Traitements médicaux du cancer du sein et conséquences sur la
Transcription
Traitements médicaux du cancer du sein et conséquences sur la
DOSSIER THÉMATIQUE Highlights Chemotherapy-induced amenorrhea is the most frequently used parameter for the evaluation of infertility risk after medical treatment of breast cancer. Age, the type of chemotherapy and the doses administered are the factors determining the risk of chemotherapy-induced amenorrhea. Cyclophosphamide and anthracyclines are linked to a high risk of amenorrhea; the effect of taxanes and monoclonal antibodies has not yet been established. Planned pregnancy should be discussed as soon as a breast cancer diagnosis is made, before the start of treatment, in order to implement, if need be, the necessary measures for infertility prevention. . Keywords Chemotherapy related amenorrhée Fertility preservation Adjuvant chemotherapy Breast cancer Hormonotherapy * Institut de cancérologie de l’Ouest, centre René-Gauducheau, SaintHerblain. Grossesse et cancer du sein Traitements médicaux du cancer du sein et conséquences sur la fertilité Medical treatment of breast cancer and impact on fertility D. Berton-Rigaud*, C. Gourmelon*, E. Bourbouloux*, S. Sadot-Lebouvier* L e cancer du sein est le cancer féminin le plus fréquemment diagnostiqué dans le monde. En 2008, il représentait 23 % des nouveaux cas de cancers (1,38 million de cas) [1]. La proportion de femmes jeunes a été étudiée dans différentes populations : actuellement on estime que 2 % des cancers du sein sont diagnostiqués entre 20 et 34 ans et 11 % entre 35 et 44 ans. En France en 2010, 52 000 nouveaux cas de cancers du sein ont été diagnostiqués dont plus de 6 000 chez les femmes de moins de 40 ans (2). Le traitement du cancer du sein localisé est fondé sur les caractéristiques de la patiente et de la tumeur et repose sur une prise en charge multidisciplinaire associant chirurgie, radiothérapie et traitements médicaux (chimiothérapie, thérapies ciblées et hormonothérapie). La réalisation d’une chimiothérapie adjuvante est recommandée si elle permet une diminution du risque de rechute d’au moins 5 % à 10 ans. Le jeune âge (≤ 35 ans) au diagnostic de cancer du sein étant un facteur pronostique péjoratif, ces patientes sont souvent éligibles à une chimiothérapie adjuvante. Le protocole de chimiothérapie associant cyclophosphamide, méthotrexate et 5-fluorouracile (CMF) n’est plus guère utilisé, mais son effet sur la fertilité a été bien étudié. Les chimiothérapies actuellement validées incluent principalement les anthracyclines et les taxanes. L’utilisation de trastuzumab, un anticorps monoclonal ciblant HER2, en association à la chimiothérapie, est systématique en cas de surexpression ou d’amplification de HER2. Lorsque la tumeur exprime les récepteurs hormonaux (estrogène et/ou progestérone), il existe une indication d’hormonothérapie adjuvante. Chez les patientes non ménopausées, un traitement par 26 | La Lettre du Sénologue ̐ n° 55 - janvier-février-mars 2012 tamoxifène est recommandé. Les agonistes de la LH-RH sont une alternative thérapeutique qui n’a pas prouvé sa supériorité par rapport au tamoxifène. Cancer du sein et fertilité Avec le recul actuel de l’âge de la première grossesse, la question de la fertilité devient centrale dès la prise en charge initiale du cancer du sein pour de nombreuses patientes n’ayant pas pu mener à bien leur projet parental. Le fait d’avoir reçu une chimiothérapie ou une hormonothérapie dans le cadre du traitement d’un cancer du sein n’est pas une contre-indication à la grossesse. En effet, le risque de récidive de la maladie n’est pas augmenté en cas de grossesse (3). Après traitement d’un cancer du sein, la grossesse est classiquement considérée comme à risque, notamment de petit poids de naissance (4) sans qu’il y ait un surrisque de malformations. Il est recommandé de respecter un délai de 2 à 3 ans après la fin des traitements ayant comporté une chimiothérapie, avant de programmer une grossesse, principalement pour éliminer le risque d’une rechute précoce. Parmi les effets indésirables à long terme des traitements médicaux du cancer du sein chez la femme jeune, le risque d’aménorrhée chimio-induite est à prendre en compte. Pour les femmes ayant un projet parental (3/4 des femmes de moins de 35 ans sans enfant au diagnostic souhaitent préserver leur fertilité) ou tout simplement pour les femmes qui vont être concernées par les conséquences à long terme d’une ménopause précoce, une information détaillée et, le cas échéant, une prise en charge Points forts Mots-clés » L’aménorrhée chimio-induite est le paramètre le plus utilisé pour évaluer le risque d’infertilité après traitement médical d’un cancer du sein. » L’âge, le type de chimiothérapie et les doses utilisées sont les facteurs déterminants du risque d’aménorrhée chimio-induite. » Le cyclophosphamide et les anthracyclines sont à haut risque d’aménorrhée ; l’effet des taxanes et des anticorps monoclonaux n’est actuellement pas bien défini. » Le projet de grossesse doit être discuté dès la prise en charge initiale du cancer du sein, avant le début du traitement, pour mettre en œuvre, le cas échéant, les démarches utiles à la préservation de la fertilité. Aménorrhée chimioinduite Préservation de la fertilité Chimiothérapie adjuvante Cancer du sein Hormonothérapie adaptée vont être fondamentales dès la consultation d’annonce. Chimiothérapie et risque d’aménorrhée Évaluation de la fertilité après traitement La chimiothérapie adjuvante induit fréquemment une aménorrhée, dont le caractère réversible ou non, dépend des réserves ovariennes initiales et des effets délétères du traitement sur le tissu ovarien (follicules ovariens et cellules de la granulosa). Il est généralement admis que l’âge physiologique des ovaires chez une patiente traitée pour un cancer est de 10 ans supérieur à l’âge réel. L’évaluation dans la littérature médicale du risque d’aménorrhée chimio-induite (ACI) est difficile du fait de l’hétérogénéité de sa définition dans les différentes études. L’ACI peut être définie comme l’absence de cycles plus de 3, 6 ou 12 mois par rapport au début ou à la fin de la chimiothérapie. Pour un même protocole, le pourcentage d’ACI peut donc différer en fonction de la définition : avec le CMF, le pourcentage d’aménorrhée est respectivement de 50 %, 70 % et 80 % à 3, 6 et 12 mois (5). Il semble que la meilleure définition de l’ACI soit la persistance d’une aménorrhée 12 mois après la fin de la chimiothérapie. La durée de suivi, les caractéristiques des patientes étudiées et les traitements reçus (type de chimiothérapie, hormonothérapie ou non) rendent compte également de l’hétérogénéité des études rapportées dans la littérature. La reprise de cycles réguliers n’est pour autant pas synonyme de fertilité optimale et les études qui n’évaluent la réserve ovarienne qu’à travers les cycles menstruels sous-estiment l’impact de la chimiothérapie sur la fertilité ultérieure. De ce fait, d’autres marqueurs de fertilité sont en cours d’évaluation. Des marqueurs biologiques tels que l’hormone antimüllérienne (AMH), l’inhibine B, l’estradiol, la FSH à J2 et à J5 du cycle ont été étudiés de même que le compte des follicules antraux par échographie transvaginale. Une diminution des réserves ovariennes se manifeste par des taux bas d’estradiol, d’AMH, d’inhibine B (produits par les cellules de la granulosa des follicules ovariens) mais aussi par une diminution des follicules antraux. Ces tests de réserve ovarienne chez la femme en bonne santé ou hypofertile ne permettent pas de prédire les chances de grossesse mais évaluent le risque de ménopause précoce. La validité de ces tests après chimiothérapie n’est actuellement pas établie. Facteurs influençant le risque d’aménorrhée chimio-induite ➤ L’âge est le facteur prédictif d’ACI le plus important. Dans la plupart des études, la comparaison a lieu entre les patientes de moins et de plus de 40 ans, même si, en réalité, il semble que le risque diffère plutôt entre les patientes de moins ou de plus de 30 ans. Après traitement par CMF, 61 % des patientes de moins de 40 ans et 95 % des patientes de plus de 40 ans ont une ACI. Avant 30 ans, après 6 cycles de CMF, le risque d’ACI est estimé à 3 % (6). Dans l’étude française PACS 01, 72 % des femmes traitées avant l’âge de 40 ans par 6 cycles de 5-fluorouracil, épirubicine, cyclophosphamide (FEC) à 100 mg/m 2 récupèrent des cycles à 1 an tandis qu’après 40 ans seules 10,5 % ont à nouveau des cycles. Sous 3 FEC 100-3 docétaxel, 71,5 % des patientes avant 40 ans et 20,5 % des patientes après 40 ans sont à nouveau réglées à 1 an (7). ➤ Les doses de chimiothérapie utilisées (en particulier le nombre de cures) participent au risque d’ACI. ➤ Le type de protocole de chimiothérapie influence le risque d’ACI. Les alkylants sont les molécules les plus gonadotoxiques. Les produits de chimiothérapie peuvent être classés selon leur risque de gonadotoxicité en 4 groupes (tableau I). Références bibliographiques 1. Jemal A, Bray F, Center MM, Ferlay J, Ward E, Forman D. Global cancer statistics. CA Cancer J Clin 2011;61:69-90. 