diplomarbeit - Universität Wien
Transcription
diplomarbeit - Universität Wien
DIPLOMARBEIT Titel der Diplomarbeit Une lecture queer du lesbianisme dans Baise-moi et Apocalypse bébé de Virginie Despentes Verfasserin Emilie Sénéchal angestrebter akademischer Grad Magistra der Philosophie (Mag.phil.) Wien, November 2013 Studienkennzahl lt. Studienblatt: A 190 347 333 Studienrichtung lt. Studienblatt: Lehramtsstudium Französisch / Deutsch Betreuerin: O. Univ. - Prof. Dr. Birgit Wagner A ma mère qui, de prés comme de loin, a toujours été là, notamment dans les moments de doute A mon père qui, parti trop tôt, m'aura donné à sa manière la force d'aller au bout de mon projet initial. Für Wolfgang: An all unsere vertrauensvollen & innigen Augenblicke, in denen du mich stets mit deinen richtigen Worten/Wörtern begleitet hast. -2- Table des matières Introduction...................................................................................................... 3 Partie I: Sortir du hors champ .......................................................................9 I.A. De la constitution du sujet lesbien .....................................................10 I.A.1. Femmes de/en travers: de l'exclusion à la révolte des invisibles....11 I.A.2. De l'établissement à la critique de la théorie de la différence sexuelle........................................................................................................15 I.B. L'extraordinaire lesbien ..................................................................... 24 I.B.1. De la dé-construction des sexualités déviantes du sujet lesbien ......25 I.B.2. ... au continuum lesbien d'Adrienne Rich........................................... 30 Partie II: Femmes fatales revisited............................................................... 35 II.A. L'armée de l'Eros................................................................................36 II.A.1. Subversion du gender inversion.........................................................36 II.A.2. De la violence et du plaisir sadique...............................................42 II.B. Le corps dans tous ses états............................................................... 46 II.B.1. Ne plus être victime !..................................................................... 47 II.B.2. Cinéma X et jeu(x) subtil(s) du regard.........................................52 II.B.3. Finies les mascara-des!...................................................................60 Partie III: Le lesbianisme : de la désintégration à la renaissance...............66 III.A. Le lesbianisme ou la fluidité des identités.......................................67 III.A.1. Culture butch/fem : de la théâtralité à l'androgynie........................67 III.A.2. La liberté retrouvée du sujet lesbien ...........................................72 Conclusion.......................................................................................................79 Zusammenfassung in deutscher Sprache......................................................82 Bibliographie.................................................................................................. 88 Curriculum vitae.............................................................................................94 -3- Introduction Propulsée en 2000 sur le devant de la scène médiatique suite à ce qui va devenir l' « affaire Baise-moi »1, Virginie Despentes détone, depuis bientôt vingt ans, dans le paysage littéraire et cinématographique français. Son écriture, réaliste, violente, sexuelle, a souvent créé la polémique. Ses portraits au vitriol de la société française mettent mal à l'aise, provoquent même, car l'auteure et réalisatrice aime à passer au crible et ce, sans ménagement, les relations hommes/femmes. Loin d'entretenir l'illusion d'une entente parfaite entre les sexes, Despentes ose lever le voile sur ce que l'on préfèrerait ne pas voir. Violences conjugales, viol, prostitution, industrie du X: au coeur de ses romans se trouve la représentation du sexuel, Virginie Despentes dressant un bilan sombre des rapports de domination entre les sexes. S'inscrivant à contre-pied de l'idée que la femme doit se contenter d'être et de rester le sexe faible, Virginie Despentes met en scène des héroïnes qui se révoltent contre une société cherchant à les maintenir au bas de l'échelle sociale et place, de ce fait, son écriture dans une dynamique de contestation socio-politique, dévoilant les multiples mécanismes de pouvoir qui entretiennent l'aliénation des femmes tout en tentant de dépasser le sexisme chauviniste dont elle-même raconte d'ailleurs avoir fait les frais tant lors de la réception de son premier roman que de l'adaption cinématographique de ce dernier: En 93, je publie Baise-moi. Premier papier, dans Polar. Un papier de mec. Trois pages. De réassignation. C'est pas que le bouquin ne soit pas bon selon ses critères qui dérange le bonhomme. Du livre, en fait, il ne parle pas. C'est que je sois une flle qui mette en scène des flles comme ça. [...] On s'en fout du livre. C'est mon sexe qui compte. [...] Papy intervient, ciseaux en main, et il va me la rectifer, ma bite mentale, il va s'en occuper, des flles comme moi. [...] on me tombe dessus de tous côtés en ne s'occupant que de ça : c'est une flle, une flle, une flle. J'ai une chatte en travers de la gueule.2 Ce qui dérange chez Despentes, c'est qu'une femme ose sortir des sentiers habituels et traditionnels de la représentation féminine. Ses (anti-)héroïnes ne sont plus passives, plus victimes, plus faibles, bien au contraire : elles règlent leurs comptes avec et à la société en 1 MATHIEU, Lilian: L'Art menacé par le droit? Retour sur l'«affaire Baise-moi». Dans: Mouvements 2003/4 (n°29). URL: http://www.cairn.info/revue-mouvements-2003-4-page-60.htm. (dernièrement consulté le 29 juillet 2013) 2 DESPENTES, Virginie: King Kong théorie. Paris: Editions Grasset 2006. p. 116 - 117. -4- ayant - souvent - recours à la violence ce qui a fait dire à certains que l'œuvre de Despentes est « anti-homme et revancharde » 3, que ses héroïnes ne sont pas des femmes mais des lesbiennes assoiffées de vengeance4. Or, cette allégation - typique d'un discours sexiste hétéronormé que Despentes s'attache à dénoncer en revisitant « la carte des genres »5, en déconstruisant le rapport entre sexe biologique et genre, bref, en nous interrogeant sur notre rapport à l' Autre - invite à se demander qui sont vraiment ces fameuses lesbiennes qui, selon Frédéric Beigbeder, contribueraient à assoir un discours hétérophobique 6. C'est donc sur la question de la représentation et de la compréhension de la fgure de la lesbienne et du lesbianisme que je me propose de revenir dans le cadre de ce mémoire de fn d'études en me concentrant sur les deux romans-clés de l'auteure, à savoir, Baise-moi - son tout premier roman - publié en 1993 aux éditions Florent Massot et Apocalypse bébé - son tout dernier roman - paru en 2010 aux éditions Grasset et pour lequel Despentes fut récompensée par le prix Renaudot cette même année. Les lesbiennes - comme je vais m'attacher à le démontrer - sont des fgures récurrentes et particulièrement ambivalentes dans les romans de Virginie Despentes mais aussi dans ses flms, l'adaptation flmique de son roman éponyme Bye Bye Blondie sortie sur les écrans en 2013 mettant, elle aussi, en scène deux lesbiennes respectivement jouées par Emmanuelle Béart et Béatrice Dalle. Dans une interview donnée aux Cahiers du cinéma7, Virginie Despentes explique que « le cinéma [étant] un super outil de propagande, c'est notamment un outil de propagande sur le genre [où] les femmes doivent toujours inexorablement aller vers les hommes et se réaliser à travers les hommes », sa décision de lesbianiser les personnages hétérosexuels de By Bye Blondie s'inscrit non seulement dans une démarche de représentation et de visibilisation de l'homosexualité féminine - encore tabou dans le milieu du cinéma traditionnel - tout comme dans une volonté de rupture avec les représentations traditionnelles de genre postulant l'idéologie dominante masculine hétérocentrée. Or, au moment ou le gouvernement français vient d'adopter le texte de loi ouvrant le mariage aux personnes de 3 la presse française, citée par SPOIDEN, Stéphane: Clivage. Dans: L'Esprit créateur: John Hopkins University Press. 44/3/2004. URL: http://muse.jhu.edu/journals/esp/summary/v044/44.3.spoiden.html (dernièrement consulté le 28 novembre 2013). p. 76. 4 la presse française, citée par BOURCIER, Marie-Hélène: Queer Zones. Politique des identités sexuelles et des savoirs. Paris: Editions Amsterdam 2006. p. 14. 5 Ibid. p. 17. 6 Frédéric Beigbeder, cité par STEMBERGER, Martina: Troubles of Authority: New Media, Text & Terror in Virginie Despentes'Apocalypse bébé. URL: http://web.fu-berlin.de/phin/phin64/p64t2.htm. (dernièrement consulté le 18 août 2013). p. 53. 7 l'interview est consultable à l'adresse suivante: https://www.youtube.com/watch?v=qG48ACv0GN0. (dernièrement consulté le 29 août 2013) -5- même sexe8, les nombreuses manifestations qui ont secoué le pays ces derniers mois qu'elles soient pour ou contre le mariage homosexuel - ont contribué à faire réapparaitre au centre du débat public l'homophobie, que beaucoup semblaient jusqu'alors - peut-être naivement - considérer comme un vieux et mauvais souvenir. Loin d'être véritablement accepté, le rapport à l'homosexualité soulève aujourd'hui encore de nombreuses tensions et est l'objet de nombreux silences, notamment lorsqu'il est question des lesbiennes, souvent rejettées dans l'ombre de l'homosexualité masculine, comme le rappelle les sociologues Cécile Chatrain et Natacha Chetcuti9 mais aussi Teresa De Lauretis, théoricienne queer féministe : La forme masculine sert donc à désigner la catégorie des homosexuels dans son entier, de la même manière que le terme homme désignait l'ensemble de la catégorie «humain» avant la vague féministe des années soixante. [P]ar extension la forme masculine de l'homosexualité [s'applique] à l'homosexualité féminine, incorporant cette dernière dans la première comme «une légère variation», une variation trop infme pour être prise en considération. [...] Quelles sont les raisons qui font qu'un terme spécifque pour l'homosexualité féminine ne se soit pas imposé?10 Thématiser le lesbianisme, c'est repenser les multiples rapports de tensions dichotomiques - homme/femme; hétérosexuel/homosexuel; femme/lesbienne; homosexuel/homosexuelle qui participent de l'organisation de la société et sortir les lesbiennes - dans la défnition que j'en donnerai tout au long de ce travail - de l'ombre dans laquelle la société masculine et masculiniste a tendance à les isoler, le manque de visibilité - tant historique, sociologique, littéraire que médiatique - contribuant à faire de ces dernières les victimes d'une « double peine »11 : en proie en tant que femmes au sexisme, en tant qu'homosexuelles à la lesbophobie. 8 http://www.justice.gouv.fr/la-garde-des-sceaux-10016/loi-ouvrant-le-mariage-aux-couples-de-personnes-dememe-sexe-25377.html. (dernièrement consulté le 27 juillet 2013) 9 CHATRAIN, Cécile et Natacha Chetcuti: Lesbianisme: théories, politiques et expériences sociales. Dans: Genre, sexualité & société [En ligne] 2009. URL: http://gss.revues.org/index744.html. (dernièrement consulté le 05.06.2013) 10 DE LAURETIS, Teresa: Théorie queer et cultures populaires. De Foucault à Cronenberg. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Marie-Hélène Bourcier. Paris: La Dispute 2007. pp. 102 - 103. 11 Emilie Jouvet, citée par: GIRARD, Quentin: «elles vivent une double peine». Dans: Libération.17.06.2013.http://next.liberation.fr/sexe/2013/06/17/elles-vivent-une-double-peine_911598. (article dernièrement consulté le 23 septembre 2013) -6- En proposant une lecture queer du lesbianisme de ces deux romans, j'envisagerai alors la question de la représentation et de la compréhension du lesbianisme comme l'expression d'une contestation identitaire, sociétale et surtout politique. Si les Gender Studies/Etudes sur le genre ont permis ces dernières décennies de repenser les rapports hommes/femmes au sein de la société et de mettre en lumière, notamment, les multiples mécanismes de domination régissant ces rapports, les Queer Studies tout en s'inscrivant dans la continuité d'une réfexion sur le genre, tentent de dépasser cette binarité - trop rigide car ne prenant pas en compte la question des identités homo-, bi- et transsexuelles - en dénonçant un ordre social hétéronormé et phallocentrique afn de proposer de nouveaux modèles de société : Gegenstand der Queer Theorie ist die Analyse und Subversion heteronormativer gesellschaftlicher Diskurse. Im Widerstand gegen normative Identitätsmodelle werden prozessual-unabgeschlossene, performative Entwürfe von Identität favorisiert, welche die Integrität des Körpers hinterfragen und neue Denkmodelle zur Disposition stellen, die die Fragmentierung und Dezentrierung des Körpers refektieren.12 Si en anglais le terme queer était une injure synonyme d' « ordure, taré, pédé, anormal, gouine, trou du cul, malsain, vraiment bizarre! » 13 participant de la construction d' « une exclusion spécifque qui sécurise l'identité hétérosexuelle » 14, les Queer Studies, terme généralement traduit en français par Etudes gaies et lesbiennes, et qui nous viennent de Teresa de Lauretis 15 ont pour objectifs, en faisant se croiser les catégories de genre, de race et de classe, non seulement la déconstruction d'un discours hétéronormatif tout-puissant mais aussi la constitution d'espaces de résistance permettant l'émergence de discours alternatifs. Elles s'inscrivent de cette manière dans le champ plus large des Cultural Studies/Etudes culturelles, et s'appliquent à démontrer, selon Bourcier, le fait que « les disciplines reposent la plupart du temps sur des conceptions ontologiques de l'homme et de la femme, qu'elles s'articulent sur la différence sexuelle, qu'elles sont le produit d'un régime épistémique hétérosexuel qui aboutit logiquement à exclure les sujets et objets d'études queer du champ universitaire et des savoirs en général. » 16 Proposer une lecture queer du lesbianisme dans Baise-moi et Apocalypse bébé, c'est donc adopter une approche 12 BABKA, Anna et Marlen BIDWELL-STEINER: Begriffe in Bewegung. Gender, Lesbian Phallus und Fantasy Echoes. Dans: Babka, Anna et Marlen BIDWELL-STEINER [sous la dir.]: Obskure Differenzen. Psychoanalyse und Gender Studies. Dans: Gießen: Psychosozial-Verlag 2013. p. 256. 13 BOURCIER, Marie-Hélène: Queer Zones. Politique des identités sexuelles et des savoirs. op. cit. 150. 14 Ibid. p. 152. 15 DE LAURETIS, Teresa: op. cit. p. 98. 16 BOURCIER, Marie-Hélène: Sexpolitiques. Queer Zones 2. Paris: La Fabrique éditions 2005. p. 29. -7- lectorale décentrée « quer zu Kategorisierungen, Normierungen, Ordnungen » 17, qui me permette alors de remettre en question tout au long de ce travail les multiples mécanismes de pouvoir qui ont permis, sur un axe historique, de réguler la société par la production d'un discours axé sur l'exclusion de l'Autre, de la différence et dont le but était de servir une entreprise de construction rigide d'identités homme/femme; homosexuel.le/hétérosexuel.le, blanc/noir, riche/pauvre etc... C'est aussi repenser les liens, souvent délicats, entre les femmes et les lesbiennes, entre le féminisme et le lesbianisme, en montrant dans quelle mesure le lesbianisme s'inscrit dans une démarche lesbo-féministe radicale. C'est enfn, si l'on considère les récentes transformations sociétales - qu'il s'agisse du droit au mariage pour tous comme je l'ai déjà évoqué mais aussi de la fameuse question de l'identité nationale du programme de la campagne présidentielle de 2007 de Nicolas Sarkozy 18 puis de la ligne politique de son quiquennat et, plus récemment encore, des multiples scandales qui ont eclaté (WikiLeaks, affaire Snowden, programme de surveillance PRISM pour ne citer que ces derniers) une invitation à (s')interroger (sur) le comportement de nos gouvernements à l'égard de leurs concitoyen.ne.s et (sur) la notion même de liberté individuelle. Ainsi, il s'agira tout au long de ce travail de montrer dans quelle mesure le lesbianisme chez Virginie Despentes est une métaphore politique, sociale et culturelle qui, tout en dénonçant le poids des prescriptions sociales liées pour reprendre l'expression de Gayle Rubin au « système sexe/genre »19, au milieu et à la race défend un discours d'émancipation identitaire qui s'inscrit, au-delà du propos lesbo-féministe, dans une réfexion sur l'état de la société contemporaine actuelle. Ce travail de mémoire s'articule en trois parties. Dans un premier temps, je me propose de revenir sur les personnages féminins qui jalonnent les deux romans de mon corpus et de montrer dans quelle mesure le lesbianisme invite à repenser le concept d'identité en s'inscrivant à contrario d'une organisation rigide des identités et des sexualités. Lié tant aux femmes hétérosexuelles qu'homosexuelles, le lesbianisme s'inscrit dans un processus diachronique de transgression que je m'attacherai à mettre en lumière en revenant 17 BABKA, Anna et Susanne HOCHREITER [sous la dir.]: Queer reading in den Philologien. Modelle und Anwendungen. Göttingen: V&R Unipress 2008. p.13. 18 Selon Koukoutsaki-Monnier, le concept d'identité nationale tel que défendu par le candidat Sarkozy lors de l'élection présidentielle de 2007 s'il tend à venter une France nouvelle, une France différente et ouverte sur l'Autre s'appuie sur des notions qui tendent à prêter à confusion (nation, laïcité et christianisme, héritage etc... ) pour en fait défendre une vision franco-française, hautement conservative et fortement ancrée dans le passé. Dans: KOUKOUTSAKI-MONNIER, Angeliki : La Construction symbolique de l'identité nationale française dans les discours de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. URL : http://communication.revues.org/2010 (dernièrement consulté le 5 novembre 2013) 19 Gayle Rubin, citée par BOURCIER, Marie-Hélène: Queer Zones. Politique des identités sexuelles et des savoirs. op. cit. p. 160. -8- notamment sur l'instrumentalisation historique, complexe et multiple dont le corps de la femme et plus particulièrement sa sexualité ont été sujets afn d'assurer le primat de l'ordre masculin/-iste et hétérocentré. Dans une seconde partie, je m'attacherai à montrer comment Virginie Despentes s'inscrit, à travers la fgure de la lesbienne, en rupture avec les représentations traditionnelles identitaires - et donc sexuelles - telles que proclamées par la société. Je montrerai alors qu'en faisant de ses (anti-)héroïnes les pourfendeuses d'un discours essentialisant et phallocratique, l'auteure place son écriture dans un horizon queer qui, en plus de renverser les stéréotypes de sexe, s'attache à libérer le corps des femmes de l'aliénation des hommes. En 2010, Elisabeth Badinter déclarait: « Sous l'apparence d'une absence de rhétorique, elle en a une: son ‹je› assumé me plaît beaucoup.»20 Dans cette seconde partie de réfexion, je reviendrai justement sur la rhétorique de Virginie Despentes qui, de la violence à l'industrie pornographique en passant par une redéfnition carnavalesque du corps et de l'apparence féminine, procède à un brouillage des codes de genre ainsi qu'à un déplacement de la focale masculine/-iste pour renverser un discours féministe français particulièrement conservateur et victimaire à l'égard des femmes et mettre en avant un discours féministe lesbien radical qui tente de se positionner au-delà des frontières sexuées et sexuelles du genre. Enfn, dans une troisième et dernière partie, je montrerai que si les lesbiennes se plaisent certes à repenser les codes de genre dans une dimension queer en jouant sur un brouillage des frontières masculines/féminines, les vingt ans qui séparent l'écriture de Baise-moi et d'Apocalypse bébé mettent en avant une évolution de l'auteure quant à la portée politicosociale à accorder au lesbianisme. Je tenterai alors d'expliquer que le véritable projet queer du lesbianisme ne peut se situer exclusivement sur le terrain de la radicalité, mais bien plus sur la mise en place de contre-pratiques qui en procédant à une désintégration, à une diffusion du corps lesbien ouvrent aux sujets lesbiens les portes de la liberté individuelle. En cela le lesbianisme n'est pas seulement l'expression d'une critique, d'une revolte même envers une société ultra-genrée et pour le moins répressive envers l'Autre, mais aussi une invitation d'émancipation identitaire socio-politique et surtout individuelle. 20 Elisabeth Badinter, citée dans: MARTIN, Marie-Claude: Elisabeth Badinter: « Avec Virginie Despentes, je me sens moins seule». Dans: Le Temps. 28.08.2010. URL: http://www.letemps.ch/Page/Uuid/286f01f2-b218-11dfa0da d2fe0d65d5d5/Elisabeth_Badinter_Avec_Virginie_Despentes_je_me_sens_moins_seule#.Uj8cDGSAub0 (dernièrement consulté le 22 septembre 2013) -9- Partie I: Sortir du hors champ ... C'est Teresa de Lauretis, théoricienne queer et féministe que j'ai eu l'occasion d'évoquer plus haut, qui, pour illustrer la situation délicate des lesbiennes dans la société occidentale, s'est inspirée du terme « hors champ » relatif aux théories du flm et de manière plus générale aux technologies de l'image. Si le hors champ désigne traditionnellement ce qui n'est pas visible mais qui existe tout de même dans la diégèse d'un flm ou d'une photographie, chez de Lauretis, le hors champ est un « ailleurs » composé « d'espaces à la fois discursifs et sociaux qui existent [...] (re)construits dans les marges (ou « entre les lignes » ou « à contre-courant ») des discours hégémoniques [...] grâce à des contre-pratiques et de nouvelles formes de communautés. » 21 On retrouve aussi cette notion de hors champ dans l'essai de Sandra Boehringer 22 sur la représentation des lesbiennes dans l'Antiquité. Le terme lesbianisme remonte à l'époque de l'Antiquité grecque archaïque : il viendrait de la poétesse Sapho qui résidait sur l'ile de Lesbos vers 600 avant J.C et composait des chants homoérotiques23. Alors que l'homosexualité masculine est reconnue et même encouragée car s'inscrivant dans une entreprise pédagogique de transmission des savoirs, les relations entre femmes vont, vers le milieu du VIème siècle, être réduites au silence 24. Perçues comme allant à l'encontre des lois de la Nature, les Anciens s'attèlent même à la « construction d'un extraordinaire social »25 dont le but est d'illustrer des comportements nonconformes. Autrement dit, le lesbianisme a, à une rare exception près, toujours été un phénomène du hors champ, l'attirance d'une femme pour une autre étant considérée comme bizarre, anormale et obligeant alors ces dernières, pour survivre, à vivre cachées, à s'organiser en sous-culture. Le phénomène du hors champ et le terme de sous-culture suggèrent d'entrée une hiérarchie qui pose la question de la légitimitation d'une culture dominante. Dans cette première partie, ma réfexion portera donc sur la constitution et la représentation historique du sujet lesbien et de sa relégation dans le hors champ. Je discuterai les multiples assertions à accorder à la fgure de la lesbienne - hétérosexuelle comme homosexuelle - ce qui me permettra d'emblée de placer cette dernière dans une perspective queer. 21 DE LAURETIS, Teresa: op. cit. pp. 92 - 93. 22 BOEHRINGER, Sandra: Le «hors champ» du sexuel: les Anciens et les relations entre femmes. Dans: Genre, sexualité & société [En ligne], 1 | Printemps 2009, mis en ligne le 09 juillet 2009. URL: http://gss.revues.org/446. (dernièrement consulté le 23 juillet 2013) p. 1. 23 Ibid. p. 4. 24 Ibid. p. 4. 25 Ibid. p. 8. - 10 - I.A. De la constitution du sujet lesbien Je me propose, dans un premier temps, de montrer dans quelle mesure l'écriture de Virginie Despentes s'inscrit dans une démarche politique de mise en visibilité des minorités féminines. En revenant sur la fgure de la lesbienne dans Baise-moi et Apocalypse bébé, je m'attacherai à démontrer que le lesbianisme, dans sa dimension historique et politique, ne peut se résumer à la simple attirance sexuelle et physique d'une femme pour une autre. Le lesbianisme, ce n'est pas seulement l'homosexualité féminine mais, comme je me propose de le démontrer, une lutte militante et émancipatoire des femmes pour toutes les femmes qui s'inscrit dans une remise en question profonde d'un système de société ou le rapport à l'Autre se conçoit, comme le suggèrent les (anti-)héroïnes despentiennes, aujourd'hui encore, dans une dynamique de la « répression »26. I.A.1. Femmes de/en travers: de l'exclusion à la révolte des invisibles L'écriture de Despentes, que ce soit dans Baise-moi, dans Apocalypse bébé mais aussi dans d'autres de ses écrits pour ne citer que Les chiennes savantes (1996) ou Mordre au travers (1999), s'inscrit d'entrée de jeu comme une écriture de la contestation : C'est en tant que prolotte de la féminité que je parle, que j'ai parlé hier et que je recommence aujourd'hui. [...] [J]e suis verte de rage qu'en tant que flle qui intéresse peu les hommes, on cherche sans cesse à me faire savoir que je ne devrais pas être là. On a toujours existé. Même s'il n'était pas question de nous dans les romans d'hommes, qui n'imaginent que des femmes avec qui ils voudraient coucher. On a toujours existé, on n'a jamais parlé. [...] C'est donc ici en tant que femme inapte à attirer l'attention masculine, à satisfaire le désir masculin, et à me satisfaire d'une place à l'ombre que j'écris.27 En recourant à l'utilisation du pronom personnel on, Despentes s'identife et s'érige en porte-voix de toutes ces femmes qui évoluent dans l'ombre, celles dont on ne parle jamais et que l'on ne voit pas - ou que l'on ne souhaite pas voir - celles qui sont « exclues du marché à la bonne meuf »28 parce qu'elles ne correspondent pas à l'image attendue de la féminité. Dans Baise-moi et Apocalypse bébé, l'auteure s'attache donc à redonner la parole à toutes ces invisibles: à celles qui comme Manu et Nadine évoluent dans les milieux de la prostitution 26 FOUCAULT, Michel: Histoire de la sexualité I. La volonté de savoir. Paris: Editions Gallimard 1976. p. 25. 27 DESPENTES, Virginie: King Kong théorie. op. cit. p. 10 - 11. 28 Ibid. p. 9. - 11 - et de la pornographie, à celles qui comme Fatima et Louisa alias Vanessa sont constamment rappelées à leurs origines maghrébines, à celles qui comme Lucie Toledo et Claire Galtan sont loin de correspondre aux canons de beauté prônés par la société, à celles qui, à la recherche d'elles-mêmes comme la jeune Valentine, tombent dans les griffes de groupuscules extrémistes, à celles enfn qui comme la Hyène sont attirées par les femmes. Cette aspiration à plus de visibilité se traduit dans les deux romans non seulement par une représentation de la « multiplicité des identités féminines » 29 mais aussi par le fait que les personnages principaux de Despentes sont toutes des femmes. Ainsi, Apocalypse bébé se caractérise par une narration auto- et intradiégétique. Le roman s'ouvre et se referme sur le Je de Lucie, détective privée qui approche de la quarantaine et qui après avoir vivoté de petits boulots en petits boulots, s'est spécialisée, sans grande motivation ni grand talent non plus, dans la surveillance d'adolescent.e.s. Après avoir perdu la trace de la jeune Valentine, Lucie va faire appel à la Hyène pour retrouver l'adolescente. A la différence d'Apocalypse bébé, Baise-moi se distingue par une narration hétérodiégétique qui introduit successivement Nadine puis Manu mais surtout par une focalisation interne multiple qui alterne discours direct et discours indirect libre. A cet endroit, Mieke Bal est d'avis que la focalisation peut fournir « a good picture of the origins of a confict » 30. Ainsi dans Baise-moi, la focalisation interne alternée sur Nadine et Manu permet d'introduire les motivations personnelles qui vont amener à la rencontre et au périple sanglant des deux femmes. Manu vit dans une cité ou les hommes font la loi. Après s'être faite violer et avoir assisté au meurtre de Karla, elle décide de prendre la fuite, déclarant : Je ne suis pas une femme d'intérieur moi. Je suis une femme de rue et je vais aller faire un tour.31 Dans son ouvrage Narratology, Mieke Bal défnit la focalisation comme « the relation between the vision and that which is 'seen', perceived »32. Ici, Manu est le « focalizor »33, c'est elle qui voit, qui contemple son appartement, refet de sa situation économique et sociale lugubre, l'opposition femme d'intérieur/femme de rue, renforcée par la présence du pronom 29 LOUAR, Nadia: Version femmes plurielles: relire Baise-moi de Virginie Despentes. Dans: Palimpsestes [En ligne], 22| 2009, mis en ligne le 01 octobre 2011. URL: http://palimpsestes.revues.org/119. (dernièrement consulté le 03 juillet 2013) p. 1. 30 BAL, Mieke: Narratology. Introduction to the Theory of Narrative. Translate by Christine van Boheemen. Toronto - Buffalo - London: University of Toronto Press 1985. p. 105. 31 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. Paris: Editions J'ai Lu 20003. p.83. 32 BAL, Mieke: op. cit. p. 100. 