17/04/1943) systématise le
financement des hôpitaux suivant le prix de journée. A cet effet, les méthodes de calcul des prix de journée sont
unifiées et normalisées.
12
Revue hospitalière de France, 1937, pp. 684-685
7
les ouvrages ou revues de cette époque sur les problèmes de comptabilisation renvoient à des
débats encore très actuels dans les hôpitaux13.
Au-delà des questions de tarification, voyons maintenant si ces développements en matière de
calculs de coûts ont suscité des applications originales en matière de gestion dans les
hôpitaux.
2. Des enjeux gestionnaires encore faibles
Il est bien difficile de savoir dans quelles conditions la comptabilité analytique aurait vu le
jour dans les hôpitaux si ceux-ci étaient restés financés par des dotations ou des legs. En
revanche, il ne fait aucun doute que l’introduction progressive du régime de financement par
prix de journée a stimulé le développement d'une première comptabilité analytique
hospitalière. Celle-ci reste avant la seconde guerre à l’état d’expérimentation et marquée par
une forte hétérogénéité en l’absence de normalisation comptable. En revanche, les textes
consultés ne disent rien de l’utilisation de cette comptabilité en interne, soit que les
témoignages en la matière soient tombés dans les oubliettes des centres d'archives, soit que les
questions de gestion - que nous définissons ici à la fois comme le travail de coordination des
flux de matières, de produits ou d’information au sein d’une même entité et d'allocation des
ressources entre les entités d'une même entreprise en vue d'une plus grande efficacité - furent
faibles. C'est de cette dernière hypothèse que nous souhaitons discuter ici.
Avant toutes choses, notons que le nombre de personnes à l’hôpital censée avoir connaissance
de la tenue de la comptabilité est relativement faible. On en compte trois : le secrétaire,
l’économe et le receveur14 de l’hôpital. La fonction de Directeur Général n’existait pas encore
dans les hôpitaux sauf à l’Assistance Publique.
Jusqu’au début du XXème siècle l’hôpital est une organisation où l’enjeu de la coordination
des flux est encore relativement faible, surtout en comparaison avec ce qu’il en est
aujourd’hui. Jusqu’à cette époque, les hôpitaux ont une fonction principalement
d’hébergement et de restauration, la médicalisation étant encore peu développée. En 1898, les
dépenses de nourriture représentent en moyenne 43,5% des dépenses d’hospitalisation contre
5% pour les dépenses pharmaceutiques et 17,2% pour le personnel (Rochaix, 1996, p.453).
Les malades, dont la durée de séjour dépasse encore le mois en 1900, sont regroupés dans des
salles communes d’une quarantaine de lits quelle que soit leur pathologie, et bénéficient
uniquement d’examens anatomiques au lit de la part des quelques médecins qui viennent
13
On pourra se référer à l'ouvrage de Moisdon J.C. et Tonneau D., La démarche gestionnaire à l'hôpital, tome 1,
Seli Arslan, 1999, pour prendre connaissance de l'instrumentation gestionnaire foisonnante qui s'est développée à
l'hôpital durant les trente dernières années.
14
L’économe, dont la fonction est créée très tôt, par l’ordonnance du 3/10/1821, est la personne chargée de
l’approvisionnement de denrées de l’établissement, de la gestion des magasins et de la tenue de la comptabilitématière afférentes aux achats. Il est à cette époque considéré comme la cheville ouvrière du fonctionnement d’un
hôpital. Le receveur, nommé par le Préfet, est chargé quant à lui d’effectuer toutes les recettes et les dépenses de
l’hôpital. Le secrétaire, nommé par la commission administrative, assure le secrétariat de ses séances (tenue de
l’ensemble des registres). Il prend rapidement de l’importance, jusqu’à devenir le " directeur " par la loi de 1941.
8
étayer leur connaissances cliniques. Il n'y a donc aucun déplacement du patient au sein de
l’établissement. La notion de trajectoire du patient n’a pas encore de consistance.
Pour s'en convaincre, il suffit de comparer les plans d'hôpitaux dessinés par les grands
architectes français. Entre 1600 et 1900, la conception architecturale évolue peu et
principalement suivant des principes hygiénistes, sans que n'interviennent encore des
préoccupations d'ordre fonctionnel15. L'hôpital Saint Louis par exemple, construit en 1612 par
l'architecte Vellefaux suivant un plan carré, est occupé principalement par quatre grandes
salles de 120 mètres de long reliées entre elles et contenant chacune une quarantaine de lits.
