Djeca - La maison de l`image

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Djeca - La maison de l`image
Cette compilation de textes a été réalisée par l’équipe
documentation de LA MAISON DE L’IMAGE à Aubenas
à l’occasion des RENCONTRES DES CINEMAS D’EUROPE 2013
Djeca ,
Date de sortie :30 mars 2013
Durée :1h 30
Aida Begic
Marija Pikic, Ismir Gagula, Bojan Navojec,
Sanela Pepeljak, Mario Knezovic...
Les Films de l'Après-Midi
Fiction ,DRAME
Rahima, 23 ans, et son frère Nedim, 14 ans, sont
des orphelins de la guerre de Bosnie. Ils vivent à Sarajevo, dans
cette société transitoire qui a perdu toute compassion pour les
enfants de ceux qui sont morts pendant le siège de la ville.
Après une adolescence délinquante, Rahima a trouvé un réconfort dans l’Islam, elle espère que Nedim suivra ses pas. Tout
se complique le jour où à l’école, celui-ci se bat avec le fils d’un
puissant ministre du pays. Cet incident déclenche une série
d’événements qui conduiront Rahima à découvrir la double vie
de son jeune frère...
Festival de Cannes 2012 : Palmarès Un Certain
Regard
r http://www.paperblog.fr/5578662/festival-de-cannes-2012-palmares-un-certain-regard/#.
MENTION SPECIALE DU JURY
DJECA d’Aida BEGIC
(Enfants de Sarajevo)
http://www.paperblog.fr/5578662/festival-de-cannes-2012-palmares-un-certainregard/#
En présentant son film devant le public du Festival, lundi
21 mai, la réalisatrice bosniaque Aida Begic, élégante et
voilée (on verra pourquoi ce détail vestimentaire a son
importance), s'est presque excusée de ne pas apporter de
meilleures nouvelles de Sarajevo. Il est vrai que son
deuxième long-métrage (après Premières neiges, en 2008)
est un film sombre, tourné dans une ville qui ne se relève
pas de la guerre, au creux de l'hiver, dans la nuit ou sous
un ciel gris.
Djeca ("enfants", en bosnien) suit un frère et une sœur, orphelins, pendant
quelques jours d'un après-guerre que l'on dirait appelé à durer pour
l'éternité. Rahima (Marija Pikic) est une jeune fille à la beauté austère.
Elle travaille dans la cuisine d'un restaurant où elle gagne moins de 500
euros par mois. Elle vit dans une cité lugubre, avec son jeune frère, sous
le contrôle d'une assistante sociale un peu corrompue. Quand le garçon
casse le smartphone d'un fils de ministre, mauvais camarade de classe,
rompant ainsi le fragile équilibre de la vie des deux orphelins.
Une scène du film bosnien d'Aida Begic, "Djeca" ("Enfants de Sarajevo"). |
PYRAMIDE DISTRIBUTION
Ces péripéties un peu convenues servent surtout à dresser un beau portrait
de femme. Au fil de longues déambulations dans des décors urbains
profondément déprimants, de la cité où elle habite aux quartiers de villas
décorées de guirlandes de Noël, des plans-séquences parfois virtuoses
dessinent peu à peu les strates de la personnalité de Rahima, qui
remontent tour à tour à la surface.
Avant de se voiler, la jeune femme a été punk, elle a fait partie d'une
bande dont les anciens membres sont devenus gangsters ou héroïnomanes.
Au restaurant, son meilleur ami est un cuisinier ouvertement gay. La
conversion de Rahima est une affaire individuelle, on ne la voit pas à la
mosquée, et l'une des plus jolies scènes du film montre une conversation
entre la jeune fille et une amie qui essaie d'expliquer pourquoi, elle, va
toujours tête nue. L'une comme l'autre sont incapables de formuler
clairement les raisons de leur choix.
1.
Une scène du film bosnien d'Aida Begic, "Djeca" ("Enfants de Sarajevo"). |
PYRAMIDE DISTRIBUTION
C'est que, à Sarajevo, les raisons - d'une situation, d'un comportement,
d'une attitude - remontent toujours au même moment, à la guerre. Celle-ci
est omniprésente durant le film. Aida Begic a disposé ça et là quelques
flash-back tournés peut-être avec de vieux Caméscope - en tout cas
l'illusion est parfaite. On retrouve le grain de ces images terribles qui
arrivaient sur les écrans entre 1992 et 1995. Ces séquences montrent des
scènes de guerre, mais aussi des fêtes enfantines dont on comprend
qu'elles ont été tournées dans l'orphelinat où Rahima et son frère ont
grandi.
La cinéaste utilise surtout la bande-son pour évoquer avec force le poids
insupportable de ce souvenir. Les bruits de moteur, la dalle d'un pont qui bouge
au passage de chaque véhicule, les réacteurs d'un avion, tout devient détonation,
rafale, menace d'agression. Pour la seconde fois (après Laurence Anyways, de
Xavier Dolan), on entend Beethoven dans un film présenté à Un certain regard.
Cette fois, c'est la Pastorale qui est mise à contribution. On s'aperçoit après le
générique qu'elle est diffusée comme musique d'ambiance dans le parking
sinistre du restaurant où travaille Rahima.
Une scène du film bosnien d'Aida Begic, "Djeca" ("Enfants de Sarajevo"). | PYRAMIDE
DISTRIBUTION
Ce sens de la dérision court tout au long du film. Face à la réalité sordide de la
Bosnie contemporaine (illustrée par le personnage du ministre délibérément
caricatural), Rahima ne peut opposer que son observance des règles religieuses
et surtout ce qu'il reste de sa colère punk. Elle ne rend jamais les armes et
retrouve, quand il le faut, son stock de jurons.
Après avoir vu le film, en se souvenant de la brève présentation, à la fois timide
et ironique, d'Aida Begic, on soupçonne la cinéaste de ressembler à son héroïne,
à ceci près qu'elle a la chance de disposer d'une arme supplémentaire : le
cinéma.
Aida Begic, née cinéaste durant le siège de Sarajevo
Est-ce un piège, ou un mauvais tour ? Le hall d'hôtel retentit du vacarme des
engins de chantier. Pas de chance : dans le quartier des Halles, à Paris, à
nouveau éventré par les travaux, il est impossible d'échanger une parole avec la
réalisatrice bosnienne, Aida Begic. C'est un peu comme dans son deuxième film,
Djeca, enfants de Sarajevo : les détonations parasitent les dialogues et
contraignent les mouvements des personnages, entre bruits de pétards du Nouvel
An, bricolés par l'ingénieur du son, et explosions de vrais obus, tirées d'images
d'archives du siège de Sarajevo (1992-1996). Où trouver un endroit pour se
parler ? Finalement, une salle de réunion à l'étage fait l'affaire.
Comme l'héroïne du film, Rahima, interprétée par Marija Pikic, dénichée dans
une école de théâtre en Serbie, Aida Begic porte le foulard. Un fichu rose sur un
jean, qui passerait presque inaperçu. Elle prévient aussitôt, en anglais : "I feel
good in my skin" ("Je me sens bien dans ma peau"). "J'ai grandi avec des
parents musulmans, mais laïques. Je suis la première femme de ma famille à
porter le voile. Mais on nous discrimine, on véhicule des clichés sur nous : on
serait des saintes, ou des femmes oppressées, qui restent à la maison." Elle
s'indigne : "It's tricky !" ("C'est compliqué"). Ce signe extérieur de religion lui a
mis des bâtons dans les roues : "Un jour, une femme française, membre d'un
jury dans un festival, a dit qu'elle ne pouvait pas me donner un prix à cause du
foulard."
...
"Djeca", ex-enfants
Sarajevo
de
La réalisatrice bosniaque Aida Begic livre le portrait dur et tendu d’une jeune femme
et de son frère, orphelins de la guerre.
C’est une œuvre âpre, tendue comme la corde d’un arc, tournée sèchement –
comme on écrit « à l’os ». Un film jamais en repos, à l’image de son personnage
principal, Rahima, jeune femme voilée de Sarajevo, toujours en mouvement, allant,
venant, fumant, suivie en de longs plans-séquences par une caméra portée à
l’épaule.
Rahima a 23 ans. Après une adolescence marquée par des embardées rapidement
suggérées, elle a trouvé un emploi de cuisinière dans un restaurant-boîte de nuit
tenu par un patron tyrannique. Toute son énergie semble concentrée sur ce
semblant de vie familiale qu’elle tente de maintenir, s’occupant seule de son frère de
14 ans. Tous deux sont des orphelins de la guerre de Bosnie, enfants sans parents
encore profondément marqués par les horreurs vécues. En conflit permanent – avec
elle-même autant qu’avec les autres –, dévorée par une saisissante violence rentrée,
Rahima ne parvient pas à nouer le contact avec ce lycéen à la dérive, menacé de
renvoi après s’être battu avec le fils d’un homme influent. Elle décide de le suivre,
découvrant les jeux dangereux auxquels il se livre, tout en essayant de faire bonne
figure devant l’assistante sociale qui leur rend des visites froides et tatillonnes.
Mise en scène radicale et suggestive
Dur portrait d’une jeune femme en colère, Djeca porte aussi témoignage de ce que la
réalisatrice appelle « la société de transition », cet état qui maintient la Bosnie de
l’après-guerre dans une attente sans perspectives, favorisant – après le rêve perdu
d’une reconstruction saine – la corruption, la perte de valeurs, l’exploitation des plus
faibles par les nouveaux nantis.
Mis en scène de manière radicale et suggestive, le film utilise quelques images
d’archives insérées comme autant de « chocs en retour » prenant Rahima par
surprise. Surtout, la bande-son, très travaillée, mélange subtil de bruits urbains et
d’éclats de guerre (explosions sèches ou lourdes, claquements lointains…), trahit
l’état mental de la jeune femme, hantée par de terrifiants souvenirs, hésitant toujours
à s’engager à découvert entre les immeubles qui, jadis, abritaient les « snipers » de
sinistre mémoire.
Née à Sarajevo en 1976, la réalisatrice Aida Begic avait 15 ans lorsque la guerre a
éclaté. Son précédent long métrage, Premières neiges, grand prix de la Semaine de
la critique à Cannes en 2008, évoquait le sort d’un groupe de femmes dont les époux
avaient été massacrés pendant la guerre. Présenté en sélection « Un certain
regard », l’an dernier sur la Croisette, Djeca a obtenu une mention spéciale du jury.
ARNAUD SCHWARTZ
http://www.telerama.fr/
Djeca, enfants de Sarajevo
Elle porte le foulard, mais n'a rien d'une femme renfermée ou soumise. Elle ne craint
pas d'aller défier un ministre en activité, dont le fils joue les caïds dans l'école de son
petit frère... On pense à Rosetta, tant cette jeune « soeur courage » de 23 ans (l'étonnante
Marija Pikic) est dans le mouvement perpétuel, se dévouant à toutes sortes de tâches
ménagères...
C'est le deuxième film (après Premières Neiges) réalisé par la réalisatrice bosniaque
Aida Begic : la survie de deux orphelins dans Sarajevo, toujours marquée par la guerre.
Notamment cette jeune fille dont le passé nous revient par bribes. Elle était punk, aurait
pu finir junkie, mais elle s'est convertie à l'islam. Son masque impénétrable tombe
fugitivement, comme dans ce rare moment de détente, au fond d'une cuisine. La
batailleuse y papote avec une copine. Elle défait son foulard, laissant découvrir une
chevelure magnifique. L'autre lui demande, alors, pourquoi le voile. « Parce que j'ai les
oreilles décollées et les jambes tordues », répond l'héroïne. —
Jacques Morice
http://www.telerama.fr/
9
http://next.liberation.fr/
A SARAJEVO, LA GUERRE
GUERRE EST DECALEE
L'actrice Marija Pikic dans le rôle d'une orpheline de guerre. - DR
Qu’est-ce qu’un film utile ? Djeca, de la Bosniaque Aida Begic. Parce qu’il
nous avise de l’après-guerre civile et ethnique dans laquelle vivotent les
différents éclats de l’ex-empire yougoslave. Ce qu’il est advenu de
Sarajevo, qui fut le passe-partout de toutes les horreurs, réelles ou
fantasmées. Mais aussi, plus accaparant, l’après-guerre en général. La vie
des survivants, quel que soit le cataclysme humain qu’ils ont vécu. Le
regret de ce qui s’est passé, le chagrin du temps perdu, mais aussi la
nostalgie. L’odeur de la guerre est aussi un parfum entêtant.
Bazooka. Le personnage de Rahima est à l’image de ce paradoxe :
23 ans, orpheline de la guerre de
de Bosnie, bonniche dans un restaurant
chic de Sarajevo, seconde mère pour son jeune frère Nedim - diabétique
vaguement délinquant - et récemment convertie à l’islam. C’est sa valeur
refuge, son espoir de respect par tous, et en particulier de mise à distance
des hommes qui convoitent sa beauté (l’actrice Marija Pikic, de fait à
tomber raide). Mais il n’y a pas que la face qu’elle se voile. Drôle de fille
en foulard, qui jure comme un camionneur, fait l’humour au bazooka,
fume comme une caserne de pompiers, envoie vertement péter quiconque
lui cherche des noises.
10
La part documentaire du film est à l’aune de ce style nerveux : comme
une paire de claques, le passé de la guerre est évoqué par des documents
d’archives, où le chaos du cadre coïncide avec la panique de ce qui est
alors filmé (tirs de sniper, bombes à l’aveugle). Comme un direct à
l’estomac, dans la fiction contemporaine du film (l’année dernière à
Sarajevo), il n’est question que de corruption, abus de pouvoir,
mortification, marché noir et trafics de toutes sortes.
Bulldozer. Parce que son petit frère a eu la mauvaise idée de latter à
l’école un fils de ministre, Rahima doit encaisser une descente de police
sous haute tension de violence, y compris sexuelle. Un pur bloc de fièvre
cette fille-là. Le parti pris de ne suivre, caméra à l’épaule, que le point de
vue de Rahima, est la bonne idée formelle du film. Sa vie est un chantier
bordélique, le film de sa vie est un bulldozer sans freins. L’autre bonne
idée vient de la bande-son : l’action se déroule entre Noël et le jour de
l’an. Le bruit des pétards le dispute à l’explosion de quelque feu d’artifice.
Djeca nous laisse libres d’imaginer que ces détonations pacifiques en
rappellent d’autres, nettement plus mortelles.
Par GÉRARD LEFORT
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DJECA, ENFANTS DE SARAJEVO
Sarajevo, ville ouverte
Révélée par "Premières neiges" auréolé du Grand Prix de la Semaine de la
critique lors de son dernier passage à Cannes en 2008, la réalisatrice Aida
Bejic est de retour pour un film extrêmement personnel, "Djeca", puisque
celui-ci traite du quotidien d'une jeune femme voilée dans un Sarajevo
post Guerre de Bosnie.
Le récit n'est pas autobiographique, mais traite pourtant d'un style de vie
et d'un contexte que la jeune réalisatrice a pourtant bien connu. Bien que
le conflit bosniaque se soit terminé il y a environ 20 ans, cet après-guerre
n'offre toujours aucune visibilité sur l'avenir de toute une génération dont
Aida Begic fait partie. C'est de cette reconstruction difficile et de ce
quotidien sans certitudes dont traite "Djeca" à travers la vie de cette
jeune femme, victime d'une double discrimination régulière par rapport à
son statut de femme et de porteuse du voile. Les traumas résiduels de la
guerre persistent à travers tout une génération, et il suffit de voir des
enfants jouer dans la rue avec des pétards pendant toute la durée du film
pour faire la transposition avec un conflit toujours frais. Pourtant, là n'est
pas la trame principale du film. Car chaque drame national (et universel)
est avant tout constitué de drames personnels.
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Rahima doit lutter quotidiennement, en devant se faire respecter au
travail, en affrontant l'assistante sociale ou les profs de son frère, pour
que ce dernier puisse vivre convenablement. Affichant un hermétisme
refroidissant à l'image de sa sœur (il ne l'aide jamais dans les taches de la
maison, il critique presque son travail et n'est jamais reconnaissant) ce
dernier souhaiterait presque être à nouveau orphelin pour n'avoir à se
soucier de rien. Recherchant son indépendance dans la délinquance, il se
construit une identité fantasmée (il rejoue la scène du miroir de "Taxi
Driver" la première fois qu'il tient une arme). Puis, le jour où il va rentrer
en conflit à l'école, avec le fils d'un politicien important, ce sera au travers
une lutte des classes opposant les plus pauvres, luttant au quotidien, et
une caste profitant de la reconstruction du pays. Au passage le film
dénonce aussi une certaine incompréhension entre les diverses
personnalités de chacun : le cuisinier homosexuel et croate est
constamment chahuté par ses collègues, Rahima se prend des remarques
de ses supérieurs à la fois pour son voile ("Maquilles toi ! Le fait de porter
le voile ne te force pas à ressembler à un cadavre") ou son passé, comme
lorsque ne sachant pas décorer un arbre de Noël, sa patronne l'accuse
d'avoir "grandi dans une cave".
Malgré tout cela, le récit ne tombe jamais dans un misérabilisme facile.
Aida Begic ne cherche jamais à attirer la pitié du spectateur. N'oubliant
pas que la vie n'est pas faite que de coups durs mais également de petits
moments dont il faut profiter (une fête de Noël, une partie de Playstation),
le contraste de leur quotidien est affiché et représenté notamment par une
bande son composée de musique classique en opposition avec les images.
Ne résolvant pas toutes les intrigues de son film et laissant une multitude
de portes ouvertes, Aida Begic nous livre une trame inachevée (la vie de
ces personnages ne s'arrête pas la lumière se rallume dans la salle de
cinéma) pour un récit concluant sur une énorme note d'espoir et un
message simple et efficace : la reconstruction d'un pays passe d'abord par
la reconstruction de sa famille.
François Rey
http://www.abusdecine.com/
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http://www.filmdeculte.com/
Djeca - Enfants de Sarajevo
ENFANTS DE TOUS PAYS
La sélection Un Certain Regard 2012 nous aura décidément joué un tour :
celui de l’attente sans cesse renouvelée d’une tête qui dépasse dans le
peloton des jeunes cinéastes sélectionnés. Il y a certes eu des éclats, mais
beaucoup moins que les années précédentes, et cette sélection parallèle
ces derniers temps riche en merveilles et découvertes aura surtout
ressemblé cette année à une sage photo de classe : mettant au premier
rang les élèves les plus appliqués, ceux qui rentrent dans le rang. Djeca –
Enfants de Sarajevo, deuxième long métrage de Aida Begic, fait à nos
yeux partie de cette catégorie proprette.
Malgré ce titre français (à la fois explicatif et réducteur) tout droit sorti
d’une compilation humanitaire de 1993, le film évite tout de même la
caricature du « film digne » ayant son sujet fort pour simple carte de
visite. Et pourtant l’équation « enfant en détresse + traumatisme de
guerre + femme voilée », ça faisait un peu beaucoup sur le papier. Ce qui
le sauve du didactique pédant et lourdingue à la Samira Makhmalbaf, c’est
une humilité bienvenue, qui slalome un peu entre symboles (les feux
d’artifices qu’on prend pour des coups de feu) et contexte politique
omniprésent. Ces éléments sont certes présents, mais au moins tout ne se
repose pas entièrement dessus.
En effet, on voit bien que l’intention d’Aida Begic est plus de faire un vrai
film de cinéma qu’un simple exposé (et on aimerait pouvoir en dire autant
de tout le monde). Le problème c’est que pour marquer sa présence, la
réalisatrice bosniaque applique une formule plus que déjà vue. Ce que l’on
appelle le « Kit Rosetta » : personnage principal abrupt filmé de dos par
une caméra à l’épaule, fonçant dans le tas face aux ennuis, dans un
environnement terne… une formule certes efficace mais depuis tellement
exportée, recopiée et diluée qu’elle en a perdu de son impact
cinématographique. Et plutôt qu’une mise en scène « coup de poing », on
se retrouve paradoxalement avec une mise en scène appliquée,
désincarnée. Aux yeux du cinéphile aguerri, Djeca passe alors d’urgent et
sanguin à sage et impersonnel. Un film carré mais humble, jamais
antipathique ou franchement raté, mais sans grand éclat. On ne peut pas
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reprocher à la réalisatrice son manque d’honnêteté, mais on peut lui
souhaiter de faire preuve d’un peu plus d’imagination ou de personnalité
la prochaine fois.
par Gregory Coutaut
http://www.filmdeculte.com/
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http://www.avoir-alire.com/spip.
DJECA
A demi-mot, sans tomber dans les pièges mélodramatiques de l’explicite, Aida Begic témoigne
de la vie que mènent aujourd’hui les enfants de Sarajavo, dans une Bosnie dans l’après-guerre
perpétuel. Nécessaire.
Djeca, en serbo-croate veut dire, « les petits », c’est un terme affectueux qui
contraste avec l’atmosphère du très beau et sombre sélectionné à Cannes dans la
catégorie Un Certain Regard. Le titre semble choisi pour rappeler que c’est bien
d’enfants dont il est question, ce qu’on oublie tant la dureté de la vie à Sarajevo
efface toute trace d’insouciance et d’innocence chez Rahima et Nedim. Il ne subsiste
en eux quasiment plus aucun écho de l’enfance qu’ils ont passée dans un orphelinat,
et dont les images filmées avec de vieux caméscopes rappellent qu’ils ont bien été,
un jour, des mômes comme les autres.
Ils sont frère et sœur, mais souvent le lien entre eux devient celui qui unit une mère
et son fils. Ils forment un duo explosif au sein duquel Rahima répare les coups d’éclat
de son frère, tente de panser ses blessures d’orphelin maltraité par ses camarades,
et de subvenir matériellement à leurs besoins. Le sujet, en creux, est l’amour, qui à
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première vue est absent du film. On guette un espoir, un geste d’affection, mais
Rahima a évacué de sa vie la tendresse, comme elle a ravalé sa rage punk pour
prendre le voile et devenir soutien de famille.
Le sous texte est important : on apprend, ou devine, que Rahima, plus jeune, avait
emprunté une toute autre voie que l’austère rigueur qu’elle observe aujourd’hui. On
comprend aussi que les deux personnages n’ont plus que l’autre au monde, et que la
société bosniaque ne fait pas de cadeau à ses orphelins de guerre, pourtant ceux qui
ont payé le plus lourd tribut au conflit qui a ensanglanté le pays dans les années
1990.
Rien n’est explicite dans cette oeuvre où les sons et l’éclairage en disent bien plus
long que les mots sur les tourments intérieurs des personnages et de la société toute
entière. Rahima, Nedim et les autres sont plongés dans une enclave sinistre, et la vie
à Sarajevo ressemble à une éternelle fin du monde où les quelques survivants
tentent de s’arranger avec le quotidien malgré tout, en serrant les dents. La bande
son est une présence continue, aussi menaçante qu’invisible, écho inévitable de la
guerre, hante la mémoire des Bosniaques.