33 Ibid. p. 104. - 12 - personnel moi, laisse alors la place à une critique explicite à l'égard du rôle traditionnel accordé aux femmes et sur lequel je reviens de manière plus détaillée dans la partie suivante. Sur son chemin, Manu fait la connaissance de Nadine, prostituée à ses heures, qui vient, elle, d'assassiner sa colocataire Séverine et s'est réfugiée à la gare après avoir vu son vieil ami Francis se faire tuer par le pharmacien du coin. Dans Apocalypse bébé, le récit principal - celui de Lucie donc - est régulièrement entrecoupé de chapitres ou, par le biais de la focalisation interne multiple, les différent.e.s actrices/teurs qui participent à l'avancée de l'enquête, passent du statut de focalisé.e.s à celui de focalisatrices/-teurs. Dans les chapitres qui leur sont respectivement dédiés, on découvre qu'ils/elles ont tous/-tes croisé la route de Valentine. Ainsi le choix narratif de même que la polyphonie des voix qui caractérise les deux romans permettent à Despentes de placer les femmes au centre de son écriture et d'inscrire celle-ci, selon Birgit Wagner, dans une « ideologische Praxis, als performative Akte zu begreifen » 34 censée détourner la représentation traditionnelle des femmes et de repenser le « narrating gender »35, voire le narrating queer c'està-dire l'étude de la production des représentations sexuelles et identitaires. Les (anti-)héroïnes de Baise-moi et d'Apocalypse bébé sont pour la plupart des femmes en situation de précarité, des marginales : elles se trouvent en travers de la société - expression récurrente chez Despentes - qui, si je renvoie à la signifcation première de l'adjectif allemand verquer d'ou le terme queer, entré dans la langue anglaise au XVIème siècle, tire son origine36, signife que quelque chose/quelqu'un n'est pas comme il/elle devrait l'être 37. A l'instar de Manu, les (anti-)héroïnes de Despentes sont des femmes qui sont littéralement sacrifées par la société car elles ne sont pas en conformité avec celle-ci : Elle fnit toujours par bien se faire à l'idée qu'il y a une partie de la population sacrifée; et dommage pour elle, elle est tombée pile dedans.38 Dans ce passage au discours indirect libre, le fatalisme, la résignation exprimée entre autres par l'association du verbe fnir à l'adverbe temporel toujours, puis juxtaposé au commentaire personnel de Manu dommage pour elle, un commentaire détaché, froid même 34 WAGNER, Birgit: Erzählstimmen und mediale Stimmen. Mit einer Analyse von Assia Djebars Erzählung Die Frauen von Algier. Dans: NIEBERLE, Sigrid et Elisabeth STROWICK: Narration und Geschlecht. Texte Medien - Episteme. Köln: Böhlau Verlag 2006.p. 144. 35 BABKA, Anna et Marlen BIDWELL-STEINER: art. cit. p. 241. 36 KRASS, Andreas: Queer Studies - eine Einführung. Dans: KRASS, Andreas [sous la dir.]: Queer denken. Gegen die Ordnung der Sexualität (Queer Studies). Frankfurt am Main: Edition Suhrkamp 2003. p. 17. 37 http://www.duden.de/rechtschreibung/verquer. (dernièrement consulté le 02 août 2013) 38 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p.16. - 13 - comme l'exprime la mise à distance suggérée par le pronom personnel à la troisième personne du singulier elle, décrit avec précision la situation sans issue de ces femmes dont Manu est l'illustration. Ce passage est vide d'émotions, Manu ne fait que constater la situation misérable dans laquelle elle se trouve. Or, c'est justement ce sentiment d'exclusion qui va conduire les (anti-)héroïnes despentiennes à se rebeller. Ainsi, en faisant des femmes marginales les sujets de leur propre histoire, Despentes les soustrait et les libère de la place à laquelle ces dernières sont généralement muselées, ce qui m'amène à une première tentative de défnition du lesbianisme. Tenter de défnir le lesbianisme s'inscrit, selon Susanne Hochreiter, dans une approche et une réfexion historique qui ne peut se limiter à aborder la lesbienne, à l'instar de la Hyène dans Apocalypse bébé, simplement en fonction de son orientation sexuelle : Wesentlich erscheint nun, die inhaltliche Füllung des Begriffs "lesbisch" als einen Prozeß, der in seinem historischen Kontext zu begreifen ist, zu erkennen. Immer wieder geht es innerhalb dieses Prozesses um das Anliegen, Identität zu stiften: indem Vorbilder gesucht und Selbstbilder entworfen und andere verworfen werden, indem herrschende gesellschaftliche und politische Zustände unter bestimmten Gesichtspunkten analysiert und kritisiert werden. Deutlich stellt sich heraus, daß die Versuche in der Vergangenheit wichtig waren in Bezug auf die Emanzipation von Frauen generell und insbesondere jener Frauen, die sich gesellschaftliche Normen und Vorgaben nicht unterwerfen, 39 Cette approche diachronique inscrit d'emblée la fgure de la lesbienne dans une tentative de défnition à dimension historique, politique, sociale et culturelle, suggérant que le lesbianisme s'apparente, pour reprendre la terminologie de Mieke Bal à un « travelling concept »40. Autrement dit, il s'agirait d'un concept qui, selon les époques, les sociétés et les structures de pouvoirs et de savoirs sous-jacentes à celles-ci, serait en permanence soumis à transformation et à redéfnition. Ainsi, alors qu'aujourd'hui, la lesbienne désigne une femme homosexuelle, la défnition de Susanne Hochreiter inscrit cette fgure dans une démarche d'émancipation féministe. Parce qu'elle incarne le refus des femmes de se soumettre aux normes et aux prescriptions sociales qui conditionnent et emprisonnent ces dernières dans un concept d'identité uniforme et réducteur, la lesbienne serait une fgure de 39 HOCHREITER, Susanne: Lesbische Identitäten und Literatur. Dans: http://www.viaregia.org/bibliothek/pdf/heft6869/hochreiter_lesbische.pdf. (dernièrement consulté le 23 juillet 2013) p. 2 – 3. 40 Mieke Bal, citée par : BABKA, Anna et Marlen BIDWELL-STEINER: art. cit. p. 139. - 14 - résistance. S'appuyant sur un texte du collectif américain des Radicalesbians intitulé The Women Identifed Women paru en 1970, Diane Lamoureux souligne elle-aussi ce lien étroit de la lesbienne à la cause féministe : [...] une lesbienne, c'est la rage de toutes les femmes condensée jusqu'au point d'explosion [...] d'une part, les lesbiennes sont des femmes, de l'autre, elles adoptent une posture de révolte face aux contraintes qui sont imposées aux femmes dans une société sexiste [...] une lesbienne est celle qui refuse les rôles sociaux dévolus aux femmes dans une société sexiste, ce qui la conduit à une forme de résistance sinon une guerre ouverte avec l'environnement social.41 Le lesbianisme, à travers la fgure de la femme lesbienne, remet en question la notion même d'une soi-disant identité féminine et est une invitation à la transgression de cette fameuse condition féminine, résultat d'un agencement masculiniste du pouvoir et des identités comme le souligne Sabine Hark: « Männer schreiben sich ein, Frauen werden eingeschrieben. »42 I.A.2. De l'établissement à la critique de la théorie de la différence sexuelle Les personnages féminins qui traversent Baise-moi et Apocalypse bébé ont pour point commun d'être ou d'avoir été « [à] disposition »43 des hommes comme le dit Nadine en expliquant à Manu la provenance des cicatrices boursoufées qui jalonnent son dos ou Lucie dans Apocalypse bébé qui se fait à maintes reprises la réfexion d'être « dispensable »44. Ces deux images sont révélatrices du système de domination qui caractérise les relations entre hommes et femmes et que Despentes, à travers la fgure complexe de la lesbienne, s'attache à déconstruire. Au couple hétérosexuel, symbole bourgeois d'une répartition naturelle des sexes et garant de l'ordre hétérocentriste, l'auteure oppose des couples de femmes - Nadine et Manu dans Baise-moi, Lucie et la Hyène dans Apocalypse bébé - pour prendre le contrepied d'un modèle hétéronormatif hostile aux femmes et déconstruire l'organisation ontologique des sexes qui depuis la « pastorale chrétienne »45 - pour reprendre l'expression de Michel Foucault - s'est articulée autour de la théorie de la différence sexuelle, elle-même agencée 41 Manifeste The Women Identifed Women par les Radicallesbians, cité par LAMOUREUX, , Diane: Reno(r/m)mer « la » lesbienne ou quand les lesbiennes étaient féministes. Dans: Genre, sexualité & société [En ligne], 1 | Printemps 2009. URL : http://gss.revues.org/635. (dernièrement consulté le 03 août 2013) p. 3. 42 HARK, Sabine: Deviante Subjekte. Die paradoxe Politik der Identität. Opladen: Leske+Budrich 19992. p. 79. 43 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 100. 44 DESPENTES, Virginie: Apocalypse bébé. Paris: Editions Grasset 2010. p. 25. 45 FOUCAULT, Michel: op. cit. p. 27. - 15 - sur l'idée d'un rapport indéfectible entre le sexe biologique et la Nature comme le rappelle Thomas Laqueur : Alle die komplexen Wege, auf denen Ähnlichkeiten von Körpern und zwischen Körpern und dem Kosmos eine hierarchische Weltordnung bestätigten, wurden auf eine einzige Ebene reduziert: die Natur. Was in der Welt reduktionistischer Erklärungen interessierte, war die platte, horizontale, unveränderliche Grundlegung im physikalischen Faktum: das biologische Geschlecht. 46 Un rapport qui, à l'instar des couples d'opposition tels que culture/nature, fort/faible, actif/passif, aurait contribué selon Cornelia Klinger à mettre en place un système de société basé sur une répartition déterminée et déterminante des rôles masculin et féminin 47. A cet endroit, les couples de femmes, chez Virginie Despentes, pourraient, dans une approche psychoanalytique, être interprêtés à travers la théorie lacanienne du stade du miroir défnit ci-dessous par Anna Babka et Marlen Bidwell-Steiner : Das Subjekt fndet Identität nicht in sich, sondern außerhalb von sich [...] Die bis dahin disparate Identität des Kleinkindes [...] konstituiert sich über die zentrierende Kraft des Spiegelbildes als Ganzes. [...] Das Andere im Spiegel ermöglicht die Wahrnehmung eines Ichs, und gerade diese Spaltung zwischen Ich und dem Anderen wird zur Ursache eines identifkatorischen Prozesses.48 Le stade du miroir, tant dans la relation qui unit Nadine et Manu dans Baise-moi que Lucie et la Hyène dans Apocalypse bébé, suppose la constitution d'un individu dans son rapport identifcatoire à l'autre. Or, les rencontres respectives de ces deux couples vont marquer leur passage du statut de femmes-objets au statut de femmes-sujets. L'avènement de la théorie de la différence sexuelle s'est traduit, comme le rappelle Thomas Laqueur, par un changement de paradigme dont le « Kontext war die Politik »49, les « mécanismes de pouvoir »50 favorisant alors, selon Foucault, l'émergence d'un discours sur le sexe qui va - avec la Révolution française et en adéquation avec un discours nouveau sur 46 LAQUEUR, Thomas: Auf den Leib geschrieben. Die Inszenierung der Geschlechter von der Antike bis Freud. Aus dem Englischen von H. Jochen Bußmann. Frankfurt/Main.New York: Campus Verlag 1992. p. 174. 47 KLINGER, Cornelia: Die Kategorie Geschlecht in der Dimension der Kultur. Dans: GRIESEBNER, Andrea et Christina LUTTER [sous la dir.]: Geschlecht und Kultur. Wien: Verein für Geschichte und Sozialkunde, c/o Institut für Wirtschafts- und Sozialgeschichte der Universität Wien 2000. p. 5. 48 BABKA, Anna et Marlen BIDWELL-STEINER: art. cit. p. 243. 49 LAQUEUR, Thomas: op. cit. p. 175. 50 FOUCAULT, Michel: op. cit. p. 33. - 16 - les sciences naturelles lié notamment aux découvertes anatomiques et physiologiques 51 - permettre d'assoir un modèle sociétal bourgeois reposant sur l'autorité patriarcale - sur un rapport donc hiérarchique entre hommes et femmes - et sur une conception naturalisante de la femme. Dans Apocalypse bébé, Lucie est tout à fait consciente de cette hiérarchie par le sexe qui détermine son statut professionnel comme sa réfexion au discours indirect libre le montre. Elle transforme ainsi l'adage religieux aimer son prochain en sadiser son prochain et se livre, de par l'allusion au Marquis de Sade et au sadisme, à une critique - formulée sous forme de question rhétorique pour mieux souligner le caractère véridique de la situation - des valeurs judéo-chrétiennes d'une société masculiniste oppressante et inégalitaire : Une façon de me faire comprendre que même si je passe 24 heures sur un dossier pour être sûre qu'il sera nickel à l'heure ou on me l'a demandé, on me tient pour incapable d'évaluer ce qui est important et ce qui ne l'est pas. Pourquoi se priveraient-ils, tous, du plaisir de sadiser son prochain alors que je suis là, disponible, à la base de la pyramide?52 Selon Foucault, le sexe est une « affaire de «police» »53 : il s'agit d'un instrument de régulation étatique strictement centré sur « l'alliance légitime »54, c'est-à-dire sur le mariage, le couple et la monogamie hétérosexuelle. Ainsi, François Galtan dans Apocalypse bébé tout comme le personnage de l'architecte dans Baise-moi se veulent cette incarnation de l'homme bourgeois ou, au sein du couple et comme le défnit l'Eglise, « le corps de la femme » s'inscrit dans « l'espace familial [...] et la vie des enfants » 55. A propos de sa femme Claire, Galtan, le père de Valentine ici en mode focalisateur, déclare ainsi : Les enfants, c'est bien pour les femmes. Il voit bien, Claire, avec ses deux flles, c'est différent. Tout est évident. Claire est contente de s'occuper de faire changer l'appareil dentaire de la grande, de surveiller les cours de danse de la petite, leurs résultats scolaires l'intéressent, elle s'entend bien avec leurs maitresses. Même ce qu'elles mangent pour le goûter fait l'objet d'une conversation. Il aime sa flle. Mais toute cette maintenance qu'il a fallu assurer seul, quelle poisse. Pour écrire, pour sortir, pour 51 LAQUEUR, Thomas: op. cit. p. 181. 52 DESPENTES, Virginie: Apocalypse bébé. op. cit. p. 16. 53 FOUCAULT, Michel: op. cit. p. 35. 54 Ibid. p. 53. 55 Ibid. p. 137. - 17 - écouter un disque tranquille, pour lire le matin, pour l'intimité avec Claire. La poisse constante. La corde au cou, c'est les enfants [...]56 Le rythme de ce passage me semble ici révélateur de la conception ontologique qui repose sur les deux sexes. Lorsque François Galtan parle de sa femme Claire et de ses flles, c'est en des termes positifs. Sa femme a plaisir à remplir son rôle de mère, les phrases sont longues comme pour exprimer la tendresse d'une mère envers ses enfants. Inversement, à l'évocation de sa propre flle, la répétition du substantif poisse et le fait que le rythme se brise - il se fait plus haché, plus sec, plus brutal - font alors ressortir le sentiment de dépendance que Galtan ressent envers sa flle. Celle-ci est alors décrite comme étant un véritable obstacle à sa vie privée et professionnelle: les anaphores en pour qui servent à exprimer tout ce que sa flle l'empêche de faire ainsi que l'image de l'échafaud suggérée par la métonymie de la corde au cou viennent parfaire à ce sentiment de captivité absolu. Ainsi, pour l'homme bourgeois, la femme se défnit par son instinct maternel mais aussi par une sexualité s'inscrivant principalement dans une démarche fonctionnelle de reproduction et non dans celle d'une recherche de plaisir. Or, par un jeu intertextuel, le couple que forment Nadine et Manu dans Baise-moi se plait à mettre à bas cette vision patriarcale et soi-disant parfaite de la bourgeoisie. L'architecte, dernière victime des deux acolytes, est tout d'abord présenté - à travers Nadine en focalisation interne - comme un homme qui « ne dérape pas. Sur sa peau, ça s'inscrit en gros: "Je respecte mon corps, je mange sainement depuis ma plus tendre enfance, je baise bien, de préférence des femmes de qualité que je fais souvent crier pendant la besogne, j'ai un travail qui m'intéresse, la vie me va bien. Je suis beau." »57. Or, cette image est ensuite réduite à néant par Nadine qui, en contemplant la bibliothèque de l'homme, pose son regard sur deux livres - The Stand de Stephen King et L'Idiot de l'écrivain russe Dostoïevski - les allusions intertextuelles à ces deux romans servant alors la critique ironique de l'homme bourgeois58. La résistance des lesbiennes de Virginie Despentes ne s'adresse pas seulement aux hommes, mais de manière générale, à la société, c'est-à-dire aux femmes aussi qui ont, à l'exemple de Séverine la colocataire de Nadine, intériorisé cette conception « pseudonaturalisante »59 et bourgeoise de la féminité. Sur le ton du sarcasme et par l'allusion indirecte au contrat de mariage, Nadine s'inscrit comme une fgure de résistance face à 56 DESPENTES, Virginie: Apocalypse bébé. op. cit. p. 49. 57 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit.p. 215. 58 Ibid. p. 217. 59 BOURCIER, Marie-Hélène: Sexpolitiques. Queer Zones 2. op. cit.p. 122. - 18 - cette vision traditionnelle de la femme que défend Séverine et selon laquelle le couple et le mariage seraient l'accomplissement personnel de la femme : - Rédige un contrat pour une prochaine fois. Comme quoi le type s'engage à te tenir compagnie le lendemain, ou à te rappeler dans la semaine. Tant qu'il signe pas, t'écartes pas. [...] Elle [Séverine] s'entretient donc la personnalité comme elle entretient l'épilation du maillot, car elle sait qu'il faut jouer sur tous les tableaux pour séduire un garçon. Le but ultime étant de devenir la femme de quelqu'un et, avec le mal qu'elle se donne, elle envisage de devenir la femme de quelqu'un de bien. 60 Un accomplissement qui atteindrait son paroxysme, à en croire la fgure de Claire Galtan, dans l'acte d'enfanter. Le sentiment - mélange de pitié et de supériorité - que cette dernière éprouve à l'égard de son amie suggère qu'il existerait ainsi une hiérarchie au sein-même des femmes qui découlerait de l'acte d'enfantement. Une vraie femme serait une femme ayant l'expérience de la maternité : Elise, sa meilleure amie depuis deux ans, avait quarante ans. Elle n'avait pas eu d'enfant, la pauvre prétendait que ça ne lui manquait pas. Claire l'écoutait mentir avec la patience maternelle de celle qui sait que l'autre n'ose pas admettre sa détresse. Ce que ça devait être de faire une vie de femme sans enfanter, sans ce repère fondamental autour duquel une vie s'organise.61 Or, l'enfant, et notamment la fgure du fls présentée à l'instar de Thibault, le neveu de Claire Galtan comme « le premier fls. Le sublime, l'extraordinaire, le téméraire, le capricieux, l'insupportable »62 (je souligne à cet endroit l'(anti-)climax, c'est-à-dire la (dé-)gradation liée à la caractérisation de Thibault qui, commençant sur des termes positifs s'achèvent dans le négatif) parce qu'il assure la pérennité de ce système masculiniste bourgeois dans lequel les invisibles se sentent « méprisée[s] d'offce, décalée[s] »63 est lui aussi réduit à néant par Nadine et Manu dans Baise-moi qui, en tuant l'enfant dans le salon de thé, veulent ainsi « [m]arquer le coup »64 en éradiquant la source du problème bourgeois. 60 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 10. 61 DESPENTES, Virginie: Apocalypse bébé. op. cit. p. 93 - 94. 62 Ibid. p. 88. 63 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 157. 64 Ibid. p. 159. - 19 - Les lesbiennes, au sens historique du terme accordé aux femmes révoltées, ne partagent donc pas ce discours essentialisant organisé et institutionnalisé sur les sexes qui a légitimité et érigé, de par un contrôle - masculin - du corps de la femme et de sa sexualité, la matrimonialité et la matrice hétérosexuelle au statut de normalité afn d'assurer « [die] Vorherrschaft des Mannes »65. Dans ce passage ou la Hyène et Lucie discutent, la Hyène est le personnage qui focalise. Comparant alors sa situation de lesbienne homosexuelle à celle de Lucie, hétérosexuelle - une comparaison qui transparait aussi sur un axe grammatical temporel passé/présent - elle souligne alors la situation de soumission extrême à laquelle les femmes sont encore aujourd'hui rabaissées, l'emploi du registre vulgaire vous mangez bien de la merde, les répétitions (vous mangez … vous mangez...) ainsi que l'onomatopée miam miam rabaissant la femme à un statut d'infériorité proche de celui de l'animal obéissant à son maitre. Quand j'étais jeune, je croyais que lesbienne c'était tout ce qu'il y a de plus diffcile au monde, mais en vérité, vous, les femelles hétéros, vous mangez bien de la merde, aussi. On vous répète tellement que c'est bon que vous fnissez par faire miam miam, mais vous mangez, putain, vous mangez.66 Cette tirade de la Hyène est révélatrice de la situation des femmes dans la société, le qualifcatif de femelles rapportant alors ces dernières à leur fonction naturelle de reproduction, leur aveuglement et leur assujettissement - fnalement consentant - ayant permis d'assoir une conception binaire et manichéenne des sexes - la femme, sexe faible et l'homme, sexe fort - qui se traduit par des rapports de force ou la femme est/devient une proie pour l'homme. Dans cet ordre d'idées, l'écriture de Despentes s'inscrit dans une démarche sociologique. Par le biais de la focalisation interne et du discours indirect libre, Manu, assise dans un bar de la cité, observe une flle victime de violences conjugales qui : [...] porte des lunettes noires, d'autres fois elle met un foulard pour cacher son cou [...] Elle ne parle à personne. Elle ne rampe que sous les coups que son petit ami lui donne, le soir et en coulisse. Pour le reste du monde, elle est majestueuse.67 65 KLINGER, Cornelia: Die Kategorie Geschlecht in der Dimension der Kultur. Dans: GRIESEBNER, Andrea et Christina LUTTER [sous la dir.]: Geschlecht und Kultur. art. cit. p. 3. 66 DESPENTES, Virginie: Apocalypse bébé. op. cit. p. 142. 67 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 38. - 20 - L'auteure cherche ici à rendre compte d'une réalité aujourd'hui encore diffcilement répertoriable qui concerne de nombreuses femmes et qui, au demeurant, traverse toutes les couches sociales de la société, des plus pauvres aux plus aisées comme le montre d'ailleurs le passage suivant. Selon un rapport publié en 2008 par l'Observatoire national de la délinquance, près de deux millions de femmes en France subiraient les coups de leurs maris/compagnons, ces violences tuant une femme tous les deux jours et demi 68. Or, l'attitude de Claire Galtan, la belle-mère de Valentine, à l'encontre de sa voisine qui, elle aussi, se fait battre par son mari, suggère que les violences conjugales sont aujourd'hui encore un tabou sur lequel règne, même de la part des femmes, le mutisme : Souvent, le mari est violent. Claire entend la femme glapir deux ou trois mots, puis lui renâcle dans une pièce, avant de fnalement traverser l'appartement à grands pas, et c'est alors qu'il cogne. Elle hurle et proteste, parfois elle court pour lui échapper. Puis la scène s'entrecoupe de chocs plus forts que d'autres, diffciles à identifer, pas forcément des coups. Ensuite, il y a le silence. Les premières fois, Claire craignait qu'il l'ait tuée, mais à la longue, elle sait que c'est le calme après la dispute. On ne dirait pas, à les voir, que c'est ce genre de couple.69 En d'autres termes, l'auteure dénonce le silence et les non-dits caractéristiques des violences conjugales ainsi que la pression de l'extérieur qui contraint les femmes battues à se cacher, à faire comme si, à, fnalement, intérioriser les violences qu'elles subissent car les rendre publiques serait, en plus d'admettre la brutalité de leurs maris/compagnons, avouer l'échec de leur couple, un couple qui, dans sa défnition bourgeoise, repose sur l'idée de la femme centrée sur les désirs de l'homme à l'instar de Claire Galtan : Mais les femmes normales, comme elle, aimaient bien le moment du sexe, sentir que l'autre y prenait du plaisir, et que ça passait par elles. Ça remplaçait l'orgasme, en fait, ce goût qu'elle avait de la peau de l'autre, de son membre, de son plaisir. C'était, selon elle, la vraie jouissance de la femme. Ce partage.70 Le rôle de la femme normale, qui se cristallise notamment dans l'acte sexuel, n'est pas seulement d'être soumise, mais surtout, selon Valentine, de conforter l'homme dans sa position de dominant : 68 http://www.senat.fr/rap/r09-553/r09-5533.html. (dernièrement consulté le 16 août 2013) 69 DESPENTES, Virginie: Apocalypse bébé. op. cit. p. 83. 70 Ibid. p. 98. - 21 - Elle avait pensé que Carlito essaierait de coucher avec elle, ce soir-là. Elle serait d'accord, pourvu qu'il insiste un peu. Valentine couchait avec le plus de monde possible. Elle pensait qu'on s'améliore au lit comme on s'améliore au piano : en pratiquant. Carlito ne lui plaisait pas plus que ça, mais elle trouvait logique que le plus fort de la meute se fasse sucer souvent, par le plus de flles possible. Sinon, comment ferait-il pour rester le plus fort de la meute?71 La métaphore de la meute - présente aussi dans Baise-moi - sous-entend que les hommes se comportent comme des animaux, des loups, qui chassent les femmes, leurs proies. Le viol est - tout comme d'ailleurs l'inceste selon Adrienne Rich 72 évoqué dans Baise-moi à travers le personnage de Fatima qui raconte à Nadine et Manu avoir été abusée et être tombée enceinte de son père - l'expression du pouvoir de l'homme sur la femme. Motif récurrent dans l'œuvre de Virginie Despentes, il est, pour les hommes, un acte fédérateur contre cet « ennemi commun »73 qu'est la femme. Comme Yacine le fait remarquer à la Hyène et à Lucie en jouant sur une réappropriation ironique des stéréotypes généralement associés aux Arabes (le violeur) et aux Africains (le cannibale) 74, le viol n'est pas l'apanage des classes sociales défavorisées contrairement à ce que le pouvoir médiatique tend à montrer : Vous vous demandez dans quelle cave j'ai bien pu la séquestrer et à combien je la fais tourner? Désolé, madame, mauvaise adresse. Mais y a des Africains sur le pallier, allez donc voir chez eux des fois qu'ils l'aient mangée?75 L'enfer des tournantes existe bel et bien hors des murs de la cité : les membres du groupe Panique Dans Ton Cul qui ont violé Valentine sont décrits comme des « [g]osses de riches »76. Ils sont tous issus d'un milieu bourgeois, ce n'est donc pas un hasard s'ils donnent un concert à Bourges au moment ou Lucie et la Hyène les interrogent. Présent aussi dans Baise-moi ou Manu et sa copine Karla se font violer par trois hommes, le viol - d'autant plus s'il est collectif - est, selon Despentes, « une stratégie guerrière, qui participe à la virilisation du 71 Ibid. p. 308. 72 RICH, Adrienne: Compulsory Heterosexuality and Lesbian Existence. Dans: Signs, Vol. 5, No.4, Women: Sex and Sexuality 1980. URL: http://www.jstor.org/stable/3173834. (dernièrement consulté le 23 août 2013). p. 638. 73 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 54. 74 SAUZON,Virginie: Despentes et les récits de la violence sexuelle: une déconstruction littéraire et féministe des rhétoriques de la racialisation. Dans: Genre, sexualité & société [Online], 7 | Printemps 2012, online since 01 june 2012. URL: http://gss.revues.org/2328. (dernièrement consulté le 21 juillet 2013) p. 4. 75 DESPENTES, Virginie: Apocalypse bébé. op. cit. p. 159. 76 Ibid. p. 123. - 22 - groupe qui la commet [...] l'organisation politique par laquelle un sexe déclare à l'autre: je prends tous les droits sur toi, je te force à te sentir inférieure, coupable et dégradée »77. Il s'agit d'un instrument de pouvoir permettant aux hommes d'assoir leur supériorité et qui est d'autant plus dégradant pour les victimes (j'utilise ici ce terme général car il me semble nécessaire de rappeler que les hommes aussi peuvent être victimes de viols) qu'il est diffcile pour ces dernières de témoigner, non seulement parce que « [l]a loi des fics, c'est celle des hommes » 78 mais aussi parce que « la parole de la femme qui accuse l'homme de viol est d'abord une parole qu'on met en doute »79. Autrement dit, les institutions de la société, en suspectant la parole de la victime, contribueraient à faire le jeu de la domination - par le sexuel - des hommes, jeu, d'autant plus, amplifé par les médias qui ont tendance à diffuser une image réductrice et objectivante de la femme. En mettant principalement en avant ses attributs sexuels et son côté pin-up (je renvoie à la comparaison ci-dessous entre Valentine et Paris Hilton), la femme devenant une marchandise alléchante pour l'homme, un bien de consommation voire un vulgaire produit que celui-ci peut jetter une fois qu'il n'en a plus l'usage : On était tous un peu partis, je lui ai dit de descendre, elle a fait le mur de chez elle, elle a déboulé à moitié à poil, à la Paris Hilton. On était en voiture. On l'a tous baisée, tous, dans un parking en ville, mais elle était d'accord, elle nous a pas dit de ne pas le faire, elle buvait des bières sans arrêt et elle faisait tout ce qu'on voulait. Après, on l'a laissée là. Mais on lui a pissé dessus avant de partir, elle s'en est même pas rendu compte, elle était à poil sur le dos.80 Cette marchandisation dégradante du corps féminin par les hommes atteint son apogée dans l'acte d'ondinisme81, c'est-à-dire dans le fait d'uriner sur une tierce personne, pratique sexuelle de soumission notamment répandue dans le milieu de la pornographie. Si Virginie Sauzon est d'avis que l'un des violeurs de Valentine tente de se dédouaner de toute responsabilité en ayant recours au dicton Qui ne dit mot consent82, j'oserais même émettre l'avis que ce personnage se déresponsabilise aussi en appuyant sur le fait que Valentine était de part sa tenue légère d'emblée consentante puisque, comme le souligne MarieHélène Bourcier, « dès qu'une femme est « sexy », c'est une pute ou une déclassée » 83. Ainsi, malgré 77 DESPENTES,Virginie: King Kong théorie. op. cit. p. 37 et 50. 78 Ibid. p. 38. 79 Ibid. p. 35. 80 DESPENTES, Virginie: Apocalypse bébé. op. cit. p. 133 - 134. 81 http://fr.wikipedia.org/wiki/Ondinisme_(sexualité). (dernièrement consulté le 15 août 2013) 82 SAUZON, Virginie: art. cit. p. 5. 83 BOURCIER, Marie-Hélène: Queer Zones. Politique des identités sexuelles et des savoirs. op. cit. p. 46. - 23 - la seconde vague de féminisme en France qui, dans les années 1970, a conduit à la libération sexuelle des femmes - l'accès à la contraception et le droit à l'avortement offrant à ces dernières la possibilité de devenir maitresses de leur corps - Virginie Despentes, à travers le personnage de Yacine, suggère que cette libération sexuelle n'est fnalement qu'une illusion : Valentine n'était pas la première à lui taper son petit solo sur la liberté sexuelle, le droit des flles à aimer ça et pas se sentir salies parce que quelqu'un met les doigts, et patati, et patata. Ça lui plairait que ça puisse être vrai, il serait content de rencontrer une femme qui s'en tire bien. [...] Ça lui plairait de croire que ça peut marcher comme ça. Mais les murs restent des murs. La souris peut toujours se monter la tête, comme quoi elle s'entend bien avec le chat, le jour ou il lui mettra un coup de croc dans la nuque, elle sera au sol et lui repu. C'est comme le bitume qui les entoure, tangible, indépassable, et tout le monde s'en tape que ça leur plaise ou pas. Il y a un ordre. 