2. Guérin S, Hill C. L’épidémiologie des cancers en France en 2010 : comparaison aux États-Unis. Bull Cancer 2010;97:47-54. 3. Azim HA Jr, Santoro L, Pavlidis N et al. Safety of pregnancy following breast cancer diagnosis: a metaanalysis of 14 studies. Eur J Cancer 2011;94:142-6. 4. Dalberg K, Eriksson J, Holmberg L. Birth outcome in women with previously treated breast cancer-a population-based cohort study from Sweden. PLoS Med 2006;3:e336. 5. Padmanabhan N, Wang DY, Moore JW, Rubens RD. Ovarian function and adjuvant chemotherapy for early breast cancer. Eur J Cancer Clin Oncol 1987;23:745-8. 6. Ludwig Breast Cancer Study Group. A randomized trial of adjuvant combination chemotherapy with or without prednisone in premenopausal breast cancer patients with metastases in one to three axillary lymph nodes. Cancer Res 1985;45:4454-9. 7. Berliere M, Dalenc F, Malingret N et al. Incidence of reversible amenorrhea in women with breast cancer undergoing adjuvant anthracycline-based chemotherapy with or without docetaxel. BMC Cancer 2008;8:56. 8. Gadducci A, Cosio S, Genazzani AR. Ovarian function and childbearing issues in breast cancer survivors. Gynecol Endocrinol 2007;23:625-31. Tableau I. Risque d’aménorrhée sous chimiothérapie (recommandations ESMO 2010). Risque d’aménorrhée permanente Haut risque (> 80 %) Risque intermédiaire (80 %-20 %) Faible risque (< 20 %) Risque inconnu Monochimiothérapie Cyclophosphamide Anthracyclines Méthotrexate 5-FU Taxanes Anticorps monoclonaux Polychimiothérapie CMF, FAC, FEC x 6 > 40 ans CMF, FAC, FEC x 6 entre 30 et 39 ans AC, EC x 4 > 40 ans CMF, FEC, FAC x 6 < 30 ans AC x 4 < 40 ans AC : adriamycine-cyclophosphamide ; CMF : cyclophosphamide-méthotrexate-5-fluorouracil ; FAC : 5-fluorouraciladriamycine-cyclophosphamide ; FEC : 5-fluorouracil-épirubicine-cyclophosphamide. La Lettre du Sénologue ̐ n° 55 - janvier-février-mars 2012 | 27 DOSSIER THÉMATIQUE Grossesse et cancer du sein Tableau II. Principales études de l’ACI dans le cancer du sein (CT : chimiothérapie). Études Protocoles Nombre de cycles Âge (ans) Aménorrhée (%) Ludwig Breast Cancer Study (6) CMF 6 > 40 < 40 95 61 FEC100 FEC100Docétaxel 6 3+3 > 40 < 40 > 40 < 40 72 10 71 20 Parulekar et al. (9) CMF FEC 60 6 6 Tham et al. (11) AC AC-paclitaxel ou docétaxel 4 8 > 40 < 40 > 40 < 40 Fornier et al. (12) < 40 Berliere et al. (7) AC-paclitaxel 8 Martin et al. (13) FAC TAC 6 6 Bonadonna et al. (14) CMF 12 Perez-Fidalgo et al. (15) Swain et al. (16) Point d’évaluation Pourcentage d’aménorrhée en fin de traitement 42,6 51 81 44 85 61 6 mois d’aménorrhée 17 12 mois d’aménorrhée 52,4 61,7 3 mois d’aménorrhée 61 22 Au moins 3 mois d’aménorrhée A A + paclitaxel 75,5 82,7 12 mois d’aménorrhée/début CT ACpaclitaxel 83 6 mois d’aménorrhée > 40 < 40 A : adriamycine ; TAC : (docétaxel-doxorubicine-cyclophosphamide). Références bibliographiques 9. Parulekar WR, Day AG, Ottaway JA et al. Incidence and prognostic impact of amenorrhea during adjuvant therapy in high-risk premenopausal breast cancer: analysis of a National Cancer Institute of Canada Clinical Trials Group Study-NCIC CTG MA.5. J Clin Oncol 2005;23:6002-8. 10. Bines J, Oleske DM, Cobleigh MA. Ovarian function in premenopausal women treated with adjuvant chemotherapy for breast cancer. J Clin Oncol 1996;14:1718-29. 11. Tham YL, Sexton K, Weiss H, Elledge R, Friedman LC, Kramer R. The rates of chemotherapy-induced amenorrhea in patients treated with adjuvant doxorubicin and cyclophosphamide followed by a taxane. Am J Clin Oncol 2007;30:126-32. 12. Fornier MN, Modi S, Panageas KS, Norton L, Clifford H. Incidence of chemotherapy-induced, longterm amenorrhea in patients with breast carcinoma age 40 years and younger after adjuvant anthracycline and taxane. Cancer 2005;104:1575-9. 