Dans des bâtiments séparés, on trouve la boulangerie, les magasins, les cuisines, la buanderie,
la lingerie, la chapelle et le pavillon du jardinier. Au fur et à mesure des constructions, des
bâtiments dédiés à de nouvelles fonctions apparaissent comme l'apothicairerie, la morgue, les
consultations, parfois même les "salles d'opération" etc. Après 1850, le seul progrès dans
l'architecture des hôpitaux consistera à isoler les salles de malades en pavillons, de façon à
limiter les contaminations. L'hôpital Lariboisière, réalisé de 1846 à 1854 par l'architecte
André Gauthier, est considéré comme le premier archétype de l'hôpital pavillonnaire (capacité
de plus de 200 lits). Sur les trois siècles, on constate un léger mouvement de spécialisation des
salles selon la gravité de l'état du malade. On sépare tout d'abord convalescents, contagieux et
fiévreux, puis les opérés, enfin les femmes ayant accouché. Le premier plan d'hôpital
distinguant salles de médecine et de chirurgie semble être celui de l'hôpital Saint Joseph à
Paris. Le plan date de 1878 mais la réalisation de l'hôpital n'est achevée qu'en 1920, le
financement se faisant par dons. Le Mandat (1989, p.129) considère d'ailleurs qu'il s'agit là
d'un des "hôpitaux de transition" de l'articulation des XVIIIème et XIXème siècles. L'hôpital
Edouard Herriot à Lyon (capacité initiale de 1800 lits) est le dernier grand hôpital
pavillonnaire. Son plan conçu en 1909 par Tony Garnier met en évidence une spécialisation
des pavillons bien plus fine que dans l'exemple précédent : bâtiments de médecine, de
chirurgie, d'ORL, de maternité, de contagieux et de consultations externes.
Si l'en croit la structure des dépenses et l'organisation architecturale de l'hôpital, la
problématique d'allocation des ressources entre services en fonction de l'activité ne semble
pas être encore d'actualité. Du fait d'une indifférenciation des salles des malades, la
problématique de la répartition du personnel ne se pose pas encore. Les seuls flux connus sont
les flux alimentaires et les flux de lingerie et accessoirement les flux de médicaments. Les
services qui en ont la charge, comme la boucherie, la cave, la boulangerie, la buanderie ou la
pharmacie, sont assimilés par les administratifs à des petites industries ou des commerces. Ils
en présentent les mêmes problèmes d’organisation et maîtrise des dépenses16. On retrouve
même les traces de tentatives de calcul du coût unitaire de ces services, certes partiels, comme
le prix de revient du kilo de linge blanchi17 ou celui du kilo de pain fabriqué18. Mais il ne
semble pas, en revanche, que des problèmes de coordination d’ensemble soient encore posés.
15
Le Mandat M., Prévoir l'espace hospitalier, Berger Levrault, 1989. On peut trouver dans cet ouvrage une
analyse historique complète des conceptions architecturales, de l'Antiquité à nos jours.
16
Bertogne M., L’Administration Générale de l’Assistance Publique à Paris, Ses services économiques Ses
personnels hospitalier et ouvrier, Les éditions Domat-Chrétien, 1935
17
Administration Générale de l’Assistance Publique à Paris, L’Assistance Publique en 1900, imprimé à
Montévrain
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Progressivement, à partir de la fin du XIXème, on passe d’une offre d’hébergement à une
véritable offre de soins avec la généralisation des consultations assurées dans des bâtiments
dédiés, l’implantation d'équipements de microbiologie, de radiographie et de radiothérapie au
sein même des hôpitaux, la création de salles opératoires et la spécialisation des services de
soins. Ces évolutions sont à attribuer directement aux découvertes d’abord des sciences
biologiques (découverte des microbes par Pasteur à la fin du 19ème) et physiques (découverte
du rayon X en 1895 et du radium en 1898) puis médicales. Le patient au sein de l’hôpital
commence à se déplacer, néanmoins son parcours reste limité par la décentralisation des
équipements au niveau des services cliniques. En particulier, chaque service de chirurgie
dispose à cette époque de son propre bloc opératoire et parfois même de ses équipements
radiologiques. Le progrès médical et technique conduit très tôt de nombreux médecins à se
spécialiser en fonction des organes touchés, la dermatologie, l’ophtalmologie ou la
stomatologie par exemple, ou en fonction de la population, la pédiatrie par exemple. Pourtant
la reconnaissance administrative de la spécialisation médicale ne s’est faite que très
timidement. Elle a commencé par la création de cliniques d’enseignement spécialisées en
Faculté de médecine au début de la IIIème République, puis par la création de corps de
médecins spécialistes à l’hôpital (stomatologie en 1887, ophtalmologie en 1899 etc). Mais la
reconnaissance officielle d’une organisation en services spécialisés a du patienter jusqu’à la
réforme de 1941. Le retard pris dans la spécialisation des services et la décentralisation de
certains équipements ont pour résultat non seulement la minimisation des déplacements
patients mais également la mise en retrait, certes momentanée, des problèmes de coordination
entre médecins et d'allocation des ressources. Aussi, peut-on se risquer à dire que jusqu'à la
veille de la seconde guerre, les questions de gestion ont été maintenues à l'état embryonnaire.