84 Alors que les rapports hommes/femmes semblent, dans un premier temps, avoir été pensés en termes biologiques dans leur rapport à la Nature, le corps et la sexualité en général - et en particulier de la femme - se sont avérés, comme je l'ai montré, être les produits d'une construction sociale, culturelle et politique ayant aboutit à la production de genres, c'est-àdire à une identité sociale fxe des individus - féminins comme masculins - au sein de la société et, de ce fait, à une distribution rigide des rôles sociaux que la lesbienne s'attache non seulement à mettre en évidence mais aussi à renverser. I.B. L'extraordinaire lesbien Enjeu de pouvoir donc, le corps et la sexualité se sont vus instrumentalisés et institutionalisés par toute une série de discours répressifs sur le sexe (religieux, médical, juridique et législatif) qui, selon Foucault, ont soutenu l'idée d' « un mouvement centrifuge par rapport à la monogamie hétérosexuelle »85. Autrement dit, la défnition de la normalité s'inscrit, selon Sabine Hark, dans des « kulturelle[r] Problemlösungsstrategien »86 agencées dans un rapport de tension à l'Autre, la « Produktion sexueller Identitäten »87 débouchant sur une catégorisation des comportements sexuels soi-disants déviants - donc queer au sens premier de bizarre - permettant alors l'établissement de la matrice hétérosexuelle au statut de norme 84 DESPENTES, Virginie: Apocalypse bébé. op. cit. p. 157. 85 FOUCAULT, Michel: op. cit. p. 53. 86 HARK, Sabine: op. cit. p. 70. 87 Ibid. p. 70. - 24 - ainsi que le rejet, en marge de la société - soit dans le hors champ - d'un corps lesbien. J'aimerais maintenant cerner la complexité de ce corps en montrant comment ce dernier s'est historiquement et politiquement construit en s'inscrivant à contrario de l'ordre hétéronormé. I.B.1. De la dé-construction des sexualités déviantes du sujet lesbien ... L'avènement de la matrice hétérosexuelle s'inscrit dans un processus technologique historique, politique, économique et culturel dont l'origine remonte au demeurant à une conception religieuse de la sexualité comme le souligne Gayle Rubin : Gesetze für Sexualität, die sich von biblischen Verkündigungen herleiten, zielten darauf ab, eine Verschwägerung mit falschen Partnern zu verhindern : mit Blutsverwandten (Inzest), mit Partnern desselben Geschlechts (Homosexualität) oder der falschen Spezies (Bestialität). [...] Sexualität, die als »gut«, »normal« und »natürlich« gilt, [sollte] im Idealfall heterosexuell, ehelich, monogam, fruchtbar und nicht-käufich sein, innerhalb derselben Generation und zu Hause stattfnden. (...) Aller Sex, der gegen diese Regeln verstößt, ist »schlecht«, »abnorm« oder »unnatürlich«.88 C'est à travers un rapport de comparaison à l'Autre que l'hétérosexualité a été érigée au statut de norme, relayant les « sexualités périphériques »89, comme le mentionne Foucault, dans le champ de la « contre-nature »90 ou, d'après Sabine Hark, et ce sur la base d'une « Einteilung sexueller Devianz in verschiedene Kategorien des Abnormalen » 91, un sujet lesbien va, à l'instar du substantif gouine, émerger et transgresser les catégories non seulement hommes/femmes mais aussi hétérosexuel.les/homosexuel.les: Gouine: n.f., variante de gougne, est un mot normand, féminin de gouain « salaud », autre forme de gouin « lourdaud ». Ce mot vient peut-être de l'hébreu goyim, pluriel de « goy » « non juif » [...] Gouine désignait autrefois une prostituée; il se dit aujourd'hui pour « homosexuelle ».92 88 RUBIN, Gayle: Sex denken: Anmerkungen zu einer radikalen Theorie der sexuellen Politik. Dans: KRASS, Andreas [sous la dir.]: Queer denken. Gegen die Ordnung der Sexualität (Queer Studies). art. cit. p. 40 - 41. 89 FOUCAULT, Michel: op. cit. p. 54. 90 Ibid. p. 54. 91 HARK, Sabine: op. cit. p. 70. 92 Défnition de la « gouine ». Dans : REY, Alain [sous la dir.]: Dictionnaire historique de la langue française. Paris: Dictionnaires Le Robert 1992. p. 902. - 25 - D'entrée, cette défnition de la gouine, expression péjorative désignant de nos jours encore la lesbienne au sens d'homosexuelle, suggère, dans son acceptance historique que la femme - même hétérosexuelle - qui utilise son sexe biologique à outrance est, elle aussi, une lesbienne à répudier. La gouine/lesbienne, de la salope à l'homosexuelle en passant par la prostituée (les termes latins ganae/maison close et anglais queen/reine renvoient eux-aussi à cette assertion93), est donc une femme dont la/les conduite/s sexuelle/s n'est/ne sont pas, au sens judéo-chrétien du terme déviant, dans le droit chemin. C'est une pécheresse perverse et immorale car sa sexualité contre-nature va à l'encontre du comportement traditionnellement attendu des femmes ou l'acte sexuel, comme le signale Gayle Rubin, s'il n'a pas pour fnalité la reproduction de l'espèce « gilt [...] generell als gefährliche, zerstörerische und negative Kraft »94. A cet endroit, il me semble donc tout à fait possible de voir dans les (anti-)héroïnes - même hétérosexuelles - de Virginie Despentes, des lesbiennes au sens polyvalent que je viens de donner de la défnition de la construction historique de la gouine. Valentine, parce qu'elle multiplie, voire consomme, les partenaires sexuels - est la représentation de la gouine/salope. Manu qui se prostitue, pratique le sadomasochisme avec ses clients, aime à se masturber en visionnant des flms X et a une tendance au voyeurisme, tout comme Nadine, actrice de flms X qui a, pour les besoins de certaines productions, déjà été amenée à pratiquer la zoophilie incarnent la gouine/prostituée. Enfn, la Hyène qui ne cache pas son goût pour les femmes, renvoie à l'assertion plus moderne de la gouine/homosexuelle. Virginie Despentes entretient d'ailleurs l'ambiguïté sur la relation qui unit Nadine à Manu. Elle [Nadine] prend sa main dans la sienne, elle a honte de son geste en même temps qu'elle le fait. Sauf que Manu mélange tout de suite ses doigts au siens, et tient sa paume serrée à en faire péter les articulations. Nouées, crispées l'une dans l'autre. Invincibles, même si elles n'ont pas une seule chance.95 Tout comme Fatima se demande si Nadine et Manu sont lesbiennes au sens homosexuel du terme, la citation ci-dessus laisse planer le doute quant à la relation entre les deux femmes. Dans cet ordre d'idée, il me semble ainsi tout à fait possible d'émettre l'hypothèse selon laquelle Nadine pourrait tout à fait être attirée par Manu comme le laissent à penser les multiples rapports intermédiaux à la musique punk (sur laquelle je reviendrai 93 http://fr.wikipedia.org/wiki/Gouine. (dernièrement consulté le 16 août 2013) 94 RUBIN, Gayle: art. cit. p. 37. 95 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 165. - 26 - ultérieurement), sa jalousie envers Fatima ainsi que le fait qu'elle voit en Manu « sa pareille [...] son âme sœur »96, terme qui désigne un rapport harmonieux aussi bien d'amour que d'amitié. Or, dans la constitution de la normalité hétérosexuelle et de la stigmatisation de la différence, toutes ces conduites sexuelles (multiplication des partenaires, pornographie, sadomasochisme, prostitution, zoophilie, masturbation, expériences homosexuelles etc...) sont des conduites queer au sens premier de bizarre qui font de ces femmes une « kriminelle sexuelle Population »97. Ce sont des « flle[s] comme ça [...] ce qui se fait de pire dans le genre humain »98, des femmes « sale[s] »99, « irrécupérable[s], impropre[s] à la vie normale » 100 dont la sexualité soi-disant sauvage et bestiale - le surnom de la Hyène renvoie à cette animalité, métaphore flée de la femme dangereuse qui parcoure Apocalypse bébé - est synonyme de danger pour la collectivité. Ainsi, alors que le personnage de la religieuse intégriste, Sœur Elisabeth, qualife la Hyène d' « invertébrée »101, terme qui sous-entend l'idée que la lesbienne est un « élément de dégénérescence» 102, Séverine n'hésite pas à comparer Nadine à un parasite, métaphore de la saleté, qui devrait être exterminé : - T'arrives pile au bon moment, le début t'aurait déroutée, mais même à toi cette négresse doit pouvoir plaire. - Eteins ça tout de suite, tu sais très bien que ça me dégoute. - En plus, les menottes c'est toujours effcace, j'adore ça. - Eteins cette télé. Tout de suite. C'est le même problème qu'avec les insectes qui s'habituent à l'insecticide: il faut toujours innover pour les liquider. 103 Autrement dit, à travers ses (anti-)héroïnes, Virginie Despentes met en lumière l'émergence de « sexuellen Wertordnungen »104 participant d'une idéologie sexuelle qu'Adrienne Rich résume par l'expression de « compulsory heterosexuality »105 et qui contribuent à faire de l'hétérosexualité un comportement supérieur et des conduites 96 Ibid. p. 248. 97 RUBIN, Gayle: art. cit. p. 51. 98 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 9. 99 DESPENTES, Virginie: Apocalypse bébé. op. cit. p. 250. 100 Ibid. p. 30. 101 Ibid. p. 279. 102 Ibid. p. 284. 103 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 7. 104 RUBIN, Gayle: art. cit. p. 41. 105 RICH, Adrienne: art cit. p. 632. - 27 - sexuelles déviantes/queer des conduites inférieures, « perceived an a scale ranging from deviant to abhorrent, or simply rendered invisible. »106 Autour de ce système de valeurs sociales et politiques basées sur le rapport au sexuel s'est mis en place ce que Foucault nomme la « scientia sexualis [et] dont la tâche [est] de produire des discours vrais sur le sexe »107 et qui remonte, pour ce qui est de la fgure de la lesbienne, à l'Antiquité ou, déjà, les conduites déviantes étaient illustrées par des « fgures repoussoirs »108 et un discours de la monstruosité censé illustrer, selon Sandra Boehringer, les conduites désordonnées109. Dans cette perspective, la lesbienne était associée à la créature du monstre, comparaison que l'on retrouve chez Virginie Despentes ou Nadine et Manu sont qualifées de « bête à deux têtes »110 - image qui rappelle la créature mythologique qu'est l'Hydre de Lerne - et ou, autour de la Hyène décrite par Valentine comme un « Maximonstre »111, s'est constitué tout un discours relevant du mythe comme le montre le passage suivant : Avec le temps, la Hyène était devenue une star chez les privés, profession qui n'en compte pourtant pas beaucoup, hors la littérature de genre. Spécialité : les disparus. Ensuite, les histoires qu'on raconte à son sujet se diversifent, se contredisent et relèvent de la fction pure. Tout le monde a quelque chose à raconter sur elle, les avocats, les indics, les RG, les keufs, les autres privés, les journalistes, les coiffeuses, le personnel d'hôtel et les putes... tout ce qui s'agite dans notre petit univers a sa version de ce qu'elle fabrique, ou, comment et avec qui.112 D'après Sabine Fabach, le mythe est une construction stratégique socio-culturelle historique permettant d'assurer l'hégémonie du système patriarcal dominant 113. Au discours de l'extraordinaire monstrueux est venu se greffer un discours religieux pathologisant qualifant les conduites déviantes de perverses, la répulsion éprouvée par Séverine à l'égard de Nadine se retrouvant également dans le personnage de Lucie qui, après avoir assisté à une scène d'orgie sexuelle à laquelle la Hyène a pris part, déclare ne plus vouloir rester 106 Ibid. p. 632 107 FOUCAULT, Michel: op. cit. p. 90. 108 BOEHRINGER, Sandra: art. cit. p. 9. 109 Ibid. 110 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 189. 111 DESPENTES, Virginie: Apocalypse bébé. op. cit. p. 340. 112 Ibid. p. 31. 113 FABACH, Sabine: Der Mythos der Lesbe: bewußte und unbewußte Phantasien in der flmischen Inszenierung von lesbischen Frauen. Wien: Diplomarbeit 1993. p. 14. - 28 - dans « cet antre du vice et de la dépravation » 114. La pathologisation atteignant son paroxysme au travers du personnage de la Sœur Elisabeth qui, dans la pure tradition judéo-chrétienne, voit dans l'homosexualité féminine une maladie contagieuse. Le propos est d'autant plus fort que l'utilisation du substantif la lesbienne crée une mise à distance qui déshumanise totalement la Hyène: On déplace volontiers les sœurs, par exemple pour les protéger de la tentation de devenir comme la lesbienne115 A cette «technologie chrétienne de la chair »116 s'est ensuite joint, au XIXème siècle, un discours médicalisant principalement centré sur le corps homosexuel masculin, comme le souligne Sabine Hark, la lesbienne-homosexuelle ayant toujours été considérée « als weiblicher Sonderfall oder historische « Verspätung » »117. Ce sont notamment les travaux de sexologues comme Krafft-Ebing et Havellock Ellis qui vont développer un « rapprochement entre masculinité et lesbianisme » 118 opéré à partir de l'idée - toujours pathologisante - d'une « gender inversion »119 visant à considérer, tout comme l'homme homosexuel se caractériserait par une soi-disant efféminité, la lesbienne comme une invertie, c'est-à-dire une femme virile à la sexualité masculine à l'instar de la Hyène, lesbienne-virago qui, dans Apocalypse bébé, est constamment décrite au travers du système polyphonique des voix comme un homme à la force surhumaine. Mais, si le sexe biologique a toujours été utilisé pour servir les politiques propagandistes de constructions identitaires, la lesbienne, tout comme l'homosexuel, en jouant sur le brouillage des genres masculin/féminin suggèrent que ces derniers relèvent plus d'une construction sociale et culturelle que d'un fait biologique irréfutable. Or, c'est ce brouillage des genres dont Simone de Beauvoir va se servir, comme l'explique MarieHélène Bourcier pour « débiologiser « la protestation virile » pour en extraire la portée critique, politique et sociale [...] [e]t ce, à destination des femmes hétérosexuelles principalement qui, dès lors, sont toutes des lesbiennes puisque leur homosexualité devient la métaphore politique de leur révolte contre la domination masculine, contre le patriarcat. »120 C'est aussi dans cette perspective, me 114 DESPENTES, Virginie: Apocalypse bébé. op. cit. p. 220. 115 Ibid. p. 282. 116 FOUCAULT, Michel: op. cit. p. 160. 117 HARK, Sabine: op. cit. p. 78. 118 BOURCIER, Marie-Hélène: Sexpolitiques. Queer Zones 2. op. cit. p. 109. 119 MARTIN, Biddy: Sexual Practice and Changing Lesbian Identities. Dans: BARRETT, Michèle et Anne PHILLIPS [sous la dir.]: Destabilizing Theory. Contemporary Feminist Debates. Oxford: Polity Press 1992. p. 100. 120 Simone de Beauvoir, citée par BOURCIER, Marie-Hélène: Queer Zones. Politique des identités sexuelles et des savoirs. op. cit. p. 113. - 29 - semble-t-il, que Virginie Despentes qui, elle-même revendique sa « virilité »121 comme possibilité d'émancipation féminine, inscrit ses fgures lesbiennes. A l'instar de la Hyène qui, en se déclarant ouvertement gouine, sort la sexualité féminine du silence et du contrôle dans lesquels celle-ci a historiquement été reléguée, Nadine et Manu « en se réappropriant la sentence porno, en la faisant tomber [...] déstabilisent l'identité même de la femme qu'elle indique et les privilèges de la masculinité dominante: parce que Baise-moi veut dire à la fois Fuck me! et Fuck off! »122. L'ambivalence du titre du premier roman de Virginie Despentes se retrouve d'ailleurs dans Apocalypse bébé à travers le personnage de Valentine, fgure particulièrement ambivalente. Présentée et décrite certes par ses connaisances mais aussi par elle-même comme une adolescente totalement nymphomane, incarnation ultime du désir sexuel masculin, Valentine personnife aussi le danger comme le ressent Yacine de manière prémonitoire: Une flle. Attirante, agaçante. Normale. Il n'aimait pas la puissance qu'il avait entrevue. Ça le faisait fipper. Et ce qui l'attirait le plus était exactement ce qui le faisait fuir. Cette force démesurée, qu'il était seul à convoquer. Il ne s'endormait jamais à côté d'elle: il pensait qu'elle était capable de lui enfoncer un couteau dans le ventre. 123 Ici, Valentine incarne cette vision effrayante du sexe féminin que Catherine Breillat, auteur du très contesté flm Romance (1999) dans une interview avec Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi pour le journal Libération résume en ces mots: « Il faut affronter le fait que l'organique effraie. Le sexe des femmes est comme le trou noir de l'univers. La preuve: les islamistes intégristes éventrent après avoir violé. »124. Autrement dit, le sexe des femmes lorsqu'il n'est pas pensé en termes de reproduction et d'enfantement est synonyme de danger ultime pour les hommes. I.B.2. ... au continuum lesbien d'Adrienne Rich Le lesbianisme - acte de révolte des femmes hétérosexuelles comme homosexuelles envers une société qui n'a, historiquement, eu de cesse de manipuler le corps et le sexe de celles-ci - se dresse ainsi contre cette assertion selon laquelle la femme serait associée à 121 DESPENTES, Virginie: King Kong théorie. op. cit. p.11. 122 BOURCIER, Marie-Hélène: Queer Zones. Politique des identités sexuelles et des savoirs. op. cit. p. 15. 123 DESPENTES, Virginie: Apocalypse bébé. op. cit. p. 156 - 157. 124 Propos de Catherine Breillat, cités dans VALLAEYS, Béatrice et François ARMANET: Trois femmes s'emparent du sexe. Interview: Catherine Breillat ('Une vraie jeune flle') dialogue avec Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi ('Baise-moi'). Dans: Libération.13.06.2000. URL: http://www.liberation.fr/culture/0101339077-troisfemmes-s-emparent-du-sexe (dernièrement consulté le 17 septembre 2013) - 30 - l'impuissance, serait une « âme désespérée »125, le rapport intertextuel à James Ellroy permettant à Virginie Despentes de revisiter la tradition du roman noir en cassant l'image traditionnelle de la femme comme dans le passage suivant : Une furie d'impuissance faisait tressauter son doigt sur la gâchette.126 Ici, le terme furie est marqué d'une double connotation. Il est une allusion à la femme folle, à la femme hystérique, pathologie venant à nouveau assoir la théorie de la différence sexuelle puisqu'en lien soi-disant direct avec l'utérus, un « Organ, dessen Gewebe, Nerven und Gefäßsystem für eine naturalistische Erklärung und Rechtfertigung des sozialen Status der Frau sorgt[e] »127. A l'instar de Manu, décrite comme « braillarde et débraillée » 128, la femme hystérique par son comportement anormal et non-conforme mettrait en danger la société et ses individus. On retrouve d'ailleurs cette image de la folie des femmes dans l'expression « ombres folles »129, allusion intertextuelle au poème de Charles Baudelaire Femmes Damnées. Delphine et Hyppolyte appartenant au corpus de six poèmes interdits à la publication en 1857 en raison du caractère non seulement pornographique mais aussi homosexuel de leurs contenus. Toutefois, le terme furie est aussi l'expression d'une colère extrême, d'une fureur de la part des femmes qui, à l'instar de Manu, Nadine, Valentine mais aussi Fatima, sont sans cesse rappelées à leur sexe, à leur milieu et à leurs origines et, de ce fait, à leur impouvoir. Ces trois femmes, en entrant en guerre contre le système se font alors lesbiennes et choisissent le meurtre pour Nadine, Manu et Fatima et le terrorisme pour Valentine pour atteindre leur but, détruire, entre autres, la vision stéréotypée associée à la femme et à son sexe. Dans sa dernière publication, Martina Stemberger souligne qu'Apocalypse bébé « may seem less radical, less 'shocking' than Despentes' previous works » 130. Or, cette radicalité des deux comparses dans Baise-moi, que l'on retrouve tout de même dans Apocalypse bébé à travers le personnage de Valentine, pourrait avoir un lien direct avec leur incapacité, leur impossibilité à dialoguer, favorisé par un environnement familial absent ajoutant au sentiment d'exclusion que ces trois femmes ressentent. Contrairement à Manu et Nadine, Valentine est issue d'un milieu bourgeois mais, comme les deux autres 125 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 87. 126 Ibid. p. 87. 127 LAQUEUR, Thomas: op. cit. p. 175. 128 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 107. 129 Ibid. p. 87. 130 STEMBERGER, Martina: art. cit. p. 20. - 31 - personnages, elle n'a aucun repère familial : sa mère l'a abandonnée alors qu'elle n'avait que quelques mois et elle est décrite comme un fardeau tant par son père que par sa bellemère. Cependant, il est vrai que le dernier roman de Virginie Despentes est beaucoup moins radical que Baise-moi dans le sens ou il laisse une place au dialogue à travers le couple hétérosexuel-homosexuel formé par Lucie et la Hyène et à la subversion de celui-ci, notamment par une déconstruction des stéréotypes généralement associés à la lesbiennehomosexuelle et qui transparaissent au demeurant dans la structure polyphonique du roman. Comme le mentionnent Jacques-Philippe Leyens et Olivier Corneille, les stéréotypes: [...] reviennent à attribuer [...] une essence particulière à un groupe qui en ferait une entité non plus arbitraire, mais une espèce ou une race différente [pour] donner à celui qui perçoit un sentiment de contrôle de la signifcation de cet autrui. 131 Pour réduire à néant ces stéréotypes liés à l'imaginaire lesbien tant hétérosexuel qu'homosexuel, Virginie Despentes pratique, notamment à travers le personnage de la Hyène, ce que Mireille Rosello appelle le « vol des stéréotypes »132. Cette technique, « stratégie de subversion de la parole stéréotypale qui pèse sur le sujet » 133, donne lieu par la « ventriloquie »134 à une « théâtralité polyphonique »135 permettant non seulement de s'émanciper de ces stéréotypes mais aussi de « déstabilise[r] l'ordre du discours » 136 de la culture dominante. Ainsi, tout au long d'Apocalypse bébé, la Hyène s'attache, par le ré-emploi des stéréotypes hétérosexuels sur les homosexuelles, non seulement à anéantir ces idées préconçues mais aussi à mettre en relief, quitte à choquer, « le regard étriqué [que les hétérosexuel.les portent] sur le monde »137 comme le suggèrent les passages suivants: La Hyène est concentrée sur un point précis : - La petite très jolie, là, j'ai pas compris si c'était un bébé gouine ou si je la trouvais 131 LEYENS, Jacques-Philippe et Olivier CORNEILLE: Perspectives psychosociales sur les stéréotypes. Dans: GARAUD, Christian [sous la dir.] : Sont-ils bons? Sont-ils méchants? Usages des stéréotypes. Paris: Honoré Champion Editeur 2001. p. 23. 132 CASTILLO DURANTE, Daniel: Le stéréotype à l'heure de tous ses masques. Etat des lieux. Dans: GARAUD, Christian [sous la dir.] : Sont-ils bons? Sont-ils méchants? Usages des stéréotypes. Paris: Honoré Champion Editeur 2001. p. 81. 133 Ibid. p. 79. 134 Ibid. p. 81. 135 Ibid. p. 81. 136 Ibid. p. 81. 137 DESPENTES, Virginie: Apocalypse bébé. op. cit. p. 260. - 32 - tellement ravissante que j'ai pris mes désirs pour des réalités. - Mais il n'y a que ça qui t'intéresse, toi? Atterris: elle est beaucoup trop jolie pour être gouine. Je regrette ce que j'ai dit au moment ou je le dis, parce que ça me semble particulièrement blessant, mais elle me regarde fxement deux secondes, puis éclate de rire: - Toi, ton cerveau, c'est Jurassik Park en live. [...] Elles m'intéressent toutes. C'est simple, c'est facile à retenir, même toi tu devrais y arriver [...]138 Dans ce passage, l'allusion à Jurassik Park est censée illustrer la vision archaïque et primitive que porte Lucie - hétérosexuelle - sur les lesbiennes-homosexuelles en réduisant à néant le stéréotype de la lesbienne laide tout en insistant sur la soi-disant obsession sexuelle de ces dernières. Dans le passage suivant la Hyène s'attaque au cliché qui repose sur l'idée selon laquelle les homosexuel.les se reconnaitraient entre elles/eux, de par l'allure, les gestes, le look et autres attitudes : - Comment peux-tu savoir qu'elles sont hétéros, ou pas? C'est écrit sur leur tête peut-être? - Évidemment. Je repère une gouine de dos à cinq cent mètres. J'ai le radar. On l'a toutes. Comment tu crois qu'on baiserait, entre nous, si on n'avait pas un sixième sens pour se repérer?139 Le couple formé par Lucie et la Hyène crée un effet d'écho satirique dont l'intention, me semble-t-il, consiste à faire ressortir la vision exiguë de la société hétérosexuelle envers les homosexuelles, un effet d'écho qui, de plus, créé une situation de renversement en plaçant la femme-hétérosexuelle devant les ambivalences non seulement de son jugement, et de manière plus large, de la société. Ainsi, lorsque Lucie déclare « Quelle drôle d'idée, se rassembler par orientation sexuelle »140, elle émet un jugement qui est tout aussi valable pour la culture hétérosexuelle dominante qui s'est elle-même construite sur la stigmatisation et l'exclusion de la différence. Le lesbianisme chez Virginie Despentes - dans sa dimension hétérosexuelle comme homosexuelle - pourrait en cela s'inscrire dans la droite lignée d'un « continuum lesbien »141, expression d'Adrienne Rich qui rejette d'ailleurs le terme de lesbianisme - trop clinique et 138 Ibid. p. 77. 139 Ibid. p. 65. 140 Ibid. p. 171. 141 RICH, Adrienne: art. cit. p. 648. - 33 - sexuel - lui préférant celui de « lesbian existence »142. Un continuum lesbien donc à dimension queer dans la mesure ou l'auteure montre non seulement que la lesbienne et la femme sont intrinsèquement liées, mais aussi que la résistance des lesbiennes - hétérosexuelles comme homosexuelles - s'inscrit dans une expérience et un combat féministe de dénonciation ainsi que de prise de conscience des constructions discursives des politiques identitaires et sexuelles. A cet endroit, le recours au motif cinématographique du road-movie - publié en 1993, Baise-moi n'est pas sans rappeler le flm de Ridley Scott Thelma et Louise sorti deux ans plus tôt soit en 1991 143 sur les écrans marque pour les (anti-)héroïnes despentiennes le point de départ de cette remise à l'ordre. En les plaçant au volant de voitures - la voiture est généralement associée à l'homme l'auteure invite les lesbiennes à prendre en main leur destin et s'inscrit en rupture avec les conceptions traditionnelles de sexe et de genre. Métaphore par excellence de la quête de liberté et d'émancipation mais aussi de puissance et de force, la voiture symbolise alors le passage à la résistance du sujet lesbien actif. Dans Baise-moi, cette quête de liberté pour le moins libertaire est d'autant plus forte qu'elle ne résonne pas seulement aux coups de revolver des deux acolytes, la musique punk qui contribue à la structure du roman en jaillissant - avant et après chaque meurtre - des écouteurs de Nadine illustrant elle-aussi nettement le ras-le-bol et la rebellion de ces deux femmes envers une société qui ne veut pas d'elles : Sweat young things ain't sweat no more.144 […] A l'instar de la philosophie du mouvement punk, leur périple sanglant se transforme alors en un refus des valeurs traditionnelles et normalisantes de la société : l'ambiguïté polysémique sweat/sweet suggérant que les lesbiennes en ont assez de s'échiner/d'être douces pour les hommes. On retrouve cette même idée dans Apocalypse bébé, ou Valentine, visage du « vaginal terrorism »145 pour reprendre l'expression de Martina Stemberger, en s'enfonçant une bombe miniature dans le vagin, ne va pas faire seulement exploser le Palais Royal, mais surtout l'image douce et tendre généralement associée à la femme. Autrement dit, la révolte des lesbiennes s'inscrit dans une revendication d'éclatement des rôles traditionnels genrés que sont le masculin et le féminin comme je vais dès à présent l'expliciter. 142 Ibid. 143 http://fr.wikipedia.org/wiki/Thelma_et_Louise. (dernièrement consulté le 03 août 2013) 144 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 44. 145 STEMBERGER, Martina: art. cit. p. 37. - 34 - Partie II: Femmes fatales revisited Dans l'organisation de la société, la violence, parce qu' expression d'une masculinité virile, est traditionnellement associée à l'homme146. Qualifées dès le XIXème siècle d'inverties - d'hommes donc dans un corps de femme – comme déjà mentionné, les lesbiennes ont toujours été défnies par rapport à leur soi-disant masculinité, ce qui a entre autres permis d'assoir l'idée selon laquelle elles ne seraient pas de vraies femmes mais des hommes, soit des individus doués de violence. Or, les lesbiennes de Virginie Despentes sont bel et bien des femmes, des femmes qui refusent toute catégorisation sociétale biologisante. En ce sens, leur violence, comme je m'attacherai dans cette seconde partie de ma réfexion à l'exposer, peut être lue comme l'expression d'une action militante politique de résistance queer. Le rapport des femmes à la violence s'inscrit dans la continuité du hors champ. Historiquement, la violence féminine a, comme le rappellent Coline Cardi et Geneviève Pruvost, toujours fait l'objet d'une invisibilisation ou, tout du moins, d'un discours essentialiste : les femmes ne seraient violentes que dans l'espace de l'intime, du privé. Leur violence ne s'exprimerait qu'au sein de la famille, du couple mais aussi envers elles-mêmes, contrairement à la violence des hommes qui, elle, s'exercerait dans la sphère publique147. Cette approche sexuée est toutefois catégoriquemement rejettée par Virginie Despentes. Ses (anti-)héroïnes lesbiennes, en faisant acte de violence notamment dans la sphère publique s'affranchissent de cette vision stéréotypée associée à la femme passive. De surcroit, la violence dont font preuve les lesbiennes participe d'une action de revendication et de réappropriation du corps des femmes et pourrait alors s'inscrire dans la continuité de la répartie de la féministe américaine et lesbienne radicale Ti-Grace Atkinson « le féminisme, c'est la théorie, le lesbianisme c'est la pratique » 148. Tout en mettant en évidence les ramifcations soulevées par le comportement dit masculin des lesbiennes despentiennes, je me proposerai de montrer dans quelle mesure l'écriture de Virginie Despentes s'inscrit dans un discours lesbo-féministe d'infuence américaine qui se veut une alternative méritant d'être pensée car intégrant les multiplicités féminines en essayant, contrairement au soi-disant féminisme français149, de proposer une réfexion tentant de dépasser cette fameuse binarité 146 CARDI, Coline et Geneviève Pruvost: La violence des femmes : occultations et mises en récit. Dans: Champ pénal/Penal feld [En ligne], vol. III, «Le contrôle social des femmes violentes», mis en ligne le 11 juin 2011. URL: http://champpenal.revues.org/8039. (dernièrement consulté le 21 juillet 2013) p. 2. 147 Ibid. p. 7. 148 LAMOUREUX, Diane: art. cit. p. 2. 