13. Martin M, Pienkowski T, Mackey J et al. Adjuvant docetaxel for node-positive breast cancer. N Engl J Med 2005;352:2302-13. 14. Bonadonna G, Valagussa P, Moliterni A, Zambetti M, Brambilla C. Adjuvant cyclophosphamide, methotrexate, and fluorouracil in node-positive breast cancer: the results of 20 years of follow-up. N Engl J Med 1995;332:901-6. 15. Perez-Fidalgo JA, Rosello S, Garcia-Garre E et al. Incidence of chemotherapy-induced amenorrhea in hormone-sensitive breast cancer patients: the impact of addition of taxanes to anthracycline-based regimens. Breast Cancer Res Treat 2010;120:245-51. 16. Swain SM, Land SR, Ritter MW et al. Amenorrhea in premenopausal women on the doxorubicinand-cyclophosphamide-followed-by-docetaxel arm of NSABP B30 trial. Breast Cancer Res Treat 2009;113:315-20. ➤ Le protocole CMF, comprenant le cyclophosphamide (Endoxan®), a été le plus étudié, il n’est actuellement plus utilisé en France. Dans l’étude Ludwig Breast Cancer, 61 % des femmes de moins de 40 ans et 95 % des plus de 40 ans ont une ACI (pas de règles depuis plus de 3 mois dans les 9 mois suivant la chirurgie) [6]. Dans la revue de Gadducci et al., le risque d’ACI est évalué entre 21 et 71 % avant 40 ans et entre 40 et 100 % après 40 ans (8) [tableau II]. ➤ Dans les protocoles à base d’anthracyclines, type AC ou FEC, utilisant en général des doses d’alkylants moindre que dans le CMF, le risque d’ACI est moins important. Il est évalué à 51 % après FEC75 dans l’étude de Levine (9) et à 76 % dans l’étude de Berliere après 6 FEC100 (7) [tableau II]. Après 4 cures d’AC, Bines et al. retrouvent 35 % d’ACI (10). ➤ Le risque lié aux taxanes est moins bien défini et les résultats semblent contradictoires. Dans l’étude de Tham et al., l’adjonction de 3 mois de taxanes à 4 cures d’AC majore le risque d’ACI à 12 mois : 61 % avec les taxanes versus 44 % sans taxane chez les patientes de 28 | La Lettre du Sénologue ̐ n° 55 - janvier-février-mars 2012 moins de 40 ans (11). Cette différence peut aussi être expliquée par une durée de traitement différente entre les 2 bras. A contrario, l’étude de Fornier et al. n’objective pas d’augmentation de l’incidence d’ACI avec l’ajout de taxanes (12). L’étude BCIRG001 qui compare 6 TAC à 6 FAC trouve plus d’ACI avec les taxanes (66 % versus 54 %) [13]. Enfin, dans le PACS 01 qui compare 6 FEC 100 à 3 FEC 100-3 docétaxel, l’incidence d’ACI est identique en fin de chimiothérapie (93 % versus 92,5 %) mais est plus importante à 1 an chez les patientes ayant reçu du docétaxel (35,5 % versus 29 %). Il est donc probable que les taxanes soient moins, voire aussi gonadotoxiques, que les anthracyclines (tableau II). ➤ L’effet de l’adjonction du trastuzumab n’a été rapporté que dans une étude : il ne semble pas y avoir d’impact sur le risque d’ACI. Hormonothérapie et risque d’aménorrhée Le tamoxifène pendant 5 ans est le traitement adjuvant de référence chez la femme non ménopausée. Il induit des irrégularités menstruelles, voire parfois un arrêt temporaire des cycles, il semble stimuler l’ovulation à fortes doses et a un effet tératogène potentiel prouvé chez l’animal. Son utilisation nécessite une contraception efficace, et une grossesse ne peut s’envisager qu’à la fin du traitement, classiquement après 3 mois d’arrêt. Une interruption prématurée de l’hormonothérapie avant 5 ans a un impact significatif sur le pronostic en termes de risque de récidive et de mortalité. La patiente doit donc bénéficier d’une information claire et complète sur les risques encourus. Conclusion L’amélioration du pronostic du cancer du sein couplée à des connaissances scientifiques rassurantes sur l’absence de majoration du risque de rechute et de décès des patientes ayant eu une grossesse après cancer du sein rendent la question de la fertilité ultérieure cruciale dès le diagnostic et la consultation d’annonce. Il est fondamental pour les oncologues et gynécologues d’avoir une information la plus complète et éclairée possible pour mettre en œuvre, le cas échéant, les démarches utiles à des techniques de préservation de la fertilité. Le travail entre oncologue, gynécologue et médecin spécialiste de la reproduction est fondamental, et ce dès le diagnostic. ■