Le vrai sujet du film, c’est cet après-guerre interminable : point de libération ni de
renaissance à Sarajevo, où les voies du renouveau sont par avance définies comme
viciées : le ministre roule en B.M. et méprise les plus miséreux, l’assistante sociale
est corrompue, même la lumière du jour est absente du film. Elle est remplacée par
les néons blafards du parking, ou ceux de la cuisine où Rahima coupe des rognons
pour cinq cent euros par mois. Des immeubles en béton, la cuisine d’un restaurant,
un parking désert : la réalisatrice choisit délibérément ce que la ville fait de plus
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oppressant afin de plonger cette histoire d’amour fraternelle dans le milieu le plus
hostile qui soit, pour en faire ressortir la nécessité vitale.
La guerre en ex-Yougoslavie n’est pas terminée, elle continue pour les enfants du
Kosovo, qui célèbre aujourd’hui leur 20 ans, et pour qui l’angoisse et l’austérité d’une
existence privée de tout est devenue la grille de lecture du monde.
Elise Loiseau
http://www.avoir-alire.com/spip.php?page=cinema
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http://www.premiere.fr/
DJECA
De ce sujet qui aurait pu conduire au pire des mélodrames, la réalisatrice
de « Premières neiges » tire la chronique au scalpel d’une société prête
à tout pour oublier, y compris à se laisser gangréner par une corruption
généralisée. « Djeca » est porté par une actrice impressionnante, Marija
Pikic, dont le jeu tout en retenue, pare son personnage d’une vérité
poignante où morale et pathos n’ont pas leur place. Un constat clinique,
en forme de cri de détresse.
•
Jean-Philippe Guerand3
http://www.premiere.fr/
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http://www.critikat.com/
La cité des enfants perdus
Djeca – Enfants de Sarajevo
réalisé par Aida
Begić
Déjà repérée avec Premières neiges, la réalisatrice bosniaque Aida Begić filme
l’impossible reconstruction de son pays et l’avenir incertain d’une génération
marquée par la violence. Présenté au festival de Cannes (mention spéciale
« Un certain regard »), Djeca offre un beau portrait de femme sous les
contours parfois trop attendus de la chronique naturaliste.
Orphelins de guerre, Rahima et son frère Nedim survivent à grand peine dans un quartier
blafard de Sarajevo. Employée de cuisine dans un restaurant lounge, elle se bat pour assurer
leur existence fragile, tandis qu’il sèche les cours et multiplie les trafics. Un jour, au cours
d’une dispute, il casse le smartphone d’un de ses camarades, fils d’un important ministre.
Sommée de réparer l’affront, Rahima doit trouver l’argent pour dédommager le père. Autour
de cette trame classique, Aida Begić organise un réseau de plans-séquences collant aux
basques de l’héroïne. Toujours en mouvement, Rahima fonce tête baissée dans un décor
hostile. Ciel lourd, ruelles délabrées, parkings glauques, arrière-salles anonymes : la
réalisatrice maintient le spectateur dans une atmosphère urbaine et stressante. Cette mise en
scène viscérale impressionne (ballet des acteurs minutieusement orchestré) mais respecte un
cahier des charges désormais trop connu. Depuis Rosetta, les frères Dardenne ont fait école, et
leur style – caméra braquée sur la nuque de personnages mobiles – est devenu une marque de
fabrique éculée. Si la recette fonctionne plutôt bien ici, elle ôte au film une grande part de sa
personnalité, et lui donne un aspect presque standardisé. C’est d’autant plus dommage
qu’Aida Begić avait su créer un climat intrigant dans Premières neiges, qui se déroulait
entièrement dans un village perdu au fin fond des montagnes.
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Malgré cet écueil, Djeca reste une fiction sociale intéressante, qui s’inscrit dans une réalité
historique complexe et soulève un questionnement sensible. Comment retrouver un semblant
d’apaisement dans un pays encore meurtri ? Les protagonistes du film ont tous grandi dans un
monde déchiré et portent cette violence en héritage. Les rêves d’un futur serein butent sur les
fantômes du passé. Aida Begić illustre cette idée de manière littérale en insérant à plusieurs
reprises au cours du récit des archives tournées au moment du conflit – des images d’une
texture différente, qui surgissent comme autant de réminiscences dans l’esprit de Rahima.
Dans ces vidéos familiales saisissantes, des enfants costumés répètent une pièce dans une
cage d’escalier, jouent au milieu des immeubles éventrés. Partout des traces de sang
témoignent de l’horreur environnante, et ce rouge vif laisse une marque indélébile dans la
mémoire. Rahima demandera plus tard à son frère de changer de chaîne alors que la télévision
diffuse un reportage commémoratif. Mais les souvenirs la rattrapent toujours par la bande – et
surtout par le son, puisque la réalisatrice construit un hors-champ inquiétant, où les explosions
de pétards suscitent une tension permanente, comme un prolongement de la guerre au
quotidien.
Aida Begić dépeint une société inégalitaire, sans repères moraux, où la délinquance apparaît
pour beaucoup comme la voie la plus rapide vers le confort matériel. Nedim fantasme sur les
armes, reprend devant sa glace les poses de Robert De Niro dans Taxi Driver : il représente
parfaitement cette jeunesse désillusionnée qui ne croit ni au travail ni à l’honnêteté. La
réalisatrice souligne aussi le sentiment d’exclusion des plus démunis face à la classe
dominante : Rahima ne franchira jamais le portail de l’immense résidence du ministre, gardée
par une surveillance policière. La comédienne Marija Pikic prête son visage dur et fin à cette
héroïne solitaire, qui se confronte sans arrêt à des murs : son frère ne daigne pas souvent lui
répondre et ne l’aide en rien dans les tâches domestiques, quand il ne l’envoie pas carrément
sur les roses ; l’assistante sociale la couvre de reproches ; son patron tarde à lui fournir ses
fiches de paie et lui fait des remarques déplacées sur son absence de maquillage.
Indépendante, elle ne cherche pourtant le secours de personne, et surtout pas d’un homme,
malgré l’acharnement d’un voisin épicier qui la poursuit de ses avances timides et
maladroites. Grande sœur responsable mais ex-junkie, portant le foulard mais très émancipée,
Rahima possède une vraie présence et un caractère fort. Avec ce portrait de femme complexe
et réussi – déjà l’un des points forts de Premières neiges – Aida Begić confirme son talent,
même si elle devra sans doute creuser un sillon plus singulier pour imposer sa patte.
Gildas Mathieu
http://www.critikat.com/
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http://www.ecranlarge.com/
, Enfants de Sarajevo
Venu de Bosnie-Herzégovine, Enfants de Sarajevo nous plonge dans le
quotidien difficile de Rahima, 23 ans, et de son frère Nedim, 14 ans. La
première travaille durement dans les cuisines d'un établissement réputé,
sans compter les heures, et se consacre à resserrer des liens fraternels
trop longtemps distendus. Cette situation précaire va brusquement se
dégrader alors que Nedim se dispute violemment avec un fils de ministre,
lequel fera de l'existence de cette ancienne délinquante un enfer.
On ne demandait pas mieux que de découvrir plus avant le quotidien
d'une génération élevée par les conflits balkaniques, et dont la vision du
monde autant que la vie de tous les jours nous sont à la fois voisins, et
radicalement étrangers. Et si Enfants de Sarajevo donne quelques
éléments de réponse quant à la teneur (sinistre) de la vie de ses
protagonistes, il a bien du mal à agencer ces données pour composer une
trame narrative viable. À vouloir n'aborder le passé de ses héros que par
évocations nébuleuses, le scénario abandonne en cours de route une
partie du public, pourtant éminemment curieux de ce qui se joue sous ses
yeux. D'où une répétition dans les différents rebondissements et leur mise
en scène.
La réalisation de Aida Begic s'avère elle aussi systémique, et nous place
inlassablement dos à son héroïne, via un dispositif qui n'est pas sans
rappeler Miss Bala récemment vu en salles. De ces images dont nous
arrivons rapidement à saturation nait non seulement une lassitude
certaine, mais une passivité qui finit par nous tenir en retrait du récit et de
ses enjeux. Un constat d'autant plus regrettable que le long-métrage est
porteur de quelques bonnes idées, notamment en matière de mixage et
d'ambiance sonore, particulièrement travaillés et réussis. Les quelques
fulgurances oniriques du film marquent, mais paraissent finalement peu
de chose au vu défauts structurels et scénaristiques de l'ensemble.
Simon Riaux
http://www.ecranlarge.com/
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Tf1 news
http://lci.tf1.fr/
Honnête mais maladroit
Après "Premières neiges" (2008), la réalisatrice Aida Begic questionne dans "Djeca"
l'avenir de la génération post-Guerre de Bosnie à travers les rapports entre une sœur
(Rahima) et son frère (Nedim).
Le film, allégorique, toute en énergie et drames, s'attache à des enfants victimes
d'événements dont ils ne sont pas coupables, confrontés à l'absence d'utopies.
Fatalement, ils ont grandi plus vite que les autres. Rahima a seulement la vingtaine
qu'elle a déjà oublié son innocence de petite fille et abandonné sa révolte d'ado punk,
pour se réfugier dans l'Islam et devenir mère de substitution pour son frère. Nedim,
lui, a sombré dans la délinquance, réceptacle malheureux d'une idéologie voulant que
la mafia et la corruption soient les seules voies de la réussite.
Lorsque le film se focalise sur les personnages secondaires, il met en exergue
différentes formes de discriminations et d'intolérances. Les questions soulevées
(Comment survivre à une guerre? Existe-t-il une part de rêve pour les jeunes adultes
dans un pays privé de culture?) sont pertinentes, les réponses pas faciles. D'une
sincérité indiscutable, mais souvent démonstratif dans le propos et hésitant dans la
mise en scène tantôt sous influence du cinéma d'auteur européen tantôt illustrative.
Romain LE VERN
http://lci.tf1.fr/
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http://next.liberation.fr/
«Djeca», mouise en abyme
Nerfs. Filmant la lutte acharnée d’une jeune femme pour ne pas sombrer, Aida Begic
raconte Sarajevo aujourd’hui et la vie dans une société détruite, où l’agressivité est
partout.
Rahima (Marija Pikic). - Photo DR
Djeca est un film bosniaque, mais, pour parvenir à le financer, il a été nécessaire
d’aller chercher des subsides complémentaires aussi bien en France qu’en Allemagne
et en Turquie. La réalisatrice Aida Begic sait qu’elle est une exception dans un pays
qui ne produit guère plus que deux à trois films par an. La crise financière mondiale
est venue frapper un pays ruiné et en pleine reconstruction
reconstruction après le siège de Sarajevo
qui a pris fin en 1995 avec la signature des accords de Dayton. Des sommes
considérables ont été dépensées pour reconstruire ou restaurer ce qui avait été
bombardé, mais les 13 000 morts (dont 1 600 enfants) sont des fantômes qui hantent
encore les rues d’une capitale où se concentrent les crispations ethniques et les
disparités de classes.
Arrêt de mort. Djeca («enfants», en bosniaque) raconte sous la forme d’un portrait
de jeune femme orpheline, soutien de son jeune frère,
frère, le style de vie que l’on mène
dans une société détruite. Rahima (Marija Pikic), 23 ans, fait la cuisine dans un barrestaurant clinquant tenu par un patron irascible. Elle a sorti de l’orphelinat Nedim
24
(Ismir Gagula), 14 ans, qui va au lycée où il est maltraité par une bande de gamins,
dont le fils d’un ministre. Un jour, Nedim lui casse son iPhone et Rahima est
convoquée par la directrice, qui lui demande d’offrir un nouvel appareil à la victime.
Une babiole qui lui boufferait trois mois de salaire. Les ennuis s’accumulent et Aida
Begic filme cette montée du niveau de la mouise comme on nage à contre-courant
d’un flot de chocs visuels et sonores qu’il faut parer. L’image tangue, Rahima bouge
tout le temps comme si ces mouvements, mâchoires serrées, tête baissée, étaient la
seule garantie de sa survie. Un moment immobile signerait son arrêt de mort, la
noyade.
La grisaille d’une banlieue moche de Sarajevo, des barres d’immeubles criblés de
balles, tagués d’insultes, des groupes de types en jogging qui traînent tandis que
passent en trombe des 4 × 4 aux vitres teintées… C’est la décadence ordinaire des
périphéries du libéralisme où le deal devient le motif unique des échanges entre les
individus : marché noir, drogue, troc d’un passe-droit contre une petite faveur
sexuelle, échange de cadeaux pour amadouer l’assistante sociale.
Il ne faut pas regarder de trop près les invraisemblances du scénario (comment un fils
de ministre est-il dans un lycée de banlieue avec des gamins de sous-prolétariat local
?), ni s’attendre à des virages narratifs insensés. Mais Djeca captive par
la représentation qu’il donne de l’isolement d’une jeune femme qui est convoitée,
exploitée, ignorée, poussée à bout. L’agressivité sociale est omniprésente, version
pacifiée de la guerre encore fraîche dans les esprits de ceux qui ont grandi sous les
bombes, entre les tirs de snipers.
Punk. Aida Begic a demandé à son actrice, qui n’est pas musulmane, de porter le
voile pour son personnage. La cinéaste est elle-même voilée. La dimension
autobiographique du film ne s’arrête pas là, Begic ayant eu, comme Rahima, une
turbulente adolescence punk rock avant de décider d’afficher ses convictions
religieuses contre l’avis de ses proches, y compris de son mari. Elle revendique ce
choix non comme le signe d’une soumission mais d’une farouche autonomie. Son
film, arraché à la dépression nationale, en est la preuve.
Par DIDIER PÉRON
http://next.liberation.fr/
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http://cinema.nouvelobs.com/
Djeca d’Aida Begic
Deux orphelins de la guerre de Bosnie vivent à Sarajevo, ignorés par une
société qui ne veut plus entendre parler de victimes ni de blessures de guerre.
L’aînée, Rahima, s’est tournée vers le respect scrupuleux de l’islam, sans
voir que Nedim, son petit frère, s’enfonçait dans la délinquance. De ce sujet
qui aurait pu conduire au pire des mélodrames, la réalisatrice de « Premières
neiges » tire la chronique au scalpel d’une société prête à tout pour oublier,
y compris à se laisser gangréner par une corruption généralisée. « Djeca » est
porté par une actrice impressionnante, Marija Pikic, dont le jeu tout en
retenue pare son personnage d’une vérité poignante où morale et pathos n’ont
pas leur place. Un constat clinique, en forme de cri de détresse.
■
Par Jean-Philippe Guerand
http://cinema.nouvelobs.com/
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http://www.lesinrocks.com/
Djeca Enfants de
Sarajevo
Evocation d’une certaine jeunesse orpheline.
On avait aimé Premières neiges, le premier film d’Aida Bejic, évocation
pudique de l’après-guerre de Bosnie via un portrait de femmes. La réalisatrice
27
sort de sa réserve dans cette évocation de la jeunesse perdue à Sarajevo, rendue
orpheline par le conflit.
Avec comme héraut une jeune femme occupée à dompter son frère dans une
société hostile (crise, corruption endémique). Il y a de la colère dans la
trajectoire, littérale à l’écran, de l’héroïne qui rentre dans le tas, souvent filmée
de dos à la Dardenne.
Mais le procédé, pas neuf, et des images d’archives de la guerre comme flashbacks en dispersent l’énergie. C’est un peu lourd.
Dommage, car la cinéaste sait être subtile pour suggérer lutte et âpreté : par le
travail de la bande-son, quasi industrielle, où le moindre bruit est menace ; par
l’usage, jamais prosélyte, de l’islam comme discipline intérieure façon
samouraï.
C’est dans ces espaces que le film va au-delà de la charge convenue.
Léo Soesanto
http://www.lesinrocks.com/
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http://www.lexpress.fr/culture/
Djeca - Enfants de Sarajevo
Un film pudique sur le dur métier de vivre.
On entre dans ce film serbe comme s'il était roumain! Entendez par là un
cinéma réaliste montrant le dur métier de vivre dans un pays après la
catastrophe. Guerre ici, dictature là-bas. L'autre point commun est
l'utilisation abondante de plans séquences faisant corps avec les
protagonistes. Ici, une jeune femme voilée qui essaie de garder son frère
dans le droit chemin. Sous-titré Enfants de Sarajevo, Djeca parvient à
garder une distance avec son décor. La cinéaste met en effet les enjeux
dramatiques à la périphérie de son cadre pour mieux percer le mystère
intérieur de ses personnages. Et le spectateur aura la belle impression
de vagabonder avec eux sans enfreindre cette pudeur
Par Thomas Baurez (Studio Ciné Live),
http://www.lexpress.fr/culture/
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http://www.commeaucinema.com/
Notes de Prod. : Djeca
Note d'intention de la réalisatrice
GENÈSE
Premières Neiges, mon premier long métrage, racontait l’histoire d’un groupe de
femmes qui avaient perdu tous leurs hommes lors des massacres en Bosnie de l’Est.
Le récit suivait leur lutte pour survivre après la guerre, en 1997.
Durant le développement de Premières Neiges, nous avons beaucoup parlé de ce
que nous appelions “le rêve bosnien”. A cette période, nous croyions en la
reconstruction de notre société. Lorsque j’ai envisagé le sujet de mon second film, j’ai
essayé de comprendre dans quelle sorte
de société nous vivions aujourd’hui, ce qui avait changé depuis l’époque où nous
développions Premières Neiges...
Neiges... J’ai alors réalisé qu’aujourd’hui nous ne croyons
plus à cette reconstruction et que nous avons remplacé nos rêves par nos souvenirs.
J’ai remarqué que quand mes amis et moi discutons de la guerre, nous en parlons
toujours de manière particulièrement vive, passionnée. Je me suis alors demandé si
le temps de la guerre n’avait pas été la seule période pendant laquelle nous avions
véritablement vécu. Notre vie pendant la guerre était-elle vraiment meilleure ou
avons-nous ce sentiment parce cette époque est maintenant derrière nous ? Les
gens étaient-ils vraiment plus humains pendant cette période, qui fut la plus difficile
de l’histoire de notre ville, ou a-t-on ce sentiment aujourd’hui parce que nous étions
alors tous exactement dans la même situation désespérée ? Que penser de ceux
d’entre nous qui n’ont même plus de souvenirs de ce que ma génération appelle “la
vie normale” d’avant la guerre ?
TRANSITION
La transition est un moment de transformation. Elle implique le changement, la
métamorphose, ce qui ne revêt pas toujours une connotation négative. Mais la
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Bosnie est dans une période de transition qu’elle n’arrive pas à achever depuis seize
ans déjà. Un sentiment dominant d’impuissance et une incapacité à envisager le
futur en résultent. Près de vingt ans après la fin de la guerre, nous vivons encore
dans un “présent” infini et avons toujours peur du futur.
Comme dans presque tous les pays qui connaissent ce destin, la transition est un
terreau pour le maintien de l’injustice, de la corruption, de la violence et de beaucoup
d’autres phénomènes sociaux néfastes. Ceux qui étaient en bas de l’échelle sociale
sont parfois devenu riches très rapidement et ont des positions influentes, alors que
d’autres qui ont refusé d’accepter les nouvelles règles du jeu les ont remplacés tout
en bas de l’échelle.
CHACUN EST “L’AUTRE”
Au restaurant où elle travaille, les collègues de Rahima se comportent comme une
famille dysfonctionnelle, où chacun à sa façon diffère de la norme sociale. Portant le
voile, Rahima est automatiquement marginalisée, car les préjugés à l’égard des
femmes voilées sont les mêmes à Sarajevo que dans le reste du monde. Bien qu’elle
porte le foulard, Rahima n’est pas si différente des filles de son âge – chez elle, elle
écoute la même musique, elle aime, hait, fait des erreurs et vit sa vie comme les
autres filles “normales”. Mais à cause de ses convictions religieuses, elle est perçue
comme “l’autre”, comme étant “différente” et est discriminée. Le chef cuisinier, Davor,
appartient à la minorité croate et est homosexuel. Son appartenance ethnique et sa
sexualité le placent dans la catégorie des “inacceptables”. Dino, le serveur, est un
junkie, la patronne du restaurant, Vedrana, se montre cruelle parce que son mari, qui
est devenu un wahabite radical, lui a enlevé la garde de ses enfants...
Il existe un conte soufi qui parle de deux oiseaux, un corbeau et un pigeon, qui
deviennent les meilleurs amis du monde. Quand les gens se demandent ce que des
oiseaux aussi différents peuvent avoir en commun, ils remarquent qu’ils leur
manquent une patte à tous les deux.
Comme ces oiseaux, les employés du restaurant partagent leur douleur et leurs
manques.
LA MEMOIRE
La plupart des gens dans le monde savent à quoi la guerre ressemble : la télévision
en a créé une représentation commune. Mais la guerre évoque quelque chose de
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très différent pour ceux qui l’ont réellement vécue. En temps de guerre par exemple,
les gens agissent, ou au moins essayent d’agir comme s’ils étaient dans une
situation
normale.
Pendant le siège de Sarajevo, nous montions souvent des pièces de théâtre, faisions
des films, des fêtes, fêtions nos anniversaires. Les enfants jouaient comme n’importe
quels autres enfants dans le monde. Dans chaque famille, il existe une grande
quantité d’archives qui montrent la vie des habitants de Sarajevo pendant le siège.
Parce qu’elles évoquent cet aspect individuel, humain de la guerre, ces archives
personnelles sont bien plus fidèles à la mémoire des gens que les images que l’on
voit à la télévision. Les images de la vie quotidienne pendant le siège expriment un
sentiment intime et complexe du souvenir qu’il est difficile de traduire par des mots :
la mémoire de la guerre est faite d’horreurs mais aussi de belles choses. Elle montre
que la résistance ne passe pas seulement par les armes. La résistance se trouve
aussi dans la force des gens, dans leur capacité à préserver un mode de vie normal
en des temps anormaux.
Ce que j’ai voulu faire, en utilisant des archives du temps de la guerre pour illustrer
les souvenirs de Rahima, c’est partager, comprendre ce que peuvent être les
souvenirs de quelqu’un qui a vécu une situation aussi difficile. L’histoire du film le
justifie, mais il s’agit aussi d’un désir personnel et d’un besoin de parler de mon
expérience, et de la mémoire de la guerre qui est la mienne.
Quelqu’un qui a un passé aussi difficile que celui de Rahima peut-il être capable de
retrouver de l’humanité, et comment ? Choisira-t-elle de se construire ou de se
détruire ?