149 Virginie Despentes, citée dans: ARBIZU, Susana et Henri BELIN: King Kong théorie: Entretien avec Virginie Despentes. Dans: Mauvaiseherbe's Weblog.11.09.2008. p. 2 . URL:http://mauvaiseherbe.wordpress.com/2008/09/11/king-kong-theorie-entretien-avec-virginie-despentes/ (dernièrement consulté le 29 septembre 2013) - 35 - homme/femme. II.A. L'armée de l'Eros Si l'on s'en tient à la défnition de Carola Hilmes au sujet de la femme fatale, celle-ci serait « dem Klischee nach [...] [ein] männermordende[s] Weib und Inbegriff eines verderbenbringenden Eros »150 Dans cette optique, le lien entre les lesbiennes de Virginie Despentes et la femme fatale semble tout à fait évident. En effet, si les lesbiennes, aussi bien dans Baise-moi que dans Apocalypse bébé, jouent et usent à outrance de leur pouvoir de séduction au point de devenir, pour reprendre l'expression littérale, de véritables mangeuses d'hommes, elles se caractérisent aussi par un comportement ultra-violent qui pose la question des stéréotypes associés au système sexe/genre. Virginie Despentes est une écrivaine qui se plait à jouer avec les stéréotypes. En reprenant alors à son compte la conception médicale de l'homosexualité telle que celle-ci fut défnie au XIXème siècle en termes de gender inversion, Virginie Despentes met en place une double résistance - externe et interne - des lesbiennes dont le potentiel subversif a pour objectif de faire ressortir et de dépasser de manière manifeste le caractère fctionnel et hautement performatif du genre. La guerre ouverte des lesbiennes despentiennes s'inscrit en ce sens dans une tentative de désinstrumentalisation des corps qui passe par un brouillage puis une redéfnition des identités. II.A.1. Subversion du gender inversion Dans son introduction au roman noir français, Jean-Paul Schweighauser inscrit ce dernier dans la tradition du polar, du roman policier, lequel se défnit par «la criminalité, la violence, la marginalité; en un mot, le malaise» 151. En d'autres termes, le roman noir se veut une représentation réaliste et particulièrement pessimiste de la société ou, à en croire Stephen Noreiko, la femme est abonnée au rôle de victime : [...] the printed polar is in general a universe of males [...] is intrinsically inimical to women, and that the parameters of the genre [...] tend no to be favourable to the appearance of autonomous, aggressive, or even mildly feisty, women.152 150 HILMES, Carola: Die Femme fatale. Ein Weiblichkeitstypus in der nachromantischen Literatur. Stuttgart: Metzler 1990. p. 223. 151 SCHWEIGHAUSER, Jean-Paul: Le Roman noir français. Que sais-je? Paris: PUF 1984. p. 3. 152 NOREIKO, Stephen: 'Toutes des salopes': Representation of women in French crime fction. Dans: French Culturel Studies. 10/089 1999. URL: http://frc.sagepub.com/content/10/28/089 (dernièrement consulté le 04 août 2013) p. 90. - 36 - Or, comme le souligne Nicole Fayard 153, Virginie Despentes, par le biais d'une inversion des rôles, détourne l'univers traditionnel masculin du roman noir qui est, pour reprendre les termes de Shirley Jordan, un « bastion of [...] misoginy »154 ou les hommes sont, à l'instar du viol, des chasseurs et les femmes, des proies 155. Dans Apocalypse bébé, l'inversion des codes du polar traditionnel s'exprime dans un premier temps par une réappropriation des fgures féminines que sont Lucie et la Hyène de professions traditionnellement réservées aux et embrassées par les hommes. En d'autres termes, ce ne sont plus les hommes, mais bien les femmes qui mènent l'enquête. La remarque de Valentine à propos de ce duo d'enquêtrices à la « Starsky et Hutch »156 vient d'ailleurs confrmer l'idée selon laquelle les métiers liés aux forces de l'ordre sont aujourd'hui encore fortement associés à la gent masculine. La référence à cette célèbre série télévisée américaine des années 1980 suggère au demeurant le pouvoir indéniable des médias qui participent, selon Teresa de Lauretis, de la « technologie du genre »157, pensée qui, dans la continuité de la pensée foucaldienne, repose sur l'idée que « la construction du genre est à la fois le produit et le processus de sa représentation [...] et de [son] autoreprésentation » 158. En d'autres termes, si le genre est, comme je l'ai déjà mentionné, le résultat certes d'un processus historico-politique et socio-culturel de catégorisation visant à la normalisation des individus, il s'agit aussi d'un processus d'autoreprésentation dans la mesure ou les individus, au contact de ces technologies, internalisent de manière presque quasiinconsciente ces représentations, construisant alors eux-mêmes leurs identités à partir de simulacres genrés. En ce sens, Judith Butler parle du genre comme étant « performatif »159 dans la mesure ou celui-ci produit lui-même ce qu'il expose. Dans Baise-moi comme dans Apocalypse bébé, plusieurs passages illustrent d'ailleurs cette technologie. Ceux-ci sont dans un premier temps avancés par les personnages féminins non-lesbiens comme Claire Galtan et Lucie dans Apocalypse bébé ou Séverine dans Baise-moi, avant d'être, dans un second temps, balayés par les fgures lesbiennes. En mettant l'accent sur les médias télévisuels et 153 FAYARD, Nicole: The Rebellious Body as Parody. Baise-moi de Virginie Despentes. Dans: French Studies. 60/1/2006. URL: http://fs.oxfordjournals.org/content/LX/1/63.full.pdf+html (dernièrement consulté le 11 octobre 2013) p. 67. 154 SHIRLEY, Ann Jordan: Revolting Women? Excess and détournements de genres in the Work of Virginie Despentes. Dans: SHIRLEY, Ann Jordan: Contemporary French Women's Writing. Women's Vsions, Women's Voices, Women's Lives. Oxford·Bern [et. al.]: Peter Lang Verlag 2005. p. 121. 155 Ibid. p. 121. 156 DESPENTES, Virginie: Apocalypse bébé. op. cit. p. 336. 157 DE LAURETIS, Teresa: op. cit. p. 37. 158 Ibid. p. 47 et 56. 159 BUTLER, Judith: Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l'identité. Traduit de l'anglais (EtatsUnis) par Cynthia Kraus. Paris: Editions La Découverte 2006. p. 96. - 37 - plus particulièrement sur les séries télévisées à la « Buffy contre les vampires » 160 et aux flms de science-fction à la « Hulk »161, les médias musicaux de par les allusions à « Rihanna » et « Lady Gaga »162 c'est-à-dire à la musique populaire américaine contemporaine, sans oublier les médias de l'Internet et les réseaux sociaux qui ont un rôle prépondérant dans Apocalypse bébé, Virginie Despentes expose le conditionnement et le formatage par les médias de masse des individus en fait privés de toute liberté identitaire individuelle comme le suggére la réfexion au style indirect libre que se fait Valentine : Sœur Elisabeth l'a prévenue: se distinguer du troupeau n'a jamais été chose facile. Seule, en face de la masse, à elle de savoir jouer son rôle.163 Dans ce passage, le formatage des individus transparait à travers le terme à connotation péjorative de troupeau. Les individus sont ici réduits à du bétail, un bétail soumis, obéissant aveuglement comme le suggère la masse dont l'une des propriétés fondamentales selon Elias Canetti dans Masse und Macht repose justement sur le principe à caractère impératif d'égalité, lequel peut néanmoins prendre une tournure oppressive pour les individus qui osent remettre en question son fonctionnement. Celles et ceux qui, comme les lesbiennes despentiennes, ne font pas parties de la masse sont alors tout simplement mis au banc de cette dernière. Innerhalb der Masse herrscht Gleichheit. Sie ist absolut und indiskutabel und wird von der Masse selbst nie in Frage gestellt. […] Was immer davon ablenken könnte, wird übersehen.164 De plus, les multiples références aux contes de fées - Manu compare entre autres sa situation au conte de La Petite Sirène165 - genre littéraire qui contribua d'antan (et aujourd'hui encore) à véhiculer une image de la femme qui, sauvée à temps par son prince, se transforme de souillon en princesse - mais aussi à la fameuse poupée Barbie166 qui, depuis sa création dans les années 1950, a concouru à la diffusion d'une image de la femme au foyer physiquement parfaite puis, plus proche de nous, de la femme moderne qui allie 160 DESPENTES, Virginie: Apocalypse bébé. op. cit. 89. 161 Ibid. p. 27. 162 Ibid. p. 120. 163 Ibid. p. 331. 164 CANETTI, Elias: Masse und Macht. Hambourg: Fischer Taschenbuch Verlag 200630. p. 30. 165 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 176. 166 DESPENTES, Virginie: Apocalypse bébé. op. cit. p. 89. - 38 - enfants et réussite professionnelle viennent parfaire la dénonciation de ce formatage par les médias de masse. Qu'ils soient d'hier ou d'aujourd'hui, ces derniers, en plus de s'inscrire dans un processus d'imageries historique et économique, ont contribué à produire un imaginaire féminin, à diffuser de manière récurrente une image particulièrement artifcielle de la féminité à laquelle les petites flles comme les adolescentes, à l'instar des flles de Claire Galtan, sont aveuglément invitées à s'identifer. En cela, la technologie du genre participe selon Judith Butler de « stylisations de la chair [servant la construction d'] une identité tissée avec le temps par des fls ténus, posée dans un espace extérieur par une répétition stylisée d'actes »167. A travers ses fgures lesbiennes, Virginie Despentes tourne en dérision cette technologie par un effet d'écho reposant soit sur le jeu de l'ironie soit sur un langage ambivalent et dont l'objectif est justement de démasquer, de mettre en évidence, d'enclencher une prise de conscience quant à cette propagande technologique autour du genre qui manipule sournoisement les identités des individus. Tandis que la Hyène sur le ton de l'ironie réduit à néant cette propagande médiatico-littéraire en se moquant de Lucie qui ne connait pas « [s]es contes de fées »168, le petit frère de Fatima dans Baise-moi personnage qui fait clairement écho à Yacine dans Apocalypse bébé - s'il est décrit dans un premier temps par Manu comme un « prince »169 en référence aux contes de fées - est ensuite anéanti par Valentine, laquelle compare Yacine à un « fucking prince charmant »170. Valentine va d'ailleurs jusqu'à jetter son portable dans la Seine et fermer « son compte Facebook, son Twitter, son vieux MySpace, son ancien blog, sa boîte mail » 171 en termes de protestation d'abord juvénile puis sociétale suite à sa rencontre avec Sœur Elisabeth. Le terme ambivalent et à double connotation du registre de la vulgarité qu'elle utilise pour qualifer Yacine et qui dans la continuité de la signifcation du titre Baise-moi traduit certes l'acte sexuel, mais aussi et surtout l'idée de s'être littéralement fait avoir, vient ici appuyer de manière imagée l'avis de la grand-mère maternelle de Valentine pour qui « [...] l'amour, ça n'existe pas. C'est une invention pour faire coucher les flles »172. A l'inverse du duo formé par Lucie et la Hyène, Valentine dans Apoclaypse bébé et Nadine et Manu dans Baise-moi inscrivent leurs actions dans un passage à l'acte criminel, à l'acte terroriste qui transparait non seulement dans le fait que ces trois personnages quittent 167 BUTLER, Judith: Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l'identité. Traduit de l'anglais (EtatsUnis) par Cynthia Kraus. Paris: Editions La Découverte 2006. p. 263 et 265. 168 DESPENTES, Virginie: Apocalypse bébé. op. cit. p. 79. 169 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 180. 170 DESPENTES, Virginie: Apocalypse bébé. op. cit. p. 322. 171 Ibid. p. 318. 172 Ibid. p. 189. - 39 - leurs zones urbaines d'habitation pour littéralement s'évanouir dans la nature - Nadine et Manu traversent la France profonde tandis que Valentine s'est réfugiée dans un couvent de nonnes à Barcelone - mais surtout dans le fait qu'elles se réapproprient elles aussi des rôles généralement associés à l'homme et surtout à la terreur. Nadine et Manu se transforment en véritables serial killeurs tuant toutes/-s celles et ceux qu'elles croisent sur leur chemin, à l'exception de Fatima et de son frère, personnages racialisés 173 avec qui elles se lient d'amitié et s'identifent en raison de leur marginalité, de leur position queer donc au sens de milieu et de race qui transparait non seulement à travers l'environnement social particulièrement défavorisé dans lequel ces deux personnages évoluent mais aussi dans leurs origines maghrébines. Si la réfexion « Tuer quelqu'un »174 que Nadine se fait à maintes reprises au sujet de son ami Françis et peu avant d'assassiner sa colocataire Séverine semble, par le jeu homophonique tuer/tu es, faire du passage à l'acte criminel un moment fondamental dans la formation identitaire des lesbiennes, il me semble surtout qu'il s'agit d'une stratégie pour l'auteure de s'inscrire en rupture avec la conception genrée de la violence. La violence n'est plus l'apanage des hommes : Martina Stemberger défend elle aussi ce point de vue en soulignant le caractère transgressif de Valentine qui enfreint « to a certain degree traditional gender roles and gender codes of violence » 175. En assignant ses (anti-)héroïnes à des professions/comportements relevant du masculin, Virginie Despentes procède à un retournement des codes de genre d'autant plus fagrant dans Baise-moi que le couple traditionnel bourreau/victime, c'est-à-dire homme/femme, est totalement inversé : Faut être raide, faut beaucoup boire à partir de maintenant. Et attraper du loup. Plus tu baises dur, moins tu cogites et mieux tu dors. D'ailleurs qu'est-ce-que tu dirais de ramener du loup à la chambre, ce soir?176 L'homme/le loup/le bourreau/le chasseur devient ici la proie/la victime/le chassé tandis que les femmes passent du statut de victimes à celui de chasseuses. Le renversement des rôles s'inscrit dans un jeu de symétrie qui se traduit dans les deux romans notamment par une « appropriation of a ‘masculine’ idiom »177. Cela contribue alors à créer une situation de mimétisme parodique hommes/femmes ou la rhétorique des 173 SAUZON, Virginie: art. cit. p. 3. 174 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 42 et 46. 175 STEMBERGER, Martina: art. cit. p. 37. 176 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 104 - 105. 177 SHIRLEY, Ann Jordan: art. cit. p. 137. - 40 - lesbiennes en jouant sur une « Hybridisierung der Sprache » 178 c'est-à-dire sur l'emploi par ces dernières de termes généralement employés par les hommes s'inscrit dans la continuité de la dynamique de transgression de la conception masculine donc ultra-genrée de la violence laquelle, comme le souligne Teresa de Lauretis, « is engendered »179, terme jouant sur la polyphonie engendrée/genrée. Si ça te dérange pas, chéri, on va baiser plutôt que discuter: on a plus de chance de s'entendre. 180 De tels propos sont dans la bouche d'une femme inimaginables ou, tout du moins, très inhabituels comme le montre la réaction de l'homme, perturbé, car « la formule qu'elle [Manu] a utilisée le trouble énormément [...] Il doit faire un effort pour rassembler ses esprits. » 181 En outre, le renversement de pouvoir opéré par les lesbiennes de Virginie Despentes passe notamment par un recours à la violence dont le but est notamment de transgresser l'idée selon laquelle les femmes, d'après les théories psychanalytiques freudienne et lacanienne, se défniraient par le manque182 contrairement à l'homme qui constituerait son Ego - son Je - et sa relation au monde au moyen de son pénis, symbole phallique par excellence. A cet endroit, les lesbiennes de Virginie Despentes tentent d'annuler cette théorie sexiste par une attitude subversive jouant sur la parodie. Lorsque Manu se fait la réfexion suivante « C'est comme si la main était faite pour tenir un fingue. Métal contre sa paume. Evident. Ce qui manquait au bras. »183, elle inscrit l'arme « one of the most overdeterminated signifers of socialized masculinity »184 dans le prolongement de son corps, ridiculisant par là-même « die Symbolkraft des Phallus »185 et l'idée essentialisante selon laquelle la femme serait un être incomplet. Plus loin, Nadine parodie de nouveau le manque, faisant alors non seulement des femmes des êtres tout à fait égaux aux hommes: « Ce qui convient à la main, c'est le fingue, la bouteille et la queue. »186 mais libérant de surcroit la violence - le meurtre même que l'arme 178 PRECIADO, Beatriz: kontrasexuelles manifest. aus dem französischen von stephan geene, katja diefenbach und tara herbst. b_books: berlin 2005. p. 156. 179 DE LAURETIS, Teresa: The Violence of Rhetoric. On Representation and Gender. Dans: LANCASTER, Roger N. et Micaela DI LEONARDO [sous la dir.]: The Gender/Sexuality Reader. Culture, History, Political Economy. London: Routledge 1997. p. 269. 180 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 201. 181 Ibid. p. 201. 182 BABKA, Anna et Marlen BIDWELL-STEINER: art. cit. p. 252. 183 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 154. 184 FRANCO, Judith : Gender, Genre and Female Pleasure in the Comtemporary Revenge Narrative : Baise moi and What It Feels Like For A Girl. Quarterly Review of Film and Video, 21:1, URL : http://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/10509200490262415 p. 3. 185 BABKA, Anna et Marlen BIDWELL-STEINER: art. cit. p. 254. 186 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 195. - 41 - est ici censée symboliser - de son hégémonie masculino-virile. En revendiquant leur droit à la masculinité, les lesbiennes despentiennes inscrivent leurs actions dans une posture queer en rupture d'avec les conceptions essentialisantes décrites dans la première partie de ce travail. De fait, la violence perpétrée par les (anti-)héroïnes de Virginie Despentes se constitue en écho à celle des hommes. En prenant alors pour point de départ la scène de viol dont Manu va être victime, j'aimerais ici mettre en évidence les nombreux parallèles qui, tout en contribuant à la structure du roman, servent aussi la déconstruction des représentations genrées. II.A.2. De la violence et du plaisir sadique Le passage suivant est un extrait de la scène de viol plus que brutale dont Manu et sa copine Karla sont victimes dans la première partie de Baise-moi. C'est le viol pour Manu - comme d'ailleurs pour Nadine le meurtre de sa colocataire Séverine - qui va déclencher la révolte de la jeune femme. Contrairement à Karla qui tente désespérement de se débattre, Manu se laisse violer, ce qui déclenche une discussion entre les trois violeurs: - J'en reviens pas, comment celle-là se laisse faire. - Faut dire qu'avec la gueule de poufasse qu'elle se trimballe, elle doit pas se faire empaler souvent, hein? - Méfe-toi, elle doit pas faire la différence entre sa chatte et un vide-ordures. - On aurait dû ramener des capotes, on sait jamais... Avec des flles qui se laissent violer... La vanne les fait rire un moment.187 Au cours de leur périple sanglant, Manu et Nadine, un soir assises au comptoir d'une brasserie, draguent ouvertement un client avant de proposer à ce dernier de les suivre pour avoir une relation sexuelle. Ici, ce sont les femmes, tant par le nombre que par leurs comportements, qui ont le dessus. En répondant par l'affrmative, l'homme se transforme alors en prostitué subissant - même si au début l'idée lui plait - les affres sexuelles des deux comparses. Manu, de victime, se fait alors bourreau. En écho à son propre viol, c'est elle qui, en plus de refuser d'utiliser un préservatif, va stranguler sa victime, allant alors au bout de ce que ses violeurs n'avaient pas fait. 187 Ibid. p. 54. - 42 - Le monsieur est resté assis, les yeux écarquillés. Il fouille dans sa veste, prend un préservatif, se lève et vient derrière Manu. Avant de la pénétrer, il entreprend de se couvrir le sexe. Manu se retourne et le saisit au poignet: - Que ta bite. Sans rien. [...] 188 Elle [Manu] s'assoit à califourchon sur lui, le serre à la gorge. Comme il commence à crier, Nadine attrape la couverture, lui couvre la face et s'assoit dessus. Le corps bouge, mais elles sont solidement installées. Manu chuchote: - Mec, ce qu'on a pas aimé chez toi, c'est la capote. Ta grave erreur, c'est la capote. On suit pas des flles qu'on connait pas comme ça, mec. Ça aussi, fallait que tu le comprennes. Faut se méfer. Parce qu'en l'occurence tu sais sur qui t'es tombé, mec? Sur des putains de tueuses de connard à capote. [...] Elles ricanent encore nerveusement en répétant: « Avalé de travers » et « connard à capote ».189 En outre, le parallèle entre les deux scènes est d'autant plus fort que les deux comparses jouent sur l'inversion de la recommandation généralement faite aux enfants et notamment aux flles/femmes de ne pas suivre les inconnus. L'effet d'écho atteint son paroxysme dans le rire extrêmement humiliant voire déshumanisant des bourreaux à l'égard de leurs victimes, le rire sadique de Manu et Nadine rappelle à cet endroit le ricanement perfde de la Hyène. Au cœur même de cette scène, un autre parallèle, lié au personnage de Nadine, me semble encore envisageable. Dans la scène ci-dessus de viol inversé, Nadine est celle qui, à califourchon sur l'homme, étouffe ce dernier à l'aide d'une couverture, ce qui crée un effet de miroir avec la scène ou elle tue sa colocataire Séverine : Avant même qu'elle en ait l'idée, les mains de Nadine trouvent d'instinct leurs marques le long du cou de Séverine et l'enserrent avec rage, implacablement. La faire taire. À califourchon sur elle, Nadine la maintient au sol. Sans rien penser. Concentrée, appliquée. Quand elle baise, des fois, elle a l'impression d'être sortie d'elle-même, de s'oublier un moment. [...] Ça lui fait cet effet. Quand elle revient à elle, elle est en train d'étrangler Séverine.190 La violence qui, pour Nadine et Manu culmine dans le meurtre, agrémentée d'une pointe d'humour noir comme lorsque Nadine demande au vendeur d'armes avant de le tuer si 188 Ibid. p. 204 189 Ibid. p. 207 - 208. 190 Ibid. p. 64. - 43 - « [o]n peut payer par balles? »191 - les balles, allusions aux munitions des armes à feu mais aussi terme argotique qui désigne l'argent - est pensée dans les deux romans de Virginie Despentes en lien direct avec le plaisir sadique, terme qui renvoie de nouveau au Marquis de Sade et qui consiste en la recherche du plaisir à travers l'exercice de la souffrance sur une tierce personne. Leitmotiv, le plaisir sadique, dans Apocalypse bébé, est évoqué à travers le cliché masculiniste de la lesbienne misandrique et violente, comme dans ce passage d'Apocalypse bébé ou Kromag raconte à Lucie sa première rencontre avec la Hyène : Le mec pleurnichait mais ça se voyait qu'il jouait le jeu uniquement pour qu'ils le lâchent. La Hyène était restée en arrière, silencieuse. Au moment de sortir, elle était revenue sur ses pas pour l'empoigner par la nuque, souriante, elle avait claqué trois fois des dents, à côté de son oreille : « Si on revient te voir, salope, je t'arrache la queue avec mes dents, d'accord? » [...] Une hyène, plus elle était vicieuse et tarée, plus ça la faisait ricaner.192 Ici, le plaisir sadique est évoqué à travers la focalisation interne de Kromag. Il est alors associé à la perversion, aux conduites déviantes/queer et met en avant la portée genrée et stéréotypée du discours masculiniste hétérosexuel lorsqu'il est question d'homosexualité. Dans Baise-moi, le plaisir sadique apparait sous un autre jour : il n'est plus simplement question de violence mais aussi de sexe comme le suggère la fgure de l'architecte qui impressionne Nadine, laquelle déclare alors « Vous avez du goût. Notamment en littérature […] J'ai peine à détester un homme qui lit Ellroy dans le texte et possède l'intégrale de Sade » 193. Ce même architecte se prend même à fantasmer en termes sadomasochistes son aventure meurtrière avec les deux femmes. A l'instar de Manu qui « [p]endant que le type la besognait, [...] a pensé à la scène de l'après-midi, comment Nadine a explosé la femme contre le mur, comme elle s'est fait détruire par le gun. Bestial vraiment. Bon comme de la baise. À moins que ça soit la baise qu'elle aime comme du massacre »194, Christine Détrez et Anne Simon sont d'avis que « l'association [...] flée entre sexe et revolver [permet de confondre] jouissance sexuelle et jouissance mortifère » 195. En 191 Ibid. p. 120. 192 DESPENTES, Virginie: Apocalypse bébé. op. cit. p. 27 - 28. 193 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. . p. 218. 194 Ibid. p. 128. 195 DETREZ, Christine et Anne Simon: « Plus tu baises dur, moins tu cogites »: Littérature féminine contemporaine et sexualité - la fn des tabous? Dans: L'Esprit créateur: The Johns Hopkins University Press. Vol.44/3/2004. URL: http://muse.jhu.edu/journals/esp/summary/v044/44.3.detrez.html. (dernièrement consulté le 13 septembre 2013). p. 62. - 44 - outre, cette association est, me semble-t-il, à nouveau une transgression de la conception historico-religieuse selon laquelle le sexe des femmes est synonyme de danger, comme je l'ai précédemment évoquée. Le verbe s'empaler qui renvoie à l'image d'un corps transpercé en est un autre exemple. Utilisé dans un premier temps par les violeurs de Manu dans Baisemoi, il est alors repris par Nadine pour décrire Manu pendant l'acte sexuel : Nadine tourne la tête vers le lit voisin. Manu chevauche son petit camarade, ondule et chantonne presque, elle se trémousse gentiment et avec grâce presque, en s'empalant consciencieusement.196 Mais l'association sexe/violence est aussi une parodie de la puissance masculine, une puissance qui transparait dans le rapport métonymique du canon au sexe de l'homme : Elle [Nadine] se tait et le fxe en silence. Expression lubrique et malsaine, caricaturale. Elle donne des coups de langue sur le canon de son fingue, pensive. […] En même temps, sucer son canon est une nouvelle idée très séduisante. Elle commente à voix haute : - Je fnirai bien par me branler avec ce fingue. Tu vivras peut-être pas assez vieux pour voir ça, ducon.197 En jouant sur la réappropriation d'un langage et d'un comportement dit masculin ainsi qu'en mimant l'acte de fellation, acte sexuel généralement associé à l'idée d'une certaine soumission féminine, Nadine caricature la violence généralement associée à la masculinité virile. Or, selon Nadia Louar, les nombreux jeux de mots autour du couple meurtre/sexe et le langage cru des (anti-)héroïnes de Virginie Despentes, notamment dans Baise-moi, « multiplie[nt] les actions et les postures identitaires des femmes en même temps qu'[ils] réinvente[nt] l'éventail de leurs interactions sexuelles » 198. Le passage ci-dessus joue ainsi sur l'ambivalence du verbe tirer, lequel désigne un coup de fusil/de revolver comme il peut tout aussi bien évoquer vulgairement un rapport sexuel: Regarde-les, ceux-là, c'est de la caricature, toutes les fois que t'en as croisé des comme ça et que t'as eu envie de tirer...199 196 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 108. 197 Ibid. p. 216. 198 LOUAR, Nadia: art. cit. p. 5. 199 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 144. - 45 - Bien que Manu prononce ces mots après avoir tué les deux clients de l'armurerie, l'ambivalence de ses propos est d'autant plus forte qu'elle est entretenue par les points de suspension, lesquels alimentent le doute sur le sens à donner au verbe tirer. L'emploi du terme caricature est ici d'autant plus fort qu'il crée un effet d'écho au comportement de Nadine et Manu qui, elles-mêmes, caricaturent les comportements des hommes. L'analogie entre sexe et violence/meurtre conduit à une objectivation totale de l'homme et place les (anti-)héroïnes lesbiennes de Virginie Despentes dans une posture queer qui, en plus de s'inscrire à contrario de la conception biologisante de la violence, vise, comme j'aimerais à présent l'expliciter, à décentrer le corps des femmes de la focale phallocratique et à s'attacher à repenser le statut et l'identité des femmes dans la société en faisant du « corps un lieux de résistance »200 au pouvoir machiste. II.B. Le corps dans tous ses états La résistance des lesbiennes à l'encontre de la société passe par une résistance extérieure donc qui, comme je viens de le montrer, s'articule autour d'une appropriation par les lesbiennes de Virginie Despentes de la violence dont le but est, comme je vais à présent le démontrer, de faire valoir leur droit à être fortes, à se défendre, à ne plus être des victimes passives de l'oppression masculine. Par le biais de la violence les lesbiennes réduisent à néant l'idée selon laquelle celle-ci dépendrait du sexe biologique d'un individu et contribuent alors à un brouillage des frontières de genre que les jeux de miroirs qui jalonnent les deux romans de mon corpus ainsi que le rapport subversivo-parodique autour du couple ontologique homme/femme, technique/nature tendent à parfaire. A cet endroit, je montrerais alors comment le jeu de déplacements de regards et le discours soi-disant prosexe de l'auteure, plutôt que de contribuer à faire l'apologie de la pornographie 201, peuvent se lire comme des invitations à considérer la sexualité féminine sous un angle nouveau dans la mesure ou, en désacralisant le corps, les lesbiennes remettent en question l'idée même de naturel sur laquelle les hommes ont fondé l'éternel féminin. 200 LOUAR, Nadia: art. cit. p. 2. 201 le Conseil d'Etat, à la sortie du flm en 1993, classa le flm dans le registre des productions pornographiques, ce que contestèrent d'emblée Despentes et Trinh-Thi qualifant leur flm de flm d'auteurs avant-gardiste, cité par LILIAN, Mathieu : art. cit. On retiendra ici que le Conseil d'Etat, aussi appelé Conseil Constitutionnel, siège au Palais Royal tout comme d'ailleurs le Ministère de la Culture. Or, l'attentatsuicide de Valentine va, entre autres, littéralement réduire à néant ces deux institutions fran çaises à l'origine de la censure du flm Baise-moi. L'acte terroriste de Valentine se comprend ici comme l'expression du ras-lebol de la censure étatique qui tente incidieusement de contrôler les corps et les esprits [note de Emilie Sénéchal] - 46 - II.B.1. Ne plus être victime ! Sous forme de protestation face au comportement des hommes qui ont tendance à considérer le corps des femmes comme un bien leur appartenant, l'intimité féminine devient publique, et ce par l'intermédiaire des femmes elles-mêmes qui brisent la « frontière du dedans/dehors »202. Le sexe des femmes, à l'instar de Nadine qui n'hésite pas à donner à haute voix ses tarifs de prostituée et de Manu qui, après le viol dont elle et Karla ont été victimes, compare son vagin à une voiture, est alors clairement exposé dans toute sa matérialité : Karla réussit à articuler: - Comment t'as pu faire ça? Comment t'as pu te laisser faire comme ça? Manu ne répond pas tout de suite. Elle sent qu'elle dégoûte Karla encore plus que les mecs. Comment elle a pu faire ça? Quelle connerie... Elle les entend démarrer. C'est fni. Elle répond: - Après ça, moi je trouve ça chouette de respirer. On est encore vivantes, j'adore ça. C'est rien à côté de ce qu'ils peuvent faire, c'est jamais qu'un coup de queue... Karla hausse le ton, annonce la crise de nerf: - Comment tu peux dire ça? - Je peux dire ça parce que j'en ai rien à foutre de leurs pauvres bites de branleurs et que j'en ai pris d'autres dans le ventre et que je les emmerde. C'est comme une voiture que tu gares dans une cité, tu laisses pas des trucs de valeur à l'intérieur parce que tu peux pas empêcher qu'elle soit forcée. Ma chatte, je peux pas empêcher les connards d'y entrer et j'y ai rien laissé de précieux... 