Conclusion. L'histoire de la naissance de la comptabilité des prix de revient dans les hôpitaux
français est originale dans la mesure où la connaissance de la formation des coûts n'a pas eu
d'application en interne et cela pendant des décennies parce que manifestement les questions
de gestion sont restées longtemps à l'état embryonnaire. Cet exemple montre que la
"comptabilité analytique"19 peut se développer pour des raisons d'ordre législatif et servir
exclusivement un usage externe.
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Administration Générale de l’Assistance Publique à Paris, Note sur le prix de revient du pain à la boulangerie
centrale de l'Administration de l'Assistance Publique, Dupont éditeur, 1872. Cette note tente d'analyser l'impact
que peut avoir la contraction du volume de fabrication de pain sur le coût unitaire (tout compris : matière
première, main d'œuvre, taxes et dotation aux amortissement) du kilo de pain.
19
Il convient de rappeler ici que jusqu'à la réforme comptable de 1951 (décret du 19/10/1951), qui prévoit
l'application du Plan Comptable Général de 1947 aux établissements hospitaliers, la comptabilité hospitalière est
tenue en partie simple, par le receveur comme par l'ordonnateur. La réforme a permis précisément d'unifier les
cadres comptables de ces deux acteurs, d'introduire la technique de la partie double (chez le receveur
uniquement) et d'établir un lien étroit entre la comptabilité de l'ordonnateur et le calcul des prix de journée. Le
terme de comptabilité analytique n'a donc été véritablement utilisé pour la première fois qu'en 1951, mais son
schéma s'inspire largement de ce qu'avaient progressivement développé les hôpitaux au cours des années
précédentes.
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Bibliographie.
Administration Générale de l’Assistance Publique à Paris (1872), Note sur le prix de revient du pain à la
boulangerie centrale de l'Administration de l'Assistance Publique, Dupont éditeur, Paris
Administration générale de l’Assistance Publique à Paris (1895), Note sur la comparaison entre les budgets de
1878 et de 1896, Imprimerie typographique de l’école d’Alembert, imprimé à Montévrain
Administration Générale de l’Assistance Publique à Paris, L’Assistance Publique en 1900, imprimé à
Montévrain
Bertogne M. (1935), L’Administration Générale de l’Assistance Publique à Paris, Ses services économiques Ses
personnels hospitalier et ouvrier, Les éditions Domat-Chrétien
Bouquin H. (1997), La comptabilité de gestion, Coll. Que Sais-je ?, PUF
Chandler A.D. (1977), La main visible des managers, Economica, Trad. Française, 1988
Daru H. (1913), (Inspecteur-Contrôleur-adjoint des Hospices Civils de Lyon), Les prix de journée des
établissements hospitaliers, Librairie Georg
Imbert J. (1994), Les hôpitaux en France, Coll. Que-Sais-Je ?, PUF, 6ème édition
Le Mandat M. (1989), Prévoir l'espace hospitalier, Berger Levrault
Lemarchand Y. et Nikitin M. (2000), Histoire des systèmes comptables, Encyclopédie de Comptabilité, Contrôle
de gestion et Audit, Economica, Sous la dir. de Bernard Colasse , pp. 771-780
Moisdon J.C. et Tonneau D. (1999), La démarche gestionnaire à l'hôpital, tome 1, Seli Arslan
Ogier E. (1918), (Directeur du contrôle au Ministère de l’intérieur), Fixation du prix de journée dans les
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Revue hospitalière de France (1937), pp. 684-685
Rochaix M. (1996), Les questions hospitalières, de la fin de l’Ancien Régime à nos jours, Berger-Levrault
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