CONTRASTES
Le contraste est pour moi l’élément clé de l’identité visuelle du film. Contraste entre
riches et pauvres, entre vie et mort, passé et présent, réalité et illusion, liberté et
emprisonnement. Paradoxalement, tout cela coexiste dans DJECA. Le personnage
principal, dont le film suit le point de vue, rassemble tous ces contrastes. Rahima est
le paradigme de cette réalité complexe de la période d’après-guerre. En suivant le
personnage principal, caméra à l’épaule, j’ai souhaité que le spectateur rejoigne la
jeune femme dans son voyage à travers ses émotions.
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http://www.cafebabel.fr/
Enfants de Sarajevo : critique en
trois temps
Photo : Djeca - Enfants de Sarajevo © SFF 2012
Une Bosnienne, un Polonais et une Allemande partagent leur point de vue sur le
film d’ouverture d’Aida Begic, Enfants de Sarajevo, qui ouvre le festival
cette année.
L’atmosphère excessivement sinistre du film, dépourvue de cet humour si
caractéristique aux habitants va certainement frapper n’importe quel Bosnien ou
Herzégovien. Sachant à quel point il est rare pour les médias étrangers de relater
de bonnes nouvelles venant de Bosnie-Herzégovine, on ne peut que regretter
l’intention du metteur en scène de ne
ne capturer que la sinistrose au détriment du
positif des années d’après-guerre, pourtant plus représentatif de la réalité.Il est
vrai, cependant, que le film d’Aida Begic vise avant tout à provoquer et à faire
réfléchir sur un problème trop souvent négligé.
négligé. À travers l’histoire de deux
orphelins, Rahima et Nedim, elle dessine le portrait d’une génération entière
d’enfants grandissant dans une ville en transition, marquée par une perte de
valeurs et un déclin du sens de la communauté. Ici, Enfants de Sarajevo pose
une question à la fois simple et provocante : quel héritage laisse-t-on à cette
nouvelle génération, incarnant notre futur, qui n’a connu que la guerre,
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l’aversion et un lavage de cerveau nationaliste ? Utiliser le cinéma pour poser
cette question confère au film une forme d’activisme artistique. D’une certaine
façon, Enfant de Sarajevo est une contribution exceptionnelle et nécessaire au
dialogue citoyen, qui peut apporter une nouvelle connaissance et ainsi, peut-on
espérer, faire la différence.
Jasmina Hodzic, Bosnie-Herzégovine
La
réalisatrice Aida Begic et l’actrice principale, Marija Pikic.
Enfants de Sarajevo est donc un film sur la lutte quotidienne de deux orphelins
dans un contexte d’après-guerre, la vie à Sarajevo. Si j’avais regardé le film
avant de venir en Bosnie, il y a à peu près un an, il aurait seulement été pour moi
un énième long-métrage consacré au sang et aux larmes. Toutefois, ma présence
à Sarajevo m’a fait prendre conscience de deux choses : d’une part le titre
bosnien « Djeca » (« enfants ») sonne mieux que l’anglais (« kids »), d’autre
part Aida Begic s’attache à décrire de petits détails, éminemment révélateurs de
la culture et de la mentalité du pays. En mêlant images de guerre et intrigue
actuelle, la réalisatrice démontre un élément aussi troublant que réel : la guerre
est toujours présente dans l’esprit des gens. Sur le pan esthétique, la musique
donne une autre dimension au film et se marie parfaitement avec le ton utilisé.
Elle est constamment mixée avec des sons évoquant la guerre à tel point qu’elle
en vient parfois à tromper la réalité. Cependant, le film capte quelque chose que
l’on n’entend pas dans les cafés de la capitale. Un tabou que l’on pourrait
dépeindre comme étant le résultat d’un véritable traumatisme pour une
population qui doit (encore) apprendre à s’adapter à la « vie normale ». Aida
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Begic emploie enfin un humour elliptique, difficile à saisir pour ceux qui ne sont
pas familiers des us et coutumes bosniens. Reste cette fin « hoolywoodienne »
qui ruine l’impression plutôt positive sur le film. Une fin qui témoigne aussi de
la grande difficulté qu’ont les réalisateurs, aussi talentueux soient-ils, à mettre
un point final sur des histoires malheureusement inachevées.
Arthur Krzykowiak, Pologne
« Et encore un autre film de guerre », est-on tenté de dire après avoir vu le film
d’Aida Begic, Enfants de Sarajevo. Son film, qui suit les épreuves quotidiennes
privilégie les teintes froides, les sons frissonnants et les images d’archives. Soit
autant d’éléments qui donnent la chair de poule. Si le jeune frère Nedim n’avait
pas cassé l’iPhone de son riche camarade de classe, il aurait été difficile de
distinguer le présent du passé. Dans un style proche du Projet Blair Witch,
l’effet « caméra de poche », accolée aux protagonistes, renforce la précipitation
dans laquelle vivent les habitants de Sarajevo. Tout ceci place le spectateur dans
un sentiment d’impatience face à l’incroyable qui pourrait se produire. Mais
l’incroyable n’existe pas à Sarajevo : personne ne se bat, personne ne se tire
dessus, personne ne tombe amoureux. Les brèches de bonheur n’existent que
dans les sociétés où les gens supportent leur vie de tous les jours. À Sarajevo on
achète des œufs et du jus, on met et enlève son foulard, on va à l’école, on boit
du thé et on va travailler. Pas d’histoire personnelle, seulement un fardeau : celui
de « la guerre », qui finalement se révèle être le véritable acteur des Enfants de
Sarajevo. Qu’importe l’heure à laquelle Rahima part de chez elle pour se rendre
au travail (dans un restaurant huppé dirigé par un lèche-botte corrompu) les
balles semblent tomber du ciel. Bref, le contraste avec les 32 degrés ressentis à
l’extérieur du théâtre national de Sarajevo, est trop important. Le théâtre devant
lequel la ville entière s’apprête à vivre deux semaines de fiesta continue. À
travers la rue, seules quelques façades montrent des impacts de balles,
synonymes de la lente cicatrisation de Sarajevo.
Katharina Kloss, Allemagne
par Jasmina @ , Katharina Kloss @ , artur.k @ Traduction : Camille Spriet @
http://www.cafebabel.fr/
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http://www.cinemateaser.com/
Cannes 2012 : DJECA / Critique
Avec pour but de décrire ce que les enfants de la guerre de Sarajevo, privés très tôt de leurs
parents et ayant grandi sans figure tutélaire forte, sont devenus aujourd’hui, Aida Begic livre
un film d’une grande simplicité, dénué d’intrigue superflue ou d’effets de manche
scénaristiques. En collant de près sa protagoniste (la magnifique Marija Pikic) grâce à de
longs plans séquences se succédant, elle peut ainsi décrire la misère sociale dans laquelle
ces survivants se débattent et la facilité déconcertante avec laquelle ils peuvent sombrer
dans la criminalité. Elle filme aussi les « familles » qu’ils se recréent à défaut d’avoir encore les
leurs, les refuges dans la religion, la quête de spiritualité quand on a connu l’atrocité de la
guerre. Le tout, en réaction à une société en reconstruction dont profitent les réseaux
parallèles criminels pour proliférer, sous couvert de protéger les populations, et dont se
servent les politiques pour asseoir leur pouvoir d’une manière abusive, créant un pays pauvre
où pullulent les riches. Voilà pour la dimension engagée du film.
Mais le portrait de femme n’est pas moins envoûtant : notre héroïne, devenue grave, pieuse
et responsable trop jeune, peine à tourner la page sanglante de son pays et, même si elle
laisse poindre une once de joie de vivre, est sans cesse rattrapée par la dureté du quotidien.
Ce qui la transforme souvent en chienne qui n’a plus peur de rien, et surtout lorsqu’il lui faut
protéger l’intégrité de son frère. DJECA est un film funambulant entre exposé pétri d’Histoire
et drame intime, dont la fin surprenante lui insuffle une jolie délicatesse.
Emmanuelle Spadacenta
http://www.cinemateaser.com/
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http://www.iletaitunefoislecinema.com/
Djeca, Enfants de Sarajevo
Premières neiges, premier long métrage d'Aida Brević sorti en 2008, racontait l'histoire d'un
groupe de femmes ayant perdu tous leurs hommes suite aux massacres en Bosnie de l'Est. Le
récit d'une lutte pour survivre dans une société exsangue d'après-guerre, au sein de laquelle
tout semblait cependant possible. Dans Djeca, ce « rêve bosnien », cette croyance en une
société sur le point de se reconstruire, a disparu. Les souvenirs ont désormais remplacé les
rêves. Il faut dire que seize années ont passé depuis la fin des combats et la Bosnie ne parvient
pas à achever sa transition vers une nouvelle ère. Et comme dans la plupart des pays où le
futur n'existe pas, le changement nébuleux est un terreau fertile pour le maintien de l'injustice,
de la corruption, de la violence et de tout autre phénomène social néfaste. Pour beaucoup,
l'échelle sociale s'est inversée depuis la fin de la guerre, les riches ne souhaitant pas intégrer
les nouvelles règles du jeu devenant soudainement pauvres et inversement.
Beau deuxième film, qui a reçu la mention spéciale du jury dans la sélection Un certain regard
à Cannes l'an passé, Djeca suit l'histoire de Rahima, une orpheline de la guerre en exYougoslavie. Employée de cuisine, elle s'occupe seule de Nedim, son frère adolescent
bagarreur, et répare ses bêtises tout en louvoyant pour éviter l'assistance sociale. En
s'appuyant sur un scénario aux sentiers battus, la cinéaste Aida Begić déploie - avec une
facilité déconcertante - une étourdissante mise en scène tout en longs plans-séquence tournés
caméra à l'épaule. Au centre de toutes ces circonvolutions aux chorégraphies millimétrées,
Rahima est pistée dans ses moindres faits et gestes : bavardages dans les sous-sols d'une
arrière-cuisine, déplacements sinueux dans les artères désertes de Sarajevo, et cætera. À
l'inverse de Premières neiges, film très statique, tout est en mouvement dans Djeca. Cette
mise en scène organique semble avoir été conçue en réaction directe avec le mode de vie des
personnages. Ainsi, la structure du film parvient habilement à rendre compte de la vie
chaotique et des perturbations que traverse Rahima. Hyperactive, cette jeune femme de 23 ans
est en mouvement permanent et ne cesse de tourner en rond, arpentant inlassablement des
endroits connus. Une façon de cultiver la normalité en feignant une vie ordinaire. Tout bouge
mais rien ne change.
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Dans Djeca, les protagonistes se comportent comme une famille dysfonctionnelle au sein de
laquelle aucun des membres ne correspond à la norme sociale. Un état de fait d'autant plus
prégnant dans le restaurant où travaille Rahima. D'un côté, la jeune femme est marginalisée
parce qu'elle porte le voile ; Davor, le chef cuisinier, appartient quant à lui à la minorité croate
et est homosexuel ; et Dino, le serveur, est un junkie. C'est précisément les douleurs, les
différences et les manques qu'ont en commun ces employés qui leur permettent de vivre
ensemble. En multipliant les exemples de ce type, Aida Begić érige un témoignage intéressant
du devenir incertain des minorités en Bosnie. Mais avant de parvenir à s'émanciper
complètement de son statut de petite sœur Dardenne d'un cinéma bosniaque ne comptant par
ailleurs que trois productions par an, il faudra sans doute un troisième film à cette prometteuse
réalisatrice. Reste que Djeca offre des fulgurances remarquables. Le parcours du combattant
enivrant de Rahima, ex punk qui a pris le voile, dresse un portrait de résilience impressionnant
enchâssé dans un autre : celui de Sarajevo, ville fantôme et cafardeuse en perpétuel état de
siège. Après la guerre vient la stase, et avec elle une vie clandestine qui palpite.
Alexandre Jourdain
http://www.iletaitunefoislecinema.com/
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UNIVE
RS CINE
http://www.universcine.com/
B comme... Aida Begić
Née à Sarajevo en 1976, Aida Begic est diplômée de la Sarajevo
Academy of Performing Arts en 2000...
Son film de fin d'études First Death experience est présenté en
sélection officielle à la Cinéfondation au Festival de Cannes 2001 et
remporte de nombreux prix à travers le monde. En 2003, elle réalise
son second court-métrage North went mad.
Aida Begic enseigne aujourd'hui la réalisation à la Sarajevo Academy
of Performing Arts et réalise de nombreuses publicités et spots vidéos.
En 2004, elle a fondé Mamafilm, société de production indépendante
avec Elma Tataragic. Premières neiges est leur premier long-métrage.
Le deuxième, Djeca, a été selectionné au festival de cannes 2012.
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Aida Begic : "En Bosnie, les femmes sont une cicatrice
qu'on cherche à cacher"
Elles ont vu leurs maris se faire tuer, leurs maisons être détruites, les puissances étrangères
détourner les yeux, et les mafias s'installer sur les champs de ruines. "Les femmes bosniaques
sont des témoins et des rappels à tous de ce qui s'est passé pendant la guerre", explique la
réalisatrice. Elle qui porte le foulard signe là un film-réquisitoire contre l'incurie du pouvoir et
la domination des hommes.
Vous êtes née et avez grandi à Sarajevo. Comment avez-vous été amenée à raconter une
histoire de villageois de l'est de la Bosnie ?
Après la guerre, beaucoup de gens se sont retrouvés sans leur famille ou leurs proches.
Beaucoup de ces femmes habitaient des villages. La Bosnie est surtout constituée de villages,
de petites villes et d'une seule grande ville, Sarajevo. Du jour au lendemain, ces femmes ont
perdu leurs maris, leurs enfants, et ont dû tout assumer seules, faire un pas de près de deux
siècles en avant. Je me suis toujours demandée à quel point cela a dû être un choc pour elles.
La plupart ont grandi dans un environnement patriarcal où elles ont été à la fois protégées et
opprimées.
En plus d'avoir à soigner leur âme, elles ont dû assumer ce changement de vie énorme. Pour
moi, cette petite communauté isolée du monde extérieur est fascinante. L'isolement rend les
relations entre les membres de la communauté plus intenses. J'ai eu cette expérience lors du
siège de Sarajevo.
Cet isolement génère aussi une série d'illusions et de mensonges, qui ne peuvent être révélés
que par des éléments extérieurs. J'ai d'abord voulu montrer que la vie continue malgré les
horreurs passées. Mon propos n'est pas politique.
Le film débute comme une réunion de famille. On croit d'abord que ce sont les membres
d'une même famille, et pas d'un village.
D'une certaine façon, ils sont une famille. Quand j'ai fait des recherches pour ce film, j'ai
rencontré beaucoup de femmes qui ont connu les mêmes drames. C'est entre elles qu'elles se
comprennent le mieux. Il est difficile de ressentir la douleur des autres. La plupart du temps,
nous ne voulons pas la ressentir non plus.
Ces personnes se sentent mieux ensemble, parce qu'elles peuvent partager des souvenirs et
entretenir la mémoire et la présence de leurs proches qui ont disparu. Ces femmes s'occupent
aussi des enfants orphelins. Ce sont des liens très forts qui les maintiennent unies. Je pense
que cette importance de la famille et de la communauté a disparu des sociétés occidentales,
alors qu'en Bosnie nous maintenons encore cette valeur.
La situation particulière que ces femmes vivent les amène à se détacher du schéma patriarcal.
Elles n'ont pas choisi de vivre seulement entre femmes. La réalité est que l'armée serbe a
intentionnellement tué les hommes pour livrer les femmes à elles-mêmes et détruire leurs
41
vies. C'est commun à beaucoup de guerres. D'un autre côté, l'esprit patriarcal est encore
présent. Même si elles sont très fortes et qu'elles peuvent gagner leur vie sans les hommes, ce
n'est pas une communauté normale. Les hommes leur manquent comme un corps à qui il
manque une main.
Comment avez-vous trouvé les lieux du tournage ?
Nous les avons cherchés pendant deux ans. Nous avons voyagé un peu partout en Bosnie.
Nous n'avions pas assez d'argent pour construire un village et la plupart des villages en ruines
existant en Bosnie sont infestés de mines. C'est très dangereux, voire impossible, d'y tourner.
Finalement, nous l'avons trouvé dans l'est de la Bosnie, dans un lieu qui a subi le pire
nettoyage ethnique et génocide de la Bosnie. Nous avons trouvé un village qui avait connu
une histoire similaire à la nôtre. C'était assez incroyable et cette réalité a porté toute l'équipe.
Quelle est la part d'improvisation des acteurs ?
Dans quelle mesure le film est-il fidèle au scénario ?Le scénario était très strict. Nous avions
juste 30 jours de tournage et nous avons finalement tourné tout le film en 5 semaines. Je
n'avais pas le luxe de tourner 10 scènes supplémentaires que j'aurais coupées au montage.
Tout était précisément préparé à l'avance, et je savais exactement quelle scène se
positionnerait après l'autre. Les acteurs n'ont pas eu accès à la toute dernière version du
scénario. Ils avaient juste leurs scènes la veille du tournage. Je voulais obtenir d'eux un
sentiment de liberté, ne pas les stresser avec la technique. J'ai d'ailleurs beaucoup utilisé la
caméra à l'épaule pour aller dans ce sens.
Vous vous intéressez à beaucoup de personnages à la fois. Comment éviter qu'ils soient
unidimensionnels ?
Il n'y a pas une réponse unique et juste à la situation de l'après-guerre en Bosnie. Cette
situation amène beaucoup de questions et peu de réponses. C'est pourquoi notre but était de
donner à voir les problèmes et les possibilités de vivre en Bosnie. Parfois, dans la même
journée, vous pouvez passer par des sentiments complètement opposés.
Dans la matinée, vous pensez que vous devez quitter ce pays car tout y est horrible. Dans
l'après-midi, vous réalisez que vous êtes tellement attaché à ce pays que vous ne pourriez
vivre nulle part ailleurs. C'est très complexe, très contrasté. Cette dualité qui traverse chacun
d'entre nous contribue à une tension générale.
Chaque personne en Bosnie peut faire l'objet d'un film. C'est pourquoi nous avons essayé de
considérer les personnages aussi sérieusement que possible, et de ne pas leur donner qu'une
seule dimension.
Je comprends par exemple le personnage de Sabrina, qui est amoureuse d'un étranger, et qui
veut quitter ce trou que représente son village. D'un autre côté, je comprends aussi Alma qui
veut rester là, persuadée qu'elle ne trouvera pas ailleurs ce à quoi elle tient dans sa
communauté en Bosnie. Le monde extérieur n'est pas un conte de fées. Il est très difficile de
vivre en dehors de son pays.
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Aima, votre personnage principal, pousse les autres à rester et à reconstruire le village.
Son personnage semble le plus proche de votre point de vue de réalisatrice..
Alma est comme ces nombreuses femmes qui se sont mariées très jeunes avant la guerre, et
qui n'ont passé qu'un ou deux ans avec leur époux. La guerre a éclaté et a tué leurs maris.
Elles sont encore très jeunes, gardent cet amour pour le défunt, mais ont en même temps
besoin de continuer leur vie.
Elles vivent une jeunesse où le passé récent et le futur s'entrechoquent. Le personnage d'Alma
est comme cela, et elle est assez forte pour penser que ses rêves peuvent se réaliser. C'est là où
je la rejoins. Je pense moi aussi qu'il y a beaucoup de choses superbes en Bosnie, et que si on
se donne les moyens, on peut vraiment faire de notre pays un endroit agréable où vivre
normalement.
Mais nous devons beaucoup travailler et résister à de nombreuses tentations qui sont devant
nous. Premières neiges est aussi une histoire sur la mondialisation parce que chacun d'entre
nous, habitant en Europe est confronté au jour le jour à ces dilemmes. Devez-vous accepter
une offre pour conforter l'aspect matériel de votre vie, mais en vendant votre âme ? Devezvous vivre vos propres rêves, tout en sachant qu'ils pourraient être cauchemardesques ?
Je pense que ce sont des questions que chaque européen, ou même citoyen du monde, se pose
aujourd'hui. En ce sens, la réaction d'Alma à l'offre que les hommes apportent au village
constitue une réponse possible à la question de comment garder son identité dans le monde
capitaliste, matérialiste et cruel dans lequel nous vivons. Si nous ne résistons pas, nous ne
serons plus qu'une partie ridicule d'une machine sans signification qui nous détruira et détruira
tout ce qui donne du sens à cette vie.
Pour quelle raison ces deux hommes serbes cherchent-ils à acheter le village ?
Cela arrive tous les jours en Bosnie. La Bosnie est un endroit parfait pour blanchir de l'argent
européen ou international. Il y a un marché noir, énormément de corruption et beaucoup
d'étrangers sont liés à cette chaîne d'affaires.
Aujourd'hui, dans la Republika Srpska (république Serbe de Bosnie), à l'est de la Bosnie, le
programme de retour des habitants, qui consiste à faire revenir chez eux ceux qui ont été
chassés pendant la guerre (des Musulmans et des Croates) est un échec complet. Quand ces
gens reviennent chez eux, on leur tire dessus, on les insulte, on les menace. Personne ne veut
qu'ils reviennent.
Vous ne croyez pas à une possibilité pour les différentes communautés de vivre ensemble
dans cette partie de la Bosnie ?
Je ne sais pas. C'est très dur. Même dans un endroit comme Srbrenica, ce n'est pas facile pour
les femmes de revenir. Même si le monde entier sait qu'un génocide y a eu lieu, que 10 000
hommes ont été tués en une seule journée. Même si Radovan Karadzic a été arrêté, d'autres
sont encore libres.
Ces criminels de guerre peuvent marcher tranquillement dans les rues, et ces femmes peuvent
les reconnaître. Elles croisent des hommes qui les ont violées ou torturées dans les camps.
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Certains d'entre eux travaillent même pour la police ou occupent des postes importants au
gouvernement. Le système dans son entier empêche le retour des femmes chez elles.
Les autorités bosniaques partagent une part de responsabilité également..
.Oui, les autorités bosniaques ne s'occupent pas bien de ces femmes. De nos jours, elles ne
bénéficient toujours pas d'un statut social adéquat, et ne sont toujours pas protégées par la loi.
Ces femmes sont des activistes : elles font appel à la communauté internationale, elles
demandent à la Cour de justice de La Haye d'arrêter les criminels de guerre. Mais elles sont
seules dans ce combat.
Personne ne les traite de manière juste, parce que personne n'en a besoin. Elles sont comme
une cicatrice que vous ne voulez pas soigner et cherchez à cacher. Elles sont des témoins et
des rappels à tous de ce qui s'est passé pendant la guerre.
Lors de la tempête, une bâche avec le sigle de l'UNHCR (United Nations High
Commissioner for Refugees ou HCR, Haut commissariat aux réfugiés) vole en éclats...
Selon vous quel rôle a tenu la communauté internationale en 1997, à l'époque où se passe
le film ?