203 A ce propos, Shirley Jordan voit dans cette scène une « urban metaphore »204. De par la comparaison de son corps à une voiture, Manu mécanise celui-ci et l'agression sexuelle qu'elle vient de subir mais aussi l'acte sexuel en général comme le sous-entendent les affrmations c'est jamais qu'un coup de queue et j'en ai pris d'autres dans le ventre pour tenter de désémotionnaliser le traumatisme qu'elle vient de subir. Mais cette mécanisation est aussi une critique acerbe envers une société de consommation ou les hommes avec leurs voitures prouvent leur virilité tout comme ils se servent des femmes pour attester de leur masculinité. Cette comparaison du corps à la voiture me ramène ici au motif du roadmovie, genre cinématographique profondément américain et masculin/-iste, qui dans les années 1990 va connaitre une resignifcation queer d'envergure en cela qu'il va alors inviter 202 KRISTEVA, Julia: Pouvoirs de l'horreur. Essai sur l'abjection. Paris: Éditions du Seuil 1980. p. 65. 203 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 56 - 57. 204 SHIRLEY, Ann Jordan: art. cit. p. 118. - 47 - à repenser la « representation of "Otherness" along the lines of class, race, sexuality or gender »205. Dès lors, le road-movie est, aussi bien dans Baise-moi que dans Apocalypse bébé, l'expression non seulement d'une tentative d'émancipation à l'aliénation masculine/-iste hétérocentrée, mais aussi l'expression d'une reconquête du corps féminin et de la sexualité féminine par les femmes elles-mêmes qui s'inscrit dans un discours féministe lesbien radical. Fortement infuencé par la pensée féministe américaine, l'objectif de ce discours que défend Virginie Despentes est de mettre en avant plutôt l'absence ou plutôt les contradictions du discours féministe français206. Selon l'auteure, le fait que ce soient en général des femmes issues de la « haute bourgeoisie »207 qui prennent la parole sur les questions féministes - Valentine considère à cet endroit le « féminisme [comme] un hobby pour femmes entretenues »208 - contribue à participer à la défense d'un discours pro-victimisant à l'encontre des victimes de viols et à assoir un double discours sur le viol dans lequel les femmes se feraient fnalement les alliées des hommes209. L'auteure assume ses propos en prenant notamment appuie sur la réaction de Catherine Tasca, ministre de la Culture, lors de la sortie sur les écrans de l'adaptation cinématographique de Baise-moi. Ici, le recours à l'anaphore souligne avec d'autant plus de force l'hypocrisie politico-sociétale de ce double-discours relayée par les propos de l'ancienne ministre de la Culture : Et une ministre de la Culture, une femme de gauche, de cette gauche-là, la gauche subtile, déclare qu'un artiste devrait se sentir responsable de ce qu'il montre. Ça n'est pas aux hommes de se sentir responsables quand ils se mettent à trois pour violer une flle. Ça n'est pas aux hommes de se sentir responsables quand ils vont aux putes sans faire voter les lois pour qu'elles puissent bosser tranquillement. Ça n'est pas à la société de se sentir responsable quand à longueur de flms on voit des femmes dans le rôle de victimes de violences les plus atroces. C'est à nous de nous sentir responsables.210 205 FRANCO, Judith : art. cit. p. 2. 206 Virginie Despentes déclarait dans l'interview: « Je ne vois pas trop de «féminisme dominant ». En France, toujours, pour parler de ce que je connais encore le mieux, on célèbre le centenaire de la naissance de Simone De Beauvoir en publiant une photo d’elle… à poil en Une de magazine. Et dans le dossier, on interviewe surtout aucune féministe « traditionnelle » . Des écrivains, des actrices, des gamines, mais pas d’historienne, pas de militante, pas de grande fgure du féminisme. », citée dans: ARBIZU, Susana et Henri BELIN: King Kong théorie: Entretien avec Virginie Despentes. Dans: Mauvaiseherbe's Weblog.11.09.2008. URL:http://mauvaiseherbe.wordpress.com/2008/09/11/king-kong-theorie-entretien-avec- virginie-despentes/ (dernièrement consulté le 29 septembre 2013) p. 2. 207 Ibid. p. 2 - 3. 208 DESPENTES, Virginie: Apocalypse bébé. op. cit. p. 339. 209 DESPENTES,Virginie: King Kong théorie. op. cit. p. 122 - 123. 210 Ibid. p. 121. - 48 - La réception de la scène de viol, que ce soit dans le flm comme dans le livre, est symptomatique selon Virginie Despentes d'un discours sociétal qui, en fait, dédouane les hommes - qu'ils soient violeurs, clients de prostitués ou même hommes politiques - de leurs responsabilités en faisant semblant de ne rien voir. Par contre, lorsqu'une femme ose s'emparer de ces sujets sensibles que sont le viol, la prostitution ou l'industrie pornographique, elle est tout de suite accusée de complicité participative et active au renforcement de cette vision objectivante et rabaissante de la femme. Baise-moi révéle au grand jour l'hypocrisie qui entoure le discours sur le viol, lequel serait selon Despentes activement relayé par les féministes blanches bourgeoises qui, à travers la victimisation, cautionneraient l'idée d'un éternel féminin sans cesse en proie à la virilité ultra-violente des hommes. Je suis furieuse contre une société qui m'a éduquée sans jamais m'apprendre à blesser un homme s'il m'écarte les cuisses de force, alors que cette même société m'a inculqué l'idée que c'était un crime dont je ne devais pas me remettre.211 Il me semble ici que Despentes oublie un peu trop facilement et peut-être aussi pour les besoins de la provocation que des femmes comme Simone de Beauvoir, Colette, Simone Veil ou bien encore Elisabeth Badinter n'ont eu de cesse d'oeuvrer à l'émancipation féminine. Or, dans son essai King Kong Théorie, l'auteure se distancie nettement de ce féminisme à la française en inscrivant son écriture à la fois violente et sexuelle dans la continuité de la pensée féministe américaine. Elle illustre à travers les fgures de Manu et de Karla cette division des féministes de part et d'autre de l'Atlantique sur la question du viol : le personnage de Karla incarne la vision traditionnelle et victimisante de la femme violée alors que Manu - qui en plus de la comparaison vagin/voiture qualife la réaction de Karla de connerie - est la personnifcation par excellence du discours radical et par ailleurs très controversé de l'Américaine Camille Paglia, laquelle défend l'idée « de penser le viol comme un risque à prendre, inhérente à notre condition de flles »212. En d'autres termes, le discours radical sur le viol qui se cristallise à travers les attitudes particulièrement indifférentes, imperméables même, des fgures lesbiennes de Virginie Despentes que sont Manu mais aussi Valentine à l'encontre de leurs aggresseurs - Shirley Jordan évoque à ce sujet une « self-imposed anaesthetisation »213 - est représentatif de la pensée de Paglia. Ces deux femmes, 211 Ibid. p. 47. 212 Ibid. p. 42. 213 SHIRLEY, Ann Jordan: art. cit. p. 118. - 49 - en refusant suite au viol de se défnir comme victimes, boycottent un discours sociétal fémininiste bourgeois qui avilit les femmes à « être des victimes dignes »214, c'est-à-dire de « bonne[s] victimes [...] douce[s], sexy, gardant le silence »215. A cet endroit, le meurtre de la femme bourgeoise se lit non seulement comme la révolte des lesbiennes contre ce fameux féminisme bourgeois à la française mais sonne surtout le glas de cette position victimaire défendue par les femmes elles-mêmes: Elle [Nadine] lui en veut brusquement d'être incapable de se défendre et de faire autant de bruit, elle sent grimper en elle du sale plaisir à faire mal. Elle saisit le visage à deux mains et le fracasse contre le mur, du plus fort qu'elle le peut et à plusieurs reprises. Jusqu'à ce que Manu la pousse de l'épaule, colle le canon juste dessous la mâchoire et tire sans hésiter.216 En entrant en guerre ouverte contre la société, la révolte des lesbiennes de Virginie Despentes prend une dimension sociétale : il s'agit de briser cette loi du silence à laquelle les victimes sont fnalement toujours rappelées et « de démontrer qu' [une femme] est capable de se battre, de ne pas seulement subir les violences mais de les rendre, de se débrouiller sans l'assistance d'un homme […] »217 comme le souligne Maud Tabachnik. A cet endroit, le cosmétique joue un rôle d'envergure dans la mesure ou la pose de rouge à lèvres en se déclinant alors dans l'horreur rompt avec l'idée de ce soi-disant éternel féminin toujours en proie aux griffes des hommes. […] elle sort un tube de rouge à lèvres de son sac et se barbouille la bouche […]218 […] elle sort régulièrement son tube et se repeint les lèvres; maintenant qu'elle est raide, elle déborde même un peu. Quand elle parle ou quand elle éclate de rire, ça fait blessure animée au milieu du visage blafard, balafre rouge sang se détend, se déforme. En rire, en insulte, en protestation énergique. On ne lui voit que la bouche, toujours en mouvement.219 214 DESPENTES,Virginie: King Kong théorie. op. cit. p. 122. 215 Selon Virginie Despentes, ce discours pro-victimisant conservateur serait, de plus, encouragé par la presse féminine française de type Elle et Paris Match, propos cités dans: DESPENTES,Virginie: King Kong théorie. op. cit. p. 121. 216 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 117. 217 Propos de Maud Tabachnik, citée par: SHIRLEY, Ann Jordan: art. cit. p. 122. 218 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 88. 219 Ibid. p. 187. - 50 - La transformation physique à laquelle s'adonne Manu par la pose de rouge à lèvres s'inscrit dans une parodie de l'idéal de beauté féminin qui culmine dans un contraste frappant et angoissant de couleurs : l'opposition blanc/rouge renforcée par le contraste du visage blafard transforme ce dernier en vision monstrueuse. Le rouge n'est plus synonyme de beauté et de féminité mais de danger et de mutilation. Or, le rouge est une couleur bivalente, borderline, « zwischen Leben und Tod »220, dichotomie qu'incarne d'ailleurs Manu dont la métamorphose progressive culmine à la fn du roman, à travers un rapport intermédial à la musique punk 221, dans une comparaison avec la femmevampire. Dans cette optique, associée à la couleur rouge, symbole non seulement de féminité mais aussi de danger, la bouche se transforme alors, si je me réfère à la défnition de Judith Butler selon laquelle « den Terminus Phallus [gilt] für die symbolische Funktion eines bestimmten Körperteils »222, en phallus lesbien qui selon Biddy Martin « exceed binary divisions and [...] redistribute symbolic authority and routes of desire. »223. Autrement dit, la bouche de Manu en engloutissant, en dévorant même le sexe des hommes et par là-même ces derniers, inverse de nouveau, selon Marie-Hélène Bourcier, les représentations traditionnelles hommes actifs, femmes passives liées au genre : Le baiser de la vampire lesbienne a pu être interprété comme étant « l'essence » du baiser lesbien en ce qu'il est basé sur une inversion de genre, la bouche passive (réputée féminine) devenant la bouche active (réputée masculine) qui mord et qui pénètre […]224 L'inversion est d'autant plus forte que la fgure de la femme-vampire est un miroir de la fgure de la femme-vampe, de la femme destructrice, ce qui me ramène au personnage de Valentine dont la description par Yacine de sa métamorphose en Vierge noire, symbole de destruction, s'accompagne elle aussi d'une inversion de genre : C'était muet, et indicible. Un chemin magnétique, impossible de s'en écarter. Et il la voyait, à ce moment-là, transfgurée : une Vierge noire. En son centre, un noyau rouge ardent se déployait pour l'engloutir. […] Valentine se transformait, elle devenait 220 BABKA, Anna et Marlen BIDWELL-STEINER: art. cit. p. 257. 221 « Dans les fammes, dans le sang, riant du pire, pleurant de joie, tous les vampires gardent la foi, crever les yeux pour de rire, violer et se souvenir. L'essence même du mal. » Dans: DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 231. 222 Judith Butler, citée par: BABKA, Anna et Marlen BIDWELL-STEINER: art. cit. p. 258. 223 Biddy Martin, citée par: BABKA, Anna et Marlen BIDWELL-STEINER: art. cit. p. 258. 224 BOURCIER, Marie-Hélène: Queer Zones. Politique des identités sexuelles et des savoirs. op. cit. p. 62. - 51 - déesse de la destruction, sacrée et terrifante. Et lui aussi se modifait. Et ça lui faisait peur.225 Tout comme la femme-vampire, la Vierge noire engloutit l'homme. La Vierge noire destructrice qu'est Valentine sert ici de contre-poids à la Sainte-Vierge qui, elle, apporte la vie. Aussi, si la violence n'est plus l'apanage des hommes, la peur, elle non plus, n'est plus réservée aux femmes comme le suggère le mouvement vertical basé sur l'opposition ascention/chute qui vient parfaire à la rupture des rapports traditionnels entre les sexes. Tandis que la femme s'élève, l'homme lui, semble déchoir, pour fnalement sombrer dans les ténèbres. II.B.2. Cinéma X et jeu(x) subtil(s) du regard L'infuence des médias, comme évoqué plus haut, et de manière plus précise du cinéma, est considérable dans l'œuvre de Virginie Despentes. Au sujet du rôle des femmes au cinéma, le réalisateur Jean Renoir - fls du peintre Auguste Renoir – déclara : « les flms devraient être faits par de jolies femmes montrant de jolies choses »226. Or, ces propos sont selon Virginie Despentes révélateur du cinéma comme « outil de propagande sur le genre » ou les femmes sont généralement pensées dans un perspective masculine/-iste. L'auteure n'hésite pas ainsi à revisiter ce média de masse qu'est le cinéma traditionnel mais aussi et surtout le cinéma X qui, tout en cristallisant les représentations traditionnelles du système sexe/genre, n'est, selon elle, que le sommet de l'iceberg d'une industrie cinématographique et, de manière plus globale, d'un milieu médiatique ou la femme est pensée par et pour les hommes. La violence chez Virginie Despentes revêt plusieurs formes: le meurtre comme je l'ai déjà évoqué mais aussi la violence sexuelle, une violence entretenue entre autres par une médiatisation outrancière et avilissante du corps des femmes. Ici, l'auteure se plait à se servir des steréotypes de genre pour penser différemment le rapport des femmes à leur corps et par là-même aux hommes dans une démarche d'affranchissement tant sexuel que sociétal. Marie-Hélène Bourcier désigne ce discours alternatif sur le cinéma pornographique de « post-porno »227 dans la mesure ou celui-ci tente de penser de manière autre le rôle de la femme en réinventant les codes de ce cinéma ultra-genré. Or, si l'écriture de Virginie Despentes participe assurément d'un discours pornographique que la pensée féministe a aujourd'hui encore du mal à penser hors de l'héritage religieux lié au culte du 225 DESPENTES, Virginie: Apocalypse bébé. op. cit. 156. 226 DESPENTES,Virginie: King Kong théorie. op. cit. p. 117. 227 BOURCIER, Marie-Hélène: Queer Zones. Politique des identités sexuelles et des savoirs. op. cit. p. 27. - 52 - corps de la femme - la pornographie serait une attaque à l'endroit de la dignité de cette dernière228 -, l'auteur propose surtout d'élargir la réfexion autour du rôle de la femme dans l'industrie du X, industrie encore majoritairement ultra-masculine ou les femmes, objets des phantasmes masculins de toutes sortes, sont encore souvent représentées en situation de soumission: Les hommes seuls imaginent le porno, le mettent en scène, le regardent, en tirent proft et le désir féminin est soumis à la même distorsion: il doit passer par le regard masculin.229 Dans Baise-moi, le choix du prénom Manu ne relève en rien du hasard. Le fait que le père de Manu appelait cette dernière Emmanuelle - « Ce fls de pute m'appellait Emmanuelle. Je me suis toujours appelée Manuelle, mais ça l'intéressait tellement qu'il avait oublié. »230 - peut se lire comme une allusion tout à fait explicite au flm érotique à succès du même nom, Emmanuelle, sorti en France dans les salles de cinéma en 1974 231. En d'autres termes, le comportement du père de Manu est symptomatique de cette attitude masculine, machiste même qui consiste à considérer la femme comme un objet de désir masculin. Toutefois, Baise-moi, en travaillant de manière récurrente sur les codes du X, réincarne cet objet de désir qu'est la femme en pulvérisant « die Dominanz des männlichen Blicks im Hinblick auf Wahrnehmung und Konstitution von Weiblichkeit. » 232. Ainsi, à la manière des performeuses/des hardeuses du X, les lesbiennes despentiennes sortent la sexualité féminine de ses clous hétéronormatifs et phallocentriques et rompent avec le monopole masculin du féminin en procèdant à un « [p]ornographic sabotage »233 selon Shirley Jordan dont l'objectif est d'opérer un retournement des codes traditionnels du cinéma pornographique. Baise-moi s'ouvre ainsi in medias res : dans ce premier chapitre ou Nadine est tout occupée à visionner un flm pornographique, on retrouve un vaste champ lexical lié aux techniques cinématographiques : gros plan, voix off, caméra, scène suivante, changement de décor. L'enchainement des scènes s'inscrit dans une économie cinématographique de représentation flmique qui sert la mise en abyme des techniques du cinéma X. Le style 228 Virginie Despentes, citée dans: ARBIZU, Susana et Henri BELIN: art. cit. p. 2. 229 DESPENTES,Virginie: King Kong théorie. op. cit. p. 103. 230 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 183. 231 http://fr.wikipedia.org/wiki/Emmanuelle_(flm) (dernièrement consulté le 06.10.2013) 232 HILMES, Carola: op. cit. p. 238. 233 SHIRLEY, Ann Jordan: art. cit. p. 130. - 53 - rêche, linéaire certes, mais fortement bourru qui caractérise cette scène de flm X est représentatif du périple meurtrier des deux femmes et traverse d'ailleurs tout le roman en ne cessant de rappeller l'agencement - souvent rudimentaire - des séquences de flms pornographiques ou les scènes s'enchainent de manière souvent abrupte, saccadée. On retrouve ce même procédé dans Apocalypse bébé ou Valentine s'implante sa bombe à la manière d'une actrice de X : […] elle [Valentine] dégrafait sa ceinture de la main gauche, descendait son pantalon et debout, on découvrait qu'elle ne portait pas de culotte mais peu de monde trouverait ça sexy, bassin face caméra, elle posait un pied sur le bureau, angle porno classique, enflait le tube au fond de son vagin et remontait la fermeture de son jean, donnait un petit coup de reins dans le vide, puis redressait la caméra vers laquelle elle se penchait pour conclure, sobrement : - Tu la veux ? Tu la prends. Fin du plan.234 La réplique de Valentine Tu la veux ? Tu la prends, initialement pensée par Virginie Despentes comme titre pour son roman235, est de manière parodique un pied de nez à toute l'industrie pornographique. En effet, en mettant sa vidéo en ligne sur internet, et ce « sous le pseudonyme « Little Girl » »236 Valentine caricature et détourne ouvertement les codes de cette industrie. A cet endroit, l'auteure s'inspire de la réalité terroriste contemporaine pour servir la fction. Tout comme les organisations terroristes islamiques telles que Al-Qaida ou AQMI (Al-Qaida au Maghreb Islamique)237 revendiquent leurs combats idéologiques par le biais de vidéos circulant sur Internet, la vidéo laissée par Valentine sert à revendiquer l'attentat-suicide et surtout à diffuser une idéologie ultra-féministe, extrêmiste même, à un public aussi large que possible. Par ce geste, il s'agit d'enclencher une prise de conscience en dénonçant l'extrêmisme religieux et le fait que le corps des femmes n'appartient plus aux hommes. En outre, Apocalypse bébé et Baise-moi - s'ils ne font pas l'économie de certaines séquences typiques, selon Marie-Hélène Bourcier, des flms X comme les « < come shots > ou < money shots > […] la scène obligée du flm porno: l'éjaculation visible qui oblige les hommes à sortir 234 DESPENTES, Virginie: Apocalypse bébé. op. cit. p. 360. 235 MARCELLE, Pierre: L'apocalypse selon Despentes. Dans: Libération. 19.08.2010. URL: http://www.liberation.fr/livres/2010/08/19/l-apocalypse-selon-despentes_672906 (dernièrement consulté le 11 octobre 2013) 236 DESPENTES, Virginie: Apocalypse bébé. op. cit. p. 360. 237 http://fr.wikipedia.org/wiki/Al-Qaida_au_Maghreb_islamique (dernièrement consulté le 11 octobre 2013) - 54 - de leur partenaire pour éjaculer sans que la caméra n'en perde une goutte »238 - n'hésitent pas à jouer avec les codes de ces représentations pour bousculer ces dernières et, par là, interroger le spectateur masculin sur ses motivations à l'endroit des femmes, comme le passage suivant le suggére : Manu est à genoux entre ses jambes. Elle l'aspire consciencieusement et, par habitude, lui caresse l'intérieur des cuisses. Il dit: « C'est bon, tu vois, ça vient », en jouant avec ses cheveux. Puis la tient plus fermement et lui enfonce bien au fond de la gorge. Elle cherche à se dégager, mais il a bonne prise et envie de lui cogner la glotte avec le gland. Elle lui gerbe entre les jambes. Couchées sur le dos en quelques secondes, elles mettent une bonne minute à arrêter de rire. […] Elles suffoquent quand elles le voient si furieux. Il s'emporte: - Je ne vois pas ce que ça a de drôle. Vous êtes vraiment … Il cherche ses mots pendant qu'elles répètent inlassablement: « Avalé de travers », et la formule a un gros succès.239 Dans cette scène en focalisation externe, la focalisation, à la manière d'un gros plan, passe successivement de Manu à l'homme pour revenir sur Manu qui, parodiant le fameux « jet de sperme »240, rend sur les genoux de ce client qui se sent dégradé au point de devoir chercher ses mots, tandis que les deux comparses s'esclaffent littéralement face à la performance de Manu, laquelle en recourrant à l'expression avalé de travers détourne une autre séquence pornographique bien connue. A travers le milieu de la pornographie, « patriarchal system of values »241, Virginie Despentes met en avant un discours sur le sexe qui se veut libérateur pour la femme. En faisant alors de Nadine une spectatrice - et lectrice aguerrie de pornographie, l'auteur rompt avec l'assertion selon laquelle seuls les hommes seraient des consommateurs de pornographie. Elle crée un déplacement du regard masculin à un « female-gaze »242 sur la pornographie, pour reprendre l'expression de Shirley Jordan, qui transparait notamment dans la relation que Nadine entretient avec les médias traditionnels de la pornographie que sont les flms ou les journaux. Cette dernière est littéralement subjuguée par l'élégance et la prestance de ces femmes qui, à l'instar de la pinup de ce magazine X qu'elle se plait à contempler, assument leur côté « femme hypersexuelle 238 BOURCIER, Marie-Hélène: Queer Zones. Politique des identités sexuelles et des savoirs. op. cit. p. 28. 239 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 205 - 206. 240 BOURCIER, Marie-Hélène: Queer Zones. Politique des identités sexuelles et des savoirs. op. cit. p. 30. 241 SHIRLEY, Ann Jordan: art. cit. p. 130. 242 Ibid. p. 132. - 55 - et grande masturbatrice, qui est le paradigme de référence de la pute, de la salope du porno moderne. »243 : La blonde au sexe épilé retient toute son attention. Sur la première photo, elle porte une robe longue, fendue très haut sur la cuisse en un éclair blanc. […] Les cheveux font crinière et cascade jusqu'au bas du dos, soulignent la chute des reins. Des cheveux pour y glisser la main et tirer la tête vers l'arrière. Poitrine gonfée, style poupée de BD. La flle entière est classée X, comme si elle transpirait le foutre. Sur la photo suivante, elle écarte amplement les cuisses, nonchalante et souriante. […] On la voit ensuite renversée sur le dos, somptueuse et offerte. Les petites lèvres parées de pierres brillantes, un anneau doré traverse le clitoris. D'une rare élégance. L'entrejambe scintillante comme une enseigne de bordel. Transgression. Elle fait ce qui ne se fait pas avec un plaisir évident. Le trouble vient en grande partie de l'assurance tranquille avec laquelle elle se dévoile.244 Nadine considère cette femme comme une véritable « icône »245, allant alors jusqu'à imiter son comportement transgressif. Or, au sens religieux du terme, l'icône est une image sainte qui n'est pas sans rappeler la Vierge Marie, laquelle tout en étant vierge devint par l'Immaculée Conception mère de l'enfant Jésus. Pour Nadine, l'icône transgresse la conception religieuse de la femme : l'objet de ses vénérations est la femme sexuellement libérée, émancipée. En cela, Nadine rompt avec la conception religieuse liée à l'image traditionnelle de la femme pure/vierge qu'incarne la Vierge Marie, laquelle aurait enfanter sans passer par les plaisirs de la chair. Dans le texte, cette invitation à la transgression est d'autant plus forte qu'en plus de se traduire par un mot-phrase, elle est exprimée par un retour à la ligne - signal de radicalité - et semble aussi viser à entretenir le doute : s'agit-il de la femme du magazine ou de Nadine elle-même? - un doute dissipé deux lignes plus bas. A l'instar de cette femme qui ose désobéir à la société en adoptant une attitude sexuelle qui ne correspond pas à ce que l'on attend d'une femme, Nadine mais aussi Manu multiplient, enchainent - telles les hardeuses - seules, ensemble ou en compagnie de tiers les positions sexuelles. A noter que la hardeuse, comme le souligne à juste titre Despentes, rappelle le cliché de la lesbienne masculine puisqu'elle aussi se caractérise par « une sexualité d'homme. Telle que mise en scène dans les flms, elle veut du sexe, avec n'importe qui, elle en veut par tous les trous 243 BOURCIER, Marie-Hélène: Sexpolitiques. Queer Zones 2. op. cit. p. 159. 244 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 138 - 139. 245 Ibid. p. 139. - 56 - et elle en jouit à tous les coups » 246. Or, si ce passage travaille sur l'image de la hardeuse, il s'agit surtout de montrer que le sexe pour les femmes peut se penser autrement. Appuyée contre le mur, Nadine les [Manu et l'homme] regarde fxement. […] Nadine se branle doucement contre la couture de son jean, ne lâche pas des yeux les mains qui arpentent nerveusement Manu. La petite s'écarte doucement de lui, s'appuie contre le bord de la petite table. Prend ses cuisses et les écarte largement. Ongles vernis sur l'intérieur des jambes jouent autour de l'éclaboussure. Puis s'y attardent et s'y enfoncent. Elle se retourne sans s'interrompre, passe un doigt de l'anus à la vulve. De côté, elle regarde Nadine qui s'est laissée glisser accroupie contre le mur. Elles ne sourient ni l'une ni l'autre, elles font quelque chose de sérieux et d'important. Elles ne pensent à rien de précis. 247 Dans cette scène de triolisme, tandis que Manu et l'homme sont occupés à leur affaire, Nadine observe - elle tient le rôle du voyeur - comme spectatrice active puisqu'elle se masturbe en même temps. La masturbation qui, « von der Renaissance bis zur Moderne » 248, a toujours été pensée par rapport à l'hystérie comme le rappelle la théoricienne queer espagnole Beatriz Preciado, est ici exposée à la vue de toutes/-s, le verbe argotique et généralement associé à la masturbation masculine (se) branler - qui revient d'ailleurs de manière régulière dans le roman - jouant de nouveau sur une confusion de genre. Le regard de Nadine n'est pas dirigé sur ses deux autres partenaires mais fxé sur les mains de l'homme comme si elle essayait de calquer ses mains sur celles de ce dernier pour mieux sentir le corps de Manu. Ce déplacement du regard crée d'ailleurs un effet d'écho avec le début du roman ou Nadine, assise dans un bar de son quartier « observe la flle en question, elle cherche à la voir avec ses yeux à lui. » 249 Le brouillage des genres passe chez Nadine par une habitude fréquente qui consiste à essayer de se glisser dans la peau de l'homme pour tenter de comprendre ce qu'il pourrait bien se passer dans la tête/dans le corps de ce dernier. Dans le même temps, cette attitude pourrait aussi suggérer une attirance physique et sexuelle de ce personnage envers les femmes. A ce moment-là, Manu se libère de l'homme pour, elle aussi, se masturber : son visage est tourné vers celui de Nadine. La structure syntaxique des phrases caractérisée par une omission récurrente des pronoms personnels et possessifs crée alors un rythme saccadé rappellant de nouveau une séquence de flm 246 DESPENTES,Virginie: King Kong théorie. op. cit. p. 100 - 101. 247 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 203 - 204. 248 PRECIADO, Beatriz: op. cit. p. 79. 