Les forces de l'ONU ont regardé tous ces massacres se perpétrer sous leurs yeux. Ils étaient au
courant de ce qui se passait et n'ont rien fait pour l'empêcher. A Srbrenica, il y avait un
bataillon entier de lONU qui regardait les Serbes tuer tous ces gens. C'est impossible qu'ils ne
les aient pas vus car ils étaient partie prenante et d'une certaine façon ils les ont aidés car ils
n'ont pas réagi. Leur responsabilité est énorme, de même que la responsabilité de chaque
gouvernement d'Europe qui aurait pu faire quelque chose pour arrêter ces trois années et
demie d'agression en Bosnie.
Ils nous ont regardés mourir sans agir. Même François Mitterrand qui, après être venu à
Sarajevo, a fermé l'aéroport. Ils nous ont mis sous embargo pour les armes, nous n'en avions
aucune et nous nous sommes retrouvés comme des animaux pour la boucherie. De nos jours
aussi, ils ne font pas preuve de grande initiative pour résoudre cette situation de criminels de
guerre se baladant dans les rues. Le tribunal de La Haye est le plus souvent ridicule.
Des gens qui ont tué 130 hommes à eux seuls sont condamnés à 10 ans, et au bout de 7 ans
sont libérés. Ce type d'injustice et ces mauvais traitements n'apporteront pas un futur sain à
l'Europe. Vivre dans ces mensonges et ces illusions non plus. On ne peut pas prétendre que
ces femmes de Srbrenica n'existent pas, et croire qu'après leurs morts, nous aurons une vie
meilleure. Cela restera comme une tumeur ineffaçable.
Vous êtes une femme réalisatrice, vous portez le foulard, quel sens cela revêt-il pour
vous ?
C'est simplement mon parcours personnel. J'ai eu l'expérience de réaliser des films avec et
sans le foulard. Aucune de ces positions n'est vraiment tenable dès que vous êtes une femme.
Si vous ne portez pas de foulard, la plupart de l'équipe, des hommes, vous regardent comme
un morceau de viande. Si vous le portez, ils vous regardent comme une arriérée. Ils croient
que vous êtes oppressée, que c'est votre mari qui vous y oblige, ou que quelqu'un vous paie
pour ça.
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Ils détruisent immédiatement votre personnalité et n'acceptent pas que ce soit juste votre
choix. C'est difficile pour une équipe de tournage d'accepter que leur boss est une femme qui
porte le foulard, car la place de ce type de femmes, c'est d'être à la maison, de faire à manger,
d'être silencieuse et d'être battue.
C'est un stéréotype et un préjugé vis-à-vis des femmes musulmanes. C'est aussi une
propagande qui cherche à montrer les femmes musulmanes comme oppressées, retardées,
stupides, et sans droits. Mais ce n'est pas la vérité.
http://www.universcine.com/
45
http://www.telerama.fr/
Aida Begic : “En Bosnie, du jour au
lendemain, les femmes ont dû apprendre à
vivre seules”
Trois questions à une réalisatrice | Aida Begic a 32 ans.
Elle est bosniaque et musulmane. “Premières Neiges” est
son premier film. Il raconte le quotidien de veuves de
guerre, à Slavno, un village isolé de Bosnie.
Pourquoi parler de la guerre en filmant les femmes ?
Pendant la guerre, beaucoup d'hommes ont été tués. Dans les villages et les petites villes
encore dominés par le système patriarcal, les femmes ont dû apprendre du jour au
lendemain à vivre seules. En plus du deuil, il leur a fallu s'inventer une autonomie. Ce fut le
cas à Srebrenica, où dix mille hommes ont été massacrés en une seule journée. Cette
population féminine abandonnée à elle-même est devenue le symbole vivant de l'horreur de
la guerre, mais aussi l'incarnation de la résistance humaine. Lors du casting, j'ai été frappée
par la volonté et l'humanité des femmes que j'ai rencontrées : malgré la tragédie, elles
avaient su préserver leur coeur de la haine ou du désir de vengeance.
Où et comment avez-vous vécu la guerre en ex-Yougoslavie ?Quand la guerre a éclaté,
j'avais 16 ans. J'ai vécu dans Sarajevo assiégé. J'en garde le souvenir d'un sentiment de
claustration très oppressant dont je me suis servie dans Premières Neiges pour créer une
impression d'enclavement. L'isolement approfondit et durcit tellement les relations entre les
gens qu'il arrive un moment où l'extérieur représente le seul espoir de soulagement. Dans le
film, ce sont des gens venus d'ailleurs qui permettent aux villageois d'affronter la vérité.
Dans le film, les Serbes veulent racheter le village
village bosniaque. Pourquoi ?
Le film se déroule en 1999, « l'année du retour » : tous les Boniasques chassés de chez eux
devaient revenir dans leurs maisons. Malheureusement, ce projet a échoué, notamment
parce que les Serbes ont trouvé d'autres armes que les fusils
fusils pour pousser dehors ceux qui
sont revenus ou n'étaient jamais partis : l'argent. Doit-on accepter cet argent pour assurer sa
survie ou le refuser pour sauver son âme ? Tel est le dilemme auquel certains de mes
compatriotes ont été confrontés
-2008
recueillis
par
Mathilde
Blottière
Télérama
n°
3065
Propos
http://www.telerama.fr/________________________________________________________
46
Radio/pluriel
http://www.radiopluriel.fr/spip
‘Djeca, Enfants de
Sarajevo’
‘La guerre en reflet’
Sélection Cannes 2012 ‘Un Certain Regard’ Mention Spéciale du Jury.
Festival Méditerranéen de Montpellier 2012.
Festival du Film de Sarlat 2012.
Festival du film de Sarajevo 2012.
Coeur de Sarajevo 2012 de la meilleure actrice Marija Pikic.
Rahima et Nedim sont frère et sœur dans un Sarajevo dévasté par le conflit bosniaque.
Rahima se réfugie dans la religion pour adoucir ses souffrances pendant que son jeune frère
essaye de vivre à peu près normalement. Elle voudrait qu’il lui emboîte le pas, pour trouver
une paix intérieure.
Un jour Nedim est confronté à une altercation avec le fils d’un puissant ministre, de ce jour sa
vie va changer, car bon nombre d’incidents vont se déclencher et rentrer dans une marche
infernale.
Aida Begic explique très bien ce processus :
‘ Le contraste est pour moi l’élément clé de l’identité visuelle du film. Contraste entre
riches et pauvres, entre la vie et la mort, passé et présent, réalité et illusion, liberté et
emprisonnement. Paradoxalement tout cela coexiste dans mon film. Le personnage
principal, dont le film suit le point de vue, rassemble tous ces contrastes. Rahima est le
paradigme de cette réalité complexe de la période d’après-guerre ’.
J’ai voulu faire un film, comme un miroir, qui montre à tous l’état des dégâts et l’ampleur de
la guerre :
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‘ Comme dans presque chaque pays qui connaissent ce destin, la transition est un terreau
pour le maintient de l’injustice, de la corruption, de la violence et de beaucoup d’autres
phénomènes sociaux néfastes. Ceux qui étaient en bas de l’échelle sociale sont parfois
devenu riches très rapidement et ont des positions influentes, alors que d’autres qui ont
refusé d’accepter les nouvelles règles du jeu les ont remplacés tout en bas de l’échelle ’.
Aida Begic rajoute, autre signe de la vision de l’autre : ‘ Au restaurant où travaille Rahima,
ses collègues se comportent comme une famille dysfonctionnelle où chacun à sa façon
diffère de la norme sociale. Portant le voile, Rahima est automatiquement marginalisée, car
les préjugés à l’égard des femmes voilées sont les mêmes à Sarajevo que dans le reste du
monde ’.
Ce film présenté à Cannes dans le cadre du Certain Regard, revêt une importance capitale, car
il apporte une autre vision du conflit de Bosnie. Sa réalisatrice donne par le biais d’une
histoire de religion et de double vie, une évocation différente de ce que nous avons pu
engranger à la télé d’un conflit ancestral.
Aida Begic est née le 9 mai 1976 à Sarajevo.
Elle est réalisatrice, scénariste.
Aida Begic a grandi en Yougoslavie pendant la guerre, c’est aussi pour cela que son cinéma
montre les dégâts de l’après conflit et les traces et blessures laissées à la vision du monde.
Aida Begic est diplômée de la Sarajevo ‘Academy of Performing Arts’, section réalisation.
Son film de fin d’études, ‘First Death Experience’, est présenté en sélection officielle à la
Ciné fondation au Festival de Cannes en 2001.
Aida Begic devient enseignante en réalisation à la Sarajevo à ‘l’Academy of Performing Arts’
et réalise de nombreuses publicités et spots vidéo.
En 2004, elle crée la société de production, ‘Mamafilm’, avec Elma Tataragic, sa coscénariste.
Son premier long-métrage, ‘Premières neiges’, remporte le Grand prix de la Semaine de la
critique à Cannes en 2008.
En 2009, Aida Begic fonde, avec son mari, la société de production ‘Filmhouse’.
En 2012, elle reçoit la mention spéciale du jury dans la catégorie Un Certain Regard du
Festival de Cannes pour son film, ‘Djeca, enfants de Sarajevo’
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Filmographie de Aida Begic :
1995 : Autobiography (Documentaire)
1997 : Triumph of the Will (Documentaire)
2001 : First Death Experience (Documentaire)
2001 : Première expérience de mort (C.M)
2003 : Le Nord est devenu fou (C.M)
2008 : Premières Neiges
2011 : Do Not Forget Me Istanbul
2012 : Dieca-Enfants de Sarajevo
Source : Dossier de Presse.
http://www.radiopluriel.fr/spip
49
GROUPEMENT
NATIONAL
DES
cinémas de recherche
http://www.gncr.fr/
ENTRETIEN AVEC AIDA BEGIC
Pourquoi avoir choisi de filmer la jeunesse d’aujourd’hui, à Sarajevo ?
J’ai réfléchi à la manière dont la jeune génération, celle qui est née pendant la guerre, perçoit
le monde dans lequel on vit. Ces jeunes sont le principal sujet de Djeca.
Les personnages du film ont grandi pendant la guerre.
Comment se construire dans un tel contexte ?
J’avais 15 ans quand la guerre a commencé. Rahima, mon personnage, en avait 5, et elle a
perdu ses parents pendant le conflit. Quand vous grandissez dans un contexte aussi
terrible, vous avez le sentiment de savoir plus de choses sur le mondeque les autres, vous en
tirez une maturité et une désillusion qui vous donnent de la force. La tristesse nous rend plus
fort, les expériences difficiles nous endurcissent.
Dans le film, le passé de Rahima se dévoile par bribes…
Quand Rahima va voir le junky dans un bar, on comprend que c’est l’univers dans lequel elle
évoluait avant. Je voulais reconstituer son passé de manière indirecte, à travers les
autres personnages. Comme dans la vie, les mots ne sont pas toujours le moyen le plus
puissant pour dire les choses.
Comment s’est déroulé le casting ?
Nous avons fait un long et vaste casting en Bosnie, Serbie et Croatie. Marija Pikic, qui joue
Rahima, étudie dans une école de théâtre en Serbie. J’aime découvrir et donner leur chance à
de jeunes acteurs, à l’instar de Zana Marjanovic, qui tenait le rôle principal dans Premières
neiges et qui est l’héroïne d’Au pays du sang et du miel d’Angelina Jolie. Travailler avec des
acteurs inexpérimentés demande plus d’encadrement et d’attention, mais c’est aussi précieux
parce qu’ils ont une vraie innocence, une honnêteté, et la relation de travail est souvent très
touchante. Mais il y a aussi des stars dans le film, comme l’acteur serbe qui joue le type de
l’épicerie, ou la vieille dame dans la cuisine, qui jouait dans Premières Neiges : c’est une
grande star en Croatie !
Rahima est souvent dépréciée, rabaissée par les autres personnages, surtout
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socialement. Pourquoi ?
Elle est orpheline, et c’est une femme. Cela fait deux handicaps ! En Bosnie, le fait d’être
orphelin est souvent perçu comme une malédiction, il n’existe aucune institution permettant
d’aider les orphelins à grandir correctement, à ne pas devenir délinquants. Sans parents, vous
êtes tout en bas de l’échelle sociale. Notre société est très discriminatoire envers les gens
faibles car nous n’avons pas de système social suffisant pour les aider. C’est une société
détruite.
Rahima porte le voile pendant tout le film, à l’exception d’une scène dans laquelle elle
l’enlève. Quel sens donnez-vous cette scène ?
La manière dont les femmes voilées sont perçues est très particulière, surtout aujourd’hui. Je
sais que tout le monde autour de moi a une opinion sur le fait que je porte le foulard. Que cette
opinion soit positive ou négative, elle existe, et ce n’est pas toujours facile à vivre pour moi.
Les gens se demandent parfois : comment sont ses cheveux, à quoi ressemble-t-elle sans son
foulard ? Dans le film, je veux montrer que nous sommes comme toutes les autres femmes. Ce
moment où Rahima enlève son foulard est très important pour moi, car on commence à la
regarder comme une femme comme les autres.
Le film suit en permanence le point de vue de Rahima, en caméra épaule et en plansséquences, ce qui lui confère une formidable énergie.Comment avez-vous pensé la mise
en scène ?
Je voulais que Djeca se situe dans un environnement urbain, et que les acteurs soient toujours
en mouvement, au contraire de Premières Neiges qui était plus statique. La mise en scène de
Djeca est très organique, en réaction directe avec le mode de vie de ses personnages. Il m’a
semblé que l’utilisationdu plan-séquence correspondait bien à leur agitation, et je voulais que
le spectateur soit en immersion totale, qu’il soit tout le temps avec Rahima, et même à
l’intérieur d’elle. Rahima a 23 ans, elle est jeune et active. Il fallait que la structure du film
rende compte de sa vie très chaotique et des perturbationsqu’elle traverse. C’est un
personnage hyperactif, en mouvementpermanent mais qui tourne en rond, ainsi dans le film j’ai
vouluqu’elle revienne plusieurs fois dans les mêmes lieux, pour donnerle sentiment qu’elle
bouge beaucoup mais ne va nulle part. Ce choix de mise en scène n’était pas simple pour le
directeur de la photographie et les acteurs, car certains plans durent jusqu’ à cinq ou six
minutes avec parfois dix acteurs se déplaçant dans un espace exigu. Il fallait que le cadreur
danse avec eux, d’ailleurs ces plans étaient construits comme de véritables chorégraphies. J’ai
beaucoup répété avec les comédiens.
A l’image du film, loin de tout misérabilisme, Rahima est un personnage optimiste…
Rahima a le sentiment que le monde entier est contre elle, puis elle comprend qu’elle doit
réussir à recréer des liens avec son petit frère, et qu’alors tout commencera à aller
51
mieux. Pour moi, c’est vraiment là que se trouve le salut, dans l’intime, dans nos relations
avec nos proches.
Créer un personnage féminin fort et émancipé faisait-il partie de vos ambitions ?
Oui, j’ai voulu réfléchir à ce que signifie l’émancipation de la femme aujourd’hui. Rahima est
seule, elle est très indépendante, qu’elle l’ait voulu ou non, elle n’a pas eu le choix. En
tant que féministe, je ne voulais pas que la solution pour Rahima se trouve dans un homme,
elle peut s’en sortir seule, elle n’a pas besoin d’un sauveur.
Comment expliquez-vous la ressemblance physique, frappante, entre vous et Rahima ?
Je ne crois pas l’avoir recherché mais beaucoup de gens me le disent. L’actrice n’avait dans
son entourage personne d’autre que moi qui portait le voile, et je pense qu’elle m’a prise
comme modèle. Après, on met toujours de soi dans tous ses personnages. Adolescente, je
ressemblais aussi beaucoup au frère de Rahima, j’étais dure, en rébellion. En art, on ne peut
pas échapper à soi-même.
Tout au long du film, la bande son regorge de détonations, bruits de pétards, feux
d’artifice… Comment avez-vous travaillé le son ?
Je travaille avec un ingénieur du son que je connais depuis mon premier court métrage, et
c’est d’ailleurs le cas de la plupart de mon équipe technique. J’ai commencé à travailler sur le
son avant le début du tournage. Je voulais que la violence du film soit surtout transmise par le
son, qui devait créer une atmosphère de guerre dans le quartier où vivent les personnages. Je
voulais aussi qu’on ait parfois l’impression que ces sons sont dans la tête de Rahima.
Le fait de réaliser des films en Bosnie est-il un geste politique ?
Vivre en Bosnie est déjà un geste politique ! J’ai toujours vécu à Sarajevo et j’y élève ma fille.
Ce n’est pas facile, il y a beaucoup de dysfonctionnements, mais on doit se battre pour en
faire un endroit meilleur, et la solution n’est pas de partir. Nous avons le devoir de nous
demander quel genre de monde nous allons laisser aux jeunes générations, qui n’ont connu
que la destruction. La première chose que ces jeunes ont retenuedu monde, c’est la guerre.
Après la guerre, ils ont appris qu’êtrecorrompu était payant, et qu’on ne gagnait rien en
étant intellectuel, décent et modeste. J’ai le sentiment qu’il est de mon devoir d’essayer de
changer les choses, ne serait-ce qu’en travaillant avec eux. Si j’arrive à changer une toute
petite chose en l’un d’eux, je considèrerai que ma mission est réussie. En tant que réalisatrice,
je tâche en tous cas de faire de mon mieux pour que les jeunes comprennent qu’il y a encore
de l’espoir, et un avenir à construire.
Le Grand prix de La Semaine de la Critique que vous avez remporté pour Premières
neiges en 2008 a-t-il facilité le financement de Djeca ?
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Chaque année, entre zéro et trois films bosniaques sont tournés. Le budget annuel de notre
fonds pour le cinéma est d’un million d’euros, ce qui est très peu. Et on est sur le point de
perdre ce petit rien car notre gouvernement est en crise, l’état est au bord de la faillite et le
budget de la culture diminue de plus en plus. Nos musées nationaux ferment, nous
n’avons plus de grande bibliothèque car elle a brûlé pendant la guerre. Le gouvernement a
d’autres priorités, même si je pense que la culture est prioritaire. Si on n’est pas soutenu plus
sérieusement, je ne suis pas sûre que l’on entende parler de cinéma bosniaque dans les cinq
prochaines années. Dans un tel contexte, il est très difficile d’obtenir de l’argent pour produire
un film. La seule possibilité réside dans la coproduction : Djeca est une coproduction
bosniaque, française, allemande et turque. Le succès de mon premier film a bien sûr
aidé, mais un réalisateur doit savoir partir de zéro. Il faut travailler dur tout le temps, cela vous
garde vivant, toujours en tension. Il m’a fallu environ quatre ans pour faire ce film. En ce sens,
le prix décerné par le jury Un Certain Regard au dernier festival de Cannes est très important :
plus qu’un encouragement, cette reconnaissance est évidemment un soutien précieux.
http://www.gncr.fr/
____________________________________________________________
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http://www.trigon-film.ch/fr
Children Of Sarajevo
Aida Begic – Bosnie et Herzegovina – 2012
Nedim et sa grande soeur
Il y a les événements historiques, ceux qui font la une des journaux, les guerres, les
coups d’Etat, les soulèvements. Puis, il y a l’«après», le plus souvent oublié car peu
spectaculaire. Cet «après», ce sont les blessures psychiques et morales qui ne se
cicatrisent pas, ou si mal, ce sont les sociétés exsangues où les repères se perdent.
Et c’est de cet «après», dont nous parle Aida Begic, dans Sarajevo où les pétards
des fêtes de fin d’année ont le son d’autres détonations de sinistre mémoire. Rien de
lourd pourtant, ni de didactique, dans cette évocation. Les enfants de Sarajevo a
trouvé sa propre respiration, en fait celle de Rahima que la caméra suit sans
discontinuer. Nerveuse, sèche, comme la jeune femme qui cherche à se protéger,
elle et son petit frère à qui elle voudrait offrir un semblant de cellule familiale.
Nedim est en effet suivi par des services sociaux vaguement corrompus qui
reprochent à Rahima, comme d’autres personnes de son entourage, son
engagement religieux. Leur situation, déjà précaire, se compliquera encore lorsque
Nedim se collettera avec le fils d’un personnage politique influent. Rahima devra vite
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trouver de l’argent pour rembourser la casse, découvrant au passage que
l’adolescent se livre à de petits trafics. Des images d’archives, chaotiques, fuyant les
balles des snipers, rappellent à quoi ont échappé les deux orphelins obligés de
survivre envers et contre tous. La beauté de Rahima, hiératique dans ce voile qui lui
enserre la tête, – magnifiquement incarnée par la jeune Serbe Marija Pikic – est
comme un bras d’honneur fait à ce monde qui n’a pas su faire la paix. Car elle porte
le film à bout de bras, l’adoucit et fait sourdre, malgré tout, une lueur d’espérance, à
l’image de la complicité retrouvée entre Nedim et sa grande sœur.
Martial Knaebel
http://www.trigon-film.ch/fr
55
© JURY OECUMENIQUE au Festival de Cannes FRANCE http://cannes.juryoecumenique.org/
Nous avions admiré Neige, présenté en 2008 à la semaine de la Critique. Le présent film
confirme le talent de la réalisatrice, et sa continuité dans l’exploration des conséquences de la
guerre fratricide entre Bosniaques et Serbes au début des années 90. Plus de vingt ans déjà ont
passé ! La génération suivante, celle des enfants des victimes de la guerre, est incarnée par
une femme, admirable de courage et d’énergie, Rahima, 23 ans, et son jeune frère Nedim, en
pleine adolescence révoltée. Rahima est voilée, elle ne s’exprime pas beaucoup là-dessus avec
son amie. On peut deviner que l’Islam lui apporte un réconfort, une protection morale, mais
aussi un signe fort d’appartenance. Autour d’elle, un patron autoritaire et ambigu, un ministre
nanti aux pratiques cyniques, un homme épris d’elle qui la courtise en vain. C’est une lutte
pour la survie, mais Nahima n’a vraiment qu’un seul objectif : soigner son frère du diabète, le
sortir de la délinquance potentielle et déjà amorcée. Il n’ y a pas un seul plan dont Nahima est
absente, la caméra la filme sans cesse, la suit, s’efforce de comprendre ses actes, son
extraordinaire force de vie. Ce parti-pris technique est parfois un peu trop appuyé, mais le
personnage devient attachant à nos yeux. Le Nouvel An commence, et la petite famille
orpheline quitte le champ de la caméra, qui s’éloigne légèrement par un zoom arrière. C’est la
vie toujours recommencée.
par Alain Le Goanvic
Aida Begic continue l’exploration des séquelles de la guerre en Bosnie qu’elle avait débutée
avec Premières neiges (Snow). Mais ici, la poésie de la campagne enneigée est remplacée par
la ville grise, les cuisines en sous-sol, les appartements exigus, les tunnels glauques et elle met
en scène des personnages qui étaient des jeunes enfants pendant la guerre.