249 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 23. - 57 - pornographique. Puis, les regards des deux femmes se croisent jusqu'à plonger dans un état d'extase suggéré par le mouvement du corps de Nadine qui s'abandonne totalement : l'affaissement ainsi que par l'expression solennelle des visages des deux femmes rappellent un état proche de la transe, un état borderline donc car postulant l'idée du côtoiement d'au moins deux mondes parallèles. Dans une dimension plus métaphorique, l'homonymie polyphonique de l'état de transe avec le/la/les trans - désignation familière du transexualisme - inscrit les échanges de regards de Nadine et Manu dans une dimension queer, le désir qui semble s'en échapper venant alors parfaitement traduire l'idée selon laquelle l'identité sexuelle d'un individu n'est aucunement liée à son sexe biologique. Cette interprétation est d'autant plus forte que les femmes en se dégageant physiquement et ce de manière délibérée du sexe de l'homme pulvérisent l'idée selon laquelle seul l'homme serait le générateur du plaisir sexuel féminin. D'ailleurs dans Apocalypse bébé, la bombe sexuelle Valentine va, au contact de l'intégriste catholique Sœur Elisabeth, se faire bombe humaine et, en plus de faire exploser la conception de sexe faible associée à la femme, détruire la conception selon laquelle la véritable sexualité féminine reposerait essentiellement sur l'acte de pénétration comme le rappelle Teresa de Lauretis: La sexualité féminine a été invariablement défnie [...] avec le masculin [...] le « sexe » était synonyme de rapports hétérosexuels et de pénétration principalement.250 Cette attitude est dans le passage ci-dessus de Baise-moi d'autant plus équivoque à travers la double-masturbation à laquelle Manu s'adonne qui, en plus de se lire comme une parodie d'une des séquences clés de la pornographie qu'est la double-pénétration, peut s'interpréter comme une tentative ultime de la femme de réappropriation de son propre corps et de sa sexualité. Celle-ci passe par une attitude décomplexée par rapport à son sexe exprimée tant par le toucher (les doigts de Manu) que par la vue (le voyeurisme mais aussi la réappropriation des codes de la pornographie), une attitude qui culmine dans le double basculement de l'acte sexuel, d'abord hétérosexuel, puis homoérotique avant de se confondre en un acte homosexuel. Autrement dit, en procédant à un déplacement du regard - tant dans une dimension cinématographique que dans l'acte sexuel lui-même - Virginie Despentes tire les femmes de l'aliénation masculiniste et désintègre la conception hétérosexuelle et hiérarchique liée de la sexualité comme dans la scène de cutting d'Apocalypse bébé ou ce n'est plus l'homme mais la 250 DE LAURETIS, Teresa: op. cit. p. 67. - 58 - femme qui pénètre : Je reconnais Zoska, de dos, à l'autre bout du salon, penchée sur un mec torse nu, muscles des épaules et abdos saillants. […] Elle trace lentement un premier trait, sur le haut de son épaule. Une blessure rouge, épaisse, rectiligne, apparait. Il tourne la tête vers elle, son regard est vague, extatique. Il tend sa bouche, elle l'embrasse, langoureuse, puis se redresse et trace un autre trait sous le premier.251 Dans ce passage, le rapport sexuel est certes un rapport hétérosexuel mais celui-ci repose sur une permutabilité des rôles dont le but est la subversion de la hiérarchie politicosociétale dominante. Ici, c'est la femme lesbienne qui domine la situation tandis que son partenaire masculin se laisse faire. C'est elle qui en entaillant l'épaule de l'homme infige la douleur, une douleur qui procure désir et plaisir comme le suggère l'attitude de l'homme, le baiser lesbien réapparaissant d'ailleurs à travers la fgure de Zoska. En outre, il n'est en aucune mesure question de la « substance reine, le sperme »252 mais du sang, un sang totalement sexualisé que Marie-Hélène Bourcier caractérise de « sang lesbien »253 et que, me semble-t-il, Virginie Despentes met en avant dans un rapport hétérosexuel pour contrer de nouveau le primat du fuide séminal masculin et de la pénétration. Si je m'en tiens à l'analyse de Marie-Hélène Bourcier, cette scène est d'ailleurs révélatrice d'une « pénétration lesbienne »254 qui se veut dissociation de « la double séquence de la pénétration masculine (pénétration et éjaculation) »255. En d'autres termes, tandis que dans un rapport hétérosexuel, l'homme/l'actif est celui qui pénètre et éjacule, dans la pénétration lesbienne, décrite ici à travers la scène de cutting, les rôles sont divisés, celle qui coupe pénétrant de manière symbolique sa/son partenaire, le sang de celle-ci/de celui-ci tenant lieu, dans une dimension tout aussi symbolique, d'éjaculation. En pensant la pénétration à travers le sang et non plus à travers l'association traditionnelle pénétration/sperme, les lesbiennes homosexuelles d'Apocalypse bébé prennent alors leurs distances de leurs congénères hétérosexuelles qui elles restent enfermées dans l'association sexe/meurtre. 251 DESPENTES, Virginie: Apocalypse bébé. op. cit. p. 175. 252 BOURCIER, Marie-Hélène: Queer Zones. Politique des identités sexuelles et des savoirs. op. cit. p. 61. 253 Ibid. p. 60. 254 Ibid. p. 62. 255 Ibid. - 59 - II.B.3. Finies les mascara-des! Si dans leur rapport complexe à la violence, les lesbiennes de Virginie Despentes transgressent la division sexuelle traditionnelle des rôles masculins et féminins, elles réussissent aussi le tour de force de contrecarrer l'image de la femme parfaite incarnée dans Baise-moi par Séverine, dans Apocalypse bébé par Claire Galtan et de se livrer, par là-même, à une critique parodistique de la terreur exercée par la société de consommation envers le corps des femmes. A travers ces deux personnages qui, dans leur quête désespérée de l'homme parfait, semblent se faire écho, le corps de la femme est soumis aux canons de la beauté, Séverine se précipitant « à la salle de bain voir la tête qu'elle a » 256 , Claire Galtan « conduite d'autorité [par sa mère] chez un diététicien »257 afn de perdre des kilos pour paraitre plus attirante et trouver ainsi plus rapidement un partenaire/mari. Chez les Galtan, la salle de bain devient même le terrain d'une concurrence, voire d'une véritable guerre cosmétique intrafamiliale et intergénérationnelle qui, à travers le sentiment d'agression que Claire Galtan semble éprouver envers ses flles, illustre parfaitement la pression sociétale à laquelle les femmes, considérées comme de véritables produits de consommation à date de péremption, sont soumises: « T'es vieille, t'es moche alors laisse-nous la belle salle de bain et les produits qui sentent bons, toi ton tour est passé »258 Dans son (Anti-)Éloge du maquillage oder Kosmetische Katastrophen, Martina Stemberger revient justement sur la manière dont Nadine et Manu dans Baise-moi caricaturent « [diesen] Zwang bzw. Arbeitsaspekt des Schönheitsideals » 259. En plus des sobriquets péjoratifs qu'elles se donnent, « la petite »260 pour Manu, « la grosse »261 pour Nadine qui, en mettant en avant leurs défauts physiques, contratsent singulièrement avec les diminutifs que les femmes ont généralement tendance à se donner, les chambres d'hôtels ou Nadine et Manu se retranchent tout au long de leur périple sanglant se transforment en véritables cabinets de l'horreur. Armées de rasoirs, de vernis à ongles et de rouges à lèvres, les deux comparses tentent de se créer une nouvelle identité tout comme Louisa alias Vanessa, la mère de 256 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 8. 257 DESPENTES, Virginie: Apocalypse bébé. op. cit. p. 85. 258 Ibid. p. 103. 259 STEMBERGER, Martina: (Anti-)Éloge du maquillage oder Kosmetische Katastrophen: Baudelaire, Despentes, Darrieusecq. Dans: Grenzgänge. Beiträge zu einer modernen Romanistik. 17/2010. Heft 33. p. 106. 260 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 87. 261 Ibid. p. 90. - 60 - Valentine, qui en se donnant un prénom bien français, tente de cacher ses origines maghrébines qu'elle considère comme un handicap à son intégration sociale : - J'ai rencontré François quand j'avais dix-huit ans. Il en avait treize de plus, il était écrivain en vue, il était amoureux de moi, ça me plaisait... Sa mère n'était pas contente. Ses amis voyaient la chose d'un œil plus conciliant. Ils me parlaient tous de couscous, de l'Orient et de la danse du ventre. […] J'avais déjà changé de prénom, à cause de Vanessa Demouy, et je disais que j'étais Libanaise. Mais ils avaient l'œil. Si vous saviez le nombre de conversations sur les tagines et les cornes de gazelle que j'ai dû tenir dans les diners.[…]262 L'entreprise de camoufage ne porte pour les trois femmes cependant pas ces fruits. Tout comme les origines de la mère de Valentine constamment démasquées, la pose de vernis à ongle se solde par un échec tant cosmétique que social comme le suggère Martina Stemberger par le jeu de mot polyphonique vernis à ongle/vernis social : Der kosmetische und soziale 'vernis', mit dem diese rebellischen Körper überzogen werden, bröckelt innerhalb kürzester Zeit wieder ab: „C'est marrant comme ça va vite pour que t'aies l'air d'une clocharde […] C'est ma vraie nature qui revient au galop.“263 Autrement dit, si le cosmétique est, dans un premier temps, censé estomper les inégalités sociales en permettant aux (anti-)héroïnes de Despentes de se forger une autre apparence, une autre identité, il s'avère en fait renforcer celles-ci tout en révélant l'impuissance sociétale de penser au-delà des catégories. Pour remédier à cet échec, le corps de la femme, et plus particulièrement son intimité, ne sont alors plus confnés à la salle de bain, symbole de l'espace fermé/privé comme l'allusion au western - genre cinématographique s'adressant majoritairement à un public essentiellement masculin - le prouve. Certains n'ont d'ailleurs pas hésité à comparer Baise-moi à « Un Justicier dans la ville avec Charles Bronson, version vagin »264. Manu n'hésite pas en « [p]etite culotte de satin rouge avec de la dentelle noire, très western »265 à apostropher les passant.e.s de sa fenêtre, se promène nue et en talons aiguilles dans la 262 DESPENTES, Virginie: Apocalypse bébé. op. cit. p. 200. 263 STEMBERGER, Martina: (Anti-)Éloge du maquillage oder Kosmetische Katastrophen: Baudelaire, Despentes, Darrieusecq. Dans: Grenzgänge. Beiträge zu einer modernen Romanistik. 17/2010. Heft 33. p. 107. 264 Propos de Yannick Rolandeau, cités dans : LOUAR, Nadia : art. cit. p. 2. 265 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 112. - 61 - chambre, tandis que Nadine, elle, se plait à observer sa congénère qui, porte de la salle de bain ouverte, se fait le maillot. Ici, ce qui était jusqu'à présent caché chez la femme car considéré comme abject devient alors visible. Le sang et la couleur rouge revêtent alors une toute nouvelle dimension. Dans Baise-moi, le chapitre 15 est entièrement dédié au sang des menstruations à travers le personnage de Manu, « the protagonist who consistently takes pleasure in things generally defned as disgusting and polluting »266 selon Shirley Jordan. Le sang, tout comme la couleur rouge auquel ce dernier est associé et qui est, aussi bien dans Baise-moi que dans Apocalypse bébé, décliné sous tous les tons, est un motif queer d'envergure en cela qu'il interroge non seulement le rapport à la féminité, mais aussi et sutout le rapport au naturel sous un angle nouveau. Dans le passage suivant, Nadine découvre Manu en pleine exploration de son corps et de son intimité. Quand elle rentre dans la chambre, Manu est accroupie dans un coin. Elle ne porte que ses hauts talons qui s'enfoncent un peu dans la moquette. Elle regarde attentivement du sang couler d'entre ses jambes, bouge son cul pour faire des trainées. Les tâches rouges sombres restent un moment à la surface, bulles écarlates et brillantes, avant d'imprégner les fbres, s'étaler sur la moquette claire. Nadine s'accroupit en face d'elle, considère sentencieusement le mince flet de pisse rouge très épaisse qui lui sort par saccade plus ou moins généreuses. Dedans, il y a des petits lambeaux plus sombres, comme la crème dans le lait qu'on retient avec la cuillère. Manu joue avec ses mains entre ses jambes. Elle s'est barbouillée de sang jusqu'aux seins. La petite dit: « Ça sent bon dedans, enfn faut aimer. » 267 Cette exploration du corps passe par une description physiologique particulièrement précise. Le sang est ainsi évoqué en référence à trois, voire quatre, des cinq sens - la vue, le toucher, l'odorat, et même le goût au sens fguré du verbe aimer. De même, les dégradés de rouge - du rouge grenat (sombre) au rouge rubis (écarlate et brillant) - ainsi que l'évocation des textures - les bulles, l'épaisseur - donnent à cette description un côté artistique et pictural renforcé plus loin par la comparaison sous-entendue par le terme « spectacle »268. En sculptant son corps avec son propre sang, Manu désacralise ce dernier. En effet, le sang des menstruations, comme le mentionne Shirley Jordan, est pour Manu l'expression d'une « rebellion against authority » 269 - une autorité entretenue notamment selon 266 SHIRLEY, Ann Jordan: art. cit. p. 135. 267 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 152. 268 Ibid. p. 153. 269 SHIRLEY, Ann Jordan: art. cit. p. 135. - 62 - Manu par la famille, socle de la société bourgeoise, qui déclare au sujet de sa mère: Quand j'étais gamine, je faisais exprès de tout tacher pour faire chier ma mère. Elle fait partie de l'ancienne école, ça la fascine pas trop ces trucs-là. Si elle pouvait, elle voterait contre. Ça la rendait complètement malade. 270 L'attitude de la mère de Manu est révélatrice du rapport plus que complexe qu'entretiennent les femmes avec leurs corps, un corps qui, comme on le leur a enseigné, ne doit surtout pas être montré, d'autant plus que le sang des règles est un sang bivalent, un sang « between birth and death »271. En ce sens, la mise en scène du sang par Manu tout en faisant se déliter les frontières de l'indicible, souligne l'ambivalence du sexe de la femme, une femme qui certes donne naissance mais qui peut aussi très bien donner la mort. En redessinant au sang les contours de son propre corps, Manu se dresse contre la conception religieuse de la femme pure ainsi que contre un système politico-sociétal qui défend les privilèges de la bourgeoisie, une bourgeoisie qui se caractérise, à l'instar de l'appartement de l'architecte, par l'ordre, l'équilibre, la pureté soit, en termes de (non-)couleur, par le blanc, le rouge du sang réduisant alors à néant cette vision parfaite de la bourgeoisie : - Putain, c'est tout blanc par terre, ça va faire du bordel quand on va le saigner. 272 La métamorphose picturale de Manu se poursuit, les poses que prend cette dernière rappellant les poses suggestives des actrices et modèles de l'industrie pornographique. En d'autres termes, Manu joue à la muse hypersexuelle et décomplexée, mais le bodypainting auquel elle se livre, vire à la caricature grotesque. La représentation de la femme prend des allures clownesques comme le suggère le participe passé barbouillée. En se faisant cosmétique, le sang révèle le caractère trompeur, hypocrite, de la soi-disant « 'Natürlichkeit' des Körpers »273 à laquelle ces derniers participent et qui ne sont que des mises en scène, des subterfuges prônant une image soi-disant naturelle de la femme tout en faisant ressortir de manière plus qu'explicite l'idée que ce qui est véritablement naturel chez cette dernière a toujours été caché. En d'autres termes, le rapport au sang et au naturel redéfnit la sexualité 270 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 153. 271 SHIRLEY, Ann Jordan: art. cit. p. 135. 272 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 215. 273 STEMBERGER, Martina: (Anti-)Éloge du maquillage oder Kosmetische Katastrophen: Baudelaire, Despentes, Darrieusecq. Dans: Grenzgänge. Beiträge zu einer modernen Romanistik. 17/2010. Heft 33. p. 109. - 63 - du sujet lesbien Comme le souligne Marie-Hélène Bourcier, le rapport au sang chez les lesbiennes est un rapport particulièrement complexe. Si le sida a souvent été - de manière même fortement stigmatisante - associé à la population homosexuelle, le discours préventif s'est surtout concentré sur le facteur de risque que pouvait représenter le sperme, facteur de transmission tant entre les homosexuels qu'entre les hétérosexuel.le.s, le risque lié au sang ayant été quasiment passé sous silence. Or, comme je l'ai montré, la sexualité lesbienne est une sexualité fortement liée au sang. Si dans Baise-moi le risque de contamination au virus du sida n'est pas exprimé de manière explicite, il n'en reste pas moins présent dans la scène de viol ou l'un des violeurs, en déclarant avoir oublié de prendre des préservatifs, suggère par ce comportement éminemment quelconque envers le corps des femmes, l'idée que l'homme hétérosexuel se pense en terme de surhomme, ce dernier se croyant invincible. Dans Apocalypse bébé, au contraire, les lesbiennes sont présentées comme des femmes au comportement sexuel particulièrement responsable comme dans cette scène ou les gants en latex sont synonymes de safe sex274. Une flle debout, que je vois de profl, enfle des gants de latex blanc, qu'elle enduit d'un gel transparent. Elle tient de l'autre main une brune chétive par l'épaule, lui écarte les jambes avec les genoux.275 A cet endroit, Virginie Despentes inscrit donc son écriture dans une démarche pédagogique de sensibilisation au risque. Il s'agit dans ce passage de rendre visible un risque sexuel qui a souvent été pensé en terme d'homosexualité masculine et non en terme d'homosexualité féminine. En outre, cette scène joue sur une ambiguïté qui permet à Virginie Despentes de thématiser la dimension queer de la sexualité lesbienne. En entretenant le doute sur ce rapport sexuel - s'agit-il ici d'une pénétration vaginale ou d'une pénétration anale? -, elle montre à nouveau que la sexualité des lesbiennes est une sexualité qui joue et se joue des codes de l'hétérosexualité à travers un brouillage des codes de genre et des identités ainsi que sur une redéfnition des pratiques sexuelles telle que l'utilisation du bras/de la main, des pratiques qui ouvrent la voie à une nouvelle interpétation de la sexualité lesbienne. Arrivée dans le salon, je crois d'abord halluciner. Un amas de corps nus, éparpillés par groupe, se chevauchent à travers la pièce. […] Une flle à quatre pattes, qui n'a gardé 274 BOURCIER, Marie-Hélène: Queer Zones. Politique des identités sexuelles et des savoirs. op. cit.. p. 56. 275 DESPENTES, Virginie: Apocalypse bébé. op. cit. p. 174. - 64 - que ses bottes en cuir et de petites lunettes rondes à verres rouges, le dos recouvert d'une hache tatouée, se fait prendre par une autre flle, cheveux courts et corps musclé. Elle la pilonne en lui maintenant la nuque collée au sol. Toute sa main et l'avant bras ont disparu dans le ventre de l'autre. 276 Ce passage est au premier abord paradoxal dans la mesure ou, comme je l'ai déjà évoqué, les lesbiennes de Virginie Despentes, par l'inversion des codes de genre et la réappropriation de leur corps et de leur sexualité, récusent dans une certaine mesure l'idée selon laquelle tout acte sexuel aboutit reposerait sur la pénétration. Or, dans cette scène, il y a bien pénétration, le verbe pilonner évoquant de plus la technologie associée à l'industrie métallurgique. Néanmoins, il me semble que le fait qu'une des deux partenaires pénètre l'autre avec son bras/sa main, et non à l'aide d'un objet sexuel propre à la société de consommation comme le fameux godemichet sur lequel Beatriz Preciado revient largement dans son kontrasexuelles manifest, marque le refus de ces deux femmes de considérer le sexe masculin - qu'incarne notamment par son design et sa forme le godemichet - comme la source unique de plaisir sexuel féminin. La non-utilisation de cet objet sexuel, symbole ultime de la société de consommation ou le sexe est pensé comme une technologie Preciado écrit d'ailleurs au sujet du sexe masculin: Der männliche Körper ist durch sein Verhältnis zur Technologie defniert: das « Werkzeug » verlängert ihn, ersetzt ihn sogar. Dem weiblichen Körper ist demgegenüber jede instrumentale Künstlichkeit fremd »277 - pourrait ici être interprété comme la marque d'un refus d'artifcialité et, de ce fait, la reproduction par les lesbiennes de la conception ontologique des sexes hommes/femmes, technologie/nature etc... Ici, en fait, l'utilisation du bras/de la main pourrait se lire comme un phallus lesbien et rejetter de nouveau l'idée d'une sexualité lesbienne construite sur le manque 278. Autrement dit, le lesbianisme chez Virginie Despentes en se détachant, en faisant exploser le cadre des représentations traditionnelles de genre révèle l'imposture-même associée à la notion performative de genre et d'identité. Si les pratiques sadomasochistes auxquelles s'adonnent les lesbiennes de Virginie Despentes peuvent, dans une dimension hétérocentrée être interprétées comme l'expression d'une reproduction « des structures de pouvoir opprimantes »279, l'auteure détourne cette interprétation du sadomasochisme, comme celle d'ailleurs de la violence, en faisant du lesbianisme l'expression d'une sexualité qui dissocie « le genre du sexe 276 DESPENTES, Virginie: Apocalypse bébé. op. cit. p. 174. 277 PRECIADO, Beatriz: op. cit. p. 111. 278 Je renvoie ici à la notion de manque que j'ai déjà évoqué en page 44 de ce travail. 279 Leo Bersani, cité par: BOURCIER, Marie-Hélène: op. cit. p. 69. - 65 - biologique »280. Partie III: Le lesbianisme : de la désintégration à la renaissance Presque 20 ans séparent l'écriture des deux romans de Virginie Despentes et si Baise-moi et Apocalypse bébé se caractérisent par une parallélisme certain, Apocalypse bébé marque chez l'auteure une évolution dans son approche du lesbianisme. Dans Baise-moi comme dans Apocalypse bébé, Virginie Despentes propose donc de redistribuer la carte du genre : ses lesbiennes incarnent des femmes fortes, des femmes qui refusent de subir la domination masculine, des femmes qui prônent le droit de se défendre, de défendre et de reprendre possession de leur corps. En cela, leur combat, qui se traduit par un brouillage récurrent des frontières entre masculin et féminin, tout en dévoilant le subterfuge du système sexe/genre s'inscrit dans une dimension lesbo-féministe qui, comme j'aimerais maintenant le discuter, marque aussi un point de rupture entre les lesbiennes hétérosexuelles et les lesbiennes homosexuelles de Virginie Despentes. Dans La pensée straight, Monique Wittig, féministe française, écrivait en 1992 : Que veut dire « féministe » ? Féministe est formé avec le mot « femme » et veut dire « quelqu'un qui lutte pour les femmes ». Pour beaucoup d'entre nous, cela veut dire « quelqu'un qui lutte pour les femmes et pour la disparition de cette classe ». Pour de nombreuses autres, cela veut dire « quelqu'un qui lutte pour la femme et pour sa défense » - pour le mythe, donc, et son renforcement.281 Ici, deux défnitions du féminisme s'opposent. Tandis que la deuxième défnition s'inscrit dans un combat principalement axé sur la défense des femmes, la première propose de comprendre, d'élever le féminisme au-dessus de la dualité de sexe mais aussi de classe et certainement encore de race même s'il n'est pas encore question de cette catégorie chez Wittig, donc de le placer dans une perspective queer. Or, il me semble que l'on retrouve justement cette dichotomie chez les lesbiennes de Virginie Despentes. En effet, comme je vais m'attacher à le démontrer dans cette dernière partie, alors que ses lesbiennes hétérosexuelles échouent dans leur combat queer du fait de leur radicalité, de leur extrémisme qui va fnalement leur être fatal, ses lesbiennes homo- et 280 Ibid. p. 63. 281 Propos de Monique Wittig, citée dans : JAGODZINSKI, Sarah : Le corps lesbien de Monique Wittig. Dans : http://www.ecritures-modernite.eu/wp-content/uploads/2012/03/SarahWittig.pdf (dernièrement consulté le 07.10.2013) - 66 - bisexuelles proposent elles une véritable alternative queer dans la mesure ou l'apocalypse déclenchée par l'attentat-suicide de Valentine, en entrainant la dispersion, la diffusion du corps lesbien, va aussi agir comme une révélation. III.A. Le lesbianisme ou la fluidité des identités Dans cette dernière partie, j'aimerais montrer que les lesbiennes de Virginie Despentes, à l'instar de Monique Wittig qui déclarait que « la lesbienne n'est pas une femme »282, jouent sur une ambiguïté physique mais aussi sexuelle dont l'objectif est, après avoir levé le voile sur le subterfuge du naturel, de mettre en avant le leurre de l'original283. En cela, l'écriture de Virginie Despentes s'inscrit dans la continuité de la pensée de Judith Butler, théoricienne queer américaine de renom, qui propose : Als politische Strategie, das naturalistische Diktat der Zwangsheterosexualität zu durchkreuzen […] in die performative Wiederholung der Geschlechterrollen eine parodistische Verfremdung zu installieren, um so die Performativität, Fiktivität und Kontigenz der binären Ordnungen des Geschlechts und der Sexualität auszustellen. 284 La culture butch/fem, présente tant dans Baise-moi que dans Apocalypse bébé, joue sur une théâtralité qui, tout en parodiant la performativité du genre, concourt à faire de la lesbienne une fgure au-delà des catégories de sexes, races et milieux, une fgure androgyne, une fgure queer par excellence. Outre la métaphore politico-sociale suggérée par l'interchangeabilité des rôles masculin/féminin, hétérosexuel/homosexuel, blanc/beur, riche/pauvre, je montrerai alors que le lesbianisme s'inscrit dans un horizon queer en cela qu'il tente de redonner au sujet lesbien une véritable liberté individuelle. III.A.1. Culture butch/fem : de la théâtralité à l'androgynie A l'instar de Manu qui dans Baise-moi déclare « [l]es femmes font tellement n'importe quoi de leur corps, on peut se déguiser sans étonner personne. »285, les lesbiennes despentiennes libèrent le corps féminin du carcan dans lequel celui-ci a historiquement été enfermé en recourant à un travestissement vestimentaire qui dans la continuité de la parodie cosmétique contribue à tourner en dérision les codes traditionnels de la féminité, mais aussi ceux de la masculinité. La métamorphose physique des deux comparses de Baise-moi qui prend forme 282 Propos de Monique Wittig, citée dans : JAGODZINSKI, Sarah : art. cit. 283 BUTLER, Judith: op. cit. p. 260. 284 Judith Butler, citée par: KRASS, Andreas: op. cit. p. 20. 285 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 147. - 67 - au fur et à mesure de leur périple sanglant ne passe pas seulement par le cosmétique mais aussi par une réappropriation d'accessoires traditionnellement masculins, le meurtre de l'architecte vers la fn du roman marquant d'ailleurs l'ultime transformation de Nadine: Nadine a emprunté un costard noir d'été à l'architecte, chemise blanche et cravate mal nouée. Les chaussures lui sont trop grandes, elle enfle des baskets. Elle s'est repassée les sourcils au crayon noir. Ressemble vraiment à un mec avec ses cheveux courts et s'étonne de ne pas y avoir pensé plus tôt.286 La fgure de Nadine n'est pas sans rappeler celle de la Hyène. Les deux femmes, en pratiquant consciemment les codes de la masculinité de par leurs tenues vestimentaires, leurs accessoires et leur allure performent le genre en en revisitant les codes à la manière de la culture butch/fem ou la lesbienne butch est l'incarnation de la lesbienne masculine, la lesbienne fem, son pendant féminin. A l'instar de Nadine et de la Hyène, un autre personnage féminin de Baise-moi, celui de Fatima, s'inscrit lui-aussi dans la dimension queer de la lesbienne butch. La description physique de Fatima joue elle aussi sur les codes de la masculinité tant en ce qui concerne son allure générale que sa démarche. De même, la focalisation externe qui, dans une approche cinématographique s'accompagne d'un zoom avant sur Fatima, rappelle un personnage de flm d'action tout droit sorti du brouillard et qui semble se diriger vers le spectateur. Ici, Fatima se dirige vers ses victimes pour les abattre. L'enchainement rapide et très mécanique du meurtre des policiers fait de ce personnage une fgure asexuée, une femme qui s'exécute à la manière d'un robot, impression renforcée par le rythme abrupt des phrases ainsi que par l'absence des pronoms personnels et de verbes : Stan Smith et bomber noir, les cheveux très longs et brillants dans le noir. Rien que sa façon de marcher en impose. Crédible d'entrée de jeu dans son rôle d'amazone urbaine. Retourne le premier corps sur le dos du bout du pied. Puis shoote dans la tête comme au foot en prenant un peu d'élan. Elle regarde l'autre corps, attentivement et seulement alors lève les yeux sur Manu.287 Si Nadine, la Hyène et Fatima sont, parmi les lesbiennes de Virginie Despentes, celles qui incarnent par excellence les butch, Manu, dans Baise-moi est l'incarnation même de la 286 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 232. 287 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 166. - 68 - lesbienne fem dans sa façon pour le moins exagérée de se mettre du rouge à lèvre. De plus, le travestissement suggéré par le code vestimentaire ultra-féminin de certaines lesbiennes d'Apocalypse bébé - l'une est décrite comme « la fée Clochette »288 (allusion au personnage de la fée Wendy dans le roman Peter Pan de J. M. Barrie), une autre encore comme la représentation par excellence de la femme-vampe, de la femme élégante car vêtue d'une « robe de soirée »289 - est une véritable mise en scène qui relèvent de la théatralité et dont le but est de par l'imitation des codes de genre non seulement de jouer sur un brouillage des identités hommes/femmes mais surtout de poser la question, comme le suggère Judith Butler, du « rapport entre l' "imitation" et l' "original" »290. Il s'agit, au demeurant, d'une stratégie visant à dénoncer mais aussi à déstabiliser le caractère lui-même performatif des savoirs/pouvoirs sur lesquels la société et les représentations identitaires des individus au sein de celle-ci se sont historiquement construites. Ainsi, si dans une conception hétéronormative, la culture butch/fem est souvent interprétée comme l'expression d'une catégorisation ou les deux partenaires de même sexe ne feraient que reproduire la « dynamique ordinaire du couple »291 dans la mesure ou le travestissement induirait de nouveau une représentation ontologique des sexes, Virginie Despentes se sert de ce dernier pour mettre en évidence l'imposture du genre. Tout comme le rapport de ses (anti-)héroïnes lesbiennes aux cosmétiques a permis de mettre en lumière la conception factice du naturel en démontrant la manière dont le corps des femmes a, de tout temps, été manipulé, le jeu de l'imitation mis en avant par le couple butch/fem est ici censé illustrer par la théâtralité, la parodie, l'exagération l'idée selon laquelle les identités soi-disants masculine et féminine qui nous paraissent si naturelles, si originelles sont en fait pour reprendre les termes de Judith Butler des « copie[s] »292qui « révèle[nt] que l'identité originale à partir de laquelle le genre se construit est une imitation sans original »293. En ce sens, la culture butch/fem dévoile la fuidité des identités en jouant sur une désintégration parodique du système sexe/genre, une désintégration axée sur l'imitation de productions et de structures qui, comme la notion de couple ou de masculin/féminin ont été érigées comme des « vérités »294. En outre, l'interchangeabilité des rôles qui caractérise la culture butch/fem ouvre une alternative nouvelle quant à la compréhension de la fgure de la lesbienne et du lesbianisme. 288 DESPENTES, Virginie: Apocalypse bébé. op. cit. p. 174. 289 Ibid. 290 BUTLER, Judith: op. cit. p. 260. 291 BOURCIER, Marie-Hélène: op. cit. p. 67. 292 BUTLER, Judith: op. cit. p. 262. 293 Ibid. p. 261. 294 FOUCAULT, Michel: op. cit. p. 76. - 69 - J'ai déjà eu l'occasion dans la deuxième partie de ce travail d'évoquer le fait que les lesbiennes de Virginie Despentes jouent, notamment dans leur appropriation du langage masculin, sur un brouillage de genre. Or, si les lesbiennes hétérosexuelles s'adonnent à la récupération d'un jargon masculin vulgaire qui au fnal ne fait que reproduite le confit entre les sexes, Despentes cultive un tout autre type de rhétorique dans Apocalypse bébé à travers le personnage de la Hyène. Au premier abord, la Hyène s'exprime comme un homme. Néanmoins sa récupération du langage masculin est d'autant plus troublante que l'usage du genre grammatical féminin à l'adresse de l'un des membres masculins du groupe de Panique Dans Ton Cul, comme le laisse entrevoir le passage ci-dessous, opère un retournement de situation. Celui-ci en plus de désintégrer l'imaginaire lié à l'homme actif, fort et dominant « enlève le privilège de l'universalité au genre masculin »295 dans la mesure ou le basculement grammatical impliqué par l'emploi du féminin crée un déplacement - une dépossession même - de l'autorité masculine. - Ecoute, connasse, je viens de te le dire: on va pas y passer la soirée. T'as un concert, on a de la route, le plus simple c'est que tu fasses vite. Tu doutes encore cinq minutes et je t'ouvre l'anus avec mon poing. Tu sais que je vais te faire super mal quand je vais te fster jusqu'au coude? Tu veux essayer?296 Dans ce passage, un second privilège masculin - celui de la pénétration anale suggérée sous forme de menace de par l'allusion à l'acte sexuel sadomasochiste qu'est le fst fucking - vient parfaire la désintégration du système sexe/genre. Autrement dit, la Hyène poursuit le brouillage de genre déjà existant dans Baise-moi en jouant sur une hybridité non seulement du langage mais aussi sexuelle. Alors que dans Baise-moi, Manu proposait à Nadine de « se faire pousser les couilles »297 comme une femme se laisserait pousser les cheveux, l'expression venant fnalement confrmer le système binaire dans lequel les deux femmes sont enfermées, l'ambiguïté sexuelle, même si elle est suggérée par le prénom mixte de Manu dans Baise-moi, atteint dans Apocalypse bébé un paroxysme exprimé entre autres dans le rapport anthropomorphique de la lesbienne à l'animal du même nom : La femelle est toujours plus grande et plus forte que les mâles, à cause d'un apport en testostérone surélevé chez celle-ci, mais on n'en connait pas la raison. Les femelles ont 295 JAGODZINSKI, Sarah : art. cit. 296 DESPENTES, Virginie: Apocalypse bébé. op. cit. p. 133. 297 Ibid. p. 197. - 70 - un clitoris très développé ressemblant à un pénis. Cette particularité anatomique et l'organisation matriarcale des hyènes sont déterminantes d'un confit sexuel dont les femelles sortiraient gagnantes.298 Outre le fait que les lesbiennes de l'auteure sont plus fortes que les hommes, la Hyène, décrite par Lucie comme ayant une « force phénoménale »299, joue sur une ambiguïté qui repose sur une hybridation des identités sexuelles masculine et féminine : - C'est vrai que c'est Kromag qui t'a appelée la Hyène? - Non, je m'appelais déjà comme ça quand j'ai commencé à taffer. C'est parce que j'ai un énorme clit.300 On retrouve certes cette même image dans Baise-moi à travers la musique punk qui jaillit des écouteurs de Nadine « Her clit was so big, she didn't need no ball »301 ou à nouveau la description de l'organe sexuel de la femme qu'est le clitoris est évoqué en termes de taille. Bien que ces allusions à la taille démesurée du clitoris me semblent aussi pouvoir être comprises comme une critique ironique implicite à l'égard des hommes et de l'obsession que ces derniers entretiennent avec la taille de leur pénis, la Hyène dans Apocalypse bébé tout comme Nadine et Manu dans Baise-moi se transforment en véritables androgynes, incarnations de la désintégration du corps genré et, ainsi, de la hiérarchie constitutive de la société. En ce sens, la lesbienne se fait fgure de l'entre-deux : femme-vampire mi-vivante mi-morte, femme mi-humaine mi-animale, et fnalement fgure hybride mi-femme mihomme. Ainsi, qu'elles soient hétérosexuelles ou homosexuelles, blanches ou beurs, issues d'un milieu aisé ou défavorisé, les lesbiennes de Virginie Despentes se plaisent à réduire à néant les codes de genre. Mais, tandis que ses lesbiennes hétérosexuelles inscrivent leur combat dans une inversion des codes de la masculinité et de la féminité, ses lesbiennes homosexuelles et bisexuelles, elles, plutôt que de choisir la confrontation, préfèrent une véritable confusion de genre et d'identité pour proposer une véritable alternative politicosociale. 298 Article sur les hyènes, cité dans http://fr.wikipedia.org/wiki/Hyaenidae (dernièrement consulté le 18 septembre 2013). 299 DESPENTES, Virginie: Apocalypse bébé. op. cit. p. 132. 300 DESPENTES, Virginie: Apocalypse bébé. op. cit. p. 122. 301 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 134. - 71 - III.A.2. La liberté retrouvée du sujet lesbien Aussi, si dans la deuxième partie de ce travail, je me suis attachée à démontrer dans quelle mesure les lesbiennes despentiennes tentent de redéfnir la sexualité féminine en s'émancipant du sexe de l'homme et de la pénétration, les lesbiennes homosexuelles d'Apocalypse bébé mais surtout le personnage de Lucie, à travers sa relation à Zoska, ouvrent une troisième voie - encore plus personnelle - de compréhension du lesbianisme. Contrairement aux lesbiennes hétérosexuelles, la position de Lucie est beaucoup moins radicale et s'inscrit dans une métamorphose progressive, graduelle qui ne s'exprime plus en termes de violence. Si la description des flles par Lucie n'est pas sans rappeler de nouveau le cliché lié au comportement des hommes dans le milieu du sport, et plus particulièrement dans les vestiaires après le match, son attitude, proche du voyeurisme d'ailleurs comme le suggère la focalisation interne des scènes d'orgies sexuelles, met en avant la transformation sexo-identitaire de ce personnnage qui, du dégoût au trouble puis à la curiosité, fnit par éprouver un certain désir envers ses congénères féminines : - J'ai pas l'habitude des partouzes. Et je t'arrête tout de suite: qu'elles soient gouines ou polygenrées, c'est pareil, c'est pas mon truc. J'étais un peu mal à l'aise, oui. […]302 Les flles ne sont pas gênées, entre elles, de ce qui s'est passé la veille. Elles se congratulent, se tapent dans le dos, s'embrassent dans le cou, se prennent par l'épaule. […] Finalement, je regrette de m'être éclipsée aussi tôt, j'aimerais bien savoir ce qu'elles ont fait ensuite. […]303 Elle [Zoska] me fxe un moment, avec intensité, sans sourire, reporte son attention sur la petite blonde en face d'elle. Je me souviens d'elle, la veille, penchée sur un bras sur lequel elle dessinait des traits au scalpel. Une morsure de peur, dans mon ventre, se mêle à un désir brutal.304 Le regard échangé dans cette scène entre Lucie et Zoska est annonciateur du basculement sexuel de Lucie. Il est d'ailleurs renforcé par le caractère grave et profond sous-entendu par le fait que les deux femmes se regardent sans se sourire, motif déjà présent chez Manu et Nadine dans Baise-moi, et qui, entre ces deux personnages d'Apocalypse bébé, s'annonce comme le prélude à une remise en question identitaire de Lucie laquelle, comme le montre la citation suivante, passe par un retour sur soi-même exprimé ici par un effet de miroir 302 DESPENTES, Virginie: Apocalypse bébé. op. cit. p. 223 303 Ibid. p. 228 - 229 304 Ibid p. 233. - 72 - transparaissant au demeurant dans la structure binaire des phrases, une binarité qui repose sur l'alternance Je/Elle et qui suggère une fuidité, une complémentarité, une harmonie entre ces deux corps. Celle-ci est exprimée ici par l'adverbe en boucle et va jusqu'à se confondre totalement dans la désintégration non seulement de la notion de limites, mais aussi dans celle de fn : Je suis attentive à son dos, son corps contre le mien. Pouvoir glisser mes mains contre son ventre en prétendant avoir peur de tomber sufft à mon bonheur. […] Je me dis que c'est bon comme d'avoir quatorze ans. Mais c'est faux. Jamais ça n'a été doux comme ça, avoir quatorze ans. Au contraire, c'était dur et aride, c'était le pire moment de ma vie. Je n'ai jamais été une petite princesse. […] On a baisé jusqu'à ce que l'aube la fasse rouler sur le côté, fermer les yeux et me laisser ne pas dormir. C'était réfexif: je la touche, et je sens dans mon corps ce que je lui fais; elle porte la main sur moi et c'est dans ma propre peau que je sens la sienne quand je la touche, les limites sont foutées, nos épidermes sont en boucles. […] Un tempo différent de celui que je connaissais, qui n'a pas de fn, se déroule sur une rythmique différente. 305 Dans ce passage, c'est une véritable fusion du corps des femmes, exprimé par la réfexivité, qui se manifeste. Au contact de l'Autre qu'est Zoska, Lucie inscrit alors le lesbianisme dans une redécouverte de son propre corps. L'expérience homosexuelle, décrite en termes de sérénité, de bien-être comme le souligne l'adjectif doux redéfnit la notion de plaisir féminin lequel est, dans un rapport hétérosexuel, décrit en des termes beaucoup plus mécaniques: les adjectifs dur et aride renvoyant à un acte sexuel rigide, autoritaire, dépersonnalisant même. Le fait que Lucie compare sa nuit passée avec Zoska à ses quatorze ans, à l'adolescence donc - période de découverte du corps, phase des changements corporels et des premières expériences sexuelles et période aussi ou l'on fait comme les autres pour rentrer dans la norme - sert ici à renforcer l'idée selon laquelle l'acte hétérosexuel, présenté pour la femme comme étant l'étreinte parfaite, le coït absolu, participe d'une imposture. En d'autres termes, l'expérience homosexuelle est présentée comme la posssibilité de dépasser, de s'émanciper du caractère soi-disant naturel de l'hétérosexualité. C'est d'ailleurs l'avis de la Hyène qui se plait, par l'ironie, à comparer l'hétérosexualité à la captivité lors d'une conversation avec Lucie ou celle-ci lui admet avoir vécu sa première expérience homosexuelle. 305 DESPENTES, Virginie: Apocalypse bébé. op. cit. p. 294 et 296. - 73 - [C]rois-moi, tu es en train de vivre le plus beau moment de ta vie: l'hétérosexualité, c'est aussi naturel que l'enclos électrique dans lequel on parque les vaches. A partir de maintenant, ma grande, bienvenue dans les grands espaces.306 En ce sens, Lucie est un personnage queer crucial dans l'œuvre de Virginie Depentes : c'est elle, en effet, qui dépasse, qui brise littéralement la binarité des catégories hétérosexuelité/homosexualité. Certes, le lesbianisme est l'expression, pour reprendre les termes de Marie-Hélène Bourcier, d'« une contre production de plaisir [...] qui vise à se défaire du sexe comme technologie de domination hétérosociale » 307 mais tout comme l'hybridité, l'androgynité physico-sexuelle de la Hyène tout comme de Fatima d'ailleurs, la bisexualité de Lucie participe d'un transcendement des catégories censé illustrer l'hétérogénéité et la fuidité de l'identité. En jouant sur un brouillage à multiples niveaux des codes de genre, la sexualité féminine, tout comme masculine d'ailleurs puisque les hommes sont aussi présents dans les scènes d'orgies d'Apocalypse bébé, s'ouvre, se libère, devient mouvante. Elle n'est plus confnée à une dynamique binaire dont le but ultime et sous-jacent serait la reproduction mais devient la manifestation d'une interprétation nouvelle des désirs et plaisirs et d'un mélange de genres qui repose sur l'idée que l'individu ne peut se concevoir, se penser en termes de catégorie mais en terme de processus, un processus actif, poreux, ouvert qui repose sur le changement, le mouvement, la transformation perpétuelle. Aussi, si tout au long de leur périple meurtrier, Nadine et Manu sèment la terreur, il n'en reste pas moins que l'entreprise queer des deux (anti-)héroïnes de Baise-moi, comme d'ailleurs de Valentine dans Apocalypse bébé, mène à une impasse. En fait, dans Baise-moi comme dans Apocalypse bébé, le combat mené par les lesbiennes hétérosexuelles que sont Nadine, Manu et Valentine est un double échec : d'un côté la mort/l'arrestation des révoltées, de l'autre côté le renforcement notoire du pouvoir dominant. Alors que Manu se fait tuer au cours d'un braquage - une mort d'ailleurs évoquée de manière prémonitoire à travers la position que celle-ci adopte pendant son sommeil, Nadine l'observant « étendue sur le lit, les bras en croix »308 ce qui rappelle certes la femme-vampire mais aussi la vision funeste d'un corps - Nadine se fait arrêter par la police et Valentine, en faisant exploser le Palais Royal, met en branle un système supra-national et ultra-repressif de surveillance qui n'est pas sans rappeler le programme de surveillance électronique américain PRISM mis en place sous l'ère de Geroges W. Bush après les attentats du 11 septembre 2001 et qui a 306 Ibid. p. 300. 307 BOURCIER, Marie-Hélène: op. cit. p. 69. 308 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 134. - 74 - récemment été révélé par Edward Snowden 309 : On allait se rendre compte qu'internet n'est pas si diffcle que ça à contrôler, fnalement, pour peu que les gouvernements soient motivés. Et sur le cas de Valentine, ils allaient tous tomber d'accord, de la Pologne à la Chine en passant par la Syrie, l'Egypte ou Israël : ça ne servait à rien de laisser cette gamine déclamer ses saletés sur le web. Peur de la contagion ? Possible. […] Tous les États du monde s'étaient dotés d'un arsenal législatif qui convenait parfaitement à la situation. Même le Venezuela avait suivi le mouvement.310 Certes, ces lesbiennes par leur guerre ouverte envers la société tentent de détruire l'ordre binaire et oppressant hommes/femmes, hétérosexuel.le/homosexuel.le, riche/pauvre, blanc/beur, sur lequel la société repose, mais leur révolte queer connait ses limites puisqu'elles ne font fnalement que renverser le rapport de domination sans proposer véritablement d'alternatives pour dépasser un système sociétal dualiste et essentialiste. Bien sûr, cette véritable explosion de la chair, du corps de Valentine peut se lire comme l'éclatement du corps hétérosexuel par excellence, néanmoins sa résonnance est limitée dans la mesure ou, tout comme chez Nadine et Manu, leur révolte s'inscrit surtout dans une revanche sociale qui ne repose en fait que sur la fameuse loi du talion. A l'instar de la devise Œil pour œil, dent pour dent ces lesbiennes ne font en fait que reproduire avec les hommes ce que ces derniers leur font subir depuis des siècles. Aussi, les lesbiennes hétérosexuelles œuvrent dans une dynamique queer mais une dynamique queer restreinte puisque leurs actions meurtrières/terroristes tout en voulant servir la cause féminine s'enlisent dans une binarité qui leur est, à elles aussi, fatale. Ici, l'analyse narratologique des deux romans de Virginie Despentes vient elle aussi, me semble-t-il, appuyer ce constat. Dans Baise-moi le récit principalement hétérodiégétique suggère une mise à distance de la radicalité des actions de Nadine et Manu : le lectorat - même féminin - ne peut que diffcilement éprouver de l'empathie envers la radicalité sanglante des deux femmes, d'autant plus que les deux comparses sont incapables de mettre des mots sur leur combat : - Putain, on a pas le sens de la formule, on a pas la bonne réplique au bon moment. - On a eu les bons gestes, c'est déjà un début. 309 http://fr.wikipedia.org/wiki/PRISM_(programme_de_surveillance) (dernièrement consulté le 11 octobre 2013) 310 DESPENTES, Virginie: Apocalypse bébé. op. cit. p. 362. - 75 - - Ouais, mais maintenant que c'est mon tour de piste je préfèrerais soigner ça. [...] Merde, on est en plein dans le crucial, faudrait que les dialogues soient à la hauteur. Moi, tu vois, je crois pas au fond sans la forme.311 À la recherche de la bonne réplique, Nadine et Manu dénoncent certes à nouveau le fait que les dialogues habituellement réservés aux femmes ne conviennent aucunement à leur situation pour le moins extra-ordinaire, mais constatent fnalement surtout leur incapacité à expliquer la raison de leurs actions. Contrairement à Baise-moi, le récit autodiégétique qui caractérise Apocalypse bébé permet au lectorat de suivre de près, d'être au cœur même de l'enquête de Lucie et de la Hyène, une enquête qui devient quête pour Lucie à travers sa évolution identitaire et auquel le lectorat assiste pour ainsi dire de l'intérieur, ce choix narratologique pouvant ici se comprendre comme une stratégie d'identifcation sexopolitico-sociale du lectorat au personnage principal. Au fnal, les corps des lesbiennes hétérosexuelles dans Baise-moi et Apocalypse bébé se font à, proprement parler, desintégrer : Manu est pratiquement décapitée par le coup de revolver qu'elle reçoit en plein cou, Valentine est réduite à néant sous l'effet de l'explosion de sa bombe et le corps de Nadine, arrêtée par la police, va, en prison, être littéralement isolé. Même le destin de Fatima semble être scellé d'avance : les diamants qu'elle et son frère ont obtenu de Nadine ne changeront rien à leurs conditions de vie comme ses pensées – au discours indirect libre - le suggèrent : Elle va partir avec son frère, avec l'argent des diams. Elle sait qu'on les rattrapera. Même pas forcément la loi, mais sa logique à elle. Elle crèvera comme une chienne, elle peut se démener comme une furie, elle crèvera comme une chienne. Parce qu'elle a ça dans le sang, elle est taillée pour la misère. Sa gueule dans son propre sang et chaque histoire fnira mal.312 Autrement dit, la guerre ouverte des femmes/lesbiennes hétérosexuelles est une guerre perdue d'avance. La symploque elle crèvera comme une chienne - le qualifcatif chienne qui est aussi le titre d'un autre roman de Virginie Despentes Les chiennes savantes, allusion à la célèbre pièce Les femmes savantes de Molière - renforce, insiste même sur ce combat perdu d'avance, le destin de ces femmes étant scellé dès leur naissance. Parallèlement à ces (anti-)héroïnes hétérosexuelles, la structure ouverte de la fn 311 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 121. 312 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 245. - 76 - d'Apocalypse bébé suggère d'autres possibilités d'interprétation quant au devenir du sujet lesbien. L'attentat suicide du Palais Royal semble au premier abord dessiner un avenir très incertain pour les lesbiennes, un retour même dans le hors champ. De la Hyène, Lucie n'a plus entendu parler depuis que Valentine est retournée chez son père et la multiplicité des informations qu'elle fnit par obtenir de Zoska tend à instaurer le fou, à faire se réveiller l'idée de la lesbienne créature mythique, stratagème entretenu par la répression organisée des États pour contraindre leurs ennemis au silence : Elle [Zoska] me rapporte les échos du dehors. Ce qu'elle entend dire, ce qu'elle trouve sur internet. Selon les contes et les régions, la Hyène est au Chiapas, elle est à Gaza, elle est en prison en Ukraine, elle est morte à Chicago, elle travaille à Saint-Jean-deLuz. On raconte même qu'on l'a vue dans un couvent, au Mexique. 313 Même Lucie, suite à l'attentat, est amenée à s'enfuir, à s'évanouir dans la nature telle une fugitive, à franchir les frontières de la clandestinité pour ne pas se faire arrêter. Rejointe par Zoska, elle se fait totalement relooker par son amie pour brouiller les éventuelles pistes qui permettraient de la découvrir. Or, cette disparition de la Hyène ainsi que le retour à la nature de Lucie peuvent, dans une perspective queer, être lus comme l'idée d'une désintégration, d'une diffusion physique du corps genré. Autrement dit, à travers ses lesbiennes bi- et homosexuelles, Virginie Despentes montre que le corps, avec lui la sexualié et de ce fait l'identité d'un individu, ne peuvent être considérés comme des catégories fgées et inébranlables. Au contraire, leur diffusion suggère qu'il s'agit de concepts en perpétuel mouvement, libres de toutes attaches : J'ai [Lucie] perdu mon identité. Tout ce que j'étais, avant, et que je tenais pour pas grand-chose. Je me suis diffusée dans l'espace. 314 […] Je n'ai plus peur qu'on me reconnaisse: moi-même, quand je me vois dans une glace, je n'ai plus l'impression d'être moi. Mon expression s'est transformée.315 Aussi, à la manière du phœnix, cet oiseau mythologique qui renait de ses cendres, ce qui est pour Lucie vécu tout d'abord comme une perte d'identité - identité corporelle, physique mais aussi identité sexuelle - est alors la possibilité d'une libération ultime, d'une véritable 313 DESPENTES, Virginie: Apocalypse bébé. op. cit. p. 375. 314 Ibid. p. 373. 315 Ibid. p. 375. - 77 - renaissance. En se diffusant, corps et sujet lesbien sortent alors de « l'espace duel [pour aller] vers le monde des multiples possibles »316. En cela, la lesbienne et par là même le lesbianisme sont l'incarnation et l'expression d'une invitation à la liberté individuelle. La vérité, loin d'être celle à laquelle l'on voudrait absolument nous faire croire, dans laquelle l'on cherche à nous cloisonner, à nous catégoriser, n'existe pas. Au fnal, c'est à chacun de choisir la voie qui lui convient, de choisir sa propre vérité : Comme moi, elle a choisi de se raconter une histoire à laquelle elle peut croire, parce qu'elle ne connaitra jamais la vérité. […] La vérité, je ne la connaitrai jamais.317 316 JAGODZINSKI, Sarah : Le corps lesbien de Monique Wittig. Dans : http://www.ecritures-modernite.eu/wpcontent/uploads/2012/03/SarahWittig.pdf (dernièrement consulté le 12 octobre 2013) 317 DESPENTES, Virginie: Apocalypse bébé. op. cit. p. 376. - 78 - Conclusion Virginie Despentes est certainement l'une des écrivaines contemporaines les plus récriées de la scène littéraire française de ces vingt dernières années. C'est tout du moins le scandale déclenché par l'adaptation cinématographique de son livre Baise-moi (1993) qui a contribué à lui faire cette réputation sulfureuse. Avec la publication en 2010 d'Apocalypse bébé, on a pu lire que l'auteure s'était « assagie »318 : son dernier opus est certes moins violent, moins virulent que son tout premier mais le propos reste principalement le même. Il est même d'autant plus actuel que la société française est fnalement bien conservatrice lorsqu'il est question des rapports entre les sexes, entre les classes/milieux sociaux et entre les races/origines, comme le récent débat plus que houleux à propos du mariage pour tous ainsi d'ailleurs que les débats autour de la fameuse identité nationale de l'ère Sarkozy l'ont démontré. La lesbienne est un personnage récurrent dans l'œuvre de Virginie Despentes mais sur laquelle peu a encore été écrit. Comme Marie-Hélène Bourcier le souligne, les (anti-)héroïnes de Despentes, parce qu'elles sont loin de correspondre à l'éternel féminin du fait notamment de leur violence à l'égard entre autres de la gent masculine, ont souvent été considérées comme des lesbiennes, des femmes donc qui haïssent les hommes319. Or, il me semble que s'intéresser à la lesbienne, c'est tenter de cerner l'écriture de Virginie Despentes sous un autre jour. Aussi, dans ce travail, j'ai tenté d'aborder toute la complexité liée à la défnition de ce personnage récurrent en mettant en avant son potentiel queer et par là même celui de l'écriture de Virginie Despentes. En prenant alors en compte les critères essentiels de la théorie Queer que sont le sexe, le milieu et la race, j'ai montré que les (anti-)héroïnes de Virginie Despentes sont que(e)r au sens ou elles sont en travers de la société : invisibles, elles vivent pour la plupart dans des conditions misérables et ne connaissent aucune reconnaissance. La multiplicité et la brutalité des formes de révoltes qui caractérisent les actions de Manu, Nadine, Fatima, Valentine, la Hyène et Lucie font de ces (anti-)héroïnes des lesbiennes qui, opprimées, tentent alors de faire barrage à la conception essentialisante qui défnit la femme comme le sexe faible, l'homme comme le sexe fort. Dans une perspective historique, les (anti-)héroïnes 318 ARTUS, Hubert: « Apocalypse bébé » de Virginie Despentes prix Renaudot 2010. Dans: Le nouvel Observateur/Cabinet de lecture. 08.11.2010. URL: http://blogs.rue89.com/cabinet-de-lecture/2010/09/19/avecapocalypse-bebe-virginie-despentes-sassagit-167316 (dernièrement consulté le 18 octobre 2013) 319 la presse française, citée par BOURCIER, Marie-Hélène: Queer Zones. Politique des identités sexuelles et des savoirs. Paris: Editions Amsterdam 2006. p. 14. - 79 - sont donc des lesbiennes, des femmes qui se dressent contre les prescriptions et les exigences liées à leur sexe, lesquelles ont été mises en place et institutionnalisées par et pour les hommes dès la fn du XVIème siècle afn d'assurer leur suprématie. Ainsi, la rébellion de ces femmes est principalement dirigée contre la société bourgeoise masculinohétérocentrique. Les lesbiennes de Despentes, tout en dénonçant les privilèges de la classe supérieure qui passe toujours « au travers »320, qui réussit toujours à se tirer de toutes les situations, sortent alors les opprimées du hors champ, de l'invisibilité dans laquelle on essaie par tous les moyens de les y maintenir car elles ne correspondent pas à l'image de la vraie femme. L'auteure renverse sexuellement l'ordre sociétal hautement normé. Elle inverse les divers rapports de force hommes/femmes, hétérosexualité/homosexualité, blanc/beur, riche/pauvre, annulant alors la puissance masculine en faisant des lesbiennes les in(ve-)stigatrices de leurs propres histoires. En jouant sur la conception médicale du gender inversion, Despentes, de par la polyphonie des voix qui caractérise ses romans, passe alors au crible les discours sur les stéréotypes associés aux imaginaires des populations du hors champ, des femmes aux homosexuel.les en passant par les personnages racialisés. De la folie aux conduites sexuelles déviantes/queer en passant par la maladie contagieuse, elle dévoile alors l'entreprise historique de normalisation des individus et l'instauration de vérités reposant notamment sur le système hétérosexuel et matrimonial bourgeois. La violence physique, langagière et sexuelle qui caractérise ses lesbiennes crée alors un brouillage des codes de genre qui aboutit au transcendement des conceptions ultra-genrées de la masculinité et de la féminité ainsi qu'à une critique du féminisme bourgeois qui participe par son discours victimisant à faire le jeu de l'essentialisme et de la domination masculine. Autrement dit, les lesbiennes font exploser le cadre ontologique des représentations sexuelles et identitaires. Le discours post-porn de Despentes que celle-ci met en avant en détournant, en se réappropriant, en redéfnissant même les codes de l'entreprise cinématographique et notamment ceux de l'industrie pornographique, prône l'autonomie sexuelle des femmes : le sujet lesbien s'émancipe du regard masculin, la lesbienne en multipliant les postures sexuelles libère le corps hisoriquement reproductif et maternel de la femme, allant même jusqu'à faire littéralement exploser la suprématie de la pénétration comme le véritable et unique rapport sexuel. Mais la violence de ses lesbiennes en se constituant en écho à celle des hommes ne peut porter ses fruits. Elle ne mène en effet 320 DESPENTES, Virginie: Baise-moi. op. cit. p. 224. - 80 - qu'à la destruction, elle ne propose pas d'alternative politiquement et socialement envisageable mais fnit non seulement par être fatale aux femmes elles-mêmes mais aussi et surtout à renforcer les structures du système dominant, à restreindre fnalement les libertés individuelles en intensifant les mesures de contrôle. Il n'empêche : les lesbiennes, tout au long de leur (en-)quête, ne cessent de jouer la carte de l'original(-ité), la culture butch/fem mettant alors en évidence la performativité, la fctionnalité et au fnal l'imposture et la rigidité du système sexe/genre. L'approche subversivo-parodique du lesbianisme lève le voile sur tous les subterfuges de la société hétérocentrée : la technologie de genre qui, selon Teresa de Lauretis, assomme les individus de propogande sexo-identitaire, l'idée du corps naturel de la femme versus le corps technique/technologique de l'homme, l'hétérosexualité comme système socio-culturel originel. Le lesbianisme pense non seulement le rapport sexuel en termes de libération et, au-delà, met surtout en évidence le fait que l'identité d'un individu n'est pas défnitive et ne peut se résumer au sexe biologique. Au contraire, elle est mouvante, en transformation constante, ouverte. En ce sens, le lesbianisme libère le corps et le sujet lesbien des dictats austères de la société. Il est ainsi une quête profonde du Soi mais aussi une métaphore politico-sociale qui tente de repenser le rapport à l'Autre en s'ouvrant à la multiplicité des individus. A la lumière de cette réfexion, il est évident que les lesbiennes de Virginie Despentes illustrent parfaitement sa pensée queer. En mettant en lumière les antagonismes qui gangrènent la société française, elles inscrivent leur combat dans une lutte émancipatoire : il s'agit de faire tomber ce système de castes tant sexuel, que social et racial et de plaider pour une société plus tolérante, plus ouverte envers l'Autre et envers soi-même, quelle que soit l'orientation sexuelle, l'origine sociale et/ou culturelle. L'écriture de Virginie Despentes est une écriture militante, le lesbianisme, contrairement à tout ce qu'on pu dire et écrire ses détracteurs, est une critique virulente d'un système sociétal suranné : il s'agit de repenser de manière fondamentale et intégrative la société française en prenant en compte la diversité dans toute l'ampleur des individus qui la compose. - 81 - Zusammenfassung in deutscher Sprache Virginie Despentes ist sicherlich eine der wohl umstrittensten Autorinnen der französischen zeitgenössischen Literaturszene. Im Jahre 2000 machte sich die Schriftstellerin einen Namen mit der Verflmung ihres Debütromans Baise-moi, bei der sie gemeinsam mit Coralie Trinh Thi Regie führte. Aufgrund der Abwechslung von grausamen Gewalt- und schonungslosen Sexszenen löste der Film, dessen Hauptfguren noch dazu von zwei Pornodarstellerinnen gespielt wurden, im ganzen Land einen Skandal aus 321: Die ProtagonistInnen von Baise-moi seien keine Frauen, sondern männerhassende Lesben, so die Meinung der damaligen - allerdings zum Großteil männlichen - FilmkritikerInnen und JournalistenInnen322. Despentes selbst führte den durch Film und Buch ausgelösten Skandal hauptsächlich auf ihr weibliches Geschlecht zurück323: Was die KritikerInnen störe, sei vor allem der Aspekt, dass Frauen, welche im Allgemeinen als sanfte, passive und liebliche Wesen gelten und immer wieder auch als solche medial inszeniert werden, in ihren Darstellungen subversive Frauenbilder ans Tageslicht brachten. Seit der Veröffentlichung ihres Debütromans beim damals kleinen Verlag Florent Massot sind mittlerweile zwanzig Jahre vergangen. Nichtsdestotrotz ist Despentes immer noch eine äußerst gesellschaftskritische und scharfsinnige Autorin, wie sie es zum wiederholten Male mit ihrem 2010 erschienenen Roman Apocalypse bébé bewiesen hat, für den sie auch den Renaudot Preis erhielt. In diesem Roman greift die Autorin erneut eine bereits in ihrem Erstlingswerk behandelte Thematik auf: Vor dem Hintergrund des an Ridley Scotts Verflmung Thelma and Louise (1991) erinnernden kinematographischen Road-MovieMotivs ziehen Nadine und Manu, hin und wieder von Fatima begleitet, in Baise-moi gegen die männlich-heterozentrische Gesellschaft zu Felde, während in Apocalypse bébé eine Lesbe namens „Die Hyäne“ der eher amateurhaften Detektivin Lucie bei ihrer Suche nach der von zuhause gefüchteten Valentine helfend zur Seite steht. In beiden Romanen rücken die Frauen in den Vordergrund. Während Frauen traditionellerweise als Opfer von Männern dargestellt werden, werden sie bei Virginie Despentes zu Anführerinnen eines sozial-politischen Geschlechter-, Klassen- und 321 MATHIEU, Lilian: L'Art menacé par le droit? Retour sur l'« affaire Baise-moi ». In: Mouvements 2003/4 (n°29) URL: http://www.cairn.info/revue-mouvements-2003-4-page-60.htm. (zuletzt am 29. Juli 2013 aufgerufen) 322 die französischen Filmkritiker, zitiert nach BOURCIER, Marie-Hélène: Queer Zones. Politique des identités sexuelles et des savoirs. Paris: Editions Amsterdam 2006. S. 14. 