Dans cet environnement étouffant, on suit, à travers ses problèmes quotidiens, l’héroïne
Rahima, jeune femme moderne qui a décidé récemment de porter le voile islamique, à
l’étonnement de son entourage. Son travail accaparant l’empêche de surveiller autant qu’il le
faudrait son frère Nedim, adolescent difficile, au bord de la délinquance, qu’elle a pris en
charge en le faisant sortir de l’orphelinat. Les atrocités de la guerre, notamment la mort de
leur mère atteinte dans un bus par un sniper, apparaissent dans le film par des images
semblables à des actualités télévisées et que Rahima revoit mentalement.
Peinture pessimiste d’une société corrompue et violente, où les puissants font la loi, mais
aussi vision positive de la fraternité des femmes, déjà magnifiée dans Premières Neiges, ce
beau film se termine par une lueur d’espoir, l’image finale de la sœur et du frère enlacés dans
une rue déserte, le soir du réveillon.
par Jacques Champeaux
© JURY OECUMENIQUE au Festival de Cannes - FRANCE http://cannes.juryoecumenique.org/spip.php?article2407
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http://www.fichesducinema.com/spip/spip.php?rubrique96
« Pour revenir aux univers plus réalistes,
d’Aida Begic réussit
son pari grâce à la force de caractère de son personnage principal. Le
film évoque rapidement
de Mungiu,
autant par sa figure féminine centrale que par sa façon d’organiser
ses plans séquences. Il n’a pas à en pâlir, l’intérêt est constant
d’autant plus que Begic a su peindre la condition des personnages de
façon intelligente et souvent subtile. »
http://www.fichesducinema.com/spip/spip.php?rubrique96
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http://www.discordance.fr/
Djeca – Aida Begic : « On a grandi dans la guerre »
La réalisatrice Aida Begic a voulu montrer la misère sociale dans laquelle se trouvent les enfants
de Sarajevo aujourd’hui, les enfants de la guerre. Encore un film-témoignage au Festival de
Cannes, qui aurait mérité davantage de rythme et d’énergie.
Djeca baigne dans les souvenirs de la guerre, en partie grâce aux images de style documentaire
diffusée durant l’histoire. Aida Begic utilise à bon escient la bande son pour évoquer ce poids du
quotidien. L’aspirateur, les réacteurs d’un avion… tout rappelle les bruits entendus pendant la
guerre, de l’alarme aux détonations.
Toujours concernant le son, la réalisatrice a choisi d’intégrer des extraits issus de la Sixième
Symphonie de Beethoven (Pastorale). Si, quand elle est en off, ça fonctionne, quelle erreur de la
glisser en musique d’ambiance d’un parking sinistre de restaurant !
Le reste, bien que l’ambiance traduise correctement les conséquences du conflit bosnien, est assez
faible.
http://www.discordance.fr/__________________________________________
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Dance from the mat
http://dancefromthemat.com/
Aida Begic raconte l’après-guerre dans « Les
enfants de Sarajevo »
0
Parmi mes coups de cœur au Festival du Nouveau Cinéma cette année, il y a eu le deuxième
film de la réalisatrice bosniaque Aida Begic, Les Enfants de Sarajevo ou Djeca en vo (enfants
en bosnien).
À l’affiche au FNC en 2008, Snow, le premier long métrage d’Aida Begic, dépeignait le
quotidien d’un groupe de femmes et de fillettes après la guerre des Balkans. Seules dans un
village bosniaque isolé, elles essayaient d’être autosuffisantes dans une Bosnie patriarcale
dont les hommes ont été exterminés par les conflits armés.
Aida Begic, qui a grandi sous les bombes, raconte l’après-guerre dans ses films. Mais Djeca
est beaucoup plus sombre que Snow, qui était imprégné de poésie et de sensualité malgré
l’omniprésence de la thématique du deuil. Et, contrairement à Snow, Djeca est situé en milieu
urbain, dans la banlieue de Sarajevo. La banlieue, un lieu indéfini, « entre les lieux » pour la
réalisatrice, en accord avec l’état d’esprit de ses personnages. En effet, à travers Rahima et
Nedim, deux orphelins sans attaches, qui tentent de survivre dans une Bosnie exsangue et aux
prises avec la précarité, la corruption, la délinquance et les magouilles, Aida Begic s’attarde
sur le sort des jeunes vivant à Sarajevo aujourd’hui. Née pendant la guerre et n’ayant donc
jamais connu que celle-ci et ses traces, la génération à laquelle s’intéresse la réalisatrice a
grandi dans un contexte lugubre : « malheureusement, le seul message que notre société
envoie aux jeunes c’est que, pour réussir, il faut être corrompu et que l’honnêteté et
l’éducation ne paient pas. À Sarajevo, il n’y a pas de place pour la culture. »
59
À l’occasion d’une entrevue diffusée sur le site Internet du journal Le Monde, Aida Begic
pose une question passionnante : « Est-il moral et éthique de faire de l’art par temps de
guerre? » La réalisatrice explique avoir trouvé réponse à ses interrogations sur la légitimité du
cinéma pendant et après des conflits armés lors du siège de Sarajevo. Elle avait alors pris part
à l’organisation d’un festival artistique regroupant performances, théâtre et cinéma : « ce
festival m’a convaincue que l’art et la culture sont aussi essentiels que l’eau et la nourriture,
souligne Begic. Cela nous a redonné notre dignité humaine ». Précisant que les musées
nationaux sont fermés, que toutes les bibliothèques ont brûlé pendant les combats et que le
cinéma, faute de financements, tombe en désuétude, la réalisatrice se demande avec
inquiétude quels adultes pourront devenir les enfants et les jeunes d’aujourd’hui.
Dans Djeca, la guerre, ou plutôt l’après-guerre, est un personnage à part entière. Les paysages,
les murs portent ses traces. La trame sonore en évoque les déflagrations. En effet, le film se
déroulant pendant la période de Noël, on ne sait si les pétarades sont dans la tête des
personnages ou occasionnées par des feux d’artifices.
Comme dans Snow, Aida Begic trace un magnifique portrait de femme dans son dernier film :
Rahima, que Begic filme caméra à l’épaule, s’escrime pour conserver la garde de son frère
adolescent, petit voyou en puissance. Tout semble se liguer contre elle : le patron du
restaurant où elle travaille, l’assistante sociale, la directrice de l’école, le ministre caricatural
qui exige qu’elle rembourse l’IPhone de son fils cassé lors d’une bagarre, son frère même qui
plonge progressivement dans la délinquance… Mais Rahima s’entête, elle n’a pas la langue
dans sa poche et se ne laisse pas marcher sur les pieds.
Toutes les responsabilités que Rahima porte sur ses épaules, tous les obstacles auxquelles elle
est confrontée font qu’elle est très seule et qu’elle ne peut construire de relations significatives
avec les gens. Elle est courtisée par l’épicier mais n’a que faire des hommes qui l’entourent,
qui sont généralement soit paumés, soit corrompus. Le voile que Rahima porte semble
60
d’ailleurs une métaphore de sa volonté de se protéger et de ne compter que sur elle-même et
surtout pas sur un homme, comme le montre un rêve qu’elle fait sur une femme voilée au
visage remplacé par un miroir et une remarque de son patron véreux : « maquille-toi quand tu
travailles! Tu es voilée, tu n’es pas morte ». Mais la question du voile n’est pas une
thématique-clé du film. Une conversation cocasse a d’ailleurs lieu entre Rahima et son amie
qui ne porte pas le voile, où ni l’une, ni l’autre, ne semblent pouvoir expliquer leur choix. En
fait, Aida Begic est voilée. Il a semblé plus cohérent à la réalisatrice de raconter la vie d’une
femme qui lui ressemble. Elle souligne ainsi que le choix de porter le voile est souvent
personnel en Bosnie, à l’instar du sien : « mon choix de porter le voile, auquel se sont opposés
mon mari, mes enfants et mon entourage, relève d’une décision intime. Il n’a rien à voir avec
un choix politique ou nationaliste. »
À travers Rahima, Djeca parle des communautés marginalisées, qui croyaient en avoir fini
avec la guerre mais qui sont maintenant confrontées à ses retombées, à la corruption, aux
difficultés économiques, à la misère… Selon la réalisatrice, les membres de ces communautés
doivent trancher entre deux options : s’engager dans la voie de la malhonnêteté, de la violence
et de la destruction ou opter pour la radicalité de l’espoir, ce choix qui nécessite beaucoup
plus de courage et de force. On devine lequel a été celui de Begic, caméra au poing.
Publié le octobre 30, 2012 par Nayla Naoufal
http://dancefromthemat.com/
61
http://www.laterna-magica.fr/blog/
Les Enfants de Sarajevo (Djeca) de Aida
Begić (2012)
Aida Begić a grandi au milieu de la guerre en Yougoslavie. Elle était encore
adolescente quand Sarajevo assiégée était l’épicentre du conflit. Son cinéma
raconte la vie après les massacres en Bosnie, montre les stigmates de la guerre.
Premières neiges, son premier long-métrage, racontait l’histoire de plusieurs
femmes qui y avaient perdu leur mari, leurs frères.
Les Enfants de Sarajevo, a été présenté à Cannes dans la section Un Certain
regard. Le récit démarre sur un évènement banal. Nedim, un adolescent de 14
ans, s’est battu au collège avec le fils d’un important ministre. Dans la bagarre,
il lui a cassé son Iphone. Son rival, qui a évidemment les moyens de remplacer
l’objet sans que ça ne lui coûte un bras, exige réparation. Nedim vit seul avec sa
soeur Rahima. Celle-ci, vingt- cinq ans environ, travaille dans les cuisines d’un
restaurant pour un salaire misérable.
62
La réalisatrice accompagne Rahima au plus près, caméra à l’épaule, dans le
quotidien gris et désenchantée d’une société gangrénée et hantée par ses
démons. Injustice, corruption et petits trafics n’ont pas raison de son fort
caractère. Rahima se bat pour protéger son frère, pour que les services sociaux
ne le lui prennent pas et pour qu’il ne bascule pas lui aussi dans la délinquance.
Les Enfants de Sarajevo est à la fois le portrait d’une femme courageuse et le
celui d’une société en pleine transition et qui subit le contre-coup de la guerre.
L’économie peine à se relever. Les inégalités sociales se sont creusées entre
puissants et très riches qui se sont engouffrés dans les failles d’un système
déréglés, et les gens plus modestes qui subissent les effets de la violence
correlée à la corruption et à la délinquance.
63
Rahima est dans le mauvais camp, même si sa force de caractère fait qu’elle ne
se débrouille pas si mal. Elle ne compte que sur elle- même pour s’en sortir avec
son frère qui le lui rend si mal. Sans cesse, on lui renvoie à la figure qu’elle est
sur la mauvaise pente, que son apprenti magouilleur de frère à raison de ne pas
suivre sa voie. Mais c’est à n’en pas douter elle qui a raison de lutter, même si
elle va à l’envers des moeurs ambiantes.
<img
Son choix de porter le voile, de dissimuler sa grande beauté, participe de sa
marginalisation. Les hommes qu’elle croise s’intéressent bien à elle, mais ils
sont tous plus minables les uns que les autres et elle n’a pas besoin d’un boulet
auprès d’elle. En restant seule, elle peut donner le sentiment de se sacrifier et de
gâcher sa vie. Elle manque d’ouverture aux autres, c’est indéniable, mais elle est
dans une démarche de construction. Elle ne se débat pas en vain. Quand son
64
frère prendra les voiles pour vivre sa vie, elle sera encore jeune et aura tout le
temps de penser à elle et de se construire un avenir. Le film est simple, dans ses
enjeux comme dans sa narration, mais il offre un portrait fort et est une vraie
réussite, portée avec conviction par la belle révélation que constitue Marija Pikić
dans le rôle de Rahima.
Benoît Thevenin
http://www.laterna-magica.fr/blog/
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http://www.lesoir-echos.com
« J’ai eu du mal à quitter Rahima »
Aïda Begic, réalisatrice serbe est une faiseuse d’histoires et d’actrices. Son
second long-métrage, Djeca, présenté à Cannes, a concouru en compétition
officielle au 6e Festival international du Film de femmes de Salé.
L’ héroïne du film, Marija Pikic, orpheline d’après-guerre, nous a accordé un
entretien.
La comédienne Marija Pikic.
66
Extrait du film Djeca.
Est-ce important pour vous de présenter Djeca à Salé ?
Absolument. C’est la première fois que je viens au Maroc et j’aime déjà ce pays,
son énergie. Je suis très honorée de présenter le film d’Aïda Begic ici, car elle a
présenté sa première œuvre Snow lors de la troisième édition de ce festival.
Comment êtes-vous devenue comédienne ?
J’ai en fait suivi une école d’art dramatique en Bosnie, à Banjaluka, durant
quatre ans. J’ai toujours nourri une véritable passion pour la comédie et le
cinéma. Je suis ensuite apparue dans deux séries, qui ont été tournées à
Belgrade. Djeca , est le troisième long-métrage où je joue mais le premier film
où j’incarne une héroïne serbe. Ce fut ma première collaboration, à Sarajavo.
Djeca , parle de ma génération et par conséquent de moi-même. Le sujet du film
m’a interpellé d’emblée, car il me touche personnellement au-delà de la
dimension du septième art. Et il me semble très important de parler de cette
jeunesse abandonnée, les orphelins de l’après-guerre. C’est une réalité qui
concerne trois nations. J’étais particulièrement enthousiaste de travailler sous la
direction d’une cinéaste comme Aïda Begic. J’avais vu Snow , et suivi avec
beaucoup d’intérêt son succès à travers les nombreux pays où il a été présenté.
Aïda Begic est de plus, l’une des rares réalisatrices que nous ayons en Bosnie
Herzégovine. Incarner son héroïne principale dans son second film, était un vrai
cadeau et un réel enrichissement.
67
Vous êtes serbo-croate, Aïda Begic est serbe. Comment avez-vous abordé le
rôle de Rahima, musulmane pratiquante, orpheline serbe et quels ont été
vos rapports avec la cinéaste pour ce sujet délicat ?
Le souci de véracité et la direction d’acteurs sont d’une incroyable importance
pour Aïda Begic. Elle n’hésite pas à consacrer énormément de temps en amont,
qu’il s’agisse de repérages, d’aspects de la vie quotidienne, de discussions avec
la population de Sarajevo, pour obtenir ce qu’elle cherche. Elle fait d’abord un
travail de documentaire, avant de s’attaquer à sa fiction. Il était primordial pour
elle, que je m’imprègne fortement de la culture serbe. J’ai d’ailleurs appris le
dialecte que l’on parle à Sarajevo, afin d’être au plus près du personnage de
Rahima, dans le but de soigner mon accent et ma prononciation. J’ai à ce titre,
passé huit mois à Sarajevo. J’étais d’ailleurs, heureuse d’y retourner car j’ai un
cousin qui y vit. Il m’a aussi fallu apprendre à travailler en cuisine, pour le rôle.
Concernant nos opinions politiques et personnelles, Aïda Begic et moi-même
avons dit l’une à l’autre ce que nous pensions, pour bien nous comprendre et
faire un travail sans failles. C’était bien sûr étrange pour moi, de mettre le voile.
Rahima est une belle jeune femme, qui refuse de montrer sa beauté, mais même
en le portant, elle attire le regard des hommes.
C’est un personnage austère, exigeant, d’une extrême droiture pour une
jeune femme de 23 ans. Était-ce difficile de la quitter à l’issue du tournage ?
Oui, ça a été très difficile de quitter Rahima du fait de la dualité, qui s’est
imprégnée en moi. Je suis d’une autre nature mais j’ai comme elle, tendance à
vouloir me débrouiller seule, sans demander d’aide à quiconque. De retour,
auprès de ma famille, mes parents m’ont dit, « mais tu es devenue différente ! »
(sic). Interpréter un tel personnage, laisse forcément des traces. Il s’agit de plus,
d’un rôle qui témoigne d’une réalité, celle du destin des orphelins après-guerre
en Bosnie-Herzégovine.
Que retenez-vous de l’aventure de « Djeca» d’un point de vue humain ?
Ce fut une expérience humaine et émotionnelle profonde. J’ai énormément
appris au sujet des différentes cultures qui cohabitent au sein de mon pays,
notamment sur leur façon de vivre. Et nous avons beaucoup à apprendre des
jeunes orphelins. Comme le personnage de Rahima, bon nombre d’entre eux
deviennent indépendants et matures très tôt. Ils veulent tout faire seuls et ne
l’obtenir que par eux-mêmes. Professionnellement, Aïda tourne en temps réel,
avec une caméra qui marche sans interruption . Chaque détail, chaque plan est
relevé avec précision. Elle est d’une rare exigence.
http://www.lesoir-echos.com
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http://www.trtfrancais.com/fr
Le festival du film de Sarajevo va s’ouvrir avec «
Djeca »
La 18ème édition du festival du film de Sarajevo présentera 210 films de 57 pays.
Cette année, 210 films de 57 pays seront présentés au 18e festival de Sarajevo, une
manifestation régionale née pendant la guerre de Bosnie (1992-95). Son objectif est
de soutenir la création et promouvoir le cinéma régional sur la scène internationale.
Neuf longs métrages produits dans les pays de l'Europe du sud-est seront en
compétition pour le prix principal du festival, le Cœur de Sarajevo.
Le film « Djeca » (Les enfants de Sarajevo) de la réalisatrice bosnienne Aida Begic
fera l’ouverture du festival. Il a été tourné avec la participation de TRT mais aussi du
réalisateur Semih Kaplanoglu, et est une coproduction turque, bosniaque, allemande
et française. « Djeca » a obtenu la Mention spéciale du Jury du dernier festival de
Cannes dans la catégorie « Un certain regard », tandis que Premières neiges (2008)
avait reçu le Grand prix de la Semaine de la critique.
« C’est un film poignant qui raconte les effets de la guerre de Bosnie qui pèsent
encore sur le tissu social, et notamment sur les orphelins ayant perdus leurs parents
69
durant la guerre ainsi que les jeunes générations », explique le réalisateur Semih
Kaplanoglu.
« Djeca » a été soutenu par le Fonds cinématographique se Sarajevo, Eurimages,
MDM, ZDF/ARTE, TRT, Fonds Sud Cinéma et Torino Film Lab.
Djeca suit un frère et une sœur, orphelins, pendant quelques jours d'un après-guerre
que l'on dirait appelé à durer pour l'éternité. Rahima (Marija Pikic) est une jeune fille
à la beauté austère. Elle travaille dans la cuisine d'un restaurant où elle gagne moins
de 500 euros par mois. Elle vit dans une cité lugubre, avec son jeune frère (Ismir
Gagula), sous le contrôle d'une assistante sociale un peu corrompue. Quand le
garçon casse le smartphone d'un fils de ministre, mauvais camarade de classe,
rompant ainsi le fragile équilibre de la vie des deux orphelins.
http://www.trtfrancais.com/fr_______________________________
« Djeca » fait l’unanimité à Cannes
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Avec pour but de décrire ce que les enfants de la guerre de Sarajevo sont devenus aujourd’hui,
le film « Djeca » a eu la côte au 65ème Festival de Cannes.
Le film « Djeca » d’Aida Begic tourné avec la participation du réalisateur Semih Kaplanoglu,
coproduction turque, bosniaque, allemande et française, a été visionnée dans la catégorie « Un
certain regard ».
A la fin du visionnage du film au palais du Festival, les autorités du cinéma présentes dans la
salle, ont longuement applaudi la réalisatrice.
Ce film a pour but de décrire ce que sont devenus aujourd’hui, les enfants de la guerre de
Sarajevo. Marija Pikic et Ismir Gagula sont les principaux acteurs.
Le réalisateur Semih Kaplanoglu, présent à Canne a relevé que « le film a une histoire poignante.
Dans le même temps, il est tout aussi poignant au niveau visuel ».
Kaplanoglu a rappelé la participation de TRT à la réalisation du film, et a souligné qu’il trouve « la
participation de TRT très importante. Car c’est la première fois que TRT soutien une œuvre
internationale ».
http://www.trtfrancais.com/fr
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divergences
http://divergences2.divergences.be/spip.php?article142
Djeca, enfants de Sarajevo
Si le film de Aida Begic présente à certains moments des ellipses dans le récit et
les personnages, il n’en demeure pas moins que l’atmosphère lourde de cet
après- guerre est retranscrit cinématographiquement de manière saisissante.
Sarajevo veut effacer les traces de la guerre civile de même que les victimes de
la barbarie qui a sévi tant d’années. Une société dans le déni qui n’a aucune
compassion pour les enfants orphelins considérés comme des délinquants
incapables de se réadapter. Comment les enfants de cette guerre civile peuventils alors s’en sortir, confrontés à des injustices sociales qui les nient et des
institutions qui les condamnent ?
Rahima, vingt-trois ans, tente de survivre dans cette société hostile avec son
frère Nedim, adolescent de quatorze ans. Tous deux sont orphelins de la guerre
de Bosnie et Rahima se bat pour garder son frère auprès d’elle. Après une
période punk de révolte, elle a trouvé dans l’Islam une manière de résister et de
gérer un quotidien difficile. Elle travaille dans les cuisines d’un restaurant.
72
La société bosniaque se reconstruit sur la base accrue des différences de classe,
une société où les enfants victimes de la guerre n’ont pas leur place. La violence
sociale a remplacé la violence des armes vis-à-vis de ceux et celles qui sont les
preuves du siège de la ville et du cauchemar. C’est ce que vit Nedim dans son
lycée où il se bagarre lorsqu’il est provoqué. Et c’est une bagarre de trop pour
cet adolescent lorsque son adversaire est fils de ministre.
Si le film de Aida Begic semble prometteur par son traitement presque clinique
pour certaines scènes et retranscrit le climat terne et glauque de l’après-guerre
bosniaque, on reste cependant sur sa faim quant au développement des
situations. L’action se limite à suivre Rahima, de dos, toujours pressée qui
finalement se perd dans un brouillard avec son frère… Une métaphore ?
http://divergences2.divergences.be/spip.php?article142
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74
CULTURE
http://www.lemonde.fr/culture/
"Djeca, enfants de Sarajevo" : partie de cache-cache parmi les ruines
Ils n'ont plus vraiment l'âge de jouer à cache-cache. Rahima a 23 ans. Son frère, Nedim, en
affiche 14. Et pourtant, c'est à une partie de ce jeu infantile que les deux héros nous invitent,
une heure et demie durant.
Tapie dans les cuisines d'un resto branché, Rahima essuie sans (presque) broncher les
brimades de ses chefs. Nedim est plus rêche : aux camarades qui moquent son statut
d'orphelin, il colle des beignes, fracassant au passage l'iPhone d'un fils de ministre. Il faut,
fait-on comprendre à Rahima, qui élève seule l'impudent Nedim, racheter un iPhone au "fils
de". Bien, mais avec quel argent ?
L'incident enclenche une série de poursuites et de dérobades, imprimant au film sa marche
véloce et balancée. A peine s'est-elle mise en quête d'un laborieux pécule, que Rahima fait
une amère découverte : Nedim sèche les cours pour planquer de mystérieux paquets sous un
pont. Elle piste le gamin, croise ce faisant la trace du ministre, qu'elle file tout aussi
discrètement.
Elle-même, s'aperçoit-on bientôt, est suivie. Il y a ce voisin qui la drague gentiment. Cette
assistante sociale qui guette la moindre occasion de lui sucrer les indemnités qu'offre l'Etat
aux orphelins de guerre. Et puis, surtout, cette caméra qui ne la lâche pas d'une semelle, la
serrant de profil, de face, de dos, au fil de longs plans-séquences filmés à l'épaule, savamment
chorégraphiés.
Cache-cache,...
http://www.lemonde.fr/culture/
75
HTTP://WWW.AC- NICE.FR/
Djeca
La jeune réalisatrice bosniaque Aida Begic, présente à la projection nous a averti
« J’aimerais réaliser des films drôles et légers, mais la situation de mon pays est telle
que j’en suis incapable ».
Comme dans son précédent film « Premières neiges », elle évoque les
conséquences dramatiques de la guerre civile sur les populations d’aujourd’hui.
Rahima, jeune bosniaque, travaille dur et essaie tant bien que mal d’élever son jeune
frère qu’elle a retiré de l’orphelinat. L’entreprise n’est pas aisée car cet adolescent,
rejeté dans son collège, commence à filer du mauvais coton.
Le film va, peu à peu nous
nous faire découvrir un autre frère, toxicomane, et nous
apprendre que ces trois enfants ont perdu leur mère lors d’un attentat pendant la
guerre. Nous allons comprendre que Rahima a trouvé un certain réconfort dans la
foi, et que les riches d’aujourd’hui n’étaient
n’étaient pas les combattants d’hier…
Ce film raconte surtout la lutte quotidienne de cette jeune femme pour conserver son
emploi, pour résister à la corruption et aux pressions masculines, et qui pose sur son
entourage un regard sombre et objectif.
Une fois de plus, la réalisatrice donne la part belle à son héroïne, courageuse,
travailleuse, déterminée presque opiniâtre.
Par contre l’image des hommes est sacrément écorchée : faibles, lâches, dragueurs,
violents, orgueilleux…
Seul, le jeune frère marchant
marchant à ses côtés, dans le dernier plan, laisse entrevoir une
lueur d’espoir.
http://www.ac-nice.fr/
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cinéphilies
le cinéma avec du parti pris
http://cinephilies.com/
DJECA
Très efficace démonstration. Pas la peine de
montrer la guerre pour faire un film contre la guerre. Il suffit de montrer quelqu’un qui a grandi sous les
bombes, vingt ans après l’armistice. Et ce n’est pas glorieux. Victime collatérale disent les militaires.
Tu parles, victime tout court. Surtout si tu es une femme et que tu as choisi de te voiler à Sarajevo.
Surtout si tu rases les murs quand tout le monde la ramène. Surtout si tu t’occupes de ton orphelin de
frère ; orphelin, une insulte visiblement dans la Bosnie « moderne ». Surtout si tu es jolie et que tout le
monde t’en veut : les autres femmes parce que tu es jeune et jolie, les hommes parce que tu es
croyante et que tu ne veux pas coucher avec eux, tous parce que tu es voilée.
Humm. On sort pas de la projection avec la banane, ça c’est sûr, ni même avec une grosse patate.
Welcome à Sarajevo, son intolérance, sa dureté. Bienvenue en plein traumatisme collectif. Certains
s’en sont sortis, pas nombreux visiblement, un brin vulgaires, ostentatoires, très nouveaux riches à la
Russe, et ce n’est pas dit comme un compliment. Et puis il y a les autres, qui font ce qu’ils peuvent et
il ne peuvent pas beaucoup. Ils triment comme des chiens pour des clopinettes, ils se font exploiter,
77
injurier et ne doivent pas la ramener, surtout pas, un flingue se retrouve vite dans une main ; on n’a
pas perdu les bonnes habitudes.
Sans surprise, les rênes sont tenus par une femme, Aida Begic. Sans surprise, parce qu’il faut du
courage et de l’obstination pour faire un film comme celui-là, obstination que l’on sent bien dans la
volonté de casser les murs du personnage principal. Elle bouge sa caméra avec énergie, à l’épaule,
tout le temps, à un mètre de son sujet, en permanence. La lumière est naturelle ; je ne serais pas
surpris que les comédiens ne soient pas tous professionnels. Begic ne cherche pas l’esthétique, elle
refuse le beau, ce qui ne veut pas dire que son image est moche. Mais c’est clair qu’elle ne veut pas
faire joli, et on l’en remercie. Elle fait efficace, elle fait un film politique qui doit être très mal perçu dans
son pays et qui est assez troublant vu d’ici. C’est comme se plonger pendant une heure et demi avec
ce frère et cette soeur, vivre avec eux, manger avec eux, puis les abandonner une fois que le
générique commence. Signe que le film est réussi puisqu’on ne sent pas le cinéma et encore moins la
fiction. Chapeau.
http://cinephilies.com/
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POSITIF
n° 617 /618
20 mars 2013
http://parfumdelivres.niceboard.com/forum
Aida Begic :
"Quand la guerre a éclaté, j'avais 16 ans. J'ai
vécu dans Sarajevo assiégé. J'en garde le
souvenir d'un sentiment de claustration très
oppressant (…)
Le film se déroule en 1999, « l'année du retour »
: tous les Bosniasques chassés de chez eux
devaient revenir dans leurs maisons.
Malheureusement, ce projet a échoué,
notamment parce que les Serbes ont trouvé
d'autres armes que les fusils pour pousser dehors
ceux qui sont revenus ou n'étaient jamais partis :
l'argent. Doit-on accepter cet argent pour assurer
sa survie ou le refuser pour sauver son âme ? Tel
est le dilemme auquel certains de mes
compatriotes ont été confrontés (...)
http://parfumdelivres.niceboard.com/forum
http://www.commeaucinema.com/
Aida Begic
Aïda Begic est diplômée de la Sarajevo Academy of
Performing Arts – Section: Réalisation en 2000.
Son film de fin d’études First Death Experience est présenté en sélection officielle à
la Cinéfondation au festival de Cannes 2001 et remporte de nombreux prix à travers
le monde. En 2003, elle réalise son second court-métrage North Wend Mad
Aïda Begic enseigne aujourd’hui la réalisation à la Sarajevo Academy of Performing
Arts et réalise de nombreuses publicités et spot vidéos. En 2004, elle fonde
MAMAFILM, société de production indépendante avec Elma Tataragic.
Premières Neiges est leur premier long-métrage. Le film remporte le Grand Prix à
la semaine de la critique du Festival de Cannes 2008.
En 2012, Aïda Begic signe Djeca, qui reçoit la Mention Spéciale Un Certain
Regard lors du 65ème Festival International Du Film De Cannes 2012.
Filmographie
•
2001 : Première expérience de mort (Prvo smrtno iskustvo),
c.m.
•
•
2003 : Le Nord est devenu fou (Sjever je poludio), c.m.
•
•
2008 : Premières Neiges (Snijeg)
•
•
2009 : Mamac
•
•
2011 : Do Not Forget Me Istanbul
•
•
•
2012 : Djeca (Enfants de Sarajevo)
•
•
•
http://www.commeaucinema.com/http:/
_____________________________________________________________________
Aida Begic
, née cinéaste
durant le siège de Sarajevo
La
réalisatrice Aida Begic à Sarajevo, le 10 mai 2012. | AFP/ELVIS BARUKCIC
Comme l'héroïne du film, Rahima, interprétée par Marija Pikic, dénichée dans une école de
théâtre en Serbie, Aida Begic porte le foulard. Un fichu rose sur un jean, qui passerait presque
inaperçu. Elle prévient aussitôt, en anglais : "I feel good in my skin" ("Je me sens bien dans
ma peau"). "J'ai grandi avec des parents musulmans, mais laïques. Je suis la première femme
de ma famille à porter le voile. Mais on nous discrimine, on véhicule des clichés sur nous : on
serait des saintes, ou des femmes oppressées, qui restent à la maison." Elle s'indigne : "It's
tricky !" ("C'est compliqué"). Ce signe extérieur de religion lui a mis des bâtons dans les roues
: "Un jour, une femme française, membre d'un jury dans un festival, a dit qu'elle ne pouvait
pas me donner un prix à cause du foulard."
Depuis, Aida Begic s'est rattrapée. Son premier long-métrage, Premières neiges (2008), qui
raconte l'histoire de femmes ayant perdu leur homme lors des massacres en Bosnie de l'Est,
avait remporté le Grand Prix de la Semaine de la critique à Cannes, et d'autres récompenses à
travers le monde. Quatre ans plus tard, toujours à Cannes, Djeca, enfants de Sarajevo, qui suit
le dur quotidien d'une jeune femme et de son petit frère, deux orphelins de guerre, a obtenu la
Mention spéciale du jury dans la section officielle Un certain regard.
Comme pour clore le chapitre, Aida Begic ajoute : "Je suis passée par le bouddhisme, le
christianisme, le judaïsme et enfin l'islam. En fait, j'ai commencé à m'interroger sur la vie à
15 ans." Le conflit avec les Serbes venait d'éclater.
La guerre a marqué la vie de cette jeune cinéaste et constitue l'étoffe de son cinéma
documentaire. Elle avait 17 ans lorsqu'elle a commencé ses études à l'Academy of Performing
Arts de Sarajevo, par amour pour la musique, la peinture, la littérature... Et 19 ans quand elle
a choisi le cinéma. "Pendant le conflit, je jouais du piano, j'écrivais... Je me demandais si ça
avait du sens. On pouvait être tué à chaque seconde. En même temps, l'art était une forme de
résistance", explique-t-elle.
Pendant cette période, Aida lisait Shakespeare "à la bougie", découvrait le cinéma d'auteur
sur cassette vidéo "quand il y avait de l'électricité". Elle n'oubliera pas ce jour d'hiver où le
thermomètre affichait "- 15 °C" : "On a vu des films de Bergman, Les Fraises sauvages, Le
Septième Sceau, dans l'école sans chauffage. On était tellement gelés qu'on sautait d'un pied
sur l'autre." L'Academy of Performing Arts s'était fait voler son matériel pendant le siège...
Les jeunes gens ont dû trouver des caméras ailleurs. "To be tricky", cela veut dire aussi avoir
l'esprit de débrouille. Il arrivait même aux étudiants d'être heureux, et amoureux. Ils firent
beaucoup de films pendant la guerre... "C'était la première fois que des gens descendaient
dans la rue pour tourner."
La
réalisatrice Aida Begic et l'actrice Marija Pikic lors du Festival du film de Cannes, le 21 mai
2012. | AFP/ANNE-CHRISTINE POUJOULAT
Aida Begic fait sans doute partie de ces personnes que les difficultés de la vie ont rendues
plus fortes. Elle habite toujours à Sarajevo, et ce n'est pas la crise, aujourd'hui, qui va lui faire
baisser les bras. Chaque année, dit-elle, entre zéro et trois films bosniens sont tournés. Et le
budget annuel du fonds pour le cinéma est de 1 million d'euros.
Djeca est une coproduction bosnienne, française, allemande et turque. Le marasme
économique ajouté au traumatisme de la guerre imprègne le film. "Nos musées ferment, le
budget de la culture se réduit... Comment peut-on espérer que des jeunes échappent à la
délinquance ? Quand on a fait des recherches dans des orphelinats, tous les enfants avaient
été victimes de violences, ou avaient agressé quelqu'un."
%
Dans le film, le petit frère de Rahima vole, frappe le fils d'un ministre et met sa sœur dans le
pétrin. Mais celle-ci n'est pas une femme sous influence : elle tire d'affaire son cadet et choisit
de ne pas se marier avec un homme pourtant prêt à l'épouser avec "le package" – son cadet et
les galères. La cinéaste renverse le cliché du frère qui a la main sur sa sœur voilée. Notons,
que la ressemblance physique entre Rahima, la femme libre, et Aida la réalisatrice, est
frappante. Une coïncidence, sans doute.
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Aida Begic : “En Bosnie, du jour au
lendemain, les femmes ont dû apprendre à
vivre seules”
Trois questions à une réalisatrice | Aida Begic a 32 ans.
Elle est bosniaque et musulmane. “Premières Neiges” est
son premier film. Il raconte le quotidien de veuves de
guerre, à Slavno, un village isolé de Bosnie.
Pourquoi parler de la guerre en filmant les femmes ?
Pendant la guerre, beaucoup d'hommes ont été tués. Dans les villages et les petites villes
encore dominés par le système patriarcal, les femmes ont dû apprendre du jour au lendemain à
vivre seules. En plus du deuil, il leur a fallu s'inventer une autonomie. Ce fut le cas à
Srebrenica, où dix mille hommes ont été massacrés en une seule journée. Cette population
féminine abandonnée à elle-même est devenue le symbole vivant de l'horreur de la guerre,
mais aussi l'incarnation de la résistance humaine. Lors du casting, j'ai été frappée par la
volonté et l'humanité des femmes que j'ai rencontrées : malgré la tragédie, elles avaient su
préserver leur coeur de la haine ou du désir de vengeance.
Où et comment avez-vous vécu la guerre en ex-Yougoslavie ?
Quand la guerre a éclaté, j'avais 16 ans. J'ai vécu dans Sarajevo assiégé. J'en garde le souvenir
d'un sentiment de claustration très oppressant dont je me suis servie dans Premières Neiges
pour créer une impression d'enclavement. L'isolement approfondit et durcit tellement les
relations entre les gens qu'il arrive un moment où l'extérieur représente le seul espoir de
soulagement. Dans le film, ce sont des gens venus d'ailleurs qui permettent aux villageois
d'affronter la vérité.
Dans le film, les Serbes veulent racheter le village bosniaque. Pourquoi ?
Le film se déroule en 1999, « l'année du retour » : tous les Boniasques chassés de chez eux
devaient revenir dans leurs maisons. Malheureusement, ce projet a échoué, notamment parce
que les Serbes ont trouvé d'autres armes que les fusils pour pousser dehors ceux qui sont
revenus ou n'étaient jamais partis : l'argent. Doit-on accepter cet argent pour assurer sa survie
ou le refuser pour sauver son âme ? Tel est le dilemme auquel certains de mes compatriotes
ont été confrontés.
Propos recueillis par Mathilde Blottière - Télérama n° 3065
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Quatre femmes dans l'ouragan bosniaque
Dès les premières images, on se croirait en pleine réunion familiale. Une femme s'amuse,
devant une assemblée captivée, à mimer quelqu'un qui n'est pas là. Et les enfants tentent de
découvrir de qui il s'agit. La séquence frappe par sa tendresse, ses rires, et sa chaleur. Elle se
terminera dans les larmes. C'est à ce moment que l'on comprend que les personnes présentes
dans la pièce n'ont aucun lien de parenté, mais sont les survivants d'un petit village bosniaque,
Slavno, dévasté par la guerre, en 1997. À trop vouloir partager de souvenirs, à trop souhaiter
entretenir la flamme des maris disparus, on risque souvent de se brûler le cœur…
Grand prix de La Semaine de la critique à Cannes, cette année,Premières neiges, premier film
bosniaque d'Aida Begic (prononcez « Aïda Béguitch ») touche immédiatement au cœur par sa
justesse d'interprétation, son universalité et par la pureté linéaire de sa trame narrative.
L'histoire suit le destin, jour après jour, de quatre femmes, à différents âges de la vie. Alma
(excellente Zana Marjanovic) Nadija, Sabrina et Jasmina tentent de reconstruire leur vie, ou
d'élever leurs enfants orphelins, dans un pays dévasté par un conflit, ayant fait plus de deux
millions de morts.
Comment peut-on survivre quand on est une veuve musulmane dans un hameau isolé de l'est
de la Bosnie ? La jeune Alma, veuve de guerre après seulement deux ans de mariage, montre
le chemin avec courage. Mais alors que cette Antigone moderne est mise en présence d'un
homme providentiel, camionneur honnête qui pourrait désenclaver les produits du village vers
les centres urbains, un ancien voisin serbe revient, et propose aux villageoises de racheter
leurs maisons, pour le compte d'investisseurs allemands…
Une détermination farouche
De prime abord, cette chronique intimiste pourrait paraître austère. Il n'en est rien. Car Aida
Begic a su trouver le ton juste. Elle brosse avec douceur, sensualité, mais détermination, le
portrait de ces femmes en proie à une immense douleur, dans un film sobre à la photographie
&
lumineuse et limpide. À 32 ans, cette réalisatrice fraîchement diplômée de l'Académie d'art
dramatique de Sarajevo, insuffle dans son film une énergie et une détermination farouche qui
force respect et admiration.
De passage à Paris, cette belle jeune femme voilée au sourire très doux s'explique sur sa
volonté de faire du cinéma. « J'avais 15 ans quand la guerre a éclaté. Et 17 quand je suis
entrée à l'Académie d'art dramatique. Je vivais à Sarajevo durant le siège de la ville. Nous
n'avions rien du tout : pas de nourriture, pas de vêtement, pas l'électricité, pas d'eau. Nous
étions pour ainsi dire, complètement nus… C'est à cette époque que les gens ont fait beaucoup
de théâtre, de films, de concerts. Ils défiaient les grenades et les tirs de snipers pour venir
assister à une représentation de théâtre. »
Aujourd'hui, Aida Begic reconnaît que c'était « totalement fou », mais qu'elle faisait comme
tout le monde. « Je me souviens même qu'un soir, poursuit-elle, une bombe est tombée sur le
théâtre. L'ensemble du bâtiment en a été ébranlé. D'abord, le public est resté figé. Et puis les
gens se sont mis à applaudir. Et les acteurs ont continué à jouer ! C'est à moment là que j'ai
décidé de devenir cinéaste. La ferveur de tous ces gens m'a convaincue que mon travail
artistique pourrait un peu aider cette planète à aller mieux ! »
À travers Premières neiges, seul film bosniaque produit l'an dernier, Aida Begic montre la
voie. Mais on sent déjà que cette réalisatrice devrait très vite faire parler d'elle.
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Par Olivier Delcroix
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UNIV
ERSCINE
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Aida Begic : poésie de la construction
Marquée par la guerre dans son pays, la réalisatrice et scénariste bosniaque de Premières
neiges, Aida Begic, explique dans une note d'intention la démarche pour son premier longmétrage : donner à voir, après la destruction, la puissance d'évocation des choses simples. Ou
comment voir des fleurs pousser dans un village détruit peut donner la force de lutter...
La guerre est l’une des situations les plus terribles qu’il est donné à vivre, à cause de la
proximité constante de la mort. Si la mort vous poursuit en temps de paix, alors la paix
devient une situation de même essence que la guerre. Les temps de paix sont parfois plus
compliqués que les temps de guerre.
Le matérialisme reprend vite le dessus et vous commencez à oublier toutes les choses
essentielles que vous avez pu apprendre pendant la guerre. Les gens se battent pour une place
au soleil, découvrant que la Terre n’a pas arrêté de tourner entre-temps. Nous ne pouvons pas
oublier le passé et le futur ne peut pas l’effacer . Vivre dans l’illusion n’aidera personne à
acheter son billet pour l’Union Européenne, car le mensonge se répandra comme une tumeur
et consumera tout être vivant.
Ces relations entre la vie et la mort, la guerre et la paix, le passé et le futur créent beaucoup
d’absurdités dans la vie des gens de mon pays. Elles suscitent beaucoup de questions sans
réponse. La douleur et la joie, l’amour et la haine, l’Est et l’Ouest nous arrivent en même
temps et s’entrechoquent.
Tout cela rend mon pays et ses habitants très spéciaux, mais il n’est pas toujours facile de
trouver son chemin dans la confusion et l’injustice de l’après-guerre. Comme il n’est pas
facile d’avoir des rêves et de croire qu’ils peuvent se réaliser. Les habitants de Slavno
trouvent la force de résister et d’avoir leurs propres rêves, même s’il s’agit parfois de
cauchemars. La liberté, c’est de pouvoir choisir et ils lutteront pour elle. Si vous imaginez un
village complètement détruit recouvert de fleurs magnifiques, de fruits énormes et d’eau pure,
alors vous comprendrez l’essence de cette poésie qui montre que la construction est bien plus
puissante que la destruction.
Peut-être qu’aujourd’hui, en 2008, cela semble excessivement romantique d’entendre qu’il
vaut la peine de se battre pour la vérité et la liberté. Mais sans doute avons-nous seulement
besoin qu’on nous le rappelle.
Si l’art ne s’en charge pas, qui donc le fera ?
UNIVERSCINE
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Aida Begic : "En Bosnie, les femmes sont une
cicatrice qu'on cherche à cacher"
Elles ont vu leurs maris se faire tuer, leurs maisons être détruites, les puissances étrangères
détourner les yeux, et les mafias s'installer sur les champs de ruines. "Les femmes bosniaques
sont des témoins et des rappels à tous de ce qui s'est passé pendant la guerre", explique la
réalisatrice. Elle qui porte le foulard signe là un film-réquisitoire contre l'incurie du pouvoir et
la domination des hommes.
Vous êtes née et avez grandi à Sarajevo. Comment avez-vous été amenée à raconter une
histoire de villageois de l'est de la Bosnie ?
Après la guerre, beaucoup de gens se sont retrouvés sans leur famille ou leurs proches.
Beaucoup de ces femmes habitaient des villages. La Bosnie est surtout constituée de villages,
de petites villes et d'une seule grande ville, Sarajevo. Du jour au lendemain, ces femmes ont
perdu leurs maris, leurs enfants, et ont dû tout assumer seules, faire un pas de près de deux
siècles en avant. Je me suis toujours demandée à quel point cela a dû être un choc pour elles.
La plupart ont grandi dans un environnement patriarcal où elles ont été à la fois protégées et
opprimées.
En plus d'avoir à soigner leur âme, elles ont dû assumer ce changement de vie énorme. Pour
moi, cette petite communauté isolée du monde extérieur est fascinante. L'isolement rend les
relations entre les membres de la communauté plus intenses. J'ai eu cette expérience lors du
siège de Sarajevo.
Cet isolement génère aussi une série d'illusions et de mensonges, qui ne peuvent être révélés
que par des éléments extérieurs. J'ai d'abord voulu montrer que la vie continue malgré les
horreurs passées. Mon propos n'est pas politique.
Le film débute comme une réunion de famille. On croit d'abord que ce sont les membres
d'une même famille, et pas d'un village.
D'une certaine façon, ils sont une famille. Quand j'ai fait des recherches pour ce film, j'ai
rencontré beaucoup de femmes qui ont connu les mêmes drames. C'est entre elles qu'elles se
comprennent le mieux. Il est difficile de ressentir la douleur des autres. La plupart du temps,
nous ne voulons pas la ressentir non plus.