323 DESPENTES, Virginie: King Kong théorie. Paris: Editions Grasset 2006. S. 116 - 117. - 82 - Rassenkampfes, welcher sich gegen eine historisch organisierte und gesellschaftlich dem Anders-Sein gegenüber stigmatisierende und ausgrenzende Binarität richtet. Über Despentes wurde zwar schon einiges geschrieben, aber nur selten, wenn überhaupt noch nie, waren ihre lesbischen Figuren Gegenstand einer wissenschaftlich literarischen Untersuchung. Dies verwundert umso mehr, da diese meines Erachtens sehr aufschlussreiche Erkenntnisse bezüglich eines gesteigerten Verständnisses von Despentes Werken liefern. In einem Land wie Frankreich, wo noch vor kurzer Zeit so vehement und in z.T. äußerst homophober Manier über die Frage der gleichgeschlechtlichen Ehe und der nationalen Identität sowohl auf den Strassen als auch in den politischen Reihen debattiert wurde, erschien es mir umso aktueller und bedeutender, sich anhand Despentes' Romanen und ausgehend von der Queer-Theorie mit der Frage der Andersartigkeit im Allgemeinen und mit der Situation der Frauen im Speziellen zu beschäftigen. Ursprünglich war das Adjektiv queer ein abwertender Begriff, welcher etwa bizarr, verrückt oder abnormal bedeutete und besonders im Bezug auf die Homosexuellen als Schimpfwort galt. Anfang der 80er-Jahre kam es jedoch unter anderem durch Teresa de Lauretis zu einer politischen Umdeutung. Vor allem im anglo-amerikanischen Raum wurde queer zum Inbegriff des Kampfes für die Rechte der Homo-, Bi- und Transsexuellen. Kurz zusammengefasst beschäftigt sich die Queer-Theorie seit den 90ern vermehrt mit der Frage der Herausbildung (hetero-)normativer Identitätsmodelle. Dabei geht es darum, diese mit den Mitteln der Parodie und Subversion kritisch zu hinterfragen, um aufzuzeigen, dass Identitäten nicht durch vorgeschriebene Gesetze fest defniert werden können. Im Vergleich zu den Gender-Studies sind die Queer-Studies breiter angelegt, indem sie versuchen, die Refexion über Alterität nicht nur auf das Hinterfragen des Sex/Gender-Systems 324 zu beschränken, sondern darüber hinaus auch die Frage nach bestimmten Milieus und Rassen wahrzunehmen bzw. in die Refexion mit einzubeziehen. Ausgehend von dieser Defnition habe ich im Laufe dieser Arbeit versucht, das Queer-Potential des Lesbianismus' in Baisemoi und Apocalypse bébé zu untersuchen. Virginie Despentes' (Anti-)Heldinnen werden aufgrund ihres professionellen Werdegangs, ihrer Herkunft und Milieu und/oder ihrer sexuellen Orientierungen bzw. ihrer queeren - im Sinne von abnormalen - sexuellen Vorlieben vom gesellschaftlichen Leben regelrecht 324 Gayle Rubin, zitiert nach BOURCIER, Marie-Hélène: Queer Zones. Politique des identités sexuelles et des savoirs. S. 160. - 83 - ausgeschlossen. Sie befnden sich abseits der bzw. que(e)r zur Gesellschaft. Eine solche Ausgrenzung wurde ab Ende des 16. und Anfang des 17. Jahrhunderts vor allem ausgehend von einer christlich-religiösen Autorität und durch ein männlich- heteronormiertes und normierendes System etabliert, welches es sich - gestützt durch die sexuelle Differenztheorie - zum Ziel gemacht hatte, die soziale und somit auch politische Rolle der Frau auf ihr biologisches Geschlecht zu beschränken. Während der Mann als aktives, starkes und freies Wesen fungiert, wird die Frau auf ihre Fortpfanzungsfunktion und Mutterrolle reduziert. Nach Foucault wird der Sex zum Instrument einer politischgesellschaftlichen Repression, deren Ziel es ist, die Hegemonie des Mannes zu sichern 325. Deviante Verhaltensweisen bzw. sexuelle Praktiken sowohl von Frauen als auch von Männern, weil sie nicht auf die Reproduktion und Sicherung der bürgerlichen Familie nach dem Schema Mann/Frau/Kind abzielen, werden als abnorm/queer dargestellt und führen zur sozio-politischen und ökonomischen Ausgrenzung wie die komplexe mehrstimmige Romanstruktur von Apocalypse bébé es verdeutlicht. Aus dieser historischen Perspektive heraus betrachtet werden Despentes' (Anti-)Heldinnen als gouines/Lesben bezeichnet, da sie diesem ontologischen Frauenbild nicht entsprechen. Weil sich Despentes' Frauenfguren eben weigern, sich der historisch bedingten, religiösen, politischen und ökonomischen Konstruktion der Geschlechterordnung zu unterwerfen, verkörpern diese den Kampf für die Frauenemanzipation und verstehen sich somit als Lesben, als Frauenfguren also, welche sich gegen die in Bezug auf Frauen vorgeschriebenen gesellschaftlichen und sozialen Normen und Aufgaben wehren 326. Adrienne Rich spricht an dieser Stelle von einem „lesbischen Kontinuum“327 gegen die im Foucaultschen Sinne als „Wahrheit“328 konstruierte „compulsory heterosexuality“329. Nach der Begriffsklärung zielt der zweite Teil der Arbeit auf Despentes' Umkehrung der traditionellen Geschlechterrollen hin. Durch eine kritisch-subversive Darstellung des 325 KLINGER, Cornelia: Die Kategorie Geschlecht in der Dimension der Kultur. In: GRIESEBNER, Andrea et Christina LUTTER [Hrsg.]: Geschlecht und Kultur. S. 3. 326 HOCHREITER, Susanne: Lesbische Identitäten und Literatur. In: http://www.viaregia.org/bibliothek/pdf/heft6869/hochreiter_lesbische.pdf. (zuletzt am 23. Juli 2013 aufgerufen) S. 2 - 3; Das Manifest The Women Identifed Women von den Radicallesbians, zitiert nach LAMOUREUX, Diane: Reno(r/m)mer « la » lesbienne ou quand les lesbiennes étaient féministes. In: Genre, sexualité & société [En ligne], 1 | Printemps 2009. URL : http://gss.revues.org/635. (zuletzt am 03. August 2013 aufgerufen) S. 3. 327 RICH, Adrienne: Compulsory Heterosexuality and Lesbian Existence. In: Signs, Vol. 5, No.4, Women: Sex and Sexuality 1980. URL: http://www.jstor.org/stable/3173834. (am 23. August zuletzt aufgerufen) S. 648. 328 FOUCAULT, Michel: Histoire de la sexualité I. La volonté de savoir. Paris: Éditions Gallimard 1976. S. 76. 329 RICH, Adrienne: Compulsory Heterosexuality and Lesbian Existence. In: Signs, Vol. 5, No.4, Women: Sex and Sexuality 1980. URL: http://www.jstor.org/stable/3173834. (am 23. August zuletzt aufgerufen) . S. 632. - 84 - Sex/Gender-Systems wird eine queere Lektüre vorangetrieben, bei der sich die Autorin des heterozentrischen Bilds der männerfeindlichen Lesbe/Femme fatale bedient, um Frauenfguren zu schaffen, welche eine ordentliche „Genderverwirrung“ stiften. Dabei münden die emanzipatorischen Bestrebungen in einem offenen, mehr oder weniger gewalttätigen (und für manche Figuren sogar tödlichen) Kampf gegen die Gesellschaft. Während manche ProtagonistInnen zu Serial- und Cop-Killerinnen (Manu, Nadine aber auch Fatima in Baise-moi) bzw. Selbstmordattentäterinnen (Valentine in Apocalypse bébé) werden, befnden sich andere (wie etwa Lucie oder die Hyäne) auf der Seite des Gesetzes, obschon sie sich aus berufichen Gründen weiterhin abseits der Gesellschaft bewegen. Bei Despentes werden die Geschlechterrollen regelrecht umgedreht: Die Täter werden zu Opfer, die Opfer zu Täterinnen. Dies äußert sich vor allem darin, dass die Frauen in der Öffentlichkeit Gebrauch von Gewalt machen - diese wird in der Tradition den Männern zugesprochen - , welche in orgastischen Szenen mündet. Waffen werden als Penisse inszeniert, Münder als sadistische, männerfressende Foltergeräte. Zur Vervollkommnung ihrer subversiven Handlungen bedienen sich die Frauen der durchaus vulgär-obszönen Rhetorik der Männer. Ihre zweideutigen Wortspiele führen zu einer „Hybridisierung der Sprache“330, so dass Despentes' Lesben als Figuren einer Art Zwischenwelt fungieren, welche sich durch eine Dekonstruktion der Freudschen und Lacanschen Ansätze über die Frau als Mangelwesen von der traditionellen Ordnung der Geschlechter distanzieren. Über die Analogie von Gewalt und Sex hinaus werden die durch männliche Unterdrückung jahrzehntelangen geknebelten Frauenkörper im metaphorischen Sinne zu Schutz- und Rebellionsinstrumenten einer noch stark stereotypisierten, wenn nicht sogar frauenfeindlichen Konsumgesellschaft. Die Grenzen sowohl zwischen Innen und Außen als auch zwischen Privatem und Öffentlichem werden porös, ja scheinen sogar gänzlich zu verschwinden. Die Mechanisierung des weiblichen Körpers und die pikturale Inszenierung der Kosmetika bzw. des Blutes tragen zu einem radikalen lesbo-feministischen und antibürgerlichen Diskurs mit amerikanischem Einfuss bei, durch welchen sich die Frauen von der traditionellen Opferrolle zu entfernen vermögen. An dieser Stelle bekommt das Medium Film, welches von der Autorin als phallokratisch-heterozentrisches propagandistisches Mittel bezeichnet wird331, eine tragende Bedeutung. Die Lesben 330 PRECIADO, Beatriz: kontrasexuelles manifest. aus dem französischen von stephan geene, katja diefenbach und tara herbst. b_books: berlin 2005. S. 156. 331 Das Interview kann unter folgendem Link aufgerufen werden: https://www.youtube.com/watch? v=qG48ACv0GN0. (zuletzt am 29. August 2013) - 85 - Despentes' karikieren die pornografsche Filmindustrie, um ihre emanzipatorischen Bestrebungen weiter fortzuführen. Der lineare, aber gehackter Stil von Baise-moi erinnert stark an die oft platten Inszenierungen von Pornoflmen. Außerdem agieren die ProtagonistInnen Manu und Nadine wie Pornodarstellerinnen. In Apocalypse bébé hinterlässt Valentine unter dem Pseudonym „Little Girl“ eine Botschaft im Internet. Das Einführen einer Bombe in ihre Vagina könnte hiermit als Parodie einer pornographischen Filmsequenz interpretiert werden, weiterhin ähnelt diese Geste Valentines den Handlungsweisen von Terrororganisationen wie Al-Qaeda oder Aqmi. Somit bricht Despentes aber mit der seit den Terroranschlägen vom 11. September 2001 wohl bekannten Annahme, dass die Gefahr von Außen komme. Valentines Terroranschlag auf das Palais Royal bzw. der entscheidende Einfuss von Sœur Elisabeth auf Valentine verdeutlicht den religiösen Extremismus der katholisch-bürgerlichen Kirche, indem die Explosion nicht von Außen sondern von Innen kommt. Weiters zeigt Despentes damit auf, dass sich die Problematik des Terrorismus nicht alleine auf die arabischen Länder reduzieren lässt. Der sogenannte „vaginal terrorism“332 kann an dieser Stelle zum Einen als Befreiungsgeste der Frauenunterdrückung, zum Anderen als die radikale Verweigerung der Penetration als Fortpfanzungssystem der bürgerlichen Gesellschaft verstanden werden. Anders gesagt befreien Despentes' Lesben die Sexualität aus den Klauen des gesellschaftlichen, heterozentrischen Modells. Mit dem „Hinübergleiten“ vom männlichen zum weiblichen Blick wird die lesbische Sexualität zur einer kontra-sexuellen Form von Sexualität, welche durch die Refexivität der Eigen- und Fremdkörper zu einem besseren Verständnis des eigenen Ichs und des anderen führt. Des Weiteren kann die lesbische Sexualität als sozial-politische Metapher betrachtet werden. Während die Kosmetika und die sadomasochistischen Sexualpraktiken der Lesben zur Trübung der traditionellen Gendercodes beitragen, indem sie die sogenannte „Natürlichkeit des Körpers“333 in den Vordergrund stellen, dient die Butch/Femme Kultur der theatralischen Parodie der Genderrollen. Im Butlerschen Sinne wird der Transvestismus sowohl in Baisemoi als auch in Apocalypse bébé als parodistische Verfremdungsstrategie eingesetzt, um durch die z.T. übertriebene, wenn nicht sogar burleske Imitation der Genderrollen, die performative Konstruiertheit der Identität 334 bzw. der Heterozentismus als Original offen 332 Stemberger, Martina: Troubles of Authority: New Media, Text & Terror in Virginie Despentes'Apocalypse bébé. URL:http://web.fu-berlin.de/phin/phin64/p64t2.htm. (zuletzt am 18. August 2013 aufgerufen) 333 Stemberger, Martina:(Anti-)Éloge du maquillage oder Kosmetische Katastrophen: Baudelaire, Despentes, Darrieusecq. Dans: Grenzgänge. Beiträge zu einer modernen Romanistik. 17/2010. Heft 33. S. 109. 334 Judith Butler, zitiert nach: KRASS, Andreas [Hrsg.]: Queer denken. Gegen die Ordnung der Sexualität (Queer - 86 - zu legen. Ergänzend dazu führt die sprachliche und auch sexuelle Hybridität mancher Figuren zu einem regelrechten Bruch mit der Universalität des Männlichen. Sowohl die fast „roboterhafte“ Darstellung Fatimas als auch der anthropomorphische Bezug der Hyäne zum gleichnamigen Tier stellt die Androgynität der Lesbe bzw. der Identität dar. Der Lesbianismus verkörpert in dieser Hinsicht besonders die Wandelbarkeit des Identitätsbegriffs, welcher sich weder auf das Geschlecht noch auf das Milieu oder die Herkunft reduzieren lässt. Despentes' Lesben zeigen die systematische und ausgrenzende Binarität eines noch sehr konservativen und den Minderheiten gegenüber rassistischstereotypisierenden Diskurses in der französischen Gesellschaft auf. Allerdings scheitern ihre heterosexuellen Lesben aufgrund ihrer Radikalität an ihrem Queer-Kampf. Ihr Extremismus ist im doppelten Sinne fatal : er führt zum einen zu ihrem Tod, zum anderem zu einer Verstärkung des staatlichen und supra-nationalen Sicherheitsystems. Gleichzeitig aber wird der lesbische Körper bzw. das lesbische Subjekt durch Valentines Terroranschlag von allen gesellschaftlichen Zwängen befreit. Auch wenn die ausgelöste Apokalypse Chaos und Zerstörung mit sich bringt, so repräsentiert sie für die Lesben auch eine Möglichkeit der Wiedergeburt und des Neubeginns. In diesem Sinne hat die queere Lektüre des Lesbianismus in den zwei Romanen Virginie Despentes die fundamentalen und historisch konstruierten Antagonismen der französischen Gesellschaft aufgedeckt. Despentes' lesbische (anti-)Heldinnen wehren sich gegen ein sozial-politisches System, welches stets nach Normierungen strebt, die Andersartigkeit als Gefahr betrachtet und somit seine Mitmenschen und BürgerInnen ausgrenzt. Der Lesbianismus kann an dieser Stelle als queer betrachtet werden, da er dem Begriff der Identität auf den Grund geht und dabei stets versucht, diese über die wohl etablierten und äußerst diskriminierenden Kategorien zunichtezumachen. Weiters plädiert Despentes aber ebenso gegen eine Radikalität, welche nur Chaos und Zerstörung verursachen bzw. politisch eine kontra-produktive Dynamik mit sich bringen würde, indem sie in Apocalypse bébé im Gegensatz zu Baise-moi mehr Raum für den Austausch zulässt und dabei den Lesbianismus nicht mehr nur als Ausdruck eines emanzipatorischen queeren Kampfes darstellt, sondern vielmehr als eine alternative Möglichkeit, um sich dem anderen anzunähern und gestützt durch Refexivität einen neuen Weg zum eigenen Ich, weit weg von den gesellschaftlichen lügnerischen Wahrheiten, einzuschlagen. Studies). Frankfurt am Main: Edition Suhrkamp 2003. S. 20. - 87 - Bibliographie Littérature primaire: DESPENTES, Virginie: Baise-moi. Paris: Editions J'ai Lu 20003. DESPENTES, Virginie: Apocalypse bébé. Paris: Editions Grasset 2010. Littérature critique: BAL, Mieke: Narratology. Introduction to the Theory of Narrative. Translate by Christine van Boheemen. Toronto - Buffalo - London: University of Toronto Press 1985. BAUDELAIRE, Charles: Les Fleurs du mal. Paris: Flammarion 1991. BOURCIER, Marie-Hélène: Queer Zones. Politique des identités sexuelles et des savoirs. Paris: Éditions Amsterdam 2006. BOURCIER, Marie-Hélène: Sexpolitiques. Queer Zones 2. Paris: La Fabrique éditions 2005. BUTLER, Judith: Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l'identité. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Cynthia Kraus. Paris: Éditions La Découverte 2006. CANETTI, Elias: Masse und Macht. Hambourg: Fischer Taschenbuch Verlag 200630. DE LAURETIS, Teresa: Théorie queer et cultures populaires. De Foucault à Cronenberg. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Marie-Hélène Bourcier. Paris: La Dispute 2007. DESPENTES, Virginie: King Kong théorie. Paris: Editions Grasset 2006. FABACH, Sabine: Der Mythos der Lesbe: bewußte und unbewußte Phantasien in der flmischen Inszenierung von lesbischen Frauen. Wien: Diplomarbeit 1993. FOUCAULT, Michel: Histoire de la sexualité I. La volonté de savoir. Paris: Éditions Gallimard 1976. HARK, Sabine: Deviante Subjekte. Die paradoxe Politik der Identität. Opladen: Leske+Budrich 19992. HILMES, Carola: Die Femme fatale. Ein Weiblichkeitstypus in der nachromantischen Literatur. Stuttgart: Metzler 1990. KRISTEVA, Julia: Pouvoirs de l'horreur. Essai sur l'abjection. Paris: Éditions du Seuil 1980. LAQUEUR, Thomas: Auf den Leib geschrieben. Die Inszenierung der Geschlechter von der Antike bis Freud. Aus dem Englischen von H. Jochen Bußmann. Frankfurt/Main .New York: Campus Verlag 1992. - 88 - KRASS, Andreas [sous la dir.]: Queer denken. Gegen die Ordnung der Sexualität (Queer Studies). Frankfurt am Main: Edition Suhrkamp 2003. PRECIADO, Beatriz: kontrasexuelles manifest. aus dem französischen von stephan geene, katja diefenbach und tara herbst. b_books: berlin 2005. REY, Alain [sous la dir.]: Dictionnaire historique de la langue française. Paris: Dictionnaires Le Robert 1992. SCHWEIGHAUSER, Jean-Paul: Le Roman noir français. Que sais-je? Paris: PUF 1984. Essais: BABKA, Anna et Marlen BIDWELL-STEINER: Begriffe in Bewegung. Gender, Lesbian Phallus und Fantasy Echoes. Dans: Babka, Anna et Marlen BIDWELL-STEINER [sous la dir.]: Obskure Differenzen. Psychoanalyse und Gender Studies. Dans: Gießen: PsychosozialVerlag 2013. pp. 239 - 267. MARTIN, Biddy: Sexual Practice and Changing Lesbian Identities. Dans: BARRETT, Michèle et Anne PHILLIPS [sous la dir.]: Destabilizing Theory. Contemporary Feminist Debates. Oxford: Polity Press 1992. pp. 93 - 119. CASTILLO DURANTE, Daniel: Le stéréotype à l'heure de tous ses masques. Etat des lieux. Dans: GARAUD, Christian [sous la dir.] : Sont-ils bons? Sont-ils méchants? Usages des stéréotypes. Paris: Honoré Champion Editeur 2001. pp. 73 - 82. DE LAURETIS, Teresa: The Violence of Rhetoric. On Representation ans Gender. Dans: LANCASTER, Roger N. et Micaela DI LEONARDO [sous la dir.]: The Gender/Sexuality Reader. Culture, History, Political Economy. London: Routledge 1997. pp. 265 - 278. LEYENS, Jacques-Philippe et Olivier CORNEILLE: Perspectives psychosociales sur les stéréotypes. Dans: GARAUD, Christian [sous la dir.] : Sont-ils bons? Sont-ils méchants? Usages des stéréotypes. Paris: Honoré Champion Editeur 2001. pp. 13 - 25. HOCHREITER, Susanne: Sattes Violett. Österreichische Literatur von Frauen: lesbische Heldinnen, lesbische Identitäten. Dans: FÖRSTER, Wolfgang [sous la dir.]: Der andere Blick. Lesbischwules Leben in Österreich. Wien: MA 57 - Frauenförderung u. Koordination von Frauenangelegenheiten 2001. pp. 117 - 126. KLINGER, Cornelia: Die Kategorie Geschlecht in der Dimension der Kultur. Dans: GRIESEBNER, Andrea et Christina LUTTER [sous la dir.]: Geschlecht und Kultur. Wien: Verein für Geschichte und Sozialkunde, c/o Institut für Wirtschafts- und Sozialgeschichte der Universität Wien 2000. pp. 3 – 8. RUBIN, Gayle: Sex denken: Anmerkungen zu einer radikalen Theorie der sexuellen Politik. Dans: KRASS, Andreas [sous la dir.]: Queer denken. Gegen die Ordnung der Sexualität (Queer Studies). Traduit de l'américain par Judith Klinger. Frankfurt am Main: Suhrkamp 2003. pp. 31 - 79. - 89 - SHIRLEY, Ann Jordan: Revolting Women? Excess and détournements de genres in the Work of Virginie Despentes. Dans: SHIRLEY, Ann Jordan: Contemporary French Women's Writing. Women's VIsions, Women's Voices, Women's Lives. Oxford·Bern [et. al.]: Peter Lang Verlag 2005. pp. 113 - 150. STEMBERGER, Martina: (Anti-)Éloge du maquillage oder Kosmetische Katastrophen: Baudelaire, Despentes, Darrieusecq. Dans: Grenzgänge. Beiträge zu einer modernen Romanistik. 17/2010. Heft 33. pp. 102 - 120. WAGNER, Birgit: Erzählstimmen und mediale Stimmen. Mit einer Analyse von Assia Djebars Erzählung Die Frauen von Algier. Dans: NIEBERLE, Sigrid et Elisabeth STROWICK: Narration und Geschlecht. Texte - Medien - Episteme. Köln: Böhlau Verlag 2006. pp. 141 - 158. Essais - références électroniques: BOEHRINGER, Sandra: Le «hors champ» du sexuel: les Anciens et les relations entre femmes. Dans: Genre, sexualité & société [En ligne], 1 | Printemps 2009, mis en ligne le 09 juillet 2009. URL: http://gss.revues.org/446. (dernièrement consulté le 23 juillet 2013) CARDI, Coline et Geneviève PRUVOST: La violence des femmes : occultations et mises en récit. Dans: Champ pénal/Penal feld [En ligne], vol. III, «Le contrôle social des femmes violentes», mis en ligne le 11 juin 2011. URL: http://champpenal.revues.org/8039. (dernièrement consulté le 21 juillet 2013) CHATRAIN, Cécile et Natacha CHETCUTI: Lesbianisme: théories, politiques et expériences sociales. Dans: Genre, sexualité & société [En ligne], 1 | Printemps 2009, Online since 08 July 2009. URL: http://gss.revues.org/index744.html. (dernièrement consulté le 05 juin 2013) DETREZ, Christine et Anne SIMON: « Plus tu baises dur, moins tu cogites »: Littérature féminine contemporaine et sexualité - la fn des tabous? Dans: L'Esprit créateur: The Johns Hopkins University Press. Vol.44/3/2004. pp. 57-69. URL: http://muse.jhu.edu/journals/esp/summary/v044/44.3.detrez.html. (dernièrement consulté le 13 septembre 2013) FAYARD, Nicole: The Rebellious Body as Parody. Baise-moi de Virginie Despentes. Dans: French Studies 60/1/2006. pp. 63 - 77. URL: http://fs.oxfordjournals.org/content/LX/1/63.full.pdf+html (dernièrement consulté le 11 octobre 2013) FRANCO, Judith : Gender, Genre and Female Pleasure in the Comtemporary Revenge Narrative : Baise moi and What It Feels Like For A Girl. Quarterly Review of Film and Video, 21:1, pp. 1-10, DOI: 10.1080/10509200490262415. URL : http://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/10509200490262415 (dernièrement consulté le 04 octobre 2013) HOCHREITER, Susanne: Lesbische Identitäten und Literatur. Dans: http://www.viaregia.org/bibliothek/pdf/heft6869/hochreiter_lesbische.pdf. (dernièrement consulté le 23 - 90 - juillet 2013) JAGODZINSKI, Sarah : Le corps lesbien de Monique Wittig. Dans : http://www.ecritures modernite.eu/wp-content/uploads/2012/03/SarahWittig.pdf (dernièrement consulté le 07 octobre 2013) KOUKOUTSAKI-MONNIER, Angeliki : La Construction symbolique de l'identité nationale française dans les discours de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. URL : http://communication.revues.org/2010 (dernièrement consulté le 5 novembre 2013) MATHIEU, Lilian: L'Art menacé par le droit? Retour sur l'« affaire Baise-moi ». Dans: Mouvements 2003/4 (n°29) pp. 60 - 65. URL: http://www.cairn.info/revue-mouvements-2003-4-page-60.htm. (dernièrement consulté le 29 juillet 2013) LAMOUREUX, Diane: Reno(r/m)mer « la » lesbienne ou quand les lesbiennes étaient féministes. Dans: Genre, sexualité & société [En ligne], 1 | Printemps 2009. URL : http://gss.revues.org/635. (dernièrement consulté le 03 août 2013) LOUAR, Nadia: Version femmes plurielles: relire Baise-moi de Virginie Despentes. Dans: Palimpsestes [En ligne], 22| 2009, mis en ligne le 01 octobre 2011. URL: http://palimpsestes.revues.org/119. ( dernièrement consulté le 03 juillet 2013) NOREIKO, Stephen: 'Toutes des salopes': Representation of women in French crime fction. Dans: French Cultural Studies 10/089 1999. pp. 89 - 105. URL: http://frc.sagepub.com/content/10/28/089. (dernièrement consulté le 04 août 2013) RICH, Adrienne: Compulsory Heterosexuality and Lesbian Existence. Dans: Signs, Vol. 5, No.4, Women: Sex and Sexuality 1980. pp. 631 - 660. URL: http://www.jstor.org/stable/3173834. (dernièrement consulté le 23 août 2013). SAUZON, Virginie: Virginie Despentes et les récits de la violence sexuelle: une déconstruction littéraire et féministe des rhétoriques de la racialisation. Dans: Genre, sexualité & société [Online], 7 | Printemps 2012, online since 01 june 2012. URL: http://gss.revues.org/2328. (dernièrement consulté le 21 juillet 2013) SPOIDEN, Stéphane: Clivage. Dans: L'Esprit créateur: John Hopkins University Press. 44/3/2004. pp. 70 - 81. URL: http://muse.jhu.edu/journals/esp/summary/v044/44.3.spoiden.html. (dernièrement consulté le 28 novembre 2013) STEMBERGER, Martina: Troubles of Authority: New Media, Text & Terror in Virginie Despentes'Apocalypse bébé. URL:http://web.fu-berlin.de/phin/phin64/p64t2.htm. (dernièrement consulté le 18 août 2013) - 91 - Articles de journaux - références électroniques: ARTUS, Hubert: « Apocalypse bébé » de Virginie Despentes prix Renaudot 2010. Dans: Le nouvel Observateur/Cabinet de lecture. 08.11.2010. URL: http://blogs.rue89.com/cabinet-delecture/2010/09/19/avec-apocalypse-bebe-virginie-despentes-sassagit-167316 (dernièrement consulté le 18 octobre 2013) ARBIZU, Susana et Henri BELIN: King Kong théorie: Entretien avec Virginie Despentes. Dans: Mauvaiseherbe's Weblog.11.09.2008. URL:http://mauvaiseherbe.wordpress.com/2008/09/11/king-kong-theorie-entretien-avecvirginie-despentes/ (dernièrement consulté le 29 septembre 2013) GIRARD, Quentin: «elles vivent une double peine». Dans: Libération.17.06.2013. http://next.liberation.fr/sexe/2013/06/17/elles-vivent-une-double-peine_911598 (article dernièrement consulté le 23 septembre 2013) MARCELLE, Pierre: L'apocalypse selon Despentes. Dans: Libération. 19.08.2010. URL: http://www.liberation.fr/livres/2010/08/19/l-apocalypse-selon-despentes_672906 (dernièrement consulté le 11 octobre 2013) MARTIN, Marie-Claude: Elisabeth Badinter: « Avec Virginie Despentes, je me sens moins seule». Dans: Le Temps. 28.08.2010. http://www.letemps.ch/Page/Uuid/286f01f2-b218-11df-a0da d2fe0d65d5d5/Elisabeth_Badinter_Avec_Virginie_Despentes_je_me_sens_moins_seule#.U j8cDGSAub0 (dernièrement consulté le 22 septembre 2013) VALLAEYS, Béatrice et François ARMANET: Trois femmes s'emparent du sexe. Interview: Catherine Breillat ('Une vraie jeune flle') dialogue avec Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi ('Baise-moi'). Dans: Libération.13.06.2000. http://www.liberation.fr/culture/0101339077-trois-femmes-s-emparent-du-sexe (dernièrement consulté le 17 septembre 2013) Autres références électroniques: Pour consulter l'interview de Virginie Despentes pour Les Cahiers du cinéma: https://www.youtube.com/watch?v=qG48ACv0GN0 (dernièrement consulté le 29 août 2013) Sur la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe: http://www.justice.gouv.fr/la-garde-des-sceaux-10016/loi-ouvrant-le-mariage-aux-couples-de-personnesde-meme-sexe-25377.html (dernièrement consulté le 27 juillet 2013) Défnition de verquer consultable sur le site Duden: http://www.duden.de/rechtschreibung/verquer (dernièrement consulté le 02 août 2013) Sur les violences conjugales: http://www.senat.fr/rap/r09-553/r09-5533.html (dernièrement consulté le 16 août 2013) Sur l'ondinisme: http://fr.wikipedia.org/wiki/Ondinisme_(sexualité ) (dernièrement consulté le 15 août 2013) - 92 - Sur la défnition de la gouine: http://fr.wikipedia.org/wiki/Gouine (dernièrement consulté le 16 août 2013) Sur le flm Thelma et Louise de Ridley Scott: http://fr.wikipedia.org/wiki/Thelma_et_Louise (dernièrement consulté le 03 août 2013) Sur le mouvement punk: http://fr.wikipedia.org/wiki/Mouvement_punk (dernièrement consulté le 02 août 2013) Sur le flm Emmanuelle : http://fr.wikipedia.org/wiki/Emmanuelle_(film) (dernièrement consulté le 06.10.2013) Sur les hyènes: http://fr.wikipedia.org/wiki/Hyaenidae (dernièrement consulté le 18 septembre 2013) Sur Al-Qaida et AQMI : http://fr.wikipedia.org/wiki/Al-Qaida_au_Maghreb_islamique octobre 2013) (dernièrement consulté le 11 Sur le programme de surveillance de la NSA PRISM : http://fr.wikipedia.org/wiki/PRISM_(programme_de_surveillance) (dernièrement consulté le 11 octobre 2013) - 93 - Curriculum vitae Emilie Sénéchal Persönliche Angaben Geburtsdatum 11. März 1984, in Longjumeau Staatsangehörigkeit Frankreich Familienstand in Lebensgemeinschaft, keine Kinder Ausbildung SoSe 2010 - WS 2013 Lehramtsstudium Französisch/Deutsch Hauptuniversität Wien, Österreich ▪ Leistungsstipendien (2011 und 2012) WS 2003 - SoSe 2007 Studium der Germanistik Universität Paris III Sorbonne Nouvelle, Frankreich ▪ Aufenthalt in Tübingen als DAAD-Stipendiatin ▪ Aufenthalt in Wien als Erasmus-Studentin Juli 2002 Baccalauréat général (Matura AHS) Lycée Jean-Baptiste Corot, Savigny-sur-Orge, Frankreich Berufserfahrung Seit September 2013 Sondervertragslehrerin bzw. Sprachförderlehrerin NMS Schäffergasse, Wien Oktober 2012 / Mai 2013 Sprachassistentin in Französisch BG Bachgasse, Mödling & BG und BRG Perchtoldsdorf März 2012 / Juli 2012 Tutorium Literaturwissenschaft Institut für Romanistik, Wien Sprachassistentin in Französisch BG und BRG Keimgasse, Mödling & HLA Baden Okt. 2011 - Mai 2012 Jan. 2010 bis Heute Freelancerin im Bereich Übersetzung Okt. 2006 - Mai 2007 Sprachassistentin in Französisch ehem. Wassermanngasse, Wien Sept. 2002 - Jul. 2003 Au-Pair Mädchen Göttingen, Deutschland - 94 - Sprachen Französisch Muttersprache Deutsch fießend in Wort und Schrift Englisch gute Kenntnisse in Wort und Schrift Russisch Grundkenntnisse Niederländisch Grundkenntnisse - 95 -