Ces personnes se sentent mieux ensemble, parce qu'elles peuvent partager des souvenirs et
entretenir la mémoire et la présence de leurs proches qui ont disparu. Ces femmes s'occupent
aussi des enfants orphelins. Ce sont des liens très forts qui les maintiennent unies. Je pense
que cette importance de la famille et de la communauté a disparu des sociétés occidentales,
alors qu'en Bosnie nous maintenons encore cette valeur.
La situation particulière que ces femmes vivent les amène à se détacher du schéma patriarcal.
Elles n'ont pas choisi de vivre seulement entre femmes. La réalité est que l'armée serbe a
intentionnellement tué les hommes pour livrer les femmes à elles-mêmes et détruire leurs
vies. C'est commun à beaucoup de guerres. D'un autre côté, l'esprit patriarcal est encore
présent. Même si elles sont très fortes et qu'elles peuvent gagner leur vie sans les hommes, ce
n'est pas une communauté normale. Les hommes leur manquent comme un corps à qui il
manque une main.
Comment avez-vous trouvé les lieux du tournage ?
Nous les avons cherchés pendant deux ans. Nous avons voyagé un peu partout en Bosnie.
Nous n'avions pas assez d'argent pour construire un village et la plupart des villages en ruines
existant en Bosnie sont infestés de mines. C'est très dangereux, voire impossible, d'y tourner.
Finalement, nous l'avons trouvé dans l'est de la Bosnie, dans un lieu qui a subi le pire
nettoyage ethnique et génocide de la Bosnie. Nous avons trouvé un village qui avait connu
une histoire similaire à la nôtre. C'était assez incroyable et cette réalité a porté toute l'équipe.
Quelle est la part d'improvisation des acteurs ?
Dans quelle mesure le film est-il fidèle au scénario ?Le scénario était très strict. Nous avions
juste 30 jours de tournage et nous avons finalement tourné tout le film en 5 semaines. Je
n'avais pas le luxe de tourner 10 scènes supplémentaires que j'aurais coupées au montage.
Tout était précisément préparé à l'avance, et je savais exactement quelle scène se
positionnerait après l'autre. Les acteurs n'ont pas eu accès à la toute dernière version du
scénario. Ils avaient juste leurs scènes la veille du tournage. Je voulais obtenir d'eux un
sentiment de liberté, ne pas les stresser avec la technique. J'ai d'ailleurs beaucoup utilisé la
caméra à l'épaule pour aller dans ce sens.
Vous vous intéressez à beaucoup de personnages à la fois. Comment éviter qu'ils soient
unidimensionnels ?
Il n'y a pas une réponse unique et juste à la situation de l'après-guerre en Bosnie. Cette
situation amène beaucoup de questions et peu de réponses. C'est pourquoi notre but était de
donner à voir les problèmes et les possibilités de vivre en Bosnie. Parfois, dans la même
journée, vous pouvez passer par des sentiments complètement opposés.
Dans la matinée, vous pensez que vous devez quitter ce pays car tout y est horrible. Dans
l'après-midi, vous réalisez que vous êtes tellement attaché à ce pays que vous ne pourriez
vivre nulle part ailleurs. C'est très complexe, très contrasté. Cette dualité qui traverse chacun
d'entre nous contribue à une tension générale.
Chaque personne en Bosnie peut faire l'objet d'un film. C'est pourquoi nous avons essayé de
considérer les personnages aussi sérieusement que possible, et de ne pas leur donner qu'une
seule dimension.
Je comprends par exemple le personnage de Sabrina, qui est amoureuse d'un étranger, et qui
veut quitter ce trou que représente son village. D'un autre côté, je comprends aussi Alma qui
veut rester là, persuadée qu'elle ne trouvera pas ailleurs ce à quoi elle tient dans sa
communauté en Bosnie. Le monde extérieur n'est pas un conte de fées. Il est très difficile de
vivre en dehors de son pays.
Aima, votre personnage principal, pousse les autres à rester et à reconstruire le village.
Son personnage semble le plus proche de votre point de vue de réalisatrice..
Alma est comme ces nombreuses femmes qui se sont mariées très jeunes avant la guerre, et
qui n'ont passé qu'un ou deux ans avec leur époux. La guerre a éclaté et a tué leurs maris.
Elles sont encore très jeunes, gardent cet amour pour le défunt, mais ont en même temps
besoin de continuer leur vie.
Elles vivent une jeunesse où le passé récent et le futur s'entrechoquent. Le personnage d'Alma
est comme cela, et elle est assez forte pour penser que ses rêves peuvent se réaliser. C'est là où
je la rejoins. Je pense moi aussi qu'il y a beaucoup de choses superbes en Bosnie, et que si on
se donne les moyens, on peut vraiment faire de notre pays un endroit agréable où vivre
normalement.
Mais nous devons beaucoup travailler et résister à de nombreuses tentations qui sont devant
nous. Premières neiges est aussi une histoire sur la mondialisation parce que chacun d'entre
nous, habitant en Europe est confronté au jour le jour à ces dilemmes. Devez-vous accepter
une offre pour conforter l'aspect matériel de votre vie, mais en vendant votre âme ? Devezvous vivre vos propres rêves, tout en sachant qu'ils pourraient être cauchemardesques ?
Je pense que ce sont des questions que chaque européen, ou même citoyen du monde, se pose
aujourd'hui. En ce sens, la réaction d'Alma à l'offre que les hommes apportent au village
constitue une réponse possible à la question de comment garder son identité dans le monde
capitaliste, matérialiste et cruel dans lequel nous vivons. Si nous ne résistons pas, nous ne
serons plus qu'une partie ridicule d'une machine sans signification qui nous détruira et détruira
tout ce qui donne du sens à cette vie.
Pour quelle raison ces deux hommes serbes cherchent-ils à acheter le village ?
Cela arrive tous les jours en Bosnie. La Bosnie est un endroit parfait pour blanchir de l'argent
européen ou international. Il y a un marché noir, énormément de corruption et beaucoup
d'étrangers sont liés à cette chaîne d'affaires.
Aujourd'hui, dans la Republika Srpska (république Serbe de Bosnie), à l'est de la Bosnie, le
programme de retour des habitants, qui consiste à faire revenir chez eux ceux qui ont été
chassés pendant la guerre (des Musulmans et des Croates) est un échec complet. Quand ces
gens reviennent chez eux, on leur tire dessus, on les insulte, on les menace. Personne ne veut
qu'ils reviennent.
Vous ne croyez pas à une possibilité pour les différentes communautés de vivre ensemble
dans cette partie de la Bosnie ?
Je ne sais pas. C'est très dur. Même dans un endroit comme Srbrenica, ce n'est pas facile pour
les femmes de revenir. Même si le monde entier sait qu'un génocide y a eu lieu, que 10 000
hommes ont été tués en une seule journée. Même si Radovan Karadzic a été arrêté, d'autres
sont encore libres.
Ces criminels de guerre peuvent marcher tranquillement dans les rues, et ces femmes peuvent
les reconnaître. Elles croisent des hommes qui les ont violées ou torturées dans les camps.
Certains d'entre eux travaillent même pour la police ou occupent des postes importants au
gouvernement. Le système dans son entier empêche le retour des femmes chez elles.
Les autorités bosniaques partagent une part de responsabilité également..
.Oui, les autorités bosniaques ne s'occupent pas bien de ces femmes. De nos jours, elles ne
bénéficient toujours pas d'un statut social adéquat, et ne sont toujours pas protégées par la loi.
Ces femmes sont des activistes : elles font appel à la communauté internationale, elles
demandent à la Cour de justice de La Haye d'arrêter les criminels de guerre. Mais elles sont
seules dans ce combat.
Personne ne les traite de manière juste, parce que personne n'en a besoin. Elles sont comme
une cicatrice que vous ne voulez pas soigner et cherchez à cacher. Elles sont des témoins et
des rappels à tous de ce qui s'est passé pendant la guerre.
Lors de la tempête, une bâche avec le sigle de l'UNHCR (United Nations High
Commissioner for Refugees ou HCR, Haut commissariat aux réfugiés) vole en éclats...
Selon vous quel rôle a tenu la communauté internationale en 1997, à l'époque où se passe
le film ?
Les forces de l'ONU ont regardé tous ces massacres se perpétrer sous leurs yeux. Ils étaient au
courant de ce qui se passait et n'ont rien fait pour l'empêcher. A Srbrenica, il y avait un
bataillon entier de lONU qui regardait les Serbes tuer tous ces gens. C'est impossible qu'ils ne
les aient pas vus car ils étaient partie prenante et d'une certaine façon ils les ont aidés car ils
n'ont pas réagi. Leur responsabilité est énorme, de même que la responsabilité de chaque
gouvernement d'Europe qui aurait pu faire quelque chose pour arrêter ces trois années et
demie d'agression en Bosnie.
Ils nous ont regardés mourir sans agir. Même François Mitterrand qui, après être venu à
Sarajevo, a fermé l'aéroport. Ils nous ont mis sous embargo pour les armes, nous n'en avions
aucune et nous nous sommes retrouvés comme des animaux pour la boucherie. De nos jours
aussi, ils ne font pas preuve de grande initiative pour résoudre cette situation de criminels de
guerre se baladant dans les rues. Le tribunal de La Haye est le plus souvent ridicule.
Des gens qui ont tué 130 hommes à eux seuls sont condamnés à 10 ans, et au bout de 7 ans
sont libérés. Ce type d'injustice et ces mauvais traitements n'apporteront pas un futur sain à
l'Europe. Vivre dans ces mensonges et ces illusions non plus. On ne peut pas prétendre que
ces femmes de Srbrenica n'existent pas, et croire qu'après leurs morts, nous aurons une vie
meilleure. Cela restera comme une tumeur ineffaçable.
Vous êtes une femme réalisatrice, vous portez le foulard, quel sens cela revêt-il pour
vous ?
C'est simplement mon parcours personnel. J'ai eu l'expérience de réaliser des films avec et
sans le foulard. Aucune de ces positions n'est vraiment tenable dès que vous êtes une femme.
Si vous ne portez pas de foulard, la plupart de l'équipe, des hommes, vous regardent comme
un morceau de viande. Si vous le portez, ils vous regardent comme une arriérée. Ils croient
que vous êtes oppressée, que c'est votre mari qui vous y oblige, ou que quelqu'un vous paie
pour ça.
Ils détruisent immédiatement votre personnalité et n'acceptent pas que ce soit juste votre
choix. C'est difficile pour une équipe de tournage d'accepter que leur boss est une femme qui
porte le foulard, car la place de ce type de femmes, c'est d'être à la maison, de faire à manger,
d'être silencieuse et d'être battue.
C'est un stéréotype et un préjugé vis-à-vis des femmes musulmanes. C'est aussi une
propagande qui cherche à montrer les femmes musulmanes comme oppressées, retardées,
stupides, et sans droits. Mais ce n'est pas la vérité.
http://www.universcine.com/
http://www.arte.tv/fr/cannes-2008/2013936.html
FESTIVAL DE CANNES 2008
Snijeg (Snow) : Un film d'Aida Begic
Le printemps viendra-t-il ?
Snow est le premier long métrage d’Aida Begic mais aussi le premier film produit par une femme en
Bosnie, pays en guerre dans les années 90. C’est cette période de l’histoire que la réalisatrice a voulu
exhumer et immortaliser, en réaction au silence qui entoure ces événements dans son pays. On
pourrait s’attendre à un scénario larmoyant ou violent, comme dans de nombreux films abordant ce
sujet, mais, au contraire, on nous propose une vision pudique et féminine de la guerre. L’accent est
mis sur les conséquences humaines et non sur les combats, la lutte même.
Le spectateur se trouve dès la première scène plongé au cœur d’un petit village isolé de la ville et de
la guerre, où l’attente ronge le quotidien des quelques femmes et enfants restés sur place. On se
retrouve entraîné dans leur quotidien grâce à la récurrence et la simplicité des actions. Entre
fabrication de compote de prunes et confection de tissus, une tranquillité pesante s’installe, laissant le
spectateur et les personnages dans le doute. Qu’est-il arrivé aux hommes qui sont partis au combat ?
Tant que cette question ne trouvera pas de réponse, l’impossibilité, pour ces femmes, de faire leur
deuil continuera de les oppresser.
Remarquable tout d’abord par son rendu visuel, Snow est un film poétique et atemporel dont la
maîtrise de la lumière et des paysages touche le spectateur. Son réalisme nous donne un aperçu
saisissant de la situation méconnue de ce pays et du drame qui s’y est déroulé. D’abord assez lent, le
film prend de l’ampleur dès lors que le destin de ces personnages est bouleversé par l’arrivée de deux
hommes qui vont accélérer dramatiquement la tournure des événements. La certitude que leurs maris
ou pères ne rentreront pas, l’avenir du village incertain, la neige paralysante obscurcissent l’horizon.
Le printemps viendra-t-il ?
Arnaud Schmitt/ Nadège Robin (Nantes)
Edité le : 21-05-08
http://www.arte.tv/fr/cannes-2008/2013936.html
TOUTLE
LECINE.
CINE.com
TOUTLE
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Aida Begic : la mémoire dans la peau
•
•
Issue du court-métrage, de la publicité et du clip musical, native de
Sarajevo, Aida Begic monte en puissance. Avec Premières neiges, chronique
d’un minuscule village bosniaque, elle évoque l'histoire de ces femmes qui se
résignent peu à peu à l’absence des hommes, faits prisonniers par les Serbes
pendant la guerre..
•
Produire un long-métrage en Bosnie ne doit pas être aisé, surtout
lorsqu’il s’agit du premier.
•
La genèse du film remonte à cinq ans, en 2003. Après plusieurs courtsmétrages, je me suis lancée dans l’aventure d’un long, Premières neiges.
L’écriture du scénario m’a demandé un temps important car, outre les
recherches, je devais gérer un nombre important de personnages. Avant
d’arriver à la version finale du script, il s’est écoulé deux ans. Je suis ensuite
passée à la production et, pour cela, il n’y a pas eu d’autre possibilité qu’une
coproduction. En Bosnie, nous ne disposons de presque rien pour faire du
cinéma, pas même de l’équipement nécessaire. En revanche, depuis sept ans
il existe une fondation qui a contribué à rassembler des producteurs étrangers
sur le projet. Peu à peu, les choses ont pris forme et me voilà à Cannes.
•
•
Des coproducteurs aussi variés que la France, l’Iran et l’Allemagne,
n’est-ce pas beaucoup de pression ?
•
Les producteurs français et allemands sont arrivés par l’intermédiaire de
l’Atelier du Festival, ici, à Cannes. Le partenaire iranien s’est ensuite
manifesté, un an avant le tournage. Jamais je n’ai ressenti de leur part la
moindre pression dans la mesure où tous croyaient au scénario et en ma
capacité à faire le film. Ils m’ont laissé faire ce que je voulais. Dans un certain
sens, je ne me sentais pas très à l’aise dans ma position de représentante
d’un petit pays qui, pour arriver à ses fins, était dépendante de plus grands
pays. Finalement, je m’en suis accommodée. N’ai-je pas bénéficié de la
mondialisation ?
•
•
Il semble que, d’une certaine manière, Premières neiges tienne à la fois
du souvenir personnel en lien étroit avec la réalité, et aussi du rêve…
•
En Bosnie, tout va ainsi, entre rêve et réalité. Avec la guerre, nous vivions un
quotidien si dur, si cruel que nous avions besoin de nous réfugier dans le rêve
et le rire. Un équilibre naturel des choses. C’est justement pendant la guerre,
au moment des plus grandes douleurs de ma vie, que je me suis le plus
amusée et que j’ai connu des fous rires comme jamais. Il me fallait ça. Aux
autres aussi. Quand vous vous trouvez dans une situation vraiment difficile,
sous le feu ennemi, vous devez vous agripper à tout ce qui peut vous
maintenir en vie. Les personnages de Premières neiges agissent ainsi,
même si la guerre est finie.
•
•
Y-a-il une grande part de vous dans le personnage d’Alma ?
•
Tous les réalisateurs s’identifient plus ou moins à l’un de leurs personnages.
Surtout quand ces réalisateurs sont également scénaristes de leur film, ce qui
est mon cas. Oui, il y a bien un lien entre Alma et moi, mais également avec
les autres protagonistes.
•
•
Pour parler de la réalité et du rêve, le cas du petit garçon dont les
cheveux poussent à une vitesse sidérante, c'est plutôt de l'ordre de
l'onirisme, non ?
•
Pas autant qu'on pourrait le croire. Après des chocs très intenses, des
traumatismes, vous pouvez manifester des symptômes assez fantastiques.
N’a-t-on pas vu des gens se réveiller, à la suite d’un cauchemar, avec une
chevelure toute blanche alors qu’elle était noire quelques heures plus tôt ?
Concernant ce gamin, je me suis inspirée du cas d’un ami. Pendant le siège
de Sarajevo, les Serbes ont commencé à séparer femmes et hommes. Il a pu
rester auprès de sa mère uniquement parce qu’il avait les cheveux aussi longs
qu’une fille. Les soldats et miliciens n’y ont vu que du feu. J’ai repris l’essence
de cette histoire dans Premières neiges, le gamin agissant inconsciemment
sur ses cheveux pour se protéger et pour rester en sécurité auprès des siens.
•
•
Si Premières neiges s’appuie sur des personnages solides et réels, il se
déroule dans un village qui, aussi, peut faire office de personnage à part
entière…
•
Nous avons mis deux ans à le trouver ! C'était trop cher d’en reconstituer un,
ne serait-ce qu’en partie ! Si nous avons visité beaucoup de villages,
beaucoup étaient encore en ruines, d'autres entièrement recouverts de boue !
Finalement, ce n’est que quelques semaines avant le tournage que nous
avons enfin trouvé un lieu qui correspondait à ce que nous recherchions. Un
village certes reconstruit, mais qui gardait l’authenticité d’avant la guerre. Un
hameau de l’est de la Bosnie où s’étaient déroulés des faits analogues à ceux
du film, où s’étaient étendus le génocide et les exécutions sommaires. Ce
village possède une âme et cela se ressent, se voit à l’écran. Un fort ancrage
dans la réalité nécessaire à mon histoire.
•
•
A l’instar du village, la nature et les éléments jouent un rôle capital dans
le film.
•
Certainement. La nature et les éléments traduisent à la fois la beauté et la
cruauté de la condition humaine. Si le ciel apporte des bienfaits, il apporte
aussi des catastrophes, des vents violents, le froid, le chaos. Quelque chose
qu’on ne peut contrôler, ce que les citadins tendent de plus en plus à oublier.
Mais dans un village comme celui du film, les gens ne l’oublient pas. Ce qui
les rend plus humbles, plus ouverts et plus solidaires les uns envers les
autres. Oui, la nature et les éléments pèsent considérablement sur le village et
ses habitants.
•
•
D’ailleurs, la tempête piège si bien l’émissaire local et l’acheteur étranger
qu’elle les oblige à rebrousser chemin, à faire face aux gens du village…
•
Oui, mais, bien que la voiture tombe en panne, ce n’est pas pour autant un
sabotage, même si cela pourrait en être un ! En fait, la nature ramène les deux
hommes dans le cercle magique que forme le village. Impossible ou presque
pour quiconque d’en partir, tant les destins sont liés, tant un passé commun
crée entre tous des liens indéfectibles. Y compris entre ceux qui veulent à tout
prix rester et ceux qui, au départ, paraissent les plus farouchement décidés à
partir.
•
•
Premières neiges est un constat. Celui des années de guerre civile en
Bosnie...
•
Il n’y a eu aucun vainqueur dans cette guerre. C’est ce que dit le film. Les
personnages n’entretiennent aucune volonté de vengeance. Ils veulent
seulement savoir, obtenir la preuve de ce qui est arrivé à leurs maris, frères et
enfants. Obtenir justice d’une façon ou d’une autre, rafraîchir la mémoire à
certains. Comme à ce Serbe qui joue les intermédiaires dans l’achat du village
par un étranger. Une manière de blanchir de l’argent, pratique très courante
en Bosnie. S’il cherche à conclure la vente de toutes ces vieilles pierres, ce
n’est pas uniquement pour empocher une confortable commission, mais aussi
pour tirer un trait sur son passé. Même si personne ne découvre jamais qu’il
était lié aux meurtres pendant la guerre, les femmes du village lui rappelleront
toujours qu’il l’a été. En facilitant la vente des lieux, il poursuit le but caché de
se débarrasser d’elles, de les éloigner des lieux du crime.
•
•
Vous dirigez principalement des femmes, dans le film. Pas trop difficile ?
•
Oh oui ! Surtout au début. Si les femmes sont très sensibles et expriment des
émotions très fortes, elles n’ont pas été évidentes à diriger, d’autant moins
que pratiquement toutes – des comédiennes de théâtre - n’avaient jamais joué
dans un film. Certaines cédaient parfois à l’hystérie. Le tournage ne s’est pas
déroulé sans cris, sans larmes. J’en garde néanmoins un agréable souvenir…
ponctué de moments de crise !
•
•
Vous êtes une femme réalisatrice, vous portez le foulard. Quel sens cela
revêt-il ?
•
Cela traduit simplement un parcours personnel. J’ai réalisé des films avec et
sans le foulard. Aucune de ces positions n’est vraiment tenable dès que vous
êtes une femme. Si vous ne portez pas le foulard, la plupart des membres de
l’équipe – des hommes – vous regardent comme ils regarderaient un morceau
de viande. Si vous le portez, ils vous regardent comme une arriérée. Ils croient
que vous êtes oppressée, que c’est votre mari que vous y oblige, ou que
quelqu’un vous paie pour ça. Ils détruisent votre personnalité et n’acceptent
pas que ce soit juste votre choix. C’est difficile pour une équipe de tournage
d’accepter que le rôle de patron soit tenu par une femme qui porte le foulard.
Pour beaucoup, je devrais être à la maison, à préparer silencieusement les
repas, dans l’attente aussi d’être à nouveau battue. Ce sont des stéréotypes
qui sévissent contre les femmes musulmanes, une propagande qui nous
présente comme oppressées, stupides et sans droits. Ce n’est pas la vérité :
des femmes maltraitées, il en existe partout, qu’elles soient musulmanes ou
non.
•
•
Par Marc Toullec (09/10/2008
http://www.toutlecine.com/
Dance from the mat
http://dancefromthemat.com/
Aida Begic raconte l’après-guerre dans
« Les enfants de Sarajevo »
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Parmi mes coups de cœur au Festival du Nouveau Cinéma cette année, il y a eu le deuxième
film de la réalisatrice bosniaque Aida Begic, Les Enfants de Sarajevo ou Djeca en vo (enfants
en bosnien).
À l’affiche au FNC en 2008, Snow, le premier long métrage d’Aida Begic, dépeignait le
quotidien d’un groupe de femmes et de fillettes après la guerre des Balkans. Seules dans un
village bosniaque isolé, elles essayaient d’être autosuffisantes dans une Bosnie patriarcale
dont les hommes ont été exterminés par les conflits armés.
Aida Begic, qui a grandi sous les bombes, raconte l’après-guerre dans ses films. Mais Djeca
est beaucoup plus sombre que Snow, qui était imprégné de poésie et de sensualité malgré
l’omniprésence de la thématique du deuil. Et, contrairement à Snow, Djeca est situé en milieu
urbain, dans la banlieue de Sarajevo. La banlieue, un lieu indéfini, « entre les lieux » pour la
réalisatrice, en accord avec l’état d’esprit de ses personnages. En effet, à travers Rahima et
Nedim, deux orphelins sans attaches, qui tentent de survivre dans une Bosnie exsangue et aux
prises avec la précarité, la corruption, la délinquance et les magouilles, Aida Begic s’attarde
sur le sort des jeunes vivant à Sarajevo aujourd’hui. Née pendant la guerre et n’ayant donc
jamais connu que celle-ci et ses traces, la génération à laquelle s’intéresse la réalisatrice a
grandi dans un contexte lugubre : « malheureusement, le seul message que notre société
envoie aux jeunes c’est que, pour réussir, il faut être corrompu et que l’honnêteté et
l’éducation ne paient pas. À Sarajevo, il n’y a pas de place pour la culture. »
À l’occasion d’une entrevue diffusée sur le site Internet du journal Le Monde, Aida Begic
pose une question passionnante : « Est-il moral et éthique de faire de l’art par temps de
guerre? » La réalisatrice explique avoir trouvé réponse à ses interrogations sur la légitimité du
cinéma pendant et après des conflits armés lors du siège de Sarajevo. Elle avait alors pris part
à l’organisation d’un festival artistique regroupant performances, théâtre et cinéma : « ce
festival m’a convaincue que l’art et la culture sont aussi essentiels que l’eau et la nourriture,
souligne Begic. Cela nous a redonné notre dignité humaine ». Précisant que les musées
nationaux sont fermés, que toutes les bibliothèques ont brûlé pendant les combats et que le
cinéma, faute de financements, tombe en désuétude, la réalisatrice se demande avec
inquiétude quels adultes pourront devenir les enfants et les jeunes d’aujourd’hui.
Dans Djeca, la guerre, ou plutôt l’après-guerre, est un personnage à part entière. Les paysages,
les murs portent ses traces. La trame sonore en évoque les déflagrations. En effet, le film se
déroulant pendant la période de Noël, on ne sait si les pétarades sont dans la tête des
personnages ou occasionnées par des feux d’artifices.
Comme dans Snow, Aida Begic trace un magnifique portrait de femme dans son dernier film :
Rahima, que Begic filme caméra à l’épaule, s’escrime pour conserver la garde de son frère
adolescent, petit voyou en puissance. Tout semble se liguer contre elle : le patron du
restaurant où elle travaille, l’assistante sociale, la directrice de l’école, le ministre caricatural
qui exige qu’elle rembourse l’IPhone de son fils cassé lors d’une bagarre, son frère même qui
plonge progressivement dans la délinquance… Mais Rahima s’entête, elle n’a pas la langue
dans sa poche et se ne laisse pas marcher sur les pieds.
Toutes les responsabilités que Rahima porte sur ses épaules, tous les obstacles auxquelles elle
est confrontée font qu’elle est très seule et qu’elle ne peut construire de relations significatives
avec les gens. Elle est courtisée par l’épicier mais n’a que faire des hommes qui l’entourent,
qui sont généralement soit paumés, soit corrompus. Le voile que Rahima porte semble
d’ailleurs une métaphore de sa volonté de se protéger et de ne compter que sur elle-même et
surtout pas sur un homme, comme le montre un rêve qu’elle fait sur une femme voilée au
visage remplacé par un miroir et une remarque de son patron véreux : « maquille-toi quand tu
travailles! Tu es voilée, tu n’es pas morte ». Mais la question du voile n’est pas une
thématique-clé du film. Une conversation cocasse a d’ailleurs lieu entre Rahima et son amie
qui ne porte pas le voile, où ni l’une, ni l’autre, ne semblent pouvoir expliquer leur choix. En
fait, Aida Begic est voilée. Il a semblé plus cohérent à la réalisatrice de raconter la vie d’une
femme qui lui ressemble. Elle souligne ainsi que le choix de porter le voile est souvent
personnel en Bosnie, à l’instar du sien : « mon choix de porter le voile, auquel se sont opposés
mon mari, mes enfants et mon entourage, relève d’une décision intime. Il n’a rien à voir avec
un choix politique ou nationaliste. »
À travers Rahima, Djeca parle des communautés marginalisées, qui croyaient en avoir fini
avec la guerre mais qui sont maintenant confrontées à ses retombées, à la corruption, aux
difficultés économiques, à la misère… Selon la réalisatrice, les membres de ces communautés
doivent trancher entre deux options : s’engager dans la voie de la malhonnêteté, de la violence
et de la destruction ou opter pour la radicalité de l’espoir, ce choix qui nécessite beaucoup
plus de courage et de force. On devine lequel a été celui de Begic, caméra au poing.
Publié le octobre 30, 2012 par Nayla Naoufal
http://dancefromthemat.com/
GROUPEMENT NATIONAL DES
cinémas de recherche
http://www.gncr.fr/
NOTE D'INTENTION de la réalisatrice
GENESE
Premières Neiges, mon premier long métrage, racontait l’histoire d’un groupe
de femmes qui avaient perdu tous leurs hommes lors des massacres en Bosnie
de l’Est. Le récit suivait leur lutte pour survivre après la guerre, en 1997. Durant
le développement de Premières Neiges, nous avons beaucoup parlé de ce que
nous appelions “le rêve bosnien”. A cette période, nous croyions en la
reconstruction de notre société. Lorsque j’ai envisagé le sujet de mon second
film, j’ai essayé de comprendre dans quelle sorte de société nous vivions
aujourd’hui, ce qui avait changé depuis l’époque où nous développions
Premières Neiges… J’ai alors réalisé qu’aujourd’hui nous ne croyons plus à
cette reconstruction et que nous avons remplacé nos rêves par nos
souvenirs. J’ai remarqué que quand mes amis et moi discutons de la guerre,
nous en parlons toujours de manière particulièrement vive, passionnée. Je me
suis alors demandé si le temps de la guerre n’avait pas été la seule période
pendant laquelle nous avions véritablement vécu. Notre vie pendant la guerre
était-elle vraiment meilleure ou avons-nous ce sentiment parce cette époque est
maintenant derrière nous ? Les gens étaient-ils vraiment plus humains
pendant cette période, qui fut la plus difficile de l’histoire de notre ville, ou a-ton ce sentiment aujourd’hui parce que nous étions alors tous exactement dans
la même situation désespérée ? Que penser de ceux d’entre nous qui n’ont
même plus de souvenirs de ce que ma génération appelle “la vie normale”
d’avant la guerre ?
TRANSITION
La transition est un moment de transformation. Elle implique le changement, la
métamorphose, ce qui ne revêt pas toujours une connotation négative. Mais la
Bosnie est dans une période de transition qu’elle n’arrive pas à achever depuis
seize ans déjà. Un sentiment dominant d’impuissance et une incapacité à
envisager le futur en résultent. Près de vingt ans après la fin de la guerre, nous
vivons encore dans un “présent” infini et avons toujours peur du futur. Comme
dans presque tous les pays qui connaissent ce destin, la transition est un
terreau pour le maintien de l’injustice, de la corruption, de la violence et de
beaucoup d’autres phénomènes sociaux néfastes. Ceux qui étaient en bas de
l’échelle sociale sont parfois devenu riches très rapidement et ont des positions
influentes, alors que d’autres qui ont refusé d’accepter les nouvelles règles du
jeu les ont remplacés tout en bas de l’échelle.
CHACUN EST “L’AUTRE”
Au restaurant où elle travaille, les collègues de Rahima se comportent comme
une famille dysfonctionnelle, où chacun à sa façon diffère de la norme sociale.
Portant le voile, Rahima est automatiquement marginalisée, car les préjugés à
l’égard des femmes voilées sont les mêmes à Sarajevo que dans le reste
du monde. Bien qu’elle porte le foulard, Rahima n’est pas si différente des filles
de son âge – chez elle, elle écoute la même musique, elle aime, hait, fait des
erreurs et vit sa vie comme les autres filles “normales”. Mais en raison de ses
convictions religieuses, elle est perçue comme “l’autre”, comme étant
“différente” et est discriminée. Le chef cuisinier, Davor, appartient à la minorité
croate et est homosexuel. Son appartenance ethnique et sa sexualité le placent
dans la catégorie des “inacceptables”. Dino, le serveur, est un junkie, la
patronne du restaurant, Vedrana, se montre cruelle parce que son mari, qui est
devenu un wahabite radical, lui a enlevé la garde de ses enfants... Il existe un
conte soufi qui parle de deux oiseaux, un corbeau et un pigeon, qui deviennent
les meilleurs amis du monde. Quand les gens se demandent ce que des
oiseaux aussi différents peuvent avoir en commun, ils remarquent qu’il leur
manque une patte à tous les deux. Comme ces oiseaux, les employés du
restaurant partagent leur douleur et leurs manques.
LA MEMOIRE
La plupart des gens dans le monde savent à quoi la guerre ressemble : la
télévision en a créé une représentation commune. Mais la guerre évoque
quelque chose de très différent pour ceux qui l’ont réellement vécue. En temps
de guerre par exemple, les gens agissent - ou au moins essayent d’agir comme s’ils étaient dans une situation normale. Pendant le siège de Sarajevo,
nous montions souvent des pièces de théâtre, faisions des films, des fêtes,
fêtions nos anniversaires. Les enfants jouaient comme n’importe quels autres
enfants dans le monde. Dans chaque famille, il existe une grande
quantité d’archives qui montrent la vie des habitants de Sarajevo pendant le
siège. Parce qu’elles évoquent cet aspect individuel, humain de la guerre, ces
archives personnelles sont bien plus fidèles à la mémoire des gens que les
images que l’on voit à la télévision. Les images de la vie quotidienne pendant le
siège expriment un sentiment intime et complexe du souvenir qu’il est difficile
de traduire par des mots : la mémoire de la guerre est faite d’horreurs mais
aussi de belles choses. Elle montre que la résistance ne passe pas seulement
par les armes. La résistance se trouve aussi dans la force des gens, dans
leur capacité à préserver un mode de vie normal en des temps anormaux. Ce
que j’ai voulu faire, en utilisant des archives du temps de la guerre pour illustrer
les souvenirs de Rahima, c’est partager, comprendre ce que peuvent être les
souvenirs de quelqu’un qui a vécu une situation aussi difficile. L’histoire du film
le justifie, mais il s’agit aussi d’un désir personnel et d’un besoin de parler de
mon expérience, et de la mémoire de la guerre qui est la mienne. Quelqu’un qui
a un passé aussi difficile que celui de Rahima peut-il être capable de retrouver
de l’humanité, et comment ? Choisira-t-elle de se construire ou de se détruire ?
CONTRASTES
Le contraste est pour moi l’élément clé de l’identité visuelle du film. Contraste
entre riches et pauvres, entre vie et mort, passé et présent, réalité et illusion,
liberté et emprisonnement. Paradoxalement, tout cela coexiste dans Djeca. Le
personnage principal, dont le film suit le point de vue, rassemble tous ces
contrastes. Rahima estl e paradigme de cette réalité complexe de la période
d’après-guerre. En suivant le personnage principal, caméra à l’épaule, j’ai
souhaité que le spectateur rejoigne la jeune femme dans son voyage à travers
ses émotions.
2012
ENTRETIEN AVEC AIDA BEGIC
Pourquoi avoir choisi de filmer la jeunesse d’aujourd’hui, à Sarajevo ?
J’ai réfléchi à la manière dont la jeune génération, celle qui est née pendant la
guerre, perçoit le monde dans lequel on vit. Ces jeunes sont le principal sujet
de Djeca.
Les personnages du film ont grandi pendant la guerre.
Comment se construire dans un tel contexte ?
J’avais 15 ans quand la guerre a commencé. Rahima, mon personnage, en
avait 5, et elle a perdu ses parents pendant le conflit. Quand vous grandissez
dans un contexte aussi terrible, vous avez le sentiment de savoir plus de
choses sur le mondeque les autres, vous en tirez une maturité et une
désillusion qui vous donnent de la force. La tristesse nous rend plus fort, les
expériences difficiles nous endurcissent.
Dans le film, le passé de Rahima se dévoile par bribes…
Quand Rahima va voir le junky dans un bar, on comprend que c’est l’univers
dans lequel elle évoluait avant. Je voulais reconstituer son passé de manière
indirecte, à travers les autres personnages. Comme dans la vie, les mots ne
sont pas toujours le moyen le plus puissant pour dire les choses.
Comment s’est déroulé le casting ?
Nous avons fait un long et vaste casting en Bosnie, Serbie et Croatie. Marija
Pikic, qui joue Rahima, étudie dans une école de théâtre en Serbie. J’aime
découvrir et donner leur chance à de jeunes acteurs, à l’instar de Zana
Marjanovic, qui tenait le rôle principal dans Premières neiges et qui
est l’héroïne d’Au pays du sang et du miel d’Angelina Jolie. Travailler avec des
acteurs inexpérimentés demande plus d’encadrement et d’attention, mais c’est
aussi précieux parce qu’ils ont une vraie innocence, une honnêteté, et la
relation de travail est souvent très touchante. Mais il y a aussi des stars dans le
film, comme l’acteur serbe qui joue le type de l’épicerie, ou la vieille dame
dans la cuisine, qui jouait dans Premières Neiges : c’est une grande star en
Croatie
!
Rahima est souvent dépréciée, rabaissée par les autres personnages,
surtout socialement. Pourquoi ?
Elle est orpheline, et c’est une femme. Cela fait deux handicaps ! En Bosnie, le
fait d’être orphelin est souvent perçu comme une malédiction, il n’existe aucune
institution permettant d’aider les orphelins à grandir correctement, à ne pas
devenir délinquants. Sans parents, vous êtes tout en bas de l’échelle
sociale. Notre société est très discriminatoire envers les gens faibles car nous
n’avons pas de système social suffisant pour les aider. C’est une société
détruite.
Rahima porte le voile pendant tout le film, à l’exception d’une scène dans
laquelle elle l’enlève. Quel sens donnez-vous cette scène ?
La manière dont les femmes voilées sont perçues est très particulière, surtout
aujourd’hui. Je sais que tout le monde autour de moi a une opinion sur le fait
que je porte le foulard. Que cette opinion soit positive ou négative, elle
existe, et ce n’est pas toujours facile à vivre pour moi. Les gens se demandent
parfois : comment sont ses cheveux, à quoi ressemble-t-elle sans son foulard ?
Dans le film, je veux montrer que nous sommes comme toutes les autres
femmes. Ce moment où Rahima enlève son foulard est très important pour moi,
car on commence à la regarder comme une femme comme les autres.
Le film suit en permanence le point de vue de Rahima, en caméra épaule et
en plans-séquences, ce qui lui confère une formidable énergie .Comment
avez-vous pensé la mise en scène ?
Je voulais que Djeca se situe dans un environnement urbain, et que les acteurs
soient toujours en mouvement, au contraire de Premières Neiges qui était plus
statique. La mise en scène de Djeca est très organique, en réaction directe
avec le mode de vie de ses personnages. Il m’a semblé que l’utilisation du planséquence correspondait bien à leur agitation, et je voulais que le spectateur soit
en immersion totale, qu’il soit tout le temps avec Rahima, et même à l’intérieur
d’elle. Rahima a 23 ans, elle est jeune et active. Il fallait que la structure du film
rende compte de sa vie très chaotique et des perturbations qu’elle traverse.
C’est un personnage hyperactif, en mouvement permanent mais qui tourne en
rond, ainsi dans le film j’ai voulu qu’elle revienne plusieurs fois dans les mêmes
lieux, pour donner le sentiment qu’elle bouge beaucoup mais ne va nulle
part. Ce choix de mise en scène n’était pas simple pour le directeur de la
photographie et les acteurs, car certains plans durent jusqu’ à cinq ou six
minutes avec parfois dix acteurs se déplaçant dans un espace exigu. Il fallait
que le cadreur danse avec eux, d’ailleurs ces plans étaient construits comme de
véritables chorégraphies. J’ai beaucoup répété avec les comédiens.
A l’image du film, loin de tout misérabilisme, Rahima est un personnage
optimiste…
Rahima a le sentiment que le monde entier est contre elle, puis elle comprend
qu’elle doit réussir à recréer des liens avec son petit frère, et qu’alors tout
commencera à aller mieux. Pour moi, c’est vraiment là que se trouve le salut,
dans l’intime, dans nos relations avec nos proches.
Créer un personnage féminin fort et émancipé faisait-il partie de vos
ambitions ?
Oui, j’ai voulu réfléchir à ce que signifie l’émancipation de la femme aujourd’hui.
Rahima est seule, elle est très indépendante, qu’elle l’ait voulu ou non, elle n’a
pas eu le choix. En tant que féministe, je ne voulais pas que la solution pour
Rahima se trouve dans un homme, elle peut s’en sortir seule, elle n’a
pas besoin d’un sauveur.
Comment expliquez-vous la ressemblance physique, frappante, entre vous
et Rahima ?
Je ne crois pas l’avoir recherché mais beaucoup de gens me le disent. L’actrice
n’avait dans son entourage personne d’autre que moi qui portait le voile, et je
pense qu’elle m’a prise comme modèle. Après, on met toujours de soi dans tous
ses personnages. Adolescente, je ressemblais aussi beaucoup au frère de
Rahima, j’étais dure, en rébellion. En art, on ne peut pas échapper à soi-même.
Tout au long du film, la bande son regorge de détonations, bruits de
pétards, feux d’artifice… Comment avez-vous travaillé le son ?
Je travaille avec un ingénieur du son que je connais depuis mon premier court
métrage, et c’est d’ailleurs le cas de la plupart de mon équipe technique. J’ai
commencé à travailler sur le son avant le début du tournage. Je voulais que la
violence du film soit surtout transmise par le son, qui devait créer une
atmosphère de guerre dans le quartier où vivent les personnages. Je
voulais aussi qu’on ait parfois l’impression que ces sons sont dans la tête de
Rahima.
Le fait de réaliser des films en Bosnie est-il un geste politique ?
Vivre en Bosnie est déjà un geste politique ! J’ai toujours vécu à Sarajevo et j’y
élève ma fille. Ce n’est pas facile, il y a beaucoup de dysfonctionnements, mais
on doit se battre pour en faire un endroit meilleur, et la solution n’est pas de
partir. Nous avons le devoir de nous demander quel genre de monde nous
allons laisser aux jeunes générations, qui n’ont connu que la destruction. La
première chose que ces jeunes ont retenue du monde, c’est la guerre. Après la
guerre, ils ont appris qu’être corrompu était payant, et qu’on ne gagnait rien en
étant intellectuel, décent et modeste. J’ai le sentiment qu’il est de mon devoir
d’essayer de changer les choses, ne serait-ce qu’en travaillant avec eux. Si
j’arrive à changer une toute petite chose en l’un d’eux, je considèrerai que ma
mission est réussie. En tant que réalisatrice, je tâche en tous cas de faire de
mon mieux pour que les jeunes comprennent qu’il y a encore de l’espoir, et
un avenir à construire.
Le Grand prix de La Semaine de la Critique que vous avez remporté pour
Premières neiges en 2008 a-t-il facilité le financement de Djeca ?
Chaque année, entre zéro et trois films bosniaques sont tournés. Le budget
annuel de notre fonds pour le cinéma est d’un million d’euros, ce qui est très
peu. Et on est sur le point de perdre ce petit rien car notre gouvernement est en
crise, l’état est au bord de la faillite et le budget de la culture diminue de plus en
plus. Nos musées nationaux ferment, nous n’avons plus de grande bibliothèque
car elle a brûlé pendant la guerre. Le gouvernement a d’autres priorités, même
si je pense que la culture est prioritaire. Si on n’est pas soutenu plus
sérieusement, je ne suis pas sûre que l’on entende parler de cinéma
bosniaque dans les cinq prochaines années. Dans un tel contexte, il est très
difficile d’obtenir de l’argent pour produire un film. La seule possibilité réside
dans la coproduction : Djeca est une coproduction bosniaque, française,
allemande et turque. Le succès de mon premier film a bien sûr aidé, mais un
réalisateur doit savoir partir de zéro. Il faut travailler dur tout le temps, cela vous
garde vivant, toujours en tension. Il m’a fallu environ quatre ans pour faire ce
film. En ce sens, le prix décerné par le jury Un Certain Regard au dernier
festival de Cannes est très important : plus qu’un encouragement, cette
reconnaissance est évidemment un soutien précieux.
http://www.gncr.fr/
http://www.mediaterranee.com/
Cinéma:
Aida
méditerranéen
Begic
dans
le
projet
Aida Begic réalisatrice de Sarajevo dont le film "Premières neiges" a obtenu
plusieurs prix internationaux, vient de terminer à Istanbul le tournage d'un film court,
intitulé "Otello" dans le cadre d'un projet commun, des cinéastes des Balkans et du
Moyen Orient.
Les rôles principaux sont interprétés par Alma Terzic et Ayca Damgaci,actrice turque
déjà très connue, primée à SFF avec "Le coeur de Sarajevo", dont le film "My Marlon
and Brando" a rapporté au réalisateur Huseyin Karabey le premier Prix de "Tribeca
Film Festival".
La cinéaste sarajevienne a confié d'autres rôles à des acteurs turques et toute son
équipe technique est d'Istanbul. Excepté le directeur de la photo Erol Zubcevic, qui
fait partie de sa proche famille.
Avec Aida Begic, l'omnibus "Do not forget me Istanbul", ont contribué : Eric Nazarian,
Stefan Arsenijevic, Hany Abbu Assad, (dont le film "Paradise Now" a été nominé
pour l'"Oscar", après avoir obtenu "Le Globe d'Or"), puis Stergios Nizirisk qui a reçu
le premier Prix de Rotterdam Film Festival, pour son long métrage : "Go with peace
Jamil". Le projet a été réalisé à Istanbul car cette ville est l'actuelle capitale culturelle
de l' Europe.
La Ville lumière a réussi le même projet grâce au film "Paris, je t'aime". Et dans la
Grande pomme fut tourné "New York-I love you".
Djana Mujadzic
http://www.mediaterranee.com/
La maison de l’image
9 boulevard de Provence
07200 Aubenas
Tel: 04 75 89 04 54
Site : www.maisonimage.eu
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